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Retrouvez-nous sur<br />

> J’ai lu pour vous<br />

par Bernard Pinget<br />

À propos de «La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert»<br />

de Joël Dicker<br />

Mon cher Joël,<br />

culture<br />

Je sais, nous ne nous sommes rencontrés qu’une fois, mais j’opterai tout de même pour le tutoiement.<br />

Après tout, tu as l’âge de mes enfants, et d’ailleurs, ce que je vais te dire aura certains côtés paternels.<br />

Tu es ici – dans les colonnes de ce journal – comme chez toi. Nous avons tous, lecteurs de Hayom, saisi ton premier, puis ton deuxième<br />

roman, avec fierté. Nous les avons lus avec plaisir, et les avons refermés pleins d’admiration. Un jeune auteur si proche de<br />

nous, qui écrit si bien, qui progresse si vite! Cela ne se rencontre pas tous les jours!<br />

Puis, ce qui ressemblait à un début de carrière prometteur s’est transformé en quelques mois en ascension météorique. Ton deuxième<br />

livre, volumineux, complexe dans sa construction, plein de références prestigieuses, te propulsait en première ligne des<br />

auteurs francophones. Tu figurais sur les listes des prix littéraires majeurs. Dans tous les médias, les critiques dithyrambiques se<br />

succédaient, presque calquées les unes sur les autres: ce n’était qu’émerveillement répété.<br />

Et te voici lauréat du Grand prix du roman de l’Académie française! Et quelques jours plus tard au coude-à-coude pour le<br />

Goncourt! (Ce n’est peut-être pas fini, mais les impératifs de parution de Hayom nous obligent à en rester là).<br />

La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert nous montre une Amérique habitée de préjugés, rongée de douloureux secrets sous le vernis des<br />

apparences. On y constate que notre société oublie ses idoles aussi vite qu’elle les a hissées au pinacle. On y contemple un monde<br />

littéraire où les éditeurs sont obnubilés par l’argent alors que les écrivains vivent sous la pression de devoir écrire à tout prix. Il<br />

nous présente aussi une justice versatile parasitée par des avocats cyniques, et des médias prêts à toutes les bassesses pour publier<br />

un scoop avant la concurrence. Bravo. Mais... Qui ignorait encore tout cela?<br />

Il y a 150 ans, Rimbaud, ce jeune prodige, exigeait du poète «du nouveau, idées et forme». Parmi les poètes comme parmi les écrivains,<br />

ils sont rares à avoir relevé le défi. Il n’en reste pas moins qu’une littérature répétant du déjà dit doit se poser la question de<br />

sa juste place.<br />

Tu as le don de l’écriture, mon cher Joël. Un trésor d’autant plus inestimable que, loin de demeurer enfoui, il voit déjà s’ouvrir une<br />

voie royale vers le plus nombreux public. Cela me rappelle une phrase qu’un musicien m’a rapportée de son maître: «Si vous n’êtes<br />

pas doué, il va falloir beaucoup travailler. Si vous êtes doué, il va falloir travailler encore plus». Eh oui, Joël, tu es doué...<br />

Le lecteur a une âme, une sensibilité, une intelligence. La tâche qui t’incombe, c’est de le conduire aux tréfonds de son âme, à la<br />

pointe de sa sensibilité et de son intelligence. Peut-être pas les trois à la fois, mais qui sait?<br />

Parmi tes influences et tes admirations, tu mentionnes John Steinbeck. Observe donc comment Steinbeck, dans un petit livre<br />

comme Des souris et des hommes, ou mieux, dans un chef-d’œuvre comme Les raisins de la colère, nous conduit d’une main sûre et légère<br />

vers ce que nous avons de meilleur et de plus brûlant en nous.<br />

Quant à tes prédécesseurs au palmarès de l’Académie, j’y repère Albert Cohen avec Belle du seigneur, Saint-Exupéry avec Terre des<br />

hommes... Je ne citerai que ces deux-là: ils suffisent à placer la barre très, très haut!<br />

Malgré les critiques qui t’encensent, malgré la gloire qui arrive, tu es jeune: on te lit encore en ayant à l’esprit des modèles, et l’on<br />

t’admire de réussir à t’en approcher. C’est t’encourager à la parodie. Ne te contente pas de<br />

cette admiration-là, elle peut conduire à piller Romain Gary pour se déguiser en grand<br />

écrivain (oui, oui, ça s’est vu!)<br />

À la page 441 de ton livre, Harry Quebert annonce: «Vous avez vendu les droits de<br />

votre manuscrit pour un million de dollars! Un million de dollars! Vous allez devenir<br />

quelqu’un de très grand, Marcus.» Ne suis pas le chemin que trace ce vieil idiot. Certes,<br />

devenir quelqu’un de très riche n’est pas chose facile. Mais quelqu’un de très grand, c’est<br />

encore une autre histoire, et qui n’a rien à voir avec les millions. Cela dit, l’un n’empêche<br />

pas l’autre... Mais il y faut beaucoup d’attention!<br />

Nous te remercions, nous lecteurs, de nous avoir donné un livre facile à lire et intelligent.<br />

Nous le recommanderons autour de nous et l’offrirons à nos amis... Mais, dans un avenir<br />

proche ou lointain, nous attendons de toi un livre qui change notre vie.<br />

D’accord?<br />

Sinon, pourquoi écrire?<br />

Ton dévoué,<br />

Rabbi François et les membres du Comité sont heureux d’annoncer que Joël<br />

DICKER, membre de notre communauté, a été couronné du Prix du roman de<br />

l’Académie française et lui disent Hazak veématz.<br />

Bernard Pinget<br />

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