Rolling Stone 09/2017
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ÉDITO<br />
Par Belkacem Bahlouli<br />
Piège à sons !<br />
On en a peu parlé au cœur de cet été, étouffés par la<br />
chaleur ou la pluie, les bouchons des samedis noirs<br />
sur l’autoroute et surtout, la java des bombes atomiques<br />
si chère à Boris Vian, dansée par deux chefs<br />
d’État, le caricatural Nord-Coréen Kim Jong-un et<br />
l’ineffable Américain Donald J. Trump. Alors, avant cette dernière<br />
valse pré-cataclysme nucléaire, cette nouvelle a fait polémique sur<br />
les réseaux sociaux dans les milieux rock. En cause ? Un article du<br />
New York Times, prônant tout simplement la mort du rock’n’roll via<br />
la fin du règne des guitares électriques. Exit<br />
l’engin à faire du rock’n’roll par excellence,<br />
les ventes sont en chute libre, plus personne<br />
ne veut apprendre à jouer “Stairway to<br />
Heaven” ou “Hey Joe”, bref, on n’en pince<br />
plus pour cet instrument à cordes pincées.<br />
Et pourtant, une simple descente à Pigalle,<br />
le quartier parisien des magasins de sixcordes,<br />
prouve le contraire. Le célèbre<br />
quotidien new-yorkais a-t-il voulu faire le<br />
malin avec une fake news, pour reprendre<br />
le vocabulaire en vogue ? C’est plus complexe<br />
que cela. Donc non, “rock’n’roll can<br />
never die” chantait Neil Young, et à juste<br />
titre. Car si l’article estimait que l’instrument<br />
roi des musiques actuelles est en<br />
sursis et disparaîtrait, telle une espèce<br />
menacée d’extinction, à l’aube des années<br />
2050, la musique qu’il servait, elle,<br />
n’est pas près d’être vouée aux gémonies. On<br />
disait le rock mort quelques jours après sa<br />
naissance… il y a plus de soixante ans. Il<br />
n’en fut rien. Et n’en est toujours rien. À preuve, les patrons de<br />
festivals, cet été, ont affiché un sourire qu’on n’avait pas vu depuis<br />
des années – avec, pour certains, 100 % de tickets vendus ! Et<br />
surtout, c’est oublier un peu vite que, chaque année, quelque trois<br />
mille albums dans les seules catégories “pop-rock” sont publiés par<br />
le biais d’un label – rien qu’en France ! – et cela, sans compter les<br />
innombrables autoproductions ! Et pour créer tout cela, il en faut<br />
des guitares. Bref, ce que précisait le NYT était que la production<br />
américaine n’arrivait que très difficilement à contrer l’offensive des<br />
instruments venus d’Asie du Sud-Est. Alors, exit Fender, Gibson<br />
ou Gretsch ? Loin de là, il s’agit davantage d’une guerre marketing.<br />
Certes, les musiciens recherchent – effet de mode ou de statut, allez<br />
savoir ! – des instruments vintage, usés par des années d’usage<br />
intensif ; mais si on dépasse le stade “du look plus que du son”, le<br />
marché ne se porte pas si mal et les guitares asiatiques ont aussi<br />
leurs inconditionnels.<br />
Et tout cela va en parallèle avec la “nouvelle vogue” des 33-tours.<br />
Le retour en force, ces dernières années, du microsillon est un fait<br />
(pas si notoire que ça : à peine plus d’un<br />
million de copies, tous catalogues confondus<br />
en 2016 en France, soit une goutte d’eau dans<br />
les océans d’iTunes et de Spotify qui, eux, ont<br />
vendu plus d’un milliard de titres à la découpe),<br />
mais pas une réelle tendance lourde.<br />
D’ailleurs, certains commencent à déchanter<br />
: une enquête dans la presse hi-fi britannique,<br />
où l’on ne plaisante pas avec le son, a<br />
découvert certaines supercheries destinées<br />
à écouler du vinyle pour pas cher : soit des<br />
contrefaçons, purement et simplement, de<br />
vinyles disparus depuis des décennies, soit<br />
du travail de sagouin où le transfert analogique<br />
se base sur le son d’un CD avant d’être<br />
transféré sur un microsillon. Alors qu’une<br />
belle réédition ou nouvelle publication passe<br />
nécessairement par un mastering fait à partir<br />
des… masters, afin de présenter un son en<br />
accord avec son support (un son de CD n’a<br />
rien à voir avec un son de 33-tours). Bref, une<br />
arnaque. Alors est venue l’idée que, d’ici peu,<br />
une sorte de “label rouge” soit apposé sur la pochette des précieuses<br />
galettes noires, “Masterisé à partir des bandes d’origine”, comme il<br />
se doit. L’amateur de rock sera aux anges, car de plus, une flopée de<br />
sorties – et de rééditions – de tout premier ordre est annoncée pour<br />
cette fin d’année <strong>2017</strong>, de Liam Gallagher à QOTSA en passant par<br />
Bowie, The Cars, The Doors ou The Beatles –si, si – et nombre de<br />
trésors enterrés depuis des décennies qui n’attendent que d’être mis<br />
au jour. Pour le grand bonheur des fans de ce rock qui ne mourra<br />
pas. Bonne rentrée, donc.<br />
© LORAINE ADAM<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 3
Some Kind
of Master<br />
À l’aube d’une tournée européenne qui ne manquera pas<br />
de conforter Metallica dans son statut d’inamovible fer de<br />
lance du metal, son batteur Lars Ulrich se confie sur l’état<br />
d’esprit du groupe, ses ambitions et… le temps qui passe.<br />
Par XAVIER BONNET<br />
Photographie ROSS ALFIN<br />
Metallica aura passé une<br />
bonne partie du printemps et du début de<br />
l’été à parcourir les États-Unis pour une<br />
tournée des stades, ce qui ne lui était pas<br />
arrivé depuis presque quinze ans – aussi<br />
étonnant que cela puisse paraître. Une petite<br />
trentaine de stades en tout, sur le fronton<br />
desquels le groupe aura réussi à afficher le<br />
mot “complet” sans grand effort, malgré des<br />
capacités qui en auraient intimidé plus d’un :<br />
71 000 places à Baltimore, 69 000 à<br />
Philadelphie, 82 500 à East Rutherford dans<br />
le New Jersey et ainsi de suite. Remplir des<br />
stades, Metallica y est habitué. Devrait l’être,<br />
en tout cas. Pourtant, Lars Ulrich, batteur et<br />
cofondateur du groupe avec James Hetfield,<br />
son gosier et sa guitare rythmique, semblait<br />
le premier surpris dans la presse américaine<br />
– et notamment à <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> – que ce soit<br />
encore possible après trente-cinq ans de carrière<br />
et précisément parce qu’il ne s’y était<br />
plus essayé outre-Atlantique depuis si longtemps.<br />
Certes, l’homme est coutumier des<br />
effets de manche – certaines mauvaises langues<br />
diront que c’est aussi le cas quand il<br />
s’assoit derrière une batterie – mais sa surprise<br />
avait quand même de quoi, hum !, surprendre.<br />
Suffisamment pour que l’on remette<br />
la question sur le tapis au moment d’entamer<br />
la conversation, tandis que la troupe s’autorisait<br />
un jour off la veille de l’étape de ce<br />
WorldWired Tour à Phoenix, en Arizona. “En<br />
vieillissant, tu ne considères plus tout ça<br />
pour acquis, explique Ulrich, très solennel.<br />
À 30 ans, tu es plein de certitudes, tu as<br />
tellement confiance en toi que ça te paraît<br />
presque normal. Quand tu vieillis, ta mentalité<br />
change, tu es un peu plus déconnecté de<br />
la scène musicale parce que tu as une famille<br />
à gérer ou d’autres centres d’intérêt. D’une<br />
certaine manière, aujourd’hui, j’ai plutôt<br />
tendance à sous-estimer Metallica qu’à le<br />
surestimer ! (Rire.) Au-delà de ça, beaucoup<br />
de choses ont changé depuis notre dernière<br />
tournée des stades ici, il y a quatorze ans.<br />
Tout est beaucoup plus imprévisible. C’est<br />
devenu – ou redevenu – le Far West !”<br />
En un mot comme en cent, c’est une bonne<br />
période pour Metallica. “Un bon moment<br />
pour être dans Metallica”, comme aime à le<br />
formuler le batteur. Aux États-Unis comme<br />
en Europe, où le volet de la tournée démarrera<br />
le 2 septembre à Copenhague, dans son Danemark<br />
natal. Pourquoi ? Comment ? Pourquoi<br />
le nom du groupe semble-t-il avoir plus de<br />
résonance qu’il y a dix ou vingt ans ? Comment<br />
se fait-il que le renouvellement des générations<br />
ait profité à Metallica, [Suite p. 6]<br />
5<br />
<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>
[Suite de la p. 5] avec un public jeune s’éclatant<br />
aux concerts au moins autant que les<br />
anciens ? Pourquoi les articles relatant cette<br />
tournée américaine sont parmi les plus dithyrambiques<br />
dont le groupe ait pu bénéficier ?<br />
Une fois n’est pas coutume, Lars Ulrich n’a pas<br />
de réponse et se fait philosophe, à sa façon,<br />
sinon fataliste. “J’ai 53 ans et, à mon âge,<br />
chaque jour qui passe est une bonne journée.<br />
Arrive un moment de ton existence où tu te<br />
dis : ‘Attends une seconde, il y a de fortes<br />
chances que tu aies vécu plus qu’il ne te reste<br />
à vivre.’ Donc oui, tu relativises et tu ne<br />
cherches pas forcément des explications à tout<br />
et partout… Aujourd’hui, quand tu enchaînes<br />
une trentaine de concerts comme on est en<br />
train de le faire, chaque concert que tu finis<br />
sans avoir l’épaule en miettes est un bon<br />
concert ! Tu ne penses pas à ce genre de trucs<br />
à 25 ans… Le fait que tout ça puisse continuer<br />
encore et encore est plus dingue et incroyable<br />
chaque jour. Personne n’aurait imaginé,<br />
quand nous avons commencé, que nous<br />
serions encore sur la brèche trente-cinq ans<br />
plus tard… Je ne sais pas combien de temps<br />
cela pourra durer. On parle sans arrêt de ces<br />
sportifs qui arrêtent leur carrière à 35 ans. Or,<br />
ce que nous faisons est si exigeant, tant physiquement<br />
que mentalement, qu’il est difficile<br />
de prédire si ça va encore durer longtemps.”<br />
Scoop : Metallica se fait vieux ! Se sent<br />
vieux. Car le batteur n’est pas le seul à faire<br />
des allusions à son âge en interview. Ainsi<br />
James Hetfield lâchait-il il y a peu avec<br />
espièglerie – mais il n’était guère difficile<br />
d’en déceler le sous-texte – que tous dans le<br />
groupe “avaient mérité d’avoir des cheveux<br />
blancs”. Jamais, jusqu’alors, les deux têtes<br />
pensantes de la formation n’avaient autant<br />
insisté sur ces questions d’âge, qui apparaissent<br />
comme une vraie préoccupation.<br />
Ulrich ne s’en cache pas, l’énergie et les ressources<br />
nécessaires à un bon fonctionnement<br />
leur prennent plus de temps que par<br />
le passé, à commencer par la gestion d’un<br />
calendrier – combien de days off entre deux<br />
séries de concerts, le calcul des distances –<br />
et tout est fait pour optimiser une fraîcheur<br />
physique et mentale des différents protagonistes.<br />
“Maintenant, si <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />
France fait sa couverture en titrant ‘Exclusif<br />
: Lars Ulrich, ses problèmes d’âge’, ce<br />
serait un peu schématique et manichéen,<br />
sourit-il. Mais oui, la plupart de nos choix<br />
aujourd’hui se font dans l’idée de ne pas<br />
dépasser la limite, de ne pas nous<br />
cramer…”<br />
De là à vouloir faire insidieusement passer<br />
le message que l’histoire ne durerait pas forcément<br />
mille ans et que l’on serait bien inspiré,<br />
fans et spectateurs, de chercher à en<br />
profiter sans tarder, il y a un pas que l’on se<br />
refusera de franchir, même si l’on n’en pense<br />
pas moins… Après tout, c’est une stratégie<br />
commerciale qui a fait ses preuves et<br />
Metallica ne serait pas le premier – ni le dernier<br />
(Aerosmith, si tu nous entends…) – à<br />
tirer sur cette corde… sensible !<br />
Ceci étant, on vous doit un aveu. On le<br />
devait surtout à Ulrich. En découvrant<br />
il y a maintenant dix mois<br />
Hardwired… To Self-Destruct, le dernier<br />
effort en date du groupe, et son<br />
roulé-boulé de puissance et de violence<br />
sur à peu près chacun des douze titres<br />
et des 79 minutes que compte le double<br />
album, la question nous avait traversé l’esprit<br />
illico : comment allait-il faire pour<br />
reproduire tout ça en concert chaque soir,<br />
précisément sans se déboîter une épaule ?<br />
“Merci de ta sollicitude, s’amuse l’intéressé.<br />
”<br />
Si <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />
France fait sa<br />
couverture en<br />
titrant ’Exclusif :<br />
Lars Ulrich,<br />
ses problèmes<br />
d’âge‘, ce<br />
serait un peu<br />
schématique et<br />
manichéen.<br />
“<br />
Disons que je ne m’en sors pas trop mal<br />
jusqu’à présent. Ce n’est un secret pour personne,<br />
on démarre chaque soir avec<br />
‘ Hardwired’. Tu m’aurais dit ça il y a un an,<br />
je n’en aurais pas mené large. Mais ces chansons<br />
ont trouvé leur public. (“En trente-cinq<br />
ans, je n’avais jamais entendu la phrase<br />
‘Pourquoi ne jouez-vous pas davantage de<br />
nouvelles chansons jusqu’à cette tournée”,<br />
confiait-il à <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> USA en juin dernier,<br />
ndlr). Elles sont fun à jouer sur scène,<br />
je suis en bonne forme, je travaille pour ça.<br />
So far, so good. Pour l’instant, tout va bien !”<br />
Ce ne sont pas moins de sept chansons de ce<br />
dernier album que Metallica a inclus au programme<br />
de ce volet américain : “Hardwired”,<br />
“Atlas, Rise!”, “Now That We’re Dead”, “Moth<br />
Into Flame”, “Halo on Fire” et “Dream No<br />
More”. Même si, concernant cette dernière,<br />
ce ne fut qu’en une seule occasion, à Mexico<br />
City, en mars dernier. Opération peu satisfaisante,<br />
mais qui demande à être renouvelée,<br />
dixit Ulrich, qui confesse sans détours<br />
qu’elle est pour lui la plus difficile à appréhender<br />
des sept à cause d’un tempo… très<br />
lent. D’autres chansons ont été répétées –<br />
“ManUNkind”, “Spit Out the Bone” – et ont<br />
de fortes chances d’apparaître de temps à<br />
autre sur les setlists des dates européennes.<br />
Quant à ceux qui s’inquiéteraient de la présence<br />
des hymnes d’hier et d’avant-hier, qu’ils<br />
soient rassurés : ils sont et seront tous de<br />
sortie, de “For Whom the Bell Tolls” à<br />
“ Battery”, en passant par “Master of<br />
Puppets”, “Seek and Destroy” ou les deux<br />
figures imposées que sont “Nothing Else<br />
Matters” et “Enter Sandman”.<br />
Que l’on ne compte pas en revanche sur<br />
Ulrich pour porter un retard critique sur<br />
Hardwired… Pas d’actualité, trop tôt. “Je suis<br />
toujours en période de lune de miel avec cet<br />
album, énonce-t-il. Je n’y vois rien à redire.<br />
Pour l’instant. D’ailleurs, j’avoue ne pas<br />
m’être posé pour le décortiquer. Mais ça viendra,<br />
je le sais. Un jour, je trouverai que ceci<br />
ou cela sonne de manière un peu étrange et<br />
ça me fera hausser les sourcils.” Sur l’instant<br />
– et on réclame ici l’indulgence du jury – il ne<br />
nous est pas venu à l’esprit d’évoquer le son<br />
de sa batterie sur St. Anger (2003) en mode<br />
poêle en inox. On s’en voudrait presque, mais<br />
presque seulement…<br />
Début septembre démarrera donc un nouveau<br />
périple européen pour Metallica. Pas<br />
de stades au programme, mais une trentaine<br />
de “grosses salles” : dix-sept pays visités en<br />
tout, une première salve de quinze dates<br />
jusqu’à novembre – dont deux à l’AccorHotels<br />
Arena Paris (8 et 10 septembre) et une à la<br />
halle Tony-Garnier de Lyon (12 septembre)<br />
– et vingt-quatre autres entre février et<br />
mai 2018. Pour ce qui est de son contenu, de<br />
son “installation”, difficile d’en savoir plus.<br />
Tout juste Ulrich annonce-t-il un show<br />
entièrement nouveau et concède que la scène<br />
sera centrale (“parce que nous aimons nous<br />
retrouver au milieu du public dans ce genre<br />
de salles”), même si, en la matière, il n’y a<br />
rien de bien inédit, puisque c’était déjà le cas<br />
lors du passage du groupe en 20<strong>09</strong> dans ce<br />
qui s’appelait encore le Palais omnisports -de<br />
Paris-Bercy. “Je ne peux pas en dire davantage<br />
aujourd’hui (le 3 août, ndlr), car je n’en<br />
ai encore rien vu, sinon quelques photos,<br />
mais rien en situation. On a quelques idées<br />
en matière d’animation vidéo et d’éclairages,<br />
mais je ne sais pas ce que ça donnera à l’arrivée.”<br />
On n’est pas obligé de croire notre<br />
homme sur parole, passé maître depuis bien<br />
longtemps dans l’art du teasing et de la mise<br />
en scène-forme verbale !<br />
© ROSS ALFIN/UNIVERSAL<br />
6 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
1<br />
2<br />
ON STAGE<br />
(1) James Hetfield, tout<br />
à l’attaque. (2) Lars Ulrich,<br />
l’homme aux fûts. (3) Robert<br />
Trujillo, bassiste diabolique<br />
qui a donné un coup de jeune<br />
au groupe à son arrivée, en 2003.<br />
(4) Kirk Hammett, l’homme qui<br />
téléportait ses solos dans l’espace.<br />
3<br />
4
Deux certitudes toutefois. Tout<br />
d’abord, la “chorégraphie” à quatre<br />
tambours sur “Now That We’re<br />
Dead”, pendant laquelle les quatre<br />
musiciens abandonnent un temps<br />
leur instrument respectif pour un<br />
immense solo sur un tambour géant, présentée<br />
comme l’un des temps forts des dates<br />
européennes, sera conservée. L’occasion pour<br />
Lars Ulrich de dénicher le meilleur batteur<br />
du groupe après lui ? “C’est James, et de très<br />
loin !, s’esclaffe-t-il. Il est même probablement<br />
meilleur que moi ! Depuis qu’on se<br />
connaît, je l’ai toujours vu adorer jouer de la<br />
batterie. Il a un style assez particulier, pas<br />
forcément très orthodoxe et assez garage-rock<br />
dans l’esprit. L’idée de se retrouver tous les<br />
quatre à taper sur ces gros machins, il en<br />
parle depuis des années. J’ai fini par épuiser<br />
mon lot d’excuses pour ne pas le faire. (Rire.)<br />
C’est un peu son bébé…”<br />
Confirmée également, la présence de cette<br />
exposition itinérante, The Memory Remains,<br />
empruntant subtilement son nom au titre<br />
”<br />
Je suis sidéré quand je vais voir d‘autres<br />
groupes en concert de les découvrir<br />
dans leur loge en train de siroter des bières,<br />
dix minutes avant de monter sur scène.<br />
d’une chanson du groupe, la seule dans toute<br />
la carrière à “voir” la voix de James Hetfield<br />
se mêler à celle d’une femme – Marianne<br />
Faithfull –, ce qui avait déjà fait grincer<br />
quelques dents à l’époque (1997, sur l’album<br />
Reload) quant aux désirs d’évolution musicale<br />
du groupe. Quoi qu’il en soit, en <strong>2017</strong>,<br />
The Memory Remains est un petit musée où<br />
fans et curieux pourront découvrir, entre<br />
autres, des tenues de scène, des paroles<br />
manuscrites (dont une version alternative de<br />
celles de “Creeping Death”), l’artwork originel<br />
des pochettes des albums Ride the<br />
Lightning (1984) et Master of Puppets (1986),<br />
des collections de cassettes (dont une, intitulée<br />
No Life ‘Til Leather, est l’œuvre de<br />
Hetfield en personne), ainsi que des instruments<br />
sur lesquels ces mêmes fans et curieux<br />
pourront tenter d’exercer leurs talents – ou<br />
leur absence de talent… Autant de pépites<br />
issues des collections privées des membres<br />
du groupe. “Bon, d’accord, tenues de scène en<br />
ce qui me concerne, il faut le dire vite, s’amuse<br />
le batteur. Mais il y a vraiment des trucs<br />
assez cool qui devraient plaire à ces fans qui<br />
ont suivi les différentes étapes de notre carrière.<br />
Il y aura aussi des dessins de configurations<br />
de scènes auxquelles nous avons<br />
renoncé. Je fais partie de ceux qui considèrent<br />
que faire partie d’un groupe, c’est<br />
chercher tous les moyens de rester connecté<br />
avec son public, et ce petit musée va dans ce<br />
sens.” Dans une précédente interview, Ulrich<br />
plaisantait en expliquant que si certains<br />
objets avaient été mis sous verre – comme ces<br />
fameuses “tenues de scène” –, c’était moins<br />
par souci de sécurité que pour masquer<br />
l’odeur qui pouvait s’en dégager !<br />
Autre élément désormais incontournable<br />
d’une tournée de Metallica : cette “tuning<br />
room” – juste quelques paravents isolant un<br />
temps le groupe du monde extérieur, un<br />
tapis sous la batterie, un frigidaire et, bien<br />
sûr, tous les instruments et retours son<br />
nécessaires – que le groupe fait installer sur<br />
chaque date et dans laquelle il se retrouve<br />
avant chaque concert, tel un rituel que personne<br />
n’aurait l’idée de remettre en cause.<br />
La tuning room, c’est là où Metallica s’apprête,<br />
se prépare, se met en condition, individuellement<br />
dans un premier temps, puis<br />
collectivement. “En ce qui me concerne, elle<br />
fait partie de mon processus d’échauffement,<br />
précise Ulrich. J’y reste de 20 à 30 minutes,<br />
c’est le bon équilibre pour moi. Robert<br />
[ Trujillo, le bassiste] vient y faire ses vocalises,<br />
Kirk [Hammett, le guitariste soliste]<br />
débarque à son tour, puis James. Chacun a<br />
sa petite routine. Et pour être tout à fait honnête,<br />
c’est à peine si je fais attention à ce<br />
qu’ils font dans ces moments-là, tant je suis<br />
focalisé sur ce que j’ai à faire. Ce n’est que<br />
dans un second temps qu’elle nous sert à<br />
répéter ou à essayer telle ou telle nouvelle<br />
idée. C’est à la fois notre jardin privé et l’endroit<br />
où on se reconnecte tous ensemble.”<br />
Même si tout semble s’y prêter, Lars Ulrich<br />
rechigne à parler de superstition à propos de<br />
cette tuning room. La seule habitude du<br />
groupe qui pourrait s’en rapprocher est de<br />
finir systématiquement la répétition du soir<br />
en jouant dans son intégralité le morceau qui<br />
ouvrira le concert quelques minutes plus<br />
tard. C’est à peine si d’autres méthodes de<br />
préparation sont envisageables dans l’esprit<br />
du batteur : “Je suis sidéré quand je vais voir<br />
d’autres groupes en concert, y compris quand<br />
il s’agit de potes, de les découvrir dans leurs<br />
loges en train de siroter des bières 10 minutes<br />
avant de monter sur scène. J’adorerais pouvoir<br />
en faire autant, mais ce n’est pas comme<br />
ça que nous fonctionnons…”<br />
Si Lars Ulrich est aussi déterminé dans sa<br />
préparation d’avant-concert, de manière<br />
quasi obsessionnelle – du moins dans sa<br />
façon de le formuler –, c’est aussi parce qu’il<br />
a été à bonne école. Son père, Torben Ulrich,<br />
était tennisman professionnel au Danemark,<br />
et il n’était pas le seul au sein de la famille à<br />
considérer les tâches athlétiques comme primordiales.<br />
Logique relation de cause à effet,<br />
Lars a souvent fait la corrélation entre le<br />
sport et la discipline indispensable que<br />
nécessite la dimension physique de son rôle<br />
dans le groupe. “D’une certaine manière en<br />
effet, j’aborde les choses un peu comme les<br />
sportifs de haut niveau : aller courir,<br />
m’échauffer, m’étirer, manger léger”, détaille-<br />
“<br />
t-il. Bon, OK, cela ne l’a pas empêché par le<br />
passé de privilégier d’autres hygiènes de vie<br />
et les rapprochements prolongés avec toutes<br />
sortes de substances diverses et variées qui<br />
n’auraient pas manqué de rendre chèvre les<br />
préposés aux analyses de tests antidopage<br />
inopinés, mais on ne va pas mégoter pour si<br />
peu. Et qu’allez-vous rétorquer à un type<br />
vous assénant en guise de conclusion sur le<br />
sujet : “Qui ne voudrait pas être Keith<br />
Richards, hein ? Mais ça ne marche pas<br />
pour Metallica…”<br />
Ce qui semble fonctionner à merveille<br />
en revanche, c’est le “modus operandi”<br />
sur lequel sont parvenus à<br />
s’entendre Lars Ulrich et James<br />
Hetfield, au nom du groupe et de ce<br />
que peut impliquer de le maintenir<br />
à flot. Loin est le temps où chacun de ces<br />
deux-là semblait davantage animé par l’envie<br />
d’imposer ses idées et ses envies à l’autre – et,<br />
par ricochet, son leadership – quitte à laisser<br />
s’installer quelques fissures dans l’édifice.<br />
A contrario, insinuer que tout peut partir en<br />
vrille au moindre moment apparaît presque<br />
8 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
© GETTY IMAGES<br />
comme un jeu chez l’un et l’autre, Hetfield<br />
surtout. Une situation parfaitement et malignement<br />
résumée par le chanteur lorsqu’il<br />
lâchait à la BBC, il y a quelques mois, à la<br />
sortie de Hardwired… : “Nous savons où se<br />
trouvent tous les boutons nucléaires entre<br />
nous, mais nous faisons en sorte de ne pas les<br />
actionner.”<br />
La tirade fait rire son comparse, qui<br />
se fait une fois de plus magnanime.<br />
“Bien sûr que tout peut s’écrouler du<br />
jour au lendemain, mais disons que<br />
nous en sommes bien plus conscients<br />
que par le passé. Une fois encore,<br />
jouer la musique qui est la nôtre à 53 ans,<br />
c’est précisément garder dans un coin de la<br />
tête que ça peut s’arrêter à tout moment, et ça<br />
dépasse largement le simple cadre du groupe.<br />
Mais pourquoi devrions-nous mettre en<br />
danger une chose à laquelle tant de gens<br />
prêtent toujours autant attention, ce dont<br />
nous sommes fiers, et qui nous pousse à la<br />
fois à rester humbles ? Pourquoi devrionsnous<br />
fragiliser un groupe qui a changé la vie<br />
de tant de gens, comme ils viennent nous le<br />
“Let’s Do Our Thing Together”<br />
Ulrich a annoncé un show entièrement<br />
nouveau et concédé que la scène serait centrale.<br />
raconter lors des meet and greet ? Aucun de<br />
nous n’a envie que ça s’arrête, encore moins<br />
qu’une petite phrase ou un mot de travers<br />
vienne mettre bêtement le feu aux poudres.<br />
Je veux croire que notre relation avec James<br />
est indestructible et qu’elle peut donc résister<br />
à tout ou à peu près, mais je ne crois pas non<br />
plus dans l’absolu. On m’a appris il y a longtemps<br />
à ne pas utiliser les mots jamais et<br />
toujours. À défaut d’être aussi intime qu’avec<br />
des membres de ma famille, ma relation avec<br />
lui est évidemment singulière : j’ai traversé<br />
plus de choses avec lui qu’avec quiconque. On<br />
se connaît depuis trente-six ans, j’ai passé<br />
plus de temps avec lui qu’avec n’importe qui<br />
d’autre sur cette planète et je ne vois aucune<br />
raison pour que ça ne continue pas.”<br />
Là encore, certains ne manqueront pas d’associer<br />
cette sagesse plus ou moins récente de<br />
la part des deux “ex-belligérants” à la prise<br />
en compte des intérêts communs – et notamment<br />
financiers – à maintenir cette paix des<br />
braves. Elle est en partie vraie, ne nous voilons<br />
pas la face. Mais n’y voir que considérations<br />
stratégiques n’en serait pas moins hors<br />
sujet. “Évidemment que la motivation est<br />
toujours là, s’enflamme à ce sujet le batteur<br />
sans qu’on ait besoin de l’y pousser. Se retrouver<br />
sur une scène comme Bercy ou ailleurs,<br />
c’est la sève d’un groupe de rock. C’est le<br />
moteur, même s’il faut plus de temps pour le<br />
chauffer et que tu te réveilles le matin après<br />
un cauchemar où tu as vu ton bras s’arracher<br />
tout seul de ton corps avec encore une<br />
baguette à la main pour terminer son vol au<br />
milieu du public, et que tu te trouves bien<br />
con au moment où tu lui demandes si tu<br />
peux le récupérer, ce bras ! (Rire.) Il y a<br />
quelque chose de libérateur dans la satisfaction<br />
que tu ressens quand tout a fonctionné<br />
sur un concert. La connexion qui s’est opérée<br />
avec les trois musiciens qui t’entourent tient<br />
de l’euphorie, de la pure magie. C’est un sentiment<br />
qui vaut tout le reste. Et tu voudrais<br />
que l’on se passe de ça ?”<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 9
FACE À FACE<br />
QUAND J’ENTENDS SGT. PEPPER,<br />
JE SORS MON REVOLVER…<br />
Sgt. Pepper a donc 50 ans. Mais permettezmoi<br />
néanmoins de lui préférer son prédécesseur,<br />
j’ai nommé le fabuleux Revolver.<br />
“Quoi ?”, dira en lisant cela, une grande partie<br />
de l’auditoire des liverpuldiens, qui porte<br />
Pepper aux nues pour des raisons bien compréhensibles<br />
: nostalgie personnelle pour<br />
certains, Pepper étant perçu : 1) comme un (si<br />
ce n’est LE) symbole du “summer of love” et<br />
de ses ramifications sociales et sociétales implicites<br />
; 2) un album censé représenter la<br />
quintessence (régulièrement vantée) d’un<br />
groupe au sommet de son art (ou supposément)<br />
; 3) cet opus renfermant à lui seul tout<br />
un pan de la culture des 60’s. Et très certainement<br />
du xx e siècle aussi. (…) Sauf que. À partir<br />
de là, la seule limite, pour ainsi dire,<br />
semble être celle de l’ouverture d’esprit justement,<br />
comme suggéré – déjà – dans<br />
“ Tomorrow Never Knows”… D’où l’autorité<br />
naturelle, antérieure, exercée là aussi par<br />
Revolver à mon humble avis.<br />
Eleonore (par e-mail)<br />
FROM MINNEAPOLIS WITH LOVE<br />
Merci à <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> de nous avoir emmenés<br />
en vacances avant l’heure. J’ai dévoré votre<br />
reportage sur Minneapolis et le Minnesota,<br />
c’est un trip que j’ai toujours rêvé de faire. Et<br />
je pense qu’enquiller la Highway 61 avec le<br />
“disque éponyme” comme vous dites, doit<br />
être un grand moment, surtout en allant chez<br />
Bob Dylan. J’avais l’impression d’être avec<br />
vous, en train de chercher de la bonne musique<br />
sur l’autoradio. Continuez à nous faire<br />
voyager sur les routes du rock ! C’est quoi le<br />
prochain arrêt ?<br />
Frédéric, Marseille<br />
WELCOME (BACK) TO THE JUNGLE<br />
Salut les rockers. J’avoue je suis allé un peu<br />
sceptique au show des Guns N’ Roses au<br />
Stade de France. Et puis, hein, les vieux chevelus,<br />
moi qui compte ceux qui me restent,<br />
pas trop mon truc. Mais bon, la nostalgie est<br />
quand même une vieille bitch rusée. Et passée<br />
la mise en voix d’Axl, je dois dire que je<br />
m’en suis pris plein ma vieille tronche. Au<br />
diable (oui, au diable) les a priori, les GnR<br />
ont peut-être repris la route pour le pognon,<br />
mais au vu de ce qu’ils ont dégainé, je regrette<br />
pas de leur avoir donné le mien.<br />
Appetite For Destruction vient de célébrer<br />
ses 30 ans, on se fait vieux, ça valait le coup<br />
de s’offrir ces trois heures (eh ouais !) de<br />
grosse fiesta graisseuse !<br />
Pierre Olivier (par e-mail)<br />
“Merci pour<br />
votre<br />
hommage<br />
‘pré-mortem’<br />
à Glen<br />
Campbell”<br />
Pierre (Rodez)<br />
Olivier Tixier @OlivierTixier<br />
#MickJagger #HappyBirthdayMick 74 balais<br />
toujours en forme comme quoi le sexe la drogue<br />
et le rock’n roll ça conserve<br />
Aurelien Beaucamp @aurebeaucamp<br />
Consécration ! @assoAIDES VIH: les associations<br />
chargent Macron - <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />
Laurent D. Samama @ldsamama<br />
Merci à @75_belkacem et Xavier Bonnet pour<br />
cette jolie critique de “Kurt” publiée dans<br />
@<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra #throwback<br />
Epixod @Epixod_Le_Blog<br />
@<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra Mille mercis pour les places de<br />
#cinema pour #SongToSong. C’est super !<br />
Jen Gloeckner @jengloeckner<br />
Some wonderful words about VINE from <strong>Rolling</strong><br />
<strong>Stone</strong> Magazine @<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra!<br />
Radiophonic Tuckshop @RTuckshop<br />
New feature on us by the French branch of <strong>Rolling</strong><br />
<strong>Stone</strong> magazine! Not translated it yet!<br />
@<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra<br />
Rob Benedict @RobBenedict<br />
If you speak French then you’ll really dig the<br />
article on @LoudenSwain1 I did for @<strong>Rolling</strong>-<br />
<strong>Stone</strong>Fra. Merci!<br />
Simple @streamadelica<br />
Albé est dans @<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra<br />
EICAR @ecoleEICAR<br />
À lire cet #été pour tous les #passionnés de<br />
#musique et de #cinéma !<br />
<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> France @<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra<br />
Ciné Rock’n’Soul : Quand le cinéma se fait musical<br />
Elodie Schindler @ESchindlerICRC<br />
La bonne nouvelle du vendredi: achète de la<br />
bonne musique et fais une bonne action! Fonds<br />
reversés au @CICR_fr. Merci @garbage you rock!<br />
ÉCRIVEZ À<br />
LA RÉDACTION<br />
Rédaction@rollingstone.fr @<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra www.facebook.com/rollingstonefr www.instagram.com/rollingstonefrance<br />
10 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
CONTRIBUTEURS<br />
ALEX JAFFRAY<br />
COMPOSITEUR, PRODUCTEUR,<br />
CHRONIQUEUR<br />
—<br />
Il a fondé l’agence sonore Start-Rec, dont<br />
le nom facilite la téléportation pour être à la fois<br />
compositeur, producteur et chroniqueur musical.<br />
Compositeur pour le cinéma et music supervisor,<br />
il a également composé de nombreux habillages<br />
sonores pour des chaînes de télévision, de<br />
programmes, ainsi que de nombreuses bandessons.<br />
Il anime également la chronique musicale<br />
de Télématin sur France 2, ce qui lui offre<br />
un lien privilégié et des rencontres rares avec<br />
Lalo Schifrin, Craig Armstrong, Hans Zimmer,<br />
Alexandre Desplat ou Sting… Dans ce numéro, il<br />
revient sur ses rencontres avec Ennio Morricone.<br />
VINCENT GUILLOT<br />
JOURNALISTE<br />
—<br />
Membre de la rédaction depuis 2008,<br />
ce journaliste est un véritable touche-à-tout :<br />
passé par la presse ado, la presse sport<br />
et la presse masculine, il œuvre également<br />
en télévision. Pour <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>, il a signé<br />
quelques papiers remarqués sur son idole<br />
Neil Young. Il s’occupe entre autres<br />
personnellement du courrier des lecteurs.<br />
Dans ce numéro, il nous conte la visite<br />
de Deep Purple à Monaco et s’est rendu<br />
à Londres à la rencontre des Killers.<br />
STAN CUESTA<br />
JOURNALISTE<br />
—Journaliste musical (Rock&Folk, Mojo,<br />
<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>), il est l’auteur de nombreux<br />
livres sur le rock, notamment Jeff Buckley,<br />
Raw Power : une histoire du punk américain<br />
et Nirvana, une fin de siècle américaine<br />
(Le Castor astral), ainsi que Dylan Cover<br />
(Le Layeur). Il a également traduit une dizaine<br />
d’ouvrages parmi lesquels John Cale : une<br />
autobiographie (Au Diable Vauvert), New York<br />
73/77 de Will Hermes, Born To Be Wild : Dennis<br />
Hopper, de Tom Folsom et Altamont de Joel<br />
Selvin (Rivages Rouge). Pour ce numéro, il est<br />
allé au festival country de Craponne-sur-Arzon<br />
pour rencontrer la divine Emmylou Harris.<br />
STEPHEN RODRICK<br />
JOURNALISTE ET ÉCRIVAIN<br />
—Ce journaliste américain écrit très<br />
régulièrement pour le magazine du New York<br />
Times et pour Men’s Journal. On peut le lire<br />
régulièrement également dans les pages<br />
de <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>. S’il écrit principalement sur<br />
la politique, le cinéma et le sport, cet enquêteur<br />
de haut vol signe des articles au long cours :<br />
ainsi suit-il ses sujets des mois durant avant<br />
de se mettre à écrire. Il doit sa réputation<br />
à la qualité de ses portraits, très renseignés<br />
et fourmillants d’anecdotes, notamment celui<br />
de Rudy Giuliani pour le NYT Magazine. Pour<br />
ce numéro, il dresse un étonnant portrait de<br />
Justin Trudeau, le Premier ministre canadien.<br />
ROLLING STONE FRANCE<br />
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION :<br />
Patrick Guérinet (patguerinet@positivemedia.fr)<br />
RÉDACTEUR EN CHEF :<br />
Belkacem Bahlouli<br />
SECRÉTAIRE DE RÉDACTION :<br />
Gaëlle Cazaban<br />
RÉDACTEUR-GRAPHISTE : Maxime Orio<br />
RÉDACTION : 53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris<br />
Tél. : 01 44 39 78 20<br />
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ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO : Loraine Adam,<br />
Kathleen Aubert, Philippe Barbot, Yves Bigot,<br />
Philippe Blanchet, Xavier Bonnet, Bertrand<br />
Deveaud, Stan Cuesta, Alain Frétet, Alain<br />
Gouvrion, Vincent Guillot, Alex Jaffray, Dom<br />
Kiris, Philippe Langlest, Baptiste Manzinali, Matt<br />
Murdoch, Bruno Patino, Stephen Rodrick,<br />
Sophie Rosemont, Pierre Stemmelin, Sébastien<br />
Spitzer, Silvère Vincent.<br />
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ROLLING STONE N° 97 – MENSUEL, NUMÉRO SEPTEMBRE <strong>2017</strong> — est une publication<br />
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12 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
SOMMAIRE<br />
ROLLING STONE<br />
N o 97 – SEPTEMBRE <strong>2017</strong><br />
L’ÉVÉNEMENT<br />
4 Metallica<br />
À l’aube d’une tournée européenne<br />
qui ne manquera pas de confirmer son<br />
statut d’inamovible fer de lance du metal,<br />
son batteur Lars Ulrich se confie sur<br />
l’état d’esprit du groupe, ses ambitions<br />
et… le temps qui passe.<br />
ÉDITOS<br />
Faire revivre ces moments d’énergie pure qu’étaient<br />
les concerts de Rage Against the Machine ?<br />
Pas seulement pour le “rock-activist” Tom Morello.<br />
POWER !<br />
Tom Morello a repris sa guitare de pèlerin<br />
avec son supergroupe, The Prophets of Rage.<br />
3 Piège à sons,<br />
par Belkacem Bahlouli<br />
16 My Back Pages,<br />
par Bruno Patino<br />
18 La Playlist, par Dom Kiris<br />
19 Sign O’The Times, par Yves Bigot<br />
ROCK’N’ROLL<br />
21 Foo Fighters’All-Stars<br />
Dave Grohl et sa bande sont de retour.<br />
Dans leur besace, un nouvel album avec le<br />
producteur d’Adele et des invités surprise.<br />
30 Frank Darcel<br />
Musicien, écrivain, producteur, éditeur<br />
et militant… Avec près de quarante ans<br />
de carrière, l’ex-Marquis de Sade est<br />
à nouveau sur le devant de la scène.<br />
36 Emmylou Harris<br />
Orbison, Dylan, Parsons, Crowell… Les plus<br />
grands songwriters américains ont offert<br />
un écrin à sa voix magique. Rencontre.<br />
MAGAZINE<br />
48 Étoile du nord<br />
Il a eu une enfance dorée et traversa<br />
bien des drames avant de devenir Premier<br />
ministre du Canada. Justin Trudeau<br />
est-il le dernier espoir du monde libre ?<br />
58 Culture rock<br />
Charles Berbérian est autant dessinateur,<br />
auteur de BD que musicien. Rencontre<br />
avec ce fan de folk californienne.<br />
62 Festivals<br />
Tout l’été, la rédaction de <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />
est partie sur les routes, de Craponnesur-Arzon<br />
à Chicago en passant par Paris<br />
ou Louisville, pour faire un point complet<br />
sur les scènes rock.<br />
EN COUVERTURE<br />
Metallica<br />
Par Peter Yang/August-Agence A<br />
70 La Rage de Tom Morello<br />
Nul n’est prophète en son pays ? Ce vieil<br />
adage a-t-il encore cours ? Interview<br />
des leaders de ce supergroupe.<br />
74 Il Maestro<br />
N’est pas le maître qui veut. Alors que<br />
son passage annoncé dans la capitale<br />
française, le 21 septembre prochain,<br />
affiche complet, portrait de l’homme à la<br />
baguette magique par deux compositeurs<br />
français : Alex Jaffray et Olivier Florio.<br />
80 État de grâce<br />
Il aura mis cinq longues années<br />
à peaufiner la sortie de ce live capté<br />
à Londres et destiné à célébrer les 25 ans<br />
de son album Graceland. Making of<br />
d’un disque de légende.<br />
GUIDE<br />
83 Musique<br />
Villains ? Drôle de titre pour le nouvel<br />
album de Queens of The <strong>Stone</strong> Age.<br />
Disque du mois, donc...<br />
90 Ciné<br />
120 battements par minute<br />
C’est LE film qu’on attendait de voir,<br />
traitant cette zone d’ombre et de<br />
fantômes, les années 1990 en France,<br />
vues par les séropositifs.<br />
92 Série TV<br />
Engrenages, saison 6<br />
En transférant l’essentiel de sa trame<br />
en banlieue, la série policière fait mieux<br />
que mettre ses personnages en danger…<br />
© GETTY IMAGES<br />
14 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
MY BACK PAGES<br />
Par Bruno Patino<br />
<strong>2017</strong>, Summer of rien ?<br />
“P<br />
ASSÉ UN CERTAIN ÂGE, ON NE VOYAGE PLUS<br />
qu’entre cimetières et bibliothèques”, regrettait l’écrivain<br />
Roger Stéphane. Pour beaucoup d’entre nous,<br />
avant une certaine époque, nous voyageâmes entre<br />
salles de concert et disquaires. Traverser l’Atlantique, c’était bien<br />
sûr se presser au café Wha? du Village, ou au Madison Square<br />
Garden de la 34 e , mais c’était aussi avoir la certitude de dépenser<br />
plus que de raison dans ces grands temples du disque qu’étaient<br />
les Tower Records de Broadway, de San Francisco ou de L.A. pour<br />
rapporter dans les sacs en plastique jaune des disques qui feraient<br />
l’envie de ceux qui n’avaient pas eu la chance de partir, et qu’il<br />
faudrait dupliquer à l’infini sur des cassettes de mauvaise qualité.<br />
Voyager, c’était aussi suivre le circuit des échoppes spécialisées en<br />
disques pirates, sur Bleecker Street, où l’on pouvait compléter la<br />
collection des Lost Lennon Tapes, acquérir le Follow That Dream<br />
de Springsteen (ou sa série de concert au Roxy de 1978), s’offrir le<br />
“Train for Bruxelles” des <strong>Stone</strong>s et, pour les plus obstinés, les<br />
Basements Tapes originales de<br />
Il y avait pourtant de quoi faire : crise de la<br />
démocratie représentative, Brexit, élection<br />
de Donald Trump, “dégagisme”…<br />
Dylan : pochette blanche, tampon<br />
bleu, étiquette blanche aux<br />
lettres tapées à la machine,<br />
booklet ronéotypé sur papier<br />
rose : une merveille.<br />
Ces souvenirs résonnent<br />
comme la mélodie d’un temps révolu. Tout est dorénavant disponible<br />
partout, et, pour trouver la musique que l’on cherche, les algorithmes<br />
sont plus efficaces que la déambulation géographique. On<br />
ne voyage plus, on surfe. On ne trouve plus, on trie. On ne rapporte<br />
plus, on share. Les plateformes sont nos nouvelles églises : un clic<br />
suffit pour s’y rendre, mais la multitude qui s’y presse n’empêche<br />
pas la solitude, ni l’exhaustivité le sentiment de pauvreté. L’excitation<br />
même des pirates s’est évaporée : les concerts de Springsteen<br />
sont téléchargeables et livrables en format CD, les <strong>Stone</strong>s ressortent<br />
en pressage vinyle “from the Vault” leurs shows des années<br />
1970, et Dylan a ajouté à son Never Ending Tour une sorte de<br />
“never ending publishing”. Les Tower Records ont fermé, celui de<br />
San Francisco est devenu un parking.<br />
Dorénavant, voyager outre-Atlantique, c’est affronter la muséification<br />
du rock. Nashville en offre un incroyable exemple : musée<br />
Johnny Cash, musée Patsy Cline, musée Willie Nelson, musée<br />
Studio B (celui d’Elvis et des Everly), et bien sûr, Country Music<br />
Hall of Fame, gigantesque bâtiment qui regroupe archives, costumes,<br />
instruments, enregistrements, disques d’or par milliers,<br />
rotonde commémorative et curiosités diverses (dont les deux<br />
Cadillac d’Elvis, celle avec pare-chocs en or et télévision à l’arrière<br />
et celle avec levier de vitesse en forme de selle de cheval et colts en<br />
poignées de porte) et qui ne se visite pas en moins de trois heures.<br />
Un musée comme un autre, avec sa collection permanente et ses<br />
expositions thématiques pas forcément incontestables : celle en<br />
cours, “Dylan, Cash and the Nashville Cats”, propose de faire de la<br />
rencontre entre New York et Nashville la pierre angulaire du rock<br />
au mitan des années 1960.<br />
La patrimonialisation du rock fige-t-elle le temps ? Ramène-t-elle<br />
cette musique à la célébration permanente de l’ensemble de son<br />
passé ? Quel été étrange, quand même, que l’été <strong>2017</strong>. U2 qui affole<br />
les stades avec son Joshua Tree, Brian Wilson qui amorce sa tournée<br />
américaine en revisitant Pet Sounds, le stade des Mets, dans<br />
le Queens, qui accueille les Eagles, Steely Dan et les Doobie<br />
Brothers, sur le modèle du Desert Trip de Coachella,qui regroupait<br />
en octobre dernier Dylan,<br />
McCartney, les <strong>Stone</strong>s, Neil<br />
Young, les Who et Roger<br />
Waters, en les obligeant à interpréter<br />
une grande partie de<br />
leur répertoire passé devant<br />
un public aux cheveux gris.<br />
D’un autre côté, des festivals à l’énergie formidable, souvent pleins,<br />
dans les endroits les plus improbables et devant un public jeune et<br />
enthousiaste. Et enfin, des anniversaires comme s’il en pleuvait :<br />
la mort d’Elvis, Sgt. Pepper, le Summer of love, et on en passe.<br />
Mais, dans l’ensemble, rien qui, véritablement, s’impose à tous.<br />
Aucune bande-son qui puisse collectivement résumer l’été. <strong>2017</strong><br />
ne fut pas un nouveau Summer of love. Ce fut un summer of rien,<br />
ou au mieux, un summer of beaucoup trop de choses. Les anniversaires,<br />
à trop se bousculer, se sont annulés. Le passé a été convoqué,<br />
mais pour mieux éclipser le présent. Il y avait pourtant de quoi<br />
faire : crise de la démocratie représentative, Brexit, élection de<br />
Donald Trump, “dégagisme”, sociétés socialement fragmentées,<br />
inégalités excessives, inacceptable traitement des migrants, crise<br />
syrienne, autoritarisme turc, chaos vénézuélien… Face à tout cela,<br />
il n’y a eu que le silence assourdissant des amplis. Et l’on en vient<br />
à regretter que le seul anniversaire auquel on ait échappé ait été<br />
celui du mouvement punk. “No future”, c’était peut-être, pourtant,<br />
le son du présent.<br />
© 2016 KYODO NEWS<br />
16 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
shops + tendances<br />
en mode<br />
#TooCrazy<br />
#Indécise<br />
#Audacieuse<br />
#Pétillante<br />
#Chaussures<br />
#Vêtements<br />
#Accessoires<br />
#Mode
LA PLAYLIST<br />
CHAQUE MOIS, DOM KIRIS DE OÜI FM NOUS LIVRE SES COUPS DE CŒUR<br />
1. UNKLE<br />
“Waiting for the Rain”<br />
(feat. Mark Lanegan)<br />
Mo’Wax<br />
Le grand retour du collectif de James<br />
Lavelle, l’un des artistes les plus influents<br />
de la scène électro-rock britannique. Tel un<br />
metteur en scène, le pionnier du sampling<br />
réactive les productions cinématographiques<br />
de UNKLE en soignant son casting. Dans<br />
le premier rôle, Mark Lanegan irradie de sa<br />
voix caverneuse ce boléro new wave en guise<br />
de premier single.<br />
2. Queens of the <strong>Stone</strong> Age<br />
“The Way You Used To Do” WEA<br />
Il a beau être le dernier des rockers un peu crédible,<br />
Josh Homme a craqué sur les productions de Mark<br />
Ronson. Je vous rassure, on est loin de Uptown Funk,<br />
mais le maître des dance floors a quand même mis<br />
les mains dans les riffs des rugueux QOTSA pour les<br />
rendre un poil plus sexy !<br />
4. Arcade Fire<br />
“Everything Now”<br />
Columbia<br />
Arcade Fire veut tout, et tout de suite. Les idées fusent,<br />
mais s’emboîtent tellement bien qu’on en oublie l’étonnant<br />
mélange de style en équilibre. Durant tout l’été, on aura dansé<br />
sans le savoir sur de la pop suédoise, des guitares berlinoises,<br />
des flûtes africaines, le tout samplé ou joué par ces diables<br />
de Canadiens produit par une moitié de Daft Punk.<br />
7. Peter Perrett<br />
“How the West Was Won”<br />
Domino<br />
Retrouver intacte la voix blanche sous tension de Peter<br />
Perrett est assez troublant. Près de quarante ans après<br />
la fulgurante apparition de The Only Ones, à la jonction<br />
du punk et de la new wave, ce grand perdant magnifique<br />
réapparaît comme par miracle entouré de ses fils musiciens.<br />
Lui-même étant un héritier en ligne directe de Lou Reed.<br />
3. Royal Blood “Lights Out”<br />
WEA<br />
Aucune guitare n’a été martyrisée sur ce nouvel album<br />
de Royal Blood et pourtant, on prend encore une fois<br />
une belle décharge d’énergie électrique. Uniquement<br />
concentré sur un raffut basse/batterie monstrueux,<br />
le duo britannique de la race des saigneurs conserve le<br />
titre du renouveau rock le plus percutant du moment.<br />
5. FFF “Monkee”<br />
Bonus Tracks Record<br />
De bonnes raisons<br />
humanitaires ont fait<br />
remonter sur scène FFF,<br />
pour une réjouissante<br />
reformation après dix-sept<br />
années sans sortir de<br />
disque. La formule magique<br />
de la Fédération Française<br />
de Fonck a repris tout<br />
de suite dans le feu<br />
des concerts, désormais<br />
concrétisé par ce coup de<br />
semonce proto punk excité<br />
comme un singe en été.<br />
6. LCD<br />
Soundsystem<br />
“Call the Police”<br />
DAF<br />
Après des faux adieux<br />
au Madison Square<br />
Garden il y a six ans, LCD<br />
Soundsystem a retrouvé<br />
le chemin des studios.<br />
Le leader James Murphy<br />
a fait main basse sur les<br />
productions de Brian Eno,<br />
aussi bien en empruntant<br />
les synthés de “Heroes”<br />
de Bowie que les échos<br />
de guitare de U2.<br />
TOP LIST<br />
Nick<br />
Lowe<br />
CINQ CHANSONS<br />
QU’AIME MON FILS<br />
Lowe, dont les albums des<br />
années 1980 viennent d’être<br />
réédités, a sélectionné des titres<br />
éclectiques qu’il a fait écouter<br />
à son fils Roy, 12 ans, pour lui faire<br />
découvrir divers genres musicaux.<br />
EDDIE COCHRAN<br />
“Cut Across Shorty”<br />
On dirait une comptine jouée<br />
sur un très agréable rythme de<br />
skiffle, qui était la version anglaise<br />
du rockabilly. Eddie Cochran<br />
avait tout compris.<br />
BING CROSBY<br />
ET LOUIS ARMSTRONG<br />
“Now You Has Jazz”<br />
À cause de ces voix tellement<br />
caractéristiques, on dirait un peu<br />
la bande-son d’un dessin animé.<br />
Bing Crosby était un Blanc<br />
qui savait swinguer.<br />
JOHN HOLT<br />
“Ali Baba”<br />
C’est la retranscription d’un rêve<br />
dans lequel John est poursuivi<br />
par tout un tas de personnages<br />
de contes de fées, le tout posé<br />
sur un énorme groove comme<br />
en produisait Studio One. Génial.<br />
RON SEXSMITH<br />
“Gold in Them Hills”<br />
Un petit bijou que l’on doit au<br />
dernier songwriter à savoir où est<br />
rangé le seau du puits à mélodies.<br />
SHALAMAR<br />
“A Night To Remember”<br />
Je décrirais ce titre comme un<br />
magnifique tube des années 1980,<br />
taillé pour faire danser. Le rythme<br />
est génial, la chanson est ludique,<br />
intelligente. Mon fils Roy a adoré.<br />
© STEVE GULLICK. 4X. DR.<br />
18 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr Septembre <strong>2017</strong>
SIGN O’THE TIMES<br />
Par Yves Bigot<br />
Avant-garde<br />
© CHRISTOPHE GUIBBAUD. GETTY IMAGES.<br />
“ S<br />
i en 1966, les Beatles avaient collaboré avec Pierre Henry,<br />
comme Paul McCartney en avait l’intention, l’histoire de<br />
la musique du XX e siècle en eût été révolutionnée”, écrivait<br />
Mojo en 2001. Elle le fut, malgré tout, par cet aventurier<br />
du son comme liturgie, qui aura inventé, engendré, inspiré<br />
pas moins de trois genres majeurs, tout en atteignant à deux<br />
reprises – à trente ans d’intervalle – le<br />
statut de star du hit-parade.<br />
Le décès de Pierre Henry, le 5 juillet,<br />
aété salué par l’ensemble de la presse<br />
internationale : Brian Eno, Mickey Hart<br />
(Grateful Dead), Jean-Michel Jarre,<br />
notamment, ont témoigné de leur dette<br />
envers l’un des rares musiciens français<br />
à avoir pesé sur son époque.<br />
Élève d’Olivier Messiaen et de Nadia<br />
Boulanger il avait rejoint Pierre<br />
Schaeffer au studio d’essai de la RTF.<br />
Symphonie pour un homme seul (1950),<br />
leur manifeste d’ingénieurs-musiciens,<br />
fonde la musique concrète, destinée à<br />
“déconstruire la musique pour que résonne<br />
l’harmonie des sphères.”<br />
Cette avant-garde sonique connaîtra<br />
son apogée en 1963 avec ses Variations<br />
pour une porte et un soupir. Entendue<br />
dans la série les Soprano, cette pièce<br />
constituera une influence majeure du<br />
rock progressif anglais – Pink Floyd,<br />
Soft Machine et, plus tard, Radiohead.<br />
Mais c’est surtout avec Le Voyage que<br />
Pierre Henry va fasciner la génération<br />
rock des années 1960 et les hippies,<br />
friands du Livre des morts tibétain qu’il<br />
illustre : les Beatles (“Tomorrow Never<br />
Knows”) et Jimi Hendrix (Are You<br />
Experienced) à Londres, Frank Zappa<br />
et les Mothers of Invention (Freak Out!) à Los Angeles, Jefferson<br />
Airplane (“Would You Like a Snack?”), Grateful Dead qu’il admirait<br />
(Anthem of the Sun) et David Crosby (“I’d Swear There Was<br />
Somebody Here”) à San Francisco, Gong dans le sud de la France.<br />
Pierre Henry, un des rares musiciens<br />
à avoir pesé sur son époque.<br />
Plus tard, Rodolphe Burger et Rita Mitsouko. “Je l’écoutais au<br />
lycée, en même temps que Jimi Hendrix, expliquait Fred Chichin.<br />
Il a ouvert un univers de sons et donné l’envie de musique électroacoustique.<br />
Il a une conception du son très physique, contrairement<br />
à beaucoup de compositeurs contemporains, qui nient le<br />
plaisir du mouvement, de la matière et des corps. Il est extrêmement<br />
moderne avec son côté sound<br />
system – c’est pour ça que l’intelligentsia<br />
l’a marginalisé.”<br />
Ce flirt avec le rock se concrétise par sa<br />
Messe de Liverpool (1967) et les Jerks<br />
électroniques Yper-Sound de sa Messe<br />
pour le temps présent. Les premiers se<br />
vendront à des centaines de milliers<br />
d’exemplaires sous leur célèbre pochette<br />
argentée, alors que la seconde entre<br />
dans l’histoire au festival d’Avignon<br />
grâce au Ballet de Béjart. L’album<br />
Ceremony avec Spooky Tooth, ne sera<br />
qu’un épilogue, couronné par un concert<br />
à l’Olympia.<br />
Mais là où l’effet Pierre Henry sur l’histoire<br />
du rock reste un secret bien gardé,<br />
la techno, elle, va le revendiquer comme<br />
son maître fondateur. À tel point<br />
qu’en 1997, William Orbit, Coldcut,<br />
St Germain, etc., lui rendaient hommage<br />
avec Métamorphose, album de<br />
remix qui verra “Psyché Rock” par<br />
Fatboy Slim devenir l’hymne de la<br />
culture dance. Sollicité par Violent<br />
Femmes, collaborant avec Erik Truffaz,<br />
trafiquant avec Propellerheads, Pierre<br />
Henry continuait, à près de 90 ans,<br />
à faire l’événement.<br />
Plasticien, sculpteur, cuisinier, provocateur,<br />
reclus, bougon, maniaque, épicurien<br />
et mystique à la fois, Pierre Henry avait réussi à intéresser<br />
le grand public à l’avant-garde par la grâce de la modernité que<br />
la jeunesse trouvait dans sa musique. N’est-ce pas là le rêve de<br />
tout artiste ?<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 19
ROLLINGSTONE.FR<br />
POLITIQUE<br />
MUSIQUE<br />
TOP LISTES<br />
SARAH SAVOY, LA VOIX DES CAJUNS<br />
La chanteuse et chef Sarah Savoy met son<br />
talent au service de la culture cajun, pour le plaisir<br />
de tous les amateurs de bonne musique.<br />
LE CANNABIS POUR SAUVER PORTO RICO<br />
Au bord de la faillite, l’île des Caraïbes a décidé<br />
de tout miser sur le cannabis à usage médical pour<br />
sortir la tête de l’eau.<br />
MUSIQUE<br />
BROR GUNNAR JANSSON :<br />
UN BLUES QUI A DU BAYOU<br />
Marqué par le diable du Bayou,<br />
Bror Gunnar Jansson a tout tiré des<br />
plus grandes légendes noires.<br />
LIVERPOOL, LET THE MUSIC BE !<br />
Pop, new wave, rock, Britpop… Liverpool a porté<br />
les couleurs de la musique dans toute leur<br />
diversité, sans jamais se cantonner à un seul style.<br />
HOMMAGE<br />
À CHESTER<br />
BENNINGTON<br />
Ses proches<br />
se remémorent les<br />
bons moments et les<br />
instants destructeurs<br />
du chanteur<br />
de Linkin Park.<br />
CULTURE GRAND FORMAT – SOCIÉTÉ<br />
RS LIVE SESSIONS<br />
LES 10 MEILLEURS FILMS DES ANNÉES 1990<br />
Ah, les années 1990 ! La décennie a vu naître<br />
l’avènement du cinéma indie et des blockbusters,<br />
les fight clubs et les cannibales charismatiques…<br />
POLOGNE : AU BORD DU CHAOS<br />
La situation politique et sociale dans le pays<br />
est devenue catastrophique. Découvrez<br />
le reportage exclusif de notre photographe<br />
François Devos : la crise vue de l’intérieur.<br />
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et des interviews d’artistes.<br />
Au programme de septembre :<br />
BLEEKER<br />
Et aussi : Cotton Belly’s, Frank Carter<br />
& The Rattlesnakes, China Moses…<br />
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20 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
HOMMAGE S. SHEPARD P. 29 | ICÔNE E.HARRIS P. 36 | COLLECTOR P. SIMON P. 80<br />
Le retour<br />
des Foo<br />
Fighters’<br />
All-Stars<br />
Un nouvel album avec<br />
le producteur d’Adele<br />
et des invités surprise.<br />
PAR KORY GROW<br />
Après la mise en<br />
veille des Foo<br />
Fighters, à la fin de<br />
l’année 2015, Dave<br />
Grohl ne savait plus trop quoi<br />
faire de lui-même. “J’ai fait des<br />
barbecues pendant des putains<br />
de mois, mec !, dit-il. Je faisais<br />
huit côtes de bœuf par semaine.<br />
Ça devenait un peu glauque.”<br />
Mais Grohl avait besoin de<br />
temps pour se [Suite p. 22]<br />
© GETTY IMAGES<br />
BIG ME<br />
Grohl au NOS Alive Festival,<br />
au Portugal, en juillet.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 21
ROCK & ROLL<br />
CÉRÉMONIE<br />
Dom Kiris,<br />
grand ordonnateur de la soirée.<br />
Un grand cru 2016<br />
La 2 e édition des OÜI FM<br />
Rock Awards, organisée par<br />
la célèbre station parisienne,<br />
s’est tenue au Trianon.<br />
Le compte rendu sur la soirée sur la<br />
deuxième édition de la cérémonie des<br />
OÜI FM Rock Awards publié dans notre<br />
numéro 95 a, suite à des erreurs de<br />
manipulation, été tronqué d’une partie<br />
de son contenu. Cette fameuse soirée,<br />
animée avec brio par Dom Kiris, a permis<br />
de réunir les meilleurs artistes de<br />
l’année 2016 dans la salle parisienne<br />
du Trianon. “Après avoir organisé<br />
la première cérémonie au Réservoir,<br />
au vu du succès rencontré par le nombre<br />
de réservations, on a dû prendre une<br />
salle autrement plus grande”, s’est<br />
enthousiasmée Fanny Temam, directrice<br />
des programmes de la radio, quelques<br />
jours avant la cérémonie. Et donc,<br />
plus de deux heures durant, artistes<br />
et animateurs de la station se sont<br />
succédé sur la grande scène. Douze<br />
trophées à remettre et autant de belles<br />
surprises : “On a tenté de réunir<br />
un plateau consistant, qui montre bien<br />
la vivacité du rock à la française, mais<br />
aussi, le fait que les auditeurs se sont<br />
sentis concernés par ces prix”, avait<br />
alors précisé Cocto, co-organisateur<br />
de la soirée. Contrairement à nombre<br />
de réunions de ce type, pas de chichis,<br />
on entre directement dans le sujet,<br />
les groupes se succèdent à un rythme<br />
soutenu pour récupérer leur trophée<br />
(La Maison Tellier, Declan McKenna<br />
ou The Temperance Movement), avant<br />
que M se saisisse de la scène pour<br />
un furieux mini-set acoustique. Puis<br />
laisse la place au grand final, orchestré<br />
par Matt Bastard…<br />
Prix publics<br />
• L’Artiste & l’Album Rock<br />
de l’Année 2016 – catégorie Indé :<br />
La Maison Tellier – Avalanche<br />
• L’Artiste & l’Album Rock<br />
de l’Année 2016 – catégorie Major :<br />
Red Hot Chili Peppers – The Getaway<br />
• L’Artiste & l’Album Rock<br />
de l’Année 2016 – catégorie Autoprod :<br />
The Shapers – Reckless Youth<br />
Prix professionnels<br />
• Le Prix du B.P.I. (Bureau des<br />
Productions Indépendantes) 2016 :<br />
Theo Lawrence & The Hearts<br />
• La Révélation Internationale 2016 :<br />
The Lemon Twigs<br />
• Le Titre Rock 2016 : I Wanna Get Lost<br />
With You par Stereophonics<br />
• Le Coup de Cœur de la Programmation<br />
Musicale de OÜI FM 2016 :<br />
Declan McKenna<br />
• L’Artiste Bring The Noise 2016 :<br />
Frank Carter & The Rattlesnakes<br />
• Le Concert OÜI FM 2016 : Foals<br />
• La Session Acoustique OÜI FM 2016 :<br />
The Temperance Movement<br />
• L’Artiste UK Beats 2016 : Savages<br />
• La Révélation Française 2016 :<br />
Last Train<br />
[Suite de la p. 21] remettre d’une<br />
chute qu’il avait faite sur scène en<br />
Suède l’été précédent, et qui<br />
s’était avérée plus grave qu’il ne le<br />
pensait. Grohl s’était cassé le<br />
péroné, avait eu plusieurs ligaments<br />
arrachés et avait dû être<br />
opéré. “J’ai encore un peu de<br />
quincaillerie à l’intérieur, plaisante-t-il.<br />
J’ai fait deux ou trois<br />
heures de kiné par jour pendant<br />
presque un an.” Grohl a fini le<br />
reste de la tournée des stades<br />
Sonic Highways perché sur un<br />
“trône” géant. Mais après la dernière<br />
date, il a déclaré à son<br />
groupe qu’il ne voulait plus toucher<br />
un instrument pendant un<br />
an. “Quand la tournée a été terminée,<br />
je me suis dit : La vie, c’est<br />
bien plus qu’un concert de rock. Je<br />
veux pouvoir courir jusqu’à la<br />
porte quand le livreur de pizza<br />
viendra sonner en 2033.”<br />
Grohl a réussi à ne pas travailler<br />
pendant six mois. Puis il a écrit<br />
“Run”, un hymne accusateur<br />
assez dur qui parle du besoin<br />
d’amitié pendant les périodes<br />
troublées. Grohl se demande si<br />
le refrain (dans lequel il chante<br />
“Réveille-toi, prends tes<br />
jambes à ton cou avec moi”) a<br />
pu venir du fait qu’il est resté<br />
immobile pendant un bon<br />
moment : “Je rêvais que je courais<br />
à travers champs, ce genre<br />
de conneries, et je me réveillais<br />
avec une putain de jambe<br />
cassée.”<br />
“Run” est devenu le premier<br />
single du neuvième LP du<br />
groupe, Concrete and Gold, à<br />
paraître le 15 septembre. Les Foo<br />
Fighters se sentaient prêts à<br />
essayer de nouvelles choses : des<br />
orchestrations éclatantes, des<br />
harmonies chorales et des expérimentations<br />
rythmiques. “Run”,<br />
par exemple, tourne sur un beat<br />
de dance hall. “Je n’avais pas<br />
réalisé que c’était du reggaeton<br />
jusqu’à ce que [le producteur]<br />
Greg Kurstin me le précise,<br />
raconte Grohl. Puis j’ai entendu<br />
une putain de chanson de Justin<br />
Bieber avec le même beat et je me<br />
suis dit : Oh, mon dieu !”<br />
Mais les choses n’ont pas commencé<br />
de façon aussi ambitieuse.<br />
Alors que, pour les derniers<br />
albums des Foo Fighters, Grohl<br />
avait de grands concepts en tête<br />
(Wasting Light, en 2011, a été<br />
entièrement enregistré en analogique,<br />
et en 2014, Sonic Highways<br />
a été réalisé dans huit studios<br />
légendaires différents), cette fois,<br />
il voulait simplifier le processus.<br />
“Je me suis dit : Quelle est la chose<br />
la plus étrange que ce groupe<br />
puisse faire à ce stade ? Et j’ai réalisé<br />
que c’était tout simplement<br />
d’aller en studio et de faire un<br />
album comme un groupe normal.”<br />
Pour écrire les chansons, Grohl a<br />
loué un Airbnb dans la petite ville<br />
d’Ojai, en Californie : “J’ai acheté<br />
une caisse de vin et je suis resté<br />
assis là, en sous- vêtements, avec<br />
un micro, pendant environ cinq<br />
jours, à écrire, rien qu’écrire.<br />
J’étais inspiré par ce qui se passait<br />
dans notre pays : politiquement,<br />
personnellement, en tant que père,<br />
qu’Américain et que musicien.”<br />
Grohl fait allusion à la vision du<br />
monde peu réjouissante avec des<br />
chansons comme “The Sky Is a<br />
Neighborhood”, où il raconte une<br />
nuit sans sommeil, passée à s’inquiéter<br />
pour l’état de la planète.<br />
Sur “T-Shirt”, il lâche : “Je veux<br />
“ J’AI ACHETÉ<br />
DU VIN ET JE<br />
SUIS RESTÉ ASSIS<br />
LÀ, EN SOUS-<br />
VÊTEMENTS,<br />
PENDANT CINQ<br />
JOURS, À ÉCRIRE,<br />
RIEN QU’ÉCRIRE.”<br />
juste chanter une chanson<br />
d’amour/Prétendre que tout va<br />
bien.” Parallèlement, sur le lourd<br />
“La Dee Da”, Grohl rend hommage<br />
aux groupes underground qu’il<br />
adorait lorsqu’il était ado, notamment<br />
Psychic TV. “Après avoir<br />
trouvé peut-être treize idées, je les<br />
ai envoyées aux gars en leur<br />
demandant : ‘Est-ce que je suis<br />
dingue, ou est-ce que c’est un<br />
disque ?’, raconte Grohl. Ils m’ont<br />
répondu : ‘Les deux.”<br />
Comme il cherchait un producteur,<br />
il est entré en contact avec Greg<br />
Kurstin, qui avait coécrit et produit<br />
des titres un peu pop comme<br />
“Hello” d’Adele et “Stronger” de<br />
Kelly Clarkson. Grohl connaissait<br />
mieux Kurstin en tant que membre<br />
du duo indie-pop The Bird and The<br />
Bee. “J’aimais beaucoup le sens<br />
mélodique et harmonique de ce<br />
groupe, explique-t-il. Il me semblait<br />
évident que le gars qui était<br />
derrière cette musique n’était pas<br />
un crétin habituel de chez Guitar<br />
Center.” Grohl a donc dit à Kurstin<br />
qu’il voulait combiner “le son des<br />
radios oldies seventies genre Gerry<br />
Rafferty et [son] amour pour un<br />
groupe comme Motörhead.”<br />
Kurstin raconte que c’était un peu<br />
comme s’il lui décrivait “une odyssée<br />
à la Sgt. Pepper, version heavy<br />
metal.”<br />
Le groupe a enregistré dans le<br />
studio EastWest, à L.A., où il a<br />
croisé la terre entière entre les<br />
prises – de Lady Gaga à Shania<br />
Twain. Certains chantent sur l’album,<br />
confie Grohl, tout en restant<br />
évasif sur leur identité. Il a récemment<br />
eu les honneurs des gros<br />
titres qui affirmaient que “probablement<br />
la plus grande popstar du<br />
monde” prêtait sa voix à l’album<br />
(tout ce qu’il consent à divulguer,<br />
c’est qu’il ne s’agit ni d’Adele ni de<br />
Taylor Swift…). Parmi les invités,<br />
on trouve Alison Mosshart des<br />
Kills ou encore Shawn<br />
Stockman, de Boyz II Men, que<br />
Grohl a rencontré sur le parking<br />
et qu’il a convié à enregistrer en<br />
overdub plus de trente pistes de<br />
chœurs pour le morceau final de<br />
l’album, le très floydien<br />
“Concrete and Gold”. “Quand il<br />
a quitté la pièce, je me suis<br />
tourné vers les autres et j’ai fait :<br />
‘Le mec de Boyz II Men vient de<br />
mettre la putain de barre très<br />
haut’, raconte Grohl. ‘Chaque<br />
chanson doit sonner aussi<br />
énorme que ça.”<br />
Les Foo Fighters ont dévoilé ces<br />
morceaux cet été dans les festivals.<br />
Ils lanceront leur tournée en<br />
octobre, qui inclura aussi leur<br />
propre festival, Cal Jam 17, à San<br />
Bernardino, en Californie. Baptisé<br />
d’après le légendaire festival<br />
de 1974 qui s’était tenu sur un<br />
circuit automobile et dont les têtes<br />
d’affiche étaient Deep Purple et<br />
Emerson, Lake and Palmer, il<br />
réunira Queens of the <strong>Stone</strong> Age,<br />
Liam Gallagher et d’autres. “Il n’y<br />
a rien de plus ridicule que de faire<br />
une fête de sortie d’album avec<br />
50 000 personnes”, balance Grohl,<br />
ajoutant qu’il est soulagé de pouvoir<br />
se produire à nouveau sur ses<br />
deux jambes. “J’ai prêté le trône à<br />
Axl Rose parce qu’il s’était cassé le<br />
pied, dit-il. Du coup, je suis allé<br />
voir [Guns N’ Roses] et c’était la<br />
première fois que je voyais<br />
quelqu’un chanter assis dans ce<br />
truc. Et là, je me suis dit : C’est<br />
quand même la putain d’idée la<br />
plus stupide qui soit…”<br />
Traduction : Stan Cuesta<br />
© YANN BUISSON<br />
22 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
Q&R<br />
© FRANK LORIOU<br />
“Le punk en France,<br />
c’était plutôt ‘ future’<br />
que ‘no future’ !”<br />
À l’occasion de ses 40 ans de carrière, Kent sort<br />
un nouvel album. L’occasion de revenir sur un joli pan<br />
de vie mêlant punk-rock, chanson française, BD et romans.<br />
On vient de fêter les 40 ans du punk. Avec<br />
Starshooter, vous étiez aux premières loges à Lyon.<br />
Quel souvenir en conservez-vous ?<br />
Kent : Pour nous, le punk a représenté une occasion<br />
en or d’émerger et de nous faire connaître.<br />
Nous étions dans l’air du temps. Nous avions<br />
un look, une attitude. On faisait tout à toute<br />
vitesse. Nous n’étions pas des punks au sens<br />
anglais du terme. Nous ne raisonnions pas en<br />
termes de “no future”, mais de “future”. Nous<br />
étions surtout opposés à la musique bien frelatée<br />
des années 1970, les Daniel Guichard et<br />
consorts, les années Giscard. À l’époque, nous<br />
avons joué en première partie des Damned. Je<br />
me souviens qu’avec Captain Sensible (l’un des<br />
leaders, ndlr), nous partagions une certaine<br />
forme d’hédonisme et de joie de jouer sur scène,<br />
bien loin du nihilisme des Sex Pistols.<br />
Comment se passait la scène punk à Lyon ?<br />
K. : Grâce à une cassette remise à Philippe<br />
Manœuvre, nous avons eu un article dans<br />
Rock & Folk, ce qui nous a permis de nous faire<br />
connaître. Une véritable chance, car les journalistes<br />
ne se bousculaient pas à Lyon. Nous<br />
cultivions notre attitude antiparisienne avec<br />
Marie et les Garçons. (Rires.) En réalité, nous<br />
étions potes avec Bijou, Trust, Téléphone, cette<br />
génération qui souhaitait secouer le cocotier de<br />
la chanson française. Une saine émulation.<br />
De 1978 à 1981, Starshooter a sorti quatre<br />
albums. Nous avions 20 ans, nous étions les<br />
rois du monde.<br />
En 1981, Pas fatigué est le dernier album de<br />
Starshooter. La gueule de bois ?<br />
K. : Malgré une grosse tournée, ce disque s’est<br />
mal vendu. Nous étions déçus. Nous avons<br />
décidé d’arrêter l’aventure. À l’époque, j’étais<br />
déjà à fond dans la bande dessinée. Après<br />
quatre années, à plein tube, j’en avais un peu<br />
assez du grand cirque du rock’n’roll. J’ai alors<br />
beaucoup écouté les grands chanteurs français<br />
comme Gainsbourg, Brel, Aznavour. Plutôt<br />
qu’à l’interprétation proprement dite, aux<br />
textes, si importants en France, je me suis intéressé<br />
à la musique, aux arrangements, à l’utilisation<br />
très “française” de la valse, par<br />
exemple. En fait, ces auteurs représentent ce<br />
que les grands maîtres de la country – Hank<br />
Propos recueillis par Éric Delon<br />
Williams, Kris Kristofferson – symbolisent<br />
aux États-Unis.<br />
Avec votre premier album solo, Amours propres,<br />
en 1982, vous devenez officiellement un chanteur<br />
français post-punk ?<br />
K. : Oui, j’avais 25 ans et j’étais déjà un has been !<br />
(Rire.) Je suis monté à Paris. J’ai introduit de<br />
l’accordéon dans mes chansons, j’ai voulu<br />
m’inscrire dans une certaine idée de la chanson<br />
française, mais qui ne soit pas momifiée. Même<br />
si je me suis toujours méfié du diktat très hexagonal<br />
de la “chanson à texte”, j’ai beaucoup<br />
travaillé ces derniers. N’oublions pas que si les<br />
spectateurs écoutent avant tout la musique des<br />
groupes, ils écoutent, en priorité, les textes des<br />
chanteurs solos. Par ailleurs, je n’ai jamais été,<br />
contrairement à ce que certains ont écrit, le<br />
chantre de la chanson française. Je ne suis pas<br />
du tout fan de Brassens et de Trenet, par<br />
exemple. Certains journalistes, dans les<br />
années 1990, voulaient à tout prix me faire parler<br />
de la chanson française, alors même que<br />
j’écoutais de la drum’n’bass dans les clubs avec<br />
mes jeunes musiciens.<br />
En 1989, le single “J’aime un pays”, ode à une<br />
France métissée, fait un carton.<br />
K. : Oui, l’album À nos amours dont il est extrait<br />
a très bien marché. Je voulais réagir à cette<br />
France qui commençait à se laisser séduire par<br />
les discours xénophobes du FN. Cette chanson<br />
a rencontré son époque. J’ai eu de la chance.<br />
Outre la BD, vous avez écrit des romans et des<br />
livres pour enfants : une récréation ?<br />
K. : Un vrai désir et un défi à relever. Pour les<br />
romans, j’ai répondu à des propositions que j’ai<br />
acceptées.<br />
Votre nouvel album, La Grande Illusion, est sorti<br />
début février. Quelle en est la genèse ?<br />
K. : En 2015, je me trouvais au 104 (salle d’art et<br />
de spectacle parisienne, ndlr) pour jouer mon<br />
disque Métropolitain avec un groupe d’un instant,<br />
Tahiti Boy – alias David Sztanke. Nous<br />
nous sommes particulièrement bien entendus.<br />
J’avais quelques chansons dans le coin de ma<br />
tête. Nous avons décidé de travailler ensemble<br />
pour ce nouvel album. Ils ont été des “déclencheurs<br />
d’envie”.<br />
La politique ?<br />
K. : Je suis de plus en plus spectateur, un peu<br />
fataliste. Je me dis qu’il est difficile d’agir, qu’il<br />
est presque vain de vouloir enrayer la marche du<br />
monde, la mondialisation, l’élection de Trump.<br />
Rassurez-vous, je vote toujours à gauche, même<br />
si j’ai perdu certaines illusions…<br />
EN FANFARE<br />
Le chanteur revient<br />
avec La Grande<br />
Illusion et dix titres<br />
entre pop et rock.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 23
Q&R<br />
Willie Nelson<br />
La légende vivante nous explique comment faire durer un mariage en étant sur la route<br />
et pourquoi Jeff Sessions doit juste fumer un peu d’herbe. Par Patrick Doyle<br />
N<br />
ous sommes à la<br />
veille du 84 e anniversaire<br />
de Willie<br />
Nelson, mais ses<br />
projets en la matière restent<br />
modestes. “Je vais juste essayer<br />
d’être là”, dit-il en riant depuis<br />
son bus de tournée, le Honeysuckle<br />
Rose, actuellement garé à<br />
Laughlin, dans le Nevada, un<br />
arrêt de plus dans son planning<br />
de tournée fou furieux : deux<br />
semaines de concert, deux<br />
semaines de repos. “J’aime toujours<br />
ça, dit-il. Ce sont les deux<br />
semaines de repos qui sont un<br />
peu longues.” Cet été, Willie va<br />
tourner avec l’Outlaw Music Festival,<br />
qui comprend des dates<br />
avec Bob Dylan, Sheryl Crow,<br />
Jason Isbell et les fils de Nelson,<br />
Lukas et Micah. Il est impatient<br />
d’interpréter en public les chansons<br />
de son excellent nouvel<br />
album, God’s Problem Child. “Ça<br />
va être une super-occasion de<br />
revoir beaucoup de vieux amis”,<br />
dit Nelson qui, après des milliers<br />
de concerts, a son truc à lui pour<br />
maintenir l’intérêt de ses prestations<br />
: “Je n’essaie pas intentionnellement<br />
de déstabiliser le<br />
groupe, mais je joue des chansons<br />
qu’ils ne connaissent pas. Et<br />
parfois, quelque chose de<br />
magique se produit.”<br />
Votre nouveau single, “Still Not<br />
Dead” [Toujours pas mort], est hilarant.<br />
Qu’est-ce qui vous l’a<br />
inspiré ?<br />
Willie Nelson : Il y a des années,<br />
quand j’ai écrit “On the Road<br />
Again”, j’ai entendu dire pour la<br />
première fois que j’étais mort.<br />
Quelqu’un a dit : “Willie chantait<br />
‘On the Road Again’ et il a été<br />
renversé par un bus.” Ça a été<br />
amusant pendant quelque<br />
temps. Puis j’ai entendu ce que<br />
vous appelez des “faits alternatifs”<br />
: ces deux dernières années,<br />
deux ou trois fois, en me levant,<br />
j’ai appris que j’étais décédé. Je<br />
voulais juste leur faire savoir que<br />
c’était un gros tas de conneries.<br />
Cet été, vous serez réunis avec<br />
Dylan. C’est comment, quand vous<br />
traînez ensemble tous les deux ?<br />
W. N. : Je ne pense pas que ce soit<br />
souvent arrivé. On fait plus de<br />
musique ensemble qu’on ne parle,<br />
et c’est probablement une bonne<br />
chose. [En 2004,] mon fils Lukas<br />
et Dylan se sont vraiment bien<br />
entendus ; il l’a rejoint sur scène<br />
pour jouer de la guitare avec lui,<br />
ils ont beaucoup jammé sur ces<br />
tournées. C’était sympa.<br />
Quel est votre artiste préféré, sur<br />
scène ?<br />
W. N. : Leon Russell était l’un des<br />
plus grands showmen qui aient<br />
jamais existé. La première fois<br />
que je l’ai vu, il jouait devant<br />
environ 40 000 personnes, au<br />
Nouveau-Mexique. Je n’avais<br />
jusqu’alors jamais vu quelqu’un<br />
jeter son chapeau dans le public.<br />
C’est là que j’ai volé l’idée.<br />
Jeff Sessions, procureur général<br />
des États-Unis dans l’administration<br />
Trump, a récemment déclaré que<br />
l’herbe est “seulement légèrement<br />
moins terrible” que l’héroïne…<br />
© TAYLOR HILL<br />
24 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
W. N. : Je me demande s’il a essayé<br />
les deux. Je ne pense pas qu’on<br />
puisse faire une telle déclaration<br />
sans avoir tout essayé. Donc, j’aimerais<br />
suggérer à Jeff d’essayer<br />
et, ensuite, de me faire savoir s’il<br />
pense toujours dire la vérité !<br />
Quel est votre sentiment sur la<br />
présidence de Donald Trump jusqu’à<br />
maintenant ?<br />
W. N. : Eh bien, je le connais depuis<br />
longtemps, du temps où il possédait<br />
des casinos, et j’ai travaillé<br />
pour lui. Il m’a toujours payé. Je<br />
n’ai jamais eu aucun problème. Je<br />
pense qu’il a mis le pied dans un<br />
monde complètement différent. Il<br />
l’a d’ailleurs dit récemment : “Je<br />
ne pensais que ce boulot allait être<br />
si difficile.” C’est facile, quand on<br />
a la possibilité de se déclarer en<br />
faillite quand on veut, de dire : “Je<br />
te ferai un chèque plus tard.” Mais<br />
c’est plus difficile quand on est<br />
président des États-Unis.<br />
enfoiré, et ne soit pas un putain<br />
d’enfoiré.” La mienne a toujours<br />
été : “Ne cherche pas la merde et tu<br />
ne te retrouveras pas dans la<br />
merde.”<br />
Vous êtes marié à Annie, depuis<br />
vingt-cinq ans. Qu’avez-vous appris à<br />
propos du mariage ?<br />
W. N. : C’est un peu comme ce que<br />
disait Donald Trump à propos du<br />
fait d’être président : il n’y a rien de<br />
facile, là-dedans. Chaque jour est<br />
un dur labeur. Ça n’est pas pour<br />
tout le monde. J’ai été marié plusieurs<br />
fois.<br />
Que vous a appris le golf à propos<br />
de la vie ?<br />
W. N. : Absolument que dalle !<br />
Quelqu’un m’a dit, un jour : “Tu<br />
abîmes une belle balade en jouant<br />
au golf.” Mais j’adore jouer. J’y suis<br />
allé l’autre jour avec mes fils. J’ai<br />
fait un eagle sur un par four, j’étais<br />
content.<br />
“ ON PEUT FAIRE PLUS DE<br />
CHOSES AVEC LA MUSIQUE<br />
QU’AVEC DES DÉBATS<br />
ET DE LA POLITIQUE. ”<br />
Vous vendez des autocollants<br />
“Willie Nelson for President”. Est-ce<br />
que beaucoup de gens vous poussent<br />
à vous présenter ?<br />
W. N. : Oh oui ! Ce qui me rend<br />
encore plus heureux de ne pas<br />
l’avoir fait ! J’ai failli y aller à deux<br />
reprises. Et puis, j’ai dessaoulé.<br />
Donc, Trump ne vous a pas donné<br />
envie d’intervenir ?<br />
W. N. : Je pense qu’on peut faire plus<br />
de choses avec la musique qu’avec<br />
des débats et de la politique. Je<br />
pense qu’une chanson touche plus<br />
les gens que quoi que ce soit<br />
d’autre. Il y a une raison pour<br />
qu’on appelle cela “l’harmonie” :<br />
quand on donne un concert, il y a<br />
un échange d’énergie inimaginable<br />
avec les gens. C’est la raison<br />
pour laquelle je me produis en<br />
public. J’en retire aussi quelque<br />
chose.<br />
Quelles règles avez-vous imposées<br />
à vos enfants ?<br />
W. N. : Ma femme en a une, qui se<br />
décompose en trois principes : “Ne<br />
sois pas un enfoiré, ne sois pas un<br />
Faites-vous toujours de l’exercice<br />
quotidiennement ?<br />
W. N. : Ouais. Je monte à cheval, je<br />
nage ou je cours. Jurer est également<br />
un bon exercice – je fais ça,<br />
aussi.<br />
Quel est votre juron préféré ?<br />
W. N. : Je dis à tout le monde que<br />
quand je serai président, “Fuck it”<br />
s’écrira en un seul mot.<br />
Vous avez lancé votre propre<br />
société d’exploitation de marijuana,<br />
Willie’s Reserve. Comment ça<br />
marche ?<br />
W. N. : Ça marche bien ! J’ai des gens<br />
qui s’en occupent plus ou moins<br />
pour moi. Annie s’occupe du côté<br />
comestible – c’est une grande cuisinière.<br />
Elle travaille avec le<br />
Colorado et avec tous les endroits<br />
où c’est légal.<br />
Est-ce qu’il y a un inconvénient à<br />
fumer de l’herbe tous les jours ?<br />
W. N. : Je n’en ai pas encore trouvé.<br />
Je suppose que quand on va<br />
quelque part où c’est illégal, c’est<br />
plutôt un inconvénient.<br />
Septembre <strong>2017</strong>
SOMEBODY TOLD ME…<br />
Brandon Flowers, toujours<br />
à la recherche de nouvelles<br />
sources d’inspiration.
ROCK & ROLL<br />
THE KILLERS<br />
Tueurs (passion)nés<br />
Les Killers commettent leur nouveau crime, cinq ans après Battle Born.<br />
Wonderful Wonderful, disponible le 22 septembre, a été voulu comme un retour<br />
aux sources. C’est à Londres que <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> a rencontré deux membres<br />
du gang, Brandon Flowers et Ronnie Vannucci Jr. Par Vincent Guillot<br />
© ANTON CORBIJN<br />
Cinq ans entre deux albums,<br />
c’est un record<br />
pour les kids de Las<br />
Vegas. Mais le tout nouveau<br />
Wonderful Wonderful devrait<br />
à nouveau affoler les compteurs.<br />
Aux États-Unis comme en<br />
Angleterre, le groupe de Brandon<br />
Flowers fait partie des cadors du<br />
pop-rock. Ci-devant, le charismatique<br />
frontman est en de bonnes<br />
dispositions, souriant, voire blagueur.<br />
Le batteur et lui ont œuvré<br />
sur différentes œuvres – solo ou<br />
side project – avant de réunir le<br />
gang au complet. Histoire de<br />
laisser souffler leurs comparses.<br />
“Nous avons tourné pendant<br />
deux ans sur l’album précédent,<br />
confie Brandon. C e r t a i n s<br />
membres du groupe n’aiment pas<br />
forcément partir en tournée. Ils<br />
ont besoin d’espace.”<br />
L’espace-temps nécessaire écoulé,<br />
les Killers se sont mis en quête de<br />
l’homme clé pour mettre en boîte<br />
ce cinquième effort, lequel s’est<br />
avéré être Jacknife Lee, vu chez<br />
U2, REM, les Hives mais aussi le<br />
boys band One Direction et<br />
Taylor Swift. “Nous avons organisé<br />
un véritable speed dating de<br />
producteurs. On a effectué des<br />
essais, pas mal discuté, raconte<br />
Ronnie. Jacknife avait une approche<br />
totale, une vision. Il parlait<br />
le même langage que nous. Le<br />
courant est passé très vite.”<br />
Ce nouvel opus marque un retour<br />
aux sources, selon Flowers luimême.<br />
“En octobre dernier, nous<br />
avons donné un concert pour les<br />
10 ans de Sam’s Town. Il y avait<br />
les vieux décors, les vieilles<br />
lights… Nous n’avions pas encore<br />
d’idées pour le nouvel album, et<br />
nous avons tous eu envie de revenir<br />
vers ça. Je crois que nous y<br />
sommes parvenus.” Pourtant, au<br />
point de départ, son groupe ne se<br />
donne aucune direction particulière<br />
: “Nous sommes mauvais<br />
pour ce genre de trucs. Nous<br />
n’avons jamais défini à l’avance<br />
de direction vers laquelle aller.<br />
J’avais quelques idées auparavant,<br />
nous ne faisons pas de listes<br />
de titres à écouter préalablement<br />
afin de définir ce sur quoi nous<br />
allons travailler.” Ronnie<br />
Vannucci approuve. “Nous expérimentons,<br />
nous essayons de<br />
trouver le moyen de faire avancer<br />
les titres. Nous voyons où ça nous<br />
mène tous ensemble. C’est comme<br />
ça que j’aime bosser avec le<br />
groupe.”<br />
Ces expérimentations peuvent<br />
cependant s’avérer de longue<br />
durée. La chanson “Run for<br />
Cover” a ainsi nécessité huit années<br />
de gestation. “Elle n’a jamais<br />
été complètement au point, explique<br />
Ronnie. Il y avait un problème<br />
avec les paroles, le rythme,<br />
la production. Nous ne l’avons<br />
jamais trouvée à notre goût.” Son<br />
compère poursuit : “Nous ne nous<br />
sommes pas acharnés non plus<br />
ON TOP<br />
Les gars de Vegas<br />
sont de retour avec<br />
un cinquième album.<br />
“ NOUS N’AVONS JAMAIS DÉFINI<br />
DE DIRECTION À L’AVANCE. ”<br />
durant tout ce temps. Nous<br />
l’avons démarrée il y a huit ans,<br />
puis nous l’avons retravaillée de<br />
temps en temps. Notamment au<br />
moment du Best Of. Et nous<br />
avons fini par la terminer de la<br />
manière dont elle le méritait et<br />
nous en sommes heureux.”<br />
Si sur “The Man”, efficace single<br />
où le groupe renoue avec ses sonorités<br />
classiques ponctuées de<br />
samples disco-funk, l’obsession de<br />
se renouveler tout en restant fidèles<br />
à leur marque de fabrique<br />
demeure très forte chez Flowers ;<br />
qui évoque joliment cette problématique<br />
sur “Have All the Songs<br />
Been Written?”. “Quand on lance<br />
un groupe, on peut déjà se poser<br />
cette question. Lorsque tu mesures<br />
tout ce qui a été sorti par les plus<br />
grands maîtres depuis cinquante<br />
ans, tu te demandes comment<br />
toi, tu vas pouvoir contribuer<br />
à cet ensemble.”<br />
Se mesurer à son œuvre, à celles<br />
des autres : derrière cette idée, il y<br />
a chez Flowers la peur d’un éventuel<br />
déclin. Pensée normale pour<br />
un groupe qui affiche – déjà ! –<br />
treize années d’existence. Il<br />
l’évoque via une surprenante parabole<br />
: le combat perdu par Mike<br />
Tyson en 1990 face à James<br />
“Buster” Douglas sur la chanson<br />
“Tyson vs. Douglas”. “C’est un combat<br />
qui m’a beaucoup impressionné.<br />
Il m’est revenu à l’esprit,<br />
cela m’a obsédé et je me suis dit que<br />
je devais en faire quelque chose. La<br />
conclusion, après tout, était que je<br />
ne voyais plus le monde de la<br />
même façon à la suite de ce match.<br />
Tyson était à son sommet, ce combat<br />
était un événement majeur à<br />
Vegas, et même dans le monde<br />
entier. Il était invaincu. Pour mes<br />
enfants, je suis Tyson, je suis cette<br />
perfection. Bien sûr, je ne suis pas<br />
vraiment parfait. Mais je ne veux<br />
pas descendre de mon piédestal.<br />
C’est ce que je raconte dans le troisième<br />
couplet.”<br />
On objecte qu’à l’époque, Douglas<br />
aurait dû être compté K.-O. avant<br />
son coup victorieux. Notre homme<br />
balaie : “Le comptage était juste. Il<br />
ne s’était pas assez entraîné. En<br />
fait, c’était le début de la fin pour<br />
Tyson.” Une manière de dire que,<br />
pour les Killers, l’exigence reste de<br />
mise pour reculer sans cesse<br />
l’heure de jeter l’éponge.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 27
TRÉSOR ENTERRÉ<br />
Glenn Hughes<br />
I’m a Soul Man<br />
Icône du heavy metal, l’ex-chanteur et bassiste de Deep Purple n’est jamais autant inspiré<br />
que lorsqu’il joue de la musique noire américaine. Par Bertrand Deveaud<br />
Glenn hughes était-il<br />
fait pour le hard rock ?<br />
Après cinquante ans de<br />
carrière, avoir joué avec<br />
Deep Purple ou Black Sabbath,<br />
hurlé des torrents de décibels et fait<br />
vrombir sa basse dans tous les festivals<br />
de la planète, gardé son allure<br />
de rockstar à 65 ans malgré plusieurs<br />
overdoses de cocaïne, la réponse<br />
est évidente. En réalité,<br />
Hughes est un chanteur de soul.<br />
“Le Glenn Hughes ‘soulful’ est le vrai<br />
Glenn Hughes”, affirme-t-il. Le besoin,<br />
sans doute, de rappeler qu’il<br />
n’est pas forcément celui qu’on croit.<br />
“Je ne me suis pas égaré dans le<br />
hard, mais je n’ai pas toujours joué<br />
la musique que j’avais en moi.”<br />
Né en 1952, dans une région rurale<br />
de l’Angleterre, Glenn Hughes grandit<br />
en écoutant James Brown, Otis<br />
Redding et les grandes figures de la<br />
Tamla Motown : Stevie Wonder,<br />
Marvin Gaye, The Temptations…<br />
“C’est une musique d’émotions et de<br />
sensations qui me parle. Ça va droit<br />
au cœur, au plus profond de soi, ça<br />
ouvre les portes de l’âme.”<br />
Alors pourquoi ce passionné de<br />
soul, de rythm’n’blues et de funk,<br />
doté en plus d’une voix parfaitement<br />
calibrée pour ça, a-t-il atterri<br />
chez Deep Purple ? Cette question,<br />
David Bowie a été le premier à se la<br />
poser. C’était en août 1974, à Los<br />
Angeles. Glenn termine les sessions<br />
de Stormbringer, son deuxième<br />
album avec Deep Purple, aux<br />
studios Record Plant, pendant que<br />
David, en tournée américaine<br />
( Diamond Dogs Tour), s’apprête à<br />
commencer l’enregistrement de<br />
Young Americans, qu’il annonce<br />
très “blue-eyed soul”.<br />
“Je venais d’arriver dans ma<br />
chambre du Beverly Wilshire Hotel<br />
lorsque je reçois un coup de fil<br />
d’Angie, sa femme, pour me dire que<br />
David m’avait vu lors du California<br />
Jam, un concert retransmis sur<br />
ABC, raconte Glenn. Il avait été<br />
impressionné par ma performance<br />
et avait très envie de me rencontrer.”<br />
Glenn rejoint David dans sa suite,<br />
un étage plus haut. Et là, c’est un<br />
défilé de rockstars. Il y croise Keith<br />
Moon, Ronnie Wood, Alice Cooper,<br />
Iggy Pop… Très vite, les deux<br />
hommes se retrouvent seuls, et<br />
David lui demande, intrigué :<br />
“Comment un soul guy comme toi<br />
s’est-il retrouvé à faire du metal ?”<br />
Glenn répond :“C’est une proposition<br />
que je ne pouvais pas refuser.<br />
Et le groupe savait que j’adorais la<br />
soul et le funk.” Toute la nuit, Glenn<br />
et David vont parler de black<br />
music. Et deviendront les meilleurs<br />
amis du monde.<br />
Le lendemain, David, qui souffre de<br />
paranoïa et ne sort presque jamais<br />
de son hôtel, retrouve Glenn au<br />
studio. Ce jour-là, le groupe enregistre<br />
“Hold On”, un titre au groove<br />
imparable, dont Glenn assure une<br />
partie du chant. “David, qui s’était<br />
fait discret, s’est mis à danser dans<br />
le studio. Il était dingue de cette<br />
chanson.”<br />
L’orientation soul et funk donnée à<br />
Stormbringer apparaît de plus en<br />
LUNETTES NOIRES<br />
David Bowie et Stevie<br />
Wonder seront<br />
ses parrains soul.<br />
plus claire. D’autant qu’au même<br />
moment, dans le studio d’à côté,<br />
Stevie Wonder travaille sur Songs<br />
in the Key of Life. Un signe des<br />
dieux pour Glenn. “Quand j’ai appris<br />
qu’il était là, j’étais sur un<br />
nuage. Mon idole, ma source d’inspiration<br />
principale, ici, au Record<br />
Plant ! Je ne voulais pas le déranger<br />
pendant une séance, alors je l’ai<br />
attendu à la sortie des toilettes.<br />
Comme un fan un peu pressant… Il<br />
a été incroyablement gentil, et a<br />
même accepté d’écouter ‘You Can’t<br />
Do It Right’, que l’on était en train<br />
de mixer.” Une chanson, aux accents<br />
de “Superstition”, que Stevie<br />
aurait pu composer. “Hey, man ! Je<br />
crois qu’on aime la même musique<br />
et qu’on a les mêmes références”,<br />
lance-t-il à Glenn, encourageant le<br />
groupe à continuer dans cette direction.<br />
Stevie Wonder dira plus<br />
tard : “Mon chanteur blanc préféré<br />
vient d’Angleterre, et il s’appelle<br />
Glenn Hughes.”<br />
Pour Glenn, cette double reconnaissance<br />
de prestige (Bowie/<br />
Wonder) le conforte dans son<br />
choix : faire du groupe de “In Rock”<br />
et “Machine Head” un supergroupe<br />
de funk-rock. Et troquer sa<br />
panoplie de hard rocker contre<br />
celle de soul man. Mais la machine<br />
Deep Purple est devenue trop<br />
énorme. Les fans du groupe veulent<br />
d’abord du gros rock. Stormbringer<br />
est encore bien accueilli, mais l’album<br />
suivant Come Taste the Band,<br />
toujours teinté de soul, est un<br />
échec. L’année suivante, Glenn<br />
publie Play Me Out, son premier<br />
album solo, un hommage (un peu<br />
raté) à Stevie Wonder. Nouvel<br />
échec. En cette fin des années<br />
1970, la soul est supplantée<br />
par le disco, le punk explose, le<br />
hard rock style<br />
“glam metal” se<br />
propage et Glenn, addict à la co-<br />
caïne, ne sait plus où il en est.<br />
“C’était une période difficile pour<br />
moi, j’ai fait souvent n’importe<br />
quoi, joué sans envie. Je me suis<br />
laissé entraîner là où mon public<br />
m’attendait.” Glenn oublie la<br />
soul, joue avec Black Sabbath,<br />
Gary Moore, Mötley Crüe, prend<br />
du poids, de plus en plus de cocaïne<br />
et se fait désormais surnommer<br />
“The Voice of rock”.<br />
Le “soul guy” n’est plus qu’un souvenir,<br />
qui parfois refait surface lors<br />
d’éclairs dans quelques albums<br />
solos (Feel, Music For the Divine).<br />
Aujourd’hui, Glenn va beaucoup<br />
mieux. Il ne se drogue plus, mange<br />
bio, a retrouvé une silhouette de<br />
jeune premier et annonce un album<br />
100 % soul d’ici à deux ans.<br />
“Quelque chose qui me ressemble<br />
vraiment.” En attendant, il faut<br />
réécouter Stormbringer et surtout<br />
You Are the Music… We’re Just the<br />
Band, le troisième album du groupe<br />
Trapeze, une merveille absolue de<br />
rock-funk sortie en 1972. Glenn<br />
avait 20 ans. C’était juste avant de<br />
rejoindre Deep Purple…<br />
© MIKE PRIOR/GETTY IMAGES<br />
28 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
HOMMAGE<br />
Uncle Sam<br />
Sam Shepard portait en lui une image et un regard. Et une autre vision de l’Amérique.<br />
Et ses héritiers – que ce soit de l’auteur, de l’acteur comme du scénariste – sont nombreux.<br />
Par Charles Bloch<br />
I<br />
l la portait sur chacun<br />
des traits de son visage.<br />
L’Amérique. À l’heure où il<br />
faut se faire à l’idée que<br />
tout a déjà été dit sur sa<br />
vie, c’est un regard qui reste en<br />
tête. Bleu, fixe et aligné comme<br />
le viseur d’une carabine. Un<br />
regard hiératique comme seules<br />
les icônes peuvent en porter. De<br />
Bowie à Walken, de Lincoln à<br />
Joe Hill. Au-delà de d’une beauté<br />
profonde, il y avait ce réflexe instinctif,<br />
quand il regardait la<br />
caméra trop longtemps : on baissait<br />
les yeux.<br />
Ils sont quelques-uns comme ça<br />
à catalyser la culture américaine,<br />
ils se connaissent et sont amis.<br />
Stanton, Kristofferson… Bob<br />
Dylan lui-même le sollicita pour<br />
chroniquer sa tournée <strong>Rolling</strong><br />
Thunder, en 1975. La reconnaissance<br />
des pairs, quatre ans avant<br />
son Pulitzer. De fait, les chroniques<br />
devaient servir de scénario<br />
à un film qui ne verra jamais<br />
le jour. Shepard écrira sur la<br />
tournée comme un insider, silencieux,<br />
à balayer les gens, les<br />
éventements.<br />
La solitude, le voyage, le silence.<br />
Comme des couleurs primaires,<br />
elles composeront ce qu’il était.<br />
Une présence taiseuse, toujours<br />
debout et reconnaissable. Il était<br />
cet homme qui remplissait le<br />
désert à lui tout seul. Un pilier.<br />
Un père. Mais pas le patriarche.<br />
Pas celui qui reçoit ses enfants à<br />
Thanksgiving, pas le bon père à<br />
la Norman Rockwell. Étonnant,<br />
d’ailleurs, tant on jurerait qu’il<br />
s’est échappé d’une de ses toiles.<br />
Non. Le père absent, celui qui<br />
n’est pas là. Celui qui est parti il<br />
y a longtemps, dont on n’a que<br />
des souvenirs racontés. Celui<br />
dont maman ne veut pas parler.<br />
Celui qui nous a forcé à se<br />
débrouiller sans lui. Celui qui<br />
nous a rendu fort. Le père absent<br />
de Paris, Texas – il en signera le<br />
scénario pour Wenders, avec qui<br />
il partage l’amour de la route.<br />
Celui qui viendra frapper maladroitement<br />
à la porte, même si<br />
on lui avait bien dit : “Don’t come<br />
Lorsque Harry Dean Stanton<br />
reste muet dans le désert et pendant<br />
des jours, une casquette<br />
rouge visée sur le crâne, c’est<br />
parce que Shepard l’a écrit.<br />
Alors, bien sûr, il reste les frères<br />
d’armes, Harry Dean Stanton,<br />
donc, Tommy Lee Jones, Robert<br />
Duvall... Quelques héritiers<br />
aussi, Matthew McConaughey,<br />
Josh Hartnett, Billy Bob<br />
Thornton. Des adeptes de l’underplay,<br />
le sous-jeu dont parlait<br />
Jean-Pierre Melville quand il<br />
évoquait Lino Ventura. Cette<br />
façon de faire comprendre sans<br />
exprimer, de dévaster sans<br />
exploser. L’alternative à l’Actor<br />
Studio. Pas d’éclats de voix, chez<br />
Sam Shepard, il avait le pouvoir<br />
des silencieux. Un point en commun<br />
avec Clint Eastwood. Une<br />
“ IL ÉTAIT CET HOMME<br />
QUI REMPLISSAIT LE DÉSERT<br />
À LUI TOUT SEUL. UN PILIER. ”<br />
© GETTY IMAGES<br />
knocking” (même histoire avec<br />
Wim) après avoir préféré vivre sa<br />
vie d’homme plutôt que sa vie de<br />
famille.<br />
Perdre sa dernière bataille à<br />
Midway. Joli clin d’œil du ciel<br />
pour un fils de pilote. Un retour<br />
de pied de nez pour l’avoir défié,<br />
ce ciel, à bord d’un X-1 cinégénique.<br />
Pour ces soleils aux compteurs,<br />
ce crash dans le désert et,<br />
face à la Jeep affolée qui venait à<br />
son secours, ce rictus ensanglanté<br />
qu’il porta debout, son<br />
casque à la main, silencieux. Oui,<br />
Shepard c’était le héros qui<br />
n’avait rien à dire à personne,<br />
aucune explication à donner. Sûr<br />
de lui ou en tort, un fusil à la<br />
main ou désarmé, face au regard<br />
d’une femme. Shepard était<br />
Shepard devant l’objectif ou assis<br />
derrière une machine à écrire.<br />
voix qui dénote de son faciès de<br />
superhéros. Plutôt douce, claire<br />
et rare, comme pour exprimer la<br />
précaution permanente de ceux<br />
qui ne sont pas chez eux, ceux<br />
qui ne sont que de passage, qui<br />
savent qu’ils ne resteront pas.<br />
Même en essayant, il est impossible<br />
de faire correspondre Sam<br />
Shepard à un cliché américain.<br />
Pas un cow-boy solitaire, ni un<br />
hors-la-loi. Pas un témoin de<br />
notre temps, ni un auteur torturé.<br />
Les clichés sont des schémas<br />
appliqués, Shepard les réécrivait<br />
sans cesse. Sortant chaque élément<br />
de cette Amérique qu’on<br />
croit connaître pour la dénuder.<br />
Un homme capable de faire<br />
revivre n’importe quel mythe, de<br />
Billy the Kid à la course à l’espace,<br />
de Dylan aux motels. Des balades<br />
au paradis.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 29
SET IN MOTION<br />
MEMORIES<br />
Parcours de<br />
vie bien rempli<br />
pour le Rennais,<br />
de la musique<br />
à la politique.
Q&R<br />
Frank Darcel :<br />
“ Se construire une vie différente ”<br />
Musicien, écrivain, producteur, éditeur et militant… Avec près de quarante ans de carrière,<br />
l’ex-Marquis de Sade est à nouveau sur le devant de la scène. Collector. Par Philippe Barbot<br />
© JO PINTO MAIA<br />
I<br />
l y a déjà des lustres, à<br />
l’époque où les jeunes gens<br />
modernes aimaient leurs<br />
mamans et posaient en une<br />
du magazine Actuel, il coprésidait<br />
aux destinées du groupe Marquis<br />
de Sade. Un orchestre mythique,<br />
champion de la new wave rennaise<br />
qui, le temps de deux albums à<br />
l’orée des années 1980, a su réinventer<br />
un rock sombre et lyrique<br />
mâtiné d’influences européennes et<br />
de rythmes new-yorkais, mélangeant<br />
expressionnisme allemand et<br />
punk anglo-saxon, singularisé par<br />
un répertoire trilingue et la voix et<br />
la gestuelle du chanteur Philippe<br />
Pascal. Près de quarante ans après,<br />
Frank Darcel manie toujours la<br />
guitare, mais a également empoigné<br />
le micro, au sein d’un nouveau<br />
combo nommé “Republik”, dont le<br />
deuxième album, Exotica, est paru<br />
il y a quelques mois. Un disque résolument<br />
contemporain, impérieux et<br />
romantique, dans lequel on<br />
retrouve les influences chères à ce<br />
fan du Velvet Underground et des<br />
Talking Heads, dont il a invité,<br />
entre autres, Tina Weymouth et<br />
Chris Frantz sur le précédent opus.<br />
Musicien, écrivain, producteur, éditeur<br />
et militant, Frank Darcel a eu<br />
plusieurs vies. Il a guidé les premiers<br />
pas de Pascal Obispo, accompagné<br />
Étienne Daho sur le chemin<br />
du succès, produit des disques d’or<br />
au Portugal et un album pour Alan<br />
Stivell, écrit trois romans (le prochain,<br />
Pagan, un polar rennais,<br />
sortira en novembre), supervisé une<br />
somme en deux volumes sur l’histoire<br />
du “Rok” en Bretagne et continue<br />
d’œuvrer pour l’autonomie de<br />
sa région natale. À l’heure où l’on<br />
réédite les albums culte de son premier<br />
groupe, réuni pour un concert<br />
événement, rencontre avec un activiste<br />
débordant d’activité.<br />
Trente-six ans après la dissolution du<br />
groupe, il est question d’une reformation<br />
de Marquis de Sade. Qu’en est-il ?<br />
F. D. : C’est venu d’un ami graphiste,<br />
Patrice Poch, un passionné de<br />
longue date du groupe, qui a toujours<br />
collectionné les archives et<br />
même répertorié toutes nos<br />
anciennes dates de tournée. Il a eu<br />
envie d’organiser une expo qui<br />
aura lieu en septembre, à Rennes,<br />
avec la collaboration d’artistes<br />
illustrant chacun un titre de<br />
Marquis de Sade. Dans ce cadre, il<br />
nous a convaincus de faire un<br />
concert unique. L’idée est de<br />
recréer surtout l’ambiance du premier<br />
album, Dantzig Twist.<br />
À l’époque, Marquis de Sade était<br />
considéré comme un groupe à part,<br />
plus européen que français…<br />
F. D. : Nous sommes nés à cause des<br />
groupes à deux guitares comme<br />
Television, Richard Hell and the<br />
Voidoids ou les Feelies, que j’avais<br />
vus à plusieurs reprises à<br />
New York, en 1978. Nous ne voulions<br />
surtout pas ressembler aux<br />
groupes français de l’époque et<br />
même, ne pas refaire comme ceux<br />
que nous aimions. Nous étions<br />
influencés par les mouvements<br />
culturels d’entre-deux-guerres, le<br />
cinéma expressionniste, les films<br />
de Wenders, ce pont entre<br />
l’Europe de l’Est et l’Amérique.<br />
Avec tout ça, nous avons fait notre<br />
mélange à nous.<br />
Qu’est ce qui, finalement, a provoqué<br />
la fin du groupe ?<br />
F. D. : Après le deuxième album,<br />
Rue de Siam, en 1981, nous avons<br />
commencé à avoir des dissensions<br />
musicales. J’allais souvent à<br />
New York, grâce à un oncle qui<br />
avait émigré là-bas. Je hantais les<br />
clubs et j’avais découvert les<br />
Talking Heads, mais également<br />
Material, le groupe de Bill<br />
Laswell. J’avais envie d’introduire<br />
ce côté soul urbain dans notre<br />
musique. Et puis notre label, s’il<br />
était sympathique, avait un côté<br />
bricolo qui ne nous satisfaisait<br />
plus. Je pensais que l’on méritait<br />
davantage de soutien et de<br />
moyens. En fait, le message punk<br />
me plaisait vraiment : ne rien<br />
inscrire dans la durée, réinventer<br />
son avenir en décidant de tout<br />
casser et de recommencer.<br />
Ensuite, à côté de Marc Seberg, le<br />
groupe de Philippe Pascal, vous fondez<br />
Octobre, puis Senso, avec un<br />
chanteur nommé Pascal Obispo…<br />
F. D. : Avec Octobre, nous avons<br />
enregistré deux albums avec deux<br />
chanteurs différents, dont Patrick<br />
Vidal, ex-Marie et les Garçons.<br />
Nous avons même joué en première<br />
partie de David Bowie, à l’hippodrome<br />
d’Auteuil, en juin 1983. Puis<br />
j’ai créé Senso, deux albums aussi,<br />
dont un avec Pascal Obispo : il était<br />
bassiste à l’époque, une sorte de<br />
“J’AIMAIS BIEN LE<br />
MESSAGE PUNK :<br />
RÉINVENTER<br />
SON AVENIR,<br />
TOUT CASSER ET<br />
RECOMMENCER.”<br />
rocker sophistiqué qui écoutait<br />
David Sylvian et Sakamoto. Un<br />
jour de répétition, il nous a fait une<br />
imitation très réussie d’Yves<br />
Montand et je lui ai proposé de<br />
prendre le micro. C’est ce jour-là<br />
qu’il est devenu chanteur. Le<br />
disque n’est sorti qu’à mille exemplaires<br />
et est passé assez inaperçu.<br />
Mais j’ai été l’éditeur de son premier<br />
album solo, ce qui a amélioré<br />
mon ordinaire…<br />
Comment avez-vous été amené à<br />
collaborer avec Étienne Daho ?<br />
F. D. : J’ai commencé à travailler sur<br />
ses premières maquettes, comme<br />
musicien, arrangeur et co-compositeur.<br />
Comme le premier album,<br />
Mythomane, n’avait pas vraiment<br />
marché, on lui a demandé d’enregistrer<br />
ensuite un maxi-single. On<br />
a fait “Le Grand Sommeil” avec<br />
trois francs six sous et ça a été le<br />
premier tube radio d’Étienne. Du<br />
coup, j’ai produit l’album suivant<br />
La Notte, la Notte, en 1984, qui a<br />
été disque d’or. Puis le titre “Tombé<br />
pour la France”. Les groupes commençaient<br />
à me lasser, j’étais ravi<br />
de me lancer dans la production.<br />
Ensuite, je suis parti pour le<br />
Portugal où j’ai travaillé dix ans,<br />
essentiellement avec un artiste très<br />
populaire là-bas, Paulo Gonzo,<br />
dont j’ai produit cinq albums.<br />
Après le Portugal, vous devenez<br />
militant autonomiste breton. Un<br />
retour aux sources ?<br />
F. D. : Je suis né à Loudéac, au cœur<br />
du pays breton, mais je me sentais<br />
plutôt européen. J’avais un grandpère<br />
qui militait pour la défense de<br />
la langue bretonne et un jour, je<br />
suis tombé sur une caisse de livres<br />
qui lui appartenaient. Ça a été un<br />
choc terrible. Je me suis rendu<br />
compte que tout ce que j’avais<br />
appris à l’école n’avait rien à voir<br />
avec l’histoire du lieu où je vivais,<br />
que le roman national français a<br />
complètement occultée. Plus tard,<br />
j’ai participé aux élections municipales<br />
de 2008 avec le Parti Breton<br />
et je suis devenu collaborateur politique<br />
à la mairie de Rennes pendant<br />
trois ans. En 2014, j’ai fait<br />
partie de la liste de Breizh Europa,<br />
un micro-parti qui milite pour une<br />
citoyenneté bretonne et européenne.<br />
Nous avons fait 3,8 %, ce<br />
qui n’était jamais arrivé. Aux prochaines<br />
municipales, je serai tête<br />
de liste à Rennes.<br />
La musique, la politique, l’écriture…<br />
C’est quoi le lien dans tout ça ?<br />
F. D. : Dans ma vie, j’ai fait plein de<br />
petits boulots : carreleur en<br />
Bretagne, livreur de perruques à<br />
Manhattan, régisseur en Chine,<br />
marchand de tableaux sur<br />
Internet, importateur de guitares<br />
vintage… Mais j’ai compris assez<br />
vite que la musique permettait de<br />
se construire une vie différente.<br />
L’écriture et le militantisme en<br />
font pleinement partie. Le tout<br />
est que cela dure le plus longtemps<br />
possible…<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 31
ANNIVERSAIRE<br />
Chroniques sous influence<br />
e<br />
De l’apologie du psychédélisme aux enquêtes sur les abus de la lutte antidrogue,<br />
<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> aura étudié de nombreux aspects de la relation complexe<br />
que les États-Unis ont toujours entretenue avec les stupéfiants. Par DAVID BROWNE<br />
En octobre 1967, alors que le<br />
premier numéro de <strong>Rolling</strong><br />
<strong>Stone</strong> est sur le point de sortir,<br />
la petite équipe du magazine<br />
apprend une nouvelle incroyable<br />
: des membres du Grateful Dead<br />
viennent d’être arrêtés pour détention de<br />
marijuana dans la maison où ils habitent<br />
en communauté dans le quartier de<br />
Haight-Ashbury à San Francisco, à<br />
quelques kilomètres seulement des bureaux<br />
de la rédaction. “C’était vraiment<br />
bizarre”, se souvient le photographe en<br />
chef Baron Wolman. “Le bureau des cautions<br />
était juste à côté de nos locaux, alors<br />
j’y suis allé. Ils étaient en train de payer la<br />
leur.” Jann S. Wenner, fondateur et rédacteur<br />
en chef du magazine, demande alors<br />
à Wolman de pendre un cliché du groupe,<br />
qu’il accompagnera, pour le premier numéro,<br />
d’un article décrivant huit agents de<br />
la brigade des stupéfiants qui “n’avaient<br />
pas de mandat et sont entrés dans la maison<br />
par effraction alors qu’on leur en avait<br />
refusé l’accès.”<br />
À cette époque, cela fait déjà longtemps<br />
que le rock’n’roll et la drogue sont indissociables. Les Beatles et Bob<br />
Dylan parlent de la liberté créatrice que permet l’usage des drogues<br />
psychédéliques ; les fans se roulent des joints sur les pochettes<br />
d’albums et planent en écoutant Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club<br />
Band et Blonde on Blonde. Il n’y a donc rien d’étonnant au fait que,<br />
dès ses débuts, le magazine parle de drogue. “<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> était issu<br />
de la culture de la drogue, explique Wenner. En parler faisait partie<br />
de notre mission, qui consistait à couvrir tous les aspects de la culture<br />
de la génération des baby-boomers.” Un des premiers numéros promet<br />
“QUARANTE PAGES PLEINES DE DROGUES, DE SEXE ET<br />
DE SENSATIONS À PAS CHER”. Une rubrique “Came” propose des<br />
conseils et des infos, par exemple sur la tentative de légalisation de<br />
l’herbe au Canada. Le cinquième numéro du magazine s’accompagne<br />
d’un cadeau d’abonnement assez gonflé : une pince à joint (“Ce petit<br />
gadget bien pratique est à vous pour rien ! Profitez-en maintenant,<br />
avant que cette offre ne soit plus légale !”) Dans les pages du magazine,<br />
les rockers parlent librement de marijuana ou en fument<br />
pendant les interviews. “<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> a été l’un des premiers endroits<br />
où les gens ont avoué sans détour qu’ils fumaient de l’herbe”,<br />
raconte Robert Greenfield, alors correspondant du magazine à<br />
Londres, et qui réalisera un peu plus tard une interview du roi du<br />
LSD et technicien du son Owsley Stanley. “Les gens comme Timothy<br />
Leary se faisaient incarcérer parce qu’ils fumaient de l’herbe. Mais<br />
à <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>, il y avait des gens qui osaient parler de ce que c’était<br />
que planer, ce qui était assez courageux à l’époque.”<br />
Un drôle de trip<br />
À gauche : Les Grateful Dead et leurs amis devant leur maison<br />
de Haight-Ashbury juste après leur arrestation pour détention<br />
et usage de marijuana, en 1967. Le récit de l’arrestation, écrit<br />
par Jann Wenner, paraîtra dans le premier numéro du magazine.<br />
Ci-dessus : publicité de <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> en 1968 pour un porte-joint<br />
offert aux abonnés.<br />
Mais les articles sur la drogue ne sont pas toujours aussi légers. “Nous<br />
voulions en parler de manière responsable, explique Jann S. Wenner.<br />
Il fallait être honnête sur les aspects ludiques, mais également sur les<br />
dangers.” Basé sur des questionnaires fournis aux troupes américaines<br />
postées à travers le monde, l’article du journaliste Charles Perry “Estce<br />
bien ainsi qu’on doit faire marcher l’armée : défoncée ?”, qui paraît<br />
en 1968, explore l’utilisation de l’herbe par les soldats au Viêtnam.<br />
“L’armée a retiré des centaines de milliers d’étudiants de l’école pour<br />
les larguer dans ce qui ressemble au paradis de la marijuana, écrit<br />
alors Charles Perry. Au Viêtnam, on peut l’acheter déjà roulée sous<br />
forme de cigarette en paquet de dix (200 par cartouche) et le paquet<br />
coûte un dollar.”<br />
Au même moment, aux États-Unis, l’administration Nixon est sur le<br />
point de déclencher une autre guerre, cette fois contre ses propres<br />
concitoyens. En 1971, le président lance une “attaque à grande échelle<br />
contre le problème de la drogue en Amérique” en fondant la Drug<br />
Enforcement Administration (DEA, l’Agence américaine antidrogue).<br />
Dans un article en deux épisodes paru en 1972, intitulé “L’étrange<br />
affaire de la mafia hippie”, le journaliste Joe Eszterhas raconte comment<br />
la Fraternité de l’amour éternel, une communauté hippie installée<br />
en Californie, est harcelée par la justice locale, qui considère les<br />
© GETTY IMAGES. DR.<br />
32 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
© DR.<br />
membres comme une “Cosa Nostra en jeans”. Lors d’une descente,<br />
les autorités ne saisiront qu’une balance, une lettre qui “parle d’un<br />
individu qui utilise de la marijuana” et “une pince à joint contenant<br />
des résidus de marijuana.” Eszterhas explique : “Le pays était divisé<br />
en deux camps bien distincts, et la Fraternité est devenue un exemple<br />
de cette guerre rangée.” Il poursuit : “À cette époque, à Laguna Beach,<br />
c’était la guerre entre les résidents normaux et ceux qui avaient les<br />
cheveux longs, une guerre parfois mortelle.”<br />
Le magazine se lance également dans des enquêtes sur les côtés les<br />
plus sombres de l’abus de stupéfiants, dont des articles sur l’augmentation<br />
de l’utilisation de la cocaïne, de l’héroïne et des Quaaludes.<br />
“Nous prenions bien soin de représenter les aspects négatifs de la question,<br />
précise Wenner. Très tôt, nous avons pris le parti de dire que les<br />
drogues dures étaient mauvaises.”<br />
En 1980, dans un article très dur<br />
sur la propagation de la prise de<br />
cocaïne, Perry décrit comment un<br />
utilisateur “s’est persuadé qu’il<br />
pouvait voir des ‘anticorps noirs’<br />
dans son tissu musculaire qui<br />
faisaient sortir de dangereux vers<br />
blancs de sa peau. Après avoir<br />
examiné les anticorps et les vers<br />
avec un microscope, il a extirpé les<br />
‘vers’ de sa peau avec une aiguille<br />
et une pince à épiler, puis les a<br />
stockés dans des flacons pour les<br />
examiner.” En 1983, l’article<br />
d’Anthony Haden-Guest “Les<br />
jeunes, les riches et l’héroïne”<br />
brosse un portrait<br />
sordide de l’augmentation<br />
de l’utilisation de la<br />
poudre dans l’ère Reagan,<br />
pourrie par l’argent.<br />
Un an plus tôt, Reagan a<br />
donné un coup de jeune<br />
au programme antidrogue<br />
du gouvernement.<br />
La loi de 1986<br />
(Anti-Drug Abuse Act)<br />
2<br />
instaure de nouvelles<br />
condamnations minimums<br />
obligatoires, dont<br />
certaines sont très différentes<br />
selon les États en ce qui concerne la<br />
possession de crack et de cocaïne. Au cours<br />
de la décennie suivante, le nombre de personnes<br />
incarcérées pour des délits liés à la<br />
drogue sera multiplié par six, atteignant<br />
presque 300 000. Dans un édito de 1990,<br />
Wenner décrit la lutte antidrogue comme<br />
“notre prochain Viêtnam” et écrit que “malgré<br />
des décennies d’interdiction et d’efforts<br />
pour faire respecter la loi qui ont coûté des<br />
milliards de dollars, il y a plus de drogue et<br />
de sang dans la rue que jamais.” En 1992, dans son article intitulé<br />
“L’affaire Gary Fannon”, Mike Sager raconte comment un jeune de<br />
18 ans originaire du Michigan a été condamné à la perpétuité pour<br />
avoir organisé une vente de cocaïne avec un policier sous couverture.<br />
Le magazine soutiendra ouvertement la demande de libération de<br />
Fannon et, en 1996, un jugement reconnaîtra l’incitation au crime.<br />
Pour un numéro spécial en 1994, Wenner engage Ethan Nadelmann,<br />
le fondateur de la Drug Policy Alliance, pour coécrire l’article de<br />
couverture réclamant une “nouvelle politique sur la drogue” qui<br />
décriminaliserait les petites quantités d’herbe et permettrait qu’on<br />
“arrête de remplir nos prisons avec des petits dealers et des utilisateurs<br />
malchanceux.” Pour Nadelmann, “c’était très important de faire<br />
1<br />
Covering the Drug Culture<br />
1. Un article paru en 2010 passe<br />
en revue l’économie de l’herbe aux USA.<br />
2. Couverture d’un numéro spécial<br />
de 1994. 3. Un article de 2007 analyse<br />
les échecs retentissants de la lutte<br />
antidrogue.<br />
ce numéro spécial sur la politique en matière de drogue.” Il s’attarde<br />
un instant sur la couverture du magazine, ornée du titre très sérieux<br />
“DROGUES EN AMÉRIQUE” : “Voilà que cette publication dédiée<br />
aux arts et à la musique ne choisissait pas de mettre une star à la<br />
une, mais des mots pour parler de la lutte antidrogue.”<br />
En 15 000 mots, l’article écrit en 2007 par Benjamin Wallace-Wells,<br />
“Comment l’Amérique a perdu la guerre contre la drogue”, passera<br />
en revue trente-cinq ans de gaspillage fiscal, soulignant en particulier<br />
les excès du budget annuel de 12 milliards de dollars alloué à ce<br />
dossier par l’administration de George W. Bush : “Des avions de<br />
chasse pour s’attaquer aux cartels de la drogue colombiens, des sousmarins<br />
pour poursuivre les bateaux des trafiquants de cocaïne dans<br />
les Caraïbes… L’Amérique vaincrait ses ennemis à coup de torpilles<br />
et de F-16.” Pourtant, comme<br />
le fait remarquer le journaliste<br />
Tim Dickinson dans<br />
son article “Pourquoi l’Amérique<br />
ne peut pas abandonner<br />
la lutte antidrogue” paru<br />
l’an passé, “l’infrastructure<br />
profonde de la lutte antidrogue<br />
n’a fondamentalement<br />
pas changé sous<br />
Obama”, qui a entre autres<br />
augmenté les budgets alloués<br />
à l’application des lois<br />
antidrogue. Comme Dickinson<br />
le dit : “Nous n’avons<br />
jamais eu peur de faire remarquer<br />
la stupidité de la<br />
lutte antidrogue.”<br />
Dickinson rappelle également<br />
la suspicion avec laquelle<br />
le cannabis thérapeutique<br />
a d’abord été reçu : “Les reporters<br />
de la côte Est pensaient que tous<br />
ceux qui voulaient utiliser le cannabis<br />
thérapeutique étaient des<br />
hippies qui tentaient de rouler les<br />
gens.” Mais l’article<br />
3<br />
“Marijuanamerica” de<br />
Mark Binelli, paru<br />
en 2010, montre comment<br />
la marijuana médicale est<br />
devenue une force économique,<br />
et décrit “un moment<br />
clé, charnière”, une<br />
drôle de rencontre entre<br />
“des hors-la-loi vertueux<br />
et des dealers droits dans<br />
leurs bottes, des marginaux<br />
consciencieux et des<br />
affreux armés jusqu’aux<br />
dents, qui doivent tous à<br />
présent adapter leurs<br />
compétences à un paysage économique et juridique en perpétuelle<br />
évolution.”<br />
La marijuana thérapeutique est désormais légale dans vingtneuf<br />
États et huit États, ainsi que le District of Columbia autorisent<br />
l’usage récréatif du cannabis. “Ce monde est différent de celui dans<br />
lequel nous avons grandi, commente Dickinson. Aujourd’hui, il y a<br />
une pharmacie, une épicerie et un dispensaire dans chaque centre<br />
commercial.” Et alors que Donald Trump et son procureur général Jeff<br />
Sessions expriment le désir de revenir aux jours les plus durs de la lutte<br />
antidrogue, Dickinson conclut : “Observons où cela nous mènera. Nous<br />
devons rester vigilants.” Comme le dit Wenner : “Nous avons fait notre<br />
travail, et nos lecteurs sont avec nous.”<br />
TRADUCTION ET ADAPTATION DE KATHLEEN AUBERT<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 33
NICE GUYS<br />
Une œuvre prolifique,<br />
une pop inspirante,<br />
le duo étincelle toujours.
ROCK & ROLL<br />
Sparks forever !<br />
Une pop intemporelle et à forte personnalité : avec ce nouvel album, Hippopotamus,<br />
le duo prouve qu’il a toujours beaucoup de choses à dire. Rencontre. Par Sophie Rosemont<br />
© ELAINE STOCKI<br />
D<br />
isons-le honnêtement,<br />
on ne pensait pas les<br />
retrouver aussi vite. En<br />
effet, les frères Russell<br />
et Ron Mael nous avaient épatés<br />
lors de leur collaboration avec<br />
Franz Ferdinand, en 2015. Le fruit<br />
de leur travail, FFS, était un disque<br />
de rock parfaitement contemporain,<br />
sautillant et alternatif à la<br />
fois. Lors de la tournée mondiale<br />
qui avait suivi, les Sparks s’étaient<br />
montrés en très grande forme,<br />
mais on n’osait penser les revoir si<br />
vite. Même si ce sont ces mêmes<br />
concerts qui les ont incités à<br />
remettre le couvert ! “Dès le début,<br />
nous avons été très excités par ce<br />
nouvel album, explique Russell<br />
Mael. C’est rare d’avoir l’occasion<br />
de sortir autant de chansons en<br />
une seule vie, de trouver la force de<br />
se réinventer et d’avoir encore un<br />
mot à dire à notre âge, alors nous<br />
en profitons !”<br />
Nous sommes dans la suite d’un<br />
hôtel du centre parisien. Chic,<br />
mais pas branché. Calme, mais<br />
pas morose. On retrouve là la discrétion<br />
des Sparks… Même si eux<br />
restent reconnaissables entre<br />
mille. Ron, sa fine moustache, sa<br />
cravate et sa coiffure impeccablement<br />
plaquée. Russell et sa chevelure<br />
ébouriffée, son style plus<br />
décontracté et ses chaussettes de<br />
couleur. Tous deux ont respectivement<br />
71 et 68 ans mais ne les font<br />
pas, même de près – sans doute<br />
grâce à l’air pur californien dans<br />
lequel ils baignent depuis leur<br />
naissance à Los Angeles. Là où ils<br />
écoutaient, enfants, les Kinks,<br />
Pink Floyd ou les Who. Dès le<br />
début des années 1970, alors qu’ils<br />
étudient le théâtre et le cinéma à<br />
l’UCLA, ils écrivent leurs propres<br />
morceaux. D’abord sous le nom<br />
d’Halfnelson, produit par Todd<br />
Rundgren, mais sans grand succès,<br />
puis en tant que Sparks. C’est<br />
avec Kimono My House, en 1974,<br />
enregistré avec des musiciens londoniens,<br />
que les frères Mael<br />
percent véritablement – “This<br />
Town Ain’t Big Enough for Both<br />
of Us” est un tube dont personne<br />
ne s’est vraiment remis. Depuis,<br />
leur bonne réputation n’a jamais<br />
terni et ils ont réussi à passer du<br />
glam à l’art rock et à une drôle<br />
d’électro-pop, avec l’aide de<br />
Giorgio Moroder. En 2006, Hello<br />
Young Lovers témoignait encore<br />
de leur inspiration sans cesse<br />
renouvelée, tout comme leur<br />
comédie musicale consacrée à<br />
Ingmar Bergman. Aujourd’hui,<br />
tout le gratin de la scène pop<br />
contemporaine se réclame d’eux,<br />
d’Arcade Fire à MGMT.<br />
Le secret d’un tel engouement : leur<br />
sens de la mélodie, assorti d’une<br />
rigueur presque étonnante dans le<br />
milieu de la pop. “Hormis l’exception<br />
FFS, nous produisons notre<br />
musique nous-mêmes, précise<br />
Ron. Tout est plutôt cloisonné,<br />
cadré, encapsulé et rassurant.<br />
Notre son est singulier, nous y<br />
tenons beaucoup et préférons ne<br />
pas le laisser à quelqu’un d’autre !”<br />
Le but est d’emporter l’auditeur<br />
ailleurs que chez lui, sans le perdre<br />
en route. Dixit Russell, “ce serait<br />
prétentieux de notre part de parler<br />
de libération des esprits. Cependant,<br />
la pop possède quelque chose<br />
que les autres genres n’ont pas :<br />
plonger dans un état d’esprit, une<br />
ambiance à part.” Enfin, l’esthétique<br />
des Sparks est sans aucun<br />
doute leur point fort. Leur<br />
influence cinématographique est<br />
évidente : les deux frères dévorent<br />
des films depuis leur plus jeune âge<br />
et planchent actuellement sur un<br />
projet avec Leos Carax, qui intervient<br />
sur la chanson “When You’re<br />
a French Director”. “Nous l’avons<br />
récemment rencontré à Cannes. Il<br />
avait utilisé une de nos chansons<br />
dans Holy Motors, ‘How Are You<br />
Getting Home?’, raconte Russell.<br />
ROCK, ROCK, ROCK<br />
Depuis leurs débuts,<br />
les Sparks cultivent<br />
une esthétique à part.<br />
“LA CHANSON EST UN MOYEN LUDIQUE<br />
DE PARLER DE NOS CONGÉNÈRES, AVEC<br />
TOUT LE RESPECT QU’ON LEUR DOIT.”<br />
Nous avons réfléchi à un projet<br />
commun de film, qui se nourrisse<br />
à la fois de nos paroles et de son<br />
expérience personnelle. Ce sera<br />
pour Leos son premier film en<br />
anglais et à gros budget, le tournage<br />
devrait se faire en début d’année<br />
prochaine et nous avons hâte<br />
de voir le résultat !” Nous aussi. En<br />
attendant, on les verra sur la scène<br />
de la Cigale pour les 30 ans de la<br />
salle parisienne, invités par<br />
Catherine Ringer. Depuis leur hit<br />
avec les Rita Mitsouko, “Singing in<br />
the Shower” (en 1988), ils sont restés<br />
très amis. Un peu comme la<br />
plupart des gens qui croisent le<br />
chemin des frères Mael. En particulier<br />
en France, où leur public<br />
leur est acquis depuis des années.<br />
Ce n’est pas un hasard s’ils citent<br />
Édith Piaf dans l’un de leurs nouveaux<br />
titres, “Édith Piaf (Said It<br />
Better Than Me)” : ils ne regrettent<br />
rien, affirment-ils.<br />
Mais ce qui ressort le plus souvent<br />
des morceaux des Sparks, c’est leur<br />
profonde affection pour l’être<br />
humain dans les grandes largeurs.<br />
En le mettant en scène dans des<br />
situations banales (un intérieur au<br />
style suédois dans “ Scandinavian<br />
Design”, au lit avec sa dulcinée<br />
avec “The Missionary Position”) ou<br />
insolite (sur un plateau de cinéma<br />
dans “When You’re a French<br />
Director”, face à une piscine squattée<br />
par un hippopotame dans<br />
“ Hippopotamus”), c’est lui le héros,<br />
quoi qu’il arrive. “La chanson est<br />
un moyen très ludique de parler de<br />
nos congénères avec tout le respect<br />
qu’on leur doit”, confirme Russell<br />
Mael. Sur “What the Hell Is It This<br />
Time?”, en revanche, ils interrogent<br />
indirectement le rapport à<br />
Dieu. Sont-ils croyants ? “C’est rassurant<br />
de penser qu’il peut y avoir<br />
quelque chose, aussi abstrait que<br />
cela puisse être. Ce qui est embêtant,<br />
c’est de ne pas pouvoir faire<br />
appel à Dieu pour des broutilles,<br />
attendre les drames pour le supplier<br />
de nous venir en aide”, sourit<br />
Ron. “Je suis plus attiré par le<br />
bouddhisme et le shintoïsme : la<br />
présence divine compte, elle peut<br />
d’ailleurs se décliner au pluriel,<br />
mais elle régit le quotidien des<br />
hommes avec plus de subtilité”,<br />
répond Russell. En tout cas, leur<br />
spiritualité transperce à travers<br />
leurs textes poétiques jonglant<br />
entre métaphore et pragmatisme,<br />
parlant ainsi à toutes les générations.<br />
C’est le souhait le plus cher<br />
des Sparks, comme l’exprime<br />
Russell : “Notre rêve, ce serait<br />
qu’un jeune écoute Hippopotamus<br />
et se demande pourquoi il n’a pas<br />
acheté nos précédents disques !”<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 35
Q&R<br />
ICONIQUE<br />
La légende de la country<br />
a multiplié les récompenses<br />
tout au long de sa carrière.<br />
Emmylou Harris<br />
Roy, Bob, Neil, Gram, Rodney, Paul, Steve, Townes…<br />
Elle les aura tous chantés et rencontrés. Et surtout, partagé le micro avec eux.<br />
Orbison, Dylan, Parsons, Crowell, Simon, Earle ou Van Zandt…<br />
Les plus grands songwriters américains ont offert un écrin à sa voix magique. Rencontre.<br />
Propos recueillis par Stan Cuesta<br />
Se retrouver au milieu de<br />
nulle part, à Craponne-sur-<br />
Arzon, en Auvergne, pour<br />
une interview exclusive<br />
d’ Emmylou Harris, a quelque chose<br />
de surréaliste et de très émouvant.<br />
Elle est là pour le Country Rendez-<br />
Vous, seule date française de sa<br />
tournée européenne. On y découvre<br />
une grande dame, belle, chaleureuse,<br />
franche, ouverte, drôle. Elle<br />
n’a rien à vendre, nous non plus.<br />
Tant mieux. C’est dans ces cas-là<br />
que la magie opère…<br />
Les Français ont une vision très<br />
romantique de votre association avec<br />
Gram Parsons… Cela vous ennuie ?<br />
Emmylou Harris : Oh ! c’est le cas de<br />
tout le monde. Ça ne me dérange<br />
plus. Mais pourquoi sommesnous<br />
tant obsédés par le romantisme<br />
lié au fait de mourir jeune ?<br />
Vous pensez que c’est pour ça ?<br />
E. H. : Bien sûr, parce qu’il est beaucoup<br />
plus difficile de vieillir. C’est<br />
une telle tragédie que sa vie ait<br />
été si courte. Évidemment,<br />
j’aurais aimé qu’il vive, que l’on ait<br />
la possibilité d’avoir une longue<br />
amitié, peut-être même une histoire<br />
d’amour, parce qu’il est mort<br />
avant que ça puisse arriver… Mais<br />
il m’a tellement donné, dans ma<br />
vie, dans ma musique. Pas seulement<br />
pour l’étape que j’ai franchie<br />
dans ma carrière, en étant connue<br />
à travers lui, mais pour les gens<br />
dont j’ai hérité, son merveilleux<br />
manager, la façon dont on a prêté<br />
attention à ce que je faisais, même<br />
si j’étais en train d’apprendre et de<br />
grandir sans lui. J’ai essayé de<br />
parler de tout ça dans cette chanson,<br />
“The Road”.<br />
Vous avez atteint très tôt une sorte<br />
d’état de grâce avec lui, il y avait<br />
quelque chose de magique entre<br />
vous…<br />
E. H. : J’étais une sorte de folksinger,<br />
j’ai eu la chance de partir sur<br />
la route et de faire un disque,<br />
mais en chemin, j’ai appris, je suis<br />
devenue une vraie chanteuse, j’ai<br />
trouvé ma voie en chantant en<br />
© JACK SPENCER<br />
36 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
© DR/NONESUCH/GETTY IMAGES<br />
harmonie avec Gram. Grâce à lui,<br />
j’ai compris la vraie beauté de la<br />
country music dans ce qu’elle a de<br />
meilleur : des paroles simples, la<br />
tournure d’une phrase, la concision…<br />
Ensuite, bien sûr, j’ai dû<br />
devenir une artiste à part entière,<br />
et j’ai eu la chance d’avoir à mes<br />
côtés des gens comme Rodney<br />
Crowell, de merveilleux musiciens,<br />
de super- producteurs, qui<br />
m’ont permis d’être inspirée… audelà<br />
de Gram. Mais je n’essaierai<br />
certainement<br />
jamais de minimiser l’importance<br />
de son irruption<br />
dans ma vie.<br />
Et vous avez joué avec ses<br />
musiciens…<br />
E. H. : Ensuite, oui, quand la<br />
maison de disques a décidé<br />
que j’avais quelque chose, à<br />
ma grande surprise, ils<br />
m’ont dit : “Prenons le<br />
groupe qui a enregistré ces<br />
deux albums avec Gram.”<br />
C’était essentiellement les<br />
musiciens qui avaient travaillé<br />
avec Elvis : Glen D.<br />
Hardin, James Burton,<br />
Emory Gordy Jr., et John<br />
Ware, des Bellamy Bothers.<br />
Mais je pense que les jokers<br />
ont été Rodney et Hank<br />
DeVito. Tous les trois, nous<br />
étions plus jeunes et apportions<br />
une sensibilité rock.<br />
Rodney était venu à la<br />
country music de façon très<br />
organique : à 10 ans, il jouait<br />
de la batterie avec le groupe<br />
de son père dans les honky<br />
tonks de Houston. Hank et<br />
moi étions plutôt des sortes<br />
de convertis de la côte Est.<br />
Le dernier album de Rodney<br />
Crowell est magnifique…<br />
E. H. : Oh, oui ! Il y a cette<br />
chanson, “Nashville 1972”,<br />
que j’adore. Et l’hommage à<br />
Susanna Clark, bien sûr…<br />
Elle a été tellement importante<br />
pour notre petite<br />
famille. Elle écrivait des<br />
chansons et elle peignait, mais<br />
son esprit, son humour, sa façon<br />
d’habiter le monde… Elle a été<br />
très importante pour Rodney et<br />
moi, et évidemment pour Guy.<br />
En parlant des songwriters que vous<br />
avez chantés, l’un des plus grands est<br />
probablement Townes Van Zandt…<br />
E. H. : J’ai rencontré Townes quand<br />
j’étais une folksinger dans la<br />
galère à New York, une sorte<br />
d’aspirante Joan Baez… Je faisais<br />
la première partie de tous ceux<br />
qui jouaient à Gerde’s Folk City,<br />
qui était l’endroit où tout le<br />
monde passait. C’était extraordinaire<br />
de l’entendre et de le voir…<br />
Il avait vraiment quelque chose.<br />
Je n’avais jamais vraiment<br />
entendu ce genre de paroles chantées<br />
avec ce gémissement hanté à<br />
la Hank Williams. Plus tard, on<br />
est entré en contact par l’intermédiaire<br />
de Guy et Susanna Clark.<br />
C’est intéressant de voir comment<br />
les vies des gens se croisent.<br />
Vous avez travaillé avec les plus<br />
grands. Lequel vous a le plus<br />
impressionnée ?<br />
E. H. : C’était un peu intimidant de<br />
chanter avec Roy Orbison… Un<br />
peu. (Rire.) Mais quel homme<br />
charmant ! Adorable. Et, bien sûr,<br />
Bob Dylan.<br />
Il vous a approchée ?<br />
E. H. : Il ne m’a pas approchée. Je<br />
ne pense pas que Bob approche<br />
qui que ce soit ! (Rire.) C’est son<br />
producteur exécutif qui m’a dit :<br />
“Bob veut une chanteuse pour<br />
faire des harmonies.” Mon ego<br />
m’a fait croire qu’il m’avait entendue<br />
et qu’il me voulait, moi. Mais<br />
il voulait juste une fille ! Je n’étais<br />
qu’une couleur de plus… sur sa<br />
toile. Ce qui était génial, en un<br />
ANGEL BAND<br />
Une guitare,<br />
une voix et la<br />
magie opère.<br />
“GRÂCE À GRAM PARSONS,<br />
J’AI COMPRIS LA VRAIE BEAUTÉ<br />
DE LA COUNTRY MUSIC DANS<br />
CE QU’ELLE A DE MEILLEUR.”<br />
sens, parce que je me suis pointée,<br />
on s’est dit bonjour, on s’est<br />
mis devant le micro avec les<br />
paroles – au moins j’avais les<br />
paroles ! – et on a commencé à<br />
chanter. Il n’y a eu aucun travail<br />
sur les chansons, aucun peaufinage,<br />
on faisait une prise et<br />
c’était bon. Tu te mets dans cet<br />
état d’esprit : OK, voilà la chanson,<br />
je dois suivre Bob. Tu ne<br />
penses pas : Je chante avec Bob<br />
Dylan ! Tu y penses avant, et tu y<br />
penses après. J’étais toujours<br />
inquiète de la justesse sur telle<br />
chanson, etc. Mais Bob vit dans<br />
l’instant, tu dois faire pareil.<br />
Cet album, Desire, est un chefd’œuvre.<br />
Reprenez-vous parfois ces<br />
chansons ?<br />
E. H. : Non. J’ai juste fait “Oh,<br />
Sister” avec Dave Matthews. J’ai<br />
fait quelques dates avec lui, il<br />
l’adore, moi aussi, alors on<br />
l’a répétée et j’ai beaucoup<br />
aimé la faire avec lui. Mais<br />
fondamentalement, je ne<br />
les ai jamais travaillées, ce<br />
sont les chansons de Bob…<br />
Sinon, je fais “Every Grain<br />
of Sand”, bien sûr, que<br />
j’adore.<br />
Et Neil Young ?<br />
E. H. : Neil Young est probablement<br />
mon artiste préféré,<br />
pour la façon dont il<br />
suit sa muse, même quand<br />
elle l’entraîne dans le fossé !<br />
J’adore tous ses disques.<br />
Bon, Trans, c’était un peu<br />
dur de rentrer dedans,<br />
mais je le respecte, parce<br />
que ça avait à voir avec son<br />
fils, les ordinateurs, etc. Et<br />
puis c’est quelqu’un qui<br />
s’occupe de justice sociale.<br />
Ce qu’il a fait avec Willie<br />
[Nelson], avec les concerts<br />
caritatifs de Bridge School,<br />
le fait qu’il ait sauvé Lionel<br />
Trains (il a racheté une<br />
partie de cette société de<br />
trains miniatures, ndlr)…<br />
C’est un Américain vraiment<br />
extraordinaire… pour<br />
un Canadien ! Et c’est un<br />
homme délicieux. Il a eu la<br />
générosité de venir chanter<br />
sur mon album Wrecking<br />
Ball. Il y a tant d’artistes<br />
que j’aime, dont la musique<br />
m’inspire.<br />
Justement, avec quels<br />
artistes rêveriez-vous encore<br />
de travailler ?<br />
E. H. : J’aurais aimé enregistrer<br />
avec Merle Haggard avant sa<br />
mort. Je suis sûre qu’il y en a<br />
d’autres. Mais j’ai chanté avec<br />
tant de gens ! Avec Joan Baez – on<br />
a fait un concert de charité<br />
ensemble –, avec Jackson Browne,<br />
il y a quelques années. Oui, j’ai<br />
quasiment chanté avec tous les<br />
artistes que je connais… Et même<br />
avec quelques-uns que je ne<br />
connais pas !<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 37
PHOTO<br />
BLACK & WHITE<br />
La photographe<br />
française a capturé<br />
dans son objectif les<br />
plus grands noms du<br />
rock international.<br />
Carole Epinette<br />
Le rock dans le fond des yeux<br />
Après le Pays basque et la Suisse, son exposition Rock Is Dead pose ses bagages,<br />
et surtout ses photos, à Paris.<br />
Par Xavier Bonnet<br />
Bientôt un quart de<br />
siècle qu’elle trimballe<br />
d’une séance à un<br />
concert ses boîtiers, objectifs,<br />
lumières, trépied, quitte<br />
parfois à plier sous leur poids.<br />
Bien longtemps qu’on n’énumère<br />
plus les publications – <strong>Rolling</strong><br />
<strong>Stone</strong> compris – qui ont accueilli<br />
ses photos. Une exposition de ses<br />
clichés ? L’envie était là depuis<br />
longtemps, mais elle se trouvait<br />
toujours une raison (pas forcément<br />
bonne) pour ne pas franchir<br />
le pas. À commencer par le<br />
sempiternel “Pourquoi-moi-çava-intéresser-qui-bla-bla-bla…”<br />
On connaît la chanson. “Ce qui<br />
m’intéressait avant tout, c’était<br />
de les faire, ces photos, ponctuet-elle.<br />
Après, pour ce qui était de<br />
les montrer, il y avait les magazines<br />
auxquels je collaborais.<br />
Elles se montraient d’ellesmêmes,<br />
vivaient d’elles-mêmes,<br />
en quelque sorte.”<br />
Cette exposition existe désormais<br />
et va connaître sa troisième incarnation<br />
après Anglet, au Pays<br />
Basque, au printemps 2016 et<br />
Orbe, en Suisse, au début de cette<br />
année. Cette troisième mouture a<br />
été quelque peu réaménagée par<br />
rapport aux précédentes, dans la<br />
sélection comme dans le format<br />
– retravaillé – de certaines photos,<br />
mais fidèle à ce mélange d’images<br />
posées et live. Fidèle aussi à cette<br />
envie revendiquée de privilégier le<br />
noir et blanc, à une exception près<br />
(un cliché d’Iron Maiden) : “J’ai<br />
toujours adoré ça et je me suis<br />
toujours sentie frustrée que les<br />
magazines préfèrent quasi exclusivement<br />
la couleur, considérant<br />
souvent le noir et blanc comme<br />
‘trop vieux, ringard’. Personnellement,<br />
je trouve au noir et blanc<br />
une vraie classe. C’est aussi par<br />
goût personnel que j’opte souvent<br />
pour un noir et blanc très<br />
contrasté. J’ai toujours travaillé<br />
mes photos personnelles de cette<br />
manière et j’ai profité de l’exposition<br />
pour en faire de même avec<br />
celles que j’avais choisies pour<br />
l’occasion, y compris pour certaines<br />
photos qui avaient été publiées<br />
en couleur.”<br />
Le résultat est à la hauteur. Et<br />
qu’ils se nomment Lemmy<br />
Kilmister (Motörhead), Ozzy<br />
Osbourne, James Hetfield<br />
( Metallica), Marilyn Manson,<br />
David Bowie, James Brown, Amy<br />
Winehouse, Alain Bashung,<br />
Angus Young (AC/DC), Jack<br />
White (The White Stripes) et<br />
consorts – ils sont une vingtaine<br />
au total –, leurs expressions vous<br />
sautent au visage. “Un artiste rock<br />
a ceci de particulier à photographier<br />
qu’il est brut, explique<br />
Carole Epinette. C’est vrai quand<br />
il pose – la première motivation en<br />
vue de cette expo était d’ailleurs de<br />
me focaliser sur les gueules du<br />
rock –, mais aussi sur une scène où<br />
il joue souvent le jeu devant l’objectif,<br />
où il se donne à fond et où<br />
l’énergie est palpable. Le côté provocateur<br />
de la plupart d’entre eux<br />
m’attire également beaucoup.”<br />
Provocateur, le nom de l’exposition,<br />
Rock Is Dead, l’est tout autant.<br />
À dessein. La photographe le<br />
reconnaît, il est aussi, de manière<br />
sous-jacente, l’expression d’une<br />
certaine nostalgie : “Les conditions<br />
de travail des photographes<br />
musicaux ne favorisent plus de la<br />
même façon la complicité avec ces<br />
artistes. Mais mon but n’est surtout<br />
pas de dire ‘C’était mieux<br />
avant’, ce discours-là ne m’intéresse<br />
pas. Mais cela ne m’empêche<br />
pas de regretter que l’échange humain<br />
soit désormais de plus en<br />
plus contrôlé et restreint.”<br />
Rock Is Dead, 20 ans de photo rock –<br />
Carole Epinette. Du 31 août au 30 septembre,<br />
Galerie Stardust, 37, rue de Stalingrad,<br />
Le PréSaint-Gervais (93). Métro Hoche.<br />
À suivre sur Facebook.<br />
© CAROLE EPINETTE<br />
38 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
ROCK & ROLL<br />
NOUVEAUX ARTISTES<br />
Declan McKenna<br />
À peine majeur, ce jeune prodige anglais est parti pour conquérir le monde entier.<br />
L’evening standard parle de lui comme de “la voix de la génération<br />
z”. Certes, mais ce n’est pas tout. À 18 ans, Declan<br />
McKenna est un de ces petits prodiges du rock comme<br />
l’Angleterre sait si bien les concevoir. À 8 ans, il apprend la<br />
guitare, tout en écoutant David<br />
Bowie, les Strokes et Jeff Buckley.<br />
À 16 ans, après avoir enregistré<br />
des dizaines et des dizaines de<br />
chansons seul chez lui, il gagne le<br />
prix Emerging Talent du légendaire<br />
festival Glastonbury grâce<br />
à “Brazil”, qui évoque la corruption<br />
de la FIFA. C’est qu’il n’a pas<br />
la langue dans sa poche, le petit<br />
gars. Amateur de foot, il n’avait<br />
pas supporté que la dernière<br />
Coupe du monde soit autant viciée<br />
par l’argent. À 17 ans, il<br />
quitte l’école et part sur les routes<br />
britanniques et américaines défendre<br />
sa musique juvénile et<br />
engagée, où il est question de<br />
politique, d’environnement, de<br />
genre, d’attentats, des violences<br />
policières et de positionnement<br />
social. Bref, tout ce qui concerne<br />
la jeunesse d’aujourd’hui. Sachant piocher dans le punk sous influence<br />
ska des Clash comme dans la power pop plurielle de Vampire Weekend<br />
(Rostam Batmanglij a d’ailleurs coécrit et produit un morceau sur son<br />
disque), McKenna maîtrise les armes du rock’n’roll avec un naturel<br />
confondant et, surtout, un sens<br />
mélodique étonnamment abouti<br />
pour son âge. Il n’en faut pas plus<br />
pour qu’on le compare à Jake<br />
Bugg, autre jeune guitariste surdoué<br />
apparu il y a quelques années…<br />
Avec le penchant pour les<br />
joints d’herbe et la moue boudeuse<br />
en moins. Car Declan<br />
McKenna affiche déjà un style<br />
bien à lui, mis en valeur sur son<br />
premier album d’une pop plurielle<br />
mâtinée de rock et d’un on<br />
ne sait quoi de typiquement british.<br />
What do you think about the<br />
car? a été majoritairement produit<br />
par James Ford, qui a réalisé<br />
les albums de Foals, de Depeche<br />
Mode ou de l’un des groupes préférés<br />
de McKenna, les Arctic<br />
Monkeys. On lui souhaite le même<br />
destin.<br />
SOPHIE ROSEMONT<br />
Pale Seas<br />
Traversée mélodique en eaux claires.<br />
Originaire de Southampton, ce groupe a bousculé la scène indie rock<br />
anglaise en 2013 grâce à deux EP au charme ravageur. Puis silence<br />
radio. Séparation, dispute, manque d’inspiration ? Que nenni : Pale<br />
Seas a refusé les propositions alléchantes de nombre de labels pressés<br />
et s’est enfermé en studio, sur l’île de Wight, pendant deux ans pour<br />
peaufiner le premier album dont il rêvait. En résulte Stargazing for<br />
Beginners, impeccable condensé de guitares saturées et de mélodies<br />
romantiques servi par une production savante. S. R.<br />
© SANAA ABSTAKT ; ROCK TO THE BEAT<br />
Nova Twins<br />
Punkettes 2.1<br />
Découvertes sur la scène des Trans Musicales de Rennes en 2016, ces<br />
deux donzelles londoniennes s’illustrent sur un genre singulier et<br />
décoiffant qu’on appelle aussi l’urban punk. Amy Love et Georgia<br />
South ne lésinent ni sur les riffs agressifs ni sur un flow trempé dans<br />
l’acide. Après deux ans à tourner en Angleterre et en France, elles ont<br />
sorti un premier EP très remarqué avant l’été, en attendant un premier<br />
album qui promet de secouer, prévu pour l’automne. Oreilles<br />
sensibles s’abstenir, le girl power est en marche et fait du bruit ! S. R.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 39
Q&R<br />
Robin Campillo :<br />
“ Ce n’était pas juste un docu-drama sur Act Up ”<br />
120 battements par minute a été couronné du Grand Prix du dernier festival de Cannes.<br />
Rencontre avec son réalisateur. Par Sophie Rosemont<br />
Vous souvenez-vous de votre première<br />
réunion chez Act Up ?<br />
R. C. : Oui, j’ai eu droit à la même<br />
introduction que celle du film, avec<br />
la personne qui présente l’association<br />
: un groupe joyeux, tonique,<br />
avec des personnalités très fortes.<br />
Au début, on ne sent pas tout de<br />
suite les tensions, ni la maladie. En<br />
arrivant, on est si content d’avoir<br />
traversé dix ans de l’épidémie et de<br />
ne plus être seul… Didier Lestrade<br />
était président, il animait quasiment<br />
à lui tout seul les réunions, il<br />
était d’une drôlerie incroyable !<br />
Tout est vrai dans votre film ?<br />
R. C. : J’ai surtout utilisé des<br />
moments, des formules, des rires…<br />
J’ai instrumentalisé des éléments<br />
du réel pour nourrir la mécanique<br />
du film. Au début, les personnages<br />
parlent de choses sans qu’elles<br />
soient expliquées, mais, comme<br />
moi au début des réunions où la<br />
majorité du vocabulaire m’échappait,<br />
il faut suivre le rythme, et<br />
remonter le fil.<br />
Vous racontez une passion amoureuse<br />
très rapidement contaminée<br />
par la maladie…<br />
R. C. : C’est une romance très précaire,<br />
car ils se connaissent depuis<br />
peu et d’un seul coup, il faut devenir<br />
garde-malade. Dans la vraie<br />
vie, ça pouvait foirer. Quand Sean<br />
dit à Arnaud : “Désolé que ce soit<br />
tombé sur toi”, c’est aussi parce<br />
que cela aurait pu être un autre. Il<br />
n’y a qu’au cinéma qu’on croit que<br />
l’amour est tangible. Dans la réalité,<br />
c’est soumis à interrogations.<br />
Peut-être que si Sean avait été en<br />
bonne santé, ils se seraient séparés<br />
très vite. “On observe tous les jours<br />
l’inauthenticité des sentiments des<br />
homosexuels”, soutient le prêtre<br />
réactionnaire Tony Anatrella.<br />
Mais dans quel monde vit-il, où<br />
tout serait labellisé authentique ?<br />
Un reality show ?<br />
Comment avez-vous réagi face à<br />
l’accueil dithyrambique de Cannes ?<br />
R. C. : C’était bouleversant. J’ai<br />
cependant parfois eu le sentiment<br />
que l’émotion autorisait tout,<br />
comme cette chaîne qui avait couvert<br />
le Mariage pour tous et qui<br />
voulait absolument m’interviewer<br />
! A posteriori, on me parle<br />
davantage de mise en scène, on a<br />
compris que ce n’était pas juste un<br />
docu-drama sur Act Up. Le film<br />
tient aussi de la chronique, car<br />
chaque scène possède son foisonnement<br />
propre, mais tout est<br />
construit, rien n’est laissé au<br />
hasard.<br />
Pensez-vous que le public est enfin<br />
prêt à affronter cette histoire tragique<br />
du SIDA, qui jusqu’ici a été peu<br />
traitée – les deux films les plus connus<br />
en France sur le sujet étant Les Nuits<br />
fauves et Philadelphia ?<br />
R. C. : Les gens ont réalisé qu’ils<br />
avaient traversé cette épidémie<br />
sans en sortir complètement<br />
indemnes. Moi, je m’autorise à<br />
penser que je peux en faire de la<br />
fiction. J’ai essayé de faire comprendre<br />
ce que ça signifiait d’avoir,<br />
en face de soi, un laboratoire suivant<br />
sa propre logique pécuniaire<br />
au détriment de la santé des séropositifs.<br />
De sentir aussi quand les<br />
gens, au sein du même groupe,<br />
n’avançaient pas de la même<br />
manière dans la maladie. Ce que<br />
c’était d’incarner ces luttes.<br />
Pourquoi faire appel à Arnaud<br />
Rebotini pour la musique du film ?<br />
R. C. : Je l’ai croisé sur Entre les<br />
murs (Robin Campillo a cosigné<br />
le scénario du film de Laurent<br />
Cantet, ndlr) et avais déjà fait<br />
appel à lui pour mon film Eastern<br />
Boys. Arnaud connaît à la perfection<br />
la musique des années 1990<br />
et a su transmettre ce besoin de<br />
s’amuser, après les réunions et les<br />
zaps. Le plaisir de se retrouver<br />
dans l’obscurité, sans paroles, où<br />
les gens se touchent… Nous avons<br />
utilisé deux travellings circulaires<br />
et j’ai laissé les acteurs faire. On<br />
sent la sueur, la clope, c’est<br />
organique.<br />
NAHUEL PÉREZ BISCAYART :<br />
NAISSANCE D’UN GRAND ACTEUR<br />
Si tous les comédiens sont brillants, Nahuel Pérez Biscayart irradie<br />
dans le rôle de Sean, jeune séropositif très militant – qui n’est pas<br />
sans rappeler Cleews Vellay, membre très actif d’Act Up décédé<br />
en 1994. “L’énergie de Sean est proche de celle de Cleews, mais il n’a<br />
jamais été question de l’imiter. Il faut être un peu inconscient quand<br />
tu incarnes de tels personnages, il ne faut pas se laisser hanter par<br />
les ombres de ceux qui l’ont vécu à l’époque”, précise l’acteur. S’il ne<br />
connaissait pas l’association, de par son âge (il est né en 1986) et son<br />
lieu de naissance (l’Argentine, où Act Up n’existait pas), Pérez<br />
Biscayart s’est immergé dans l’histoire du SIDA en France dans ces<br />
années d’hécatombe, perdant énormément de poids en un temps record. Il est pour beaucoup dans la réussite de 120 bpm,<br />
soulignée par Didier Lestrade en personne. “Je suis soulagé que quelqu’un avec un regard aussi aiguisé que le sien aime le film,<br />
quelqu’un pour qui nous avons tous énormément de respect. C’est le seul qui a survécu, ce combat a été sa vie.” Aurait-il été<br />
militant à l’époque ? “Absolument. Lorsque l’enjeu est si physique, l’engagement est presque inévitable.”<br />
S.R.<br />
Quel est votre regard sur la lutte<br />
contre le SIDA aujourd’hui ?<br />
R. C. : On sait que les gens sous traitement<br />
peuvent avoir une vie à peu<br />
près normale et, dans 90 % des cas,<br />
ne sont plus contaminants. Les<br />
outils sont là, mais il faut proposer<br />
le dépistage, ce que fait Aides, dans<br />
des lieux de drague. L’État reste<br />
absent, car cela demande une<br />
publicité. Or la santé publique, c’est<br />
une politique ! Il faut faire baisser<br />
le prix des médicaments, la prévention<br />
doit être mondiale. Surtout<br />
quand on voit qu’un homme<br />
comme Donald Trump est en train<br />
de permettre la discrimination des<br />
malades dans certains États.<br />
“LE CINÉMA,<br />
C’EST MA<br />
MANIÈRE D’ÊTRE<br />
MILITANT.”<br />
Face à la persécution des homosexuels<br />
en Tchétchénie, par exemple,<br />
on a l’impression que la population se<br />
mobilise plus. Qu’en pensez-vous ?<br />
R. C. : Aujourd’hui, plus de gens<br />
s’indignent de la Tchétchénie qu’il<br />
y aurait pu en avoir à l’époque,<br />
c’est certain. Et la Gay Pride n’a<br />
jamais été aussi importante,<br />
même si je ne la sens pas très politique.<br />
Le militantisme est là, mais<br />
il me semble qu’on ne trouve pas<br />
de lieux comme Act Up, à<br />
l’époque, pour exister. Mais nous<br />
sommes sans doute dans un<br />
moment d’impuissance politique<br />
qui peut se transformer. J’ai le<br />
sentiment qu’il y a des émergences<br />
communautaires, hors politique.<br />
Les gays ont été prégnants pendant<br />
longtemps, maintenant les<br />
lesbiennes et les transsexuels ont<br />
besoin de plus s’affirmer… Le<br />
cinéma, c’est ma manière d’être<br />
militant, car j’essaye d’interroger,<br />
par la fiction, ce qu’ont été ces<br />
mobilisations. Act Up, c’était une<br />
lutte, pas une cause : les corps des<br />
gens étaient en danger.<br />
© DR<br />
40 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
UNANIMITÉ<br />
Avec cette chronique<br />
des années Act Up,<br />
le réalisateur a aussi<br />
remporté la Queer<br />
Palm à Cannes.
Sélection de la<br />
RENTRÉE<br />
La rentrée de <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />
Comment s’y retrouver dans les trop nombreuses sorties de la rentrée ? Pop en duo,<br />
rock indie, soul intimiste ou électro fédératrice ? Nos choix.<br />
Par Sophie Rosemont<br />
The Horrors<br />
V comme victoire<br />
V : comme 5 en latin, comme 5 e<br />
album du groupe (et aussi le nombre<br />
de ses musiciens, comme le V<br />
de victoire. On peut en effet parler<br />
de réussite lorsqu’on écoute<br />
les dix nouveaux morceaux des<br />
Horrors. Pour la première fois,<br />
et dans le but de réinventer leur<br />
son (qui, il faut bien l’avouer, perdait<br />
de son efficacité sur leur dernier<br />
opus, Luminous) ceux-ci ont<br />
entièrement délégué la production,<br />
et ils ont fait le bon choix<br />
avec Paul Epworth, connu pour<br />
son travail avec Adele, U2 ou Bloc<br />
Party. V se partage donc entre<br />
le post-gothique sous influence<br />
80’s cher au groupe (“Hologram”),<br />
mais aussi un drôle de punk alternatif<br />
(“Machine”), du dancerock<br />
innovant (“Something To<br />
Remember Me By”) et de la pop<br />
ténébreuse (“Weighed Down”).<br />
Le chanteur Faris Badwan, lui,<br />
reste toujours aussi charismatique,<br />
caché derrière sa chevelure<br />
aussi sombre que le verre de<br />
ses lunettes.<br />
Ariel Pink<br />
Rose comme lui<br />
Dedicated to Bobby Jameson…<br />
Encore un nouveau storytelling<br />
pour Ariel Pink qui, fasciné par<br />
le parcours de cet obscur musicien<br />
(1945-2015) fuyant la gloire<br />
comme la peste, lui rend hommage<br />
avec cet album merveilleusement<br />
barré : “Comme Jameson,<br />
moi aussi j’ai longtemps recherché<br />
juste un peu d’amour. Aujourd’hui,<br />
même si j’affectionne<br />
toujours autant la controverse, je<br />
suis plus sûr de moi et j’ai gagné<br />
en maturité, mais j’ai souvent<br />
frôlé le bord du précipice quand je<br />
réalisais que j’étais sous- estimé.”<br />
Ce qui n’est plus le cas. Fort d’une<br />
ribambelle d’albums devenus<br />
cultes pour les amateurs de pop-<br />
ANGUS & JULIA STONE<br />
Les deux font la paire<br />
Après plus d’une décennie de carrière, une parenthèse et des retrouvailles émotives,<br />
la fratrie <strong>Stone</strong> nous enchante de nouveau.<br />
Il y a quelques années, on avait sérieusement douté de la longévité du duo formé par le frère et la sœur <strong>Stone</strong>.<br />
Après la tournée du pourtant acclamé Down the Way (2010), ils avaient décidé de ne plus travailler ensemble…<br />
Jusqu’à ce que le producteur Rick Rubin s’en mêle et les convainque de s’y remettre. Dont acte. S’en est suivi<br />
Angus et Julia <strong>Stone</strong>, en 2014. Leur plus gros succès. Mais c’est seulement aujourd’hui, avec Snow, qu’ils explorent<br />
totalement leurs possibilités. “Nous voulions créer quelque chose de fort, mais sans vraiment savoir ce que ça pouvait<br />
donner, ni le temps que ça prendrait, explique Angus <strong>Stone</strong>. Ne rien avoir en tête de précis nous permet d’avoir<br />
beaucoup d’idées… et de garder une part de mystère qui permet d’être à l’affût tout au long de l’enregistrement.”<br />
Celui-ci durera huit semaines, dans le home studio d’Angus, situé en pleine campagne australienne, loin du bruit<br />
de la ville. Malgré les hauts et les bas, la complicité d’Angus et Julia <strong>Stone</strong> reste toujours intacte. Dixit le petit frère :<br />
“Je pense que, d’une manière générale, nous sommes plus décontractés, nous lâchons prise plus facilement.<br />
Après tout ce temps passé ensemble, nous avons compris quand il fallait s’éloigner, laisser passer certains orages…<br />
pour nous y remettre de plus belle un peu plus tard. Il fallait simplement apprendre à communiquer.” Ainsi,<br />
Snow est “une conversation”, une synthèse de ce que le dialogue entre le frère et la sœur <strong>Stone</strong> peut offrir de mieux,<br />
entre pop et folk. “Snow”, “Cellar Door” ou “Chateau” en offrent des exemples ultra-mélodiques, qui trottent en tête<br />
dès la première écoute. “Nous cultivons différents sons, différents styles musicaux et ce qui en résulte est, quelque<br />
part, assez dansant”, avance Angus. On ne le contredira pas : malgré son titre, cet album est celui qui prolonge<br />
l’été, nous transportant vers d’autres paysages lointains et ensoleillés. Tout en étant très près de nous : cet automne,<br />
Angus et Julia <strong>Stone</strong> assureront pas moins de sept dates en France.<br />
© J. STEINGLEIN<br />
42 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
ock indie, Ariel Pink a su garder<br />
son intégrité. Et son inspiration,<br />
nourrie du meilleur du<br />
passé américain, des sixties aux<br />
années 1980.<br />
LCD Soundsystem<br />
Le grand retour<br />
En 2011, il donnait son tout dernier<br />
concert à New York, annonçant<br />
qu’il prenait sa retraite.<br />
Et puis, finalement, James<br />
Murphy a réalisé qu’arrêter LCD<br />
Soundystem, poule aux œufs d’or<br />
de l’électro-pop-rock East Coast<br />
était une mauvaise idée. Il a donc<br />
pris le temps de façonner un nouvel<br />
album, American Dream.<br />
L’une des meilleures surprises de<br />
la rentrée, même si un embargo<br />
fixé à seulement trois jours de la<br />
sortie nous interdit, hélas ! de dire<br />
officiellement tout le bien qu’on en<br />
pense. La dance music est, comme<br />
toujours avec Murphy, hautement<br />
organique, nourrie de rock’n’roll<br />
mélancolique. Il n’y a plus qu’à<br />
attendre sagement ses concerts<br />
événements à l’Olympia, les 13 et<br />
14 septembre prochain.<br />
Sivu<br />
Au creux de l’oreille<br />
Avec son second album, James<br />
Page, alias Sivu, entre définitivement<br />
dans la cour des<br />
CHAD VANGAALEN<br />
Folk des bois, folk des champs<br />
L’album de la sérénité ? Sans doute. Car la maturité, Chad VanGaalen en fait preuve depuis des années, en digne<br />
héritier de Tom Petty et Neil Young. Écrit, composé et produit par le songwriter canadien, Light Information fait<br />
d’un folk contemplatif au grain vintage, un manifeste à la vie, l’amour, et dont l’énergie est incontestablement<br />
contagieuse. En témoignent “Old Heads”, “Faces Lit” ou “Static Shape”, sur lequel apparaissent ses filles. Certes,<br />
un “Prep Piano and 770” nous rappelle ses velléités instrumentales, mais VanGaalen cultive toujours le même jardin<br />
verdoyant, ici et là laissé volontairement en friche. L’une des bouffées d’air de la rentrée.<br />
grands. Même si, à la sortie de<br />
Something on High (2014), on<br />
se doutait que le meilleur était à<br />
venir… Mais pas son label, visiblement,<br />
qui choisit de le congédier<br />
tandis que Page réalisait<br />
qu’il était atteint de la maladie<br />
de Menière, qui l’a, depuis, privé<br />
de l’audition d’une oreille. Avant,<br />
peut-être, de le rendre complètement<br />
sourd dans quelques années.<br />
Au lieu de sombrer dans<br />
le désespoir, le musicien anglais<br />
n’écoute que son cœur et son<br />
inspiration. En résulte un très<br />
beau deuxième album, Sweet<br />
Sweet Silent, dans lequel il partage<br />
sa solitude et son folk ultra-sensible,<br />
mâtiné de soul. On<br />
pense à Björk, à Thom Yorke, ou<br />
encore à Sufjan Stevens parfois.<br />
Espérons que l’on pourra continuer<br />
à l’entendre pendant longtemps<br />
encore.<br />
Kevin Morby<br />
De l’art du nomadisme<br />
© MARCRIMMER. DR.<br />
BENJAMIN<br />
CLEMENTINE<br />
Hobo céleste<br />
Un parcours incroyable pour un musicien qui ne<br />
l’est pas moins, de la banlieue londonienne au<br />
métro parisien, où son charisme se fait remarquer<br />
entre Barbès-Rochechouart et La Chapelle. Très<br />
vite, Benjamin Clementine a su imposer sa voix de<br />
stenor – brute, prenante – et ses ritournelles hantées<br />
composées au piano. Cependant, si son premier<br />
album jouait la carte de l’épure, le très réussi I Tell<br />
A Fly ose davantage l’orchestration. En témoigne<br />
des morceaux comme « Phantom of Aleppoville »<br />
ou « Jupiter ». Y résonnent ses amours folks,<br />
gospels, jazzy, électros ou encore classiques. Lui qui<br />
dit être un expressionniste ne se trompe pas : tout<br />
est à la fois réel et imaginaire dans ses chansons,<br />
nous touchant en plein cœur. A seulement 28 ans,<br />
Benjamin Clementine est déjà un grand.<br />
C’est ce qu’on appelle un artiste<br />
prolifique. Après Harlem<br />
River en 2013, Still Life en 2014,<br />
Singing Saw en 2016, voici donc<br />
City Music, quatrième album<br />
du songwriter américain. Sous<br />
influence West Coast – mais<br />
dans ce qu’elle a de plus mélancolique<br />
–, Kevin Morby revendique<br />
toujours un folk-rock<br />
aussi romantique que subtil, se<br />
perdant cette fois dans les paysages<br />
urbains de métropoles insaisissables.<br />
Après avoir officié<br />
comme bassiste dans The Babies,<br />
groupe de garage rock, et<br />
Woods, formation de folk lo-fi<br />
pluriel, Morby a décidé de tracer<br />
sa route en solo, souhaitant visiblement<br />
s’inscrire dans la lignée<br />
des chantres nomades made in<br />
USA. Pour l’instant, il ne se perd<br />
pas en chemin.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 43
FLASHBACK<br />
DERNIER MOT<br />
Joe Walsh<br />
Le guitariste raconte comment il a survécu à des années de débauche, parle des conseils qu’il a reçus<br />
d’un moine bouddhiste et déclare que les Eagles étaient une “dictature démocratique”.<br />
Interview par ANDY GREENE<br />
Quels sont, selon vous, les aspects les plus positifs et les plus négatifs<br />
du succès ?<br />
Je n’ai jamais eu à travailler à l’usine, ce qui est une vraie<br />
chance. L’aspect le plus négatif, ce sont les distractions :<br />
l’argent, les femmes, les fêtes. Quand on est jeune, c’est facile de perdre<br />
pied. J’ai commencé à croire que j’étais celui pour qui tout le monde me<br />
prenait, c’est-à-dire une rockstar complètement dingue. Vous savez, “Life’s<br />
Been Good”, tout ce bordel… Ça m’a détourné de mon travail. Moi et des<br />
tas de gars avec qui je traînais, on était de gros fêtards. C’était un sacré<br />
défi de simplement rester en vie.<br />
Nombre de vos amis de cette époque n’y sont pas parvenus. Keith Moon,<br />
John Belushi… Comment avez-vous survécu ?<br />
Je me pose la question tous les jours. Les gens me demandent si je crois en<br />
Dieu et j’y suis bien obligé, puisque je suis toujours là. Je n’avais pas prévu<br />
de vivre si longtemps.<br />
Quelles sont vos règles de vie essentielles ?<br />
La famille d’abord. J’ai passé des années en solitaire. C’était moi contre le<br />
monde entier, mais aujourd’hui, j’ai une famille qui s’occupe de moi, et<br />
dont je m’occupe. J’ai également appris à ne pas me laisser gouverner<br />
par mes émotions. Il ne faut pas envoyer d’e-mails quand on est en<br />
colère. On peut les rédiger, mais pas les envoyer. Parce que le lendemain,<br />
on se dit : “Putain, j’ai encore déconné. Je suis vraiment<br />
un gros blaireau.”<br />
Quel est le meilleur conseil que vous ayez jamais reçu ?<br />
Un moine bouddhiste m’a dit d’être conscient de chaque<br />
bouffée d’air que je respire. Il m’a dit : “Si vous faites<br />
ça, vous vivrez le présent. Ça vous évitera de<br />
gâcher du temps à ruminer le passé ou à tenter<br />
sans cesse d’écrire l’avenir.” Et puis je médite.<br />
Vivre le présent, c’est le secret.<br />
Qui sont vos héros ?<br />
Les Paul était l’un des gars le plus cool de<br />
la planète. Il a inventé la guitare Les<br />
Paul, ainsi que l’’enregistrement<br />
moderne tel que nous le connaissons.<br />
Un jour, il a eu un accident de voiture<br />
après lequel on lui a dit qu’il ne jouerait<br />
plus jamais parce qu’il s’était<br />
cassé le bras en quatre endroits. Il<br />
s’est assis, s’est mis à jouer et a dit :<br />
“OK, mettez mon bras en place<br />
comme ça. Posez-moi le plâtre<br />
maintenant.”<br />
Quel conseil auriez-vous aimé recevoir sur l’industrie<br />
du disque avant de commencer votre carrière ?<br />
J’aurais bien aimé qu’on me dise : “Écoute, c’est un<br />
boulot.” Je pensais que c’était un art. L’étalon<br />
selon lequel définir l’honnêteté dans l’industrie<br />
musicale, c’est de se dire que le gars qui<br />
te vole le moins est honnête. Et il ne faut rien<br />
signer. Je me dépatouille encore de trucs que<br />
j’ai signés quand j’avais 23 ans. Quelqu’un<br />
aurait dû me prévenir et me dire : “Écoute, c’est OK d’être idiot, mais soit<br />
un idiot intelligent.”<br />
Quel est l’achat le plus fou que vous vous soyez autorisé ?<br />
J’ai toujours eu un fantasme : “Je vais acheter de la terre pour en vivre. Je<br />
vais chasser comme Ted Nugent et couper mon bois.” Quand j’ai reçu un<br />
gros chèque de droits d’auteur des Eagles, j’ai trouvé une petite ferme<br />
dans le Vermont, avec un lac et presque 300 hectares. Mais quand il a<br />
fallu y vivre, je me suis rendu compte que c’était dur. Il fallait se lever à<br />
5 heures du matin parce qu’il y avait des tas de trucs à faire. Couper son<br />
bois, ça n’est pas marrant. L’hiver est rude. Je n’ai pu trouver personne<br />
pour s’occuper de l’endroit, alors je l’ai vendu. Il vaut mieux que certaines<br />
choses restent de l’ordre du fantasme.<br />
Quel est votre livre préféré ?<br />
L’Homme illustré, de Ray Bradbury. J’avais 10 ou 11 ans quand je l’ai lu.<br />
C’est un bouquin incroyable, qui vous absorbe<br />
complètement. Le livre en contient environ<br />
huit autres, et chacun d’entre eux<br />
porte sur l’un des tatouages de l’homme,<br />
qui se déplacent la nuit. De l’imagination<br />
et un livre plein de livres, quel<br />
concept !<br />
Vous donnez des concerts avec les<br />
Eagles, cet été. Ça n’est pas un peu<br />
difficile de jouer sans Glenn Frey ?<br />
Oui et non. Mais je suis sûr qu’on sera<br />
très bons.<br />
Deacon, le fils de Glenn, a rejoint le groupe.<br />
Comment s’adapte-t-il ?<br />
Il est super. Ça n’est pas un frimeur. Il se<br />
pointe et il fait son boulot. J’aimerais bien<br />
que davantage d’entre nous soient comme ça.<br />
Vous avez décrit les Eagles comme<br />
“une démocratie avec deux dictateurs”.<br />
C’était dur pour votre ego ?<br />
J’ai rejoint leur groupe. Je dirais que c’était une<br />
dictature démocratique. On votait tous et ensuite,<br />
Frey et Don Henley faisaient ce qu’ils voulaient.<br />
Vous vous êtes présenté aux élections<br />
présidentielles en 1980. Si vous aviez<br />
gagné, pensez-vous que vous auriez<br />
fait mieux que Trump ?<br />
Oui ! C’est une question de bon sens. Je<br />
ne suis pas sûr que Trump sache comment<br />
fonctionne le gouvernement et je pense qu’il s’en<br />
fout. Du coup, il n’arrivera pas à grand-chose.<br />
Je crois savoir comment ça marche. Je sais évoluer<br />
dans une organisation où il faut prendre<br />
des décisions complexes. Comme dans un<br />
groupe, par exemple. Et on a réussi à accomplir<br />
pas mal de choses !<br />
Traduction et adaptation Kathleen Aubert<br />
44 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Illustration par Mark Summers
AGENDA<br />
EN CONCERT !<br />
La sélection <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> des meilleurs rendez-vous de l’été… Et de l’automne !<br />
Vous pouvez réserver vos places sur www.digitick.com<br />
PHOENIX<br />
28/<strong>09</strong> – Esch-sur-Alzette -<br />
Rockhal<br />
29/<strong>09</strong> – Paris- AccorHotels<br />
Arena<br />
LES INSUS<br />
01/<strong>09</strong> – Ajaccio – Théâtre<br />
de Verdure<br />
03/<strong>09</strong>– Périgueux – Le Palio<br />
(Boulazac)<br />
05/<strong>09</strong>- Chambéry – Le Phare<br />
07/<strong>09</strong> – Le Noirmont –<br />
Festival Chant du gros<br />
15-16/<strong>09</strong> – Paris – Stade<br />
de France<br />
LES WAMPAS<br />
05/10 – Grenoble – La Belle<br />
Électrique<br />
METRONOMY<br />
07/10 – Le Havre – Festival<br />
Ouest Park<br />
NICK CAVE AND<br />
THE BAD SEEDS<br />
03-04/10 –<br />
Paris - Zénith<br />
10/10 – Esch-sur-<br />
Alzette - Rockhal<br />
MARILLION<br />
07/10 – Paris - Zénith<br />
WEEZER<br />
19/10 – Paris - Olympia<br />
FISHBACH<br />
07/10 – Montpellier –<br />
Le Rockstore<br />
14/10 – Alençon – La Luciole<br />
CATHERINE RINGER +<br />
SPARKS/SOLO<br />
04/<strong>09</strong> – Paris – La Cigale<br />
INTERPOL<br />
05 et 06/<strong>09</strong>- Paris –<br />
Le Trianon<br />
TEMPLES<br />
06/<strong>09</strong> – Paris – La Cigale<br />
CLAP YOUR HANDS<br />
SAY YEAH!<br />
20/<strong>09</strong> – Paris – La Maroquinerie<br />
SIGUR ROS<br />
27, 28 et 29/<strong>09</strong> – Paris –<br />
Grand Rex<br />
TIMBER TIMBRE<br />
07/10 – Feyzin – L’Épicerie<br />
Moderne<br />
<strong>09</strong>/10 – Montpellier –<br />
Le Rockstore<br />
À RÉSERVER<br />
DE TOUTE URGENCE<br />
ALT-J<br />
11/01/2018 – Paris- AccorHotels<br />
Arena<br />
FLEET FOXES<br />
20 et 21/11 – Paris – Le Trianon<br />
DEPECHE MODE<br />
26/11 – Anvers – Palais des Sports<br />
03 et 05/12 - Paris-<br />
AccorHotels Arena<br />
24/01/18 – Floirac –<br />
Bordeaux Métropole Arena<br />
ANGUS ET JULIA STONE<br />
17/10 – Lille – Zénith<br />
19/10 – Nantes – Zénith<br />
20/10 – Toulouse – Zénith<br />
25/10 – Marseille – Le Dôme<br />
01/11 – Paris – Zénith<br />
02/11 – Lyon – Halle Tony-<br />
Garnier<br />
CHRIS ISAAK<br />
02/11- Paris –Olympia<br />
TEXAS<br />
07 et 08/11 – Paris – Olympia<br />
11/11 – Nantes –<br />
Cité des Congrès<br />
12/11 – Limoges – Zénith<br />
21 et 22/11 – Bordeaux –<br />
Théâtre Femina<br />
THE WEDDING PRESENT<br />
07/11 – Saint-Nazaire – Le VIP<br />
08/11 – Paris – Petit Bain<br />
ROYAL BLOOD<br />
<strong>09</strong>/11 – Paris – Zénith<br />
PONI HOAX<br />
<strong>09</strong>/11 – Paris – La Cigale<br />
ELLIOTT MURPHY<br />
10/11 – Paris – New Morning<br />
FATHER JOHN MISTY<br />
11/11 – Paris – Le Trianon<br />
KASABIAN<br />
11/11 – Paris – Zénith<br />
THE CELTIC SOCIAL CLUB<br />
11/11 – Paris – Le Flow<br />
FINK<br />
10/11 – Paris – La Cigale<br />
11/11 – Tourcoing – Le Grand Mix<br />
PROCOL HARUM<br />
12/11- Paris – Le Trianon<br />
VAN MORRISON<br />
17/11 – Paris – Salle Pleyel<br />
SALLIE FORD<br />
21/11 – Paris – Point Ephémère<br />
THE STRANGLERS<br />
25/11 – Paris – La Cigale<br />
27/11 – Le Havre – Le Tetris<br />
28/11 – Brest – La Carène<br />
29/11 – Nantes – Stereolux<br />
30/11 – Chambray-lès-Tours –<br />
Salles Yves-Renault<br />
02/12- Mérignac – Le Krakatoa<br />
LONDON GRAMMAR<br />
19/11 – Lille – Zénith<br />
20/11 – Rennes – Le Liberté<br />
03/12 – Paris – Zénith<br />
05/12 – Toulouse – Zénith<br />
06/12 – Lyon – Halle Tony-Garnier<br />
AVEC<br />
© CHRIS CUFFARO_AS<br />
46 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
LIVE REPORT<br />
ON TOP<br />
OF THE WORLD<br />
À Monaco, Deep Purple<br />
a montré qu’il en avait<br />
encore sous la semelle.<br />
Rock around the Rocher<br />
© JIM RAKETE<br />
Tout l’été, la Côte d’Azur vit au rythme de festivals musicaux. L’édition <strong>2017</strong> du Monte Carlo<br />
Summer Festival l’a joué rock’n’roll pour sa soirée d’ouverture, avec une affiche monumentale :<br />
les Pretenders et Deep Purple.<br />
L<br />
es vétérans de Deep Purple ont<br />
remis en cet an de grâce <strong>2017</strong> l’ouvrage<br />
sur le métier. Quelques jours<br />
après un passage remarqué au<br />
HellFest, Gillan & Co changeaient radicalement<br />
de cadre pour ouvrir, le 28 juin dernier,<br />
le Monte Carlo Summer Festival. La salle n’a<br />
pas fait le plein. Tant mieux : un petit millier<br />
de personnes a donc le privilège de voir les<br />
légendaires métalleux quasi rien que pour<br />
eux. Rockers et bikers de la Côte d’Azur ont<br />
répondu au rendez-vous. Mais les Purple<br />
étant un fleuron du patrimoine rock, on<br />
retrouve dans la salle un sympathique<br />
Par Vincent Guillot<br />
mélange de vacanciers, de représentants de<br />
la bonne société monégasque et quelques<br />
fêtards russes, le tout rassemblant plusieurs<br />
générations. Dans ce cadre un peu inhabituel,<br />
le groupe ne va pas faire dans le détail. Et s’il<br />
restait quelques sceptiques quant au retour<br />
sur scène du groupe, ils en seront pour leurs<br />
frais. Certes, visuellement, les cadres supérieurs<br />
du metal n’ont plus trop la dégaine<br />
glam de leurs débuts, à l’image d’un Ian<br />
Gillan déambulant sur scène avec l’allure plus<br />
proche d’un retraité bouliste que d’une rock<br />
star. Mais le son est là. C’est ce qui frappe<br />
illico : après un “Time for Bedlam”, on<br />
QUAND CHRISSIE FÂCHÉE…<br />
Voir les Pretenders en concert en <strong>2017</strong> reste un privilège qui ne se refuse pas. Placés en première partie<br />
de Deep Purple, Chrissie Hynde et ses boys ne sont pas forcément la tasse de thé des bikers venus au<br />
rendez-vous des métalleux. De fait, la front girl aura fort à faire avec une foule pas toujours amicale.<br />
Notamment lorsqu’elle demande à dix reprises au moins qu’on arrête de la flasher à coup de<br />
smartphones. “We’re a rock band, this is not a fuckin’ Take That show !”, s’écrie-t-elle en s’arrêtant en<br />
plein milieu d’un titre. Fallait pas l’énerver. Elle reprend alors le doigt tendu bien haut une setlist pavée<br />
de hits gratinés : “Don’t Get Me Wrong”, “The Wait”, “Holy Commotion”. Chauffée à blanc, Chrissie,<br />
hilare, finit par s’excuser de ses réflexions. Et balance un “I’ll Stand by You” qui devrait lui valoir un<br />
pardon éternel pour toutes ses fautes… V. G.<br />
balance un “Fireball” qui pose direct le<br />
niveau : ça joue fort, vite et bien. Les claviers<br />
de Don Airey sonnent aussi lourd que du<br />
temps de Jon Lord. Derrière, les hits s’enchaînent<br />
(“Strange Kind of Woman”, “Lazy”)<br />
et la foule groove, heureuse, au point que les<br />
derniers titres du groupe ne font absolument<br />
pas tache – “Uncommon Man”, issu de Now<br />
What?! (2013) ou “The Surprising” du tout<br />
neuf InFinite, emportant l’adhésion.<br />
Le Long Goodbye ne battra pas des longueurs<br />
de durée, mais l’impact n’en est que plus fort,<br />
quand le groupe balance l’intro que tout le<br />
monde attend, ce “Smoke on the Water” qui<br />
remue la fosse, toute en joie de pouvoir<br />
contempler ce monument d’aussi près. Et<br />
puisque tout le monde est à point, un “Hush”<br />
enthousiaste envoie l’affaire aux orgasmes<br />
avant qu’un dernier “Black Night” ne vienne<br />
clôturer la nuit. Gillan et les autres peuvent<br />
quitter la salle avec cette certitude : que ce<br />
soit dans les allées roots des festivals<br />
d’Europe ou aux marches des palais, le rock<br />
de Deep Purple, malgré leur retraite annoncée,<br />
a conservé une sacrée puissance de feu,<br />
sur tous les terrains.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 47
Etoile<br />
Du<br />
Il a eu une enfance dorée<br />
et traversa bien des drames<br />
avant de devenir Premier<br />
ministre du Canada. Justin<br />
Trudeau est-il le dernier<br />
espoir du monde libre ?<br />
Nord<br />
Par Stephen Rodrick<br />
Pour commencer, synchronisons<br />
nos montres.<br />
Calons-nous sur le bon fuseau<br />
horaire. La session<br />
parlementaire s’achève et le Premier<br />
ministre canadien Justin Trudeau va<br />
répondre à la presse. Ils sont tous là, les<br />
reporters, entassés dans la salle, grognons,<br />
bougons, comme d’habitude,<br />
pestant contre les embouteillages ou<br />
leurs rédacteurs en chef. Dans un coin<br />
de la salle, quelqu’un donne le top, le<br />
compte à rebours avant la prise d’antenne.<br />
“10 secondes !”, clame-t-il. Trudeau<br />
monte sur l’estrade, se glisse derrière<br />
le pupitre, fait un rapide signe de<br />
tête et égrène les mesures qu’il vient de<br />
faire passer. Il commence par rappeler<br />
qu’il a baissé les impôts qui pesaient sur<br />
la classe moyenne et qu’il a augmenté les<br />
taxes pesant sur les plus riches. “Grâce<br />
à nous, dit-il, neuf familles canadiennes<br />
sur dix ont plus d’argent pour financer<br />
l’éducation de leurs enfants.” Être là, à<br />
ce moment, assister à cette scène, c’est<br />
quelque chose, vraiment ! Le Premier<br />
ministre s’exprime tout en modulation.<br />
© MARTIN SHOELLER<br />
48 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
Justin<br />
Trudeau<br />
Il a une voix caverneuse. Ses cheveux sont d’un<br />
brun profond presque sauvage. Chez lui, il a laissé<br />
une femme et trois enfants qui savent prendre la<br />
pose devant les photographes, mais qui sont encore<br />
trop jeunes pour l’accompagner au sommet<br />
du G20 et encore moins pour se mêler à ses côtés<br />
à une affaire d’espionnage, si vous voyez ce que je<br />
veux dire… Quand Trudeau se lance dans l’apologie<br />
du féminisme et du droit des femmes (cellesci<br />
représentent plus de la moitié de son cabinet),<br />
ses inflexions changent, sa voix se fait plus douce,<br />
presque câline, mais ferme. Il garde la main. Trudeau<br />
maîtrise. Ses mots sont pesés, cohérents. Pas<br />
besoin du Littré ou d’un dico quelconque pour<br />
comprendre ce qu’il a voulu dire. Il évoque, tour<br />
à tour, les mesures prises contre le Fentanyl, cette<br />
drogue plus puissante que l’héroïne qui a fait des<br />
ravages cet hiver ou la baisse du taux de chômage.<br />
Le Premier ministre canadien a parfaitement<br />
intégré la faconde clintonienne, son talent pour<br />
trouver les mots justes : “Nous faisons tout ce qui<br />
est en notre pouvoir pour permettre aux citoyens<br />
de décrocher de bons jobs et aux familles de se projeter<br />
dans l’avenir, pour que tous gardent espoir,<br />
dit-il. Mais nous savons que le plus dur reste à<br />
faire. Rien n’est encore gagné.” À la fin, Trudeau<br />
prend la presse à témoin. “Le débat entre vous et<br />
nous est au cœur de la démocratie canadienne.<br />
Quand vous faites bien votre boulot de journalistes,<br />
cela nous oblige à être à la hauteur. Alors,<br />
surtout, ne lâchez pas l’affaire.”<br />
Mais où sommes-nous ? Dans le monde de<br />
Narnia ? Dans le carré des secours au festival<br />
de Coachella ? Même pas. Nous sommes à<br />
Ottawa. En Ontario. À 900 kilomètres à peine de<br />
Washington D.C. Et pourtant, nous sommes dans<br />
un autre monde. Alors, suivez le guide. Accrochezvous<br />
à moi, car nous allons plonger au cœur d’une<br />
nation dirigée par un type pas comme les autres,<br />
un mec qui se présente sur les plateaux de télévision<br />
en T-shirt de H2G2, Le Guide du voyageur<br />
galactique, qui se balade en monocycle, capable<br />
d’accueillir à bras ouverts 40 000 réfugiés syriens.<br />
Le contraste entre ici et là-bas, n’est pas seulement<br />
formel. Pendant que Trump réduit les aides<br />
aux associations américaines favorables à l’avortement,<br />
Trudeau augmente leurs financements publics.<br />
D’un côté de la frontière, il y a un ministre de<br />
la Justice, Jeff Sessions, qui remet en question les<br />
lois autorisant l’usage du cannabis à but thérapeutique.<br />
De l’autre, au Nord, Trudeau admet avoir tiré<br />
sur un joint pour fêter son élection au Parlement, et<br />
milite activement pour sa dépénalisation. Trump<br />
a jeté aux orties les accords de Paris. Trudeau fait<br />
pression sur les grandes villes américaines et les<br />
États de l’union pour qu’ils réduisent les émissions<br />
de gaz. Et pour faire face à la vague d’overdoses qui<br />
a frappé le pays, Trudeau a ouvert d’urgence des<br />
salles de shoot, tandis qu’en Amérique, le nombre<br />
d’overdoses atteint de nouveaux records. Et puis, il<br />
y a la Russie. Côté US, le fils de Trump aurait utilisé<br />
des agents russes pour monter des dossiers contre<br />
Hillary Clinton. Côté Grand Nord, le ministre<br />
des Affaires étrangères de Trudeau est d’origine<br />
ukrainienne. Elle s’appelle Chrystia Freeland.<br />
Elle est persona non grata dans la Russie de Poutine.<br />
“Notre soutien à l’Ukraine, même militairement,<br />
nous positionne de manière claire quant au<br />
fait que la Russie reste un acteur contreproductif<br />
dans la dynamique internationale.”, m’a confié<br />
Trudeau. Il veut un “Canada great again”. Et pour<br />
y parvenir, il a une méthode bien à lui.<br />
« C’est l’image du Canada, la manière dont<br />
les autres peuples nous regardent. Ils disent :<br />
“Ah ! vous êtes canadien – sous-entendu<br />
‘Pas américain’ – vous êtes là pour nous aider !»<br />
Ce reportage a commencé l’été<br />
dernier. Pendant que nous prenions<br />
place pour une longue interview<br />
dans des chaises en<br />
bois sculpté de son bureau de<br />
Parliament Hill, il a commencé par ôter sa veste.<br />
Ses manches étaient remontées. Il portait une<br />
cravate bleue, une chemise blanche et ses chaussettes<br />
étaient ornées d’un élan. Pour être tout à<br />
fait sincère, Trudeau me fait penser à Obama. Il a<br />
la même façon de sourire et d’écouter sans broncher<br />
quand je lui parle de ma femme canadienne.<br />
Pour Trudeau, l’écoute est une arme de séduction<br />
massive. Mais dès que je commence à lui poser<br />
des questions, tout s’aligne, tout se met en ordre de<br />
marche, éloquent sur sa vie, sous contrôle quand il<br />
s’agit de politique. Pendant que nous échangeons,<br />
il est souriant, son regard bleu vissé dans le mien.<br />
Mais à chaque fois que le nom de Trump surgit, il<br />
change, il esquive, d’un air de dire “Pas de ça entre<br />
nous, mec !” Il recentre le débat : un Canada fort,<br />
mais ouvert. Je lui ai demandé pourquoi son pays,<br />
qui est coincé entre deux vastes océans et une<br />
superpuissance, avait augmenté de 14 milliards<br />
d’euros ses dépenses militaires. Il m’a répondu<br />
que son pays était très engagé dans les affaires du<br />
monde. Ensuite, il est revenu sur la spécificité du<br />
Canada. “Un Canadien, qu’il soit diplomate, employé<br />
d’une ONG ou soldat, a une image particulière.<br />
Partout dans le monde, le Canadien est considéré<br />
comme un citoyen à part, explique Trudeau.<br />
Je veux dire, l’image du Canada, la façon dont les<br />
autres peuples nous regardent en disant “Ah ! Vous<br />
êtes canadien – sous-entendu ‘Pas américain’ –,<br />
vous êtes là pour nous aider. Vous n’êtes pas seulement<br />
là pour notre pétrole ou pour nous dire ce<br />
que nous devons faire.” Ça, c’est la canadian touch !<br />
Pendant sa campagne, Trump a déclaré que<br />
l’OTAN était obsolète. Trudeau n’est pas d’accord.<br />
Pour lui, le Canada doit étendre son influence dans<br />
le monde. Des soldats canadiens sont positionnés<br />
en mer Baltique pour contrer une éventuelle<br />
agression russe. C’est la plus forte mobilisation<br />
de troupes en Europe depuis plus d’une décennie.<br />
Trudeau m’a rapporté une histoire. Elle concerne<br />
Harjit Sajjan, son ministre de la Défense. Autrefois,<br />
c’est lui qui dirigeait les troupes canadiennes<br />
en Afghanistan.<br />
Sajjan est né au Penjab, en Inde. Il porte un<br />
turban. Un jour, un chef afghan s’étonnait de la<br />
présence de Sajjan. Le chef tribal voulut savoir s’il<br />
faisait partie de l’armée indienne. Quand il lui a<br />
répondu qu’il dirigeait les troupes canadiennes,<br />
l’Afghan ouvrit de grands yeux ronds. Sans bouger,<br />
il balança : “Eh, attendez ! Mais comment un<br />
homme comme vous peut diriger une armée de<br />
soldats canadiens ?” Trudeau ménage son effet.<br />
À l’évidence, il adore raconter cette anecdote.<br />
“Harjit a répondu : ‘Eh ben ouais ! C’est bien ça.’<br />
Le chef tribal l’a fixé un long moment avant de<br />
lâcher : ‘Bon, bon. Alors vous allez pouvoir nous<br />
aider.’ C’est ça, la force des Canadiens !”<br />
Les Trudeau-sceptiques prétendent qu’il est<br />
“émotionnellement intelligent”. C’est une manière<br />
très canadienne de dire que c’est un niais. Grave<br />
erreur ! Trudeau est le fils de Pierre Trudeau, ancien<br />
Premier ministre canadien pendant quinze<br />
ans et figure historique du Canada du xx e siècle.<br />
Il y a des choses qu’il a apprises sur les genoux de<br />
son “Papa”. Mais Justin s’est forgé son propre mode<br />
de pensée, une grille de lecture bien à lui. Jusqu’à<br />
la mort de Fidel Castro, il n’a cessé de déclarer que<br />
le Líder Màximo était “un grand chef qui avait<br />
servi son peuple”, sans faire beaucoup de cas des<br />
coups tordus et des violences que Castro pouvait<br />
commettre dans l’ombre. Pour le Canada Day, le<br />
14-Juillet de nos cousins d’Amérique, Trudeau a<br />
mentionné toutes les provinces du pays, sauf une :<br />
l’Alberta. Il est revenu sur scène pour tenter de<br />
rattraper le coup. “Laissez-moi juste vous dire que<br />
je suis un peu embarrassé – je me suis emballé à<br />
propos des Rocheuses canadiennes. Mais Alberta,<br />
toi aussi je t’aime. Joyeux Canada Day !” Quelques<br />
minutes après, des politiciens de l’Alberta faisaient<br />
déjà courir le bruit que cet oubli n’était pas une<br />
erreur, qu’il était volontaire.<br />
Cet homme-là est capable de surgir de nulle<br />
part, comme un dauphin ; enfant, il a voyagé dans<br />
le monde entier, avec son père, comme s’il faisait<br />
partie de sa délégation. Il s’aime. Il est très narcissique<br />
(ses adversaires le surnomment “Shiny Pony”,<br />
un personnage de dessin animé). Un jour, avant<br />
un débat décisif, alors qu’il comparait son destin à<br />
celui d’Obama, sa femme lui saisit brutalement le<br />
bras. Elle le fixa droit dans les yeux et lui balança :<br />
“Sois humble !” Sophie et Justin se sont rencontrés<br />
50 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
1<br />
2 Quand Trudeau<br />
devient un homme<br />
(1)Pierre et Margaret<br />
Trudeau, avec leurs<br />
trois fils. (2)Justin a<br />
hérité de son père sa<br />
passion pour le canoë.<br />
(3)Pierre Trudeau<br />
est mort peu après<br />
l’avalanche qui a<br />
emporté son frère<br />
Justin. “J’ai bien vu<br />
que c’était ce qui<br />
avait tué mon père,<br />
confie Trudeau.<br />
Il n’accepta jamais<br />
l’idée que Dieu<br />
puisse lui prendre<br />
son fils.”<br />
3<br />
© GETTY IMAGES. DR.<br />
dans leur ville natale, à Montréal. Et dès leur premier<br />
rendez-vous, Justin s’est mis en tête que c’était<br />
la bonne, qu’il allait l’épouser.<br />
Trudeau ne traîne pas sur les greens de golf.<br />
Il préfère dévaler les pentes en snowboard. Il est<br />
humain. Il a le goût du risque. Quand il était plus<br />
jeune et plus simple d’esprit, il s’amusait à se jeter<br />
du haut des marches pour faire marrer ses potes.<br />
Pour faire plaisir à son fils Hadrien qui jouait Le<br />
Petit Prince de Saint-Exupéry, Justin Trudeau s’est<br />
pointé sur la scène déguisé en aviateur. Cet homme<br />
a un sens de l’humour très particulier, mais il se<br />
défend d’en user contre ses ennemis. Trudeau est<br />
un centriste. Un optimiste aussi. Solaire. Rien à<br />
voir avec le long règne de son prédécesseur Stephen<br />
Harper et ses méthodes à la Dick Cheney. Dans<br />
son bureau aux murs couverts de portraits de rois<br />
de France – où je l’ai entendu siffloter le refrain<br />
“Like a <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>” de Dylan –, il me montre<br />
un tableau de Louis XIV. “Lui aussi était solaire”,<br />
blague-t-il. Ce Premier ministre-là n’en finit pas<br />
de surprendre son monde. Il se fait prendre en<br />
photo dans toutes les situations, en train de faire<br />
du kayak, ou de jogger. Récemment, il a interrompu<br />
sa course dans les rues de Vancouver pour<br />
faire une série de selfies avec des étudiants habillés<br />
pour leur bal de fin d’année. Son photographe<br />
officiel est toujours dans les parages. Un autre<br />
Trudeau-sceptique m’a confié l’autre jour que, s’il<br />
devait se présenter contre lui aux prochaines élections,<br />
il demanderait à des clodos et à des pauvres<br />
de brandir des panneaux pour exiger d’être pris en<br />
photo avec Trudeau. Pourquoi pas…<br />
Le Canada n’a pas résolu tous ses dilemmes. Il<br />
reste dépendant de son voisin américain pour<br />
ses énergies fossiles. Aucun puits de pétrole du<br />
Dakota du Nord américain ne peut rivaliser avec<br />
ceux de l’Alberta. Cette province canadienne est<br />
trouée comme un gruyère, plantée de milliers de<br />
puits et de foreuses. Je lui ai demandé comment<br />
il s’accommodait de cette réalité, lui qui se pique<br />
d’être un des grands supporters des accords de<br />
Paris sur le climat. “C’est une vraie question”,<br />
lâcha-t-il, sans se laisser démonter. “Il faut bien<br />
l’avouer : on ne peut pas se passer du gaz, des carburants<br />
fossiles. Nous ne sommes pas prêts. Il va<br />
falloir quelques décennies avant d’y parvenir.” Il<br />
réfléchit. “On peut réduire leur utilisation, mais<br />
la transition énergétique va prendre encore un peu<br />
de temps.” Trudeau l’écolo est aussi un supporter du<br />
fameux oléoduc Keystone, qui part des sables bitumineux<br />
de l’Alberta et traverse tous les États du<br />
nord des États-Unis sur près de 3 500 kilomètres.<br />
Cette double casquette, cette position un peu schizophrénique,<br />
est d’autant plus forte que Trudeau<br />
doit faire face au legs de son père. Quand Pierre<br />
Trudeau était Premier ministre, il s’en est pris à<br />
cette industrie. Il a taxé les profits des industries<br />
pétrolières de l’Alberta pour les redistribuer dans<br />
tout le pays. Ces grands patrons s’en souviennent.<br />
Ils l’ont encore mauvaise. Et Trudeau fils doit faire<br />
avec. Justin Trudeau se souvient encore de cette<br />
conférence qu’il a donnée il y a quelques années<br />
à Calgary. Quand il quitta la scène, un homme<br />
s’approcha de lui et lui dit : “Bien, bien ! Très bon<br />
discours. Heureux de vous avoir rencontré – pas<br />
comme votre père, ce sac à merde !” Dont acte. Pour<br />
Trudeau, la question est la suivante : “Comment on<br />
fait pour transporter tout ça ? Il ne faut pas se mentir.<br />
Les camions sont chers et en plus, ils polluent.<br />
Le rail c’est cher, c’est sale et on n’est jamais à l’abri<br />
d’une catastrophe. L’option Keystone est la plus<br />
sûre.” Argument discutable, au moins aux yeux<br />
des types qui ont planté leurs tentes à Standing<br />
Rock pour protester contre son projet d’extension.<br />
En Amérique, on connaît moins le Trudeau qui<br />
soutient l’expansion du réseau d’oléoducs Trans<br />
Mountain, transportant le pétrole de l’Alberta vers<br />
la côte de la Colombie-Britannique, pour le vendre<br />
aux marchés asiatiques. “La vraie question est de<br />
savoir si nous voulons mettre tous nos œufs dans<br />
le même panier. Est-ce que nous voulons rester<br />
dépendants du seul marché américain ? N’est-il<br />
pas préférable de s’ouvrir à l’international pour<br />
accéder à de nouveaux marchés ?” Question très<br />
rhétorique, du moins posée ainsi. Malgré toutes<br />
ces contradictions, ce jeune Premier ministre est<br />
progressif, cartésien. Il a une vista, comme on dit,<br />
une vision de l’avenir. Oui, il est né avec une cuillère<br />
d’argent dans la bouche. Mais il est en phase<br />
avec ses concitoyens. Et la vie ne l’a pas épargné.<br />
Il a vécu des drames personnels. La majorité<br />
des Canadiens est persuadée qu’il a vraiment à<br />
cœur de défendre ses 36 millions de concitoyens.<br />
En 2015, Trudeau est allé à la rencontre des réfugiés<br />
syriens. Avec d’autres bénévoles, il leur a distribué<br />
des manteaux pour l’hiver. Un an plus tard,<br />
l’un d’entre eux a profité de son passage sur une<br />
radio pour le remercier personnellement. Trudeau<br />
en a pleuré. Un autre a appelé son fils Justin, en<br />
guise d’hommage. Quel contraste avec Trump qui<br />
veut interdire l’accès au sol américain aux musulmans<br />
et à Mike Pence, qui a osé aller devant les<br />
tribunaux pour empêcher les réfugiés syriens de<br />
s’installer en Indiana ! “Si nous avons décidé d’ac-<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 51
Justin<br />
Trudeau<br />
cueillir 40 000 réfugiés syriens, ce n’est pas parce<br />
que notre gouvernement a envoyé là-bas quelques<br />
avions ou que nous avons signé un quelconque<br />
décret”, me confie Trudeau. “Si nous avons pris<br />
cette décision, c’est parce que des Canadiens ont<br />
accepté de leur ouvrir leurs maisons, leurs églises,<br />
leurs associations. Ils disaient : ‘À nous de jouer, à<br />
nous de nous mobiliser pour offrir à ces hommes et<br />
à ces femmes, qui ont traversé une crise terrible, des<br />
lendemains meilleurs.’ Nous avons pris conscience<br />
qu’en faisant venir ces réfugiés ici pour leur offrir<br />
une vie meilleure, nous rendons le monde meilleur<br />
et nous rendons nos propres communautés<br />
meilleures elles aussi. Si j’ai pris cette décision,<br />
c’est bien parce que les Canadiens étaient prêts à<br />
le faire, parce qu’ils sont ouverts, généreux et qu’ils<br />
nourrissent de grands espoirs pour notre pays.”<br />
Il y a quelque chose d’étonnant dans toute cette<br />
histoire. C’est que Trump aime Trudeau. Quand<br />
il a débarqué en Australie, il a décrit Trudeau<br />
comme “son nouvel ami”. Peut-être est-ce dû au<br />
fait que sa fille Ivanka lui faisait les yeux doux<br />
pendant sa précédente visite à la Maison-Blanche.<br />
À moins que ce ne soit parce que Trudeau augmente<br />
de 70 % le budget militaire de son pays,<br />
satisfaisant l’obsession de Trump de voir ses alliés<br />
traditionnels assumer le coût de leur propre<br />
défense nationale. “Nous avons un grand voisin<br />
au Canada et Justin fait un boulot incroyable”, a<br />
martelé Trump lors du sommet du G20. Au même<br />
moment, Trudeau jouait au jeu du mépris avec lui,<br />
renforçant les conventions environnementales<br />
avec les États et les dirigeants membres du groupe<br />
des fameuses vingt nations les plus industrialisées<br />
de la planète. Le New York Times rapporte que<br />
Trudeau aurait engagé l’ancien Premier ministre<br />
conservateur Brian Mulroney pour gérer Trump,<br />
et que le gouvernement canadien se serait payé les<br />
services d’un lobbyiste américain pour assouplir la<br />
ligne proaméricaine, America First, Buy American<br />
d’Andrew Cuomo, le gouverneur de l’État de New<br />
York. Un mauvais coup pour les relations commerciales<br />
du Canada. Trudeau n’aime pas ces tracasseries.<br />
Il préférerait que ses voisins d’Amérique,<br />
ceux des 48 États d’en dessous, n’en mentionnent<br />
pas même l’existence. “Je ne pense pas que moi ou<br />
le Canada ayons quoi que ce soit à gagner à jouer<br />
les fiers-à-bras. Seuls les faits comptent”, lâchet-il<br />
en prenant place dans ce bureau de Premier<br />
ministre dans lequel, des années plus tôt, un peu<br />
comme les Kennedy, il jouait, enfant. “C’est clair<br />
que je ne partage pas les positions de Trump sur un<br />
bon paquet de sujets, dit-il en desserrant son nœud<br />
de cravate. Mais les Canadiens me demandent de<br />
faire le grand écart, en tenant ferme sur nos points<br />
de désaccord sans mettre en péril tous nos intérêts<br />
commerciaux.” Puis il ajoute, en parlant de<br />
Trump : “Nous avons des échanges constructifs. Je<br />
ne suis pas du genre à bondir à la moindre frustration,<br />
à lui sauter dessus, à l’insulter dès qu’il ouvre<br />
la bouche. Il faut maintenir ce dialogue.” Trudeau<br />
n’est plus un gosse comme du temps de son père<br />
et des photos de famille à la JFK. Dans ce bureau,<br />
désormais, c’est lui le patron.<br />
Le soir après sa conférence de<br />
presse, le Premier ministre se<br />
pointe avec sa femme Sophie à une<br />
soirée de gala où tous les invités<br />
sont en costard et ressemblent au<br />
pingouin de Linux. La scène se déroule au bal de<br />
Rideau Hall, la résidence officielle du gouverneur<br />
général. Le président italien est en visite officielle.<br />
Au menu, cochon de lait, panna cotta au coulis<br />
de cerises du Niagara et compote d’abricot. Les<br />
Canadiens détestent ça, mais parfois Trudeau et<br />
ses jeunes conseillers s’y soumettent, en petits gars<br />
bien-pensants et bien sous tous rapports, comme<br />
dans une série de Netflix. Il faut reconnaître que<br />
Trudeau est suffisamment bien balancé pour rivaliser<br />
avec Gary, le héros de la série comique Veep,<br />
diffusée sur HBO. À ceci près qu’il n’est pas très<br />
branché pince-fesses, dîners en ville, si chers à<br />
feu Pierre Trudeau, son père. Justin bosse, sympathique,<br />
attachant, balançant à l’occasion un<br />
« Pour tenter de me déstabiliser, les gens<br />
disaient : ‘Il est très différent de son père.<br />
Il tient surtout de sa mère.’ Et moi,<br />
je répondais : ‘Merci, merci beaucoup.’ »<br />
clin d’œil à untel, un petit coup de coude à un<br />
autre. C’est un garçon de son temps. Un homme<br />
du xxi e siècle.<br />
Justin est tombé dedans quand il était petit. Il<br />
est du coin. Il y est né. Il a grandi à moins d’un kilomètre<br />
du 24, Sussex Drive, la résidence officielle du<br />
Premier ministre. Enfin, en temps normal. Parce<br />
qu’au moment où j’écris ces lignes, la résidence de<br />
Trudeau est en rénovation. C’est le problème avec<br />
les vieilles résidences officielles. Avec sa petite famille,<br />
l’actuel Premier ministre a dû se rabattre sur<br />
un petit “cottage” d’à peine 3 000 mètres carrés,<br />
situé quelques centaines de mètres plus loin. Mais<br />
toujours dans le quartier de naissance de Trudeau.<br />
Lequel est né le soir de Noël. En 1971. Dès sa naissance,<br />
il fait parler de lui. Quelques lignes déjà,<br />
dans la presse nationale. Fils de… Cette annéelà,<br />
Pierre Trudeau, 51 ans, épousait en urgence<br />
la jeune mère de son fils, Margaret, 22 ans. Les<br />
caméras ont fixé ce moment. Trudeau senior sortant<br />
tout sourire sur le perron de l’hôpital d’Ottawa<br />
pour annoncer la naissance du divin Justin.<br />
“Ce gars est né sous le feu des projecteurs.”<br />
Dès le début, commente Terry DiMonte, DJ à<br />
Montréal et ami proche. Il le connaît depuis les<br />
années 1980, depuis que le jeune Justin a passé<br />
une annonce sur une radio locale pour tenter<br />
de dénicher des places pour un film qui affichait<br />
complet. C’est un héros shakespearien. Une<br />
sorte de Camelot version Grand Nord canadien.<br />
Dans son bureau de Parliament Hill, Trudeau<br />
me montre un recoin, une planque, l’endroit où<br />
il aimait se cacher quand il jouait dans les pattes<br />
de son père. “C’est drôle, mais, dans mon souvenir<br />
de gosse, les murs étaient plus clairs. J’ai<br />
regardé les photos de l’époque, pour comparer. Ce<br />
sont les mêmes. Rien n’a changé, en fait.” Après<br />
sa naissance, deux autres fils naquirent. Mais<br />
il n’y a que Justin qui accompagnait son père,<br />
comme sur cette photo de lui exhibant son yo-yo<br />
sous les yeux du Premier ministre de la Suède, ou<br />
cette autre prise pendant qu’il récite un poème<br />
à Ronald Reagan intitulé “The shooting of Dan<br />
McGrew”. Son père préférait les grands classiques<br />
de la littérature. Sur un autre cliché, on aperçoit<br />
Justin jeune pris en flagrant délit de zyeutage<br />
pendant que Lady Di se prélasse dans la piscine<br />
de la résidence officielle. “C’est comme ça que j’ai<br />
compris que les affaires internationales reposaient<br />
sur les relations humaines, et la manière<br />
de se comporter avec nos interlocuteurs, confie<br />
Trudeau. La manière de les écouter. En vérité,<br />
je ne parle pas de la même manière avec Merkel<br />
et avec Trump.” Trudeau en profite pour dénoncer<br />
les affirmations du Spiegel qui prétend qu’il<br />
aurait demandé à Merkel de lever le pied avec<br />
Trump au lendemain de sa sortie des accords<br />
de Paris. Pierre Trudeau, le père, était considéré<br />
comme un homme de grande valeur aux yeux de<br />
ses concitoyens. Il a orchestré la rédaction d’une<br />
nouvelle Constitution pour le pays. Il a maintenu<br />
l’unité du pays lors des velléités sécessionnistes du<br />
Québec francophone – recourant tour à tour aux<br />
urnes et aux armes, selon les circonstances. En<br />
octobre 1970, le Front de libération du Québec<br />
a assassiné un ministre provincial et kidnappé<br />
un diplomate anglais. Pierre a envoyé les troupes<br />
dans les rues de Montréal. Et lorsqu’un journaliste<br />
lui a demandé jusqu’où il était prêt à aller<br />
dans la restriction des libertés publiques, ce Premier<br />
ministre, qui se targuait d’être moderniste, a<br />
simplement lâché : “Regardez bien”. Mais en dépit<br />
de l’image qu’il voulait donner, la maison Trudeau<br />
était déjà sens dessus dessous. Les intuitions politiques<br />
de Pierre masquaient une grande fragilité,<br />
une véritable obsession pour l’embrigadement, le<br />
contrôle, traçant chez lui, dans sa propre maison,<br />
des étages où Justin et ses frères devaient s’exprimer<br />
en français, et d’autres où l’anglais était de<br />
mise. Sous contrôle, donc, même en 1977, lorsque<br />
monsieur Trudeau père fit mine d’improviser<br />
une pirouette facétieuse dans le dos de la reine<br />
Elizabeth à Buckingham Palace. Il voulait exprimer<br />
tout le mépris des Canadiens pour la pompe<br />
52 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
© GREG KOLZ. BERNARD WEIL/CORBIS.<br />
Le bon vivant<br />
(1) Sportif, Trudeau aime se mettre en scène.<br />
(2) En 2005, il épouse Sophie. Ils ont trois enfants.<br />
2<br />
élisabéthaine. “Mon père a perdu son père quand<br />
il avait 15 ans. Ça l’a bousillé, m’a confié Trudeau.<br />
Ça l’a marqué à vie.” De son côté, sa mère, du<br />
haut de sa vingtaine d’années, explosait sans prévenir.<br />
Margaret souffrait de troubles bipolaires.<br />
Pierre et Margaret Trudeau divorcèrent quand<br />
Justin avait 6 ans, trop jeune pour accompagner<br />
seul son père sur ses visites d’État, pas assez fort<br />
encore pour consoler sa mère, capable de débarquer<br />
à la sortie de son école pleurant toutes les<br />
larmes de son école parce que son petit ami de la<br />
veille venait de la quitter. “Ma mère a toujours été<br />
très généreuse, sensible, vulnérable et pourtant si<br />
forte”, se souvient-il. “Il a fallu qu’elle tienne face à<br />
ce trouble mental. Il lui fallait bien du courage”,<br />
dit-il, marquant une pause et souriant. “Elle<br />
comprenait les gens et tissait des relations très<br />
étroites avec eux. Ma mère était douée pour cela,<br />
plus que mon père.”<br />
Enfant, Justin a dû subir les unes des journaux<br />
évoquant les frasques de sa mère, qui faisait la<br />
fête avec les <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>s et dansait jusqu’au<br />
bout de la nuit au Studio 54, une boîte canadienne<br />
à la mode. Quand il a fait ses premiers<br />
pas en politique, les mauvaises langues disaient<br />
qu’il ressemblait plus à sa mère qu’à son père.<br />
Qu’importe. Justin traça sa route. “Mon père,<br />
dit-il, était quelqu’un d’incroyablement fort. Il<br />
était brillant. C’était une grande figure, au sens<br />
classique du terme. Mais il portait aussi cette<br />
fragilité intime, cette faiblesse qui pouvait faire<br />
de lui un homme distant, émotionnellement distant.”<br />
Justin affiche un sourire triste. “Certains<br />
faisaient feu de tout bois pour m’atteindre, ils<br />
disaient : ‘Il est très différent de son père. Il tient<br />
surtout de sa mère.’ Et moi, j’avais envie de leur<br />
dire ‘Merci, merci beaucoup.”<br />
Trudeau m’a invité à l’accompagner en berline,<br />
pour suivre avec lui les jeux de l’Acadie, à<br />
Fredericton au Nouveau-Brunswick. À l’arrivée,<br />
j’ai bien essayé de sortir, mais ma portière<br />
était verrouillée. “Il faut que tu attendes qu’ils<br />
t’ouvrent la porte”, dit-il en pointant du menton<br />
les officiers de la police royale canadienne. Il grimaça<br />
avant de lâcher : “Il m’a fallu six mois pour<br />
m’y habituer.” Au planning, Justin doit suivre<br />
1<br />
un match de badminton. Mais les choses<br />
ne vont pas se dérouler comme prévu. Il<br />
est pris d’assaut par une vague humaine,<br />
littéralement cerné par des gosses qui se<br />
ruent, le tirent, le poussent dans un volume<br />
sonore équivalent à la sonnerie de<br />
6 000 téléphones portables. Trudeau attire<br />
cette énergie. Il s’en nourrit, pas comme<br />
son père, mais plutôt comme l’ancien premier<br />
ministre de la Colombie-Britannique : James<br />
Sinclair, le père de Margaret. Sinclair était très<br />
fort pour ça, pour se jeter dans la mêlée, aller à<br />
la rencontre des gens et donner à chacun, qu’il<br />
soit ministre ou bien mineur, le sentiment d’être<br />
important à ses yeux. Son -petit-fils a hérité de lui<br />
ce talent-là. Ça fait partie de son style. Trudeau<br />
se concentre sur les individus, il fait fi des barrières<br />
sociales, des conventions, pour permettre<br />
le dialogue, même avec ses conseillers proches.<br />
Trudeau se laisse entraîner par un groupe d’adolescentes<br />
vers le gymnase. L’ambiance est à la<br />
fête, avec une pointe de nostalgie, un ressentiment<br />
étouffé, à la canadienne. Ces enfants sont<br />
les héritiers de la Grande Expulsion de 1755,<br />
quand les Britanniques poussèrent les Acadiens<br />
francophones à l’exil vers le Maine, la France ou<br />
encore la Louisiane. Mais aujourd’hui, c’est du<br />
passé. Il y a beaucoup d’amour. C’est quelque<br />
chose que je n’ai jamais ressenti en fréquentant<br />
d’autres hommes politiques. C’est obamesque, si<br />
tant est qu’Obama ait pu se retrouver dans un tel<br />
bain de foule, si ses services de sécurité avaient<br />
laissé faire cela. “Souvenez-vous de Roosevelt à<br />
la radio”, minore le journaliste canadien Noah<br />
Richler, ancien candidat socialiste à un siège de<br />
parlementaire. “Churchill était un grand orateur.<br />
Trudeau est très mauvais à l’oral. Mais il est beau<br />
gosse.” Quelques minutes plus tard, Richler se ravise<br />
un peu et concède : “Il aime son boulot – c’est<br />
amusant de le regarder faire.”<br />
Pour Trudeau, cette exposition n’est pas seulement<br />
liée à son propre ego. “J’ai la conviction<br />
très profonde qu’on ne peut pas faire ce job si on<br />
n’est pas en prise avec les gens”, me dit-il sur le<br />
chemin du retour vers Ottawa. “Ça signifie être<br />
assez disponible pour qu’ils se sentent proches de<br />
vous.” Le reste du déplacement est joyeux. Autre<br />
visite. La caserne de Fredericton qui célèbre son<br />
200 e anniversaire – il me confie que sa femme lui<br />
en veut parce qu’il refuse de la laisser l’accompagner<br />
au milieu de ces beaux gars, ces pompiers.<br />
Trudeau est chaud. Il saute sur le toit d’un camion<br />
de pompier, manipule les équipements. Une heure<br />
plus tard, il est debout sur une table de piquenique<br />
à partager des glaces avec des supporters<br />
sur les rives de la rivière Saint John, dans le cadre<br />
idyllique de Grand Bay-Westfield, au Nouveau-<br />
Brunswick. Image de carte postale. Il est encore à<br />
ses photos quand son équipe le pousse gentiment<br />
vers sa berline. La journée se poursuit à merveille,<br />
sans le moindre accroc, jusqu’à ce que le convoi<br />
quitte brutalement l’autoroute pour s’engager sur<br />
un sentier du Nouveau-Brunswick. Je ne comprends<br />
pas ce qui se passe. J’imagine une crise<br />
ou une menace sur la sécurité nationale. Je vois le<br />
Premier ministre qui descend la vitre de sa portière<br />
et balance son cône glacé. Tout un détour<br />
pour ne pas être vu en train de jeter ce cône sur<br />
une autoroute nationale. Ce culte de la personnalité,<br />
ce contrôle de l’image, toute cette conquête du<br />
pouvoir a débuté des années plus tôt.<br />
Tout a commencé par une avalanche et une<br />
marche funèbre.<br />
Q<br />
uand<br />
il se retira du monde<br />
politique en 1984, Pierre<br />
Trudeau retourna avec ses<br />
trois fils Justin, Alexandre et<br />
Michel, dans sa demeure Art<br />
déco de Mount Royal. Pierre occupait tout un<br />
étage, immense, aux murs couverts de livres et<br />
de souvenirs, pendant que ses trois fils s’entraînaient<br />
à la lutte sur les tapis du rez-de-chaussée.<br />
Le soir, ils se retrouvaient tous les quatre<br />
autour d’un bon dîner et le pater familias leur<br />
parlait de Shakespeare et de Thomas Hobbes.<br />
Justin intégra un lycée prestigieux tenu par des<br />
jésuites ; il y avait des élèves juifs, des protestants<br />
aussi. Certains ont bien essayé de le faire<br />
réagir sur les gros titres des journaux à propos<br />
de sa mère, mais ils étaient rares et Justin a plutôt<br />
été épargné. Son camarade de classe, Marc<br />
Miller, se souvient qu’il était “plus un acrobate<br />
qu’un athlète”, capable de débarquer au lycée<br />
dressé sur son monocycle tout en jonglant avec<br />
des quilles ou des balles de tennis. “Il n’était pas<br />
du genre à s’enfermer dans une catégorie type,<br />
parmi d’autres mâles alpha”, précise Miller, aujourd’hui<br />
secrétaire parlementaire.<br />
Trudeau garde un souvenir très fort des<br />
balades en famille, avec son père et ses deux<br />
frères, dans tout l’arrière-pays, les grandes<br />
marches, l’escalade, le kayak. Quand ils se retrouvaient<br />
à table, Pierre devait pressentir qu’il<br />
n’aurait probablement pas la chance de suivre<br />
la carrière de son fils. C’était comme s’il était<br />
pressé de lui transmettre tout ce qu’il pouvait,<br />
partager son expérience. “Il nous répétait souvent<br />
que nous devions être capables de faire un<br />
feu même sous l’averse, se souvient Justin. Il<br />
voulait que nous soyons prêts à affronter toutes<br />
les situations, dans tous les domaines.” À l’occasion,<br />
Justin faisait des apparitions publiques,<br />
à la grande joie des Canadiens. À 18 ans, il a pris<br />
part à un débat entre lycéens, affirmant que le<br />
Québec devait rester au Canada. Il a défendu<br />
cette opinion en utilisant parfois le français<br />
et certaines formules comme “le Canada ne<br />
chie pas sur le Québec”, montrant à l’occasion<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 53
Justin<br />
Trudeau<br />
qu’il pouvait se montrer aussi incisif que son<br />
père. Il a fait McGill à Montréal, où il s’est initié<br />
aux grands débats de société, nouant une<br />
solide amitié avec Gerald Butts, un de ses plus<br />
proches collaborateurs aujourd’hui. “Pour moi,<br />
la plus grande chose que Justin est parvenu à<br />
accomplir c’est d’avoir su rester normal”, commente<br />
Butts. Une fois son diplôme en poche,<br />
il s’est rendu dans le Grand Ouest, employé<br />
comme moniteur de snowboard tout d’abord,<br />
puis comme prof à Vancouver. Son enfance, sa<br />
longue période d’insouciance, a duré jusqu’à<br />
ses 26 ans. Cette année-là, Trudeau reçut un<br />
coup de fil lui annonçant que son frère Michel<br />
venait d’être emporté par une avalanche, alors<br />
qu’il skiait près du lac Kokanee, en Colombie-<br />
Britannique. La coulée de neige l’avait emporté<br />
vers les eaux glacées du lac. Et malgré tous<br />
les efforts des amis qui l’accompagnaient, sa<br />
dépouille n’a jamais été retrouvée. La nation<br />
tout entière se souvient du ballet incessant des<br />
hélicoptères et des plongeurs occupés à retrouver<br />
“Miche”, comme le surnommaient ses amis.<br />
C’était filmé. Justin rentra à Montréal pour rejoindre<br />
son père. La météo était mauvaise. Et la<br />
famille Trudeau prit la décision de faire interrompre<br />
les opérations de sauvetage. Le corps du<br />
plus jeune des fils Trudeau repose encore dans<br />
le lac. Justin resta à Montréal et, avant la fin<br />
de ses études, apprit que son père était atteint<br />
d’un cancer de la prostate. Il vit son père dépérir<br />
lentement, s’en aller, en quelques mois. Justin<br />
reste persuadé aujourd’hui que si son corps<br />
était rongé par le cancer, c’est bien la mort de<br />
“Miche” qui avait eu raison de lui. “J’ai bien vu<br />
que c’était ce qui l’avait tué”, confie Trudeau, les<br />
yeux troublés par l’émotion. “Il a perdu la tête. Il<br />
ne parvenait pas à accepter l’idée que Dieu lui<br />
reprenne son fils comme ça.”<br />
Pierre Trudeau meurt à l’automne 2000. Assailli<br />
par les médias, Justin se réfugie dans un<br />
lieu surprenant : la maison de son ami DJ Terry<br />
DiMonte, persuadé que les journalistes n’auraient<br />
jamais l’idée de le chercher de ce côté-là. Ses<br />
funérailles ont lieu à la basilique Notre-Damede-<br />
Montréal, un édifice du xix e siècle qui fut<br />
longtemps considéré comme la plus grande église<br />
de toute l’Amérique du Nord. Pour le meilleur et<br />
pour le pire, ce moment allait être celui du passage,<br />
du relais. Rien ne fut laissé au hasard. Dans<br />
la cuisine de DiMonte, Trudeau junior réunit ses<br />
vieux amis, Butts et Miller. Il écrivit quelques<br />
lignes et les confia à ses amis pour relecture. Il<br />
écrivit, ratura, recommença son éloge funèbre. “Il<br />
savait qu’il allait être sous le feu des projecteurs”,<br />
se souvient DiMonte. Les funérailles nationales<br />
se déroulèrent le 3 octobre, avec Castro et Jimmy<br />
Carter aux premiers rangs. Justin évoqua la mémoire<br />
de son père, et finit sur une citation de<br />
Robert Frost : “Il tint ses promesses et mérita son<br />
repos.” En lisant ces dernières lignes, Justin se mit<br />
à trembler. Il était en larmes. “Je t’aime, Papa”,<br />
ajouta-t-il en français avant de s’incliner et de<br />
poser le front sur le cercueil recouvert du drapeau<br />
canadien. Puis il alla se réfugier dans les bras<br />
de sa mère et de son dernier frère. Le buzz était<br />
lancé. Les gens s’interrogeaient sur le destin politique<br />
de Justin. Il a commencé juste avant la mort<br />
de son père. Un avant le décès de Pierre Trudeau,<br />
Justin s’assit pour l’un de leurs fameux déjeuners<br />
de famille. Justin voulait parler de son peu<br />
d’entrain pour la chose politique. Il a attendu. Il<br />
« J’ai la conviction très profonde qu’on ne peut<br />
pas faire ce job si on n’est pas en prise avec<br />
les gens », dit-il en se fondant dans la foule.<br />
attendait le bon moment. Il voulait s’assurer de la<br />
pérennité et du soutien du Parti libéral. Les libéraux<br />
étaient déjà sur le déclin, occupant 172 sièges<br />
en 2000, et seulement 34 en 2011. La vieille garde<br />
gauchisante était déjà en train de dépecer ce qui<br />
restait du parti. “Il sentait, raconte Butts, que le<br />
parti devait aller au bout de cette déchéance pour<br />
mieux se réinventer ensuite.”<br />
T<br />
rudeau est retourné sur<br />
le chemin de l’école, pour un<br />
doctorat d’ingénieur. Il fit aussi<br />
l’acteur dans une production<br />
canadienne glorifiant l’engagement<br />
des conscrits canadiens dans la Première<br />
Guerre mondiale. Toujours en marge de la politique,<br />
jusqu’en 2007. Il devient candidat à un<br />
poste de député. Ce qu’il y a de particulier dans<br />
le système parlementaire canadien, c’est qu’en<br />
dernier ressort, ce sont les caciques des partis<br />
qui définissent la circonscription devant laquelle<br />
chacun de ses candidats peut se présenter.<br />
Trudeau a été parachuté à Montréal, dans<br />
la circonscription de Papineau, à quelques encablures<br />
du foyer paternel. Papineau est peuplé<br />
de migrants, d’Africains, d’Haïtiens. Une<br />
députée, originaire d’Haïti, occupait le siège<br />
visé par Justin. Et, malgré son look de jeune<br />
premier, personne ne donnait cher de la peau<br />
de Trudeau. Il a déjoué les pronostics et gagné<br />
sa place au Parlement, pendant que les autres<br />
candidats du Parti libéral se faisaient laminer.<br />
Trudeau garde un souvenir ému de cette première<br />
campagne. “J’ai raflé les votes grecs au<br />
nez et à la barbe du candidat grec. J’ai gagné<br />
le vote des Italiens malgré le candidat italien.<br />
Ma rivale la plus solide était la députée sortante,<br />
une Haïtienne, mais les Haïtiens ont<br />
voté pour moi.” J’avais ma prochaine question<br />
sur le bout de la langue, mais Trudeau a enchaîné.<br />
“Au Canada, explique-t-il, les électeurs ne<br />
votent pas pour un représentant de telle ou telle<br />
communauté. Ils votent pour des valeurs.” Pas<br />
comme aux États-Unis d’Amérique, où le tribalisme<br />
et l’appartenance ethnique prédominent.<br />
“Ma vision du pays, poursuit-il, reflétait tout<br />
simplement celle de mes électeurs.”<br />
Plus récemment, le principe du vivre et laisser<br />
vivre, si cher à la nation canadienne, a été mis à<br />
rude épreuve. En janvier dernier, un Canadien<br />
de 27 ans a froidement assassiné six musulmans<br />
dans une mosquée de Québec. Trudeau a rappelé<br />
sa confiance en l’esprit d’ouverture des Canadiens,<br />
mais le pays et ses chefs politiques ont été durablement<br />
affectés.<br />
“Les gens de confession musulmane sont trop<br />
souvent victimes du terrorisme, hélas”, lâche Trudeau.<br />
Quel contraste avec les mesures de bannissement<br />
de Trump ! La suite de la carrière de<br />
Trudeau, de la députation au poste de Premier<br />
ministre peut paraître moins romantique, moins<br />
élégante, en passant par un vrai ring de boxe. Elle<br />
est le résultat d’une stratégie plus réfléchie qu’il<br />
n’y paraît.<br />
Pendant longtemps, le désir assumé de<br />
Trudeau d’apprendre les us et coutumes des gens<br />
d’Ottawa a été altéré par ce nom lourd à porter et<br />
sa grande gueule. En 2011, Trudeau n’a-t-il pas<br />
qualifié de “grosse merde” un député conservateur<br />
en pleine Chambre des Communes lors d’un<br />
débat houleux ? Il a fallu qu’il s’en excuse. Mais le<br />
mal était fait. Et les médias conservateurs n’hésitaient<br />
pas à rappeler que ce jeune ambitieux avait<br />
aussi le sang chaud. L’année suivante, il a été bien<br />
mal inspiré d’accepter de monter sur un ring et de<br />
mettre les gants contre le sénateur conservateur<br />
Patrick Brazeau dans le cadre d’un gala de charité<br />
visant à récolter des fonds pour la lutte contre<br />
le cancer. “Personne ne peut prétendre les yeux<br />
dans les yeux que c’était une bonne idée, dit Miller,<br />
son ami et très proche conseiller. Il s’est donné<br />
en spectacle.” Ce soir de mars 2012, la cote de<br />
Trudeau était à 1 contre 3. Le Canadien Brazeau,<br />
d’origine indienne, avec ses longs cheveux noirs et<br />
ses tatouages sur les bras, était donné vainqueur.<br />
Pour l’occasion, Trudeau s’était fait dessiner un<br />
corbeau et le globe terrestre. Brazeau ressemblait<br />
à un gars capable de rétamer une palanquée de<br />
poivrots dans une boîte à strip-tease. Les médias<br />
conservateurs étaient comblés, ils guettaient la<br />
mort du “Shiny Pony”. Dans tous les bars du pays,<br />
les matchs de hockey cédaient la place à ce match<br />
au sommet. Énorme succès d’audience. Dès le<br />
début du combat, Brazeau s’est rué sur Trudeau<br />
et lui a asséné des coups terribles. La foule était<br />
comblée. Elle avait ce qu’elle voulait. Un massacre<br />
en règle et très vite Trudeau au sol, le cul à terre,<br />
inhalant des sels pour se remettre d’aplomb. Trudeau<br />
s’est accroché. Il a répliqué par une série de<br />
directs à la face du sénateur. Brazeau a même été<br />
compté. Lui-même n’en revenait pas. Au troisième<br />
54 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
© GETTY IMAGES<br />
round, l’arbitre dut interrompre le match, alors<br />
que Trudeau venait de se ruer une nouvelle fois<br />
sur son adversaire incapable de répliquer. La victoire<br />
de Trudeau a révélé que ce jeune loup savait<br />
tenir parole et qu’on pouvait appartenir à un Parti<br />
libéral un peu mou du genou et avoir un sacré<br />
punch. Cinq ans et des kilomètres plus loin, Trudeau<br />
esquive un sourire bien mystérieux quand<br />
je lui demande si ce match n’était pas biaisé. “On<br />
a beaucoup réfléchi, laisse-t-il tomber. Je voulais<br />
quelqu’un capable de tenir sur le ring, et on a déniché<br />
ce sénateur un peu hors normes, issu de la<br />
communauté indienne, pour jouer le méchant. Il<br />
a joué le jeu. Il m’a donné la réplique.” Trudeau dit<br />
cela avec la précision froide d’un expert financier<br />
lors d’une réunion de comptables. “Pour moi, ça<br />
faisait la blague et ça avait du sens.”<br />
Le dimanche précédent notre entrevue, le<br />
Premier ministre Trudeau paradait et dansait à<br />
la Gay Pride de Toronto, avec des chaussettes barrées<br />
d’inscriptions en arabe célébrant la fin du ramadan.<br />
Drôle de manière d’afficher son soutien à<br />
deux minorités opprimées. De quoi faire bondir le<br />
journaliste conservateur Sean Hannity. Mais c’est<br />
avec des coups comme ça que Trudeau est devenu<br />
Premier ministre. Il a hérité du Parti libéral de<br />
son père, quand ses représentants étaient au plus<br />
bas dans les sondages, juste après la désastreuse<br />
campagne de 2011 qui les réduisit à 34 sièges sur<br />
un total de 308 au Parlement. Trudeau a pris<br />
la tête du parti en 2013. Et d’emblée, il s’est mis<br />
à “l’obamatiser”, réinvestissant les jeunes électeurs,<br />
mais aussi les minorités, usant des médias<br />
sociaux pour relayer ses slogans. Il s’est adjoint<br />
les services de l’ancien directeur adjoint de la<br />
campagne d’Obama. Trudeau avait du charisme.<br />
“C’était incroyable de voir toute cette jeunesse se<br />
ruer vers lui”, reconnaît Richer. Et puis il s’est<br />
imposé dans les débats télévisés. “C’est alors que<br />
j’ai compris que nous étions cuits”, laisse tomber<br />
Richer. Le parti de Trudeau a remporté les élections<br />
du 19 octobre 2015. Avec lui, les votes en<br />
faveur du Parti libéral sont passés de 2,8 millions<br />
en 2011 à près de 7 millions quatre ans plus tard.<br />
Quelques jours plus tard, les membres de son<br />
nouveau cabinet, reflet parfait du multiculturalisme<br />
à la canadienne, se rendaient comme un<br />
seul homme à Rideau Hall pour son investiture.<br />
Un reporter sur place a demandé à Trudeau pourquoi<br />
il y avait tant de conseillers femmes autour<br />
de lui. Il sourit avant de répondre : “Parce que<br />
nous sommes en 2015.”<br />
Suivre l’investiture de Trudeau, c’était un peu<br />
comme regarder un enfant faire ses premiers<br />
mètres à vélo. Tant de promesses. Tant de renoncements.<br />
Parfois encore, le jeune homme est<br />
capable de coups de tête. L’année dernière, il a<br />
déboulé dans la Chambre des Communes pour<br />
aller chercher un de ses opposants, bousculant au<br />
passage, d’un coup de coude à la poitrine, la députée<br />
Ruth Ellen Brosseau. Cette affaire est devenue<br />
le “Coudegate” (“Elbowgate” en anglais). Les<br />
membres de l’opposition se sont rués sur lui, impatients<br />
de transformer la bousculade en affaire<br />
d’État. Trudeau a présenté ses excuses. Quatre<br />
fois. Il est devenu le souffre-douleur du comique<br />
John Oliver. “Je lui ai envoyé un texto juste après,<br />
se souvient DiMonte. Et il m’a répondu que ça<br />
lui avait échappé, qu’il ne recommencerait plus.”<br />
DiMonte s’est mis à rigoler en me livrant cette<br />
anecdote. “Il est bien comme son père. Il est gentil,<br />
patient, jusqu’à un certain point. Est-ce qu’il<br />
a appris à arrondir les angles ? Oui. Se comportet-il<br />
parfois encore comme un éléphant dans un<br />
magasin de porcelaine ? Absolument.” Récemment,<br />
Trudeau a été tancé par son aile droite parce<br />
qu’il avait autorisé le versement d’une indemnité<br />
de 9,5 millions d’euros au ressortissant canadien<br />
Face à la nation<br />
Sur Trump : “On est en désaccord<br />
sur nombre de sujets, mais on travaille<br />
bien ensemble.”<br />
Omar Khadr, engagé à 15 ans dans un échange de<br />
tirs qui a causé la mort d’un soldat américain en<br />
Afghanistan. Le père de Khadr était associé à Ben<br />
Laden. Le jeune homme a été incarcéré à Guantanamo.<br />
Il y a été torturé avant de finir dans une<br />
prison canadienne. Khadr a été libéré en 2015,<br />
après avoir passé la moitié de sa vie derrière les<br />
barreaux. Les tribunaux canadiens ont estimé que<br />
ses droits avaient été bafoués. Khadr a poursuivi<br />
le gouvernement canadien et Trudeau a transigé<br />
pour un accord. Le leader conservateur Andrew<br />
Scheer a bondi sur l’occasion, qualifiant cette indemnité<br />
de “lamentable”. Trudeau s’est défendu<br />
que, devant les tribunaux, le gouvernement aurait<br />
encouru une amende quatre fois plus élevée. “On<br />
apprécie une société juste, pas seulement dans les<br />
cas où la défense des droits de ses ressortissants<br />
est facile et populaire, dit-il, mais aussi quand sa<br />
reconnaissance est moins évidente.”<br />
Certaines promesses de campagne n’ont pas<br />
été réalisées, comme la réforme du code électoral,<br />
mais il a tenu la plus importante, celle faite<br />
au million cinq cent mille indigènes du Canada.<br />
Il a créé une Commission pour la paix et la réconciliation<br />
et assumé publiquement que l’État était<br />
responsable de l’enlèvement de 150 000 enfants<br />
à leurs familles indigènes en 1883. Ils furent placés<br />
dans des orphelinats et des pensionnats scolaires.<br />
Une section de cette commission enquête<br />
sur le meurtre de mille femmes indigènes. Mais<br />
cette dernière fait déjà l’objet de vives critiques<br />
en interne. Elle souligne aussi la négligence coupable<br />
dont le gouvernement a fait preuve tant au<br />
niveau de l’éducation de cette population, que de<br />
la qualité de ses eaux et de ses réserves nationales.<br />
Trudeau a promis une eau plus saine, de nouvelles<br />
écoles et, plus important, plus de latitude dans l’allocation<br />
et la répartition de fonds aux différentes<br />
réserves nationales. Mais les réalisations tardent<br />
à venir. Lors de sa conférence de presse, Trudeau<br />
a appelé à plus de patience. “Cela nous a pris des<br />
siècles avant d’en arriver là. Il va falloir encore<br />
quelques générations avant que nous puissions<br />
apurer les comptes liés à cet héritage.”<br />
Quelques heures après sa conférence de presse,<br />
Trudeau insiste pour me faire partager sa vision<br />
du Canada. Nous faisons une demi-heure de route<br />
vers la banlieue d’Ottawa, jusqu’à l’école élémentaire<br />
de Berrigan, à Nepean. Pendant que ses officiers<br />
de sécurité s’assurent des lieux, je reste dans<br />
le fond d’une salle de classe qui ressemble à s’y<br />
méprendre à celle dans laquelle l’ancien président<br />
George W. Bush se trouvait le matin du 11 septembre<br />
2001. Sur place, j’ai l’impression d’assister<br />
à une session de l’assemblée des Nations unies. Plus<br />
tard, le proviseur me dit que, sur les 900 élèves<br />
inscrits dans son école, 35 pays étaient représentés<br />
et une vingtaine de langues parlées. Je n’étais<br />
pas très loin. Les élèves parlent anglais, français et<br />
tout un tas d’autres langues qui m’échappent. Cela<br />
me rappelle ce que Richter m’avait dit à propos de<br />
son pays : “Ce pays est si étendu que nous ne l’occuperons<br />
jamais complètement. Nous avons autant<br />
besoin des immigrants qu’ils ont besoin de nous.”<br />
Trudeau allait de l’un à l’autre, écoutait, jusqu’à ce<br />
qu’un jeune Indien se mette à raconter qu’il était<br />
fier de se sentir Canadien et de pouvoir entonner<br />
sans crainte l’hymne national indien. Le Premier<br />
ministre s’empara du micro et se mit à parler en<br />
anglais et en français. “Quand vous observez un<br />
pays, ou une communauté, la division est à l’origine<br />
des désaccords, d’affrontements et finalement<br />
d’affaiblissements”, dit-il. Ici, au Canada, nous<br />
avons des points de divergence, des origines différentes,<br />
des histoires différentes, plusieurs religions,<br />
plusieurs langues.” Puis il darde vers l’écolier un<br />
regard de vieux maître d’école. “Nous avons réussi<br />
à faire de cette diversité une force.”<br />
Trudeau retourne vers les voitures de son convoi<br />
qui s’arrête à chaque feu rouge. Dans la cour, près<br />
de deux cents gosses tendent à bout de bras des<br />
pancartes avec les mots “Espoir” et “Respect” écrits<br />
dessus. Ils s’accrochent à sa chemise et repartent<br />
avec de grands sourires. Cela peut paraître un peu<br />
niais comme ça, mais c’était magnifique. Voilà la<br />
définition de ce qu’un pays doit être aux yeux de<br />
Trudeau. Le Canada se bat pour fédérer les communautés<br />
quand l’Amérique construit des murs et<br />
rêve d’un âge d’or qui ne reviendra pas. Ce pays-là,<br />
le pays de Trudeau, pourrait bien constituer un<br />
beau refuge à ceux qui voudraient fuir la tempête<br />
qui vient d’Amérique.<br />
TRADUCTION ET ADAPTATION PAR SÉBASTIEN SPITZER<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 55
Portfolio<br />
RENCONTRES PHOTOGRAPHIQUES<br />
Hache de guerre<br />
Depuis vingt-neuf ans, à Perpignan, Visa pour l’image, plus grand<br />
festival international de photojournalisme au monde, multiplie<br />
ses regards, lucides et sans complaisance, mais terriblement humains,<br />
comme autant de constats sur l’état de notre planète.<br />
PAR LORAINE ADAM<br />
Avec un regard scrutateur sur<br />
l’actualité, les faits et personnalités<br />
majeurs de l’année écoulée, l’édition<br />
<strong>2017</strong> évoque, sans surprise, un<br />
monde en souffrance. Parmi les 4500 projets<br />
reçus par l’organisation de la manifestation,<br />
25 ont été retenus et feront l’objet d’expositions<br />
gratuites, présentées dans toute la cité catalane.<br />
Deux d’entre elles, en noir et blanc, ont tout particulièrement<br />
retenu notre attention, traitant de<br />
la condition des Amérindiens du Dakota, un<br />
thème abordé il y a quelques mois dans nos<br />
pages, avec notamment Neil Young qui s’est<br />
associé à cette lutte.<br />
Le célèbre photo-reporter canadien Larry<br />
Towell de Magnum Photos présente Standing<br />
Rock, sur les Sioux qui se sont opposés au projet<br />
d’oléoduc Dakota Access Pipeline menaçant<br />
les sites sacrés et les réserves d’eau<br />
potable, en organisant des campements de<br />
prière. Cette mobilisation a abouti au plus<br />
grand rassemblement d’Amérindiens depuis<br />
plus d’un siècle, avec près de deux cents tribus.<br />
Durant l’été 2016, 5 000 manifestants amérindiens<br />
et militants campaient près de la Cannonball<br />
River. Le 4 décembre 2016, le gouvernement<br />
américain annonçait l’arrêt de la<br />
construction. Deux mois plus tard, sur ordre<br />
du président Trump, des policiers lourdement<br />
armés, à bord de véhicules blindés, ont pénétré<br />
dans les camps, arrêtant ou évacuant par la<br />
force les derniers manifestants.<br />
Quant à l’Américaine Darcy Padilla de l’Agence<br />
VU’, lauréate du Prix Canon de la Femme photojournaliste<br />
2016 soutenu par le magazine Elle,<br />
elle propose Dreamers, un reportage dans la<br />
réserve indienne des Lakotas, à Pine Ridge.<br />
Considérée comme l’une des plus pauvres des<br />
États-Unis, celle-ci affiche un taux de chômage<br />
de 85 % et l’espérance de vie la plus faible du<br />
pays : 47 ans pour les hommes et 52 pour les<br />
femmes. Une communauté aux prises avec<br />
l’alcoolisme, la dépendance à la méthamphétamine<br />
et qui tente de faire survivre sa culture.<br />
Visa pour l’image, 29 e festival international<br />
du photojournalisme, du 2 au 17 septembre, Perpignan (66).<br />
Entrée gratuite, tous les jours, de 10h à 20h<br />
www.visapourlimage.com - Visa pour l’image sur Facebook<br />
© LARRY TOWELL / MAGNUM PHOTOS<br />
Le camp d’Oceti s’apprête<br />
à disparaître dans les flammes.<br />
Ainsi en ont décidé les quelques<br />
centaines d’occupants qui auront<br />
résisté jusqu’au bout, jusqu’à<br />
l’ordre d’évacuation militaire<br />
ordonné par le gouverneur<br />
de l’État. Standing Rock,<br />
Dakota du Nord. Février <strong>2017</strong>.<br />
56 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
© DARCY PADILLA / AGENCE VU’<br />
© DARCY PADILLA / AGENCE VU’<br />
Pow-wow pour célébrer l’anniversaire du massacre de Wounded Knee : en<br />
1973, des militants ont occupé la ville pour manifester contre le gouvernement<br />
fédéral et son non-respect des traités conclus avec les Amérindiens.<br />
Un drapeau en lambeaux flotte sur la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota<br />
du Sud, considérée comme l’endroit le plus pauvre des États-Unis.<br />
© LARRY TOWELL / MAGNUM PHOTOS<br />
Vue du campement de Oceti Sakowin, celui<br />
des résistants de la dernière heure, dans<br />
la réserve sioux de Standing Rock, située<br />
dans le Dakota du Nord. Septembre 2016.<br />
© LARRY TOWELL / MAGNUM PHOTOS<br />
© DARCY PADILLA / AGENCE VU’<br />
Affrontement entre l’armée américaine et les Sioux à Mandan,<br />
Dakota du Nord. Novembre 2016.<br />
À Whiteclay (Nebraska), proche de la frontière du Dakota du Sud, près de<br />
5 millions de canettes de bière sont vendues chaque année, principalement<br />
aux résidents de la réserve, où l’alcool est interdit. En avril <strong>2017</strong>, les élus de l’État<br />
du Nebraska ont voté la révocation du permis d’alcool de quatre commerces.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 57
PLAYLIST<br />
C'est James Taylor<br />
qui donnera envie<br />
à Charles Berbérian de<br />
se mettre à la guitare.<br />
Le folkeux américain<br />
accompagnera aussi<br />
ses premiers coups<br />
de crayon.
La culture rock de<br />
CHARLES<br />
BERBÉRIAN<br />
Chaque mois dans <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>, une personnalité du monde<br />
du spectacle, du sport ou de la politique dévoile sa passion pour<br />
le rock. Épisode 19 avec un illustrateur-scénariste de BD, grand fan<br />
du son West Coast des années 1970. Berbérian virevolte en mélomane<br />
averti ; passant de la folk à la country, du blues au rhythm’n’blues,<br />
tout en gardant une oreille sur The Young Rascals.<br />
I<br />
nitié et conseillé par son frère aîné<br />
Alain Berbérian (producteur de<br />
films), le jeune Charles découvre à<br />
16 ans la blue-eyed soul des Young<br />
Rascals avec “Groovin’”. Fort d’un<br />
riche nuancier musical, il est rapidement<br />
conquis par la musique de Paul Simon et les<br />
chorus gorgés de salsa de Carlos Santana.<br />
Depuis toujours, son inspiration musicale<br />
vient de l’Amérique, celle d’une Californie<br />
au soleil brûlant qui va de James Taylor à<br />
Joni Mitchell en passant par Jackson<br />
Browne. Amateur de folk songs et de guitares<br />
acoustiques au son boisé, il écoute Neil<br />
Young et Bob Dylan. Guitariste, il fonde au<br />
début des années 2000, Nightbuzz, un duo<br />
de musiciens composé du dessinateur Jean-<br />
Claude Denis qui, lui aussi, est un grand<br />
amateur de sonorités californiennes.<br />
Aujourd’hui, il continue l’aventure avec sa<br />
guitare acoustique, jouant régulièrement<br />
avec JP Nataf et Bastien Lallemant sur<br />
scène à Paris. Côté BD, Charles signe régulièrement<br />
des couvertures pour le<br />
New Yorker ou Les Inrockuptibles. Pour les<br />
Par PHILIPPE LANGLEST<br />
Photographies de SABRINA LAMBLETIN<br />
fans de BD, il est avant tout le coauteur, au<br />
côté de Philippe Dupuy, de la série culte<br />
Monsieur Jean en 1991 ou l’histoire d’un<br />
trentenaire citadin et bobo, cherchant une<br />
âme sœur pour enjoliver ses nuits. Dans<br />
l’univers de Berbérian, le dessin et la prose<br />
sont poétiques comme le témoigne<br />
Bienvenue à Boboland. Sur son dernier<br />
opus, Afterz, il emmagasine sa poésie dans<br />
chaque case en faisant dialoguer ses personnages<br />
– clubbeurs et âmes solitaires – au<br />
cœur de la nuit, quitte à planer un peu. L’occasion<br />
de retrouver l’auteur chez lui, au cœur<br />
de l’été, en pleine canicule, dans son appartement<br />
parisien, à quelques pas de la gare de<br />
l’Est ; il nous reçoit avec une tournée d’eau<br />
pétillante bien glacée. On s’installe au frais<br />
dans la cuisine. Planté au milieu du salon<br />
avec son faux air de Woody Allen, Charles<br />
fait la navette entre les deux pièces, sortant<br />
au compte-goutte les disques qu’il aime :<br />
Groovin’ de The Young Rascals, Sweet Baby<br />
James de James Taylor, etc. À la fois profond<br />
et léger, il raconte son histoire et ses obsessions<br />
musicales dans sa “Culture Rock”…<br />
Vous avez passé une partie de votre adolescence<br />
entre l’Irak, le Liban et la France. Comment<br />
s’est construite votre éducation musicale ?<br />
Charles Berbérian : En fait, je suis resté en Irak<br />
jusqu’à l’âge de 10 ans, puis j’ai vécu au Liban<br />
cinq ans. Je suis arrivé en France juste après,<br />
au beau milieu des années 1970. Mon éducation<br />
musicale s’est faite principalement grâce<br />
à mon grand frère Alain, qui a six ans de plus<br />
que moi. Il avait un certain goût pour des<br />
groupes peu connus à l’époque. Par exemple,<br />
il n’a jamais ramené un disque des Beatles ou<br />
des <strong>Stone</strong>s à la maison. Je me souviens qu’un<br />
jour, il a mis Groovin’, un disque de The<br />
Young Rascals sur la platine. C’est là que ça<br />
a commencé. À cette époque, à la maison, je<br />
n’avais pas le droit de m’approcher de la platine,<br />
qui était réservée à mon frère. Donc le<br />
seul moyen de rejouer les morceaux que<br />
j’entendais, c’était d’oser toucher la platine<br />
quand Alain n’était pas là, ce qui était hyperdangereux.<br />
(Sourire.) Soit de me rejouer dans<br />
la tête les morceaux et de les chantonner.<br />
J’adorais les mélodies et le son des Young<br />
Rascals, avec la guitare en stéréo qui passait<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 59
CHARLES<br />
BERBÉRIAN<br />
d’un baffle à l’autre, ça me rendait dingue.<br />
Avant de sonner un peu comme les Beatles,<br />
la musique des Young Rascals baignait dans<br />
la soul et le R’n’B ;“Groovin’” est un authentique<br />
tube de blue-eyed soul.<br />
On est au cœur des années 1970. En ce qui<br />
concerne les groupes de rock, vous êtes alors plutôt<br />
attiré par ce qui se fait en France, en Angleterre<br />
ou aux États-Unis ?<br />
C. B. : J’ai tout de suite été séduit davantage<br />
par les songwriters américains qu’anglais.<br />
Paul Simon et Neil Young ont beaucoup<br />
compté dans ma culture rock, tout comme<br />
James Taylor. J’avais vu au cinéma le film<br />
A Hard Day’s Night, mais on n’écoutait pas<br />
beaucoup les Beatles à la maison. À cette<br />
époque, je préférais les outsiders aux têtes<br />
couronnées : les Young Rascals ou Bill Deal<br />
& The Rhondels me plaisaient davantage que<br />
les <strong>Stone</strong>s, par exemple. Ensuite, j’ai bifurqué<br />
vers une petite période prog rock anglaise<br />
avec Pink Floyd et Genesis. À 17 ans, j’étais<br />
particulièrement attaché à une compilation<br />
de rhythm’n’blues, sortie sur le label Atlantic,<br />
avec Booker T. & the MG’s, Solomon Burke<br />
et Wilson Pickett. Une vraie machine à hits<br />
avec en tête de liste l’incontournable “In the<br />
Midnight Hour”. Bizarrement, le premier<br />
tube français que j’ai appris par cœur, c’était<br />
“Le Téléfon” de Nino Ferrer. C’était du R’n’B<br />
“à la française”. J’adorais ça !<br />
À propos de rhythm’n’blues, vous êtes de<br />
quelle école ? Stax ? ou Atlantic ?<br />
C. B. : Le label Atlantic, en priorité. Dans leur<br />
catalogue, on trouvait du très lourd : Aretha<br />
Franklin, Percy Sledge et l’irremplaçable<br />
Wilson Pickett. Leurs chansons me touchaient<br />
au cœur et je n’arrêtais pas de les<br />
chanter. À la même période, j’avais une<br />
espèce d’obsession, une sorte de tic de langage<br />
: j’imitais sans cesse le son de la wahwah.<br />
(Sourire.) C’est sur le label Stax, qui par<br />
la suite sera absorbé par Atlantic, que je<br />
découvrirai Otis Redding, Sam & Dave et<br />
Isaac Hayes. Avec lui, je touchais le graal du<br />
R’n’B. Son générique génialissime de Shaft<br />
me renverse littéralement dès la première<br />
écoute. En plus, lui, la wah-wah il connaissait<br />
ça par cœur. Parallèlement, je me<br />
branche sur les musiques de feuilletons télé<br />
avec Mission : Impossible ou Mannix. Je<br />
voulais les disques de Lalo Schifrin qu’on ne<br />
trouvait pas encore chez le disquaire du coin.<br />
Il fallait les commander en import. Je patientais.<br />
J’avais besoin de ces disques.<br />
Quel a été votre premier vrai choc musical ?<br />
C. B. : J’en ai eu quelques-uns. Tout d’abord,<br />
sur les conseils avertis de mon frère, je suis<br />
tombé sur un best of de Tony Joe White où<br />
figurait la chanson “Polk Salad Annie”. Une<br />
mélodie inoubliable, magique, avec ce timbre<br />
vocal unique. Un jour, mon frère rapporte à<br />
la maison un 45-tours de Bill Deal and The<br />
Rhondels, “May I”. C’était un groupe de<br />
Blancs qui jouait du rhythm’n’blues comme<br />
les Noirs américains. Imparable ! Ça a été un<br />
vrai choc. Au même titre que les Young<br />
Rascals avec “Groovin’”.<br />
Paul Simon tient une place importante dans<br />
votre panthéon musical. Comment le<br />
découvrez-vous ?<br />
C. B. : En 1974, lors de mon premier voyage en<br />
France, j’achète mes premiers disques. Il y<br />
avait notamment l’album There Goes Rhymin’<br />
Simon, de Paul Simon. À l’époque, les albums<br />
CBS étaient interdits au Liban parce qu’estampillés<br />
“label juif”… Du coup, impossible de<br />
trouver le moindre disque CBS au Liban. Pas<br />
de Santana, pas de Paul Simon. Je suis donc<br />
en France dans un supermarché avec ma<br />
mère, qui accepte que je prenne un disque. Je<br />
le prends un peu par hasard, parce que c’est un<br />
album CBS et que mon frère aime bien Simon<br />
and Garfunkel. Un coup de bol qui va vite<br />
“ quand j'ai<br />
commencé<br />
la guitare, les<br />
deux premiers<br />
morceaux<br />
que j'ai joués<br />
venaient<br />
de harvest,<br />
de neil young.<br />
”<br />
devenir mon disque fétiche. Depuis, je ne me<br />
lasse pas de le réécouter. Je connais les chansons<br />
par cœur, de “Take Me to the Mardi Gras”<br />
à “American Tune”. Il y a aussi cette pochette<br />
complètement démente, signée Milton Glaser.<br />
Au niveau des compos, Paul Simon m’a autant<br />
marqué que James Taylor…<br />
Avec James Taylor, on reste dans le son et l’esthétique<br />
West Coast. Musicalement, c’est votre<br />
ADN ?<br />
C. B. : Oui, sans aucun doute. Je découvre<br />
James Taylor encore une fois grâce à mon<br />
frère. Quand j’écoute pour la première fois<br />
son album Sweet Baby James, je suis séduit<br />
par la finesse du compositeur et l’élégance du<br />
musicien. Il y a aussi Carole King au piano,<br />
qui fait partie de la bande. C’est James Taylor<br />
qui m’a donné envie de jouer de la guitare. À<br />
ce moment-là, je commençais à dessiner et<br />
les chansons de Taylor et de Simon accompagnaient<br />
mes journées.<br />
On arrive à Neil Young, dont vous êtes un grand<br />
fan. Dans sa discographie, il y a des périodes que<br />
vous préférez plus que les autres ?<br />
C. B. : Neil Young c’est une découverte assez<br />
tardive. Il est arrivé dans les parages avec<br />
Crosby, Stills & Nash. Tous les quatre, ils<br />
sortent l’album Déjà vu. J’écoute beaucoup le<br />
disque et surtout la chanson “Helpless”, que je<br />
passe en boucle. Quand j’ai commencé la guitare,<br />
les deux premiers morceaux que j’ai joués<br />
venaient de l’album Harvest. C’était “The<br />
Needle and the Damage Done” et “Heart of<br />
Gold”. Je deviendrai vraiment fan de Neil<br />
Young des années plus tard, quand je<br />
découvre Everybody Knows This Is Nowhere<br />
avec Crazy Horse. Il y a ce son de guitare volcanique,<br />
incendiaire. Sur “Down by the<br />
River”, par exemple, les guitares de Neil et de<br />
Danny Whitten sont grandioses. Depuis, je<br />
l’ai suivi sur des chemins de traverse pas évidents<br />
comme sur l’album Re-ac-tor ou Comes<br />
a Time qui, à mon sens, reste l’un de ses meilleurs<br />
disques country à ce jour.<br />
On arrive à Bob Dylan. Quelle place occupe-t-il<br />
dans votre culture rock ?<br />
C. B. : Beaucoup plus aujourd’hui qu’avant. J’ai<br />
vraiment commencé à faire une fixation sur<br />
Dylan quand il a sorti en Time Out of Mind<br />
que j’ai adoré comme jamais je n’avais aimé<br />
un album de Dylan auparavant. Du coup, je<br />
suis remonté à la source. Je l’ai réécouté<br />
autrement, de Highway 61 Revisited à<br />
Blonde on Blonde en passant par les coffrets.<br />
Là, j’ai enfin compris que Dylan faisait de la<br />
musique comme un peintre. Quand il fait un<br />
morceau, ce n’est jamais fini. Il rajoute des<br />
couches. Il les enlève. Comme faisait Matisse<br />
quand il peignait sur un tableau. Pour lui, les<br />
chansons sont des matières vivantes qu’il<br />
continue à malaxer. Dylan ne se préoccupe<br />
pas des albums qu’il enregistre. C’est un mec<br />
qui a un rapport à son travail aussi fascinant<br />
que celui que Moebius avait avec le dessin. Je<br />
m’intéresse beaucoup à ce qui relie le dessin<br />
et la musique. J’ai une perception encore plus<br />
riche aujourd’hui de ce que je perçois de leur<br />
travail par le prisme du dessin pour Dylan et<br />
de la musique pour Moebius. Il y a deux ans,<br />
je suis tombé amoureux fou de The Band.<br />
Pour moi, c’est un tout : il y a Dylan et The<br />
Band. La période avec The Band, c’est-à-dire<br />
The Basement Tapes et la tournée de 1974.<br />
C’est de loin la meilleure formation qui a<br />
accompagné Dylan sur scène.<br />
Revenons à la musique californienne des 70’s.<br />
Que vous évoque Joni Mitchell ? Jackson Browne ?<br />
C. B. : Joni Mitchell est une artiste complète,<br />
qui sait surtout écrire de très bonnes chansons.<br />
Elle peint également. Quand je l’écoute<br />
sur les albums Blue ou Court and Spark, j’ai<br />
toujours éprouvé plus d’émotion que sur un<br />
disque de Linda Ronstadt ou des Eagles, au<br />
hasard. (Sourire.) À part leur disque<br />
Desperado, j’avoue que je déteste les Eagles.<br />
60 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
JUKEBOX<br />
Young Rascals et Elton John<br />
(première époque) : deux chocs<br />
musicaux pour le dessinateur.<br />
Quand “Hotel California” passe à la radio, ça<br />
me déprime. J’ai toujours préféré Jackson<br />
Browne aux Eagles. Je suis fan de l’album<br />
Running on Empty, moins de The Pretender.<br />
Dernièrement, je suis tombé sur des albums<br />
que Jackson Browne avait enregistrés avec<br />
David Lindley en live. Techniquement, ça<br />
tricote sévère ! (Sourire.) Pour revenir à Joni<br />
Mitchell, il y a une espèce d’intelligence et de<br />
sensibilité dans les arrangements de Blue qui<br />
me touchent encore aujourd’hui. Quand les<br />
autres font du folk, elle fait de la musique.<br />
Elle est apparentée folk song, mais c’est une<br />
erreur. C’est d’ailleurs ce qui fascine tout le<br />
monde, et surtout David Crosby. Mis à part<br />
que, physiquement, elle est quand même<br />
sublime. Enfin, elle n’aurait pas été aussi loin<br />
si elle avait été uniquement blonde et belle.<br />
Avec le dessinateur Jean-Claude Denis, vous<br />
avez sorti deux disques sous le nom de Nightbuzz.<br />
Vous continuez à vous produire sur scène ?<br />
C. B. : Avec Nightbuzz, un peu moins. On fait<br />
un petit break. Aujourd’hui, je fais des<br />
concerts à Paris, une fois par mois, à La Loge,<br />
rue de Charonne, dans le cadre des Siestes<br />
acoustiques. Sur scène, nous sommes trois :<br />
moi, JP Nataf et Bastien Lallemant. Du coup,<br />
je me suis replongé dans le picking façon<br />
James Taylor. (Sourire.)<br />
Votre dernière obsession musicale ?<br />
C. B. : Il n’y a pas longtemps, j’ai découvert<br />
Harry Smith, Alan Lomax et George<br />
Mitchell : toute cette jungle, toute cette<br />
forêt, toute cette musique du Delta… Je<br />
n’arrivais plus à écouter autre chose, tellement<br />
ça m’avait absorbé. Il y a quelques<br />
jours, je me suis procuré The American Epic<br />
Sessions, une compilation produite par<br />
T Bone Burnett et Jack White absolument<br />
remarquable. Musicalement, c’est tout ce<br />
que j’aime. Le casting et les musiciens sont<br />
fabuleux. À l’intérieur, tu trouves des duos<br />
inédits, notamment ceux d’Elton John et<br />
Jack White ou encore de l’acteur Steve<br />
Martin avec Edie Brickell.<br />
Quels sont les cinq disques que vous aimeriez<br />
offrir à vos amis ?<br />
C. B. : Pour découvrir le son West Coast par<br />
exemple, Tapestry, de Carole King, s’impose.<br />
C’est un album qui est à la croisée de plein<br />
de choses, du rock au blues en passant par la<br />
soul. J’adore le timbre de voix de Carole<br />
King. J’aime bien faire découvrir aux<br />
copains la qualité de songwriting qu’avait<br />
James Taylor à ses débuts et qu’il a égarée<br />
par la suite, car il s’est retrouvé un peu au<br />
milieu de la route dans les 80’s. Pour découvrir<br />
James Taylor, je conseillerais deux<br />
disques : Sweet Baby James et One Man Dog.<br />
Si tu n’aimes pas Neil Young, en revanche, il<br />
n’y a aucune raison que tu finisses par l’aimer,<br />
tout comme Bob Dylan. Ils ont tous les<br />
deux des voix tellement bizarres, que si on a<br />
le poil hérissé par l’un ou par l’autre depuis<br />
toujours, ça ne passera pas. Dans un tout<br />
autre registre, je proposerai l’album<br />
Madman Across the Water à ceux qui ne<br />
connaissent pas le Elton John d’avant les<br />
succès planétaires. C’est un disque essentiel<br />
de la pop anglaise, dont on ne dit pas assez<br />
souvent du bien, à mon sens. Les gens ne<br />
savent pas par exemple que, sur cet album<br />
aux arrangements de cordes fantastiques,<br />
Elton John a composé des chansons<br />
sublimes comme “Tiny Dancer” ou “Levon”.<br />
J’offrirais également l’album Malibu<br />
d’Anderson Paak. Il faut écouter ça ! Dans<br />
son genre, ce type est un martien. Et pour<br />
finir, La Maison haute de Bastien Lallemant,<br />
parce que c’est un disque fabuleux, avec un<br />
son et des arrangements un peu “à la<br />
Gainsbourg”. Il n’y a pas un morceau à jeter.<br />
Dès la première écoute, tu sais que ce disque<br />
sera là pour longtemps.<br />
Si vous n’aviez pas été illustrateur et scénariste<br />
de bande dessinée, vous seriez-vous vu dans la<br />
peau d’une rockstar ?<br />
C. B. : Pour rien au monde ! Je trouve que c’est<br />
le plus mauvais endroit que puisse envisager<br />
un musicien ou une musicienne. Il n’y a rien<br />
de tel pour tomber dans une déchéance qui<br />
a coûté la vie à Janis Joplin ou encore à Kurt<br />
Cobain. Aucun être humain n’est fait pour<br />
vivre ce qu’ont vécu ces gens-là. En fait, je<br />
crois que personne n’a vraiment envie d’être<br />
une rockstar…<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 61
1<br />
2<br />
3<br />
4<br />
5<br />
6<br />
AMBIANCES !<br />
(1) L’entrée du Forecastle Festival<br />
de Louisville. (2) Clown au Hellfest,<br />
à Clisson. (3) Lollapalooza Festival, à<br />
Chicago, Michigan. (4) La surprenante<br />
PJ Harvey était à l’affiche du Forecastle<br />
Festival, puis à Montreux. (5) Aubert<br />
et Bertignac, manche contre manche,<br />
à l’American Festival de Tours. (6) Fresque<br />
en hommage à Leonard Cohen à Montréal,<br />
où s’est tenu le Festival international de<br />
jazz. (7) La foule au Main Square Festival<br />
d’Arras. (8) Jimme O’Neill, du Celtic Social<br />
Club, à l’Interceltique de Lorient.<br />
8<br />
7
LES<br />
FESTIVALS<br />
Tous en scène !<br />
<br />
Une orgie de sons, de décibels, de poussière : voilà le programme<br />
que la rédaction de <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> s’était fixé. Bilan d’un début<br />
d’été en Festivalie !<br />
Par Belkacem Bahlouli, Xavier Bonnet, Stan Cuesta,<br />
Baptiste Manzinali et Sophie Rosemont<br />
<br />
<br />
<br />
SARAH BASTIN. LORAINE ADAM. BELKACEM BALHOULI. CAMBRIA HARKEY. FLEUR SCUT. JEROME POUILLE. XAVIER BONNET. DR.<br />
Aerosmith<br />
17 juin, Clisson, Hellfest<br />
Bon, à ce qu’il paraît, c’est leur<br />
dernière tournée. Mais peut-être<br />
pas non plus. Quoi qu’il en soit,<br />
pour leur dernière tournée générale,<br />
on aurait apprécié que les<br />
vrais faux futurs retraités fassent<br />
preuve d’un peu plus de générosité<br />
et de moins d’agacement (Steven<br />
Tyler) – dont on n’a d’ailleurs toujours<br />
pas compris les motivations.<br />
Pourtant, nous, on avait envie ! Et<br />
quand- déboulent les images d’archives<br />
sur l’emphase de “Carmina<br />
Burana”, le palpitant a d’emblée<br />
changé de fréquence. D’ailleurs,<br />
tout semble d’abord être “comme<br />
avant” : chemise largement<br />
ouverte et riffs tranchants pour<br />
Joe Perry, bagouses, colliers, foulards<br />
en veux-tu en voilà et éructations<br />
de bon aloi pour son alter ego.<br />
Au final, un set par trop décousu et<br />
un Aerosmith un brin cachetonneur,<br />
malgré une setlist aux petits<br />
oignons. C’est pourtant le temps de<br />
quelques reprises (“Stop Messin’<br />
Around” de Fleetwood Mac,<br />
”Come Together”) que ce petit<br />
monde aura donné l’impression de<br />
s’amuser un peu.<br />
X.B.<br />
Lana Del Rey<br />
23 juillet, Paris, Lollapalooza,<br />
Hippodrome de Longchamp<br />
Oui, Lana Del Rey minaude et en<br />
fait des caisses ! Oui, chaque geste,<br />
GREEN DAY<br />
11 juin, Brétigny-sur-Orge,<br />
Download Festival<br />
Un show de Green Day est une affaire<br />
bien huilée : la musique du Bon,<br />
la Brute et le Truand avant la montée<br />
sur scène, un “Know Your Enemy”<br />
enjoué pour lancer les débats, un<br />
premier spectateur invité à rejoindre<br />
la troupe pour montrer de quoi il est<br />
capable micro ou guitare en main,<br />
quelques pétarades- pyrotechnies,<br />
et roulez jeunesse… Voilà, c’est<br />
comme ça, Green Day fait dans le pur<br />
divertissement, le Disneyland du punk,<br />
quitte à oublier qu’il est un groupe<br />
de rock. C’est à prendre ou à laisser.<br />
Et on ne me retirera pas de la tête<br />
qu’avec ses mimiques et ses poses,<br />
quelqu’un serait bien inspiré de<br />
proposer à Billie Joe Armstrong le rôle<br />
de Charlie Chaplin époque Charlot<br />
dans un nouveau biopic. Je ne prends<br />
que 10 % pour l’idée… X.B.<br />
PILULES<br />
BLEUES<br />
D’abord<br />
le look, puis<br />
vint le son...<br />
BLUES PILLS<br />
10 juin, Brétigny-sur-Orge, Download Festival<br />
Est-ce l’effet (trompeur ?) de la – très – mini-jupe de sa chanteuse<br />
blonde ? Le fait que son blues-rock ou son rock bluesy constituent<br />
le parfait intermède dans l’orgie de décibels de la journée ? Blues Pills<br />
était très loin de sa performance un brin “rigide” au Trianon de Paris<br />
en octobre dernier. Une pilule bien plus facile à avaler, en tout cas… X.B.<br />
chaque attitude, chaque œillade,<br />
vire à l’outrance et au ridicule<br />
(mais pas davantage que certaines<br />
“chorégraphies” de ses danseuseschoristes<br />
avec des chaises) ! Oui,<br />
derrière “Blue Jeans”, “Video<br />
Games” et “Summertime<br />
Sadness”, il n’y a pas grand-chose<br />
à retenir de ces lancinantes mélopées,<br />
sinon avec énormément de<br />
mansuétude ! Charmante ou<br />
désespérante, Lana Del Rey reste<br />
une attraction, avec toutes les<br />
nuances de sens que l’on veut<br />
associer au mot. Même la pluie<br />
s’invite à ses concerts et reste<br />
jusqu’au bout, quitte à se lâcher<br />
sur le concert suivant (Red Hot<br />
Chili Peppers) !<br />
X.B.<br />
François & The Atlas<br />
Mountains<br />
8 juillet Fnac Live<br />
Comme tous les ans, Fnac Live a<br />
réussi à offrir gratuitement, tant<br />
sur le parvis de l’Hôtel de ville de<br />
Paris que dans les majestueux<br />
salons de ce dernier, des concerts<br />
de qualité. Si ceux de Camille, de<br />
Benjamin Biolay ou de Témé Tan<br />
ont fait des émules, la soirée du<br />
8 juillet a su allier jeunes talents<br />
prometteurs (le folkeux Aliocha<br />
ou Clara Luciani, digne héritière<br />
de Françoise Hardy et PJ Harvey<br />
réunies) et aligner les valeurs<br />
sûres. Au programme, donc, le<br />
rock noisy de The Horrors, qui<br />
jouait pour la première fois sur<br />
scène son nouvel album V ou<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 63
LES<br />
FESTIVALS<br />
Julien Doré et son sex-appeal nonchalant.<br />
Dans les salons, on a<br />
retenu le flegme de Jay-Jay<br />
Johanson, mais on s’est surtout<br />
laissé prendre par le pop-rock<br />
francophone, à la fois onirique et<br />
exotique, new wave et grunge, des<br />
incomparables François & The<br />
Atlas Mountains. Showman généreux<br />
et enthousiaste, François<br />
Marry a le sens du groove et le<br />
chant céleste, osant même une<br />
chorégraphie.<br />
S.R.<br />
VOIX<br />
MAGIQUE<br />
La chanteuse<br />
américaine<br />
a présenté<br />
un répertoire<br />
solide.<br />
Jowee Omicil<br />
1 er juillet, Festival international<br />
de Jazz de Montréal<br />
Alors que le pays célébrait les<br />
150 ans de sa création, l’île-ville<br />
québécoise, elle, célébrait les<br />
375 ans de sa fondation. D’où l’ambiance<br />
extrêmement festive de ce<br />
38 e Festival international de jazz de<br />
Montréal. Bien que hors festival, et<br />
le hasard faisant fort bien les<br />
choses, Bob Dylan a donné rendezvous<br />
le 30 juin à ses 15 000 fans<br />
locaux au Centre Bell pour un set<br />
court et ramassé de dix-huit titres<br />
où on l’a vu “crooner” en tenant le<br />
pied du micro, soit à son piano, très<br />
en voix, alternant les standards du<br />
grand répertoire américain tirés de<br />
son dernier opus Triplicate et ses<br />
propres standards revisités, comme<br />
à l’accoutumée. Mais ce qui rend ce<br />
festival passionnant, ce sont les<br />
découvertes. Ainsi de Jowee<br />
Omicil, qui a mis le feu avec sa<br />
prestation fulgurante. Au saxo, à la<br />
clarinette et même au bugle, le<br />
musicien- entertainer – qui vient de<br />
publier Let’s Bash, chez Blue Note<br />
– mêle funk, jazz et sonorités<br />
caraïbes. Ce Montréalais d’origine<br />
haïtienne, multi-instrumentiste au<br />
talent écrasant ne jure que par la<br />
fusion : blues, jazz, latin, caraïbe.<br />
Avec des prestations toujours électrisantes,<br />
cet ancien compagnon de<br />
show de Pharoah Sanders,<br />
Branford Marsalis ou Kenny<br />
Garrett montre que la scène est<br />
réellement son domaine. B.B.<br />
Electric Wizard<br />
16 juin, Clisson, Hellfest<br />
Le mur du son psyché-metal est à<br />
ce point dense, massif, qu’il ne<br />
semble pas tolérer que le moindre<br />
EMMYLOU HARRIS<br />
29 juillet • Country Rendez-vous, Craponne-sur-Arzon<br />
Craponne-sur-Arzon, Haute-Loire, 2 129 habitants. La France profonde. Pourtant, pendant trois jours,<br />
fin juillet, cette paisible bourgade est envahie de drapeaux américains, de cactus en carton-pâte, de Harley. Au marché<br />
du samedi matin, les vieux paysans et les néoruraux servent une foule de bikers en bandana, de retraités coiffés<br />
de stetsons et chaussés de santiags, de majorettes, de sosies de ZZ Top…<br />
La raison de ce joyeux foutoir ? Le Festival Country Rendez-Vous, qui attire des fans venus de toute l’Europe. Des gens<br />
que l’on ne voit jamais dans la vraie vie. Une sorte de monde parallèle… Dans un vaste champ, entouré de stands tous plus<br />
folkloriques les uns que les autres et d’estrades pour line dancers, 6 000 spectateurs aux looks improbables applaudissent<br />
des groupes assez variés et, bien sûr, une vedette. En trente ans, le festival de Craponne a déjà reçu des pointures<br />
comme Bill Monroe, Alison Krauss, Steve Earle ou Guy Clark. Mais ce 29 juillet <strong>2017</strong>, il propose la plus grande tête d’affiche<br />
de son histoire (résultat de quatre années de négociations !) : Emmylou Harris, pour son unique concert en France…<br />
Elle en est à la fois charmée et amusée : “C’est vrai, il y a beaucoup de bolo ties (cravates western, ndlr) ! Je suis<br />
un peu inquiète parce qu’avec ce groupe, on met l’accent sur les harmonies vocales et sur les titres plus récents.<br />
J’espère que les fans ne seront pas déçus s’ils n’entendent pas les hits. C’est mon amour de la country qui m’a amenée<br />
là où je suis, mais j’ai toujours eu une sensibilité folk. Et me voici… à Craponne !”<br />
Effectivement, sa prestation n’a rien de country. Tout en douceur et en subtilité, elle fait la part belle aux chœurs de ses<br />
acolytes Mary Ann Kennedy et Pam Rose, sur des reprises comme “To Know Him Is To Love Him” ou “The Boxer” ou sur de<br />
superbes titres des années 2000 (le fantastique “Here I Am” d’ouverture). Emmylou chante divinement, peut-être mieux que<br />
jamais, et l’émotion atteint des sommets sur le final, une version de “After the Gold Rush” quasi a capella, belle à pleurer. “Je<br />
ne jouerai pas de chanson de Gram (Parsons, ndlr), a-elle précisé avant le concert. Mais son esprit est toujours avec moi.” S.C.<br />
membre du groupe puisse être mis<br />
en avant ou qu’une poursuite<br />
lumière vienne se fixer sur l’un ou<br />
l’autre. Electric Wizard est un bloc,<br />
un pavé, et on l’a bien pris en pleine<br />
poire… Merci, les gars !<br />
B.B.<br />
Teddy Abrams<br />
14 juillet, Forecastle Festival,<br />
Louisville, Kentucky<br />
Avec plus de soixante groupes ou<br />
artistes à l’affiche, le Forecastle<br />
Festival est devenu le lieu incontournable,<br />
le “must be in”, le lieu où<br />
il faut être vu et entendu. Et surtout,<br />
un rendez-vous pas comme les<br />
autres, avec un état d’esprit partagé<br />
par pas moins de 60 000 amateurs<br />
de musique, mais aussi de militants<br />
pour l’économie durable. Ces deux<br />
points sont étroitement associés<br />
dans ce festival. Car pour défendre<br />
la cause environnementale, de gros<br />
moyens ont été mis en place : “Ici,<br />
des stands proposent de la nourriture<br />
équitable et bio, explique<br />
JK McKnight, fondateur de l’événement.<br />
D’autres expliquent à quel<br />
point l’économie durable est au<br />
centre des préoccupations. Et si<br />
nous organisons ce festival ici,<br />
à Louisville, c’est parce que le maire<br />
de la ville se sent très concerné par<br />
cette cause et qu’il nous soutient<br />
dans cette aventure.” Pour cette<br />
15 e édition, l’un des invités n’était<br />
pas un rocker pur jus, malgré<br />
l’énorme quantité de talents confirmés<br />
à l’affiche du rendez-vous<br />
(Weezer, LCD Soundsystem,<br />
© PHILIPPE TISSIER<br />
64 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
LES<br />
FESTIVALS<br />
PJ Harvey, Conor Oberst, etc.).<br />
C’est ainsi que le chef de l’orchestre<br />
symphonique de la ville,<br />
Teddy Abrams, est venu faire une<br />
création où il a réussi à mêler rock,<br />
jazz, country et classique ! Rendezvous<br />
compte : après avoir joué un<br />
air de bluegrass, le style country<br />
originaire du Kentucky, du hip-hop<br />
avec un rappeur qui n’était autre<br />
que son percussionniste en chef à<br />
l’orchestre symphonique de<br />
Louisville, sans oublier une sorte de<br />
concerto pour orgue accompagné<br />
non par des violons, mais par une<br />
flopée de guitares électriques et<br />
avant de se lancer dans une relecture<br />
de haut niveau du<br />
“Comfortably Numb” du Floyd, le<br />
directeur de la musique de l’État,<br />
30 ans à peine, a réussi à faire<br />
acclamer le nom de Johannes<br />
Brahms, dont il a interprété l’une<br />
des danses hongroises ! Un exploit<br />
salué dans toute la presse, les télévisions<br />
et les radios locales. C’est<br />
l’homme à suivre, car il proposera<br />
dès novembre une symphonie<br />
moderne pour orchestre philharmonique,<br />
en hommage au héros de<br />
Louisville, Mohamed Ali. B.B.<br />
Kasabian<br />
10 juillet, Montreux Jazz<br />
Festival, Auditorium Stravinski<br />
Ce n’était pourtant pas la première<br />
fois que les Anglais étaient<br />
CLEAN IT UP<br />
Un set parfois<br />
un peu trop<br />
sage.<br />
LONDON GRAMMAR<br />
12 juillet, Montreux Jazz Festival, Auditorium Stravinski<br />
22 juillet, Paris, Lollapalooza, Hippodrome de Longchamp<br />
On peut ne pas toujours souscrire à ses choix vestimentaires – il y aurait même souvent pas mal à redire<br />
dans cette façon de chercher à vouloir ainsi passer aussi inaperçue –, pour ce qui est de la voix, Hannah Reid<br />
reste hors normes, quel que soit l’environnement dans lequel elle évolue, en salle (Montreux) ou en extérieur<br />
(Lollapalooza). Mieux en ce qui concerne le “plein air”, mêlée aux ambiances de ses deux acolytes, Dan Rothman<br />
(guitare) et Dot Major (claviers), cette voix parvient à faire d’une musique qui s’écoute a priori confortablement<br />
installé dans son salon quelque chose qui a du sens en festival. Tout le monde ne peut pas en dire autant !<br />
Certes, tout cela est parfois trop propret et si l’on rêverait que tout ce petit monde se lâche un peu plus,<br />
on sent très vite qu’il risque de se passer pas mal de temps avant que la miss se décide sans prévenir à éructer<br />
ne serait-ce que la moitié du refrain de – au hasard – “Roots Bloody Roots” de Sepultura ! X.B.<br />
à l’affiche du festival (une première<br />
fois en 2005). Pas faute<br />
non plus d’avoir mis tous les<br />
atouts de leur côté pour lancer la<br />
soirée – jusqu’à insérer des passages<br />
du “Around the World” de<br />
Daft Punk dans leur déjà entraînant<br />
“Eez-Eh”. Est-ce la redingote<br />
blanche de Tom Meighan, lui<br />
donnant des allures d’infirmier<br />
intrigant, qui en a effrayé certains<br />
? Quoi qu’il en soit,<br />
Kasabian aura eu quelque mal à<br />
bouger son monde, même s’il sera<br />
finalement parvenu à ses fins,<br />
comme à son habitude. On<br />
retiendra aussi quelques belles<br />
giclées solo sortant de la guitare<br />
de Tim Carter, le sieur Sergio<br />
Pizzorno s’occupant avant tout<br />
des tâches rythmiques. X.B.<br />
Last Train<br />
13 juillet, Aix-les-Bains,<br />
Festival Musilac<br />
© R.AUBERT/MUSILAC <strong>2017</strong>. LIONEL FLUSIN.-<br />
ROYAL REPUBLIC<br />
14 juillet, Aix-les Bains,<br />
Festival Musilac<br />
“Les Suédois sont là et on va pouvoir<br />
commencer à s’amuser !” Allez, ne mégotons<br />
pas, Adam Grahn est l’un des meilleurs<br />
showmen du rock à guitares d’aujourd’hui.<br />
Grâce à lui (et un peu beaucoup très fort<br />
aussi), Royal Republic devrait être enrôlé<br />
dans tous les festivals du monde pour lancer<br />
une soirée ! Set carré à souhait, humour<br />
potache qui tombe juste à chaque fois,<br />
nos Scandinaves en costard ont mis tout<br />
le monde d’accord, y compris quand il s’est<br />
agi de montrer qu’ils pouvaient tenir la<br />
comparaison avec n’importe quel groupe<br />
de metal en s’autorisant un mix tout sauf<br />
ridicule du “Battery” de Metallica, fondu<br />
dans le “Ace of Spades” de Motörhead.<br />
Une démonstration de bout en bout ! X.B.<br />
Au-delà de la fausse bonne idée<br />
du “tous habillés en noir sur fond<br />
noir” – à moins que l’objectif ne<br />
soit de faire la nique à Slayer<br />
(voir plus loin) –, les Alsaciens<br />
auront offert la première déflagration<br />
de cette édition <strong>2017</strong> de<br />
Musilac. Chaleur intense, soleil<br />
dans les yeux, public plus curieux<br />
et attentiste que réellement<br />
impliqué : il en fallait plus pour<br />
désarçonner un groupe dont le<br />
garage rock – à défaut de meilleur<br />
terme – sonne plus affûté à<br />
chaque fois que l’on recroise sa<br />
route. Sinon, très futée, Jean-<br />
Noël, cette idée de poser la<br />
sangle de la guitare sur la caméra<br />
qui te filme en gros plan à cet<br />
instant précis ! Pas de doute,<br />
c’est le métier qui rentre… X.B.<br />
rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 65
Midnight Oil<br />
7 juillet, Caen Hérouville-Saint-<br />
Clair, Festival Beauregard<br />
14 juillet, Aix-les-Bains,<br />
Festival Musilac<br />
Trois concerts en une semaine<br />
(avec celui de l’Olympia la veille de<br />
Beauregard) et trois setlists différentes<br />
! La preuve, si besoin en<br />
était, que les Australiens n’ont pas<br />
traversé la moitié de la planète<br />
pour faire les choses, hum, à moitié…<br />
Alors, bien sûr, les années au<br />
compteur s’affichent sur les visages<br />
de certains, mais ils n’ont perdu ni<br />
la main ni le rythme. Plus souriant<br />
que par le passé, Peter Garrett<br />
enchante toujours autant pour sa<br />
présence scénique et ses mouvements<br />
mi-robotiques miépileptiques.<br />
Le désir d’engagement<br />
non plus n’a pas perdu une<br />
ride, à l’image du T-shirt clamant<br />
“Pécher par silence lorsque nous<br />
nous devrions protester différencie<br />
les hommes des lâches” porté –<br />
dans tous les sens du terme – par<br />
l’ancien ministre. Au-delà de l’incontournable<br />
“Beds Are Burning”,<br />
attendu comme du bon pain à<br />
chaque fois, les diverses plongées<br />
dans la longue discographie du<br />
groupe furent autant d’instantanés<br />
de bonheur intense.<br />
X.B.<br />
SL AYER<br />
10 juin, Brétigny-sur-Orge,<br />
Download Festival<br />
FONDU<br />
AU NOIR<br />
Le thrash test<br />
par excellence.<br />
OK, Kerry King n’a plus dû esquisser un sourire depuis la réélection<br />
de Richard Nixon en 1972. OK, avec tout ce petit monde en noir<br />
de la tête aux pieds sur fond noir, difficile de distinguer de loin<br />
sans lunettes à triple foyer autre chose que la barbe blanchissante<br />
de Tom Araya et le crâne d’œuf du King précité. Mais quand il s’agit<br />
de sortir la sulfateuse, Slayer sait nous rappeler qui est Raoul,<br />
à défaut de changer quoi que ce soit dans son set. Ou son thrash<br />
test... “Same Slayer shoots again”, en quelque sorte. X.B.<br />
laisser abattre par une petite averse<br />
aussi rafraîchissante que ses<br />
refrains mélodiques. Le lendemain,<br />
le rock stoner de Red Fang attirait<br />
un public déjà conquis, armé de<br />
T-shirt à leur effigie. Slowdive se<br />
chargeait ensuite de la touche shoegaze,<br />
fort d’un tout dernier album,<br />
vingt-deux ans après Pygmalion.<br />
Autre ambiance avec Ryan Adams,<br />
qui interpellait une pleine lune<br />
lumineuse au milieu d’un set dans<br />
la plus pure tradition du rock américain<br />
engagé et patriotique, en<br />
digne héritier du Boss et du Loner.<br />
L’édition <strong>2017</strong> du Pointu s’achevait<br />
sous le doux et mélodique vacarme<br />
du trio Dinosaur Jr., ceux-là même<br />
qui étaient attendus en 2016 avant<br />
d’annuler leur prestation. B.M.<br />
Placebo<br />
7 juillet, Caen Hérouville-Saint-<br />
Clair, Festival Beauregard<br />
OK, là, on vous doit un aveu. À la<br />
limite du coming out. Allez, on se<br />
lance… D’ordinaire, l’ennui nous<br />
gagne au bout de 20-25 minutes, à<br />
un concert de Placebo. Une lassitude<br />
aussi rapide que quasiment<br />
immuable. Or, là, rien de tout ça !<br />
À fond dedans du début à la fin.<br />
Bien sûr, la collection de hits (“Pure<br />
Morning” d’entrée, “Too Many<br />
Hanni El Khatib<br />
8 et 9 juillet, Île du Gaou,<br />
Pointu Festival<br />
Ils ne sont pas nombreux, les festivals<br />
de l’Hexagone alliant qualité et<br />
gratuité, dans un cadre idyllique de<br />
surcroît. Pourtant, pour la troisième<br />
année consécutive, le pari des<br />
organisateurs du Pointu Festival,<br />
dans le Var, était réussi. Quelque<br />
10 000 personnes ont répondu<br />
présent les 8 et 9 juillet, au beau<br />
milieu d’un été caniculaire. Sur la<br />
scène installée à flanc de crique sur<br />
l’île du Petit Gaou, derrière laquelle<br />
se confondaient le ciel et la mer,<br />
quelques grands noms du rock<br />
indé. Après l’entrée en matière des<br />
Varois de The Spitters et leur rock<br />
garage teigneux, le très attendu<br />
Kurt Vile, muni de son banjo,<br />
accompagnait un coucher de soleil<br />
somptueux, avant que Ride n’accélère<br />
le tempo. Hanni El Khatib, en<br />
véritable harangueur de foule, clôturait<br />
la première soirée sans se<br />
JARVIS COCKER<br />
ET CHILLY GONZALES<br />
9 juillet, Paris, Days Off<br />
ROOM 29<br />
Show<br />
théâtral.<br />
Cette année, on ne pouvait pas<br />
manquer le festival prenant place<br />
au bel ensemble formé par la Cité<br />
de la musique et la Philharmonie<br />
de Paris, tant sa programmation<br />
était alléchante. Si on a dû essuyer<br />
quelques petites déceptions,<br />
comme la prestation guignolesque<br />
de Devendra Banhart, et outre<br />
l’odyssée dans l’espace offerte<br />
par Sufjan Stevens, Bryce Dessner,<br />
Nico Muhly et James McAlister<br />
pour Planetarium, on a été conquis<br />
par la performance du duo formé<br />
par Jarvis Cocker et Chilly<br />
Gonzales. Les deux compères<br />
ont présenté leur projet Room 29,<br />
conte pop ourlé autour du<br />
légendaire Chateau Marmont, nous<br />
livrant un show théâtral, visuel,<br />
musical et absolument irrésistible.<br />
Cocker chante, danse, joue<br />
la comédie, se moque de ses<br />
cauchemars, nous explique les<br />
destins des stars du cinéma<br />
hollywoodien tombées dans l’oubli,<br />
se balade dans la salle, se retrouve<br />
dans un écran de télévision<br />
vintage… Un grand moment. S.R.<br />
© CD HEROUVILLE. NICKO GUIHAL. DR.<br />
66 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
LES<br />
FESTIVALS<br />
DIVA<br />
GOTHIQUE<br />
Troublante<br />
prestation<br />
de Banks,<br />
BRILLANT !<br />
Arcade Fire,<br />
tout en<br />
maîtrise.<br />
La démesure Lollapalooza<br />
En quatre jours, le festival américain a rappelé combien il était un événement hors normes.<br />
Par Xavier Bonnet<br />
© CAMBRIA HARKEY. SCOTT WITT. XAVIER BONNET<br />
Depuis la fenêtre de la chambre<br />
d’hôtel, le ballet est saisissant. Des<br />
heures déjà que vont et viennent<br />
sur le site des dizaines de véhicules<br />
en tout genre (chariots élévateurs, fourgonnettes,<br />
voiturettes de golf). Pas de temps à<br />
perdre, non plus : tout doit être prêt dans moins<br />
de dix-huit heures. Car c’est bien plus qu’un<br />
simple festival qui prend possession de Grant<br />
Park, le plus grand espace vert de Chicago, avec<br />
ses 129 hectares. C’est une ville où vont de croiser<br />
quatre jours durant quelque 400000 spectateurs<br />
et plus de 170 groupes ou artistes solo<br />
répartis sur pas moins de huit scènes, et dont les<br />
décibels vont résonner à des kilomètres à la<br />
ronde. C’est simple, quand, deux matins de suite,<br />
les essais de son se feront sur le “Take the Power<br />
Back” de Rage Against the Machine, on croira le<br />
temps de quelques secondes qu’une reformation<br />
surprise se fomente. Le troisième matin, c’est la<br />
musique de Star Wars qui fera trembler les murs<br />
des immeubles de Michigan Avenue – qui borde<br />
Grant Park – et nous laissera envisager un instant<br />
un DJ set de Dark Vador, et finalement non.<br />
De la musique électro – et plus particulièrement<br />
son volet EDM (pour Electronic Dance Music) –,<br />
il en est beaucoup question au Lollapalooza.<br />
À l’instar de ce qui avait été présenté lors de la<br />
récente étape parisienne du festival, une scène<br />
lui est quasiment entièrement dédiée, la Perry’s,<br />
du nom du cofondateur de Lolla, Perry Farrell,<br />
l’ancienne tête brûlée de Jane’s Addiction et<br />
Porno for Pyros. À cette différence près que la<br />
Perry’s de Chicago est au moins dix fois plus<br />
conséquente que sa petite sœur parisienne et<br />
que ses jeux d’écrans intégrés dans la structure<br />
de la scène sont bluffants. L’intéressé en est persuadé,<br />
comme il nous le confiait le temps de<br />
quelques échanges sur l’hippodrome de<br />
Longchamp : “L’électro est l’avenir de la musique.<br />
D’ailleurs, le projet sur lequel je me concentre va<br />
dans ce sens. D’une certaine manière, l’électro<br />
correspond, dans son état d’esprit, au rock indé,<br />
qui était la raison d’être du festival à sa naissance.<br />
Il y a donc plus que sa place.”<br />
Qu’elles tentent de traverser le site pour enchaîner<br />
un concert après l’autre, s’autorisent une<br />
brève pause devant les tentes accueillant<br />
diverses associations (de Black Lives Matter à<br />
One, en passant par Rock & Recycle, Oxfam<br />
America ou HeadCount-Register to Vote),<br />
qu’elles se laissent gentiment happer par des<br />
animations commerciales ou bien s’agglutinent<br />
devant les stands de nourritures où, comme<br />
ailleurs mais toujours avec une surenchère qui<br />
ne cesse de surprendre, burgers, pizzas et hotdogs<br />
sont de mise (tout en faisant appel exclusivement<br />
aux entreprises de restauration<br />
locales), ce sont de véritables marées humaines<br />
– oser le terme de “migrations” ne serait pas<br />
exagéré – qui vont d’un point à l’autre du site, à<br />
en donner le tournis.<br />
Pour beaucoup, la musique semble presque un<br />
prétexte. Prétexte à se retrouver entre potes –<br />
avec prédominance d’un public jeune, voire adolescent.<br />
Prétexte à s’afficher, à tenter de se<br />
démarquer d’un point de vue vestimentaire.<br />
Prétexte à passer du bon temps. Que<br />
retiendront-ils de ces quatre jours ? Un Liam<br />
Gallagher interrompant sa prestation au bout de<br />
20 minutes à cause d’un problème de voix qui<br />
aura échappé à tout le monde ? L’option collants<br />
résilles-boxer-ceinture-mocassins- chaussettes<br />
de Matthew Shultz, le chanteur de Cage the<br />
Elephant ? Un début de set tonitruant de Muse<br />
sous une pluie battante avant l’appel à évacuation<br />
immédiate du site à cause d’orages devenus<br />
trop menaçants ? La relative noyade d’un Ryan<br />
Adams oubliant que certaines de ses chansons<br />
intimistes n’étaient pas la définition de tout un<br />
chacun d’un début de week-end festif sur un festival<br />
? L’étonnante reformation de Live avec son<br />
line-up d’origine – là, on avait clairement raté un<br />
épisode ! – et débarrassé soudain de son maniérisme<br />
vocal geignard post-grunge de l’époque ?<br />
La troublante prestation de Banks, entre une<br />
arrivée solennelle invitant à se demander si elle<br />
se repasse en boucle les images d’Emmanuel<br />
Macron se dirigeant à pas mesurés vers la pyramide<br />
du Louvre, œillades et gestuelle tendance<br />
diva veuve noire gothique chic hésitant entre<br />
électro-pop à la Lykke Li et R&B un peu facile<br />
parfois ? La confirmation de la solidité de Royal<br />
Blood et London Grammar, bien que dans des<br />
registres à l’opposé l’un de l’autre ? À moins que<br />
reste gravée la véritable leçon de maîtrise et de<br />
ferveur d’un Arcade Fire offrant des versions<br />
énormissimes de ses “No Cars Go”, “Ready To<br />
Start” ou “Afterlife”. D’une certaine façon, le côté<br />
bigger than life d’un concert des Québécois<br />
en fait l’illustration et la conclusion parfaites d’un<br />
Lollapalooza sans commune mesure.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 67
LES<br />
FESTIVALS<br />
Friends”, “The Bitter End”, “Infra-<br />
Red”) que nous auront assénée sans<br />
faiblir les garçons y aura été pour<br />
quelque chose, y compris l’intensité<br />
avec laquelle ils auront attaqué<br />
chaque morceau. Un “Soulmates”<br />
emballant, un “Song To Say<br />
Goodbye” prenant, les images de<br />
David Bowie sur l’écran au moment<br />
de “Without You I’m Nothing”, puis<br />
une caricature de Donald Trump<br />
sur un paquet de cigarettes portant<br />
la mention “Seriously harms you<br />
and others around you” auront fini<br />
le travail. Vingt ans, ça se fête<br />
dignement. C’est fait et bien fait en<br />
ce qui concerne Placebo. X.B.<br />
FIESTA<br />
Le groupe<br />
francoécossais<br />
était<br />
à l’honneur.<br />
Iggy Pop<br />
7 juillet, Caen Hérouville-Saint-<br />
Clair, Festival Beauregard<br />
“I Wanna Be Your Dog”, “Gimme<br />
Danger” et “The Passenger” d’entrée<br />
de jeu. Le message est clair :<br />
Iggy ne va pas s’emm… avec des<br />
préliminaires. Est-ce parce qu’il<br />
était pressé d’aller roucouler avec<br />
son cacatoès ? De poursuivre sa<br />
thalasso entamée la veille à<br />
quelques kilomètres de là ? Peu<br />
importe. De plus en plus fripé, de<br />
plus en plus claudiquant, Iggy Pop<br />
reste à fond, allant d’un côté à<br />
l’autre de la scène, descendant et<br />
remontant l’escalier qui le mène à la<br />
foule telle une danseuse de revue<br />
un peu revenue de tout, mais qui<br />
connaît son affaire comme personne.<br />
Cette foule qu’il ne cesse de<br />
haranguer, accrochant une main,<br />
un bras, se contorsionnant devant<br />
elle. À ce qu’il paraît, cette même<br />
veille, il avait commencé à se faire<br />
rattraper par un début de bronchite.<br />
De deux choses l’une : soit on<br />
s’était affolé un peu vite dans son<br />
entourage, soit les médecins normands<br />
sont des gourous. Notre<br />
traitement de cheval à nous se sera<br />
conclu par un “No Fun” et un “Real<br />
Wild Child (Wild One)” tout sauf<br />
homéopathiques…<br />
X.B.<br />
Royal Blood<br />
11 juillet, Montreux Jazz<br />
Festival, Jazz Lab<br />
Ils n’ont beau être que deux, Mike<br />
Kerr et Ben Thatcher envoient<br />
comme s’ils étaient cinq ! L’intensité<br />
ne redescendra pas un instant dans<br />
ce set ramassé à souhait. À deux, ils<br />
ont trouvé leur équilibre, riffs et<br />
solos ravageurs via cette basse trafiquée<br />
pour le premier, cette batterie<br />
mitraillette pour le second et son<br />
inamovible casquette vissée sur la<br />
tête – à croire qu’elle a dû être fournie<br />
avec à sa naissance. Un équilibre<br />
qui ira jusqu’à la répartition<br />
des morceaux joués ce soir-là : cinq<br />
du premier album, six du dernier.<br />
Avec les hits qui vont bien (“Lights<br />
Out”, “Come On Over” et “Figure It<br />
Out”, toujours au-dessus du lot).<br />
Tonitruant !<br />
X.B.<br />
THE CELTIC SOCIAL CLUB<br />
5 août, Festival interceltique de Lorient<br />
L’Écosse était à l’honneur pour cette nouvelle édition de l’Interceltique, festival installé depuis l’aube des années 1970<br />
qui, depuis près de trente ans, offre une programmation internationale et s’est imposé comme l’un des plus gros rendezvous<br />
musicaux français, avec plus de 600 000 visiteurs. Un record. Toute la ville est aux couleurs de l’interceltisme<br />
et notamment de l’Écosse, pays invité qui y a délégué plus de 200 artistes : chanteurs, musiciens, danseurs que nous<br />
avions eu le privilège de rencontrer à Glasgow en juin dernier en avant-première. Dire que ce centre économique respire<br />
la musique est en dessous de la vérité. Nombre de groupes de stature internationale s’y sont fondés et surtout, la ville<br />
a accueilli tout ce que le monde du pop, rock, folk, punk, électro ou hip-hop a pu produire ces dernières décennies.<br />
En témoigne le nombre de salles existant dans cette cité industrielle et poumon économique du pays. Mais c’est sur<br />
le versant celtique que se sont orientés les programmateurs du rendez-vous breton : ainsi, les artistes présents, quels que<br />
soient leurs domaines de prédilection, mettent un point d’honneur à préserver une identité celte dans leur musique.<br />
Les très jeunes groupes qui se sont produits dès le 5 août au théâtre de Lorient devant une salle bondée – comptant<br />
dans ses rangs le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian – ont ainsi montré l’étendue de leurs talents et<br />
prouvé que la culture celte s’adaptait parfaitement aux enjeux artistiques du XXI e siècle. Certes, il y a eu du “tradi”<br />
– réclamé à cor et à cri par les inconditionnels de ce rendez-vous –, mais les guitares électriques ont pu s’exprimer<br />
librement, entre deux bagadous, aussi bien dans le festival off, sur les terrasses des nombreux bars, que sur la grande<br />
scène de la Marine et ses 4 000 places. C’est ainsi que The Celtic Social Club, mené par Jimme O’Neill, double régional<br />
de l’étape, car Écossais et habitant en Bretagne, chanteur des Silencers originaires de Glasgow, a lancé le festival avec<br />
un show explosif. Une pyrotechnie mêlant uilleann pipes, violon, washboard, banjo, mandoline, mais aussi guitares, basse<br />
et batterie, comme il se doit. En rhabillant de vieux traditionnels d’habits rock, leur musique, proposant une sorte<br />
de Pogues/Clash renouvelé, a transporté au loin, vers les côtes des Hébrides et l’île de Skye, mais aussi vers l’Irlande<br />
ou la Galice non seulement les inconditionnels du groupe, mais aussi ceux qui découvraient ce “concept group” formé<br />
sur une scène bretonne aussi (à Carhaix, aux Vielles Charrues), destiné à ne faire qu’un one shot. C’était sans compter<br />
sur le soutien de nombreuses entités privées et institutionnelles qui ont finalement permis au groupe de poursuivre cette<br />
dynamique – mais aussi grâce à la ténacité de son initiateur, Manu Masko –, d’avoir déjà produit deux albums (dont le<br />
dernier, salué dans ces colonnes), et de désormais arpenter les scènes du monde entier, dont celle de Lorient et de son<br />
festival, où leur show a permis de les placer sans détour sur les cartes du rock comme des fans de musique celtique. B.B.<br />
Les Insus<br />
8 juillet, American Tours Festival,<br />
Tours<br />
Tout un pan de la culture US était<br />
posé sur les bords de la Loire le<br />
temps d’un week-end dingue, chaud<br />
et surtout fun. Et c’est par dizaines<br />
de milliers que les festivaliers ont<br />
déboulé de toute l’Europe. Côté<br />
spectacle, tout le monde en a eu pour<br />
ses yeux et ses oreilles : des dizaines<br />
de petits groupes couvrant toutes les<br />
facettes de la country et du rockabilly,<br />
des shows d’Indiens, de visiteurs<br />
habillés en cow-boys ou en G.I.<br />
et, en soirée, les concerts. Le premier<br />
soir, le ton a été donné par ZZ Top et<br />
son boogie blues juteux : une setlist<br />
renouvelée, des reprises (Hendrix ou<br />
Elvis) et un show tout à l’énergie. Le<br />
lendemain, les Insus ont tout<br />
déboîté : certes, ils ne sont pas américains,<br />
mais Tours est la seule ville<br />
à ce jour à les avoir reçus deux fois.<br />
Difficile de décrire la ferveur du<br />
public lors de la montée sur scène de<br />
Jean-Louis, Richard et Louis. Un<br />
show énorme, tubes sur tubes<br />
enchaînés à un rythme diabolique.<br />
Et surtout, on est dans le cultissime.<br />
Pour cela, la jauge maxi a été<br />
atteinte : inutile de préciser que les<br />
© LORAINE ADAM<br />
68 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
LES<br />
FESTIVALS<br />
© T.BIANCHIN/MUSILAC <strong>2017</strong><br />
Insus, pour cette longue remontée à<br />
Paris où ils joueront dans un Stade<br />
de France complet les 15 et 16 septembre,<br />
sont désormais fin prêts. Le<br />
show d’anthologie livré ce jour-là a<br />
réveillé de bons vieux souvenirs.<br />
Qu’on se le dise… Par téléphone. B.B.<br />
Red Hot Chili Peppers<br />
23 juillet, Paris, Lollapalooza,<br />
Hippodrome de Longchamp<br />
Comme un singulier clin d’œil de<br />
l’histoire, le groupe que l’on conviait<br />
aux éditions d’antan du<br />
Lollapalooza au nom de son appartenance<br />
à la frange “indie” se<br />
retrouve à nouveau tête d’affiche de<br />
la fraîche extension nationale du<br />
festival, de par son statut de cador<br />
du mainstream rock. Pas sûr que<br />
cela ait de quoi… défriser la moustache<br />
façon Super Mario d’Anthony<br />
Kiedis ou de friper davantage les<br />
accoutrements en mode Desigual<br />
de Rodeo Drive privilégiés par Flea.<br />
Ça durera encore ce que ça durera<br />
(les “indiscrétions” de son batteur<br />
Chad Smith laissant entendre que<br />
ce ne sera as forcément le cas longtemps),<br />
mais sur une scène en <strong>2017</strong>,<br />
Red Hot Chili Peppers ne semble<br />
plus avoir d’autre ambition que de<br />
se faire plaisir. Un désir manifeste<br />
de “s’éclater” qui passe tout autant<br />
par un bombardement intensif des<br />
grenades qui ont fait leur notoriété<br />
(“Californication” – joliment foiré<br />
par Kiedis , “By the Way”, “Give It<br />
Away”) que par des reprises déjà<br />
torpillées dans le passé (“Higher<br />
Ground” de Stevie Wonder) ou<br />
dégoupillées pour la circonstance<br />
(“I Wanna Be Your Dog” des<br />
Stooges, “Wicked Games” de Chris<br />
Isaak, pour Josh Klinghoffer en<br />
solo). C’est surtout l’occasion pour<br />
le groupe de s’autoriser moult<br />
digressions qui virent à la jam, pas<br />
forcément couronnées de succès –<br />
doux euphémisme – mais toujours<br />
excitantes à observer. Bref, le<br />
piment reste au rendez-vous pour<br />
assaisonner le quotidien, aux<br />
risques et périls de chacun ! X.B.<br />
Liam Gallagher<br />
23 juillet, Paris, Lollapalooza<br />
Hippodrome de Longchamp<br />
“Rock’n’roll” écrit en capitales,<br />
blanc sur noir. Des musiciens sur<br />
ressort, dont l’indispensable Jay<br />
Mehler, et puis il arrive. En<br />
parka, bien sûr, la moue arrogante<br />
de celui qui sait qu’il est<br />
aimé et attendu. Pour ce qu’il est,<br />
le bad boy de Manchester et frère<br />
ennemi de Noel Gallagher. Ce qui<br />
ne l’empêche pas d’attaquer les<br />
festivités avec trois titres d’Oasis<br />
d’affilée : “Fuckin’ in the Bushes”,<br />
“Rock ‘n’ Roll Star” et “Morning<br />
Glory”. S’ensuivent les titres de<br />
son prochain album solo, à<br />
paraître au début du mois d’octobre<br />
: “Wall of Glass”, “Greedy<br />
Soul”, “Chinatown”… Avant de<br />
reprendre “D’You Know What I<br />
Mean?” ou “Slide Away”, qu’il<br />
dédie aux victimes du Bataclan.<br />
Très touché par le récent attentat<br />
à Manchester, Liam Gallagher<br />
trouve le moyen de le cacher derrière<br />
sa légendaire nonchalance<br />
– et son chant impeccable, qui n’a<br />
pas pris une ride depuis les<br />
années 1990. Pour finir, il chante<br />
“Wonderwall” : on exulte, il<br />
savoure.<br />
S.R.<br />
Pixies<br />
29 juillet, Festival<br />
de Carcassonne<br />
C’est derrière les remparts de la<br />
Cité médiévale que les Pixies ont<br />
donné rendez-vous à leurs<br />
inconditionnels fans français,<br />
pour l’une de leurs très rares dates<br />
dans l’Hexagone cet été. Et les<br />
fidèles étaient au rendez-vous. Ce<br />
soir-là, le grand théâtre en plein<br />
air était rempli jusqu’au dernier<br />
gradin. Il faut dire que<br />
Carcassonne propose un festival<br />
atypique, éclaté dans plusieurs<br />
lieux de la ville, et offrant une<br />
programmation allant de la<br />
grande variété et de la pop internationale<br />
– notamment cette<br />
année les Vieilles Canailles<br />
Dutronc, Mitchell et Hallyday – à<br />
des concerts gratuits avec des<br />
artistes comme Axel Bauer. Mais<br />
pour Black Francis et son gang,<br />
Joey Santiago et David Lovering<br />
accompagné de leur nouvelle bassiste<br />
qui officie depuis 2014, pas<br />
de quartier. Comme à son habitude,<br />
ni bonjour ni au revoir : à la<br />
place, des riffs ravageurs, des<br />
chansons ciselées et articulées<br />
autour de la voix toujours impeccable<br />
du chanteur, soulignée par<br />
les guitares serpentines de<br />
Santiago. Le public exultait. Et<br />
lorsqu’arrive en deuxième partie<br />
de “match” l’hymne pixien par<br />
excellence, le gigatube “Where Is<br />
My Mind”, c’est l’explosion, accompagnée<br />
d’effets de fumées et de<br />
lights de toute beauté. Qui aurait<br />
pu croire que les Pixies donnaient<br />
dans le son et lumière ?<br />
B.B.<br />
System of a Down<br />
30 juin, Arras, Main Square<br />
Festival<br />
La force et l’attractivité de System<br />
of a Down ont toujours résidé dans<br />
l’allant, l’entrain, voire le grain de<br />
folie, qui pouvaient accompagner<br />
sa musique. Bon, pour ce dernier,<br />
autant ne pas nous faire d’illusions,<br />
c’est plié. Passé par pertes et profits.<br />
SOAD ne veut plus tourner, en<br />
tout cas Serj Tankian. Mais il<br />
honore ses engagements, bon gré<br />
mal gré. Bref, un System “dans un<br />
bon soir” ne tient que dans l’envie :<br />
l’envie de respecter une réputation,<br />
accessoirement respecter des milliers<br />
de gens qui se sont bougés<br />
pour lui (seul groupe de ce premier<br />
soir du Main Square dont les<br />
T-shirts à son effigie sont arborés<br />
en nombre). Bonne pioche, ce soir,<br />
c’est un groupe concerné, à défaut<br />
de volontaire, qui va enchaîner ses<br />
meilleurs titres et faire bouillonner<br />
son né o-metal à géométrie<br />
variable. À croire que les bases<br />
aériennes (concert souvent transparent<br />
au Download) lui réussissent<br />
moins que les citadelles à<br />
l’ancienne. Oui, ce soir, SOAD va<br />
se souvenir quelle machine de<br />
guerre il pouvait encore être quand<br />
il veut s’en donner les moyens. Un<br />
très beau souvenir…<br />
X.B.<br />
STING<br />
14 juillet, Aix-les-Bains,<br />
Festival Musilac<br />
Comment résister à un type qui vous lance au visage<br />
– en l’occurrence, relance – toute une partie de votre<br />
adolescence ? Comment ne pas chanceler quand, dans<br />
les enceintes géantes d’un festival, résonnent les<br />
“Synchronicity II”, “Spirits In a Material World”, “Every<br />
Little Thing She Does Is Magic, “Message in a Bottle,<br />
“Walking on the Moon”, “So Lonely”, “Roxanne”<br />
et “Next to You”, pour ne citer que le premier travail<br />
du Monsieur (car tous les hits en solo seront aussi<br />
de la partie) ? À quoi bon s’attarder sur le sentiment<br />
que le bonhomme, bien qu’affûté comme jamais,<br />
est en roue libre, livre son set sans émotion apparente ?<br />
Est-il bien utile de se demander si l’accordéon<br />
est vraiment ce qui manquait à l’ambiance sombre<br />
d’un “Fields of Gold” ? Quoi qu’on dise, quoi<br />
qu’on fasse, Sting est insubmersible… X.B.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 69
VIRTU<br />
COMBA<br />
PROPHETS OF RAGE
EL<br />
T ?<br />
Avec son nouveau<br />
groupe, Tom Morello<br />
et ses acolytes tentent<br />
de faire oublier Rage<br />
Against the Machine.<br />
Mais derrière les belles<br />
intentions et la vindicte,<br />
le discours de la méthode<br />
peine à convaincre.<br />
À tort ou à raison ?<br />
Par XAVIER BONNET<br />
Photographie de TRAVIS SHINN
PROPHETS<br />
OF RAGE<br />
Download, Hellfest. Deux festivals de metal à une semaine d’intervalle<br />
et un scénario qui se reproduit à l’identique. La même<br />
impatience qui grandit à l’approche du moment fatal. Aucun<br />
doute là-dessus, Prophets of Rage est l’attraction de ceux qui<br />
ont investi les lieux, ayant réussi à créer une appétence que certaines<br />
têtes d’affiches des deux festivals sont loin d’avoir réussi<br />
à engendrer. Peut-être parce que, alors que ce mois de juin<br />
entame tout juste sa seconde moitié, c’est nimbé de mystère que<br />
le groupe s’affiche. Et que, c’est bien connu, le mystère intrigue<br />
et attire… Après tout, un seul single, “Unfuck the World”, a encore été dévoilé, et l’annonce de<br />
l’arrivée d’un album en septembre n’a pas encore percé.<br />
Certes, le “casting” de Prophets of Rage se suffirait presque à lui-même. Pensez donc… Trois<br />
anciens membres de Rage Against the Machine – simplifions : tous sauf Zack de la Rocha, soit<br />
Tom Morello, Tim Commerford à la basse et Brad Wilk à la batterie –, deux de Public Enemy<br />
(Chuck D au micro et DJ Lord aux platines) et un de Cypress Hill (B-Real au… gosier). Se suffire<br />
à lui-même et poser problème en même<br />
temps. Car il ne faudra pas longtemps pour en<br />
avoir le cœur net : une grande majorité de ce<br />
public si impatient n’est manifestement là que<br />
pour entendre les hymnes de RATM, notamment<br />
sa frange la plus jeune, qui n’a encore<br />
jamais vu le groupe sur scène. Oui, là pour<br />
s’éclater, faire des bonds sur les “Take the<br />
Power Back”, “Bombtrack”, “Bullet in the<br />
Head”, “Bulls on Parade” et l’insubmersible<br />
“Killing in the Name”. Là pour ça et rien<br />
d’autre. Comme si le message sous-jacent<br />
qu’entend véhiculer Prophets of Rage, ce qui<br />
en fait sa raison d’être, à en écouter ses divers<br />
protagonistes, volait en éclats devant la nostalgie<br />
ou la simple dimension exutoire des<br />
brûlots d’antan. “Il n’est pas indispensable de<br />
percevoir le message”, énonce Tom Morello, le<br />
véritable leader de ce qu’il ne faudrait surtout<br />
pas percevoir comme un simple super-groupe.<br />
Et tant pis s’il assène le contraire depuis le<br />
début de l’entretien à grand renfort de phrases<br />
chocs. “Si, sur un festival comme celui-ci<br />
(Hellfest, ndlr), 50 000 personnes deviennent<br />
dingues grâce à ce que nous leur proposons,<br />
ça me va parfaitement, poursuit-il. Et peutêtre<br />
parmi eux s’en trouvera-t-il pour creuser<br />
davantage et devenir les leaders de la résistance<br />
de demain !”<br />
Résistance, il n’a que ce mot à la bouche, le<br />
Tom. Bien sûr, difficile de le taxer d’opportuniste<br />
en l’occasion, lui qui est de toutes les<br />
luttes depuis son adolescence et n’a pas<br />
attendu les événements récents pour manifester-afficher-réaffirmer<br />
ses idées assez à<br />
gauche. Pas illogique qu’on le présente désormais<br />
autant comme un musicien que comme<br />
un militant. “L’un – musicien – est une vocation,<br />
l’autre – militant – est une conviction,<br />
s’esclaffe-t-il. Maintenant, dans quelle proportion,<br />
c’est compliqué à déterminer. Ils ne<br />
partagent pas forcément le même espace.<br />
Disons que je suis à 100 % l’un et l’autre ! Y<br />
a-t-il un risque que l’un l’emporte sur l’autre ?<br />
Oui, certainement. Si la musique est à chier,<br />
ça ne devient plus qu’un mauvais discours. Et<br />
c’est là le meilleur moyen de desservir la cause<br />
que tu veux défendre.”<br />
Mais si Tom Morello – l’homme – n’a guère<br />
besoin d’apporter de gages quant à son sens<br />
de l’engagement, peut-on – et faut-il – aborder<br />
l’émergence de Prophets of Rage avec les<br />
mêmes… garanties ? Le guitariste ne manque<br />
jamais de le rappeler : le groupe est né en<br />
réaction à l’utilisation du terme “Rage<br />
against the system” lors de la dernière campagne<br />
présidentielle américaine par Donald<br />
Trump, mais aussi par Bernie Sanders.<br />
Morello va jusqu’à enfoncer le clou en parlant<br />
d’une réaction à une urgence, un bouillonnement<br />
naissant à accompagner. Dans le feu de<br />
l’enthousiasme, la résistance est à nouveau<br />
convoquée (“et cette résistance a besoin d’une<br />
bande sonore”). À l’en croire encore, Prophets<br />
of Rage serait le reflet de son époque, de l’instant,<br />
“en espérant pouvoir le changer”.<br />
Opportunisme ou pas ? Vœu pieux ? On vous<br />
laissera vous faire un avis.<br />
Car, vue d’Europe, cette résistance à laquelle<br />
il croit dur comme fer, ainsi que les illustrations<br />
qu’il avance pour étayer son ardeur,<br />
paraissent bien plus embryonnaires. Vrai, les<br />
marches des femmes à travers les États-Unis<br />
le jour de l’investiture de Trump en janvier<br />
denier ont réuni près de 4 millions de personnes<br />
(une première dans le pays). Vrai<br />
encore, des aéroports ont été un temps occupés<br />
lorsque le même Trump décida d’interdire<br />
l’entrée sur le territoire américain à des<br />
ressortissants de certains pays musulmans.<br />
Mais depuis ? Quelle résistance “durable”<br />
“Une fois<br />
de plus,<br />
ce groupe<br />
est un reflet<br />
de son<br />
époque.’’<br />
derrière ces quelques prémices, dans un pays<br />
qui a finalement entériné sans broncher<br />
qu’un candidat pouvait accéder à l’investiture<br />
avec deux millions de voix en moins que<br />
son adversaire de par un système de collège<br />
électoral d’un autre temps, mais que personne<br />
ne songe à remettre en cause pour<br />
autant, au nom du respect des institutions ?<br />
Qui donc pour percevoir l’écho d’un Tom<br />
Morello ou d’un Chuck D, prônant la révolution,<br />
sur disque ou sur scène ?<br />
De manière plus globale, à l’heure de l’individualisme<br />
forcené et sciemment entretenu<br />
afin d’étouffer les combats de société et la<br />
dimension collective qu’ils impliquent, à qui<br />
peut bien s’adresser le discours d’un Prophets<br />
of Rage, aussi bien agencé soit-il ? Qui pour<br />
l’entendre, l’écouter ? Morello, lui, n’en<br />
démord pas : la colère gronde, y compris<br />
auprès des plus jeunes, il n’a jamais vu un tel<br />
mouvement de son vivant aux États-Unis, ne<br />
compte plus ceux qui se lancent dans l’action<br />
alors qu’ils prenaient soin jusqu’ici de faire<br />
partie de la majorité silencieuse. Et tant pis<br />
si c’est dans son entourage immédiat qu’il va<br />
puiser un exemple de sa démonstration “globale”,<br />
en évoquant sa femme jadis soutien<br />
tacite – mais pas plus – des engagements<br />
politiques de son conjoint et devenue soudain<br />
coordonnatrice pour le compte de certains<br />
mouvements féminins. Méthode Coué ou<br />
véritable credo ?<br />
Et si, au bout du compte, notre perplexité –<br />
pas forcément partagée, au demeurant – à<br />
l’encontre de Prophets of Rage tenait dans la<br />
formulation de son propos, dans le fond<br />
comme dans la forme ? Le fond, à savoir ces<br />
douze chansons que le groupe n’a pas cru bon<br />
de présenter lors de sa tournée européenne,<br />
à l’exception du seul single “Unfuck the<br />
World”, où sont passés en revue et pêle-mêle,<br />
parfois le temps d’une furtive suggestion, la<br />
paranoïa sécuritaire, la dépendance médicamenteuse,<br />
le radicalisme, les soldats qui<br />
meurent au combat, l’appel à la légalisation<br />
du cannabis, les sans-abri trouvant abri sous<br />
les bretelles d’autoroute, l’abrutissement des<br />
masses, etc. Autant de sujets dont la virulence<br />
et les ravages qu’ils engendrent ne sauraient<br />
être remis en cause, mais auxquels le<br />
groupe n’apporte aucun nouvel éclairage<br />
véritable, y compris dans la façon de les narrer<br />
– pour ne pas dire qu’il lui manque le<br />
talent et la fougue d’écriture de Zack de la<br />
Rocha et ce, alors qu’il tient à en faire son<br />
cheval de bataille.<br />
À l’inverse, le sens de l’à-propos de Tom<br />
Morello en entretien sonne parfois “trop<br />
beau pour être vrai”, jamais très loin non plus<br />
d’un simple “y a qu’à, faut qu’on”… Difficile<br />
de se satisfaire en effet de certaines réponses<br />
toutes faites, à commencer lorsqu’il s’efforce<br />
de nous assurer que l’enregistrement de<br />
72 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
© JEFF KRAVITZ/GETTY IMAGES<br />
l’album fut “le plus facile et le plus fun” des<br />
quinze ou seize sur lesquels il aura œuvré ;<br />
ou quand il nous assène que Prophets of<br />
Rage est là pour durer et que tout le monde<br />
se donnera toujours à fond, que le groupe n’a<br />
pas de date de péremption, tout en précisant<br />
dans la même phrase que “Public Enemy<br />
continue, Cypress Hill continue et que j’ai<br />
moi-même mes propres projets.” Délicat de<br />
nous contenter en outre de tirades grandiloquentes,<br />
au moment de s’interroger sur le fait<br />
de savoir si des musiciens désormais bien<br />
nantis sont les mieux placés pour appeler à<br />
la révolution, sur le mode “tout le monde sans<br />
exception est la personne idéale pour ça, qui<br />
soit-il ou quoi qu’il fasse : charpentier, étudiant,<br />
sans-abri, anarchiste, rappeur, guitariste…<br />
Il ne peut y avoir de ghettoïsation à<br />
propos de qui est le mieux habilité à porter<br />
ce genre de mouvement. Je suis la même étoile<br />
polaire en matière de politique depuis mes<br />
16 ans. Il se trouve juste que je suis devenu<br />
guitariste. Mais que je sois un guitariste qui<br />
n’ait vendu aucun disque ou 30 millions ne<br />
change rien à l’affaire…”<br />
Et que dire de cette répartie lorsqu’est avancée<br />
l’idée que des adolescents de 14-15 ans<br />
n’ont peut-être pas forcément envie<br />
aujourd’hui d’écouter les conseils-injonctions<br />
de quinquagénaires bien sentis : “D’une certaine<br />
manière, nous sommes moins là pour<br />
les guider que pour les suivre, moins là pour<br />
prêcher à leur encontre que les écouter. Une<br />
fois de plus, ce groupe est un reflet de son<br />
époque. Une fois de plus, il est né d’une<br />
urgence partagée par une grande partie du<br />
MAKE AMERICA RAGE AGAIN<br />
En concert à Varsovie, en <strong>2017</strong>,<br />
Prophets of Rage fait le show, tout en ferveur<br />
et en protestation, collant à son image<br />
de “supergroupe révolutionnaire”.<br />
monde. Quand 500 000 réfugiés srilankais<br />
fuient à cause du réchauffement climatique,<br />
ça concerne aussi bien celui qui a 14 ans que<br />
celui qui en a 53, comme moi, ou 57, comme<br />
Chuck.” À trop vouloir en faire…<br />
Et si, après tout, nous exigions trop de<br />
Prophets of Rage, au prétexte du pedigree de<br />
ses divers protagonistes ? Après tout, il ne<br />
serait ni le premier ni le dernier groupe<br />
contestataire et protestataire qui n’aurait<br />
que son savoir-faire à faire valoir en guise<br />
d’argument et à chercher à tracer sa route – le<br />
temps qu’il faudra – en mettant à profit un<br />
contexte ou l’humeur du moment. Après<br />
tout, ce n’est peut-être que du show-business<br />
et c’est très bien ainsi. Après tout, et convenons-en<br />
bien volontiers, il est encore suffisamment<br />
de sons à sortir de la guitare de<br />
Tom Morello, au pire intrigants au mieux<br />
passionnants, pour que l’on accepte de se<br />
contenter, et ne pas avoir à réduire l’utilité de<br />
l’instrument au désir pour son propriétaire<br />
d’y coller sur le revers une feuille avec l’inscription<br />
“Fuck Trump”.<br />
Et tant pis si, là encore, l’explication fournie<br />
ne convaincra qu’à moitié. “Woody Guthrie<br />
s’est rendu célèbre avec son message ‘This<br />
machine kills fascists’ sur la sienne et j’en ai<br />
souvent collé sur les miennes au fil des ans,<br />
prend soin de rappeler Morello. Quand nous<br />
avons commencé cette tournée en Europe,<br />
quelque part en Allemagne, je me suis<br />
demandé quel serait le meilleur message à<br />
faire passer. Ce ‘Fuck Trump’ est la première<br />
idée qui m’est venue. Je crois qu’il peut créer<br />
un pont de solidarité avec ce public européen<br />
qui pense que les États-Unis ont perdu la<br />
tête. C’est ma façon de lui dire : Nous sommes<br />
d’accord avec vous !” Alors, si tout le monde<br />
est d’accord…<br />
Seul l’avenir dira qui, de la ferveur débridée<br />
de Tom Morello ou des réactions dubitatives<br />
que celle-ci peut susciter, se sera approché le<br />
plus de la vérité. Reste à savoir si nous aurons<br />
longtemps à attendre. Car s’il est bien une<br />
urgence au programme, et une urgence que<br />
l’on partage sans détours avec ces prophètes<br />
de la rage, c’est bien celle qui consiste à<br />
“unfuck the world”. Pour peu qu’il ne soit pas<br />
trop tard, ce que ne veut là non plus pas<br />
entendre le guitariste : “L’histoire montre<br />
que des gens se sont levés à des périodes tragiques<br />
et dangereuses de ce monde. Combien<br />
sont ceux qui se sont longtemps persuadés<br />
que le mur de Berlin ne tomberait jamais ?<br />
Combien sont ceux qui se sont persuadés que<br />
l’apartheid durerait indéfiniment ? Pareil<br />
pour l’esclavage aux États-Unis ou le droit<br />
de vote refusé aux femmes. Autant de supposées<br />
réalités que l’on pensait inamovibles,<br />
coincées dans le cours de l’histoire. À tort. Et<br />
pourquoi ? Parce que des gens pas différents<br />
de ceux qui pourront lire cet article ont refusé<br />
ce qui ressemblait à une fatalité et ont changé<br />
le monde…” Camarades lecteurs, au boulot !<br />
Unfuckez-nous tout ça…<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 73
MORRICONE<br />
ENNIO<br />
IL MAESTRO<br />
Il a donné<br />
un son à<br />
l’Amérique,<br />
construit son<br />
propre mythe<br />
à grands coups<br />
d’harmonica et a<br />
même fini par être<br />
sympa avec Tarantino.<br />
Par OLIVIER FLORIO<br />
Photographie de JIM DYSON<br />
75<br />
<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>
AAvec soixante ans de carrière, Ennio<br />
Morricone incarne l’une des figures les plus<br />
marquantes de l’industrie cinématographique.<br />
Considéré comme une influence<br />
majeure pour bon nombre de compositeurs<br />
du cinéma actuel tel que Hans Zimmer, il a<br />
été également une source pour certaines<br />
icônes de la pop, jusqu’à Metallica ou Bruce<br />
Springsteen. Examiné sous toutes les coutures,<br />
disséqué au scalpel, passé aux rayons X,<br />
le personnage fascine. Mais qu’est-ce qu’on<br />
peut dire de plus aujourd’hui que : Ennio,<br />
c’est LE compositeur de musiques de film.<br />
Un film ? Un vrai sac de nœuds. Il y a<br />
d’abord le réal qui arrive avec sa problématique<br />
existentielle et qui est souvent suivi<br />
par un producteur (sorte de poisson-pilote)<br />
qui a une vision chiffrée du monde. Et là,<br />
ils tombent sur Ennio qui, lui-même, est<br />
ENNIO<br />
MORRICONE<br />
rendre sa musique accessible aux cinéphiles<br />
qui traînent dans les salles obscures.<br />
Morricone “sert”. Sert le film. Une musique<br />
“de service”, comme il dit. Mais bon, il y a<br />
tout de même une limite. Parce que c’est<br />
une part de son ADN qu’il met sur le tapis.<br />
Et là, il lâche pas l’affaire facilement, le<br />
Maestro. Pas question de laisser se dégrader<br />
son “creativ’ impulse”.<br />
Pour Ennio, au départ, le cinéma c’est tout<br />
sauf une histoire de vocation. “Je pensais<br />
faire comme tant de compositeurs qui<br />
gagnent peu, mais écrivent ce qu’ils veulent<br />
(...). Mon rapport avec le cinéma est venu<br />
par hasard, parce que j’ai pas eu la possibilité<br />
de faire autre chose.”<br />
Il fallait bouffer, assurer le quotidien. Alors<br />
il commence en faisant des arrangements<br />
pour de la variet’ ou autre, comme ça, un<br />
peu en souterrain, histoire de pas être trop<br />
repéré. Mais bon, ça n’a pas duré longtemps.<br />
Un jour, le cinéma frappe à sa porte.<br />
Et alors là… c’est THE virage. Car dans les<br />
années 1960-1970, Ennio bouscule, renouvelle,<br />
transcende les codes de la musique du<br />
cinéma de l’époque. Mais pour lui, la<br />
musique de film c’est qu’une sorte de “gymnastique”,<br />
un “exercice”. “Chaque film est<br />
Antonio Ferdinandi et, plus tard, ceux de<br />
Goffredo Petrassi. Nous avions un amour<br />
sans bornes pour l’écriture, la recherche (…).<br />
Un amour spirituel.”<br />
Mais voilà, dans sa période “à la mode”, il<br />
cartonne tellement qu’il court, il court,<br />
Ennio. Et le temps finit par lui manquer.<br />
Son succès grandissant le porte, mais finit<br />
aussi par l’enchaîner. Les feuilles blanches<br />
de la musique absolue restent immaculées<br />
sur un coin de bureau, la poussière fait son<br />
office. Ainsi soit-il.<br />
Alors, le soir, lorsque résonnent les cloches<br />
du Vatican, Ennio est seul face à lui-même.<br />
Et il a cette voix qui s’immisce en lui,<br />
comme une prière profonde, un appel vers<br />
l’au-delà, un trait d’union vers l’infini, la<br />
voix de l’autre musique. “J’ai un doute terrible”,<br />
confie-t-il un jour à Sergio Miceli<br />
historien de la musique, musicologue et<br />
ami, “que ma limite soit la musique de<br />
cinéma.” Comme une frontière invisible<br />
que l’homme appréhende et qui le hante. Et<br />
même si le public croit que la musique<br />
d’Ennio, c’est celle qu’il fait pour les films,<br />
lui sait intérieurement qu’il y a “l’autre”,<br />
l’autre musique, l’autre Ennio, et envers<br />
lequel il sent qu’il a une dette. Croirait-on<br />
“<br />
Chaque film est une nouvelle expérience musicale,<br />
qui présente de nouveaux problèmes à résoudre,<br />
cela me donne le sentiment d’exister,<br />
de ne pas créer dans le vide.”<br />
*** ***<br />
dans une perspective assez “personnelle”,<br />
disons ondulatoire, de l’espace et du temps.<br />
Mais bon, malgré tout, quelquefois, ça<br />
“matche”, et comme Ennio est du genre gros<br />
bosseur et qu’il a des ondulations sonores<br />
un peu partout dans la tête, ils finissent<br />
donc parfois par se mettre d’accord. “Cinq<br />
cents films, sinon rien” : ainsi pourrait-on<br />
résumer sous forme de boutade la riche carrière<br />
du maître italien. Cinq cents, ça fait<br />
tout de même un paquet d’accords. Et<br />
encore, il en aurait viré la moitié, refusant<br />
de travailler pour des réals qui ne lui revenaient<br />
pas ou qui lui demandaient d’écrire<br />
dans le style de Stravinsky ou de Mozart.<br />
À dégager.<br />
Pour autant, malgré son caractère, Ennio<br />
sait s’adapter. Composer avec les contingences<br />
stochastiques, scolastiques et chaotiques<br />
du monde cinématographique. Il sait<br />
prendre pleinement en considération sa<br />
responsabilité de fournir un matériel artistique<br />
convaincant. Wow ! Pour le réal bien<br />
sûr (faut pas l’oublier), mais aussi pour<br />
une nouvelle expérience musicale, qui présente<br />
de nouveaux problèmes à résoudre<br />
(…). Cela me donne le sentiment d’exister,<br />
de ne pas créer dans le vide.” Un exercice<br />
noble, certes, et lucratif, mais qui, malgré<br />
tout, ne saurait en aucun cas se substituer<br />
au questionnement profond et existentiel<br />
de l’individu face à la feuille blanche : celui<br />
de la “musica assoluta”. Kézako ? La “musica<br />
assoluta” (musique “en soi”) par opposition<br />
à la “musica applicata” (musique de commande).<br />
Deux concepts bien éloignés, voire<br />
antinomiques. Le truc qui rend bien schizophrène.<br />
On comprend alors ses sautes<br />
d’humeur, au Maestro. Et c’est aussi et<br />
peut-être surtout cette “musica assoluta”<br />
que Morricone a dans la tête depuis qu’il est<br />
enfant. “Mon père jouait de la trompette.<br />
C’est lui qui m’a enseigné la clé de sol et<br />
transmis la passion pour cet instrument.<br />
Puis je me suis inscrit au conservatoire de<br />
Santa Cecilia, à Rome. J’ai fait un cours<br />
d’harmonie complémentaire et ensuite étudié<br />
la composition. J’ai suivi les leçons de<br />
en lui en tant que musicien sans images ?<br />
Alors Ennio fait une sorte de pacte avec luimême.<br />
“Servir” du mieux qu’il peut. Comme<br />
pour donner le change, comme pour se<br />
repentir de son péché de ne pas servir sa<br />
propre voix. De ne pas servir cette “musica<br />
assoluta” qu’il porte en lui, pure et sans<br />
compromis. Il espère ainsi se sauver luimême<br />
et peut-être aussi “sauver” certains<br />
des films dont il accepte d’écrire la musique.<br />
“Je ne me suis pas laissé aller (…). J’ai cherché<br />
à racheter, à me racheter.” Et c’est peutêtre<br />
ce qui donne une teneur si particulière<br />
à sa musique.<br />
Ennio se sent enfermé. Briser les bords de<br />
l’image, pulvériser les écrans, la question<br />
reste épineuse. “Moi, je ne peux jamais être<br />
content en faisant de la musique pour le<br />
cinéma, même si je reconnais qu’il y a beaucoup<br />
d’aspects positifs”, déclare-t-il encore<br />
en 1979 à Miceli. Le cadre, toujours le cadre.<br />
Bien sûr, ses maîtres à penser ont eu à composer<br />
avec des problématiques similaires.<br />
La forme (sonate, fugue, forme<br />
© GETTY IMAGES. DR.<br />
76 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
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4<br />
UNE VIE EN IMAGES<br />
(1) Partitions sous le bras, le<br />
compositeur prépare ses concerts.<br />
(2) Avec son ami, le réalisateur<br />
Sergio Leone. (3) Le “Maestro” en<br />
pleine répétition avec ses choristes,<br />
à Rome en 1984. (4) Sur scène,<br />
Morricone dirige ses propres œuvres<br />
de main de maître. (5) C’est Clint<br />
Eastwood qui lui remettra le seul<br />
oscar de sa carrière, en 2016, pour la<br />
BO des Huit Salopards. (6) L’équipe<br />
de Hateful Eight, avec (de gauche<br />
à droite) Kurt Russell, Ennio Morricone,<br />
Quentin Tarantino et Michael Madsen.<br />
5 6
ENNIO<br />
MORRICONE<br />
Duel<br />
Rencontrer le Maestro n’est pas facile. Tous ceux qui s’y sont essayés en gardent<br />
un souvenir doux-amer. Et se souviennent d’une tension digne d’un duel de western.<br />
Que l’on soit journaliste, compositeur… ou les deux à la fois. Par Alex Jaffray<br />
Chez mes grands-parents, il y avait<br />
trois vinyles. Un disque de valses<br />
autrichiennes que je n’ai jamais sorti<br />
de sa pochette – à cette époque<br />
j’avais une aversion pour le trois temps ; un disque<br />
d’enregistrements de machines à vapeur – mon<br />
grand-père était ancien cheminot et le vacarme<br />
de métal et de vapeur devait lui manquer ; et un<br />
disque des plus grands titres de Ennio Morricone,<br />
avec, sur la pochette, une photo du film Le Casse,<br />
avec Belmondo qui met en joue Omar Sharif.<br />
J’ai grandi en écoutant en boucle ce générique<br />
de film avec l’impression diffuse de transgression,<br />
d’écouter de la musique de voyou, à cause<br />
du revolver ; une musique interdite et fascinante,<br />
hypnotique avec ce thème court que Morricone<br />
balade dans toutes les tonalités et toutes les<br />
gammes. Il promène cet ostinato à la manière de<br />
Bach, mais avec le côté goguenard de l’instrumentation<br />
façon Maestro : un piano de saloon,<br />
une guitare, un son de vagues au loin…<br />
Plus tard, porté par le dicton “Ennio un jour,<br />
Ennio toujours”, avec mes premiers francs, j’ai<br />
acheté le 45-tours de la musique du film À l’aube<br />
du cinquième jour, d’une tristesse palpable, qui<br />
m’avait transpercé l’âme sans pouvoir y mettre<br />
de mots. Une composition qui m’a donné envie<br />
de comprendre la magie invisible de la musique<br />
et d’essayer d’en écrire moi-même.<br />
Quelques années passent en une mesure de<br />
valse et, en 2006, lors du festival de musique de<br />
films d’Auxerre, on me propose de rencontrer le<br />
Maestro. Avec, bien entendu, toutes les réserves<br />
d’usage : il est difficile, il est ronchon, il est âgé,<br />
il ne parle pas anglais, il se réserve le droit de ne<br />
pas répondre à toutes les questions et il ne fera<br />
peut-être pas l’interview, bref, un terrain propice<br />
à l’épanouissement et à l’attente sereine.<br />
J’avais réussi à me glisser sans permission pour<br />
assister aux répétitions et voir le Maestro à<br />
l’œuvre, et en fait, il n’était pas du tout vieux !<br />
Droit, sec, sévère et souple, l’oreille tendue, arrêtant<br />
les musiciens à la moindre approximation,<br />
avec le pli du front du chef d’orchestre qui n’a pas<br />
entendu ce qu’il avait en tête.<br />
Il sort de scène et débutent alors deux bonnes<br />
heures d’attente et de tractations : interview ?<br />
pas d’interview ? On nous dit qu’il est fatigué,<br />
que ces entretiens n’étaient pas prévus, que les<br />
trois journalistes devront faire leur interview<br />
ensemble. Une traductrice, trois journalistes<br />
penauds, dont une jeune collègue qui débutait<br />
dans l’exercice. Le Maestro arrive, le pli n’avait<br />
pas quitté son front.<br />
À la première question, une réponse tiède nous<br />
arrive après le temps de traduction. Deuxième<br />
question maladroite sur les musiques pour<br />
Leone de notre jeune amie – on sent la réponse<br />
froide même avant traduction. Je pose ma question,<br />
que j’espère intelligente, plouf plouf. Le pli<br />
ne part pas du front du patron. S’ensuivent deux<br />
séries de questions, puis le Maestro se lève, je<br />
reste avec le souvenir de ma pochette du Casse<br />
qui se fissure en mille morceaux, et avec une<br />
impression d’inachevé.<br />
Deux mesures de valses plus tard, nous sommes<br />
en 2014, le Maestro s’est enfin décidé à diriger ses<br />
musiques en concert, on me propose d’aller le<br />
rencontrer chez lui, à Rome. Le voyage s’organise,<br />
seulement quatre journalistes français sont<br />
choisis, grosse pression. Et pour en rajouter une<br />
fine couche, on reçoit des consignes strictes<br />
avant de partir :<br />
1. on doit l’appeler “Maestro” ;<br />
2. on n’emploie pas le terme de “western<br />
spaghetti” ;<br />
3. on ne lui parle pas d’entrée de jeu de ses films<br />
avec Sergio Leone ;<br />
4. on ne lui fait pas signer de disques…<br />
Comme ça pendant une demi-page avant même<br />
de poser le pied à Rome, de quoi être bien tendu,<br />
en sachant qu’Ennio est à l’humour ce que<br />
Dupont-Aignan est au mariage pour tous. Le jour<br />
dit, avion pour Rome, les interviews ont lieu en<br />
début d’après-midi pour qu’Ennio soit en forme<br />
après une petite sieste.<br />
Vieil et vaste appartement romain dans lequel le<br />
Maestro habite depuis quarante ans et a composé,<br />
dans la plus grande solitude de son bureau,<br />
quelques-uns de ses plus grands chefs-d’œuvre.<br />
Premier contact sur place à la hauteur de l’appréhension,<br />
le manager d’Ennio, une sorte<br />
d’Italien échappé des Affranchis de Scorsese te<br />
regarde dans les yeux et te dit en anglais avec<br />
un accent plein de “r”.<br />
— Tu sais pourquoi le Maestro fait les interviews<br />
chez lui ?<br />
— Euh… Non, Monsieur.<br />
Il faut toujours être très poli quand un Italien<br />
avec des chaussures blanches vous parle.<br />
— Eh bien, le Maestro fait ses interviews chez lui,<br />
comme ça, si les questions ne lui plaisent pas, il<br />
se lève et te remercie. (Le manager me montre la<br />
porte d’entrée de l’appartement, en mimant<br />
Morricone.)<br />
Ambiance.<br />
L’équipe installe le matériel, pieds de caméra,<br />
rallonges, lumières, micro.<br />
Là, le même homme de main avec le même<br />
accent approche :<br />
— Il y a quelques années, un mec de TF1 s’est<br />
branché sur cette prise, il a fait sauter les plombs.<br />
On lui a fait un procès.<br />
Léger froid.<br />
Et puis Monsieur Morricone arrive, vieux et beau<br />
à la fois.<br />
Moins en forme qu’il y a quelques années, il a<br />
subi une opération qui l’a affaibli. L’interview<br />
commence, il est un peu fermé, puis je lui parle<br />
de son père, de ses débuts de trompettiste et du<br />
flambeau transmis par son père, de la musique<br />
absolue – la musica assoluta – tellement importante<br />
à ses yeux, de ses années d’arrangeur pour<br />
la variété italienne qui lui ont permis d’essayer<br />
plein d’assemblages en musique – assemblages<br />
que l’on retrouve dans ses grandes musiques de<br />
film. On parle de Mina, de ses tubes des<br />
années 1960. Puis il s’ouvre, sourit, l’interview<br />
devait durer 20 minutes, une heure après on y<br />
est encore. Je lui parle de son bureau de composition,<br />
il se lève et me dit qu’il ne le montre que<br />
rarement. Il sort une clé, ouvre une porte, sort<br />
une deuxième clé, ouvre une seconde porte et<br />
on se retrouve dans son bureau, entourés de<br />
toutes ses partitions classées et rangées méticuleusement<br />
sur des étagères.<br />
Posées sur le canapé, les partitions en cours<br />
pour Tornatore, sur une étagère en face, des<br />
dizaines de récompenses – Bafta, Grammy,<br />
Golden Globes, Nastro… J’ai la présence d’esprit<br />
de ne pas lui parler de l’oscar qu’il n’a pas encore<br />
eu, surtout de celui du film Mission qui lui est<br />
resté un peu sur l’estomac.<br />
Je cherche du regard un piano, rien. Uniquement<br />
un bureau, large, massif, dos à la fenêtre, le<br />
Maestro a sa musique dans la tête, il écrit directement<br />
sur du papier qu’il achète une fois par<br />
mois chez le même imprimeur romain. Il m’explique<br />
qu’il écrit tous les matins, à la même<br />
heure, après avoir fait un peu de jogging dans<br />
son appartement (?), il taille ses crayons et écrit.<br />
Pour écrire plus de 450 musiques de films, il n’y<br />
a pas de secret.<br />
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Je me rassois en espérant qu’il va m’adopter, que<br />
je peux mourir tranquille, mais inquiet que les<br />
trois autres journalistes me maudissent pendant<br />
cinq générations pour leur avoir mangé tout leur<br />
temps d’interview.<br />
Je me lance pour une dernière confidence et<br />
explique au Maestro que, petit, j’écoutais le<br />
générique du film À l’aube du cinquième jour, et<br />
que c’est certainement l’un des morceaux qui<br />
m’a donné envie d’écrire de la musique. Le titre<br />
italien doit être très différent. Ennio ne semble<br />
pas comprendre de quoi je lui parle, il baragouine<br />
un truc en italien avec un pli sur le front.<br />
Puis il se lève d’un bond, l’air furieux, je me dis :<br />
C’est bon, j’ai réussi à me torpiller sur la dernière<br />
question. Comme dans un film de Leone, une<br />
goutte de sueur perle sur mon front, lentement.<br />
Mais le plus grand compositeur du monde ne va<br />
pas vers la porte d’entrée, il va vers un piano<br />
caché dans le salon sous une tonne de bibelots,<br />
il soulève le capot, s’assoit et me joue juste pour<br />
moi, l’introduction de À l’aube du cinquième jour.<br />
La goutte de sueur se transforme alors en larme.<br />
Une courte mesure de valse plus tard, je me<br />
retrouve à Abbey Road pour l’enregistrement de<br />
la musique des Huit Salopards de Tarantino que<br />
le Maestro a composée et dirigée.<br />
L’enregistrement est filmé, il règne une atmosphère<br />
électrique dans le studio, quasiment la<br />
même que le duel de l’homme à l’harmonica. Un<br />
peu moins de temps pour échanger et, conforté<br />
par notre précédente rencontre, je passe tout de<br />
suite la seconde.<br />
Je lui demande pourquoi avoir cédé à Tarantino<br />
au bout de temps d’années (il a imploré<br />
Morricone pendant quinze ans de lui composer<br />
une musique originale et, n’obtenant pas de<br />
réponse positive du Maestro, Tarantino allait piocher<br />
dans d’anciennes BO de Morricone). Le<br />
Maestro, en grande forme, me répond : “J’aime<br />
bien Quentin, c’est un très bon réalisateur, qui<br />
aime ma musique, mais j’en avais assez qu’il utilise<br />
n’importe comment mes compositions.” Bim.<br />
Je lui demande pourquoi faire venir son<br />
orchestre de Rome, alors qu’à Londres, il y a les<br />
plus grands orchestres du monde tel que le<br />
London Symphony Orchestra. Léger blanc. Je<br />
regarde la porte de sortie en me disant que j’y<br />
suis allé un peu fort.<br />
Ennio plisse son œil d’enfant derrière ses grosses<br />
lunettes, sourit et dit : “Je préfère travailler avec<br />
mon orchestre ; je peux leur parler en italien, surtout<br />
quand je ne suis pas satisfait.” Ce qui ne<br />
manqua pas d’arriver quand le malheureux clarinettiste<br />
loupa l’entrée à la 57 e mesure de l’ouverture<br />
des Huit Salopards et que le Maestro lui<br />
souffla magistralement dans les bronches.<br />
Il faut croire Hans Zimmer, prince des bandes<br />
originales des plus grandes productions hollywoodiennes,<br />
quand on lui demande qui sont<br />
les trois plus grands compositeurs : “Ennio<br />
Morricone, Ennio Morricone, Ennio Morricone.”<br />
symphonique), le mécène à qui il faut plaire<br />
ou bien encore la mode, tout simplement. Le<br />
film apporte certes ses contraintes, mais<br />
également un nouvel espace d’écriture. Et<br />
c’est dans ce paradoxe que la musique de<br />
film se construit. Pourtant, Ennio ne<br />
regrette rien. Ainsi confesse-t-il en 1990 :<br />
“Je rêvais bien sûr d’écrire un autre type de<br />
musique quand j’étais jeune, mais cela ne<br />
signifie pas que je regrette ce que j’ai fait. Je<br />
pourrai déplorer les œuvres que je n’ai pas<br />
eu le temps de composer, c’est différent.” Le<br />
cinéma lui aurait-il volé trop de temps ?<br />
Morricone veut l’absolu. Mais est-on jamais<br />
proche de la vérité ? “Le grand hobby d’Ennio,<br />
disait son ami Giuliano Montaldo, c’est la<br />
musique. Cela paraît paradoxal ? Et pourtant<br />
non. C’est grâce à elle qu’il se libère.” Lorsqu’il<br />
ne fait pas de musique, il fait donc de la<br />
musique. Comme ça, en marge des films.<br />
Ennio a toujours eu une âme d’explorateur. Le<br />
piolet à la main. Prêt à aller décrocher des<br />
notes inattendues. Comme avec la Nuova<br />
Consonanza, un groupe d’improvisation expérimentale.<br />
Les espaces musicaux nouveaux,<br />
l’avant-garde et la recherche musicale, c’est<br />
son truc. Musique de chambre, orchestre, tout<br />
y passe. Ennio, l’expérimental. Aujourd’hui,<br />
avec le recul, aucun doute qu’il a fini par trancher<br />
entre la musica assoluta et la musica<br />
applicata. Sa production personnelle n’a cessé<br />
d’augmenter inversement proportionnellement<br />
à sa production cinématographique.<br />
Une dizaine d’œuvres entre 1960 et 1980,<br />
contre plus d’une centaine entre 1990 et 2010.<br />
À l’instar de sa musique de film, il opère dans<br />
ce domaine une sorte de syncrétisme de<br />
genres. Atonale, parfois climatique ou<br />
hybride, il crée une musique dont il avait du<br />
reste parfois semé les graines au cours de ses<br />
centaines de collaborations pour le cinéma.<br />
Citons des œuvres comme Ut (1991) ou Totem<br />
secondo (1981), Epitaffi sparsi (1992),<br />
Les espaces musicaux nouveaux,<br />
l’avant-garde et la recherche musicale<br />
c’est son truc. Musique de chambre,<br />
orchestre, tout y passe. Ennio,<br />
l’expérimental.<br />
*** ***<br />
ACCLAMATIONS !<br />
Chaque soir, le Maître reçoit<br />
une standing ovation<br />
de la part du public, comme<br />
de l’orchestre symphonique.<br />
Wow! (1993), Braevissimo I, II, III (1994) ou<br />
même récemment Mass for Pope<br />
Francis (2015), une messe que lui aurait suggéré,<br />
un jour, un moine devant le kiosque en<br />
bas de chez lui. “Vous écrivez de tout, pourquoi<br />
pas une messe ?”<br />
Sa musica assoluta aura-t-elle la force de<br />
celle de ses homologues contemporains du<br />
xx e siècle ? Nono, Berio, Dutilleux ou<br />
encore Stravinsky ou Bach, qu’il aime citer<br />
en référence. Fera-t-il autant preuve de<br />
clairvoyance et de force de langage dans ce<br />
domaine qu’il a pu en avoir dans celui de la<br />
musique de film ? Seule l’histoire le dira. Le<br />
temps révèle par décantation lente le paysage<br />
des œuvres marquantes d’une époque.<br />
Quoi qu’il en soit, sa musique restera en<br />
nous comme un écho. Celui de sa musique<br />
de film bien sûr, mais peut-être aussi un<br />
jour, nous lui souhaitons, comme l’écho de<br />
sa musique tout court.<br />
© GETTY IMAGES<br />
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GRACELANDOLOGY<br />
(1) L’album de tous les records.<br />
(2) La pochette de l’album<br />
présentant tous les hits de Soweto,<br />
qui inspirera Paul Simon. (3) En<br />
studio, en 1986. (4) Sur la scène du<br />
Hard Rock Festival, à Londres.<br />
(5) Lors de l’émission Saturday<br />
Night Live. (6) Sur la scène du stade<br />
Rufaro de Harare, au Zimbabwe,<br />
avec Ray Phiri. (7) L’ensemble<br />
des musiciens sud-africains, lors<br />
de la tournée de 1987.<br />
5<br />
7
Making Of<br />
ÉTAT DE GRÂCE<br />
Paul Simon aura mis cinq ans à publier le concert anniversaire<br />
donné en 2012 à Londres et célébrant le quart de siècle de son album<br />
événement, Graceland, sorti en 1987, avec les musiciens sud-africains<br />
qui l’avaient accompagné sur cet opus hors normes.<br />
Par BELKACEM BAHLOULI<br />
© GETTY IMAGES. SONY MUSIC. DR.<br />
On se souvient encore du titre du quotidien<br />
de Harare, au Zimbabwe : “Disgraceland”. Cette<br />
violente manchette faisait suite au concert de<br />
Paul Simon au stade Rufaro avec son groupe sudafricain,<br />
le 14 février 1987. Elle symbolise<br />
également toutes ces polémiques qui ont entouré<br />
l’enregistrement et la sortie de l’album Graceland,<br />
l’un des plus beaux fleurons des années 1980. Mais depuis, de l’eau est<br />
passée sous les ponts. L’album est devenu “culte”, Simon a fait deux tournées<br />
mondiales avec les musiciens qui avaient participé à ce disque<br />
séminal, celui-là même qui a lancé la grande vogue de la “world music” au<br />
cœur des années 1980. À tel point que, vingt-cinq ans plus tard, son auteur<br />
décide de faire revivre ce moment magique, d’abord en Afrique du Sud lors<br />
d’un concert à Johannesburg, puis à Londres où, jusqu’à l’orée des<br />
années 1990, les musiciens sud-africains n’avaient pas le droit de se produire,<br />
qu’ils soient Noirs ou Blancs, de Johnny Clegg à Mahlathini &<br />
Mahotella Queens. Belle revanche. Et c’est devant plus de 60000 personnes<br />
que Graceland, in extenso, revécut un soir de juillet 2012. Ce live<br />
est resplendissant : outre l’intégrale de l’album “world”, Paul Simon y joue<br />
bien entendu ses plus grands succès, parmi eux une poignante version<br />
acoustique de l’inusable “Sound of Silence”, une relecture avec Jerry Wexler<br />
à la slide de “The Boxer” et un final en forme de profession de foi, “Still<br />
Crazy After All These Years”. Bref, un double CD assorti d’un DVD/Blu-ray<br />
indispensable.<br />
Flash-back. Les années 1980 n’avaient pas épargné Paul Simon. Après le<br />
succès des trois albums qui ont suivi Bridge Over Troubled Water, il a du<br />
mal à retrouver son inspiration ; One-Trick Pony comme Hearts and Bones<br />
sont des déceptions. Pire encore pour le moral, l’album live enregistré avec<br />
Art Garfunkel à Central Park en 1981 est certifié double platine. Son heure<br />
est-elle passée ? Est-il un artiste fini pour nostalgiques ? Dans Under<br />
African Skies, l’impressionnant documentaire de Joe Berlinger consacré<br />
à l’aventure Graceland, il prétend avoir abordé ce déclin avec optimisme :<br />
“Parfait, la prochaine fois, personne ne sera là pour regarder par-dessus<br />
mon épaule.” Paul Simon peut faire quelque chose qui l’intéresse, parce<br />
que plus personne ne s’intéresse à lui. “Quand j’ai voulu enregistrer ‘Mother<br />
and Child Reunion’ en 1971, j’ai appelé le gars qui avait enregistré Jimmy<br />
Cliff et je lui ai dit que j’aimerais enregistrer là-bas. J’avais compris qu’il<br />
faut aller là où sont les musiciens si on veut avoir le bon son, et c’est ce qui<br />
s’est passé avec Graceland. Je suis allé en Afrique du Sud parce que c’était<br />
là-bas qu’était cette musique.”<br />
C’est aussi là que les ennuis commencent, parce que l’Afrique du Sud n’est<br />
pas un pays comme un autre. Depuis 1948, le National Party au pouvoir<br />
applique une politique de ségrégation raciale et de développement séparé<br />
entre les Noirs et les Blancs (et les Asiatiques et les “métis”), mais aussi<br />
entre les différentes tribus. Dans le documentaire de Berlinger, Simon<br />
demande à Quincy Jones : “Pourquoi les politiciens sont-ils considérés<br />
comme des experts ?” Bonne question : alors que les Nations unies imposent<br />
une série de boycotts pour mettre la pression sur le gouvernement sudafricain,<br />
Ronald Reagan et Margaret Thatcher soutiennent une politique<br />
“d’engage ment constructif”, censée, selon eux, mettre fin à l’apartheid en<br />
atténuant les sanctions et en récompensant la minorité blanche d’empêcher<br />
la propagation du communisme.<br />
Parallèlement, The Indestructible Beat of Soweto, compilé par Herman et<br />
publié sur le label Earthworks, arrive sur le marché international en 1985.<br />
“Ils avaient sorti un truc appelé Zulu Jive, dit Herman, c’est la meilleure<br />
musique du pays, laissez-moi compiler et sortir les bons trucs.” Présentant<br />
des artistes comme Nelcy Sedibe, Simon ‘Mahlathini’ Nka binde et<br />
Ladysmith Black Mambazo, il ne passe pas beaucoup sur les grandes radios<br />
mais, salué par Robert Christgau du Village Voice comme “le disque le plus<br />
important des années 1980”, prépare les critiques à l’album sur lequel Paul<br />
Simon est discrètement en train de travailler.<br />
Après avoir parlé à son label, qui lui suggère d’enregistrer en Amérique, et<br />
à des amis comme Harry Belafonte, qui lui conseille de demander la<br />
permis sion à l’African National Congress (ANC), qui représente la majorité<br />
des Sud-Africains noirs, Simon se rend à Johannesburg en février 1985.<br />
Rosenthal a réservé du temps de studio pour ses groupes préférés –<br />
Stimela, le groupe soul du guitariste Ray Phiri ; Tau Ea Matsekha, un<br />
groupe du Lesotho emmené par l’accordéoniste Forere Motloheloa et le<br />
bassiste Baghiti Khumalo ; General MD Shirinda And The Gaza Sisters,<br />
qui viennent du Gazankulu ; et The Boyoyo Boys, spécialement reformés<br />
après la mort de leur batteur – et il s’agit maintenant de les rassurer, car ils<br />
ont enfreint la loi sur les laissez-passer, de se détendre et de voir ce que ça<br />
donne. Si l’on en croit le film de ces séances, le temps que Simon a passé à<br />
travailler avec ces groupes a été une fête du début à la fin, mais rien que<br />
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Paul Simon<br />
par sa présence, il s’expose aux critiques. Pour<br />
commencer, il n’a pas parlé à l’ANC et n’a pas respecté<br />
un boycott créé pour empêcher l’Afrique du<br />
Sud d’avoir des échanges de quelque sorte que ce<br />
soit avec le monde extérieur. Il a obtenu l’autorisation<br />
du syndicat des musiciens local, qui ne s’est<br />
pas opposé à ce qu’il enregistre avec ses artistes si<br />
ceux-ci n’étaient pas exploités – il les paye trois<br />
fois plus que ce qu’impose le barème du syndicat<br />
américain –, mais n’a pas demandé l’approbation<br />
des politiciens. “En un sens, Paul a eu beaucoup<br />
de chance d’être coincé dans cette impasse politique,<br />
dit Phiri. Toutes ces controverses ont attiré<br />
l’attention sur l’album, et tout le monde s’est dit :<br />
Écoutons-le… Qu’est-ce que c’est que ce Graceland ?’<br />
Ça a contribué à relancer sa carrière et à faire<br />
connaître la politique de l’Afrique du Sud au<br />
monde entier. Nous transmettions de bonnes et de<br />
mauvaises nouvelles.” “Rétrospectivement, je suis<br />
heureux que ça ait eu lieu, dit Simon aujourd’hui,<br />
parce que, de mon point de vue, il est absurde que<br />
des partis politiques vous dictent ce qui est moral<br />
ou pas.” On accuse aussi Simon d’impérialisme<br />
culturel. Voilà un riche Blanc qui, selon le groupe<br />
de pression Artists Against Apartheid, profite de<br />
gens qui ne peuvent pas prendre part à un libre<br />
échange d’idées, parce qu’ils ne<br />
sont tout simplement pas libres.<br />
Le journaliste Jan Fairley avait<br />
même lancé : “Les gens avec lesquels<br />
il a travaillé étaient brillants<br />
et lui n’était qu’un imitateur, prenant<br />
leur train en marche.” “Je<br />
n’avais rien, tout a été fait là-bas,<br />
à l’exception de ‘Gumboots’, qui<br />
était écrite avant que j’arrive, rappelle<br />
Simon. S’ils ne comprenaient<br />
pas ce dont je parlais d’un point de vue conceptuel,<br />
une fois qu’on l’avait enregistré et qu’ils venaient<br />
l’écouter en cabine, ils pouvaient voir ce que je<br />
faisais, ce mélange de sons. Je modifiais la<br />
musique en partant de ce qu’ils jouaient, j’ajoutais<br />
des ponts et d’autres choses, pour la rendre<br />
formellement plus proche de quelque chose avec<br />
quoi je serai capable de travailler après l’enregistrement<br />
et qui ressemble à notre musique<br />
populaire. C’était une autre façon de faire des<br />
chansons, pas comme m’asseoir dans ma chambre<br />
avec une guitare et écrire une chanson, méthode<br />
que je ne voulais plus utiliser. Je voulais faire un<br />
disque que j’aimerais et ensuite penser aux chansons,<br />
par opposition à écrire une chanson, aller<br />
en studio, la montrer aux musiciens et, avec un<br />
peu de chance, obtenir le disque que je voulais. La<br />
plupart du temps, le résultat n’était pas satisfaisant.”<br />
L’Afrique du Sud se dirigeant vers l’état<br />
d’urgence, Simon se décide à partir, avec cinq<br />
chansons enregistrées, dont “The Boy in the<br />
Bubble”, “Graceland” et “I Know What I Know”.<br />
Trois mois plus tard, il invite Phiri, Khumalo et le<br />
batteur Isaac Mtshali à New York pour les séances<br />
qui produiront “You Can Call Me Al” et “Under<br />
African Skies”. Après ça, les choses se ralentissent.<br />
Il passe encore du temps en studio, avec l’expatrié<br />
sud-africain Morris Goldberg au penny<br />
whistle et au sax, le joueur de pedal steel de<br />
King Sunny Ade, Demola Adepoju, Don et Phil<br />
Everly et, ravivant la controverse, Linda<br />
Ronstadt, vétéran de Sun City – “Simon utilise<br />
de l’essence pour éteindre des bougies d’anniversaire”,<br />
soutient le critique Nelson George. Il<br />
essaye aussi de rendre cette musique familière<br />
à son public. Presque un an plus tard, après<br />
avoir correspondu avec le chanteur Joseph<br />
Shabalala par courrier, Simon rencontre le<br />
groupe zoulou de chant a cappella Ladysmith<br />
Black Mambazo à Abbey Road. Il y arrange<br />
rapidement et enregistre avec eux ce qui est<br />
sans doute le meilleur argument de vente du LP,<br />
“Homeless”. L’album étant censé sortir en<br />
juin 1986, le groupe de Graceland et Ladysmith<br />
sont programmés dans Saturday Night Live<br />
en mai, mais Warner repousse la date de sortie<br />
à l’automne. Ayant du temps à tuer, l’ensemble<br />
répète une chanson totalement nouvelle,<br />
“Diamonds on the Soles of Her Shoes”, et la joue<br />
pour les téléspectateurs. La réaction est telle<br />
qu’ils retournent illico en studio pour une dernière<br />
séance.<br />
“ LORS DE SA SORTIE,<br />
L’ALBUM SE VENDRA<br />
À 150 000 EXEMPLAIRES<br />
EN AFRIQUE DU SUD ”<br />
Quand le lp sort, il est accueilli<br />
par une approbation quasi unanime…<br />
pendant environ un mois.<br />
Puis les gens commencent à poser<br />
des questions, pas sur le Graceland chanté par<br />
Simon, mais sur l’État paria dans lequel il a enregistré.<br />
Il est traité de profiteur, accusé<br />
d’impérialisme, de viol d’embargo, de légitimer<br />
le gouvernement de l’apartheid et de voler la<br />
musique sud-africaine pour donner un vernis<br />
d’intérêt à des textes “étriqués, comme d’habitude”.<br />
Artists Against Apartheid appelle au<br />
boycott de l’album et les Nations unies menacent<br />
de le mettre sur liste noire, bien qu’il soutienne<br />
n’avoir violé aucun embargo, puisqu’il n’a pas joué<br />
en Afrique du Sud. Cependant, l’avis de Phiri sur<br />
la question de savoir à qui la musique appartient<br />
est plus poétique : “Paul Simon a écrit sur les diamants,<br />
mais il ne possède pas la mine.”<br />
Puis vient la tournée : la présence de Masekela et<br />
Makeba, sur les conseils du premier, donne à la<br />
fois une crédibilité anti-apartheid à Simon et du<br />
grain à moudre aux critiques. Si la presse demandait<br />
au trompettiste pourquoi il était là, dit<br />
Simon, sa réponse était : “Putain, qu’avez-vous<br />
jamais fait, vous personnellement, pour l’Afrique<br />
du Sud ?” Mais le plus inquiétant, peut-être, c’est<br />
que le gouvernement de Pretoria semble adorer<br />
l’album, l’encensant comme une preuve que l’engagement<br />
constructif et – bizarrement – que le<br />
développement séparé fonctionnent. Il se vend<br />
bientôt à 150 000 exemplaires, ce qui en fait le<br />
plus grand succès dans le pays depuis Thriller.<br />
L’affaire, heureusement, se termine<br />
bien. Graceland se vend à<br />
14 millions d’exemplaires dans le<br />
monde ; Ladysmith Black Mambazo<br />
deviennent des superstars, arrivant en tête des<br />
charts internationaux des albums avec leur<br />
best of, The Star and the Wiseman ; Khumalo<br />
reste l’un des hommes à tout faire de Simon pour<br />
les enregistrements et les tournées ; et Phiri se<br />
voit décerner en avril un prix pour l’ensemble de<br />
son œuvre par l’industrie musicale sud-africaine.<br />
Plus important, l’apartheid lui-même s’effondre,<br />
après la libération d’un grand nombre de prisonniers<br />
politiques en 1990. Tout le monde sort<br />
gagnant. Avec le temps, il devient acceptable<br />
pour ceux qui s’étaient regroupés contre l’album,<br />
comme Fairley, Billy Bragg ou Dali Tambo<br />
d’Artists Against Apartheid, d’admettre en aimer<br />
la musique. En 1992, Simon est<br />
invité par le syndicat des musiciens<br />
à jouer en Afrique du Sud et,<br />
après le concert, il rencontre le<br />
futur président du pays au cours<br />
d’une réception de l’ANC. Alors<br />
que dire si Graceland a reçu l’approbation<br />
de Nelson Mandela…<br />
“Je dois dire ceci, dit Herman, pour<br />
beaucoup de ces musiciens, c’est<br />
l’album le plus africain sur lequel<br />
ils aient joué. C’est un fait. C’est ironique, mais<br />
prenez Ray Phiri, vous ne trouverez pas un disque<br />
auquel il ait participé qui soit plus africain, et<br />
Paul Simon a tiré le meilleur de ce mec.”<br />
Vingt ans plus tard, c’est sur la<br />
scène du Hard Rock Festival de<br />
Londres que Simon savoure cette<br />
revanche et célèbre cet album magnifique.<br />
Visionnaire est un métier difficile : “Cela ne<br />
me fait pas tout à fait plaisir”, signalait alors le<br />
chanteur quelques heures avant de monter sur<br />
scène. “Si quelqu’un m’avait dit, ‘Écoute, on ne<br />
veut vraiment pas que tu ailles là-bas,’ je ne pense<br />
pas que j’y serais allé, mais personne ne l’a fait,<br />
donc je n’étais pas conscient de ce qui se passait.<br />
Pour ce qui est des regrets, non, je n’en ai pas, parce<br />
que le dénouement a été heureux.” Le dernier mot,<br />
cependant, appartient à un Sud-Africain.<br />
“Graceland, c’était il y a vingt-cinq ans, dit Phiri.<br />
J’ai la chance de faire partie d’une troupe possédant<br />
une conscience. Peut-être que des erreurs ont<br />
été commises, mais qui sommes-nous pour juger<br />
les autres ? Et je me moque de savoir qui les a<br />
faites, la vérité c’est que nous avons avancé, en<br />
tant que peuple et en tant que pays.”<br />
82 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
ALBUMS .........................P. 84<br />
CINÉMA ..........................P. 90<br />
LIVRES ............................P. 96<br />
Point trop n’en faut !<br />
Produit par Mark Ronson, le plus accessible<br />
des albums du groupe californien.<br />
Queens<br />
of the<br />
<strong>Stone</strong> Age<br />
Villains<br />
Matador<br />
★★★★<br />
Autour du leader-auteur-chanteur-guitariste<br />
Josh Homme : le guitariste Troy Van<br />
Leeuwen, le bassiste Michael Shuman, le<br />
claviériste Dean Fertita et le batteur Jon<br />
Theodore. Ici, pas de copains invités comme Mark<br />
Lanegan ou Dave Grohl. Et au rendez-vous d’un album<br />
s’étant fait attendre depuis … Like Clockwork, paru en<br />
2013. Le terme “villains” ne désigne personne en particulier,<br />
et Homme insiste là-dessus : on a tous besoin d’un<br />
adversaire pour se faire les griffes… À nous de décider<br />
lequel. Or le but de Villains est d’être beau, de redonner<br />
sa fureur de vivre à un rock’n’roll parfois trop stoner pour<br />
briller de sa modernité.<br />
La modernité, c’est la grande obsession de Josh Homme,<br />
malgré ses allures de crooner des années 1960. Et qui<br />
d’autre que Mark Ronson pouvait insuffler du groove à<br />
un sex-appeal déjà prégnant ? Amateur de son tube<br />
“Uptown Funk”, le premier a demandé au second d’intervenir<br />
sur ce septième album, de ne pas changer radicalement,<br />
mais de les aider à se renouveler sans les trahir.<br />
Ronson est un fan avéré du groupe, sur lequel il<br />
transfère ici tous ses fantasmes de producteur, convoquant<br />
les techniques sonores de David Bowie (époque<br />
Iggy Pop), de Captain Beefheart, des Ramones ou encore<br />
de Led Zeppelin. Avec l’appui de Mark Rankin (et<br />
d’Alan Moulder au mixage, plutôt classe), il parvient à<br />
capter totalement les possibilités pop des QOTSA.<br />
Ainsi en témoigne l’ouverture “Feet Don’t Fail Me”, à<br />
l’énergie contagieuse (récupérée des séances d’écriture<br />
avec Iggy Pop sur Post Pop Depression) où s’immiscent<br />
des synthétiseurs – vintage, tout de même, on n’est pas<br />
dans l’âge de pierre par hasard. S’ensuivent “The Way<br />
You Used To”, qui ne lésine pas sur le catchy rockabilly,<br />
“ Domesticated Animals”, dont les relents industriels<br />
évoquant davantage Bristol que la Californie. En revanche,<br />
Homme sait rappeler ses amours punk sur<br />
“Head Like a Haunted House”.<br />
Pour conclure les festivités, s’impose le psyché électrique<br />
de “Villains of Circumstances”, dont le grain se<br />
montre aussi palpable que le sable du désert. Fier,<br />
sensuel, doté de guitares lancinantes, il affirme la nature<br />
intemporelle de QOTSA avant que Josh Homme<br />
joue de sa gouaille de crooner sur l’incandescent<br />
“The Evil Has Landed”.<br />
SOPHIE ROSEMONT<br />
Illustration par ALAIN FRÉTET<br />
rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 83
GUIDEMUSIC<br />
Yan Wagner<br />
This Never Happened<br />
Her Majesty Ship / Pias<br />
★★★<br />
Confirmation réussie<br />
pour le crooner électro<br />
Il nous avait déjà séduits<br />
avec son premier album<br />
solo Forty Eight Hours,<br />
en 2012, produit par<br />
Arnaud Rebotini, petit<br />
bijou de pop glaciale<br />
et sophistiquée sous<br />
influence new wave.<br />
Le revoici avec sa manière<br />
singulière de manipuler<br />
l’électronique afin<br />
de raconter “un recueil<br />
d’histoires qui ne sont<br />
jamais arrivées. Dix<br />
pistes comme autant<br />
de fausses pistes parlant<br />
d’amours vaines,<br />
d’équipées nocturnes,<br />
de la vie et de la vérité<br />
qui ne tiennent qu’à un fil.”<br />
En effet, de l’instrumental<br />
“This Never Happened”<br />
à la délicatesse ténébreuse<br />
de “A Place Nearby”, Yan<br />
Wagner invente un univers<br />
sombre qui rappelle<br />
Dave Gahan comme Ian<br />
Curtis. Point d’orgue ? Le<br />
dandysme synthétique et<br />
mélancolique de “No Love”.<br />
S. R.<br />
Jake Bugg<br />
Hearts That Strain<br />
Mercury/Universal<br />
★★★½<br />
Le “gamin” de<br />
Nottingham se fait<br />
stratège de l’utilisation<br />
de ses dons<br />
Cinq années ont passé<br />
depuis la révélation d’un<br />
premier album ébouriffant.<br />
Sauf que quand on passe<br />
de 18 à 23 ans, c’est bien<br />
plus qu’un quinquennat !<br />
Bref, désormais, Jake<br />
Bugg ne laisse rien<br />
au hasard. Troubadour<br />
folk, détrousseur<br />
d’une rétro-pop qui<br />
The National<br />
Sleep Well Beast<br />
4AD<br />
★★★★<br />
7 est un chiffre porte-bonheur<br />
S’ouvrant sur la majestueuse ballade “Nobody<br />
Else Will Be There”, le septième album<br />
du groupe américain nous séduit d’emblée,<br />
avec, toujours, le chant merveilleusement traînant<br />
de Matt Berninger. Les titres suivants viennent<br />
confirmer le rock à la fois épique, irrémédiablement<br />
mélancolique et cérébral de The National, dont<br />
les membres ont pourtant été très occupés ces<br />
derniers mois. Bryce Dessner avec ses projets<br />
solos et Planetarium (ambitieux projet mené avec<br />
Sufjan Stevens), mais aussi le festival Haven,<br />
au Danemark, créé avec son frère Aaron, tandis<br />
que Matt collaborait, lui, avec l’association Planned<br />
Parenthood. Se retrouvant pour de longues sessions<br />
dans leur studio de l’Hudson, entre eau et verdure,<br />
ils ont su rassembler leurs (bonnes) idées pour<br />
l’un de leurs meilleurs disques à ce jour. Lancé par<br />
la ballade en suspension “Nobody Else Will Be<br />
There”, l’album se concentre d’emblée sur un rock<br />
profondément mélancolique, construit en couches<br />
superposées, avec des titres lancinants comme<br />
“Day I Die” ou “Walk it Back”. Si on se réjouit<br />
d’entendre The National en grande forme électrique<br />
sur “Turtleneck”, on les préfère sur des tonalités<br />
plus douces comme dans “Born to Beg” ou “Guilty<br />
Party” : c’est dans l’introspection que le groupe<br />
américain témoigne de sa force artistique…<br />
mais sans se départir pour autant de sa tension<br />
émotionnelle, comme c’est le cas dans “I’ll Still<br />
Destroy You”.<br />
SOPHIE ROSEMONT<br />
dépoussiérerait ses<br />
oripeaux psychédéliques,<br />
ou énième bouture de<br />
la northern soul anglaise,<br />
rien ne lui semble<br />
interdit. D’où un début<br />
d’agacement quand<br />
il se laisse aller à trop<br />
de facilité (ce “Waiting”<br />
sirupeux ou ce “Man on<br />
Stage” où on jurerait qu’il<br />
se cherche son “chanteur<br />
abandonné” à lui).<br />
Bugg n’est jamais aussi<br />
convaincant que lorsqu’il<br />
privilégie la profondeur<br />
ou le plus abstrait dans<br />
ses envies poétiques<br />
(“In the Event of My<br />
Demise”, “Indigo Blue”).<br />
Maintenant, si le but<br />
recherché est d’emballer<br />
tout ce qui bouge, ça<br />
devrait continuer à bien<br />
se passer ! Après tout, c’est<br />
de son âge… XAVIER BONNET<br />
Washington<br />
Dead Cats<br />
Live Under the Creole<br />
Moon<br />
Devil Deluxe Music/PIAS<br />
★★★★<br />
Double Wash', double fun<br />
Juste trente-trois ans<br />
à attendre l'album live<br />
des Wash', il était temps !<br />
Du coup, Mat Firehair<br />
et ses sbires on fait les<br />
choses en grand : double<br />
album, carrément. Un<br />
CD électrique enregistré<br />
au Nancy Jazz Pulsations<br />
et un CD acoustique saisi<br />
au Tiger's Manor pour une<br />
webTV. Tous les “Pizza<br />
Attack”, “I'm a Dead Cat”<br />
et autres “Napalm Surf”<br />
sont là, l'énergie aussi, la<br />
connivence avec le public<br />
fonctionne. Et puis le<br />
psychobilly est festif et la<br />
fête, ça les connaît. J'avoue<br />
avoir un goût particulier<br />
pour la face acoustique.<br />
La contrebasse de LouRIP<br />
n'y est pas pour rien, elle<br />
danse à tous les étages,<br />
et les cuivres mettent<br />
les accents là où il faut.<br />
On est plus près du rockab'<br />
que du punkabilly, mais<br />
ça n'empêche pas la reprise<br />
de “Too Drunk To Fuck”<br />
des Dead Kennedys. La fête<br />
du mois. SILVÈRE VINCENT<br />
Gregg Allman<br />
Southern Blood<br />
Concord/Universal<br />
★★★½<br />
Avant de tirer sa<br />
révérence, la légende des<br />
Allman Brothers a laissé<br />
un superbe témoignage.<br />
Ça ne devait pas<br />
forcément être un album<br />
posthume, même si<br />
son enregistrement était<br />
rythmé par un état de<br />
santé fragilisé. Le sort,<br />
et surtout un cancer<br />
du foie contre lequel Gregg<br />
Allman se battait depuis<br />
des années, en ont décidé<br />
autrement en mai dernier.<br />
Qu’il soit en revanche<br />
l’ultime effort d’une<br />
carrière et d’une vie, ça,<br />
tout le monde s’y était<br />
préparé. C’est d’ailleurs<br />
beaucoup cette vie<br />
qu’Allman passe ici en<br />
revue, métaphoriquement,<br />
à travers une majorité de<br />
reprises. Duane, ce frère<br />
trop tôt disparu, n’est<br />
jamais très loin, notamment<br />
sur ce “My Only True<br />
Friend” introductif et sur<br />
le “Song for Adam” de<br />
Jackson Browne, qui clôt<br />
l’album. Entre les deux,<br />
Allman s’immisce dans<br />
les univers de Tim Buckley,<br />
Bob Dylan (“Going<br />
Going Gone”, prenant),<br />
Grateful Dead ou Lowell<br />
George. Farewell and alive,<br />
en quelque sorte. X. B.<br />
Micah P. Hinson<br />
Presents the Holy<br />
Strangers<br />
Full Time Hobby / PIAS<br />
★★★<br />
Conte folk<br />
“Un folk opéra moderne” :<br />
voilà comme Micah<br />
P. Hinson présente, avec<br />
un sens de la synthèse,<br />
son nouveau disque. Et<br />
c’est plutôt beau. Le temps<br />
de 14 pistes, il raconte la<br />
vie, les bonheurs et surtout<br />
les malheurs d’une famille<br />
en temps de guerre.<br />
De la déception au deuil,<br />
de l’enfantement à la<br />
disparition, le guitariste<br />
s’empare du registre<br />
country pour traduire<br />
l’exact contraire de<br />
l’American Dream.<br />
Plombant ? Non, car les<br />
mélodies qu’il sait faire<br />
siennes absorbent<br />
l’auditeur, autant que<br />
sa voix rauque. Mentions<br />
spéciales à la ballade<br />
des grands espaces<br />
“The Great Void”,<br />
l’instrumental cerné de<br />
violons “The Years Tire On”<br />
ou à la narration musicale<br />
de “Micah, Book One”. S. R.<br />
© GRAHAM MACINDOE. DR.<br />
84 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…
Oyster's Reluctance<br />
Insignificant<br />
The War on Drugs<br />
A Deeper Understanding<br />
Triggerfinger<br />
Colossus<br />
Downtown Boys<br />
Cost of Living<br />
No Tone<br />
★★★<br />
Sombre et lourde tension<br />
Deuxième EP du groupe après<br />
le Sick Sad World de 2013,<br />
cet In sig n ifi c a nt enfonce le clou<br />
là où ça fait du bien. Tout en<br />
approfondissant leur côté face<br />
metal, le trio ne quitte pas son côté<br />
pile expérimental. Des titres comme<br />
“Degraded” ou “Bulging Eyes”<br />
nous entraînent sur les territoires<br />
défrichés par Kill the Thrill, voire<br />
Ministry, et qu'on retrouve, par<br />
exemple, dans Royal Blood, le<br />
groupe hype du moment. Oyster's<br />
Reluctance prend à ces derniers<br />
la formation minimale – juste une<br />
basse et une batterie – à laquelle<br />
ils ont ajouté la voix puissante et<br />
sombre de TomPao. Eux-mêmes<br />
définissent leur musique comme<br />
un “rock anaphylactique”, le<br />
choc du même nom venant d'un<br />
mécanisme d'hypersensibilité<br />
immédiate. C'est dire si on n'est pas<br />
dans une franche rigolade. Ce qui<br />
frappe dans la musique de O'sR,<br />
c'est cette capacité, comme dans<br />
“Greed”, à passer d'une ambiance<br />
étriquée maladive à une ampleur<br />
digne des stades. Reste que<br />
cinq titres, même longs, c'est trop<br />
court. Encore ! SILVÈRE VINCENT<br />
Atlantic/Warner<br />
★★★★<br />
L’Americana plus que jamais<br />
érigée en mur du son.<br />
Lost in the Dream, le précédent<br />
album, en avait singulièrement<br />
posé les bases, mais c’est<br />
désormais entériné : il n’est<br />
plus nécessaire de s’accrocher<br />
à ce qui peut sortir de la guitare<br />
d’Adam Granduciel pour se<br />
laisser embarquer, bringuebaler,<br />
par le grand chambardement<br />
musical de The War on Drugs.<br />
Certes, celle-ci n’a rien perdu<br />
de ses envolées et déchirements,<br />
mais c’est davantage les<br />
cathédrales sonores qu’il bâtit<br />
avec le groupe sur chacune<br />
des dix étapes de ce nouveau<br />
voyage dans une Americana<br />
dont il explose les bordures<br />
qui comblent d’aise. L’allant<br />
de “Holding On”, le lyrisme<br />
enivrant de “Strangest Thing”,<br />
les reliefs de “Knocked<br />
Down”, la pop transcendée de<br />
“Nothing To Find” et les onze<br />
minutes du périple à lui seul<br />
de “Thinking of a Place”,<br />
contrepoints parfaits de textes<br />
pouvant virer au lugubre,<br />
nous tiendront bien au chaud<br />
cet hiver…<br />
XAVIER BONNET<br />
Mascot/Wagram<br />
★★★<br />
Le trio belge s’ouvre à de<br />
nouveaux horizons sans<br />
perdre de vue son rock cossu…<br />
Au risque de ne pas se faire<br />
des amis auprès du groupe<br />
– pas taper, Monsieur Paul, pas<br />
taper ! –, on osera avancer que<br />
c’est essentiellement sur scène<br />
que le trio d’Anvers a toujours<br />
su donner sa pleine mesure,<br />
ses albums ne parvenant jamais<br />
tout à fait à en égaler le charme<br />
et la puissance de feu. Sans<br />
non plus s’avérer la “virée<br />
de nuit dans une attraction<br />
de Disneyland” que nous<br />
promet l’argument commercial,<br />
Colossus est l’occasion pour<br />
Triggerfinger de montrer<br />
une autre facette de son garage<br />
rock flamboyant. Via l’ajout<br />
d’éléments et instruments<br />
inhabituels pour lui (samples,<br />
percussions), il parvient<br />
à se faire tour à tour catchy<br />
(le single “Flesh Tight”) ou<br />
plus expérimental (le presque<br />
iggypopien “Bring Me Back a<br />
Live Wild One”, un “Steady Me”<br />
qui part un peu dans tous les<br />
sens). Bref, plus seulement une<br />
boîte à riffs et à rythmes… X. B.<br />
SubPop/PIAS<br />
★★★½<br />
Retour aux sources<br />
Retour au punk-rock chez<br />
SubPop avec ce troisième album<br />
– mais premier sur le label –<br />
des Downtown Boys. Qui plus<br />
est, un punk-rock engagé<br />
à gauche, antisuprématisme<br />
mâle et blanc. Leur précédent<br />
album s'appelait Full Communism,<br />
pour expliquer la chose rare<br />
aux États-Unis. Dans le même<br />
esprit, ce Cost of Living est<br />
produit par Guy Picciotto, juste<br />
le guitariste des activistes de<br />
Fugazi. Du coup, musicalement,<br />
c'est surtout du côté du groupe<br />
de Washington qu'on trouvera<br />
les racines de “Lips That Bite”,<br />
“It Can't Wait” ou “Because<br />
You”. Et s'il n'y avait des<br />
interventions rares du saxo<br />
de Joe DeGeorge, on serait<br />
dans une filiation pure malgré<br />
le chant de Victoria Ruiz qui<br />
rappelle toute cette scène<br />
post-hardcore américaine.<br />
Pas vraiment de mélodies, mais<br />
une colère évidente dans des<br />
textes comme ceux de “Violent<br />
Complicity” ou “A Wall”. À voir<br />
sur scène, sans retenue, comme<br />
une évidence. S. V.<br />
JAZZ<br />
Tony Allen<br />
The Source<br />
Blue Note<br />
Pour son premier album sur Blue Note<br />
(il était temps : l’animal affiche 76 printemps !),<br />
Tony Allen a mis les petits plats dans<br />
les grands, et convoqué – entre autres –<br />
cinq redoutables souffleurs pour réaliser<br />
son grand œuvre : un ambitieux voyage musical entre l’Afrique<br />
des tambours ancestraux et de l’hypnotique afro-beat et l’Amérique<br />
du jazz de Max Roach ou de Art Blakey (auquel notre homme<br />
a consacré un LP au début de l’année). Le résultat, aussi surprenant<br />
que séduisant, nous entraîne dès le premier titre en terres inconnues.<br />
Avec The Source, l’immense batteur de Fela, toujours sur la brèche<br />
de nouvelles expérimentations, explore sur des beats vertigineux<br />
un hallucinant métissage où chacun (y compris Damon Albarn, qui<br />
vient pianoter 3 minutes) y cherchera les siens. PHILIPPE BLANCHET<br />
Charnett Moffett<br />
Music From Our Soul<br />
Motema/PIAS<br />
S’il fallait encore aujourd’hui une marque<br />
supplémentaire de l’incroyable éclectisme<br />
musical de Charnett Moffett (considéré<br />
à juste titre comme un des meilleurs bassistes<br />
de sa génération), cet album contrasté aurait<br />
des allures de démonstration. En rassemblant sur le même disque des<br />
titres live gravés à New York (avec son trio habituel, featuring le pianiste<br />
Cyrus Chestnut et le batteur Victor Lewis) et à Seattle (aux côtés du<br />
mythique Pharoah Sanders, plus lyrique et déchaîné que jamais derrière<br />
sa barbiche blanche), avec des enregistrements studio en compagnie<br />
du grand guitariste Stanley Jordan, Moffet signe un album aux multiples<br />
facettes (du free à la fusion en passant par des choses beaucoup plus<br />
classiques, comme une reprise d’Ellington), à l’image de sa carrière.<br />
Un puzzle éclatant. P. B.<br />
Septembre <strong>2017</strong><br />
★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…
GUIDEMUSIC<br />
Nine Inch Nails<br />
Add Violence<br />
Caroline/Universal<br />
★★★½<br />
Un second EP en un an<br />
pour un Trent Reznor<br />
plus noir que jamais<br />
Bien sûr, depuis le<br />
temps, on devrait y être<br />
habitué. N’est-ce d’ailleurs<br />
pas ce que l’on croyait,<br />
d’évidence naïvement ?<br />
Habitué et un peu revenu.<br />
Triturer les angoisses,<br />
les siennes mais aussi<br />
celles des autres par<br />
ricochet, ériger des murs<br />
musicaux qui sonnent<br />
comme autant de cellules<br />
d’internement, Trent<br />
Reznor persiste et signe.<br />
Dans les mots et dans<br />
les sons, chaque instant<br />
de ces cinq chapitres<br />
cauchemardesques<br />
supplémentaires confine<br />
à la suffocation, quels que<br />
soient les outils privilégiés,<br />
électroniques ou non, pour<br />
cette mise en abîme. Les<br />
loops de “The Background<br />
World”, répétées au fur et<br />
à mesure que la distorsion<br />
prend le dessus, l’illustrent<br />
à merveille : pour ce<br />
qui est de l’aliénation,<br />
Trent Reznor en a encore<br />
dans le ventre. On ressort<br />
de ces 27 minutes rincé,<br />
chancelant. X. B.<br />
Mogwai<br />
Every Country’s Sun<br />
Rock Action Records / PIAS<br />
★★★½<br />
Glorieux post-rock<br />
Déjà vingt-deux ans<br />
de carrière pour l’un<br />
des groupes écossais<br />
les plus intègres, pour qui<br />
le post-rock est un vaste<br />
terrain de jeux dont il faut<br />
sans cesse retourner la<br />
terre. Pour ce neuvième<br />
album imaginé entre Berlin<br />
et Glasgow et en grande<br />
partie enregistré dans<br />
Steve Earle & The Dukes<br />
So You Wannabe an Outlaw<br />
New West ★★★★<br />
Hors-la-loi ? Un métier, mon bon monsieur !<br />
On visualise parfaitement Steve Earle,<br />
derrière ses Wayfarer, dire au gosse en face<br />
de lui “Alors tu veux être un hors-la-loi ?<br />
Tu n’as qu’à me regarder faire...”, lui qui était le poulain<br />
du mouvement Outlaw, au début des années 1970,<br />
quand les jeunes chanteurs de country music ont<br />
commencé à chanter autre chose que la beauté des<br />
Rocky Mountains et la tarte aux myrtilles de Tante<br />
Sally-Rose pour se mettre à parler de la solitude,<br />
des vies gâchées, du destin, de la mort… Ces gars-là<br />
s’étaient mis hors-la-loi de l’école country. La tracklist<br />
de So You Wannabe an Outlaw est un vrai plan<br />
de route avec une production ouverte, live et rageuse,<br />
emmenée par ses fidèles Dukes, des folks qui<br />
strumment et des électriques lancées à bloc qui<br />
remorquent efficacement pedal-steels et violons<br />
country jusqu’à un “Fixin’ to Die”, carrément rock<br />
(tendance légèrement road-house). Entre rythmiques<br />
inarrêtables et micros crunchy comme il faut<br />
aux accents parfois seventies, le récit reste toujours<br />
d’un État du Sud à l’autre. Puis, comme à l’arrivée<br />
d’un voyage, le disque défait ses bagages et laisse<br />
admirer la vue et repenser au passé. Steve Earle porte<br />
la rédemption jusque dans ses austères chemises.<br />
La deuxième partie de ce 12-steps-program, bien plus<br />
traditionnelle, classique et posée, est un rappel direct<br />
à sa maîtrise parfaite du genre et à ses maîtres Townes<br />
Van Zandt (à qui il avait consacré le sublime Townes,<br />
album de reprises en 20<strong>09</strong>) et Guy Clark. Le dernier<br />
titre, “Goodbye Michelangelo”, est d’ailleurs dédié<br />
à ce dernier, même si, quatre morceaux avant, “The<br />
Girl From the Mountain” sonnait déjà terriblement.<br />
Comme le “L.A. Freeway” de Clark, qui ouvrait en 1975<br />
le formidable Heartworn Highways… et à la fin duquel<br />
un Steve de 20 ans entonnait “Silent Night” avec<br />
son maître et d’autres disciples, au milieu des lampes<br />
à pétrole et des bouteilles bientôt vides. CHARLES BLOCH<br />
l’État de New York<br />
avec leur complice Dave<br />
Fridmann, Mogwai reste<br />
à l’affût de son inspiration,<br />
cherchant toujours à<br />
envisager notre quotidien<br />
via d’autres dimensions.<br />
Mué d’une énergie<br />
presque rageuse, “Party<br />
in the Dark” refuse la<br />
mélancolie de l’obscurité<br />
tandis qu’au rock épique<br />
de “Brain Sweeties”<br />
succède l’expérience<br />
brumeuse de “1 000 Foot<br />
Face”. Enfin, “Every<br />
Country's Sun” impose<br />
son foisonnement et<br />
sa catharsis émotionnelle.<br />
On s’incline. S. R.<br />
Motörhead<br />
Under Cöver<br />
Silver Linings Music/Motörhead Music<br />
★★★<br />
Retour de flamme<br />
On attendait l'album<br />
acoustique de Lemmy, nous<br />
voilà avec une compilation<br />
de reprises jouées par<br />
Motörhead. On se retrouve<br />
partagé entre la joie de<br />
réentendre le feulement<br />
de notre “Saigneur”<br />
et la déception devant<br />
la tracklist : les titres sont<br />
tous connus des fans,<br />
ou presque ! Au hasard :<br />
“Cat Scratch Fever” de Ted<br />
Nugent extrait de March<br />
ör Die (1992), “God Save the<br />
Queen” des Sex Pistols pris<br />
dans We Are Motörhead<br />
(2000), l'énorme “Sympathy<br />
for the Devil”, dernier titre<br />
de Bad Magic, ultime album<br />
studio de 2015, etc. Et pas<br />
de “It's a Long Way to the<br />
Top” d’AC/DC, de “Hoochie<br />
Coochie Man” de Willie<br />
Dixon, de “Louie Louie”<br />
de Richard Berry… Pourquoi<br />
ces “cövers” et pas les<br />
autres ? On aurait voulu au<br />
moins un album exhaustif,<br />
non ? Quel intérêt pour les<br />
adeptes qui ont déjà tout ?<br />
Et quel intérêt pour les<br />
novices ? Bien sûr, il y a<br />
UN titre jamais entendu :<br />
la version de “Heroes”<br />
de David Bowie tirée de la<br />
dernière séance de studio.<br />
Très bien mais un peu court,<br />
non ? Reste toujours la<br />
version coffret de luxe avec<br />
CD, vinyle, goodies... S. V.<br />
Jen Cloher<br />
Jen Cloher<br />
Milk Records<br />
★★★½<br />
Rockeuse<br />
made in Melbourne<br />
Une guitare malmenée,<br />
une batterie abrupte,<br />
un chant-parlé hérité des<br />
années 1990 américaines :<br />
Jen Cloher pourrait être<br />
considérée comme<br />
la Joan as Police Woman<br />
australienne, au francparler<br />
sans vulgarité et à<br />
l’affirmation de soi presque<br />
déstabilisante. Pas besoin,<br />
donc, d’une relation<br />
amoureuse avec la rockeuse<br />
la plus en vie du pays.<br />
Courtney Barnett, pour<br />
faire parler d’elle – même<br />
si le couple ne cesse de<br />
collaborer et de s’échanger<br />
ses guitares. N’ayant<br />
d’autres prétentions que de<br />
livrer un vrai bon album de<br />
classic rock, avec le moins<br />
de fioritures possible, Cloher<br />
réussit son coup avec ces<br />
onze titres taillés à la serpe<br />
où elle se raconte, à travers<br />
son art, son pays, et ses<br />
rêves pas encore réalisés.<br />
Passionnant.<br />
S.R.<br />
Sugaray Rayford<br />
The World That We Live<br />
In<br />
Blind Faith Records/Differ-ant<br />
★★★<br />
Une soul à la fois vintage et<br />
moderne et la redécouverte<br />
d’une voix…<br />
Le label italien Blind Faith –<br />
et derrière lui le producteur<br />
romain Luca Sapio qui signe<br />
ici tous les textes et toutes<br />
les musiques – se sentirait-il<br />
des velléités de devenir<br />
le Daptone européen ?<br />
Après avoir relancé la<br />
carrière de Martha High,<br />
l’ancienne choriste de<br />
James Brown, voilà qu’il<br />
nous (res)sort des fagots<br />
un géant texan (1,96 m)<br />
au gosier tonitruant. Et<br />
dans le monde dans lequel<br />
nous vivons, mis en exergue<br />
à travers le titre de l’album,<br />
la soul incandescente et le<br />
blues lancinant de Sugaray<br />
Rayford trouvent autant leur<br />
voix que leur voie. À l’aube<br />
de la cinquantaine, Canon<br />
Nimoy Rayford – son nom<br />
à l’état civil – décline ses<br />
tourments et ses réflexions<br />
sur l’existence et le fait<br />
plus que bien. Il sera<br />
toujours temps de rallumer<br />
son incontournable cigare<br />
un peu plus tard… X. B.<br />
© MARK HUMPHREY. DR.<br />
86 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…
© DUFFY ARCHIVE. DR.<br />
David Bowie<br />
A New Career in a New Town, 1977-1982<br />
Parlophone<br />
★★★★★<br />
Troisième volume des œuvres complètes de Bowie, ce coffret<br />
rassemble pépites rares et classiques remasterisés. Indispensable !<br />
Le bien nommé coffret A New Career in a New Town, 1977-1982,<br />
troisième volume des œuvres complètes de David Bowie,<br />
reflète la phase la plus expérimentale de sa carrière. Celle<br />
où, après sa période pop-soul américaine, l’ange blond remet les<br />
compteurs à zéro en s’installant à Berlin, où il bénéficie d’un quasianonymat<br />
bienvenu. Celle où il se débarrasse également des costumes<br />
encombrants de ses avatars. Celle, surtout, où accompagné de<br />
Brian Eno et de Tony Visconti, influencé par le krautrock et le film<br />
Metropolis de Fritz Lang, il invente la post-new wave avant même<br />
que la new wave n’ait eu l’idée d’exister. On retrouve évidemment<br />
la fascinante “trilogie berlinoise”, composée des albums Low,<br />
Heroes et Lodger – ce dernier bénéficiant d’un nouveau remix inédit<br />
signé Tony Visconti qui, avec la bénédiction de Bowie juste avant<br />
sa disparition, est retourné au studio Hansa berlinois afin, dixit<br />
l’intéressé, “d’apporter plus de nuances aux bandes originales.”<br />
Le double album Stage, enregistré durant la tournée Isolar II<br />
en 1978, bénéficie également d’un remastering bienvenu, qui lui<br />
confère enfin une réelle dimension live que le mixage initial avait<br />
par trop gommée, au profit de la restitution des effets sonores.<br />
Outre un sympathique EP “Heroes”, qui célèbre le 40 e anniversaire<br />
de la chanson et qui réunit pour la première fois les différentes versions<br />
albums et singles chantées en allemand et en français, le fan dénichera<br />
le véritable graal dans le CD d’inédits Re:Call 3. Lequel propose<br />
l’intégralité de l’adaptation musicale de la pièce de Bertolt Brecht, Baal,<br />
enregistrée par Bowie pour la BBC en septembre 1981. Ce chef-d’œuvre<br />
méconnu, à écouter au casque pour des frissons garantis, figure parmi<br />
les meilleures performances vocales de l’artiste. Notamment sur le titre<br />
“The Drowned Girl”, dédié à la révolutionnaire Rosa Luxemburg, où<br />
il déploie une technique impressionnante et une sensibilité authentique<br />
qui le hissent sans conteste au niveau des prouesses de Frank Sinatra<br />
dans les années 1950. Autre pépite improbable, “Crystal Japan”. Non,<br />
il ne s’agit pas d’une drogue en provenance de l’Empire du Soleil levant,<br />
mais bien d’une plage instrumentale spatiale composée par Bowie<br />
en 1979 pour une publicité – dans laquelle il apparaît – vantant<br />
les mérites de Crystal Jun Rock, une marque de saké. Uniquement<br />
publié à l’époque au Japon en format single, ce pur joyau ambient<br />
fut un temps pressenti pour clore, à la place de “It’s No Game”, l’album<br />
Scary Monsters (and Super Creeps), dernier volume studio du coffret,<br />
enregistré à New York et à Londres en 1980. Les deux premiers singles<br />
extraits, “Ashes to Ashes” où il enterre définitivement le Major Tom<br />
et “Fashion”, qui préfigure son virage dancefloor, lui permettent de<br />
renouer avec le succès – les trois albums “berlinois”, malgré un accueil<br />
critique favorable, n’ayant pas séduit les foules. Trois ans plus tard,<br />
Let’s Dance grimpera en tête des charts du monde entier… Mais ceci est<br />
une autre affaire, qui fera l’objet d’un quatrième coffret ! DENIS ROULLEAU<br />
VINYLES<br />
Muddy Waters<br />
The Best of<br />
Chess records ★★★★★<br />
C’est un peu à cause de ce best of que deux jeunes Anglais fans de blues,<br />
Mick Jagger et Keith Richards, ont renoué connaissance sur le quai de<br />
la gare de Richmond, au tout début des sixties, peu de temps de rejoindre<br />
le groupe d’un certain Brian Jones. La bible, en quelque sorte, telle<br />
qu’écrite par Muddy Waters, alias McKinley Morganfield, né dans le<br />
Mississippi en 1915, découvert à 28 ans par le musicologue Alan Lomax,<br />
dans une plantation de coton… Émigrant à Chicago, il métamorphose<br />
le son profond rural du blues en le rendant urbain, extatique et amplifié…<br />
Ici, rien que des morceaux qui ont forgé sa légende : “I Just Want To Make<br />
Love to You”, “Hoochie Coochie Man”, “I’m Ready” – trois monuments<br />
signés Willie Dixon. Et puis tous les autres, “I Can’t Be Satisfied”, “Louisiana<br />
Blues”, “Honey Bee” et, bien sûr, “Rollin’ <strong>Stone</strong>”. Un LP qui a changé<br />
l’histoire. Et pas seulement à cause des <strong>Stone</strong>s. ALAIN GOUVRION/ GIULIA BLUE<br />
James Brown<br />
Live at the Apollo<br />
Polydor ★★★★★<br />
Octobre 1962. James Brown, “the hardest man working in showbusiness”,<br />
investit la scène de l’Appolo Theater de Harlem, qu’il a loué<br />
à ses frais. Les Famous Flames sont au taquet et le Maestro déverse<br />
toute l’émotion de sa sensuelle soul, le temps d’un show qui va rester<br />
gravé dans l’histoire. “I’ll Go Crazy”, blues cuivré empli de chœurs<br />
gospel, donne le coup d’envoi. Gorgé de swing, tout comme ce “Think”<br />
qui emporte tout sur son passage, avant le prodigieux meddley qui<br />
va suivre (“Please, Please, Please/You’ve Got the Power”, etc.). Sax<br />
jazzy, rythmiques funky, voix de grand fauve blessé, Mister Dynamite<br />
s’ouvre un nouveau public au cœur de New York City. Les filles hurlent<br />
de plaisir… et James Brown écrit sa légende en lettres de néon sur<br />
le fronton de l’Appolo pour l’éternité.<br />
THOMAS GRIMAUD<br />
Little Richard<br />
The Fabulous Little Richard<br />
Specialty ★★★<br />
DITES 33<br />
La sélection de la rédaction avec les magasins Cultura…<br />
À cette époque (1958), Little Richard a déjà enregistré l’essentiel<br />
de ses classiques (“Tutti Frutti”, “Long Tall Sally”, “Jenny Jenny”,<br />
“Rip It Up”, “Ready Teddy”, etc.) et décidé d’abandonner le rock’n’roll,<br />
cette autre musique du diable, pour se consacrer à la religion – six mois<br />
après la sortie de ce troisième album, il enregistrera d’ailleurs un<br />
disque de gospel. À la réécoute de The Fabulous Little Richard, cette<br />
métamorphose n’est pas aussi probante que ça, notre héros lâchant<br />
une salve de morceaux incandescents à la hauteur de sa sulfureuse<br />
réputation, au milieu desquels émergent le “Shake a Hand” de<br />
Joe Morris, “Whole Lotta Shakin’ Goin’ On” de Dave “Curlee” Williams<br />
déjà repris l’année précédente par Jerry Lee Lewis et le mythique<br />
“Kansas City” de Leiber-Stoller qu’il avait déjà enregistré en 1956<br />
et dont les Beatles s’empareront dans Beatles for Sale (1964).<br />
A-bop-bop-a-loom-op a-lop-bop-boom ! A. G.<br />
Serge Gainsbourg<br />
London Paris 1963-1971<br />
Mercury ★★★★<br />
Entre le beau Serge et l’Angleterre, l’histoire d’amour a été au<br />
beau fixe, notre génial songwriter ayant souvent pris ses quartiers<br />
au cœur du Swinging London pour graver quelques-unes de ses<br />
plus belles compositions au tournant des sixties-seventies.<br />
C’est donc le Gainsbourg pop (et des années B.B.) qu’on retrouve<br />
au fil de cette récente compilation thématique qui aligne les hits<br />
inoxydables (“69, année érotique”, “Qui est ‘In’ Qui est ‘Out’”,<br />
“Docteur Jekyll et Monsieur Hyde”, “L’Anamour” et bien sûr<br />
“Je t’aime… Moi non plus”)… mais aussi quelques raretés comme<br />
la musique du film La Horse (1970, avec Jean Gabin) ou un “Vilaine<br />
Fille Mauvais Garçon” délicieusement yéyé. T. G.<br />
Septembre <strong>2017</strong><br />
★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…
SUPER TREND<br />
SON&OBJETS<br />
Par PIERRE STEMMELIN<br />
Lacroix x Brian Kenny<br />
Écusson d'une secte cabalistique ? Emblème d'un<br />
nouveau groupe de metal gothique ? Non, c'est<br />
la maison Christian Lacroix qui fête ses 30 ans.<br />
À cette occasion, son directeur de la création,<br />
Sacha Walckhoff, s’est associé à l’artiste<br />
new-yorkais Brian Kenny pour créer une<br />
collection capsule très arty de sacs, bandanas,<br />
T-shirts et sweats reprenant les codes tribalobaroques<br />
de la marque. Prix non communiqué.<br />
OPEN ROAD<br />
MICROLINO<br />
Revival électrique<br />
La Microlino fleure bon les années 1950 et son<br />
style fait penser à celui des anciens scooters<br />
Vespa ou de la Fiat 500 originale. Normal, car<br />
elle s'inspire directement de l'Isetta de l'Italien<br />
ISO Rivolta, un des véhicules urbains les plus<br />
populaires de l'après-guerre, qu'appréciaient<br />
tant Elvis Presley ou Cary Grant. Cette version<br />
<strong>2017</strong> ne tourne plus à l'essence, mais bien<br />
à l'électricité. C'est une deux-places. Elle<br />
conserve son ouverture par l'avant et ajoute<br />
un toit décapotable. Conçue par une société<br />
suisse, elle entrera en production en fin<br />
d'année et il est déjà possible de la réserver.<br />
Son autonomie sera d'environ 120 km/h<br />
et sa vitesse de pointe atteindra 90 km/h.<br />
Parfait pour les déplacements courts en ville,<br />
à la campagne ou en bord de mer. 12 000 €<br />
Helly Hansen Icon Jacket<br />
Avec ce blouson, vous ressemblerez à un<br />
biker de manga. Helly Hansen, spécialiste<br />
des équipements de sport et des tenues<br />
professionnelles, y a mis des technologies<br />
empruntées au monde du sport automobile.<br />
Cette veste waterproof, windproof<br />
et respirante, intègre le nouveau système<br />
breveté de thermorégulation H2Flow. 800 €<br />
HI-GADGET<br />
STIR IT UP / HOUSE OF MARLEY<br />
Une platine qui envoie du bois<br />
Dans la famille Marley, le recyclage on connaît. Aussi lorsque Rohan, le fils de Bob, créateur<br />
de la marque House of Marley, conçoit une platine vinyle, il la baptise d'une des chansons<br />
emblématiques du king du reggae et la pense écolo. La Stir it Up s'habille donc de chanvre<br />
et s'équipe d'une base en bambou. Son plateau tourne-disque est en aluminium recyclé<br />
tandis que le couvre-plateau est en silicone lui aussi recyclé. Cela n'empêche pas cette platine<br />
d'avoir une approche technique sérieuse et audiophile. Son entraînement se fait par courroie<br />
et sa cellule est un modèle de bonne facture de chez Audio-Technica. 250 €<br />
Faguo Lebanon<br />
Un bon classique pour attaquer l'automne,<br />
puis passer l'hiver : la bottine en daim. Faguo,<br />
marque française engagée dans le reboisement,<br />
qui a déjà fait planter plus de 700 000 arbres<br />
pour compenser ses émissions en CO 2<br />
, propose<br />
des modèles en plusieurs teintes, tout en pensant<br />
fabrication durable. Environ 120 €<br />
88 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
Baladeurs audiophiles<br />
Ce n’est pas parce que les smartphones savent tout faire que les baladeurs n’ont<br />
plus voix au chapitre. Dotés de la Hi-Res, compatibles avec des écouteurs ou un<br />
casque haut de gamme, ces modèles sont pour la plupart déconnectés. De quoi<br />
redécouvrir le plaisir d’utiliser un appareil qui fait de la musique et rien d’autre.<br />
HOT GADGET<br />
LEICA TL2<br />
HYBRIDE DE LUXE<br />
FIIO X3 II<br />
Design ★★★<br />
Fonctions ★★★<br />
Prix ★★★★★<br />
Une interface digne des années 1990, pas d’écran<br />
tactile, seulement 8 Go de mémoire interne, mais<br />
la possibilité de l’étendre de 128 Go avec une carte SD<br />
et un son qui a une pêche d’enfer. 195 €<br />
© DR<br />
SHANLING M2S<br />
Design ★★★<br />
Fonctions ★★★½<br />
Prix ★★★★★<br />
Affichant une interface simple et originale,<br />
ce baladeur possède un bel écran de 3 pouces,<br />
un lecteur de carte SD jusqu’à 256 Go et peut servir<br />
de convertisseur audiophile pour votre smartphone<br />
ou votre ordinateur. Ceux qui l’ont utilisé sont<br />
dithyrambiques sur ses performances audio. 200 €<br />
COWON PLENUE D<br />
Design ★★★★½<br />
Fonctions ★★★★<br />
Prix ★★★★★<br />
Un minilecteur de poche, mais qui délivre un gros<br />
son. Le Cowon Plenue D est totalement tactile,<br />
équipé d’une mémoire de 32 Go extensible avec<br />
des cartes SD jusqu’à 128 Go. 300 €<br />
QUESTYLE QP1R<br />
Design ★★★★<br />
Fonctions ★★★★<br />
Prix ★★★<br />
Totalement ésotérique, totalement<br />
anachronique, mais d’une finesse à l’écoute<br />
tellement exquise. La mémoire interne est<br />
de 32 Go. On peut y ajouter deux cartes SD<br />
allant jusqu’à 128 Go chacune. 1 000 €<br />
SONY NW-A35<br />
Design ★★★★★<br />
Fonctions ★★★★★<br />
Prix ★★★★<br />
Le Walkman n’est pas mort ! Voici le NW-A35,<br />
l'un de ses représentants modernes. Son petit<br />
plus est son transmetteur Bluetooth qui permet<br />
d’envoyer sans fil de l’audio Hi-Res grâce au codec<br />
LDAC propre aux produits Sony. La mémoire<br />
interne de 16 Go est extensible avec des micro SD<br />
allant jusqu’à 192 Go. 210 €<br />
ASTELL & KERN AK JR<br />
Design ★★★★★<br />
Fonctions ★★★★<br />
Prix ★★★★<br />
Avec le Junior, le plus petit baladeur d’Astell & Kern,<br />
le spécialiste des modèles ultra-haut de gamme,<br />
on entre de plain-pied dans le monde du luxe<br />
audiophile. La mémoire interne est de 64 Go,<br />
extensible par carte SD. 600 €<br />
Les modèles de la série TL représentent<br />
le haut de gamme en matière d’appareils<br />
photo “mirorless” (sans miroir) chez<br />
Leica. Ils sont donc plus compacts<br />
que les appareils reflex et cependant<br />
dotés d’une monture pour optiques<br />
interchangeables. Si le modèle<br />
de première génération n’avait pas<br />
totalement convaincu, le TL2 s’annonce<br />
beaucoup plus prometteur. Il reprend<br />
le superbe boîtier taillé dans un bloc<br />
d’aluminium et de fabrication allemande,<br />
mais avec un nouveau capteur de 24 Mpx<br />
de grand format (ASP-C) beaucoup plus<br />
performant et un<br />
processeur hérité<br />
LE BOÎTIER EST<br />
ÉQUIPÉ D’UN<br />
CAPTEUR ASP-C<br />
DE GRAND FORMAT<br />
EN 24 MPX.<br />
DE FABRICATION<br />
ALLEMANDE, IL EST<br />
LITTÉRALEMENT<br />
TAILLÉ DANS<br />
UN BLOC<br />
D'ALUMINIUM.<br />
de la série<br />
Maestro de<br />
Leica qui rend<br />
son autofocus<br />
beaucoup plus<br />
rapide et réactif.<br />
L’interface de<br />
l’écran tactile<br />
du TL2 gagne<br />
également en<br />
vitesse. L’appareil<br />
peut désormais<br />
réaliser des<br />
vidéos en<br />
Ultra HD 4K,<br />
descendre dans les très faibles lumières<br />
jusqu’à 50 000 ISO et shooter en rafale<br />
jusqu’à vingt images par seconde.<br />
En revanche, les objectifs proposés<br />
en complément n’évoluent pas. Le choix<br />
en monture L, composé de trois focales<br />
fixes et de trois zooms, est toujours<br />
un peu restreint. Mais naturellement,<br />
ces optiques sont toujours de très haute<br />
précision – il en va de la réputation<br />
de Leica… Et heureusement, des bagues<br />
d’adaptation sont disponibles pour<br />
utiliser d’autres gammes d’optiques<br />
plus fantaisistes. 1 950 € (appareil seul)<br />
Septembre <strong>2017</strong><br />
★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…
CINÉMA<br />
En plein cœur<br />
C’est LE film qu’on attendait de voir, traitant cette zone d’ombres et de fantômes,<br />
les années 1990 en France, vues par les séropositifs.<br />
120 battements par minute<br />
Avec Nahuel Pérez Biscayart,<br />
Arnaud Valois, Adèle Haenel…<br />
Réalisé par Robin Campillo<br />
★★★★<br />
L<br />
a<br />
scène d'ouverture nous percute<br />
d’emblée. Quand l’équipe d’Act<br />
Up débarque, sifflets et bras levés,<br />
pour interrompre les discours ronronnants<br />
des représentants de laboratoires évoquant<br />
les traitements pour les séropositifs comme<br />
s’il ne s’agissait pas de vie ou de mort. C’est<br />
pourtant le cas : le film se déroule au début<br />
des années 1990, lorsqu’on peut disparaître,<br />
en quelques mois et dans une solitude extrême,<br />
à cause du SIDA. Fondée le<br />
25 juin 1989, Act Up décide de leur donner la<br />
parole et surtout, de lutter pour incarner les<br />
patients atteints du virus, sensibiliser la population,<br />
booster la prévention. “Nous vivons<br />
le SIDA comme une guerre, une guerre invisible<br />
aux yeux des autres”, proclame dans le<br />
film Thibault, personnage inspiré par le cofondateur<br />
de l’association Didier Lestrade et<br />
interprété par Antoine Reinartz.<br />
À l’aide de “zaps”, ces actions médiatisées très<br />
fortes, où le faux sang est versé, où les corps<br />
s’allongent, immobiles, Act Up a changé la<br />
donne. C’est ce que montre Robin Campillo<br />
dans ce film choral où l’on vit des scènes de<br />
réunion passionnantes, des moments intenses<br />
de clubbing, les inimitiés et les clans qui<br />
peuvent se former au sein d’un groupe. On suit<br />
ceux qui meurent, trop jeunes, qui s’aiment,<br />
souvent très fort. Pas de pathos, mais de l’action,<br />
de l’émotion, de la sensualité. Les personnalités<br />
des acteurs sont exacerbées et complémentaires<br />
: Adèle Haenel, vindicative et<br />
Terminator 2 :<br />
Le Jugement dernier 3D<br />
Avec Arnold Schwarzenegger,<br />
Linda Hamilton, Edward Furlong,<br />
Robert Patrick…<br />
Réalisé par James Cameron<br />
Mais c’est qu’on l’a échappé belle, dites donc !<br />
On attendra donc un peu plus longtemps que<br />
le 29 août 1997 pour l’apocalypse nucléaire,<br />
mais restons vigilants tout de même… Après tout,<br />
des bouboules de feu tombant d’on ne sait où<br />
avec des robots à l’intérieur sont si vite arrivées.<br />
Bref, Terminator 2 refait un petit tour en salles<br />
à partir de la mi-septembre (avant une réédition<br />
en DVD et Blu-ray quelques semaines plus tard),<br />
et le plaisir demeure toujours aussi coupable.<br />
Mieux, T2 s’offre ici une nouvelle mue via un<br />
traitement 3D on ne peut plus réussi, précisément<br />
parce que ses instigateurs ont manifestement<br />
pris soin de ne pas trop en faire. Résultat,<br />
non seulement cette 3D fait son petit effet<br />
quand il faut (ah ! les impacts de balles sur<br />
FOCUS<br />
consciencieuse, Nahuel Pérez Biscayart, hyperactif<br />
et sans tabous, Arnaud Valois, introverti<br />
et concerné, Antoine Reinartz, meneur réfléchi<br />
et obsessionnel… Tous portent un 120 battements<br />
par minute inoubliable, d’un engagement<br />
servi par une rare force émotionnelle.<br />
Chef-d’œuvre.<br />
SOPHIE ROSEMONT<br />
le T-1000 si “succulemment” incarné par Robert<br />
Patrick !), mais elle ne dénature jamais la couleur<br />
générale du film, allant jusqu’à en rafraîchir<br />
les effets spéciaux un brin datés. L’ami Arnold<br />
peut dès lors nous montrer une énième fois<br />
combien le modèle 101 de Cyberdyne reste<br />
sacrément solide (quand bien même on ait<br />
fait plus perfectionné depuis), Linda Hamilton<br />
révéler par – brefs – instants des faux airs<br />
de Françoise Hardy derrière son attirail militaire<br />
et Guns N’ Roses claquer à nouveau avec<br />
“You Could Be Mine” sa dernière bonne chanson<br />
– la dernière vraiment excitante en tout cas.<br />
Plaisir coupable, disait-on ? XAVIER BONNET<br />
© CELINE NIESZAWER. DR.<br />
90 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
© PHILIPPE AUBRY/LES COMPAGNONS DU CINÉMA. DR.<br />
Good Time<br />
Avec Robert Pattinson,<br />
Ben Safdie…<br />
Réalisé par Ben et Joshua Safdie<br />
★★★★<br />
Cela aurait pu être un polar comme<br />
un autre. Mais non. Ben et Joshua<br />
Safdie font d'un braquage raté<br />
le point de départ d'une chasse<br />
à l'homme inversée, puisqu'il s'agit<br />
pour Connie (Robert Pattinson) de<br />
retrouver à tout prix son frère Nick<br />
(Ben Safdie, excellent), handicapé<br />
mental, arrêté lors dudit hold-up.<br />
Bande sonore prenante, tension<br />
en dents de scie, suspense palpable<br />
et une émotion qui saisit sans<br />
crier gare : porté par un Pattinson<br />
ultraconvaincant, Good Time<br />
confirme tout le bien que l'on<br />
pensait des frères Safdie.<br />
S.R.<br />
Le Redoutable<br />
Avec Stacy Martin,<br />
Louis Garrel, Bérénice Bejo…<br />
Réalisé par Michel Hazanavicius<br />
★★★<br />
Joli coup que celui d'Hazanivicius,<br />
attendu au tournant sur l’adaptation<br />
d'Un an après, d’Anne Wiazemsky,<br />
récit du déclin de sa passion avec<br />
Jean-Luc Godard, tandis qu'il<br />
se lançait à corps perdu dans la<br />
révolution. Quitte à en être ridicule,<br />
de mauvaise foi, mais aussi<br />
doué de punchlines bien senties.<br />
Tout cela, on le retrouve chez<br />
un Garrel-JLG plus vrai que nature<br />
face à l'ingéniosité sensuelle<br />
de Stacy Martin. Quasi interactif,<br />
Le Redoutable réussit à éviter<br />
par des pirouettes (scénaristiques,<br />
formelles) l'amertume de cette<br />
autopsie d'un amour défunt. S.R.<br />
Les Proies<br />
Avec Nicole Kidman,<br />
Kirsten Dunst, Colin Farrell,<br />
Elle Fanning...<br />
Réalisé par Sofia Coppola<br />
★★★½<br />
Virginie, guerre de Sécession.<br />
Une demeure coloniale devenue<br />
pension de jeunes filles où<br />
Miss Martha Farnsworth (Nicole<br />
Kidman), gère son petit monde<br />
à l'aide de l'institutrice Edwina<br />
(Kirsten Dunst). Lorsque l’une<br />
de ses protégées revient avec un<br />
soldat yankee grièvement blessé<br />
(Colin Farrell), la tension monte<br />
subitement d'un cran. Comme<br />
toujours chez Sofia Coppola,<br />
l'image est superbe, le texte aussi :<br />
on souligne son adaptation, toute<br />
en finesse et féminité, du roman<br />
de Thomas Cullinan, jadis porté<br />
à l'écran par Don Siegel. Si Colin<br />
Farrell n'a pas le charisme inquiétant<br />
de Clint Eastwood, le trio de<br />
femmes qui s'élève face à lui est<br />
d'une efficacité redoutable. S.R.<br />
Patti Cake$<br />
Avec Danielle Macdonald,<br />
Bridget Everett, Siddhart<br />
Dhanajay…<br />
Réalisé par Geremy Jasper<br />
★★★<br />
Patricia (Danielle Macdonald) vit<br />
dans le New Jersey et cumule les<br />
petits boulots pour subvenir aux<br />
besoins de sa grand-mère malade<br />
et de sa mère, chanteuse ratée.<br />
En secret, elle rêve de gloire et de<br />
devenir Patti Cake$, une rappeuse<br />
à la punchline aiguisée et au<br />
sex-appeal avéré. Ne choisissant<br />
pas entre film d’auteur et conte<br />
mainstream, Patti Cake$ est drôle,<br />
acerbe, pétri de bons sentiments…<br />
On est conquis ! S. R.<br />
Brooklyn Yiddish<br />
Avec Menashe Lustig,<br />
Ruben Nyborg…<br />
Réalisé par Joshua Z. Weinstein<br />
★★★<br />
Veuf, Menashe (Menashe Lustig),<br />
Juif orthodoxe de Brooklyn,<br />
a perdu la garde de son fils, car<br />
il ne veut pas se remarier. Et parce<br />
qu'il ne rentre pas dans le moule…<br />
Questionnant les notions de<br />
libre-arbitre, Brooklyn Yiddish<br />
évoque surtout la complexité des<br />
liens filiaux, d'autant plus lorsqu'ils<br />
sont régis par des lois extérieures.<br />
À noter qu’il s'agit de l'histoire de<br />
Lustig lui-même. Ce qui explique la<br />
justesse de son jeu et la crédibilité<br />
de sa foi, jamais remise en question<br />
malgré tout.<br />
S.R.<br />
Barbara<br />
Avec Jeanne Balibar,<br />
Mathieu Amalric…<br />
Réalisé par Mathieu Amalric<br />
★★★<br />
Avec Tournée, en 2010, Amalric<br />
démontrait déjà son talent à capter<br />
la chaleur d’une performance<br />
et la mélancolie des coulisses.<br />
Ce qu’on retrouve dans ce Barbara<br />
qui, évitant soigneusement<br />
le format biopic classique, raconte<br />
la chanteuse – chez elle, sur scène,<br />
en voiture, de jour mais surtout<br />
de nuit, incarnée par une Jeanne<br />
Balibar assez exceptionnelle.<br />
Mimétisme, certes, et pour cause :<br />
elle est ici une actrice qui doit jouer<br />
Barbara devant la caméra d’un<br />
fan éperdu, Yves (Amalric). Mise<br />
en abyme, quand tu nous tiens.<br />
En filigrane, sont effleurés les<br />
1<br />
2<br />
3<br />
1. Avec Good Time, Pattinson joue les bandits de bas étage et montre une<br />
nouvelle facette de son talent. 2. Portrait inattendu de l’icône de la Nouvelle<br />
Vague dans Le Redoutable de Michel Hazanavicius, avec un Louis Garrel plus vrai<br />
que nature. 3. Kristen Dunst et Nicole Kidman, en fortes femmes aux prises avec<br />
un soldat yankee en pleine guerre de Sécession. Avec ses Proies, la réalisatrice<br />
Sofia Coppola a raflé le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes.<br />
fissures de Barbara, tout comme<br />
son engagement auprès d’Act Up<br />
à la fin de sa vie. S. R.<br />
Seven Sisters<br />
Avec Noomi Rapace,<br />
Glenn Close, Willem Dafoe…<br />
Réalisé par Tommy Wirkola<br />
★★★<br />
Dans un futur anxiogène, la politique<br />
de l’enfant unique a été imposée<br />
dans l’espoir de sauver la Terre<br />
du surpeuplement. Pourtant,<br />
à la mort de sa fille en couches,<br />
Terrence Settman décide de garder<br />
ses petites-filles, des septuplées,<br />
auprès de lui. Parfaitement<br />
identiques, elles ne sortent que le<br />
jour de leur prénom. Jusqu’à ce que<br />
Monday disparaisse… Une tension<br />
rampante, des scènes d’action<br />
musclées, une violence rarement<br />
gratuite et une Noomi Rapace ultra<br />
efficace : que demander de plus ? S.R.<br />
Septembre <strong>2017</strong><br />
★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…
SÉRIE TV<br />
Entre fiel et nerfs…<br />
En transférant l’essentiel de sa trame en banlieue, la série policière fait mieux que mettre<br />
ses personnages en danger et y gagne encore en puissance.<br />
Engrenages, saison 6<br />
Avec Caroline Proust, Philippe Duclos,<br />
Fred Bianconi, Thierry Godard, Audrey<br />
Fleurot, Nicolas Briancon, Valentin<br />
Merlet…<br />
Réalisée par Frédéric Martin et Frédéric Mermoud<br />
Canal+, 12 épisodes<br />
★★★★<br />
L<br />
’intensité.<br />
la tension. si cette nouvelle<br />
saison d’Engrenages devait être résumée<br />
à un ou deux mots, ils seraient vite<br />
trouvés. Certes, rien de neuf en soi – c’est pour<br />
ainsi dire l’ADN de la série – sinon que le curseur<br />
est encore poussé plus loin ici, à la limite de la<br />
surenchère. De là à imaginer qu’Anne Landois,<br />
la showrunneuse, a voulu s’offrir une petite apothéose<br />
avant de passer la main dans l’écriture –<br />
après quatre saisons de bons et loyaux services –,<br />
il n’y a pas loin.<br />
Cette tension a, d’une certaine manière, trouvé<br />
sa source, ou tout du moins une teneur supplémentaire,<br />
dans le timing de la conception du<br />
scénario, puisqu’entamée au moment de la tuerie<br />
de Charlie Hebdo et finalisée peu de temps<br />
après l’attentat de Nice. Et si le terrorisme n’est<br />
en rien convoqué au parloir de cette sixième<br />
saison, son spectre est latent. “En fait,<br />
Engrenages prend tout le temps le pouls de la<br />
société, explique la showrunneuse. Sans en faire<br />
en effet une saison sur le terrorisme, je trouvais<br />
intéressant de traiter en filigrane l’une des raisons<br />
qui en a fait le lit. Installer l’action de cette<br />
saison en Seine-Saint-Denis faisait partie de<br />
cette réflexion. S’il y a bien un lieu en France où<br />
la société est en fracture, c’est celui-là !”<br />
Le département, dans lequel Anne<br />
Landois est née et pour lequel elle<br />
confesse garder une grande affection,<br />
fait ici mieux que servir de<br />
décor aux ramifications entre services<br />
de police, de justice, élus locaux,<br />
quartiers et bandes organisées.<br />
Il va, à son tour, exacerber le<br />
sentiment suffocant de stress permanent<br />
auquel ses protagonistes sont confrontés.<br />
Et c’est peu dire que les personnages récurrents,<br />
de Laure Berthaud (Caroline Proust) à<br />
Joséphine Karlsson (Audrey Fleurot) en passant<br />
par le juge Roban (Philippe Duclos), Tintin<br />
(Fred Bianconi) ou Gilou (Thierry Godard), ne<br />
trouveront guère de répit dans leur quotidien<br />
personnel, parfois touchés jusque dans leur<br />
chair. “C’est vrai que c’est absolument horrible,<br />
sourit Landois, espiègle. Pour moi, le dosage<br />
“ LE DOSAGE<br />
D'ENGRENAGES,<br />
C'EST 60 %<br />
DE PSYCHOLOGIQUE<br />
ET 40 % D'ACTION.”<br />
ANNE LANDOIS,<br />
SHOWRUNNEUSE<br />
d’Engrenages, c’est 60 % de psychologique et<br />
40 % d’action. Tout le monde sait ce qu’est un<br />
polar, nous arrivons en sixième saison, on ne va<br />
pas en redéfinir les codes. En revanche, la liberté<br />
de renouvellement est totale en travaillant sur<br />
les personnages et en essayant d’aller toujours de<br />
plus en pus loin. Or, quand tu démarres ton<br />
histoire avec une mutilation (un corps de policier<br />
retrouvé démembré, ndlr), il<br />
est intéressant de chercher des correspondances<br />
avec l’intimité des<br />
personnages et comment ils vont<br />
vivre ça jusqu’à l’intérieur de leur<br />
propre corps.”<br />
Cette dualité intime-action fait en<br />
tout cas le bonheur revendiqué des<br />
acteurs, Caroline Proust en tête : “Le<br />
plaisir est le même à jouer l’un ou l’autre. Comme<br />
l’est celui de pouvoir alterner les différentes situations,<br />
surtout si l’interaction entre elles est palpable.”<br />
Ne reste plus qu’au capitaine de la DPJ un<br />
modèle de voitures plus à son goût. “C’est vrai<br />
que j’ai toujours eu tendance à avoir des veaux”,<br />
s’amuse-t-elle. Bon, en même temps, si c’est pour<br />
rester des heures en planque, hein… Un ultime<br />
détail à régler à l’amorce de la saison 7, qui pourrait<br />
être la dernière ?<br />
XAVIER BONNET<br />
© DR<br />
92 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
DVD<br />
Sur la plage,<br />
abandonnés…<br />
Même quand une guerre se termine, elle<br />
continue d’affirmer sa cruauté et son absurdité.<br />
Un film marquant, en terrain miné…<br />
D<br />
anemark, mai 1945. fin d’un conflit et de cinq ans d’occupation<br />
allemande. Dans les yeux et le souffle haletant du sergent<br />
Carl Rasmussen, qui passe en revue au volant de sa Jeep une<br />
colonne de soldats de la Wehrmacht déambulant en sens inverse, le ressentiment,<br />
la haine, sont tangibles. Pourtant,<br />
cette rage, il va devoir la canaliser<br />
Les Oubliés<br />
Réalisé par Martin Zandvliet lorsque lui est confiée la mission d’encadrer<br />
une douzaine de ces prisonniers alle-<br />
Avec Roland Moller,<br />
Joel Basman, Ludwig mands, à peine sortis de l’adolescence, qui<br />
Haffke, Louis Hoffman vont être chargés de nettoyer une partie<br />
ESC<br />
de la côte ouest danoise où ont été enfouies<br />
au total plus de deux millions de<br />
★★★★<br />
mines. Land of Mine, le titre originel du<br />
film, prend alors tout son (double) sens : champ de mine, terre que l’on<br />
veut récupérer et refaire sienne à tout prix. Là, trois mois durant, couchés<br />
sur le sol, parfois sans manger pendant des jours, ces presque encore gamins<br />
vont sonder le sol, comme absorbés par ce sable aveuglément clair<br />
printanier, avant d’entamer le déminage à mains nues de chaque engin<br />
explosif. Sans l’emphase d’un Dunkerque, mais d’une âpreté non moins<br />
pesante, Les Oubliés/Land of Mine fait froid dans le dos, symbole exacerbé<br />
de l’absurdité belliciste dans une Europe ravagée. X. B.<br />
© 2016 WILD BUNCH. DR<br />
Le Dîner des vampires<br />
Réalisé par Jason Flemyng<br />
Avec Charlie Cox, Tony Curran,<br />
Mackenzie Crook, Eve Myles<br />
Marco Polo<br />
★★★<br />
Même chez les vampires, dura lex, sed lex…<br />
Et gare à celui qui dépassera son quota de,<br />
hum !, sang frais, surtout s’il se sert parmi<br />
les enfants ! Ça, dans la confrérie vampire,<br />
on n’accepte pas ! Elle n’a beau avoir lieu que<br />
tous les demi-siècles, cette réunion au sommet<br />
dans une vieille ferme anglaise ne sera donc<br />
pas de tout repos, en même temps que<br />
l’occasion de constater que le renouvellement<br />
des cadres n’est jamais chose simple, a fortiori<br />
quand des militaires – mandatés par un<br />
ecclésiastique pas forcément saint (d’) esprit<br />
– sont bien déterminés à vous faire passer<br />
le goût de l’éternité. Loufoquerie comme<br />
les Anglais en ont le secret, des références qui<br />
tombent à pic (Shining, La Grande Évasion) :<br />
on se laisse volontiers mordiller par cette<br />
horror comedy gentiment foutraque ! X. B.<br />
Soudain l’été dernier<br />
Réalisé par Joseph L. Mankiewicz<br />
Avec Elizabeth Taylor, Katharine<br />
Hepburn, Montgomery Clift<br />
Carlotta<br />
★★★★<br />
L’argent, le désir, la foi, l’expérimentation<br />
scientifique et surtout la folie – réelle ou pratique<br />
paravent pour masquer les non-dits –, le scénario<br />
de Gore Vidal “développant” une pièce de<br />
Tennessee Williams et la réalisation haletante<br />
de Joseph L. Mankiewicz balayent toutes<br />
les obsessions de la société américaine des<br />
années 1950. Autant de… traumas sur lesquels<br />
le noir et blanc, sublimé davantage encore ici<br />
par une restauration en 4K, vient poser un voile<br />
troublant sur la réalité crue. Les longs dialogues<br />
se muent en autant de performances d’acteurs<br />
saisissantes, Katharine Hepburn et Elizabeth<br />
Taylor en tête (Montgomery Clift restant<br />
quelque peu en retrait). Les luttes peuvent<br />
alors commencer, à deux puis à trois. Intenses.<br />
Étouffantes. Tennessee Williams détestait cette<br />
adaptation. On l’aimera doublement. X. B.<br />
Grave<br />
Réalisé par Julia Ducournau<br />
Avec Garance Marillier, Ella Rumpf,<br />
Rabah Naït Oufella, Laurent Lucas<br />
Wild Side<br />
★★★★<br />
On savait nos amis végétariens très, disons,<br />
à cheval sur leur régime alimentaire. Le premier<br />
film de Julia Ducournau nous en fournit une<br />
explication à laquelle on n’aurait pas forcément<br />
pensé, en même temps qu’un éclairage sur<br />
les conséquences potentiellement fâcheuses<br />
d’un bizutage ! Ni vraiment film d’épouvante<br />
ni tout à fait film d’auteur, Grave se plaît<br />
à… valdinguer entre les univers et les codes<br />
de l’un et de l’autre, faisant de lui un film de<br />
genre à part entière. Le cannibalisme, qui en<br />
devient vite le thème central, s’il sait se montrer<br />
spectaculaire – et gore quand nécessaire –<br />
n’est jamais jeté en pâture gratuitement. Grave<br />
est aussi (surtout ?) l’occasion de découvrir<br />
une actrice saisissante en Garance Marillier,<br />
qui tient le film sur des épaules bien moins frêles<br />
qu’il pourrait y laisser paraître. X. B.<br />
Septembre <strong>2017</strong><br />
★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…
JEUXVIDÉO<br />
Le choc des univers !<br />
Des lapins pas si crétins !<br />
Même si la rumeur hantait le Net depuis quelques mois, le lancement de Mario + Lapins crétins<br />
Kingdom Battle, annoncé par le patron d’Ubisoft Yves Guillemot et le gourou de Nintendo<br />
Shigeru Miyamoto, a fait l’effet d’une petite bombe.<br />
MARIO + LAPINS CRÉTINS<br />
KINGDOM BATTLE<br />
Nintendo Switch<br />
Ubisoft<br />
★★★★<br />
Pour Grant Kirkhope, le compositeur<br />
de ce titre, la musique de jeu vidéo est<br />
aujourd’hui beaucoup mieux considérée<br />
que lorsqu'il a commencé au milieu des<br />
90’s (il jouait auparavant avec le groupe<br />
Zoot and The Roots) : “Cette musique<br />
est tellement populaire aujourd’hui.<br />
On peut maintenant aller voir des concerts<br />
de musique de jeux vidéo avec des<br />
orchestres prestigieux... Cela a permis<br />
à de nombreuses générations de découvrir<br />
la musique instrumentale. Mon fils<br />
de 14 ans n’écoute que de la musique<br />
de jeux vidéo. Jamais de pop music !”<br />
C<br />
’était le 12 juin à l’e3, la grande<br />
messe annuelle des jeux vidéo qui se<br />
déroule à Los Angeles. Sur la scène<br />
mythique de l’Orpheum Theatre, le boss breton<br />
d’Ubisoft recevait donc sous un tonnerre d’applaudissements<br />
LA grande star du jeu vidéo<br />
japonais. Miyamoto San est en effet un de ces<br />
personnages mythiques qui ont tout changé. Il<br />
y a un avant et un après Miyamoto.<br />
Et l’inventeur des légendaires Mario<br />
ou Zelda a rarement laissé d’autres<br />
artistes manipuler à ce point ses<br />
créatures. D’autant plus exceptionnel<br />
que cette rencontre entre Mario<br />
et les Lapins crétins est une création<br />
européenne, développée entre Paris,<br />
Milan et Montpellier.<br />
Comme dans la musique, les mélanges<br />
entre les univers dans le jeu n’ont pas<br />
toujours laissé des souvenirs impérissables. Et<br />
pourtant, parfois, ça fonctionne. Côté musique,<br />
“Under Pressure”, par exemple, cet improbable<br />
duo entre Bowie et Queen, qui, sur le papier,<br />
aurait fait trembler de peur n’importe quelle<br />
nonne fan de pop suédoise, s’est avéré au final<br />
être une merveille de kitsch et de chantilly. On<br />
a la même chose dans le domaine du jeu vidéo.<br />
“LES LAPINS<br />
CRÉTINS<br />
APPORTENT<br />
LEUR CÔTÉ<br />
LOUFOQUE<br />
ET PAS MAL<br />
DE DÉBILITÉ…”<br />
L’exemple le plus frappant étant Kingdom<br />
Hearts. Je vous fais l’histoire rapide, car elle<br />
pourrait remplir les pages de tout ce numéro de<br />
<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>. Kingdom Hearts est un crossover<br />
entre, probablement, les deux univers les plus<br />
“copyrightés” de la pop culture : Disney et Final<br />
Fantasy. Disney, maître absolu de l’entertainment,<br />
chantre ultime de l’expansionnisme<br />
culturel ricain, et Squaresoft, son<br />
équivalent nippon, gardien d’une licence<br />
multimillionnaire (Final<br />
Fantasy), peut-être plus intello et<br />
profonde, mais tout aussi protégée<br />
jusque dans les moindres recoins.<br />
Incroyable, mais vrai : le jeu<br />
Kingdom Hearts a réussi à être une<br />
vraie bonne surprise artistique, dans<br />
lequel ses créateurs ont mis tout leur<br />
cœur pour nous faire oublier cette association<br />
aussi improbable qu’étrange.<br />
Pour les Lapins crétins et Mario, le mélange est<br />
peut-être moins détonnant, mais leurs deux<br />
univers n’ont pas non plus grand-chose en commun.<br />
Si les titres Nintendo ont toujours une<br />
grande profondeur et un excellent gameplay,<br />
l’univers de Mario est toujours resté lisse, hermétique<br />
au moindre relief et à tout second<br />
© DR<br />
94 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
Un jeu de pure<br />
stratégie. Ici,<br />
positionnez-vous<br />
pour vous mettre<br />
à l’abri de votre<br />
ennemi planqué<br />
en haut à droite.<br />
Des boss loufoques, mais<br />
loin d'être évidents.<br />
Entre les combats,<br />
vous pourrez vous<br />
relaxer avec de courtes<br />
phases d’exploration.<br />
degré. Les Lapins crétins n’ont pas beaucoup<br />
plus de consistance, mais n’hésitent jamais à<br />
mettre les pattes dans le plat, à cultiver nonsens<br />
et stupidité et à appuyer bien fort partout<br />
où ça peut faire mal. Un humour corrosif et loin<br />
du politiquement correct du plombier moustachu.<br />
De quoi pouvoir faire peur à Nintendo. La<br />
firme de Kyoto a pourtant donné son feu vert à<br />
ce crossover improbable en imposant tout de<br />
même une condition de base : que Mario et la<br />
famille Nintendo ne s’affichent que dans un<br />
style de jeu dans lesquels ils n’étaient jamais<br />
apparus auparavant. On avait eu Mario en plateforme<br />
(la base), en foot, en basket, en jeu de<br />
rôle, en tennis, en flipper, en golf, en kart, en jeu<br />
de plateau, en runner… Ubisoft a finalement<br />
proposé de réaliser un titre s’inspirant de<br />
X-Com, un jeu culte des années 1990. Soit des<br />
combats ultra-stratégiques, au tour par tour,<br />
qui propose une utilisation poussée de l’envi-<br />
ronnement (ne pas rester à découvert, détruire<br />
les abris derrière lesquels se planquent les ennemis,<br />
utiliser intelligemment les passages secrets,<br />
etc.). On y incarne plusieurs personnages<br />
de l’univers Nintendo ou leurs alliés Lapins,<br />
chacun ayant des pouvoirs particuliers. Les<br />
Lapins crétins apportent leur côté loufoque et<br />
pas mal de débilité, que ce soit dans les petites<br />
phases de recherche, les séquences animées, ou<br />
les boss, tout aussi cinglés que dangereux. En<br />
revanche, côté multijoueur, il ne sera pas possible<br />
de s’y essayer en réseau, le titre ne proposant<br />
que la possibilité de jouer en local, et uniquement<br />
en coopération. Dommage.<br />
Du côté de l’habillage, ce Kingdom Battle est à<br />
la hauteur des meilleurs titres Nintendo. Un<br />
soin tout particulier a été apporté aux textures<br />
graphiques et à la qualité sonore. La musique a<br />
d’ailleurs été composée par le Britannique<br />
Grant Kirkhope, célèbre pour son travail sur<br />
des succès Nintendo comme GoldenEye ou<br />
Donkey Kong Country. Son score reste original<br />
tout en rendant hommage au génie de Koji<br />
Kondo, le créateur des thèmes éternels de<br />
Mario ou Zelda. Grant Kirkhope déclarait<br />
ainsi : “Zelda: A Link to the Past est mon jeu<br />
vidéo préféré. La musique y est fantastique, ses<br />
thèmes sont éternels et il est impossible de faire<br />
mieux ! La musique de Super Mario 64 était<br />
aussi un grand classique signé Koji Kondo. Je<br />
me souviens que j’adorais le thème du château,<br />
mais aussi la façon dont la musique était interactive<br />
dans le ‘Monde trempé-séché’. Je savais<br />
que si j’essayais d’imiter Kondo, je me planterais…”<br />
Kirkhope a donc réussi à garder sa personnalité<br />
dans ce jeu qui devrait faire patienter<br />
les possesseurs de la Switch jusqu’à la sortie du<br />
prochain Mario, prévue pour la fin octobre de<br />
cette année.<br />
MATT MURDOCK<br />
DANS LA CONSOLE<br />
AGENTS OF MAYHEM<br />
PS4, Xbox One, PC<br />
Deep Silver Volition /<br />
Koch Media<br />
★★★<br />
Les créateurs de Saints<br />
Row lancent une nouvelle<br />
licence. On est toujours<br />
plus ou moins dans la<br />
démarque de GTA, cette<br />
fois avec un côté action<br />
et shoot très prononcé.<br />
Une sorte de parodie<br />
trash des cartoons d’action<br />
américains. Parfait pour<br />
se défouler et ne pas trop<br />
réfléchir.<br />
MIITOPIA<br />
3DS<br />
Nintendo<br />
★★★★<br />
Entre le jeu de rôle et<br />
la simulation de vie, on<br />
utilise ses Mii, autrement<br />
dit, les persos que l’on<br />
a créés. Tout le monde<br />
n’aimera pas, mais moi,<br />
je suis à fond. Je fais<br />
combattre les gens de<br />
ma famille, mes potes et<br />
même quelques persos que<br />
je viens de créer, comme<br />
Marilyn Manson ou JCVD.<br />
Du grand n’importe quoi !<br />
OVERCOOKED<br />
Nintendo Switch,<br />
PS4, Xbox One, PC<br />
Ghost Town Games<br />
★★★★<br />
Je profite de sa sortie<br />
récente sur la Switch pour<br />
vous présenter ce petit jeu<br />
anglais qui ne paye pas<br />
de mine, mais qui est une<br />
vraie bombe en multilocal<br />
(jusqu’à quatre joueurs).<br />
On doit faire la cuisine et<br />
servir en se répartissant les<br />
tâches. Fous rires garantis !<br />
Un vrai jeu familial pour<br />
dimanches pluvieux.<br />
DREAM DADDY<br />
PC<br />
Game Grumps<br />
★★★<br />
Les visual novels (sortes<br />
de romans animés et<br />
interactifs) et les jeux de<br />
drague sont très populaires<br />
au Japon. Dream Daddy,<br />
jeu de drague entre papas<br />
gays, est l’un des premiers<br />
à cartonner chez nous.<br />
Pour l’instant uniquement<br />
sur PC, il ne devrait pas<br />
tarder, vu son succès,<br />
à débarquer sur tablettes<br />
et autres formats…<br />
PATAPON<br />
REMASTERED<br />
PS4<br />
Sony Interactive<br />
Entertainment<br />
★★★★<br />
Certains jeux ont tendance<br />
à se bonifier avec le temps,<br />
surtout lorsqu’ils ont un<br />
fort parti pris artistique.<br />
Comme celui-ci, sorti<br />
initialement en 2007 sur<br />
PSP. Entre le jeu de rythme<br />
et le combat tactique,<br />
Patapon fascine grâce à la<br />
sublime direction artistique<br />
de l’artiste français Rolito.<br />
© DR<br />
Septembre <strong>2017</strong><br />
★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…
LIVRES<br />
The Wind Cries Mary<br />
Entre roman noir sudiste et conte crépusculaire aux accents quasi bibliques,<br />
Ron Rash, grande voix de la littérature américaine contemporaine, nous invite à une réflexion<br />
sur la culpabilité et la rédemption. Le tout sur fond de rock psychédélique.<br />
PAR LE VENT PLEURÉ<br />
RON RASH<br />
Seuil<br />
★★★★<br />
“<br />
À<br />
san francisco, le summer of<br />
Love, l’été de l’amour, a eu lieu<br />
en 1967, mais il a fallu deux ans<br />
pour qu’il atteigne le petit monde des<br />
Appalaches. Sur l’autoroute, en février, on a<br />
aperçu un hippie au volant d’un minibus<br />
bariolé, un événement dûment signalé dans<br />
le Sylva Herald. Sinon, la contre-culture<br />
était quelque chose qu’on ne voyait qu’à la<br />
télévision, tout aussi exotique qu’un pingouin<br />
ou qu’un palmier nain.” En 1969, vus<br />
de Sylva, une petite ville rurale des<br />
Appalaches, le bourbier du Viêtnam et le<br />
mouvement pacifiste de Berkeley, les manifestations<br />
de plus en plus violentes pour les<br />
droits civiques, ou l’assassinat de Sharon<br />
Tate par Charles Manson paraissent bien<br />
lointains. Bill et Eugene vivent une vie<br />
simple et studieuse, réglée au carré par un<br />
grand-père tyrannique, ancien combattant<br />
de la guerre de 1914, médecin du patelin et<br />
notable de coin. Un dimanche après-midi,<br />
alors qu’ils pêchent des truites dans le lit<br />
d’une rivière, les deux frères aperçoivent<br />
une jeune fille de leur âge en train de se<br />
baigner nue dans un trou d’eau. Le temps<br />
d’un été, la troublante Ligeia, qui arrive de<br />
Floride et qui a passé quelque temps dans<br />
une communauté hippie, va à jamais bouleverser<br />
la vie des deux frangins, leur faire<br />
découvrir le sexe, l’alcool et la drogue, les<br />
guitares acides de Moby Grape et de Jimi<br />
Hendrix, les lyrics troublants des Doors et<br />
de Jefferson Airplaine, avant de disparaître<br />
comme elle était apparue, à la fin de la saison.<br />
Quarante-six ans plus tard, beaucoup<br />
d’eau a coulé dans la rivière à truites,<br />
lorsque les fortes pluies du printemps<br />
mettent à jour, sur la berge, des lambeaux<br />
de bâche bleue et de macabres petits ossements<br />
blancs. Ligeia est de retour, et Bill,<br />
devenu un chirurgien renommé, comme<br />
Eugene, universitaire raté et poivrot, abandonné<br />
de sa femme et de sa fille, vont devoir<br />
affronter ce fantôme sorti du passé…<br />
Comment est morte Ligeia ? Qui l’a tuée ? Par<br />
le vent pleuré aurait presque des allures de<br />
whodunit, aux forts accents sudistes. Presque.<br />
Car avec ce roman d’une rare puissance et<br />
d’une extrême finesse, l’Américain Ron Rash<br />
signe une œuvre riche et complexe qui dépasse,<br />
et de loin, la simple résolution d’un mystère.<br />
Par le vent pleuré est un livre sur le choc des<br />
cultures, en cette fin des sixties, entre un pays<br />
en pleine révolution culturelle, vibrant sur<br />
“Good Lovin’” des Rascals, et une Amérique<br />
profonde, provinciale, traditionnelle (la<br />
Caroline du Sud, chère à l’auteur de Serena),<br />
bercée par les vieux airs de Merle Haggard.<br />
C’est aussi un conte crépusculaire convoquant<br />
les plus grands auteurs (le Steinbeck de À l’est<br />
d’Eden, le Dostoïevski des Frères Karamazov,<br />
ou encore l’Edgar Poe de Ligeia) autour de<br />
vieux mythes et d’histoires éternelles, qui<br />
donnent aux grands textes leur raison d’être.<br />
Le tout en tout juste 200 pages, limpides et<br />
lumineuses. Superbe.<br />
PHILIPPE BLANCHET<br />
© MARK HASKETT. DR.<br />
96 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
Fantasia chez les ploucs<br />
Une jeune prostituée en cavale, des tueurs sadiques, un vieux trafiquant de whiskey et quelques flics<br />
ripoux : tout le charme de la campagne !<br />
Une cambrousse improbable, au<br />
sud d’Atlanta. Des champs de cacahuètes<br />
et de millet, des forêts de<br />
pins où crapahutent des tatous, et des mobile<br />
homes dézingués, habités par des lascars<br />
tout aussi improbables. Une très jeune<br />
prostituée – Maya, la favorite du maire –<br />
vient d’échapper aux tueurs qui veulent<br />
l’exécuter. La fille connaît toutes les magouilles<br />
des dirigeants de la ville, les réseaux<br />
de trafic de drogue ou de prostitution,<br />
et la horde sauvage qui la traque a bien<br />
l’intention de finir le boulot. Au terme<br />
d’une courte cavale, Maya se réfugie chez<br />
un vieux trafiquant de gnole solitaire et<br />
bourru, un brin cinglé, qui vit avec une poupée<br />
géante, vêtue des robes de sa femme<br />
disparue. Face aux sociopathes enfouraillés<br />
qui pistent la belle, nos deux “gueules cassées”<br />
vont devoir la jouer serré... Dès la<br />
première page – une malheureuse ligotée<br />
dans le coffre nauséabond d’une voiture,<br />
une chaussette dans la bouche – Peter<br />
Farris donne le ton à un lancinant polar,<br />
taraudé par une aveuglante violence et<br />
émaillé d’hallucinantes visions, pour pousser<br />
Jim Thompson, Larry Brown et les<br />
autres dans le brasier d’un “Southern noir”<br />
radical, réglé sur un infernal tempo. Du<br />
Hank Williams Jr., version hardcore. P. B.<br />
LE DIABLE<br />
EN PERSONNE<br />
PETER FARRIS<br />
Gallmeister<br />
★★★½<br />
© DR<br />
LE LIVRE QUE JE NE VOULAIS PAS ÉCRIRE<br />
ERWAN LARHER<br />
Quidam<br />
★★★★<br />
“Tu pénètres dans la salle. Sensations familières, plénitude<br />
immédiate : un concert de rock. Tu ne les comptes plus,<br />
mais à chaque fois le même enchantement, la même<br />
excitation, allez, vas-y, tu peux bien l’avouer maintenant<br />
que si tu devais avoir un regret, ce serait de ne pas être<br />
devenu une rock star.” Erwan Larher est romancier. Et fan<br />
de rock. Le 13 novembre 2015, vers 20 h 30, Erwan Larher<br />
entre dans le hall du Bataclan. Et son histoire personnelle<br />
bascule dans un cauchemar collectif. Touché d’une balle<br />
de kalachnikov dans la fesse (ironie de l’histoire, à cette<br />
époque, il est en train d’écrire un roman qui s’intitule<br />
Marguerite n’aime pas ses fesses !), Erwan Larher baigne<br />
dans son sang, au milieu des blessés et des cadavres.<br />
C’est cette histoire, c’est ce cauchemar que raconte<br />
ce livre. Les coups de feu. Les hurlements. La mort.<br />
Puis la délivrance. La souffrance. L’hospitalisation. Mais<br />
pas seulement : plutôt que livrer un simple témoignage<br />
et de tomber dans le pathos, Erwan Larher choisit<br />
d’élargir l’angle, de ponctuer son récit des témoignages<br />
de proches, vivant l’événement de l’extérieur, et réussit<br />
avec ce livre totalement bouleversant à faire de ce drame,<br />
notre drame. Définitivement. P. B.<br />
LES BUVEURS DE LUMIÈRE<br />
JENNI FAGAN<br />
Métailié<br />
★★★½<br />
En 2020, dans le nord de l’Écosse.<br />
Les dérèglements climatiques<br />
provoquent le début d’une<br />
nouvelle ère glaciaire. Partout<br />
sur la planète, les températures<br />
chutent sévèrement, alors<br />
que l’hiver n’a pas encore<br />
commencé. Dans un parc de<br />
caravanes, une mère vaguement<br />
hippie (elle lit Cookie Mueller<br />
en écoutant Harvest Moon)<br />
et son ado transsexuel, qui<br />
se prénomme désormais Sarah,<br />
croisent la route d’un géant<br />
tatoué et cinéphile, pataugeant<br />
dans la neige en Chelsea boots.<br />
Ensemble, ces trois magnifiques<br />
marginaux, “pas nés dans le<br />
bon corps” au moins pour deux<br />
d’entre eux, vont résister au froid<br />
mortel du monde… Avec ce livre<br />
étrange et follement lyrique,<br />
balayé par des bourrasques<br />
de grésil, opposant des êtres<br />
lumineux à un monde de<br />
ténèbres, l’Écossaise Jenni<br />
Fagan signe un bouleversant<br />
roman apocalyptique, et l’un des<br />
plus beaux textes de la rentrée.<br />
P. B.<br />
DARK NET<br />
BENJAMIN PERCY<br />
Éditions Super 8<br />
★★★<br />
Il existe aujourd’hui un Internet parallèle, sans aucune<br />
limite, permettant de naviguer en toute impunité au gré<br />
d’une infinité de sites cryptés. Une immense poubelle du<br />
Web, où se croisent pédophiles, terroristes et salauds de<br />
tous poils. Le Dark Net. Jusque-là, tout est vrai. Imaginez<br />
maintenant que des forces obscures grenouillant dans<br />
ce marigot tentent de soumettre le monde en hackant les<br />
esprits des internautes pour les transformer en tueurs…<br />
C’est le sujet de ce techno-thriller baroque et affolant,<br />
petit bijou pulp et cyberpunk faisant un écho lointain aux<br />
manipulations et autres fake news qui menacent<br />
aujourd’hui insidieusement le monde. P. B.<br />
HILLBILLY ÉLÉGIE<br />
J.D. VANCE<br />
Globe<br />
★★★<br />
J.D. Vance, la trentaine, vient d’une petite ville industrielle<br />
complètement sinistrée de l’Ohio, et a aussi vécu dans<br />
le Kentucky, élevé par ses grands-parents au sein d’une<br />
famille pauvre et passablement dysfonctionnelle. Ce livre<br />
est le récit de son enfance et de son adolescence. C’est<br />
surtout celui des white trash et autres hillbillies (chantés<br />
par Dwight Yoakam) du Midwest industriel, pour la plupart<br />
d’origine irlando-écossaise, dont la forte culture ouvrière<br />
s’est progressivement diluée dans la crise et la misère,<br />
pour devenir un vivier plein d’amertume et de xénophobie<br />
pour les Républicains les plus durs. Un passionnant portrait<br />
de l’Amérique de Trump. P. B.<br />
Septembre <strong>2017</strong><br />
★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…
RADIOCLASSIQUE<br />
“Days of Pearly Spencer”<br />
David McWilliams<br />
Une radio pirate, un animateur français, des violonnades et un clochard céleste. Il n’en faudra pas plus pour<br />
faire de cette sublime chanson un tube planétaire. Exploit que son auteur ne réussira pas à renouveler…<br />
Par Philippe Barbot<br />
Un matin d’octobre 1967, un animateur<br />
d’une radio française retourne<br />
le 45-tours qu’il vient de recevoir. La<br />
chanson qu’il entend alors, nichée<br />
en face B, le sidère. Il décide aussitôt de la passer<br />
en boucle sur son antenne. Quelques<br />
semaines plus tard, le morceau trône dans les<br />
premières places du hit-parade national. L’animateur<br />
avisé, c’est Gérard Klein, le futur<br />
“Instit” de la télé, qui officiait alors sur France<br />
Inter. La chanson s’intitule “Days of Pearly<br />
Spencer” et est interprétée par un inconnu<br />
nommé David McWilliams.<br />
En anglais, on appelle ça un “one hit wonder”,<br />
un tube sans lendemain. Le<br />
McWilliams en question a enregistré<br />
plus d’une dizaine d’albums,<br />
mais son nom restera à jamais<br />
accolé à une chanson, une seule. Et<br />
quelle chanson ! Une sorte d’ovni<br />
sonore, mélange de folk symphonique<br />
et de pop psychédélique, aux<br />
arrangements dignes des meilleurs<br />
moments des Beatles. On comprendra<br />
plus loin pourquoi.<br />
Irlandais bon teint, David<br />
McWilliams est né en 1945 aux<br />
environs de Belfast. S’il grattouille<br />
la guitare dans un groupe de bal, il<br />
se distingue surtout dans l’équipe<br />
de foot locale, le Linfield FC, pour<br />
laquelle il officie comme gardien de<br />
but. Une blessure à la cheville mettra<br />
fin à sa carrière sportive et l’obligera<br />
à trouver un boulot. Sur les<br />
traces de son père, le voilà devenu<br />
apprenti dans une usine d’armement<br />
qui fabrique… des torpilles. Mais,<br />
plus que les sous-marins, c’est la<br />
musique qui le passionne. Même que, fan de<br />
Buddy Holly, il écrit des chansons, plutôt de<br />
jolies chansons, dans un registre folk. En 1966,<br />
il réussit même à signer chez CBS pour un premier<br />
single intitulé “God and My Country” qui<br />
fait un flop. Pourtant, ses maquettes intéressent<br />
un producteur, Phil Solomon, qui n’est autre que<br />
le manager de groupes comme les Them ou les<br />
Dubliners. On reste entre Irlandais… Sauf que<br />
ledit Solomon a non seulement créé un label de<br />
disques, Major Minor Records, mais est aussi<br />
codirecteur de la station pirate Radio Caroline,<br />
qui émet illégalement mais avec succès dans les<br />
eaux internationales de la mer du Nord, au large<br />
du Royaume-Uni. Une aubaine pour le jeune<br />
chanteur mais, on le verra plus tard, un sacré<br />
handicap aussi.<br />
Grâce à son nouveau mentor, David McWilliams<br />
enregistre deux albums, sous la houlette d’un<br />
réalisateur déjà célèbre pour ses collaborations<br />
avec la crème des artistes british : Mike<br />
Leander, c’est son nom, a produit récemment le<br />
“As Tears Go By” de Marianne Faithfull et, surtout,<br />
a signé les arrangements du “She’s Leaving<br />
Home” des Beatles, à la faveur d’une défection<br />
momentanée de George Martin.<br />
C’est en si bon équipage que le jeune David enregistre<br />
la chanson “Days of Pearly Spencer”, qui<br />
doit figurer sur son deuxième album éponyme.<br />
Une chanson comme une autre, croit-on,<br />
puisqu’elle est destinée à n’être que la face B de<br />
“Harlem Lady”, un titre auquel le label croit<br />
davantage. Mais qui est donc Pearly Spencer ?<br />
“ DES ENVOLÉES DE CORDES<br />
ET UN RIFF UNIQUE”<br />
Une gente damoiselle croisée dans les brumes<br />
irlandaises ? Pas du tout. L’auteur avouera plus<br />
tard qu’il s’agit d’un clochard qu’il a connu autrefois<br />
dans les rues de Ballymena, la ville d’Irlande<br />
du Nord où il a grandi.<br />
Si le titre peut prêter à confusion, le texte, lui,<br />
est éloquent. Écrit à la façon d’un reportage, il<br />
décrit dès la première strophe les quartiers déshérités<br />
de la cité, en ces termes : “Un immeuble,<br />
une rue sale/ Foulée et usée par des pieds nus/<br />
Se déroule à l’infini/ Sous un soleil frissonnant…”<br />
Pas vraiment une bluette. D’autant que<br />
le principal protagoniste de la chanson est<br />
dépeint le teint rougeaud, affublé d’une mauvaise<br />
barbe arrosée au tord-boyaux (sic), et que<br />
le refrain renchérit : “La fin du parcours est<br />
proche…” Le refrain, justement. Tout vient de<br />
là. Outre la voix du chanteur qu’on croirait soudain<br />
passée à travers un mégaphone (en fait,<br />
enregistrée via une cabine téléphonique située<br />
à côté du studio) et son désormais fameux “hin<br />
hin hin”, ce sont les envolées de cordes qui<br />
séduisent immédiatement, un riff unique et<br />
immédiatement mémorisable. La recette d’un<br />
tube, n’est-ce pas ?<br />
Notre Phil Solomon, en businessman avisé (plus<br />
tard, il produira le “Mony Mony” de Tommy<br />
James and the Shondells et achètera les droits<br />
pour le Royaume-Uni du “Je t’aime… Moi non<br />
plus” de Gainsbourg-Birkin) y croit tellement<br />
qu’il décide de sortir le grand jeu : le voilà qui<br />
achète des pages entières de pub dans les<br />
journaux musicaux (avec des slogans du<br />
genre “Le single qui va vous exploser<br />
la tête” ou “L’album qui bouleversera<br />
le cours de la musique”) et décore<br />
les flancs de bus à l’effigie de son<br />
poulain. Lequel arbore de<br />
sémillantes rouflaquettes qui<br />
lui mangent le visage et se<br />
balade dans Londres avec en<br />
poche même pas de quoi<br />
s’acheter un ticket pour ces<br />
damnés bus.<br />
Oui, mais voilà. Si la chanson<br />
est matraquée sur les ondes de<br />
Radio Caroline, la prude et perfide<br />
BBC refuse obstinément de la<br />
diffuser, considérant qu’elle n’a pas<br />
à faire la promotion d’un artiste acoquiné<br />
avec une station concurrente, de<br />
surcroît pirate. Shocking. Il faudra que les<br />
voisins européens, France, Belgique, Pays-<br />
Bas ou Finlande, y mettent du leur pour que<br />
le titre devienne le tube qu’on connaît.<br />
Depuis, les reprises ont évidemment fleuri. Si<br />
la plus célèbre reste celle de Marc Almond<br />
en 1992, elle a également fait les beaux soirs du<br />
easy listening (de Caravelli à Franck Pourcel,<br />
en passant par Raymond Lefevre) et de multiples<br />
adaptations dans toutes les langues, dont<br />
la plus kitsch est sans doute celle de Frank<br />
Alamo, sous le titre “Je connais une chanson”.<br />
Plus récemment, Rodolphe Burger en a offert<br />
une version étonnante, bien dans son style.<br />
David McWilliams est mort d’une crise cardiaque<br />
en janvier 2002, à l’âge de 56 ans. Malgré<br />
ses 150 chansons (qui méritent d’être<br />
redécouvertes, quelque part entre Donovan<br />
et Al Stewart), il n’a jamais retrouvé le chemin<br />
du succès. Quant aux clochards de Ballymena,<br />
Irlande du Nord, ils continuent de marcher<br />
pieds nus.<br />
© DR<br />
98 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>
Actuellement en kiosques<br />
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