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Genève, rue Cornavin 6<br />
manor.ch<br />
> «Innocence of Muslim», des accusations<br />
lourdes de conséquences<br />
Les médias se sont largement faits l’écho des violentes manifestations anti-américaines qui, le 11 septembre 2012, ont<br />
causé la mort en Libye de quatre Américains, dont l’Ambassadeur des États-Unis, Christopher Stevens.<br />
Quelle serait la raison de cet embrasement<br />
qui semble toucher<br />
le monde arabe? La diffusion<br />
d’un extrait du film Innocence<br />
of Muslim, dont l’auteur n’était connu<br />
que par son pseudonyme, Sam Bacile?<br />
Que n’avons-nous pas entendu sur<br />
l’identité du ou des responsables! Très<br />
vite, des journalistes se sont laissés aller<br />
à propager des allégations mensongères<br />
concernant notamment l’identité<br />
du réalisateur, en affirmant qu’il s’agissait<br />
d’un Juif israélo-américain! La<br />
palme revient sans nul doute à l’auteur<br />
de l’éditorial publié dans «Le Matin»<br />
du 13 septembre qui affirme et dénonce<br />
sans ambages les responsables: «Il est<br />
l’œuvre de Juifs américains malintentionnés<br />
cherchant à semer la pagaille<br />
dans le monde musulman». La CICAD<br />
s’était, dès lors, insurgée contre les<br />
graves accusations, lourdes de conséquences<br />
pour la communauté juive.<br />
La mention systématique de l’appartenance<br />
à cette communauté, s’agissant<br />
de l’auteur ou de ses soutiens, relève<br />
clairement de la pure stigmatisation.<br />
D’ailleurs, les véritables instigateurs<br />
ont été identifiés dans les 48 heures qui<br />
ont suivi la médiatisation de cette affaire.<br />
Toutes les informations concordaient<br />
et les liens avec de quelconques<br />
Juifs américains n’étaient que de pures<br />
affabulations.<br />
De plus, la médiatisation de cette<br />
affaire a entraîné des violences qui<br />
auraient été préméditées, alors que ce<br />
film était visible sur Internet depuis<br />
plus d’un an. Pourtant, ce n’est que le<br />
11 septembre, date de commémoration<br />
des attentats aux États-Unis, que des<br />
attaques ont été perpétrées contre des<br />
intérêts américains.<br />
Pour autant, lequel d’entre nous aura<br />
eu le privilège de lire le moindre rectificatif<br />
ou complément d’information<br />
dans «Le Matin», par exemple? Personne,<br />
puisque rien n’a été publié, à<br />
ce stade, dans leurs colonnes. L’auteur<br />
même de cet éditorial, tout en reconnaissant<br />
verbalement son erreur, n’entend<br />
aucunement présenter ses excuses<br />
ni rectifier l’information. Il admet en<br />
effet s’être trompé mais, considérant<br />
que l’ensemble des médias avaient<br />
suffisamment détaillé l’identité de<br />
Sam Bacile, il n’estime pas nécessaire<br />
de revenir sur son erreur. Même écho<br />
semble-t-il du côté de la rédaction en<br />
chef qui a fait preuve jusqu’à ce jour<br />
d’un mutisme affligeant.<br />
Une certaine presse échapperait-elle<br />
aux droits et devoirs du journaliste,<br />
à cette fameuse déontologie journalistique?<br />
La question semble parfaitement<br />
légitime si l’on se réfère aux<br />
textes approuvés par l’ensemble des<br />
syndicats de journalistes européens<br />
rassemblés dans la «charte de Munich».<br />
Adoptée le 24 novembre 1971,<br />
cette charte définit dix devoirs et cinq<br />
droits fondamentaux. Parmi ceux-ci: le<br />
respect de la vérité et de la vie privée,<br />
l’impératif de ne publier que des informations<br />
«dont l’origine est connue» ou<br />
accompagnées de réserves, l’obligation<br />
de «rectifier toute information qui se<br />
révèle inexacte».<br />
Pourquoi réclamer avec ferveur un rectificatif?<br />
Finalement, ne s’agit-il pas<br />
que d’un simple éditorial, de mauvaise<br />
facture et dont l’impact serait restreint<br />
et de courte durée?<br />
Tout d’abord parce que l’histoire tout<br />
autant que l’actualité nous ont appris<br />
que la stigmatisation, de surcroît pour<br />
des motifs imaginaires, alimentait des<br />
fantasmes sur cette communauté désignée<br />
comme la responsable naturelle<br />
de tous les maux. Quelle plus belle<br />
démonstration du besoin d’un bouc<br />
émissaire! Les amalgames étant ainsi<br />
entretenus, le lecteur peut rapidement<br />
se faire une opinion.<br />
Le film «Innocence of Muslim»<br />
cicad<br />
Quant à son impact, nous pourrions<br />
aisément considérer qu’avec un tirage<br />
quotidien de 245’000 exemplaires, l’auditoire<br />
est loin d’être anodin.<br />
Enfin, pourquoi devrions-nous accepter<br />
comme une fatalité ce genre de situation<br />
plutôt que de réclamer la justice<br />
et la vérité?<br />
C’est pour toutes ces raisons que la<br />
CICAD a pris le parti de ne pas baisser<br />
les bras et de poursuivre ses démarches.<br />
Agir sur de multiples fronts, avec engagement<br />
et ténacité, reste la garantie de<br />
notre sérénité collective. Tout en favorisant<br />
à différents niveaux les démarches<br />
éducatives, de formation et de dialogue,<br />
il est essentiel de se mobiliser à chaque<br />
fois que la «ligne rouge» est franchie.<br />
Ce combat mené au nom de l’intérêt collectif<br />
ne pourrait s’envisager sans le soutien<br />
de tous.<br />
Johanne Gurfinkiel<br />
Secrétaire général<br />
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