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Rolling Stone 09/2017

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ÉDITO<br />

Par Belkacem Bahlouli<br />

Piège à sons !<br />

On en a peu parlé au cœur de cet été, étouffés par la<br />

chaleur ou la pluie, les bouchons des samedis noirs<br />

sur l’autoroute et surtout, la java des bombes atomiques<br />

si chère à Boris Vian, dansée par deux chefs<br />

d’État, le caricatural Nord-Coréen Kim Jong-un et<br />

l’ineffable Américain Donald J. Trump. Alors, avant cette dernière<br />

valse pré-cataclysme nucléaire, cette nouvelle a fait polémique sur<br />

les réseaux sociaux dans les milieux rock. En cause ? Un article du<br />

New York Times, prônant tout simplement la mort du rock’n’roll via<br />

la fin du règne des guitares électriques. Exit<br />

l’engin à faire du rock’n’roll par excellence,<br />

les ventes sont en chute libre, plus personne<br />

ne veut apprendre à jouer “Stairway to<br />

Heaven” ou “Hey Joe”, bref, on n’en pince<br />

plus pour cet instrument à cordes pincées.<br />

Et pourtant, une simple descente à Pigalle,<br />

le quartier parisien des magasins de sixcordes,<br />

prouve le contraire. Le célèbre<br />

quotidien new-yorkais a-t-il voulu faire le<br />

malin avec une fake news, pour reprendre<br />

le vocabulaire en vogue ? C’est plus complexe<br />

que cela. Donc non, “rock’n’roll can<br />

never die” chantait Neil Young, et à juste<br />

titre. Car si l’article estimait que l’instrument<br />

roi des musiques actuelles est en<br />

sursis et disparaîtrait, telle une espèce<br />

menacée d’extinction, à l’aube des années<br />

2050, la musique qu’il servait, elle,<br />

n’est pas près d’être vouée aux gémonies. On<br />

disait le rock mort quelques jours après sa<br />

naissance… il y a plus de soixante ans. Il<br />

n’en fut rien. Et n’en est toujours rien. À preuve, les patrons de<br />

festivals, cet été, ont affiché un sourire qu’on n’avait pas vu depuis<br />

des années – avec, pour certains, 100 % de tickets vendus ! Et<br />

surtout, c’est oublier un peu vite que, chaque année, quelque trois<br />

mille albums dans les seules catégories “pop-rock” sont publiés par<br />

le biais d’un label – rien qu’en France ! – et cela, sans compter les<br />

innombrables autoproductions ! Et pour créer tout cela, il en faut<br />

des guitares. Bref, ce que précisait le NYT était que la production<br />

américaine n’arrivait que très difficilement à contrer l’offensive des<br />

instruments venus d’Asie du Sud-Est. Alors, exit Fender, Gibson<br />

ou Gretsch ? Loin de là, il s’agit davantage d’une guerre marketing.<br />

Certes, les musiciens recherchent – effet de mode ou de statut, allez<br />

savoir ! – des instruments vintage, usés par des années d’usage<br />

intensif ; mais si on dépasse le stade “du look plus que du son”, le<br />

marché ne se porte pas si mal et les guitares asiatiques ont aussi<br />

leurs inconditionnels.<br />

Et tout cela va en parallèle avec la “nouvelle vogue” des 33-tours.<br />

Le retour en force, ces dernières années, du microsillon est un fait<br />

(pas si notoire que ça : à peine plus d’un<br />

million de copies, tous catalogues confondus<br />

en 2016 en France, soit une goutte d’eau dans<br />

les océans d’iTunes et de Spotify qui, eux, ont<br />

vendu plus d’un milliard de titres à la découpe),<br />

mais pas une réelle tendance lourde.<br />

D’ailleurs, certains commencent à déchanter<br />

: une enquête dans la presse hi-fi britannique,<br />

où l’on ne plaisante pas avec le son, a<br />

découvert certaines supercheries destinées<br />

à écouler du vinyle pour pas cher : soit des<br />

contrefaçons, purement et simplement, de<br />

vinyles disparus depuis des décennies, soit<br />

du travail de sagouin où le transfert analogique<br />

se base sur le son d’un CD avant d’être<br />

transféré sur un microsillon. Alors qu’une<br />

belle réédition ou nouvelle publication passe<br />

nécessairement par un mastering fait à partir<br />

des… masters, afin de présenter un son en<br />

accord avec son support (un son de CD n’a<br />

rien à voir avec un son de 33-tours). Bref, une<br />

arnaque. Alors est venue l’idée que, d’ici peu,<br />

une sorte de “label rouge” soit apposé sur la pochette des précieuses<br />

galettes noires, “Masterisé à partir des bandes d’origine”, comme il<br />

se doit. L’amateur de rock sera aux anges, car de plus, une flopée de<br />

sorties – et de rééditions – de tout premier ordre est annoncée pour<br />

cette fin d’année <strong>2017</strong>, de Liam Gallagher à QOTSA en passant par<br />

Bowie, The Cars, The Doors ou The Beatles –si, si – et nombre de<br />

trésors enterrés depuis des décennies qui n’attendent que d’être mis<br />

au jour. Pour le grand bonheur des fans de ce rock qui ne mourra<br />

pas. Bonne rentrée, donc.<br />

© LORAINE ADAM<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 3


Some Kind


of Master<br />

À l’aube d’une tournée européenne qui ne manquera pas<br />

de conforter Metallica dans son statut d’inamovible fer de<br />

lance du metal, son batteur Lars Ulrich se confie sur l’état<br />

d’esprit du groupe, ses ambitions et… le temps qui passe.<br />

Par XAVIER BONNET<br />

Photographie ROSS ALFIN<br />

Metallica aura passé une<br />

bonne partie du printemps et du début de<br />

l’été à parcourir les États-Unis pour une<br />

tournée des stades, ce qui ne lui était pas<br />

arrivé depuis presque quinze ans – aussi<br />

étonnant que cela puisse paraître. Une petite<br />

trentaine de stades en tout, sur le fronton<br />

desquels le groupe aura réussi à afficher le<br />

mot “complet” sans grand effort, malgré des<br />

capacités qui en auraient intimidé plus d’un :<br />

71 000 places à Baltimore, 69 000 à<br />

Philadelphie, 82 500 à East Rutherford dans<br />

le New Jersey et ainsi de suite. Remplir des<br />

stades, Metallica y est habitué. Devrait l’être,<br />

en tout cas. Pourtant, Lars Ulrich, batteur et<br />

cofondateur du groupe avec James Hetfield,<br />

son gosier et sa guitare rythmique, semblait<br />

le premier surpris dans la presse américaine<br />

– et notamment à <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> – que ce soit<br />

encore possible après trente-cinq ans de carrière<br />

et précisément parce qu’il ne s’y était<br />

plus essayé outre-Atlantique depuis si longtemps.<br />

Certes, l’homme est coutumier des<br />

effets de manche – certaines mauvaises langues<br />

diront que c’est aussi le cas quand il<br />

s’assoit derrière une batterie – mais sa surprise<br />

avait quand même de quoi, hum !, surprendre.<br />

Suffisamment pour que l’on remette<br />

la question sur le tapis au moment d’entamer<br />

la conversation, tandis que la troupe s’autorisait<br />

un jour off la veille de l’étape de ce<br />

WorldWired Tour à Phoenix, en Arizona. “En<br />

vieillissant, tu ne considères plus tout ça<br />

pour acquis, explique Ulrich, très solennel.<br />

À 30 ans, tu es plein de certitudes, tu as<br />

tellement confiance en toi que ça te paraît<br />

presque normal. Quand tu vieillis, ta mentalité<br />

change, tu es un peu plus déconnecté de<br />

la scène musicale parce que tu as une famille<br />

à gérer ou d’autres centres d’intérêt. D’une<br />

certaine manière, aujourd’hui, j’ai plutôt<br />

tendance à sous-estimer Metallica qu’à le<br />

surestimer ! (Rire.) Au-delà de ça, beaucoup<br />

de choses ont changé depuis notre dernière<br />

tournée des stades ici, il y a quatorze ans.<br />

Tout est beaucoup plus imprévisible. C’est<br />

devenu – ou redevenu – le Far West !”<br />

En un mot comme en cent, c’est une bonne<br />

période pour Metallica. “Un bon moment<br />

pour être dans Metallica”, comme aime à le<br />

formuler le batteur. Aux États-Unis comme<br />

en Europe, où le volet de la tournée démarrera<br />

le 2 septembre à Copenhague, dans son Danemark<br />

natal. Pourquoi ? Comment ? Pourquoi<br />

le nom du groupe semble-t-il avoir plus de<br />

résonance qu’il y a dix ou vingt ans ? Comment<br />

se fait-il que le renouvellement des générations<br />

ait profité à Metallica, [Suite p. 6]<br />

5<br />

<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>


[Suite de la p. 5] avec un public jeune s’éclatant<br />

aux concerts au moins autant que les<br />

anciens ? Pourquoi les articles relatant cette<br />

tournée américaine sont parmi les plus dithyrambiques<br />

dont le groupe ait pu bénéficier ?<br />

Une fois n’est pas coutume, Lars Ulrich n’a pas<br />

de réponse et se fait philosophe, à sa façon,<br />

sinon fataliste. “J’ai 53 ans et, à mon âge,<br />

chaque jour qui passe est une bonne journée.<br />

Arrive un moment de ton existence où tu te<br />

dis : ‘Attends une seconde, il y a de fortes<br />

chances que tu aies vécu plus qu’il ne te reste<br />

à vivre.’ Donc oui, tu relativises et tu ne<br />

cherches pas forcément des explications à tout<br />

et partout… Aujourd’hui, quand tu enchaînes<br />

une trentaine de concerts comme on est en<br />

train de le faire, chaque concert que tu finis<br />

sans avoir l’épaule en miettes est un bon<br />

concert ! Tu ne penses pas à ce genre de trucs<br />

à 25 ans… Le fait que tout ça puisse continuer<br />

encore et encore est plus dingue et incroyable<br />

chaque jour. Personne n’aurait imaginé,<br />

quand nous avons commencé, que nous<br />

serions encore sur la brèche trente-cinq ans<br />

plus tard… Je ne sais pas combien de temps<br />

cela pourra durer. On parle sans arrêt de ces<br />

sportifs qui arrêtent leur carrière à 35 ans. Or,<br />

ce que nous faisons est si exigeant, tant physiquement<br />

que mentalement, qu’il est difficile<br />

de prédire si ça va encore durer longtemps.”<br />

Scoop : Metallica se fait vieux ! Se sent<br />

vieux. Car le batteur n’est pas le seul à faire<br />

des allusions à son âge en interview. Ainsi<br />

James Hetfield lâchait-il il y a peu avec<br />

espièglerie – mais il n’était guère difficile<br />

d’en déceler le sous-texte – que tous dans le<br />

groupe “avaient mérité d’avoir des cheveux<br />

blancs”. Jamais, jusqu’alors, les deux têtes<br />

pensantes de la formation n’avaient autant<br />

insisté sur ces questions d’âge, qui apparaissent<br />

comme une vraie préoccupation.<br />

Ulrich ne s’en cache pas, l’énergie et les ressources<br />

nécessaires à un bon fonctionnement<br />

leur prennent plus de temps que par<br />

le passé, à commencer par la gestion d’un<br />

calendrier – combien de days off entre deux<br />

séries de concerts, le calcul des distances –<br />

et tout est fait pour optimiser une fraîcheur<br />

physique et mentale des différents protagonistes.<br />

“Maintenant, si <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />

France fait sa couverture en titrant ‘Exclusif<br />

: Lars Ulrich, ses problèmes d’âge’, ce<br />

serait un peu schématique et manichéen,<br />

sourit-il. Mais oui, la plupart de nos choix<br />

aujourd’hui se font dans l’idée de ne pas<br />

dépasser la limite, de ne pas nous<br />

cramer…”<br />

De là à vouloir faire insidieusement passer<br />

le message que l’histoire ne durerait pas forcément<br />

mille ans et que l’on serait bien inspiré,<br />

fans et spectateurs, de chercher à en<br />

profiter sans tarder, il y a un pas que l’on se<br />

refusera de franchir, même si l’on n’en pense<br />

pas moins… Après tout, c’est une stratégie<br />

commerciale qui a fait ses preuves et<br />

Metallica ne serait pas le premier – ni le dernier<br />

(Aerosmith, si tu nous entends…) – à<br />

tirer sur cette corde… sensible !<br />

Ceci étant, on vous doit un aveu. On le<br />

devait surtout à Ulrich. En découvrant<br />

il y a maintenant dix mois<br />

Hardwired… To Self-Destruct, le dernier<br />

effort en date du groupe, et son<br />

roulé-boulé de puissance et de violence<br />

sur à peu près chacun des douze titres<br />

et des 79 minutes que compte le double<br />

album, la question nous avait traversé l’esprit<br />

illico : comment allait-il faire pour<br />

reproduire tout ça en concert chaque soir,<br />

précisément sans se déboîter une épaule ?<br />

“Merci de ta sollicitude, s’amuse l’intéressé.<br />

”<br />

Si <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />

France fait sa<br />

couverture en<br />

titrant ’Exclusif :<br />

Lars Ulrich,<br />

ses problèmes<br />

d’âge‘, ce<br />

serait un peu<br />

schématique et<br />

manichéen.<br />

“<br />

Disons que je ne m’en sors pas trop mal<br />

jusqu’à présent. Ce n’est un secret pour personne,<br />

on démarre chaque soir avec<br />

‘ Hardwired’. Tu m’aurais dit ça il y a un an,<br />

je n’en aurais pas mené large. Mais ces chansons<br />

ont trouvé leur public. (“En trente-cinq<br />

ans, je n’avais jamais entendu la phrase<br />

‘Pourquoi ne jouez-vous pas davantage de<br />

nouvelles chansons jusqu’à cette tournée”,<br />

confiait-il à <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> USA en juin dernier,<br />

ndlr). Elles sont fun à jouer sur scène,<br />

je suis en bonne forme, je travaille pour ça.<br />

So far, so good. Pour l’instant, tout va bien !”<br />

Ce ne sont pas moins de sept chansons de ce<br />

dernier album que Metallica a inclus au programme<br />

de ce volet américain : “Hardwired”,<br />

“Atlas, Rise!”, “Now That We’re Dead”, “Moth<br />

Into Flame”, “Halo on Fire” et “Dream No<br />

More”. Même si, concernant cette dernière,<br />

ce ne fut qu’en une seule occasion, à Mexico<br />

City, en mars dernier. Opération peu satisfaisante,<br />

mais qui demande à être renouvelée,<br />

dixit Ulrich, qui confesse sans détours<br />

qu’elle est pour lui la plus difficile à appréhender<br />

des sept à cause d’un tempo… très<br />

lent. D’autres chansons ont été répétées –<br />

“ManUNkind”, “Spit Out the Bone” – et ont<br />

de fortes chances d’apparaître de temps à<br />

autre sur les setlists des dates européennes.<br />

Quant à ceux qui s’inquiéteraient de la présence<br />

des hymnes d’hier et d’avant-hier, qu’ils<br />

soient rassurés : ils sont et seront tous de<br />

sortie, de “For Whom the Bell Tolls” à<br />

“ Battery”, en passant par “Master of<br />

Puppets”, “Seek and Destroy” ou les deux<br />

figures imposées que sont “Nothing Else<br />

Matters” et “Enter Sandman”.<br />

Que l’on ne compte pas en revanche sur<br />

Ulrich pour porter un retard critique sur<br />

Hardwired… Pas d’actualité, trop tôt. “Je suis<br />

toujours en période de lune de miel avec cet<br />

album, énonce-t-il. Je n’y vois rien à redire.<br />

Pour l’instant. D’ailleurs, j’avoue ne pas<br />

m’être posé pour le décortiquer. Mais ça viendra,<br />

je le sais. Un jour, je trouverai que ceci<br />

ou cela sonne de manière un peu étrange et<br />

ça me fera hausser les sourcils.” Sur l’instant<br />

– et on réclame ici l’indulgence du jury – il ne<br />

nous est pas venu à l’esprit d’évoquer le son<br />

de sa batterie sur St. Anger (2003) en mode<br />

poêle en inox. On s’en voudrait presque, mais<br />

presque seulement…<br />

Début septembre démarrera donc un nouveau<br />

périple européen pour Metallica. Pas<br />

de stades au programme, mais une trentaine<br />

de “grosses salles” : dix-sept pays visités en<br />

tout, une première salve de quinze dates<br />

jusqu’à novembre – dont deux à l’AccorHotels<br />

Arena Paris (8 et 10 septembre) et une à la<br />

halle Tony-Garnier de Lyon (12 septembre)<br />

– et vingt-quatre autres entre février et<br />

mai 2018. Pour ce qui est de son contenu, de<br />

son “installation”, difficile d’en savoir plus.<br />

Tout juste Ulrich annonce-t-il un show<br />

entièrement nouveau et concède que la scène<br />

sera centrale (“parce que nous aimons nous<br />

retrouver au milieu du public dans ce genre<br />

de salles”), même si, en la matière, il n’y a<br />

rien de bien inédit, puisque c’était déjà le cas<br />

lors du passage du groupe en 20<strong>09</strong> dans ce<br />

qui s’appelait encore le Palais omnisports -de<br />

Paris-Bercy. “Je ne peux pas en dire davantage<br />

aujourd’hui (le 3 août, ndlr), car je n’en<br />

ai encore rien vu, sinon quelques photos,<br />

mais rien en situation. On a quelques idées<br />

en matière d’animation vidéo et d’éclairages,<br />

mais je ne sais pas ce que ça donnera à l’arrivée.”<br />

On n’est pas obligé de croire notre<br />

homme sur parole, passé maître depuis bien<br />

longtemps dans l’art du teasing et de la mise<br />

en scène-forme verbale !<br />

© ROSS ALFIN/UNIVERSAL<br />

6 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


1<br />

2<br />

ON STAGE<br />

(1) James Hetfield, tout<br />

à l’attaque. (2) Lars Ulrich,<br />

l’homme aux fûts. (3) Robert<br />

Trujillo, bassiste diabolique<br />

qui a donné un coup de jeune<br />

au groupe à son arrivée, en 2003.<br />

(4) Kirk Hammett, l’homme qui<br />

téléportait ses solos dans l’espace.<br />

3<br />

4


Deux certitudes toutefois. Tout<br />

d’abord, la “chorégraphie” à quatre<br />

tambours sur “Now That We’re<br />

Dead”, pendant laquelle les quatre<br />

musiciens abandonnent un temps<br />

leur instrument respectif pour un<br />

immense solo sur un tambour géant, présentée<br />

comme l’un des temps forts des dates<br />

européennes, sera conservée. L’occasion pour<br />

Lars Ulrich de dénicher le meilleur batteur<br />

du groupe après lui ? “C’est James, et de très<br />

loin !, s’esclaffe-t-il. Il est même probablement<br />

meilleur que moi ! Depuis qu’on se<br />

connaît, je l’ai toujours vu adorer jouer de la<br />

batterie. Il a un style assez particulier, pas<br />

forcément très orthodoxe et assez garage-rock<br />

dans l’esprit. L’idée de se retrouver tous les<br />

quatre à taper sur ces gros machins, il en<br />

parle depuis des années. J’ai fini par épuiser<br />

mon lot d’excuses pour ne pas le faire. (Rire.)<br />

C’est un peu son bébé…”<br />

Confirmée également, la présence de cette<br />

exposition itinérante, The Memory Remains,<br />

empruntant subtilement son nom au titre<br />

”<br />

Je suis sidéré quand je vais voir d‘autres<br />

groupes en concert de les découvrir<br />

dans leur loge en train de siroter des bières,<br />

dix minutes avant de monter sur scène.<br />

d’une chanson du groupe, la seule dans toute<br />

la carrière à “voir” la voix de James Hetfield<br />

se mêler à celle d’une femme – Marianne<br />

Faithfull –, ce qui avait déjà fait grincer<br />

quelques dents à l’époque (1997, sur l’album<br />

Reload) quant aux désirs d’évolution musicale<br />

du groupe. Quoi qu’il en soit, en <strong>2017</strong>,<br />

The Memory Remains est un petit musée où<br />

fans et curieux pourront découvrir, entre<br />

autres, des tenues de scène, des paroles<br />

manuscrites (dont une version alternative de<br />

celles de “Creeping Death”), l’artwork originel<br />

des pochettes des albums Ride the<br />

Lightning (1984) et Master of Puppets (1986),<br />

des collections de cassettes (dont une, intitulée<br />

No Life ‘Til Leather, est l’œuvre de<br />

Hetfield en personne), ainsi que des instruments<br />

sur lesquels ces mêmes fans et curieux<br />

pourront tenter d’exercer leurs talents – ou<br />

leur absence de talent… Autant de pépites<br />

issues des collections privées des membres<br />

du groupe. “Bon, d’accord, tenues de scène en<br />

ce qui me concerne, il faut le dire vite, s’amuse<br />

le batteur. Mais il y a vraiment des trucs<br />

assez cool qui devraient plaire à ces fans qui<br />

ont suivi les différentes étapes de notre carrière.<br />

Il y aura aussi des dessins de configurations<br />

de scènes auxquelles nous avons<br />

renoncé. Je fais partie de ceux qui considèrent<br />

que faire partie d’un groupe, c’est<br />

chercher tous les moyens de rester connecté<br />

avec son public, et ce petit musée va dans ce<br />

sens.” Dans une précédente interview, Ulrich<br />

plaisantait en expliquant que si certains<br />

objets avaient été mis sous verre – comme ces<br />

fameuses “tenues de scène” –, c’était moins<br />

par souci de sécurité que pour masquer<br />

l’odeur qui pouvait s’en dégager !<br />

Autre élément désormais incontournable<br />

d’une tournée de Metallica : cette “tuning<br />

room” – juste quelques paravents isolant un<br />

temps le groupe du monde extérieur, un<br />

tapis sous la batterie, un frigidaire et, bien<br />

sûr, tous les instruments et retours son<br />

nécessaires – que le groupe fait installer sur<br />

chaque date et dans laquelle il se retrouve<br />

avant chaque concert, tel un rituel que personne<br />

n’aurait l’idée de remettre en cause.<br />

La tuning room, c’est là où Metallica s’apprête,<br />

se prépare, se met en condition, individuellement<br />

dans un premier temps, puis<br />

collectivement. “En ce qui me concerne, elle<br />

fait partie de mon processus d’échauffement,<br />

précise Ulrich. J’y reste de 20 à 30 minutes,<br />

c’est le bon équilibre pour moi. Robert<br />

[ Trujillo, le bassiste] vient y faire ses vocalises,<br />

Kirk [Hammett, le guitariste soliste]<br />

débarque à son tour, puis James. Chacun a<br />

sa petite routine. Et pour être tout à fait honnête,<br />

c’est à peine si je fais attention à ce<br />

qu’ils font dans ces moments-là, tant je suis<br />

focalisé sur ce que j’ai à faire. Ce n’est que<br />

dans un second temps qu’elle nous sert à<br />

répéter ou à essayer telle ou telle nouvelle<br />

idée. C’est à la fois notre jardin privé et l’endroit<br />

où on se reconnecte tous ensemble.”<br />

Même si tout semble s’y prêter, Lars Ulrich<br />

rechigne à parler de superstition à propos de<br />

cette tuning room. La seule habitude du<br />

groupe qui pourrait s’en rapprocher est de<br />

finir systématiquement la répétition du soir<br />

en jouant dans son intégralité le morceau qui<br />

ouvrira le concert quelques minutes plus<br />

tard. C’est à peine si d’autres méthodes de<br />

préparation sont envisageables dans l’esprit<br />

du batteur : “Je suis sidéré quand je vais voir<br />

d’autres groupes en concert, y compris quand<br />

il s’agit de potes, de les découvrir dans leurs<br />

loges en train de siroter des bières 10 minutes<br />

avant de monter sur scène. J’adorerais pouvoir<br />

en faire autant, mais ce n’est pas comme<br />

ça que nous fonctionnons…”<br />

Si Lars Ulrich est aussi déterminé dans sa<br />

préparation d’avant-concert, de manière<br />

quasi obsessionnelle – du moins dans sa<br />

façon de le formuler –, c’est aussi parce qu’il<br />

a été à bonne école. Son père, Torben Ulrich,<br />

était tennisman professionnel au Danemark,<br />

et il n’était pas le seul au sein de la famille à<br />

considérer les tâches athlétiques comme primordiales.<br />

Logique relation de cause à effet,<br />

Lars a souvent fait la corrélation entre le<br />

sport et la discipline indispensable que<br />

nécessite la dimension physique de son rôle<br />

dans le groupe. “D’une certaine manière en<br />

effet, j’aborde les choses un peu comme les<br />

sportifs de haut niveau : aller courir,<br />

m’échauffer, m’étirer, manger léger”, détaille-<br />

“<br />

t-il. Bon, OK, cela ne l’a pas empêché par le<br />

passé de privilégier d’autres hygiènes de vie<br />

et les rapprochements prolongés avec toutes<br />

sortes de substances diverses et variées qui<br />

n’auraient pas manqué de rendre chèvre les<br />

préposés aux analyses de tests antidopage<br />

inopinés, mais on ne va pas mégoter pour si<br />

peu. Et qu’allez-vous rétorquer à un type<br />

vous assénant en guise de conclusion sur le<br />

sujet : “Qui ne voudrait pas être Keith<br />

Richards, hein ? Mais ça ne marche pas<br />

pour Metallica…”<br />

Ce qui semble fonctionner à merveille<br />

en revanche, c’est le “modus operandi”<br />

sur lequel sont parvenus à<br />

s’entendre Lars Ulrich et James<br />

Hetfield, au nom du groupe et de ce<br />

que peut impliquer de le maintenir<br />

à flot. Loin est le temps où chacun de ces<br />

deux-là semblait davantage animé par l’envie<br />

d’imposer ses idées et ses envies à l’autre – et,<br />

par ricochet, son leadership – quitte à laisser<br />

s’installer quelques fissures dans l’édifice.<br />

A contrario, insinuer que tout peut partir en<br />

vrille au moindre moment apparaît presque<br />

8 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


© GETTY IMAGES<br />

comme un jeu chez l’un et l’autre, Hetfield<br />

surtout. Une situation parfaitement et malignement<br />

résumée par le chanteur lorsqu’il<br />

lâchait à la BBC, il y a quelques mois, à la<br />

sortie de Hardwired… : “Nous savons où se<br />

trouvent tous les boutons nucléaires entre<br />

nous, mais nous faisons en sorte de ne pas les<br />

actionner.”<br />

La tirade fait rire son comparse, qui<br />

se fait une fois de plus magnanime.<br />

“Bien sûr que tout peut s’écrouler du<br />

jour au lendemain, mais disons que<br />

nous en sommes bien plus conscients<br />

que par le passé. Une fois encore,<br />

jouer la musique qui est la nôtre à 53 ans,<br />

c’est précisément garder dans un coin de la<br />

tête que ça peut s’arrêter à tout moment, et ça<br />

dépasse largement le simple cadre du groupe.<br />

Mais pourquoi devrions-nous mettre en<br />

danger une chose à laquelle tant de gens<br />

prêtent toujours autant attention, ce dont<br />

nous sommes fiers, et qui nous pousse à la<br />

fois à rester humbles ? Pourquoi devrionsnous<br />

fragiliser un groupe qui a changé la vie<br />

de tant de gens, comme ils viennent nous le<br />

“Let’s Do Our Thing Together”<br />

Ulrich a annoncé un show entièrement<br />

nouveau et concédé que la scène serait centrale.<br />

raconter lors des meet and greet ? Aucun de<br />

nous n’a envie que ça s’arrête, encore moins<br />

qu’une petite phrase ou un mot de travers<br />

vienne mettre bêtement le feu aux poudres.<br />

Je veux croire que notre relation avec James<br />

est indestructible et qu’elle peut donc résister<br />

à tout ou à peu près, mais je ne crois pas non<br />

plus dans l’absolu. On m’a appris il y a longtemps<br />

à ne pas utiliser les mots jamais et<br />

toujours. À défaut d’être aussi intime qu’avec<br />

des membres de ma famille, ma relation avec<br />

lui est évidemment singulière : j’ai traversé<br />

plus de choses avec lui qu’avec quiconque. On<br />

se connaît depuis trente-six ans, j’ai passé<br />

plus de temps avec lui qu’avec n’importe qui<br />

d’autre sur cette planète et je ne vois aucune<br />

raison pour que ça ne continue pas.”<br />

Là encore, certains ne manqueront pas d’associer<br />

cette sagesse plus ou moins récente de<br />

la part des deux “ex-belligérants” à la prise<br />

en compte des intérêts communs – et notamment<br />

financiers – à maintenir cette paix des<br />

braves. Elle est en partie vraie, ne nous voilons<br />

pas la face. Mais n’y voir que considérations<br />

stratégiques n’en serait pas moins hors<br />

sujet. “Évidemment que la motivation est<br />

toujours là, s’enflamme à ce sujet le batteur<br />

sans qu’on ait besoin de l’y pousser. Se retrouver<br />

sur une scène comme Bercy ou ailleurs,<br />

c’est la sève d’un groupe de rock. C’est le<br />

moteur, même s’il faut plus de temps pour le<br />

chauffer et que tu te réveilles le matin après<br />

un cauchemar où tu as vu ton bras s’arracher<br />

tout seul de ton corps avec encore une<br />

baguette à la main pour terminer son vol au<br />

milieu du public, et que tu te trouves bien<br />

con au moment où tu lui demandes si tu<br />

peux le récupérer, ce bras ! (Rire.) Il y a<br />

quelque chose de libérateur dans la satisfaction<br />

que tu ressens quand tout a fonctionné<br />

sur un concert. La connexion qui s’est opérée<br />

avec les trois musiciens qui t’entourent tient<br />

de l’euphorie, de la pure magie. C’est un sentiment<br />

qui vaut tout le reste. Et tu voudrais<br />

que l’on se passe de ça ?”<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 9


FACE À FACE<br />

QUAND J’ENTENDS SGT. PEPPER,<br />

JE SORS MON REVOLVER…<br />

Sgt. Pepper a donc 50 ans. Mais permettezmoi<br />

néanmoins de lui préférer son prédécesseur,<br />

j’ai nommé le fabuleux Revolver.<br />

“Quoi ?”, dira en lisant cela, une grande partie<br />

de l’auditoire des liverpuldiens, qui porte<br />

Pepper aux nues pour des raisons bien compréhensibles<br />

: nostalgie personnelle pour<br />

certains, Pepper étant perçu : 1) comme un (si<br />

ce n’est LE) symbole du “summer of love” et<br />

de ses ramifications sociales et sociétales implicites<br />

; 2) un album censé représenter la<br />

quintessence (régulièrement vantée) d’un<br />

groupe au sommet de son art (ou supposément)<br />

; 3) cet opus renfermant à lui seul tout<br />

un pan de la culture des 60’s. Et très certainement<br />

du xx e siècle aussi. (…) Sauf que. À partir<br />

de là, la seule limite, pour ainsi dire,<br />

semble être celle de l’ouverture d’esprit justement,<br />

comme suggéré – déjà – dans<br />

“ Tomorrow Never Knows”… D’où l’autorité<br />

naturelle, antérieure, exercée là aussi par<br />

Revolver à mon humble avis.<br />

Eleonore (par e-mail)<br />

FROM MINNEAPOLIS WITH LOVE<br />

Merci à <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> de nous avoir emmenés<br />

en vacances avant l’heure. J’ai dévoré votre<br />

reportage sur Minneapolis et le Minnesota,<br />

c’est un trip que j’ai toujours rêvé de faire. Et<br />

je pense qu’enquiller la Highway 61 avec le<br />

“disque éponyme” comme vous dites, doit<br />

être un grand moment, surtout en allant chez<br />

Bob Dylan. J’avais l’impression d’être avec<br />

vous, en train de chercher de la bonne musique<br />

sur l’autoradio. Continuez à nous faire<br />

voyager sur les routes du rock ! C’est quoi le<br />

prochain arrêt ?<br />

Frédéric, Marseille<br />

WELCOME (BACK) TO THE JUNGLE<br />

Salut les rockers. J’avoue je suis allé un peu<br />

sceptique au show des Guns N’ Roses au<br />

Stade de France. Et puis, hein, les vieux chevelus,<br />

moi qui compte ceux qui me restent,<br />

pas trop mon truc. Mais bon, la nostalgie est<br />

quand même une vieille bitch rusée. Et passée<br />

la mise en voix d’Axl, je dois dire que je<br />

m’en suis pris plein ma vieille tronche. Au<br />

diable (oui, au diable) les a priori, les GnR<br />

ont peut-être repris la route pour le pognon,<br />

mais au vu de ce qu’ils ont dégainé, je regrette<br />

pas de leur avoir donné le mien.<br />

Appetite For Destruction vient de célébrer<br />

ses 30 ans, on se fait vieux, ça valait le coup<br />

de s’offrir ces trois heures (eh ouais !) de<br />

grosse fiesta graisseuse !<br />

Pierre Olivier (par e-mail)<br />

“Merci pour<br />

votre<br />

hommage<br />

‘pré-mortem’<br />

à Glen<br />

Campbell”<br />

Pierre (Rodez)<br />

Olivier Tixier @OlivierTixier<br />

#MickJagger #HappyBirthdayMick 74 balais<br />

toujours en forme comme quoi le sexe la drogue<br />

et le rock’n roll ça conserve<br />

Aurelien Beaucamp @aurebeaucamp<br />

Consécration ! @assoAIDES VIH: les associations<br />

chargent Macron - <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />

Laurent D. Samama @ldsamama<br />

Merci à @75_belkacem et Xavier Bonnet pour<br />

cette jolie critique de “Kurt” publiée dans<br />

@<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra #throwback<br />

Epixod @Epixod_Le_Blog<br />

@<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra Mille mercis pour les places de<br />

#cinema pour #SongToSong. C’est super !<br />

Jen Gloeckner @jengloeckner<br />

Some wonderful words about VINE from <strong>Rolling</strong><br />

<strong>Stone</strong> Magazine @<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra!<br />

Radiophonic Tuckshop @RTuckshop<br />

New feature on us by the French branch of <strong>Rolling</strong><br />

<strong>Stone</strong> magazine! Not translated it yet!<br />

@<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra<br />

Rob Benedict @RobBenedict<br />

If you speak French then you’ll really dig the<br />

article on @LoudenSwain1 I did for @<strong>Rolling</strong>-<br />

<strong>Stone</strong>Fra. Merci!<br />

Simple @streamadelica<br />

Albé est dans @<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra<br />

EICAR @ecoleEICAR<br />

À lire cet #été pour tous les #passionnés de<br />

#musique et de #cinéma !<br />

<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> France @<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra<br />

Ciné Rock’n’Soul : Quand le cinéma se fait musical<br />

Elodie Schindler @ESchindlerICRC<br />

La bonne nouvelle du vendredi: achète de la<br />

bonne musique et fais une bonne action! Fonds<br />

reversés au @CICR_fr. Merci @garbage you rock!<br />

ÉCRIVEZ À<br />

LA RÉDACTION<br />

Rédaction@rollingstone.fr @<strong>Rolling</strong><strong>Stone</strong>Fra www.facebook.com/rollingstonefr www.instagram.com/rollingstonefrance<br />

10 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


CONTRIBUTEURS<br />

ALEX JAFFRAY<br />

COMPOSITEUR, PRODUCTEUR,<br />

CHRONIQUEUR<br />

—<br />

Il a fondé l’agence sonore Start-Rec, dont<br />

le nom facilite la téléportation pour être à la fois<br />

compositeur, producteur et chroniqueur musical.<br />

Compositeur pour le cinéma et music supervisor,<br />

il a également composé de nombreux habillages<br />

sonores pour des chaînes de télévision, de<br />

programmes, ainsi que de nombreuses bandessons.<br />

Il anime également la chronique musicale<br />

de Télématin sur France 2, ce qui lui offre<br />

un lien privilégié et des rencontres rares avec<br />

Lalo Schifrin, Craig Armstrong, Hans Zimmer,<br />

Alexandre Desplat ou Sting… Dans ce numéro, il<br />

revient sur ses rencontres avec Ennio Morricone.<br />

VINCENT GUILLOT<br />

JOURNALISTE<br />

—<br />

Membre de la rédaction depuis 2008,<br />

ce journaliste est un véritable touche-à-tout :<br />

passé par la presse ado, la presse sport<br />

et la presse masculine, il œuvre également<br />

en télévision. Pour <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>, il a signé<br />

quelques papiers remarqués sur son idole<br />

Neil Young. Il s’occupe entre autres<br />

personnellement du courrier des lecteurs.<br />

Dans ce numéro, il nous conte la visite<br />

de Deep Purple à Monaco et s’est rendu<br />

à Londres à la rencontre des Killers.<br />

STAN CUESTA<br />

JOURNALISTE<br />

—Journaliste musical (Rock&Folk, Mojo,<br />

<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>), il est l’auteur de nombreux<br />

livres sur le rock, notamment Jeff Buckley,<br />

Raw Power : une histoire du punk américain<br />

et Nirvana, une fin de siècle américaine<br />

(Le Castor astral), ainsi que Dylan Cover<br />

(Le Layeur). Il a également traduit une dizaine<br />

d’ouvrages parmi lesquels John Cale : une<br />

autobiographie (Au Diable Vauvert), New York<br />

73/77 de Will Hermes, Born To Be Wild : Dennis<br />

Hopper, de Tom Folsom et Altamont de Joel<br />

Selvin (Rivages Rouge). Pour ce numéro, il est<br />

allé au festival country de Craponne-sur-Arzon<br />

pour rencontrer la divine Emmylou Harris.<br />

STEPHEN RODRICK<br />

JOURNALISTE ET ÉCRIVAIN<br />

—Ce journaliste américain écrit très<br />

régulièrement pour le magazine du New York<br />

Times et pour Men’s Journal. On peut le lire<br />

régulièrement également dans les pages<br />

de <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>. S’il écrit principalement sur<br />

la politique, le cinéma et le sport, cet enquêteur<br />

de haut vol signe des articles au long cours :<br />

ainsi suit-il ses sujets des mois durant avant<br />

de se mettre à écrire. Il doit sa réputation<br />

à la qualité de ses portraits, très renseignés<br />

et fourmillants d’anecdotes, notamment celui<br />

de Rudy Giuliani pour le NYT Magazine. Pour<br />

ce numéro, il dresse un étonnant portrait de<br />

Justin Trudeau, le Premier ministre canadien.<br />

ROLLING STONE FRANCE<br />

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION :<br />

Patrick Guérinet (patguerinet@positivemedia.fr)<br />

RÉDACTEUR EN CHEF :<br />

Belkacem Bahlouli<br />

SECRÉTAIRE DE RÉDACTION :<br />

Gaëlle Cazaban<br />

RÉDACTEUR-GRAPHISTE : Maxime Orio<br />

RÉDACTION : 53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris<br />

Tél. : 01 44 39 78 20<br />

redaction@rollingstone.fr<br />

ONT PARTICIPÉ À CE NUMÉRO : Loraine Adam,<br />

Kathleen Aubert, Philippe Barbot, Yves Bigot,<br />

Philippe Blanchet, Xavier Bonnet, Bertrand<br />

Deveaud, Stan Cuesta, Alain Frétet, Alain<br />

Gouvrion, Vincent Guillot, Alex Jaffray, Dom<br />

Kiris, Philippe Langlest, Baptiste Manzinali, Matt<br />

Murdoch, Bruno Patino, Stephen Rodrick,<br />

Sophie Rosemont, Pierre Stemmelin, Sébastien<br />

Spitzer, Silvère Vincent.<br />

FABRICATION :<br />

Bertrand Creiser (bcreiser@positivemedia.fr)<br />

DIRECTION DIGITALE :<br />

Alma Rota (arota@positivemedia.fr)<br />

PARTENARIATS / MARKETING :<br />

sales@positivemedia.fr<br />

ADMINISTRATION ET GESTION :<br />

53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris.<br />

Tél. : 01 44 39 78 20<br />

PRÉSIDENT : Olivier Querenet<br />

COMPTABILITÉ : finances@positivemedia.fr<br />

SERVICE DES VENTES : À Juste Titres<br />

Hélène Ritz (h.ritz@ajustetitres.fr), Benjamin<br />

Boutonnet (b.boutonnet@ajustetitres.fr)<br />

Tél. : 04 88 15 12 44 – Fax : 04 88 15 12 49<br />

67, avenue du Prado, 13006 Marseille<br />

Numéro réservé aux dépositaires<br />

et diffuseurs de presse.<br />

Réassort et quantités modifiables<br />

sur www.direct-editeurs.fr<br />

PUBLICITÉ : Mediaobs – 44, rue Notre-Damedes-Victoires,<br />

75002 Paris. Tél. : 01 44 88 97 79<br />

Tél. : 01 44 88 suivi des 4 chiffres<br />

E-mail : pnom@mediaobs.com<br />

DIRECTRICE GÉNÉRALE : Corinne Rougé (93 70)<br />

DIRECTRICE DE PUBLICITÉ : Sandrine Kirchthaler (89 22)<br />

DIRECTEUR DE CLIENTÈLE : Frédéric Arnould (97 52)<br />

ASSISTANTE : Sonia Ichou (97 53)<br />

STUDIO : Cédric Aubry (89 05)<br />

ADV : Caroline Hahn (97 58)<br />

COMPTABILITÉ : Catherine Fernandes (89 20)<br />

SERVICE ABONNEMENTS : 03 88 66 11 20<br />

ABO PRESS, 19, rue de l’Industrie,<br />

67400 Illkirch, France<br />

E-mail : rollingstone@abopress.fr<br />

Fax : 03 88 66 86 42<br />

Abonnement : bulletins page 45 et page 82<br />

PRIX ABONNEMENT UN AN : 107,39 €<br />

ROLLING STONE USA<br />

EDITOR & PUBLISHER : JANN S. WENNER<br />

MANAGING EDITOR : JASON FINE<br />

DEPUTY MANAGING EDITOR : SEAN WOODS<br />

ASSISTANT MANAGING EDITORS : CHRISTIAN HOARD,<br />

ALISON WEINFLASH<br />

SENIOR WRITERS : DAVID FRICKE, ANDY GREENE<br />

BRIAN HIATT, PETER TRAVERS<br />

SENIOR EDITOR : PATRICK DOYLE, ROB FISCHER,<br />

THOMAS WALSH<br />

DESIGN DIRECTOR : JOSEPH HUTCHINSON<br />

CREATIVE DIRECTOR : JODI PECKMAN<br />

VICE PRESIDENT : TIMOTHY WALSH<br />

CHIEF REVENUE OFFICER : MICHAEL PROVUS<br />

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LICENSING & BUSINESS AFFAIRS : MAUREEN A. LAMBERTI<br />

(EXECUTIVE DIRECTOR), AIMEE S. JEFFRIES (DIRECTOR),<br />

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ROLLING STONE INTERNATIONAL<br />

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whole or in part without permission is prohibited. The name ROLLING STONE<br />

and the logo thereof are registered trademarks of ROLLING STONE LLC, which<br />

trademarks have been licensed to POSITIVE MEDIA.<br />

ROLLING STONE N° 97 – MENSUEL, NUMÉRO SEPTEMBRE <strong>2017</strong> — est une publication<br />

éditée par POSITIVE MEDIA, SAS au capital de 1000 euros. RCS Paris 815 139 977.<br />

Siège social et rédaction : 53, rue Claude-Bernard, 75005 Paris. Tél. :<br />

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de commission paritaire : 1220 K 82240. ISSN : 1764-1071.<br />

Imprimé par Aubin Imprimeur, Ligugé. Les documents reçus ne sont<br />

pas rendus, et leur envoi implique l’accord de l’auteur pour leur<br />

libre publication. © <strong>2017</strong>/POSITIVE MEDIA<br />

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L’ENSEMBLE DE NOS EXEMPLAIRES EST COMPOSÉ DE PAPIERS CERTIFIÉS<br />

PEFC, ISSUS DE FORÊTS GÉRÉES DURABLEMENT.<br />

© DR<br />

12 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


SOMMAIRE<br />

ROLLING STONE<br />

N o 97 – SEPTEMBRE <strong>2017</strong><br />

L’ÉVÉNEMENT<br />

4 Metallica<br />

À l’aube d’une tournée européenne<br />

qui ne manquera pas de confirmer son<br />

statut d’inamovible fer de lance du metal,<br />

son batteur Lars Ulrich se confie sur<br />

l’état d’esprit du groupe, ses ambitions<br />

et… le temps qui passe.<br />

ÉDITOS<br />

Faire revivre ces moments d’énergie pure qu’étaient<br />

les concerts de Rage Against the Machine ?<br />

Pas seulement pour le “rock-activist” Tom Morello.<br />

POWER !<br />

Tom Morello a repris sa guitare de pèlerin<br />

avec son supergroupe, The Prophets of Rage.<br />

3 Piège à sons,<br />

par Belkacem Bahlouli<br />

16 My Back Pages,<br />

par Bruno Patino<br />

18 La Playlist, par Dom Kiris<br />

19 Sign O’The Times, par Yves Bigot<br />

ROCK’N’ROLL<br />

21 Foo Fighters’All-Stars<br />

Dave Grohl et sa bande sont de retour.<br />

Dans leur besace, un nouvel album avec le<br />

producteur d’Adele et des invités surprise.<br />

30 Frank Darcel<br />

Musicien, écrivain, producteur, éditeur<br />

et militant… Avec près de quarante ans<br />

de carrière, l’ex-Marquis de Sade est<br />

à nouveau sur le devant de la scène.<br />

36 Emmylou Harris<br />

Orbison, Dylan, Parsons, Crowell… Les plus<br />

grands songwriters américains ont offert<br />

un écrin à sa voix magique. Rencontre.<br />

MAGAZINE<br />

48 Étoile du nord<br />

Il a eu une enfance dorée et traversa<br />

bien des drames avant de devenir Premier<br />

ministre du Canada. Justin Trudeau<br />

est-il le dernier espoir du monde libre ?<br />

58 Culture rock<br />

Charles Berbérian est autant dessinateur,<br />

auteur de BD que musicien. Rencontre<br />

avec ce fan de folk californienne.<br />

62 Festivals<br />

Tout l’été, la rédaction de <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />

est partie sur les routes, de Craponnesur-Arzon<br />

à Chicago en passant par Paris<br />

ou Louisville, pour faire un point complet<br />

sur les scènes rock.<br />

EN COUVERTURE<br />

Metallica<br />

Par Peter Yang/August-Agence A<br />

70 La Rage de Tom Morello<br />

Nul n’est prophète en son pays ? Ce vieil<br />

adage a-t-il encore cours ? Interview<br />

des leaders de ce supergroupe.<br />

74 Il Maestro<br />

N’est pas le maître qui veut. Alors que<br />

son passage annoncé dans la capitale<br />

française, le 21 septembre prochain,<br />

affiche complet, portrait de l’homme à la<br />

baguette magique par deux compositeurs<br />

français : Alex Jaffray et Olivier Florio.<br />

80 État de grâce<br />

Il aura mis cinq longues années<br />

à peaufiner la sortie de ce live capté<br />

à Londres et destiné à célébrer les 25 ans<br />

de son album Graceland. Making of<br />

d’un disque de légende.<br />

GUIDE<br />

83 Musique<br />

Villains ? Drôle de titre pour le nouvel<br />

album de Queens of The <strong>Stone</strong> Age.<br />

Disque du mois, donc...<br />

90 Ciné<br />

120 battements par minute<br />

C’est LE film qu’on attendait de voir,<br />

traitant cette zone d’ombre et de<br />

fantômes, les années 1990 en France,<br />

vues par les séropositifs.<br />

92 Série TV<br />

Engrenages, saison 6<br />

En transférant l’essentiel de sa trame<br />

en banlieue, la série policière fait mieux<br />

que mettre ses personnages en danger…<br />

© GETTY IMAGES<br />

14 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


MY BACK PAGES<br />

Par Bruno Patino<br />

<strong>2017</strong>, Summer of rien ?<br />

“P<br />

ASSÉ UN CERTAIN ÂGE, ON NE VOYAGE PLUS<br />

qu’entre cimetières et bibliothèques”, regrettait l’écrivain<br />

Roger Stéphane. Pour beaucoup d’entre nous,<br />

avant une certaine époque, nous voyageâmes entre<br />

salles de concert et disquaires. Traverser l’Atlantique, c’était bien<br />

sûr se presser au café Wha? du Village, ou au Madison Square<br />

Garden de la 34 e , mais c’était aussi avoir la certitude de dépenser<br />

plus que de raison dans ces grands temples du disque qu’étaient<br />

les Tower Records de Broadway, de San Francisco ou de L.A. pour<br />

rapporter dans les sacs en plastique jaune des disques qui feraient<br />

l’envie de ceux qui n’avaient pas eu la chance de partir, et qu’il<br />

faudrait dupliquer à l’infini sur des cassettes de mauvaise qualité.<br />

Voyager, c’était aussi suivre le circuit des échoppes spécialisées en<br />

disques pirates, sur Bleecker Street, où l’on pouvait compléter la<br />

collection des Lost Lennon Tapes, acquérir le Follow That Dream<br />

de Springsteen (ou sa série de concert au Roxy de 1978), s’offrir le<br />

“Train for Bruxelles” des <strong>Stone</strong>s et, pour les plus obstinés, les<br />

Basements Tapes originales de<br />

Il y avait pourtant de quoi faire : crise de la<br />

démocratie représentative, Brexit, élection<br />

de Donald Trump, “dégagisme”…<br />

Dylan : pochette blanche, tampon<br />

bleu, étiquette blanche aux<br />

lettres tapées à la machine,<br />

booklet ronéotypé sur papier<br />

rose : une merveille.<br />

Ces souvenirs résonnent<br />

comme la mélodie d’un temps révolu. Tout est dorénavant disponible<br />

partout, et, pour trouver la musique que l’on cherche, les algorithmes<br />

sont plus efficaces que la déambulation géographique. On<br />

ne voyage plus, on surfe. On ne trouve plus, on trie. On ne rapporte<br />

plus, on share. Les plateformes sont nos nouvelles églises : un clic<br />

suffit pour s’y rendre, mais la multitude qui s’y presse n’empêche<br />

pas la solitude, ni l’exhaustivité le sentiment de pauvreté. L’excitation<br />

même des pirates s’est évaporée : les concerts de Springsteen<br />

sont téléchargeables et livrables en format CD, les <strong>Stone</strong>s ressortent<br />

en pressage vinyle “from the Vault” leurs shows des années<br />

1970, et Dylan a ajouté à son Never Ending Tour une sorte de<br />

“never ending publishing”. Les Tower Records ont fermé, celui de<br />

San Francisco est devenu un parking.<br />

Dorénavant, voyager outre-Atlantique, c’est affronter la muséification<br />

du rock. Nashville en offre un incroyable exemple : musée<br />

Johnny Cash, musée Patsy Cline, musée Willie Nelson, musée<br />

Studio B (celui d’Elvis et des Everly), et bien sûr, Country Music<br />

Hall of Fame, gigantesque bâtiment qui regroupe archives, costumes,<br />

instruments, enregistrements, disques d’or par milliers,<br />

rotonde commémorative et curiosités diverses (dont les deux<br />

Cadillac d’Elvis, celle avec pare-chocs en or et télévision à l’arrière<br />

et celle avec levier de vitesse en forme de selle de cheval et colts en<br />

poignées de porte) et qui ne se visite pas en moins de trois heures.<br />

Un musée comme un autre, avec sa collection permanente et ses<br />

expositions thématiques pas forcément incontestables : celle en<br />

cours, “Dylan, Cash and the Nashville Cats”, propose de faire de la<br />

rencontre entre New York et Nashville la pierre angulaire du rock<br />

au mitan des années 1960.<br />

La patrimonialisation du rock fige-t-elle le temps ? Ramène-t-elle<br />

cette musique à la célébration permanente de l’ensemble de son<br />

passé ? Quel été étrange, quand même, que l’été <strong>2017</strong>. U2 qui affole<br />

les stades avec son Joshua Tree, Brian Wilson qui amorce sa tournée<br />

américaine en revisitant Pet Sounds, le stade des Mets, dans<br />

le Queens, qui accueille les Eagles, Steely Dan et les Doobie<br />

Brothers, sur le modèle du Desert Trip de Coachella,qui regroupait<br />

en octobre dernier Dylan,<br />

McCartney, les <strong>Stone</strong>s, Neil<br />

Young, les Who et Roger<br />

Waters, en les obligeant à interpréter<br />

une grande partie de<br />

leur répertoire passé devant<br />

un public aux cheveux gris.<br />

D’un autre côté, des festivals à l’énergie formidable, souvent pleins,<br />

dans les endroits les plus improbables et devant un public jeune et<br />

enthousiaste. Et enfin, des anniversaires comme s’il en pleuvait :<br />

la mort d’Elvis, Sgt. Pepper, le Summer of love, et on en passe.<br />

Mais, dans l’ensemble, rien qui, véritablement, s’impose à tous.<br />

Aucune bande-son qui puisse collectivement résumer l’été. <strong>2017</strong><br />

ne fut pas un nouveau Summer of love. Ce fut un summer of rien,<br />

ou au mieux, un summer of beaucoup trop de choses. Les anniversaires,<br />

à trop se bousculer, se sont annulés. Le passé a été convoqué,<br />

mais pour mieux éclipser le présent. Il y avait pourtant de quoi<br />

faire : crise de la démocratie représentative, Brexit, élection de<br />

Donald Trump, “dégagisme”, sociétés socialement fragmentées,<br />

inégalités excessives, inacceptable traitement des migrants, crise<br />

syrienne, autoritarisme turc, chaos vénézuélien… Face à tout cela,<br />

il n’y a eu que le silence assourdissant des amplis. Et l’on en vient<br />

à regretter que le seul anniversaire auquel on ait échappé ait été<br />

celui du mouvement punk. “No future”, c’était peut-être, pourtant,<br />

le son du présent.<br />

© 2016 KYODO NEWS<br />

16 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


shops + tendances<br />

en mode<br />

#TooCrazy<br />

#Indécise<br />

#Audacieuse<br />

#Pétillante<br />

#Chaussures<br />

#Vêtements<br />

#Accessoires<br />

#Mode


LA PLAYLIST<br />

CHAQUE MOIS, DOM KIRIS DE OÜI FM NOUS LIVRE SES COUPS DE CŒUR<br />

1. UNKLE<br />

“Waiting for the Rain”<br />

(feat. Mark Lanegan)<br />

Mo’Wax<br />

Le grand retour du collectif de James<br />

Lavelle, l’un des artistes les plus influents<br />

de la scène électro-rock britannique. Tel un<br />

metteur en scène, le pionnier du sampling<br />

réactive les productions cinématographiques<br />

de UNKLE en soignant son casting. Dans<br />

le premier rôle, Mark Lanegan irradie de sa<br />

voix caverneuse ce boléro new wave en guise<br />

de premier single.<br />

2. Queens of the <strong>Stone</strong> Age<br />

“The Way You Used To Do” WEA<br />

Il a beau être le dernier des rockers un peu crédible,<br />

Josh Homme a craqué sur les productions de Mark<br />

Ronson. Je vous rassure, on est loin de Uptown Funk,<br />

mais le maître des dance floors a quand même mis<br />

les mains dans les riffs des rugueux QOTSA pour les<br />

rendre un poil plus sexy !<br />

4. Arcade Fire<br />

“Everything Now”<br />

Columbia<br />

Arcade Fire veut tout, et tout de suite. Les idées fusent,<br />

mais s’emboîtent tellement bien qu’on en oublie l’étonnant<br />

mélange de style en équilibre. Durant tout l’été, on aura dansé<br />

sans le savoir sur de la pop suédoise, des guitares berlinoises,<br />

des flûtes africaines, le tout samplé ou joué par ces diables<br />

de Canadiens produit par une moitié de Daft Punk.<br />

7. Peter Perrett<br />

“How the West Was Won”<br />

Domino<br />

Retrouver intacte la voix blanche sous tension de Peter<br />

Perrett est assez troublant. Près de quarante ans après<br />

la fulgurante apparition de The Only Ones, à la jonction<br />

du punk et de la new wave, ce grand perdant magnifique<br />

réapparaît comme par miracle entouré de ses fils musiciens.<br />

Lui-même étant un héritier en ligne directe de Lou Reed.<br />

3. Royal Blood “Lights Out”<br />

WEA<br />

Aucune guitare n’a été martyrisée sur ce nouvel album<br />

de Royal Blood et pourtant, on prend encore une fois<br />

une belle décharge d’énergie électrique. Uniquement<br />

concentré sur un raffut basse/batterie monstrueux,<br />

le duo britannique de la race des saigneurs conserve le<br />

titre du renouveau rock le plus percutant du moment.<br />

5. FFF “Monkee”<br />

Bonus Tracks Record<br />

De bonnes raisons<br />

humanitaires ont fait<br />

remonter sur scène FFF,<br />

pour une réjouissante<br />

reformation après dix-sept<br />

années sans sortir de<br />

disque. La formule magique<br />

de la Fédération Française<br />

de Fonck a repris tout<br />

de suite dans le feu<br />

des concerts, désormais<br />

concrétisé par ce coup de<br />

semonce proto punk excité<br />

comme un singe en été.<br />

6. LCD<br />

Soundsystem<br />

“Call the Police”<br />

DAF<br />

Après des faux adieux<br />

au Madison Square<br />

Garden il y a six ans, LCD<br />

Soundsystem a retrouvé<br />

le chemin des studios.<br />

Le leader James Murphy<br />

a fait main basse sur les<br />

productions de Brian Eno,<br />

aussi bien en empruntant<br />

les synthés de “Heroes”<br />

de Bowie que les échos<br />

de guitare de U2.<br />

TOP LIST<br />

Nick<br />

Lowe<br />

CINQ CHANSONS<br />

QU’AIME MON FILS<br />

Lowe, dont les albums des<br />

années 1980 viennent d’être<br />

réédités, a sélectionné des titres<br />

éclectiques qu’il a fait écouter<br />

à son fils Roy, 12 ans, pour lui faire<br />

découvrir divers genres musicaux.<br />

EDDIE COCHRAN<br />

“Cut Across Shorty”<br />

On dirait une comptine jouée<br />

sur un très agréable rythme de<br />

skiffle, qui était la version anglaise<br />

du rockabilly. Eddie Cochran<br />

avait tout compris.<br />

BING CROSBY<br />

ET LOUIS ARMSTRONG<br />

“Now You Has Jazz”<br />

À cause de ces voix tellement<br />

caractéristiques, on dirait un peu<br />

la bande-son d’un dessin animé.<br />

Bing Crosby était un Blanc<br />

qui savait swinguer.<br />

JOHN HOLT<br />

“Ali Baba”<br />

C’est la retranscription d’un rêve<br />

dans lequel John est poursuivi<br />

par tout un tas de personnages<br />

de contes de fées, le tout posé<br />

sur un énorme groove comme<br />

en produisait Studio One. Génial.<br />

RON SEXSMITH<br />

“Gold in Them Hills”<br />

Un petit bijou que l’on doit au<br />

dernier songwriter à savoir où est<br />

rangé le seau du puits à mélodies.<br />

SHALAMAR<br />

“A Night To Remember”<br />

Je décrirais ce titre comme un<br />

magnifique tube des années 1980,<br />

taillé pour faire danser. Le rythme<br />

est génial, la chanson est ludique,<br />

intelligente. Mon fils Roy a adoré.<br />

© STEVE GULLICK. 4X. DR.<br />

18 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr Septembre <strong>2017</strong>


SIGN O’THE TIMES<br />

Par Yves Bigot<br />

Avant-garde<br />

© CHRISTOPHE GUIBBAUD. GETTY IMAGES.<br />

“ S<br />

i en 1966, les Beatles avaient collaboré avec Pierre Henry,<br />

comme Paul McCartney en avait l’intention, l’histoire de<br />

la musique du XX e siècle en eût été révolutionnée”, écrivait<br />

Mojo en 2001. Elle le fut, malgré tout, par cet aventurier<br />

du son comme liturgie, qui aura inventé, engendré, inspiré<br />

pas moins de trois genres majeurs, tout en atteignant à deux<br />

reprises – à trente ans d’intervalle – le<br />

statut de star du hit-parade.<br />

Le décès de Pierre Henry, le 5 juillet,<br />

aété salué par l’ensemble de la presse<br />

internationale : Brian Eno, Mickey Hart<br />

(Grateful Dead), Jean-Michel Jarre,<br />

notamment, ont témoigné de leur dette<br />

envers l’un des rares musiciens français<br />

à avoir pesé sur son époque.<br />

Élève d’Olivier Messiaen et de Nadia<br />

Boulanger il avait rejoint Pierre<br />

Schaeffer au studio d’essai de la RTF.<br />

Symphonie pour un homme seul (1950),<br />

leur manifeste d’ingénieurs-musiciens,<br />

fonde la musique concrète, destinée à<br />

“déconstruire la musique pour que résonne<br />

l’harmonie des sphères.”<br />

Cette avant-garde sonique connaîtra<br />

son apogée en 1963 avec ses Variations<br />

pour une porte et un soupir. Entendue<br />

dans la série les Soprano, cette pièce<br />

constituera une influence majeure du<br />

rock progressif anglais – Pink Floyd,<br />

Soft Machine et, plus tard, Radiohead.<br />

Mais c’est surtout avec Le Voyage que<br />

Pierre Henry va fasciner la génération<br />

rock des années 1960 et les hippies,<br />

friands du Livre des morts tibétain qu’il<br />

illustre : les Beatles (“Tomorrow Never<br />

Knows”) et Jimi Hendrix (Are You<br />

Experienced) à Londres, Frank Zappa<br />

et les Mothers of Invention (Freak Out!) à Los Angeles, Jefferson<br />

Airplane (“Would You Like a Snack?”), Grateful Dead qu’il admirait<br />

(Anthem of the Sun) et David Crosby (“I’d Swear There Was<br />

Somebody Here”) à San Francisco, Gong dans le sud de la France.<br />

Pierre Henry, un des rares musiciens<br />

à avoir pesé sur son époque.<br />

Plus tard, Rodolphe Burger et Rita Mitsouko. “Je l’écoutais au<br />

lycée, en même temps que Jimi Hendrix, expliquait Fred Chichin.<br />

Il a ouvert un univers de sons et donné l’envie de musique électroacoustique.<br />

Il a une conception du son très physique, contrairement<br />

à beaucoup de compositeurs contemporains, qui nient le<br />

plaisir du mouvement, de la matière et des corps. Il est extrêmement<br />

moderne avec son côté sound<br />

system – c’est pour ça que l’intelligentsia<br />

l’a marginalisé.”<br />

Ce flirt avec le rock se concrétise par sa<br />

Messe de Liverpool (1967) et les Jerks<br />

électroniques Yper-Sound de sa Messe<br />

pour le temps présent. Les premiers se<br />

vendront à des centaines de milliers<br />

d’exemplaires sous leur célèbre pochette<br />

argentée, alors que la seconde entre<br />

dans l’histoire au festival d’Avignon<br />

grâce au Ballet de Béjart. L’album<br />

Ceremony avec Spooky Tooth, ne sera<br />

qu’un épilogue, couronné par un concert<br />

à l’Olympia.<br />

Mais là où l’effet Pierre Henry sur l’histoire<br />

du rock reste un secret bien gardé,<br />

la techno, elle, va le revendiquer comme<br />

son maître fondateur. À tel point<br />

qu’en 1997, William Orbit, Coldcut,<br />

St Germain, etc., lui rendaient hommage<br />

avec Métamorphose, album de<br />

remix qui verra “Psyché Rock” par<br />

Fatboy Slim devenir l’hymne de la<br />

culture dance. Sollicité par Violent<br />

Femmes, collaborant avec Erik Truffaz,<br />

trafiquant avec Propellerheads, Pierre<br />

Henry continuait, à près de 90 ans,<br />

à faire l’événement.<br />

Plasticien, sculpteur, cuisinier, provocateur,<br />

reclus, bougon, maniaque, épicurien<br />

et mystique à la fois, Pierre Henry avait réussi à intéresser<br />

le grand public à l’avant-garde par la grâce de la modernité que<br />

la jeunesse trouvait dans sa musique. N’est-ce pas là le rêve de<br />

tout artiste ?<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 19


ROLLINGSTONE.FR<br />

POLITIQUE<br />

MUSIQUE<br />

TOP LISTES<br />

SARAH SAVOY, LA VOIX DES CAJUNS<br />

La chanteuse et chef Sarah Savoy met son<br />

talent au service de la culture cajun, pour le plaisir<br />

de tous les amateurs de bonne musique.<br />

LE CANNABIS POUR SAUVER PORTO RICO<br />

Au bord de la faillite, l’île des Caraïbes a décidé<br />

de tout miser sur le cannabis à usage médical pour<br />

sortir la tête de l’eau.<br />

MUSIQUE<br />

BROR GUNNAR JANSSON :<br />

UN BLUES QUI A DU BAYOU<br />

Marqué par le diable du Bayou,<br />

Bror Gunnar Jansson a tout tiré des<br />

plus grandes légendes noires.<br />

LIVERPOOL, LET THE MUSIC BE !<br />

Pop, new wave, rock, Britpop… Liverpool a porté<br />

les couleurs de la musique dans toute leur<br />

diversité, sans jamais se cantonner à un seul style.<br />

HOMMAGE<br />

À CHESTER<br />

BENNINGTON<br />

Ses proches<br />

se remémorent les<br />

bons moments et les<br />

instants destructeurs<br />

du chanteur<br />

de Linkin Park.<br />

CULTURE GRAND FORMAT – SOCIÉTÉ<br />

RS LIVE SESSIONS<br />

LES 10 MEILLEURS FILMS DES ANNÉES 1990<br />

Ah, les années 1990 ! La décennie a vu naître<br />

l’avènement du cinéma indie et des blockbusters,<br />

les fight clubs et les cannibales charismatiques…<br />

POLOGNE : AU BORD DU CHAOS<br />

La situation politique et sociale dans le pays<br />

est devenue catastrophique. Découvrez<br />

le reportage exclusif de notre photographe<br />

François Devos : la crise vue de l’intérieur.<br />

RETROUVEZ ROLLING STONE<br />

SUR TOUS VOS SUPPORTS<br />

NUMÉRIQUES<br />

Retrouvez chaque mois en exclusivité<br />

les sessions acoustiques <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />

et des interviews d’artistes.<br />

Au programme de septembre :<br />

BLEEKER<br />

Et aussi : Cotton Belly’s, Frank Carter<br />

& The Rattlesnakes, China Moses…<br />

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20 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


HOMMAGE S. SHEPARD P. 29 | ICÔNE E.HARRIS P. 36 | COLLECTOR P. SIMON P. 80<br />

Le retour<br />

des Foo<br />

Fighters’<br />

All-Stars<br />

Un nouvel album avec<br />

le producteur d’Adele<br />

et des invités surprise.<br />

PAR KORY GROW<br />

Après la mise en<br />

veille des Foo<br />

Fighters, à la fin de<br />

l’année 2015, Dave<br />

Grohl ne savait plus trop quoi<br />

faire de lui-même. “J’ai fait des<br />

barbecues pendant des putains<br />

de mois, mec !, dit-il. Je faisais<br />

huit côtes de bœuf par semaine.<br />

Ça devenait un peu glauque.”<br />

Mais Grohl avait besoin de<br />

temps pour se [Suite p. 22]<br />

© GETTY IMAGES<br />

BIG ME<br />

Grohl au NOS Alive Festival,<br />

au Portugal, en juillet.<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 21


ROCK & ROLL<br />

CÉRÉMONIE<br />

Dom Kiris,<br />

grand ordonnateur de la soirée.<br />

Un grand cru 2016<br />

La 2 e édition des OÜI FM<br />

Rock Awards, organisée par<br />

la célèbre station parisienne,<br />

s’est tenue au Trianon.<br />

Le compte rendu sur la soirée sur la<br />

deuxième édition de la cérémonie des<br />

OÜI FM Rock Awards publié dans notre<br />

numéro 95 a, suite à des erreurs de<br />

manipulation, été tronqué d’une partie<br />

de son contenu. Cette fameuse soirée,<br />

animée avec brio par Dom Kiris, a permis<br />

de réunir les meilleurs artistes de<br />

l’année 2016 dans la salle parisienne<br />

du Trianon. “Après avoir organisé<br />

la première cérémonie au Réservoir,<br />

au vu du succès rencontré par le nombre<br />

de réservations, on a dû prendre une<br />

salle autrement plus grande”, s’est<br />

enthousiasmée Fanny Temam, directrice<br />

des programmes de la radio, quelques<br />

jours avant la cérémonie. Et donc,<br />

plus de deux heures durant, artistes<br />

et animateurs de la station se sont<br />

succédé sur la grande scène. Douze<br />

trophées à remettre et autant de belles<br />

surprises : “On a tenté de réunir<br />

un plateau consistant, qui montre bien<br />

la vivacité du rock à la française, mais<br />

aussi, le fait que les auditeurs se sont<br />

sentis concernés par ces prix”, avait<br />

alors précisé Cocto, co-organisateur<br />

de la soirée. Contrairement à nombre<br />

de réunions de ce type, pas de chichis,<br />

on entre directement dans le sujet,<br />

les groupes se succèdent à un rythme<br />

soutenu pour récupérer leur trophée<br />

(La Maison Tellier, Declan McKenna<br />

ou The Temperance Movement), avant<br />

que M se saisisse de la scène pour<br />

un furieux mini-set acoustique. Puis<br />

laisse la place au grand final, orchestré<br />

par Matt Bastard…<br />

Prix publics<br />

• L’Artiste & l’Album Rock<br />

de l’Année 2016 – catégorie Indé :<br />

La Maison Tellier – Avalanche<br />

• L’Artiste & l’Album Rock<br />

de l’Année 2016 – catégorie Major :<br />

Red Hot Chili Peppers – The Getaway<br />

• L’Artiste & l’Album Rock<br />

de l’Année 2016 – catégorie Autoprod :<br />

The Shapers – Reckless Youth<br />

Prix professionnels<br />

• Le Prix du B.P.I. (Bureau des<br />

Productions Indépendantes) 2016 :<br />

Theo Lawrence & The Hearts<br />

• La Révélation Internationale 2016 :<br />

The Lemon Twigs<br />

• Le Titre Rock 2016 : I Wanna Get Lost<br />

With You par Stereophonics<br />

• Le Coup de Cœur de la Programmation<br />

Musicale de OÜI FM 2016 :<br />

Declan McKenna<br />

• L’Artiste Bring The Noise 2016 :<br />

Frank Carter & The Rattlesnakes<br />

• Le Concert OÜI FM 2016 : Foals<br />

• La Session Acoustique OÜI FM 2016 :<br />

The Temperance Movement<br />

• L’Artiste UK Beats 2016 : Savages<br />

• La Révélation Française 2016 :<br />

Last Train<br />

[Suite de la p. 21] remettre d’une<br />

chute qu’il avait faite sur scène en<br />

Suède l’été précédent, et qui<br />

s’était avérée plus grave qu’il ne le<br />

pensait. Grohl s’était cassé le<br />

péroné, avait eu plusieurs ligaments<br />

arrachés et avait dû être<br />

opéré. “J’ai encore un peu de<br />

quincaillerie à l’intérieur, plaisante-t-il.<br />

J’ai fait deux ou trois<br />

heures de kiné par jour pendant<br />

presque un an.” Grohl a fini le<br />

reste de la tournée des stades<br />

Sonic Highways perché sur un<br />

“trône” géant. Mais après la dernière<br />

date, il a déclaré à son<br />

groupe qu’il ne voulait plus toucher<br />

un instrument pendant un<br />

an. “Quand la tournée a été terminée,<br />

je me suis dit : La vie, c’est<br />

bien plus qu’un concert de rock. Je<br />

veux pouvoir courir jusqu’à la<br />

porte quand le livreur de pizza<br />

viendra sonner en 2033.”<br />

Grohl a réussi à ne pas travailler<br />

pendant six mois. Puis il a écrit<br />

“Run”, un hymne accusateur<br />

assez dur qui parle du besoin<br />

d’amitié pendant les périodes<br />

troublées. Grohl se demande si<br />

le refrain (dans lequel il chante<br />

“Réveille-toi, prends tes<br />

jambes à ton cou avec moi”) a<br />

pu venir du fait qu’il est resté<br />

immobile pendant un bon<br />

moment : “Je rêvais que je courais<br />

à travers champs, ce genre<br />

de conneries, et je me réveillais<br />

avec une putain de jambe<br />

cassée.”<br />

“Run” est devenu le premier<br />

single du neuvième LP du<br />

groupe, Concrete and Gold, à<br />

paraître le 15 septembre. Les Foo<br />

Fighters se sentaient prêts à<br />

essayer de nouvelles choses : des<br />

orchestrations éclatantes, des<br />

harmonies chorales et des expérimentations<br />

rythmiques. “Run”,<br />

par exemple, tourne sur un beat<br />

de dance hall. “Je n’avais pas<br />

réalisé que c’était du reggaeton<br />

jusqu’à ce que [le producteur]<br />

Greg Kurstin me le précise,<br />

raconte Grohl. Puis j’ai entendu<br />

une putain de chanson de Justin<br />

Bieber avec le même beat et je me<br />

suis dit : Oh, mon dieu !”<br />

Mais les choses n’ont pas commencé<br />

de façon aussi ambitieuse.<br />

Alors que, pour les derniers<br />

albums des Foo Fighters, Grohl<br />

avait de grands concepts en tête<br />

(Wasting Light, en 2011, a été<br />

entièrement enregistré en analogique,<br />

et en 2014, Sonic Highways<br />

a été réalisé dans huit studios<br />

légendaires différents), cette fois,<br />

il voulait simplifier le processus.<br />

“Je me suis dit : Quelle est la chose<br />

la plus étrange que ce groupe<br />

puisse faire à ce stade ? Et j’ai réalisé<br />

que c’était tout simplement<br />

d’aller en studio et de faire un<br />

album comme un groupe normal.”<br />

Pour écrire les chansons, Grohl a<br />

loué un Airbnb dans la petite ville<br />

d’Ojai, en Californie : “J’ai acheté<br />

une caisse de vin et je suis resté<br />

assis là, en sous- vêtements, avec<br />

un micro, pendant environ cinq<br />

jours, à écrire, rien qu’écrire.<br />

J’étais inspiré par ce qui se passait<br />

dans notre pays : politiquement,<br />

personnellement, en tant que père,<br />

qu’Américain et que musicien.”<br />

Grohl fait allusion à la vision du<br />

monde peu réjouissante avec des<br />

chansons comme “The Sky Is a<br />

Neighborhood”, où il raconte une<br />

nuit sans sommeil, passée à s’inquiéter<br />

pour l’état de la planète.<br />

Sur “T-Shirt”, il lâche : “Je veux<br />

“ J’AI ACHETÉ<br />

DU VIN ET JE<br />

SUIS RESTÉ ASSIS<br />

LÀ, EN SOUS-<br />

VÊTEMENTS,<br />

PENDANT CINQ<br />

JOURS, À ÉCRIRE,<br />

RIEN QU’ÉCRIRE.”<br />

juste chanter une chanson<br />

d’amour/Prétendre que tout va<br />

bien.” Parallèlement, sur le lourd<br />

“La Dee Da”, Grohl rend hommage<br />

aux groupes underground qu’il<br />

adorait lorsqu’il était ado, notamment<br />

Psychic TV. “Après avoir<br />

trouvé peut-être treize idées, je les<br />

ai envoyées aux gars en leur<br />

demandant : ‘Est-ce que je suis<br />

dingue, ou est-ce que c’est un<br />

disque ?’, raconte Grohl. Ils m’ont<br />

répondu : ‘Les deux.”<br />

Comme il cherchait un producteur,<br />

il est entré en contact avec Greg<br />

Kurstin, qui avait coécrit et produit<br />

des titres un peu pop comme<br />

“Hello” d’Adele et “Stronger” de<br />

Kelly Clarkson. Grohl connaissait<br />

mieux Kurstin en tant que membre<br />

du duo indie-pop The Bird and The<br />

Bee. “J’aimais beaucoup le sens<br />

mélodique et harmonique de ce<br />

groupe, explique-t-il. Il me semblait<br />

évident que le gars qui était<br />

derrière cette musique n’était pas<br />

un crétin habituel de chez Guitar<br />

Center.” Grohl a donc dit à Kurstin<br />

qu’il voulait combiner “le son des<br />

radios oldies seventies genre Gerry<br />

Rafferty et [son] amour pour un<br />

groupe comme Motörhead.”<br />

Kurstin raconte que c’était un peu<br />

comme s’il lui décrivait “une odyssée<br />

à la Sgt. Pepper, version heavy<br />

metal.”<br />

Le groupe a enregistré dans le<br />

studio EastWest, à L.A., où il a<br />

croisé la terre entière entre les<br />

prises – de Lady Gaga à Shania<br />

Twain. Certains chantent sur l’album,<br />

confie Grohl, tout en restant<br />

évasif sur leur identité. Il a récemment<br />

eu les honneurs des gros<br />

titres qui affirmaient que “probablement<br />

la plus grande popstar du<br />

monde” prêtait sa voix à l’album<br />

(tout ce qu’il consent à divulguer,<br />

c’est qu’il ne s’agit ni d’Adele ni de<br />

Taylor Swift…). Parmi les invités,<br />

on trouve Alison Mosshart des<br />

Kills ou encore Shawn<br />

Stockman, de Boyz II Men, que<br />

Grohl a rencontré sur le parking<br />

et qu’il a convié à enregistrer en<br />

overdub plus de trente pistes de<br />

chœurs pour le morceau final de<br />

l’album, le très floydien<br />

“Concrete and Gold”. “Quand il<br />

a quitté la pièce, je me suis<br />

tourné vers les autres et j’ai fait :<br />

‘Le mec de Boyz II Men vient de<br />

mettre la putain de barre très<br />

haut’, raconte Grohl. ‘Chaque<br />

chanson doit sonner aussi<br />

énorme que ça.”<br />

Les Foo Fighters ont dévoilé ces<br />

morceaux cet été dans les festivals.<br />

Ils lanceront leur tournée en<br />

octobre, qui inclura aussi leur<br />

propre festival, Cal Jam 17, à San<br />

Bernardino, en Californie. Baptisé<br />

d’après le légendaire festival<br />

de 1974 qui s’était tenu sur un<br />

circuit automobile et dont les têtes<br />

d’affiche étaient Deep Purple et<br />

Emerson, Lake and Palmer, il<br />

réunira Queens of the <strong>Stone</strong> Age,<br />

Liam Gallagher et d’autres. “Il n’y<br />

a rien de plus ridicule que de faire<br />

une fête de sortie d’album avec<br />

50 000 personnes”, balance Grohl,<br />

ajoutant qu’il est soulagé de pouvoir<br />

se produire à nouveau sur ses<br />

deux jambes. “J’ai prêté le trône à<br />

Axl Rose parce qu’il s’était cassé le<br />

pied, dit-il. Du coup, je suis allé<br />

voir [Guns N’ Roses] et c’était la<br />

première fois que je voyais<br />

quelqu’un chanter assis dans ce<br />

truc. Et là, je me suis dit : C’est<br />

quand même la putain d’idée la<br />

plus stupide qui soit…”<br />

Traduction : Stan Cuesta<br />

© YANN BUISSON<br />

22 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


Q&R<br />

© FRANK LORIOU<br />

“Le punk en France,<br />

c’était plutôt ‘ future’<br />

que ‘no future’ !”<br />

À l’occasion de ses 40 ans de carrière, Kent sort<br />

un nouvel album. L’occasion de revenir sur un joli pan<br />

de vie mêlant punk-rock, chanson française, BD et romans.<br />

On vient de fêter les 40 ans du punk. Avec<br />

Starshooter, vous étiez aux premières loges à Lyon.<br />

Quel souvenir en conservez-vous ?<br />

Kent : Pour nous, le punk a représenté une occasion<br />

en or d’émerger et de nous faire connaître.<br />

Nous étions dans l’air du temps. Nous avions<br />

un look, une attitude. On faisait tout à toute<br />

vitesse. Nous n’étions pas des punks au sens<br />

anglais du terme. Nous ne raisonnions pas en<br />

termes de “no future”, mais de “future”. Nous<br />

étions surtout opposés à la musique bien frelatée<br />

des années 1970, les Daniel Guichard et<br />

consorts, les années Giscard. À l’époque, nous<br />

avons joué en première partie des Damned. Je<br />

me souviens qu’avec Captain Sensible (l’un des<br />

leaders, ndlr), nous partagions une certaine<br />

forme d’hédonisme et de joie de jouer sur scène,<br />

bien loin du nihilisme des Sex Pistols.<br />

Comment se passait la scène punk à Lyon ?<br />

K. : Grâce à une cassette remise à Philippe<br />

Manœuvre, nous avons eu un article dans<br />

Rock & Folk, ce qui nous a permis de nous faire<br />

connaître. Une véritable chance, car les journalistes<br />

ne se bousculaient pas à Lyon. Nous<br />

cultivions notre attitude antiparisienne avec<br />

Marie et les Garçons. (Rires.) En réalité, nous<br />

étions potes avec Bijou, Trust, Téléphone, cette<br />

génération qui souhaitait secouer le cocotier de<br />

la chanson française. Une saine émulation.<br />

De 1978 à 1981, Starshooter a sorti quatre<br />

albums. Nous avions 20 ans, nous étions les<br />

rois du monde.<br />

En 1981, Pas fatigué est le dernier album de<br />

Starshooter. La gueule de bois ?<br />

K. : Malgré une grosse tournée, ce disque s’est<br />

mal vendu. Nous étions déçus. Nous avons<br />

décidé d’arrêter l’aventure. À l’époque, j’étais<br />

déjà à fond dans la bande dessinée. Après<br />

quatre années, à plein tube, j’en avais un peu<br />

assez du grand cirque du rock’n’roll. J’ai alors<br />

beaucoup écouté les grands chanteurs français<br />

comme Gainsbourg, Brel, Aznavour. Plutôt<br />

qu’à l’interprétation proprement dite, aux<br />

textes, si importants en France, je me suis intéressé<br />

à la musique, aux arrangements, à l’utilisation<br />

très “française” de la valse, par<br />

exemple. En fait, ces auteurs représentent ce<br />

que les grands maîtres de la country – Hank<br />

Propos recueillis par Éric Delon<br />

Williams, Kris Kristofferson – symbolisent<br />

aux États-Unis.<br />

Avec votre premier album solo, Amours propres,<br />

en 1982, vous devenez officiellement un chanteur<br />

français post-punk ?<br />

K. : Oui, j’avais 25 ans et j’étais déjà un has been !<br />

(Rire.) Je suis monté à Paris. J’ai introduit de<br />

l’accordéon dans mes chansons, j’ai voulu<br />

m’inscrire dans une certaine idée de la chanson<br />

française, mais qui ne soit pas momifiée. Même<br />

si je me suis toujours méfié du diktat très hexagonal<br />

de la “chanson à texte”, j’ai beaucoup<br />

travaillé ces derniers. N’oublions pas que si les<br />

spectateurs écoutent avant tout la musique des<br />

groupes, ils écoutent, en priorité, les textes des<br />

chanteurs solos. Par ailleurs, je n’ai jamais été,<br />

contrairement à ce que certains ont écrit, le<br />

chantre de la chanson française. Je ne suis pas<br />

du tout fan de Brassens et de Trenet, par<br />

exemple. Certains journalistes, dans les<br />

années 1990, voulaient à tout prix me faire parler<br />

de la chanson française, alors même que<br />

j’écoutais de la drum’n’bass dans les clubs avec<br />

mes jeunes musiciens.<br />

En 1989, le single “J’aime un pays”, ode à une<br />

France métissée, fait un carton.<br />

K. : Oui, l’album À nos amours dont il est extrait<br />

a très bien marché. Je voulais réagir à cette<br />

France qui commençait à se laisser séduire par<br />

les discours xénophobes du FN. Cette chanson<br />

a rencontré son époque. J’ai eu de la chance.<br />

Outre la BD, vous avez écrit des romans et des<br />

livres pour enfants : une récréation ?<br />

K. : Un vrai désir et un défi à relever. Pour les<br />

romans, j’ai répondu à des propositions que j’ai<br />

acceptées.<br />

Votre nouvel album, La Grande Illusion, est sorti<br />

début février. Quelle en est la genèse ?<br />

K. : En 2015, je me trouvais au 104 (salle d’art et<br />

de spectacle parisienne, ndlr) pour jouer mon<br />

disque Métropolitain avec un groupe d’un instant,<br />

Tahiti Boy – alias David Sztanke. Nous<br />

nous sommes particulièrement bien entendus.<br />

J’avais quelques chansons dans le coin de ma<br />

tête. Nous avons décidé de travailler ensemble<br />

pour ce nouvel album. Ils ont été des “déclencheurs<br />

d’envie”.<br />

La politique ?<br />

K. : Je suis de plus en plus spectateur, un peu<br />

fataliste. Je me dis qu’il est difficile d’agir, qu’il<br />

est presque vain de vouloir enrayer la marche du<br />

monde, la mondialisation, l’élection de Trump.<br />

Rassurez-vous, je vote toujours à gauche, même<br />

si j’ai perdu certaines illusions…<br />

EN FANFARE<br />

Le chanteur revient<br />

avec La Grande<br />

Illusion et dix titres<br />

entre pop et rock.<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 23


Q&R<br />

Willie Nelson<br />

La légende vivante nous explique comment faire durer un mariage en étant sur la route<br />

et pourquoi Jeff Sessions doit juste fumer un peu d’herbe. Par Patrick Doyle<br />

N<br />

ous sommes à la<br />

veille du 84 e anniversaire<br />

de Willie<br />

Nelson, mais ses<br />

projets en la matière restent<br />

modestes. “Je vais juste essayer<br />

d’être là”, dit-il en riant depuis<br />

son bus de tournée, le Honeysuckle<br />

Rose, actuellement garé à<br />

Laughlin, dans le Nevada, un<br />

arrêt de plus dans son planning<br />

de tournée fou furieux : deux<br />

semaines de concert, deux<br />

semaines de repos. “J’aime toujours<br />

ça, dit-il. Ce sont les deux<br />

semaines de repos qui sont un<br />

peu longues.” Cet été, Willie va<br />

tourner avec l’Outlaw Music Festival,<br />

qui comprend des dates<br />

avec Bob Dylan, Sheryl Crow,<br />

Jason Isbell et les fils de Nelson,<br />

Lukas et Micah. Il est impatient<br />

d’interpréter en public les chansons<br />

de son excellent nouvel<br />

album, God’s Problem Child. “Ça<br />

va être une super-occasion de<br />

revoir beaucoup de vieux amis”,<br />

dit Nelson qui, après des milliers<br />

de concerts, a son truc à lui pour<br />

maintenir l’intérêt de ses prestations<br />

: “Je n’essaie pas intentionnellement<br />

de déstabiliser le<br />

groupe, mais je joue des chansons<br />

qu’ils ne connaissent pas. Et<br />

parfois, quelque chose de<br />

magique se produit.”<br />

Votre nouveau single, “Still Not<br />

Dead” [Toujours pas mort], est hilarant.<br />

Qu’est-ce qui vous l’a<br />

inspiré ?<br />

Willie Nelson : Il y a des années,<br />

quand j’ai écrit “On the Road<br />

Again”, j’ai entendu dire pour la<br />

première fois que j’étais mort.<br />

Quelqu’un a dit : “Willie chantait<br />

‘On the Road Again’ et il a été<br />

renversé par un bus.” Ça a été<br />

amusant pendant quelque<br />

temps. Puis j’ai entendu ce que<br />

vous appelez des “faits alternatifs”<br />

: ces deux dernières années,<br />

deux ou trois fois, en me levant,<br />

j’ai appris que j’étais décédé. Je<br />

voulais juste leur faire savoir que<br />

c’était un gros tas de conneries.<br />

Cet été, vous serez réunis avec<br />

Dylan. C’est comment, quand vous<br />

traînez ensemble tous les deux ?<br />

W. N. : Je ne pense pas que ce soit<br />

souvent arrivé. On fait plus de<br />

musique ensemble qu’on ne parle,<br />

et c’est probablement une bonne<br />

chose. [En 2004,] mon fils Lukas<br />

et Dylan se sont vraiment bien<br />

entendus ; il l’a rejoint sur scène<br />

pour jouer de la guitare avec lui,<br />

ils ont beaucoup jammé sur ces<br />

tournées. C’était sympa.<br />

Quel est votre artiste préféré, sur<br />

scène ?<br />

W. N. : Leon Russell était l’un des<br />

plus grands showmen qui aient<br />

jamais existé. La première fois<br />

que je l’ai vu, il jouait devant<br />

environ 40 000 personnes, au<br />

Nouveau-Mexique. Je n’avais<br />

jusqu’alors jamais vu quelqu’un<br />

jeter son chapeau dans le public.<br />

C’est là que j’ai volé l’idée.<br />

Jeff Sessions, procureur général<br />

des États-Unis dans l’administration<br />

Trump, a récemment déclaré que<br />

l’herbe est “seulement légèrement<br />

moins terrible” que l’héroïne…<br />

© TAYLOR HILL<br />

24 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


W. N. : Je me demande s’il a essayé<br />

les deux. Je ne pense pas qu’on<br />

puisse faire une telle déclaration<br />

sans avoir tout essayé. Donc, j’aimerais<br />

suggérer à Jeff d’essayer<br />

et, ensuite, de me faire savoir s’il<br />

pense toujours dire la vérité !<br />

Quel est votre sentiment sur la<br />

présidence de Donald Trump jusqu’à<br />

maintenant ?<br />

W. N. : Eh bien, je le connais depuis<br />

longtemps, du temps où il possédait<br />

des casinos, et j’ai travaillé<br />

pour lui. Il m’a toujours payé. Je<br />

n’ai jamais eu aucun problème. Je<br />

pense qu’il a mis le pied dans un<br />

monde complètement différent. Il<br />

l’a d’ailleurs dit récemment : “Je<br />

ne pensais que ce boulot allait être<br />

si difficile.” C’est facile, quand on<br />

a la possibilité de se déclarer en<br />

faillite quand on veut, de dire : “Je<br />

te ferai un chèque plus tard.” Mais<br />

c’est plus difficile quand on est<br />

président des États-Unis.<br />

enfoiré, et ne soit pas un putain<br />

d’enfoiré.” La mienne a toujours<br />

été : “Ne cherche pas la merde et tu<br />

ne te retrouveras pas dans la<br />

merde.”<br />

Vous êtes marié à Annie, depuis<br />

vingt-cinq ans. Qu’avez-vous appris à<br />

propos du mariage ?<br />

W. N. : C’est un peu comme ce que<br />

disait Donald Trump à propos du<br />

fait d’être président : il n’y a rien de<br />

facile, là-dedans. Chaque jour est<br />

un dur labeur. Ça n’est pas pour<br />

tout le monde. J’ai été marié plusieurs<br />

fois.<br />

Que vous a appris le golf à propos<br />

de la vie ?<br />

W. N. : Absolument que dalle !<br />

Quelqu’un m’a dit, un jour : “Tu<br />

abîmes une belle balade en jouant<br />

au golf.” Mais j’adore jouer. J’y suis<br />

allé l’autre jour avec mes fils. J’ai<br />

fait un eagle sur un par four, j’étais<br />

content.<br />

“ ON PEUT FAIRE PLUS DE<br />

CHOSES AVEC LA MUSIQUE<br />

QU’AVEC DES DÉBATS<br />

ET DE LA POLITIQUE. ”<br />

Vous vendez des autocollants<br />

“Willie Nelson for President”. Est-ce<br />

que beaucoup de gens vous poussent<br />

à vous présenter ?<br />

W. N. : Oh oui ! Ce qui me rend<br />

encore plus heureux de ne pas<br />

l’avoir fait ! J’ai failli y aller à deux<br />

reprises. Et puis, j’ai dessaoulé.<br />

Donc, Trump ne vous a pas donné<br />

envie d’intervenir ?<br />

W. N. : Je pense qu’on peut faire plus<br />

de choses avec la musique qu’avec<br />

des débats et de la politique. Je<br />

pense qu’une chanson touche plus<br />

les gens que quoi que ce soit<br />

d’autre. Il y a une raison pour<br />

qu’on appelle cela “l’harmonie” :<br />

quand on donne un concert, il y a<br />

un échange d’énergie inimaginable<br />

avec les gens. C’est la raison<br />

pour laquelle je me produis en<br />

public. J’en retire aussi quelque<br />

chose.<br />

Quelles règles avez-vous imposées<br />

à vos enfants ?<br />

W. N. : Ma femme en a une, qui se<br />

décompose en trois principes : “Ne<br />

sois pas un enfoiré, ne sois pas un<br />

Faites-vous toujours de l’exercice<br />

quotidiennement ?<br />

W. N. : Ouais. Je monte à cheval, je<br />

nage ou je cours. Jurer est également<br />

un bon exercice – je fais ça,<br />

aussi.<br />

Quel est votre juron préféré ?<br />

W. N. : Je dis à tout le monde que<br />

quand je serai président, “Fuck it”<br />

s’écrira en un seul mot.<br />

Vous avez lancé votre propre<br />

société d’exploitation de marijuana,<br />

Willie’s Reserve. Comment ça<br />

marche ?<br />

W. N. : Ça marche bien ! J’ai des gens<br />

qui s’en occupent plus ou moins<br />

pour moi. Annie s’occupe du côté<br />

comestible – c’est une grande cuisinière.<br />

Elle travaille avec le<br />

Colorado et avec tous les endroits<br />

où c’est légal.<br />

Est-ce qu’il y a un inconvénient à<br />

fumer de l’herbe tous les jours ?<br />

W. N. : Je n’en ai pas encore trouvé.<br />

Je suppose que quand on va<br />

quelque part où c’est illégal, c’est<br />

plutôt un inconvénient.<br />

Septembre <strong>2017</strong>


SOMEBODY TOLD ME…<br />

Brandon Flowers, toujours<br />

à la recherche de nouvelles<br />

sources d’inspiration.


ROCK & ROLL<br />

THE KILLERS<br />

Tueurs (passion)nés<br />

Les Killers commettent leur nouveau crime, cinq ans après Battle Born.<br />

Wonderful Wonderful, disponible le 22 septembre, a été voulu comme un retour<br />

aux sources. C’est à Londres que <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> a rencontré deux membres<br />

du gang, Brandon Flowers et Ronnie Vannucci Jr. Par Vincent Guillot<br />

© ANTON CORBIJN<br />

Cinq ans entre deux albums,<br />

c’est un record<br />

pour les kids de Las<br />

Vegas. Mais le tout nouveau<br />

Wonderful Wonderful devrait<br />

à nouveau affoler les compteurs.<br />

Aux États-Unis comme en<br />

Angleterre, le groupe de Brandon<br />

Flowers fait partie des cadors du<br />

pop-rock. Ci-devant, le charismatique<br />

frontman est en de bonnes<br />

dispositions, souriant, voire blagueur.<br />

Le batteur et lui ont œuvré<br />

sur différentes œuvres – solo ou<br />

side project – avant de réunir le<br />

gang au complet. Histoire de<br />

laisser souffler leurs comparses.<br />

“Nous avons tourné pendant<br />

deux ans sur l’album précédent,<br />

confie Brandon. C e r t a i n s<br />

membres du groupe n’aiment pas<br />

forcément partir en tournée. Ils<br />

ont besoin d’espace.”<br />

L’espace-temps nécessaire écoulé,<br />

les Killers se sont mis en quête de<br />

l’homme clé pour mettre en boîte<br />

ce cinquième effort, lequel s’est<br />

avéré être Jacknife Lee, vu chez<br />

U2, REM, les Hives mais aussi le<br />

boys band One Direction et<br />

Taylor Swift. “Nous avons organisé<br />

un véritable speed dating de<br />

producteurs. On a effectué des<br />

essais, pas mal discuté, raconte<br />

Ronnie. Jacknife avait une approche<br />

totale, une vision. Il parlait<br />

le même langage que nous. Le<br />

courant est passé très vite.”<br />

Ce nouvel opus marque un retour<br />

aux sources, selon Flowers luimême.<br />

“En octobre dernier, nous<br />

avons donné un concert pour les<br />

10 ans de Sam’s Town. Il y avait<br />

les vieux décors, les vieilles<br />

lights… Nous n’avions pas encore<br />

d’idées pour le nouvel album, et<br />

nous avons tous eu envie de revenir<br />

vers ça. Je crois que nous y<br />

sommes parvenus.” Pourtant, au<br />

point de départ, son groupe ne se<br />

donne aucune direction particulière<br />

: “Nous sommes mauvais<br />

pour ce genre de trucs. Nous<br />

n’avons jamais défini à l’avance<br />

de direction vers laquelle aller.<br />

J’avais quelques idées auparavant,<br />

nous ne faisons pas de listes<br />

de titres à écouter préalablement<br />

afin de définir ce sur quoi nous<br />

allons travailler.” Ronnie<br />

Vannucci approuve. “Nous expérimentons,<br />

nous essayons de<br />

trouver le moyen de faire avancer<br />

les titres. Nous voyons où ça nous<br />

mène tous ensemble. C’est comme<br />

ça que j’aime bosser avec le<br />

groupe.”<br />

Ces expérimentations peuvent<br />

cependant s’avérer de longue<br />

durée. La chanson “Run for<br />

Cover” a ainsi nécessité huit années<br />

de gestation. “Elle n’a jamais<br />

été complètement au point, explique<br />

Ronnie. Il y avait un problème<br />

avec les paroles, le rythme,<br />

la production. Nous ne l’avons<br />

jamais trouvée à notre goût.” Son<br />

compère poursuit : “Nous ne nous<br />

sommes pas acharnés non plus<br />

ON TOP<br />

Les gars de Vegas<br />

sont de retour avec<br />

un cinquième album.<br />

“ NOUS N’AVONS JAMAIS DÉFINI<br />

DE DIRECTION À L’AVANCE. ”<br />

durant tout ce temps. Nous<br />

l’avons démarrée il y a huit ans,<br />

puis nous l’avons retravaillée de<br />

temps en temps. Notamment au<br />

moment du Best Of. Et nous<br />

avons fini par la terminer de la<br />

manière dont elle le méritait et<br />

nous en sommes heureux.”<br />

Si sur “The Man”, efficace single<br />

où le groupe renoue avec ses sonorités<br />

classiques ponctuées de<br />

samples disco-funk, l’obsession de<br />

se renouveler tout en restant fidèles<br />

à leur marque de fabrique<br />

demeure très forte chez Flowers ;<br />

qui évoque joliment cette problématique<br />

sur “Have All the Songs<br />

Been Written?”. “Quand on lance<br />

un groupe, on peut déjà se poser<br />

cette question. Lorsque tu mesures<br />

tout ce qui a été sorti par les plus<br />

grands maîtres depuis cinquante<br />

ans, tu te demandes comment<br />

toi, tu vas pouvoir contribuer<br />

à cet ensemble.”<br />

Se mesurer à son œuvre, à celles<br />

des autres : derrière cette idée, il y<br />

a chez Flowers la peur d’un éventuel<br />

déclin. Pensée normale pour<br />

un groupe qui affiche – déjà ! –<br />

treize années d’existence. Il<br />

l’évoque via une surprenante parabole<br />

: le combat perdu par Mike<br />

Tyson en 1990 face à James<br />

“Buster” Douglas sur la chanson<br />

“Tyson vs. Douglas”. “C’est un combat<br />

qui m’a beaucoup impressionné.<br />

Il m’est revenu à l’esprit,<br />

cela m’a obsédé et je me suis dit que<br />

je devais en faire quelque chose. La<br />

conclusion, après tout, était que je<br />

ne voyais plus le monde de la<br />

même façon à la suite de ce match.<br />

Tyson était à son sommet, ce combat<br />

était un événement majeur à<br />

Vegas, et même dans le monde<br />

entier. Il était invaincu. Pour mes<br />

enfants, je suis Tyson, je suis cette<br />

perfection. Bien sûr, je ne suis pas<br />

vraiment parfait. Mais je ne veux<br />

pas descendre de mon piédestal.<br />

C’est ce que je raconte dans le troisième<br />

couplet.”<br />

On objecte qu’à l’époque, Douglas<br />

aurait dû être compté K.-O. avant<br />

son coup victorieux. Notre homme<br />

balaie : “Le comptage était juste. Il<br />

ne s’était pas assez entraîné. En<br />

fait, c’était le début de la fin pour<br />

Tyson.” Une manière de dire que,<br />

pour les Killers, l’exigence reste de<br />

mise pour reculer sans cesse<br />

l’heure de jeter l’éponge.<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 27


TRÉSOR ENTERRÉ<br />

Glenn Hughes<br />

I’m a Soul Man<br />

Icône du heavy metal, l’ex-chanteur et bassiste de Deep Purple n’est jamais autant inspiré<br />

que lorsqu’il joue de la musique noire américaine. Par Bertrand Deveaud<br />

Glenn hughes était-il<br />

fait pour le hard rock ?<br />

Après cinquante ans de<br />

carrière, avoir joué avec<br />

Deep Purple ou Black Sabbath,<br />

hurlé des torrents de décibels et fait<br />

vrombir sa basse dans tous les festivals<br />

de la planète, gardé son allure<br />

de rockstar à 65 ans malgré plusieurs<br />

overdoses de cocaïne, la réponse<br />

est évidente. En réalité,<br />

Hughes est un chanteur de soul.<br />

“Le Glenn Hughes ‘soulful’ est le vrai<br />

Glenn Hughes”, affirme-t-il. Le besoin,<br />

sans doute, de rappeler qu’il<br />

n’est pas forcément celui qu’on croit.<br />

“Je ne me suis pas égaré dans le<br />

hard, mais je n’ai pas toujours joué<br />

la musique que j’avais en moi.”<br />

Né en 1952, dans une région rurale<br />

de l’Angleterre, Glenn Hughes grandit<br />

en écoutant James Brown, Otis<br />

Redding et les grandes figures de la<br />

Tamla Motown : Stevie Wonder,<br />

Marvin Gaye, The Temptations…<br />

“C’est une musique d’émotions et de<br />

sensations qui me parle. Ça va droit<br />

au cœur, au plus profond de soi, ça<br />

ouvre les portes de l’âme.”<br />

Alors pourquoi ce passionné de<br />

soul, de rythm’n’blues et de funk,<br />

doté en plus d’une voix parfaitement<br />

calibrée pour ça, a-t-il atterri<br />

chez Deep Purple ? Cette question,<br />

David Bowie a été le premier à se la<br />

poser. C’était en août 1974, à Los<br />

Angeles. Glenn termine les sessions<br />

de Stormbringer, son deuxième<br />

album avec Deep Purple, aux<br />

studios Record Plant, pendant que<br />

David, en tournée américaine<br />

( Diamond Dogs Tour), s’apprête à<br />

commencer l’enregistrement de<br />

Young Americans, qu’il annonce<br />

très “blue-eyed soul”.<br />

“Je venais d’arriver dans ma<br />

chambre du Beverly Wilshire Hotel<br />

lorsque je reçois un coup de fil<br />

d’Angie, sa femme, pour me dire que<br />

David m’avait vu lors du California<br />

Jam, un concert retransmis sur<br />

ABC, raconte Glenn. Il avait été<br />

impressionné par ma performance<br />

et avait très envie de me rencontrer.”<br />

Glenn rejoint David dans sa suite,<br />

un étage plus haut. Et là, c’est un<br />

défilé de rockstars. Il y croise Keith<br />

Moon, Ronnie Wood, Alice Cooper,<br />

Iggy Pop… Très vite, les deux<br />

hommes se retrouvent seuls, et<br />

David lui demande, intrigué :<br />

“Comment un soul guy comme toi<br />

s’est-il retrouvé à faire du metal ?”<br />

Glenn répond :“C’est une proposition<br />

que je ne pouvais pas refuser.<br />

Et le groupe savait que j’adorais la<br />

soul et le funk.” Toute la nuit, Glenn<br />

et David vont parler de black<br />

music. Et deviendront les meilleurs<br />

amis du monde.<br />

Le lendemain, David, qui souffre de<br />

paranoïa et ne sort presque jamais<br />

de son hôtel, retrouve Glenn au<br />

studio. Ce jour-là, le groupe enregistre<br />

“Hold On”, un titre au groove<br />

imparable, dont Glenn assure une<br />

partie du chant. “David, qui s’était<br />

fait discret, s’est mis à danser dans<br />

le studio. Il était dingue de cette<br />

chanson.”<br />

L’orientation soul et funk donnée à<br />

Stormbringer apparaît de plus en<br />

LUNETTES NOIRES<br />

David Bowie et Stevie<br />

Wonder seront<br />

ses parrains soul.<br />

plus claire. D’autant qu’au même<br />

moment, dans le studio d’à côté,<br />

Stevie Wonder travaille sur Songs<br />

in the Key of Life. Un signe des<br />

dieux pour Glenn. “Quand j’ai appris<br />

qu’il était là, j’étais sur un<br />

nuage. Mon idole, ma source d’inspiration<br />

principale, ici, au Record<br />

Plant ! Je ne voulais pas le déranger<br />

pendant une séance, alors je l’ai<br />

attendu à la sortie des toilettes.<br />

Comme un fan un peu pressant… Il<br />

a été incroyablement gentil, et a<br />

même accepté d’écouter ‘You Can’t<br />

Do It Right’, que l’on était en train<br />

de mixer.” Une chanson, aux accents<br />

de “Superstition”, que Stevie<br />

aurait pu composer. “Hey, man ! Je<br />

crois qu’on aime la même musique<br />

et qu’on a les mêmes références”,<br />

lance-t-il à Glenn, encourageant le<br />

groupe à continuer dans cette direction.<br />

Stevie Wonder dira plus<br />

tard : “Mon chanteur blanc préféré<br />

vient d’Angleterre, et il s’appelle<br />

Glenn Hughes.”<br />

Pour Glenn, cette double reconnaissance<br />

de prestige (Bowie/<br />

Wonder) le conforte dans son<br />

choix : faire du groupe de “In Rock”<br />

et “Machine Head” un supergroupe<br />

de funk-rock. Et troquer sa<br />

panoplie de hard rocker contre<br />

celle de soul man. Mais la machine<br />

Deep Purple est devenue trop<br />

énorme. Les fans du groupe veulent<br />

d’abord du gros rock. Stormbringer<br />

est encore bien accueilli, mais l’album<br />

suivant Come Taste the Band,<br />

toujours teinté de soul, est un<br />

échec. L’année suivante, Glenn<br />

publie Play Me Out, son premier<br />

album solo, un hommage (un peu<br />

raté) à Stevie Wonder. Nouvel<br />

échec. En cette fin des années<br />

1970, la soul est supplantée<br />

par le disco, le punk explose, le<br />

hard rock style<br />

“glam metal” se<br />

propage et Glenn, addict à la co-<br />

caïne, ne sait plus où il en est.<br />

“C’était une période difficile pour<br />

moi, j’ai fait souvent n’importe<br />

quoi, joué sans envie. Je me suis<br />

laissé entraîner là où mon public<br />

m’attendait.” Glenn oublie la<br />

soul, joue avec Black Sabbath,<br />

Gary Moore, Mötley Crüe, prend<br />

du poids, de plus en plus de cocaïne<br />

et se fait désormais surnommer<br />

“The Voice of rock”.<br />

Le “soul guy” n’est plus qu’un souvenir,<br />

qui parfois refait surface lors<br />

d’éclairs dans quelques albums<br />

solos (Feel, Music For the Divine).<br />

Aujourd’hui, Glenn va beaucoup<br />

mieux. Il ne se drogue plus, mange<br />

bio, a retrouvé une silhouette de<br />

jeune premier et annonce un album<br />

100 % soul d’ici à deux ans.<br />

“Quelque chose qui me ressemble<br />

vraiment.” En attendant, il faut<br />

réécouter Stormbringer et surtout<br />

You Are the Music… We’re Just the<br />

Band, le troisième album du groupe<br />

Trapeze, une merveille absolue de<br />

rock-funk sortie en 1972. Glenn<br />

avait 20 ans. C’était juste avant de<br />

rejoindre Deep Purple…<br />

© MIKE PRIOR/GETTY IMAGES<br />

28 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


HOMMAGE<br />

Uncle Sam<br />

Sam Shepard portait en lui une image et un regard. Et une autre vision de l’Amérique.<br />

Et ses héritiers – que ce soit de l’auteur, de l’acteur comme du scénariste – sont nombreux.<br />

Par Charles Bloch<br />

I<br />

l la portait sur chacun<br />

des traits de son visage.<br />

L’Amérique. À l’heure où il<br />

faut se faire à l’idée que<br />

tout a déjà été dit sur sa<br />

vie, c’est un regard qui reste en<br />

tête. Bleu, fixe et aligné comme<br />

le viseur d’une carabine. Un<br />

regard hiératique comme seules<br />

les icônes peuvent en porter. De<br />

Bowie à Walken, de Lincoln à<br />

Joe Hill. Au-delà de d’une beauté<br />

profonde, il y avait ce réflexe instinctif,<br />

quand il regardait la<br />

caméra trop longtemps : on baissait<br />

les yeux.<br />

Ils sont quelques-uns comme ça<br />

à catalyser la culture américaine,<br />

ils se connaissent et sont amis.<br />

Stanton, Kristofferson… Bob<br />

Dylan lui-même le sollicita pour<br />

chroniquer sa tournée <strong>Rolling</strong><br />

Thunder, en 1975. La reconnaissance<br />

des pairs, quatre ans avant<br />

son Pulitzer. De fait, les chroniques<br />

devaient servir de scénario<br />

à un film qui ne verra jamais<br />

le jour. Shepard écrira sur la<br />

tournée comme un insider, silencieux,<br />

à balayer les gens, les<br />

éventements.<br />

La solitude, le voyage, le silence.<br />

Comme des couleurs primaires,<br />

elles composeront ce qu’il était.<br />

Une présence taiseuse, toujours<br />

debout et reconnaissable. Il était<br />

cet homme qui remplissait le<br />

désert à lui tout seul. Un pilier.<br />

Un père. Mais pas le patriarche.<br />

Pas celui qui reçoit ses enfants à<br />

Thanksgiving, pas le bon père à<br />

la Norman Rockwell. Étonnant,<br />

d’ailleurs, tant on jurerait qu’il<br />

s’est échappé d’une de ses toiles.<br />

Non. Le père absent, celui qui<br />

n’est pas là. Celui qui est parti il<br />

y a longtemps, dont on n’a que<br />

des souvenirs racontés. Celui<br />

dont maman ne veut pas parler.<br />

Celui qui nous a forcé à se<br />

débrouiller sans lui. Celui qui<br />

nous a rendu fort. Le père absent<br />

de Paris, Texas – il en signera le<br />

scénario pour Wenders, avec qui<br />

il partage l’amour de la route.<br />

Celui qui viendra frapper maladroitement<br />

à la porte, même si<br />

on lui avait bien dit : “Don’t come<br />

Lorsque Harry Dean Stanton<br />

reste muet dans le désert et pendant<br />

des jours, une casquette<br />

rouge visée sur le crâne, c’est<br />

parce que Shepard l’a écrit.<br />

Alors, bien sûr, il reste les frères<br />

d’armes, Harry Dean Stanton,<br />

donc, Tommy Lee Jones, Robert<br />

Duvall... Quelques héritiers<br />

aussi, Matthew McConaughey,<br />

Josh Hartnett, Billy Bob<br />

Thornton. Des adeptes de l’underplay,<br />

le sous-jeu dont parlait<br />

Jean-Pierre Melville quand il<br />

évoquait Lino Ventura. Cette<br />

façon de faire comprendre sans<br />

exprimer, de dévaster sans<br />

exploser. L’alternative à l’Actor<br />

Studio. Pas d’éclats de voix, chez<br />

Sam Shepard, il avait le pouvoir<br />

des silencieux. Un point en commun<br />

avec Clint Eastwood. Une<br />

“ IL ÉTAIT CET HOMME<br />

QUI REMPLISSAIT LE DÉSERT<br />

À LUI TOUT SEUL. UN PILIER. ”<br />

© GETTY IMAGES<br />

knocking” (même histoire avec<br />

Wim) après avoir préféré vivre sa<br />

vie d’homme plutôt que sa vie de<br />

famille.<br />

Perdre sa dernière bataille à<br />

Midway. Joli clin d’œil du ciel<br />

pour un fils de pilote. Un retour<br />

de pied de nez pour l’avoir défié,<br />

ce ciel, à bord d’un X-1 cinégénique.<br />

Pour ces soleils aux compteurs,<br />

ce crash dans le désert et,<br />

face à la Jeep affolée qui venait à<br />

son secours, ce rictus ensanglanté<br />

qu’il porta debout, son<br />

casque à la main, silencieux. Oui,<br />

Shepard c’était le héros qui<br />

n’avait rien à dire à personne,<br />

aucune explication à donner. Sûr<br />

de lui ou en tort, un fusil à la<br />

main ou désarmé, face au regard<br />

d’une femme. Shepard était<br />

Shepard devant l’objectif ou assis<br />

derrière une machine à écrire.<br />

voix qui dénote de son faciès de<br />

superhéros. Plutôt douce, claire<br />

et rare, comme pour exprimer la<br />

précaution permanente de ceux<br />

qui ne sont pas chez eux, ceux<br />

qui ne sont que de passage, qui<br />

savent qu’ils ne resteront pas.<br />

Même en essayant, il est impossible<br />

de faire correspondre Sam<br />

Shepard à un cliché américain.<br />

Pas un cow-boy solitaire, ni un<br />

hors-la-loi. Pas un témoin de<br />

notre temps, ni un auteur torturé.<br />

Les clichés sont des schémas<br />

appliqués, Shepard les réécrivait<br />

sans cesse. Sortant chaque élément<br />

de cette Amérique qu’on<br />

croit connaître pour la dénuder.<br />

Un homme capable de faire<br />

revivre n’importe quel mythe, de<br />

Billy the Kid à la course à l’espace,<br />

de Dylan aux motels. Des balades<br />

au paradis.<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 29


SET IN MOTION<br />

MEMORIES<br />

Parcours de<br />

vie bien rempli<br />

pour le Rennais,<br />

de la musique<br />

à la politique.


Q&R<br />

Frank Darcel :<br />

“ Se construire une vie différente ”<br />

Musicien, écrivain, producteur, éditeur et militant… Avec près de quarante ans de carrière,<br />

l’ex-Marquis de Sade est à nouveau sur le devant de la scène. Collector. Par Philippe Barbot<br />

© JO PINTO MAIA<br />

I<br />

l y a déjà des lustres, à<br />

l’époque où les jeunes gens<br />

modernes aimaient leurs<br />

mamans et posaient en une<br />

du magazine Actuel, il coprésidait<br />

aux destinées du groupe Marquis<br />

de Sade. Un orchestre mythique,<br />

champion de la new wave rennaise<br />

qui, le temps de deux albums à<br />

l’orée des années 1980, a su réinventer<br />

un rock sombre et lyrique<br />

mâtiné d’influences européennes et<br />

de rythmes new-yorkais, mélangeant<br />

expressionnisme allemand et<br />

punk anglo-saxon, singularisé par<br />

un répertoire trilingue et la voix et<br />

la gestuelle du chanteur Philippe<br />

Pascal. Près de quarante ans après,<br />

Frank Darcel manie toujours la<br />

guitare, mais a également empoigné<br />

le micro, au sein d’un nouveau<br />

combo nommé “Republik”, dont le<br />

deuxième album, Exotica, est paru<br />

il y a quelques mois. Un disque résolument<br />

contemporain, impérieux et<br />

romantique, dans lequel on<br />

retrouve les influences chères à ce<br />

fan du Velvet Underground et des<br />

Talking Heads, dont il a invité,<br />

entre autres, Tina Weymouth et<br />

Chris Frantz sur le précédent opus.<br />

Musicien, écrivain, producteur, éditeur<br />

et militant, Frank Darcel a eu<br />

plusieurs vies. Il a guidé les premiers<br />

pas de Pascal Obispo, accompagné<br />

Étienne Daho sur le chemin<br />

du succès, produit des disques d’or<br />

au Portugal et un album pour Alan<br />

Stivell, écrit trois romans (le prochain,<br />

Pagan, un polar rennais,<br />

sortira en novembre), supervisé une<br />

somme en deux volumes sur l’histoire<br />

du “Rok” en Bretagne et continue<br />

d’œuvrer pour l’autonomie de<br />

sa région natale. À l’heure où l’on<br />

réédite les albums culte de son premier<br />

groupe, réuni pour un concert<br />

événement, rencontre avec un activiste<br />

débordant d’activité.<br />

Trente-six ans après la dissolution du<br />

groupe, il est question d’une reformation<br />

de Marquis de Sade. Qu’en est-il ?<br />

F. D. : C’est venu d’un ami graphiste,<br />

Patrice Poch, un passionné de<br />

longue date du groupe, qui a toujours<br />

collectionné les archives et<br />

même répertorié toutes nos<br />

anciennes dates de tournée. Il a eu<br />

envie d’organiser une expo qui<br />

aura lieu en septembre, à Rennes,<br />

avec la collaboration d’artistes<br />

illustrant chacun un titre de<br />

Marquis de Sade. Dans ce cadre, il<br />

nous a convaincus de faire un<br />

concert unique. L’idée est de<br />

recréer surtout l’ambiance du premier<br />

album, Dantzig Twist.<br />

À l’époque, Marquis de Sade était<br />

considéré comme un groupe à part,<br />

plus européen que français…<br />

F. D. : Nous sommes nés à cause des<br />

groupes à deux guitares comme<br />

Television, Richard Hell and the<br />

Voidoids ou les Feelies, que j’avais<br />

vus à plusieurs reprises à<br />

New York, en 1978. Nous ne voulions<br />

surtout pas ressembler aux<br />

groupes français de l’époque et<br />

même, ne pas refaire comme ceux<br />

que nous aimions. Nous étions<br />

influencés par les mouvements<br />

culturels d’entre-deux-guerres, le<br />

cinéma expressionniste, les films<br />

de Wenders, ce pont entre<br />

l’Europe de l’Est et l’Amérique.<br />

Avec tout ça, nous avons fait notre<br />

mélange à nous.<br />

Qu’est ce qui, finalement, a provoqué<br />

la fin du groupe ?<br />

F. D. : Après le deuxième album,<br />

Rue de Siam, en 1981, nous avons<br />

commencé à avoir des dissensions<br />

musicales. J’allais souvent à<br />

New York, grâce à un oncle qui<br />

avait émigré là-bas. Je hantais les<br />

clubs et j’avais découvert les<br />

Talking Heads, mais également<br />

Material, le groupe de Bill<br />

Laswell. J’avais envie d’introduire<br />

ce côté soul urbain dans notre<br />

musique. Et puis notre label, s’il<br />

était sympathique, avait un côté<br />

bricolo qui ne nous satisfaisait<br />

plus. Je pensais que l’on méritait<br />

davantage de soutien et de<br />

moyens. En fait, le message punk<br />

me plaisait vraiment : ne rien<br />

inscrire dans la durée, réinventer<br />

son avenir en décidant de tout<br />

casser et de recommencer.<br />

Ensuite, à côté de Marc Seberg, le<br />

groupe de Philippe Pascal, vous fondez<br />

Octobre, puis Senso, avec un<br />

chanteur nommé Pascal Obispo…<br />

F. D. : Avec Octobre, nous avons<br />

enregistré deux albums avec deux<br />

chanteurs différents, dont Patrick<br />

Vidal, ex-Marie et les Garçons.<br />

Nous avons même joué en première<br />

partie de David Bowie, à l’hippodrome<br />

d’Auteuil, en juin 1983. Puis<br />

j’ai créé Senso, deux albums aussi,<br />

dont un avec Pascal Obispo : il était<br />

bassiste à l’époque, une sorte de<br />

“J’AIMAIS BIEN LE<br />

MESSAGE PUNK :<br />

RÉINVENTER<br />

SON AVENIR,<br />

TOUT CASSER ET<br />

RECOMMENCER.”<br />

rocker sophistiqué qui écoutait<br />

David Sylvian et Sakamoto. Un<br />

jour de répétition, il nous a fait une<br />

imitation très réussie d’Yves<br />

Montand et je lui ai proposé de<br />

prendre le micro. C’est ce jour-là<br />

qu’il est devenu chanteur. Le<br />

disque n’est sorti qu’à mille exemplaires<br />

et est passé assez inaperçu.<br />

Mais j’ai été l’éditeur de son premier<br />

album solo, ce qui a amélioré<br />

mon ordinaire…<br />

Comment avez-vous été amené à<br />

collaborer avec Étienne Daho ?<br />

F. D. : J’ai commencé à travailler sur<br />

ses premières maquettes, comme<br />

musicien, arrangeur et co-compositeur.<br />

Comme le premier album,<br />

Mythomane, n’avait pas vraiment<br />

marché, on lui a demandé d’enregistrer<br />

ensuite un maxi-single. On<br />

a fait “Le Grand Sommeil” avec<br />

trois francs six sous et ça a été le<br />

premier tube radio d’Étienne. Du<br />

coup, j’ai produit l’album suivant<br />

La Notte, la Notte, en 1984, qui a<br />

été disque d’or. Puis le titre “Tombé<br />

pour la France”. Les groupes commençaient<br />

à me lasser, j’étais ravi<br />

de me lancer dans la production.<br />

Ensuite, je suis parti pour le<br />

Portugal où j’ai travaillé dix ans,<br />

essentiellement avec un artiste très<br />

populaire là-bas, Paulo Gonzo,<br />

dont j’ai produit cinq albums.<br />

Après le Portugal, vous devenez<br />

militant autonomiste breton. Un<br />

retour aux sources ?<br />

F. D. : Je suis né à Loudéac, au cœur<br />

du pays breton, mais je me sentais<br />

plutôt européen. J’avais un grandpère<br />

qui militait pour la défense de<br />

la langue bretonne et un jour, je<br />

suis tombé sur une caisse de livres<br />

qui lui appartenaient. Ça a été un<br />

choc terrible. Je me suis rendu<br />

compte que tout ce que j’avais<br />

appris à l’école n’avait rien à voir<br />

avec l’histoire du lieu où je vivais,<br />

que le roman national français a<br />

complètement occultée. Plus tard,<br />

j’ai participé aux élections municipales<br />

de 2008 avec le Parti Breton<br />

et je suis devenu collaborateur politique<br />

à la mairie de Rennes pendant<br />

trois ans. En 2014, j’ai fait<br />

partie de la liste de Breizh Europa,<br />

un micro-parti qui milite pour une<br />

citoyenneté bretonne et européenne.<br />

Nous avons fait 3,8 %, ce<br />

qui n’était jamais arrivé. Aux prochaines<br />

municipales, je serai tête<br />

de liste à Rennes.<br />

La musique, la politique, l’écriture…<br />

C’est quoi le lien dans tout ça ?<br />

F. D. : Dans ma vie, j’ai fait plein de<br />

petits boulots : carreleur en<br />

Bretagne, livreur de perruques à<br />

Manhattan, régisseur en Chine,<br />

marchand de tableaux sur<br />

Internet, importateur de guitares<br />

vintage… Mais j’ai compris assez<br />

vite que la musique permettait de<br />

se construire une vie différente.<br />

L’écriture et le militantisme en<br />

font pleinement partie. Le tout<br />

est que cela dure le plus longtemps<br />

possible…<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 31


ANNIVERSAIRE<br />

Chroniques sous influence<br />

e<br />

De l’apologie du psychédélisme aux enquêtes sur les abus de la lutte antidrogue,<br />

<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> aura étudié de nombreux aspects de la relation complexe<br />

que les États-Unis ont toujours entretenue avec les stupéfiants. Par DAVID BROWNE<br />

En octobre 1967, alors que le<br />

premier numéro de <strong>Rolling</strong><br />

<strong>Stone</strong> est sur le point de sortir,<br />

la petite équipe du magazine<br />

apprend une nouvelle incroyable<br />

: des membres du Grateful Dead<br />

viennent d’être arrêtés pour détention de<br />

marijuana dans la maison où ils habitent<br />

en communauté dans le quartier de<br />

Haight-Ashbury à San Francisco, à<br />

quelques kilomètres seulement des bureaux<br />

de la rédaction. “C’était vraiment<br />

bizarre”, se souvient le photographe en<br />

chef Baron Wolman. “Le bureau des cautions<br />

était juste à côté de nos locaux, alors<br />

j’y suis allé. Ils étaient en train de payer la<br />

leur.” Jann S. Wenner, fondateur et rédacteur<br />

en chef du magazine, demande alors<br />

à Wolman de pendre un cliché du groupe,<br />

qu’il accompagnera, pour le premier numéro,<br />

d’un article décrivant huit agents de<br />

la brigade des stupéfiants qui “n’avaient<br />

pas de mandat et sont entrés dans la maison<br />

par effraction alors qu’on leur en avait<br />

refusé l’accès.”<br />

À cette époque, cela fait déjà longtemps<br />

que le rock’n’roll et la drogue sont indissociables. Les Beatles et Bob<br />

Dylan parlent de la liberté créatrice que permet l’usage des drogues<br />

psychédéliques ; les fans se roulent des joints sur les pochettes<br />

d’albums et planent en écoutant Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club<br />

Band et Blonde on Blonde. Il n’y a donc rien d’étonnant au fait que,<br />

dès ses débuts, le magazine parle de drogue. “<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> était issu<br />

de la culture de la drogue, explique Wenner. En parler faisait partie<br />

de notre mission, qui consistait à couvrir tous les aspects de la culture<br />

de la génération des baby-boomers.” Un des premiers numéros promet<br />

“QUARANTE PAGES PLEINES DE DROGUES, DE SEXE ET<br />

DE SENSATIONS À PAS CHER”. Une rubrique “Came” propose des<br />

conseils et des infos, par exemple sur la tentative de légalisation de<br />

l’herbe au Canada. Le cinquième numéro du magazine s’accompagne<br />

d’un cadeau d’abonnement assez gonflé : une pince à joint (“Ce petit<br />

gadget bien pratique est à vous pour rien ! Profitez-en maintenant,<br />

avant que cette offre ne soit plus légale !”) Dans les pages du magazine,<br />

les rockers parlent librement de marijuana ou en fument<br />

pendant les interviews. “<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> a été l’un des premiers endroits<br />

où les gens ont avoué sans détour qu’ils fumaient de l’herbe”,<br />

raconte Robert Greenfield, alors correspondant du magazine à<br />

Londres, et qui réalisera un peu plus tard une interview du roi du<br />

LSD et technicien du son Owsley Stanley. “Les gens comme Timothy<br />

Leary se faisaient incarcérer parce qu’ils fumaient de l’herbe. Mais<br />

à <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>, il y avait des gens qui osaient parler de ce que c’était<br />

que planer, ce qui était assez courageux à l’époque.”<br />

Un drôle de trip<br />

À gauche : Les Grateful Dead et leurs amis devant leur maison<br />

de Haight-Ashbury juste après leur arrestation pour détention<br />

et usage de marijuana, en 1967. Le récit de l’arrestation, écrit<br />

par Jann Wenner, paraîtra dans le premier numéro du magazine.<br />

Ci-dessus : publicité de <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> en 1968 pour un porte-joint<br />

offert aux abonnés.<br />

Mais les articles sur la drogue ne sont pas toujours aussi légers. “Nous<br />

voulions en parler de manière responsable, explique Jann S. Wenner.<br />

Il fallait être honnête sur les aspects ludiques, mais également sur les<br />

dangers.” Basé sur des questionnaires fournis aux troupes américaines<br />

postées à travers le monde, l’article du journaliste Charles Perry “Estce<br />

bien ainsi qu’on doit faire marcher l’armée : défoncée ?”, qui paraît<br />

en 1968, explore l’utilisation de l’herbe par les soldats au Viêtnam.<br />

“L’armée a retiré des centaines de milliers d’étudiants de l’école pour<br />

les larguer dans ce qui ressemble au paradis de la marijuana, écrit<br />

alors Charles Perry. Au Viêtnam, on peut l’acheter déjà roulée sous<br />

forme de cigarette en paquet de dix (200 par cartouche) et le paquet<br />

coûte un dollar.”<br />

Au même moment, aux États-Unis, l’administration Nixon est sur le<br />

point de déclencher une autre guerre, cette fois contre ses propres<br />

concitoyens. En 1971, le président lance une “attaque à grande échelle<br />

contre le problème de la drogue en Amérique” en fondant la Drug<br />

Enforcement Administration (DEA, l’Agence américaine antidrogue).<br />

Dans un article en deux épisodes paru en 1972, intitulé “L’étrange<br />

affaire de la mafia hippie”, le journaliste Joe Eszterhas raconte comment<br />

la Fraternité de l’amour éternel, une communauté hippie installée<br />

en Californie, est harcelée par la justice locale, qui considère les<br />

© GETTY IMAGES. DR.<br />

32 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


© DR.<br />

membres comme une “Cosa Nostra en jeans”. Lors d’une descente,<br />

les autorités ne saisiront qu’une balance, une lettre qui “parle d’un<br />

individu qui utilise de la marijuana” et “une pince à joint contenant<br />

des résidus de marijuana.” Eszterhas explique : “Le pays était divisé<br />

en deux camps bien distincts, et la Fraternité est devenue un exemple<br />

de cette guerre rangée.” Il poursuit : “À cette époque, à Laguna Beach,<br />

c’était la guerre entre les résidents normaux et ceux qui avaient les<br />

cheveux longs, une guerre parfois mortelle.”<br />

Le magazine se lance également dans des enquêtes sur les côtés les<br />

plus sombres de l’abus de stupéfiants, dont des articles sur l’augmentation<br />

de l’utilisation de la cocaïne, de l’héroïne et des Quaaludes.<br />

“Nous prenions bien soin de représenter les aspects négatifs de la question,<br />

précise Wenner. Très tôt, nous avons pris le parti de dire que les<br />

drogues dures étaient mauvaises.”<br />

En 1980, dans un article très dur<br />

sur la propagation de la prise de<br />

cocaïne, Perry décrit comment un<br />

utilisateur “s’est persuadé qu’il<br />

pouvait voir des ‘anticorps noirs’<br />

dans son tissu musculaire qui<br />

faisaient sortir de dangereux vers<br />

blancs de sa peau. Après avoir<br />

examiné les anticorps et les vers<br />

avec un microscope, il a extirpé les<br />

‘vers’ de sa peau avec une aiguille<br />

et une pince à épiler, puis les a<br />

stockés dans des flacons pour les<br />

examiner.” En 1983, l’article<br />

d’Anthony Haden-Guest “Les<br />

jeunes, les riches et l’héroïne”<br />

brosse un portrait<br />

sordide de l’augmentation<br />

de l’utilisation de la<br />

poudre dans l’ère Reagan,<br />

pourrie par l’argent.<br />

Un an plus tôt, Reagan a<br />

donné un coup de jeune<br />

au programme antidrogue<br />

du gouvernement.<br />

La loi de 1986<br />

(Anti-Drug Abuse Act)<br />

2<br />

instaure de nouvelles<br />

condamnations minimums<br />

obligatoires, dont<br />

certaines sont très différentes<br />

selon les États en ce qui concerne la<br />

possession de crack et de cocaïne. Au cours<br />

de la décennie suivante, le nombre de personnes<br />

incarcérées pour des délits liés à la<br />

drogue sera multiplié par six, atteignant<br />

presque 300 000. Dans un édito de 1990,<br />

Wenner décrit la lutte antidrogue comme<br />

“notre prochain Viêtnam” et écrit que “malgré<br />

des décennies d’interdiction et d’efforts<br />

pour faire respecter la loi qui ont coûté des<br />

milliards de dollars, il y a plus de drogue et<br />

de sang dans la rue que jamais.” En 1992, dans son article intitulé<br />

“L’affaire Gary Fannon”, Mike Sager raconte comment un jeune de<br />

18 ans originaire du Michigan a été condamné à la perpétuité pour<br />

avoir organisé une vente de cocaïne avec un policier sous couverture.<br />

Le magazine soutiendra ouvertement la demande de libération de<br />

Fannon et, en 1996, un jugement reconnaîtra l’incitation au crime.<br />

Pour un numéro spécial en 1994, Wenner engage Ethan Nadelmann,<br />

le fondateur de la Drug Policy Alliance, pour coécrire l’article de<br />

couverture réclamant une “nouvelle politique sur la drogue” qui<br />

décriminaliserait les petites quantités d’herbe et permettrait qu’on<br />

“arrête de remplir nos prisons avec des petits dealers et des utilisateurs<br />

malchanceux.” Pour Nadelmann, “c’était très important de faire<br />

1<br />

Covering the Drug Culture<br />

1. Un article paru en 2010 passe<br />

en revue l’économie de l’herbe aux USA.<br />

2. Couverture d’un numéro spécial<br />

de 1994. 3. Un article de 2007 analyse<br />

les échecs retentissants de la lutte<br />

antidrogue.<br />

ce numéro spécial sur la politique en matière de drogue.” Il s’attarde<br />

un instant sur la couverture du magazine, ornée du titre très sérieux<br />

“DROGUES EN AMÉRIQUE” : “Voilà que cette publication dédiée<br />

aux arts et à la musique ne choisissait pas de mettre une star à la<br />

une, mais des mots pour parler de la lutte antidrogue.”<br />

En 15 000 mots, l’article écrit en 2007 par Benjamin Wallace-Wells,<br />

“Comment l’Amérique a perdu la guerre contre la drogue”, passera<br />

en revue trente-cinq ans de gaspillage fiscal, soulignant en particulier<br />

les excès du budget annuel de 12 milliards de dollars alloué à ce<br />

dossier par l’administration de George W. Bush : “Des avions de<br />

chasse pour s’attaquer aux cartels de la drogue colombiens, des sousmarins<br />

pour poursuivre les bateaux des trafiquants de cocaïne dans<br />

les Caraïbes… L’Amérique vaincrait ses ennemis à coup de torpilles<br />

et de F-16.” Pourtant, comme<br />

le fait remarquer le journaliste<br />

Tim Dickinson dans<br />

son article “Pourquoi l’Amérique<br />

ne peut pas abandonner<br />

la lutte antidrogue” paru<br />

l’an passé, “l’infrastructure<br />

profonde de la lutte antidrogue<br />

n’a fondamentalement<br />

pas changé sous<br />

Obama”, qui a entre autres<br />

augmenté les budgets alloués<br />

à l’application des lois<br />

antidrogue. Comme Dickinson<br />

le dit : “Nous n’avons<br />

jamais eu peur de faire remarquer<br />

la stupidité de la<br />

lutte antidrogue.”<br />

Dickinson rappelle également<br />

la suspicion avec laquelle<br />

le cannabis thérapeutique<br />

a d’abord été reçu : “Les reporters<br />

de la côte Est pensaient que tous<br />

ceux qui voulaient utiliser le cannabis<br />

thérapeutique étaient des<br />

hippies qui tentaient de rouler les<br />

gens.” Mais l’article<br />

3<br />

“Marijuanamerica” de<br />

Mark Binelli, paru<br />

en 2010, montre comment<br />

la marijuana médicale est<br />

devenue une force économique,<br />

et décrit “un moment<br />

clé, charnière”, une<br />

drôle de rencontre entre<br />

“des hors-la-loi vertueux<br />

et des dealers droits dans<br />

leurs bottes, des marginaux<br />

consciencieux et des<br />

affreux armés jusqu’aux<br />

dents, qui doivent tous à<br />

présent adapter leurs<br />

compétences à un paysage économique et juridique en perpétuelle<br />

évolution.”<br />

La marijuana thérapeutique est désormais légale dans vingtneuf<br />

États et huit États, ainsi que le District of Columbia autorisent<br />

l’usage récréatif du cannabis. “Ce monde est différent de celui dans<br />

lequel nous avons grandi, commente Dickinson. Aujourd’hui, il y a<br />

une pharmacie, une épicerie et un dispensaire dans chaque centre<br />

commercial.” Et alors que Donald Trump et son procureur général Jeff<br />

Sessions expriment le désir de revenir aux jours les plus durs de la lutte<br />

antidrogue, Dickinson conclut : “Observons où cela nous mènera. Nous<br />

devons rester vigilants.” Comme le dit Wenner : “Nous avons fait notre<br />

travail, et nos lecteurs sont avec nous.”<br />

TRADUCTION ET ADAPTATION DE KATHLEEN AUBERT<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 33


NICE GUYS<br />

Une œuvre prolifique,<br />

une pop inspirante,<br />

le duo étincelle toujours.


ROCK & ROLL<br />

Sparks forever !<br />

Une pop intemporelle et à forte personnalité : avec ce nouvel album, Hippopotamus,<br />

le duo prouve qu’il a toujours beaucoup de choses à dire. Rencontre. Par Sophie Rosemont<br />

© ELAINE STOCKI<br />

D<br />

isons-le honnêtement,<br />

on ne pensait pas les<br />

retrouver aussi vite. En<br />

effet, les frères Russell<br />

et Ron Mael nous avaient épatés<br />

lors de leur collaboration avec<br />

Franz Ferdinand, en 2015. Le fruit<br />

de leur travail, FFS, était un disque<br />

de rock parfaitement contemporain,<br />

sautillant et alternatif à la<br />

fois. Lors de la tournée mondiale<br />

qui avait suivi, les Sparks s’étaient<br />

montrés en très grande forme,<br />

mais on n’osait penser les revoir si<br />

vite. Même si ce sont ces mêmes<br />

concerts qui les ont incités à<br />

remettre le couvert ! “Dès le début,<br />

nous avons été très excités par ce<br />

nouvel album, explique Russell<br />

Mael. C’est rare d’avoir l’occasion<br />

de sortir autant de chansons en<br />

une seule vie, de trouver la force de<br />

se réinventer et d’avoir encore un<br />

mot à dire à notre âge, alors nous<br />

en profitons !”<br />

Nous sommes dans la suite d’un<br />

hôtel du centre parisien. Chic,<br />

mais pas branché. Calme, mais<br />

pas morose. On retrouve là la discrétion<br />

des Sparks… Même si eux<br />

restent reconnaissables entre<br />

mille. Ron, sa fine moustache, sa<br />

cravate et sa coiffure impeccablement<br />

plaquée. Russell et sa chevelure<br />

ébouriffée, son style plus<br />

décontracté et ses chaussettes de<br />

couleur. Tous deux ont respectivement<br />

71 et 68 ans mais ne les font<br />

pas, même de près – sans doute<br />

grâce à l’air pur californien dans<br />

lequel ils baignent depuis leur<br />

naissance à Los Angeles. Là où ils<br />

écoutaient, enfants, les Kinks,<br />

Pink Floyd ou les Who. Dès le<br />

début des années 1970, alors qu’ils<br />

étudient le théâtre et le cinéma à<br />

l’UCLA, ils écrivent leurs propres<br />

morceaux. D’abord sous le nom<br />

d’Halfnelson, produit par Todd<br />

Rundgren, mais sans grand succès,<br />

puis en tant que Sparks. C’est<br />

avec Kimono My House, en 1974,<br />

enregistré avec des musiciens londoniens,<br />

que les frères Mael<br />

percent véritablement – “This<br />

Town Ain’t Big Enough for Both<br />

of Us” est un tube dont personne<br />

ne s’est vraiment remis. Depuis,<br />

leur bonne réputation n’a jamais<br />

terni et ils ont réussi à passer du<br />

glam à l’art rock et à une drôle<br />

d’électro-pop, avec l’aide de<br />

Giorgio Moroder. En 2006, Hello<br />

Young Lovers témoignait encore<br />

de leur inspiration sans cesse<br />

renouvelée, tout comme leur<br />

comédie musicale consacrée à<br />

Ingmar Bergman. Aujourd’hui,<br />

tout le gratin de la scène pop<br />

contemporaine se réclame d’eux,<br />

d’Arcade Fire à MGMT.<br />

Le secret d’un tel engouement : leur<br />

sens de la mélodie, assorti d’une<br />

rigueur presque étonnante dans le<br />

milieu de la pop. “Hormis l’exception<br />

FFS, nous produisons notre<br />

musique nous-mêmes, précise<br />

Ron. Tout est plutôt cloisonné,<br />

cadré, encapsulé et rassurant.<br />

Notre son est singulier, nous y<br />

tenons beaucoup et préférons ne<br />

pas le laisser à quelqu’un d’autre !”<br />

Le but est d’emporter l’auditeur<br />

ailleurs que chez lui, sans le perdre<br />

en route. Dixit Russell, “ce serait<br />

prétentieux de notre part de parler<br />

de libération des esprits. Cependant,<br />

la pop possède quelque chose<br />

que les autres genres n’ont pas :<br />

plonger dans un état d’esprit, une<br />

ambiance à part.” Enfin, l’esthétique<br />

des Sparks est sans aucun<br />

doute leur point fort. Leur<br />

influence cinématographique est<br />

évidente : les deux frères dévorent<br />

des films depuis leur plus jeune âge<br />

et planchent actuellement sur un<br />

projet avec Leos Carax, qui intervient<br />

sur la chanson “When You’re<br />

a French Director”. “Nous l’avons<br />

récemment rencontré à Cannes. Il<br />

avait utilisé une de nos chansons<br />

dans Holy Motors, ‘How Are You<br />

Getting Home?’, raconte Russell.<br />

ROCK, ROCK, ROCK<br />

Depuis leurs débuts,<br />

les Sparks cultivent<br />

une esthétique à part.<br />

“LA CHANSON EST UN MOYEN LUDIQUE<br />

DE PARLER DE NOS CONGÉNÈRES, AVEC<br />

TOUT LE RESPECT QU’ON LEUR DOIT.”<br />

Nous avons réfléchi à un projet<br />

commun de film, qui se nourrisse<br />

à la fois de nos paroles et de son<br />

expérience personnelle. Ce sera<br />

pour Leos son premier film en<br />

anglais et à gros budget, le tournage<br />

devrait se faire en début d’année<br />

prochaine et nous avons hâte<br />

de voir le résultat !” Nous aussi. En<br />

attendant, on les verra sur la scène<br />

de la Cigale pour les 30 ans de la<br />

salle parisienne, invités par<br />

Catherine Ringer. Depuis leur hit<br />

avec les Rita Mitsouko, “Singing in<br />

the Shower” (en 1988), ils sont restés<br />

très amis. Un peu comme la<br />

plupart des gens qui croisent le<br />

chemin des frères Mael. En particulier<br />

en France, où leur public<br />

leur est acquis depuis des années.<br />

Ce n’est pas un hasard s’ils citent<br />

Édith Piaf dans l’un de leurs nouveaux<br />

titres, “Édith Piaf (Said It<br />

Better Than Me)” : ils ne regrettent<br />

rien, affirment-ils.<br />

Mais ce qui ressort le plus souvent<br />

des morceaux des Sparks, c’est leur<br />

profonde affection pour l’être<br />

humain dans les grandes largeurs.<br />

En le mettant en scène dans des<br />

situations banales (un intérieur au<br />

style suédois dans “ Scandinavian<br />

Design”, au lit avec sa dulcinée<br />

avec “The Missionary Position”) ou<br />

insolite (sur un plateau de cinéma<br />

dans “When You’re a French<br />

Director”, face à une piscine squattée<br />

par un hippopotame dans<br />

“ Hippopotamus”), c’est lui le héros,<br />

quoi qu’il arrive. “La chanson est<br />

un moyen très ludique de parler de<br />

nos congénères avec tout le respect<br />

qu’on leur doit”, confirme Russell<br />

Mael. Sur “What the Hell Is It This<br />

Time?”, en revanche, ils interrogent<br />

indirectement le rapport à<br />

Dieu. Sont-ils croyants ? “C’est rassurant<br />

de penser qu’il peut y avoir<br />

quelque chose, aussi abstrait que<br />

cela puisse être. Ce qui est embêtant,<br />

c’est de ne pas pouvoir faire<br />

appel à Dieu pour des broutilles,<br />

attendre les drames pour le supplier<br />

de nous venir en aide”, sourit<br />

Ron. “Je suis plus attiré par le<br />

bouddhisme et le shintoïsme : la<br />

présence divine compte, elle peut<br />

d’ailleurs se décliner au pluriel,<br />

mais elle régit le quotidien des<br />

hommes avec plus de subtilité”,<br />

répond Russell. En tout cas, leur<br />

spiritualité transperce à travers<br />

leurs textes poétiques jonglant<br />

entre métaphore et pragmatisme,<br />

parlant ainsi à toutes les générations.<br />

C’est le souhait le plus cher<br />

des Sparks, comme l’exprime<br />

Russell : “Notre rêve, ce serait<br />

qu’un jeune écoute Hippopotamus<br />

et se demande pourquoi il n’a pas<br />

acheté nos précédents disques !”<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 35


Q&R<br />

ICONIQUE<br />

La légende de la country<br />

a multiplié les récompenses<br />

tout au long de sa carrière.<br />

Emmylou Harris<br />

Roy, Bob, Neil, Gram, Rodney, Paul, Steve, Townes…<br />

Elle les aura tous chantés et rencontrés. Et surtout, partagé le micro avec eux.<br />

Orbison, Dylan, Parsons, Crowell, Simon, Earle ou Van Zandt…<br />

Les plus grands songwriters américains ont offert un écrin à sa voix magique. Rencontre.<br />

Propos recueillis par Stan Cuesta<br />

Se retrouver au milieu de<br />

nulle part, à Craponne-sur-<br />

Arzon, en Auvergne, pour<br />

une interview exclusive<br />

d’ Emmylou Harris, a quelque chose<br />

de surréaliste et de très émouvant.<br />

Elle est là pour le Country Rendez-<br />

Vous, seule date française de sa<br />

tournée européenne. On y découvre<br />

une grande dame, belle, chaleureuse,<br />

franche, ouverte, drôle. Elle<br />

n’a rien à vendre, nous non plus.<br />

Tant mieux. C’est dans ces cas-là<br />

que la magie opère…<br />

Les Français ont une vision très<br />

romantique de votre association avec<br />

Gram Parsons… Cela vous ennuie ?<br />

Emmylou Harris : Oh ! c’est le cas de<br />

tout le monde. Ça ne me dérange<br />

plus. Mais pourquoi sommesnous<br />

tant obsédés par le romantisme<br />

lié au fait de mourir jeune ?<br />

Vous pensez que c’est pour ça ?<br />

E. H. : Bien sûr, parce qu’il est beaucoup<br />

plus difficile de vieillir. C’est<br />

une telle tragédie que sa vie ait<br />

été si courte. Évidemment,<br />

j’aurais aimé qu’il vive, que l’on ait<br />

la possibilité d’avoir une longue<br />

amitié, peut-être même une histoire<br />

d’amour, parce qu’il est mort<br />

avant que ça puisse arriver… Mais<br />

il m’a tellement donné, dans ma<br />

vie, dans ma musique. Pas seulement<br />

pour l’étape que j’ai franchie<br />

dans ma carrière, en étant connue<br />

à travers lui, mais pour les gens<br />

dont j’ai hérité, son merveilleux<br />

manager, la façon dont on a prêté<br />

attention à ce que je faisais, même<br />

si j’étais en train d’apprendre et de<br />

grandir sans lui. J’ai essayé de<br />

parler de tout ça dans cette chanson,<br />

“The Road”.<br />

Vous avez atteint très tôt une sorte<br />

d’état de grâce avec lui, il y avait<br />

quelque chose de magique entre<br />

vous…<br />

E. H. : J’étais une sorte de folksinger,<br />

j’ai eu la chance de partir sur<br />

la route et de faire un disque,<br />

mais en chemin, j’ai appris, je suis<br />

devenue une vraie chanteuse, j’ai<br />

trouvé ma voie en chantant en<br />

© JACK SPENCER<br />

36 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


© DR/NONESUCH/GETTY IMAGES<br />

harmonie avec Gram. Grâce à lui,<br />

j’ai compris la vraie beauté de la<br />

country music dans ce qu’elle a de<br />

meilleur : des paroles simples, la<br />

tournure d’une phrase, la concision…<br />

Ensuite, bien sûr, j’ai dû<br />

devenir une artiste à part entière,<br />

et j’ai eu la chance d’avoir à mes<br />

côtés des gens comme Rodney<br />

Crowell, de merveilleux musiciens,<br />

de super- producteurs, qui<br />

m’ont permis d’être inspirée… audelà<br />

de Gram. Mais je n’essaierai<br />

certainement<br />

jamais de minimiser l’importance<br />

de son irruption<br />

dans ma vie.<br />

Et vous avez joué avec ses<br />

musiciens…<br />

E. H. : Ensuite, oui, quand la<br />

maison de disques a décidé<br />

que j’avais quelque chose, à<br />

ma grande surprise, ils<br />

m’ont dit : “Prenons le<br />

groupe qui a enregistré ces<br />

deux albums avec Gram.”<br />

C’était essentiellement les<br />

musiciens qui avaient travaillé<br />

avec Elvis : Glen D.<br />

Hardin, James Burton,<br />

Emory Gordy Jr., et John<br />

Ware, des Bellamy Bothers.<br />

Mais je pense que les jokers<br />

ont été Rodney et Hank<br />

DeVito. Tous les trois, nous<br />

étions plus jeunes et apportions<br />

une sensibilité rock.<br />

Rodney était venu à la<br />

country music de façon très<br />

organique : à 10 ans, il jouait<br />

de la batterie avec le groupe<br />

de son père dans les honky<br />

tonks de Houston. Hank et<br />

moi étions plutôt des sortes<br />

de convertis de la côte Est.<br />

Le dernier album de Rodney<br />

Crowell est magnifique…<br />

E. H. : Oh, oui ! Il y a cette<br />

chanson, “Nashville 1972”,<br />

que j’adore. Et l’hommage à<br />

Susanna Clark, bien sûr…<br />

Elle a été tellement importante<br />

pour notre petite<br />

famille. Elle écrivait des<br />

chansons et elle peignait, mais<br />

son esprit, son humour, sa façon<br />

d’habiter le monde… Elle a été<br />

très importante pour Rodney et<br />

moi, et évidemment pour Guy.<br />

En parlant des songwriters que vous<br />

avez chantés, l’un des plus grands est<br />

probablement Townes Van Zandt…<br />

E. H. : J’ai rencontré Townes quand<br />

j’étais une folksinger dans la<br />

galère à New York, une sorte<br />

d’aspirante Joan Baez… Je faisais<br />

la première partie de tous ceux<br />

qui jouaient à Gerde’s Folk City,<br />

qui était l’endroit où tout le<br />

monde passait. C’était extraordinaire<br />

de l’entendre et de le voir…<br />

Il avait vraiment quelque chose.<br />

Je n’avais jamais vraiment<br />

entendu ce genre de paroles chantées<br />

avec ce gémissement hanté à<br />

la Hank Williams. Plus tard, on<br />

est entré en contact par l’intermédiaire<br />

de Guy et Susanna Clark.<br />

C’est intéressant de voir comment<br />

les vies des gens se croisent.<br />

Vous avez travaillé avec les plus<br />

grands. Lequel vous a le plus<br />

impressionnée ?<br />

E. H. : C’était un peu intimidant de<br />

chanter avec Roy Orbison… Un<br />

peu. (Rire.) Mais quel homme<br />

charmant ! Adorable. Et, bien sûr,<br />

Bob Dylan.<br />

Il vous a approchée ?<br />

E. H. : Il ne m’a pas approchée. Je<br />

ne pense pas que Bob approche<br />

qui que ce soit ! (Rire.) C’est son<br />

producteur exécutif qui m’a dit :<br />

“Bob veut une chanteuse pour<br />

faire des harmonies.” Mon ego<br />

m’a fait croire qu’il m’avait entendue<br />

et qu’il me voulait, moi. Mais<br />

il voulait juste une fille ! Je n’étais<br />

qu’une couleur de plus… sur sa<br />

toile. Ce qui était génial, en un<br />

ANGEL BAND<br />

Une guitare,<br />

une voix et la<br />

magie opère.<br />

“GRÂCE À GRAM PARSONS,<br />

J’AI COMPRIS LA VRAIE BEAUTÉ<br />

DE LA COUNTRY MUSIC DANS<br />

CE QU’ELLE A DE MEILLEUR.”<br />

sens, parce que je me suis pointée,<br />

on s’est dit bonjour, on s’est<br />

mis devant le micro avec les<br />

paroles – au moins j’avais les<br />

paroles ! – et on a commencé à<br />

chanter. Il n’y a eu aucun travail<br />

sur les chansons, aucun peaufinage,<br />

on faisait une prise et<br />

c’était bon. Tu te mets dans cet<br />

état d’esprit : OK, voilà la chanson,<br />

je dois suivre Bob. Tu ne<br />

penses pas : Je chante avec Bob<br />

Dylan ! Tu y penses avant, et tu y<br />

penses après. J’étais toujours<br />

inquiète de la justesse sur telle<br />

chanson, etc. Mais Bob vit dans<br />

l’instant, tu dois faire pareil.<br />

Cet album, Desire, est un chefd’œuvre.<br />

Reprenez-vous parfois ces<br />

chansons ?<br />

E. H. : Non. J’ai juste fait “Oh,<br />

Sister” avec Dave Matthews. J’ai<br />

fait quelques dates avec lui, il<br />

l’adore, moi aussi, alors on<br />

l’a répétée et j’ai beaucoup<br />

aimé la faire avec lui. Mais<br />

fondamentalement, je ne<br />

les ai jamais travaillées, ce<br />

sont les chansons de Bob…<br />

Sinon, je fais “Every Grain<br />

of Sand”, bien sûr, que<br />

j’adore.<br />

Et Neil Young ?<br />

E. H. : Neil Young est probablement<br />

mon artiste préféré,<br />

pour la façon dont il<br />

suit sa muse, même quand<br />

elle l’entraîne dans le fossé !<br />

J’adore tous ses disques.<br />

Bon, Trans, c’était un peu<br />

dur de rentrer dedans,<br />

mais je le respecte, parce<br />

que ça avait à voir avec son<br />

fils, les ordinateurs, etc. Et<br />

puis c’est quelqu’un qui<br />

s’occupe de justice sociale.<br />

Ce qu’il a fait avec Willie<br />

[Nelson], avec les concerts<br />

caritatifs de Bridge School,<br />

le fait qu’il ait sauvé Lionel<br />

Trains (il a racheté une<br />

partie de cette société de<br />

trains miniatures, ndlr)…<br />

C’est un Américain vraiment<br />

extraordinaire… pour<br />

un Canadien ! Et c’est un<br />

homme délicieux. Il a eu la<br />

générosité de venir chanter<br />

sur mon album Wrecking<br />

Ball. Il y a tant d’artistes<br />

que j’aime, dont la musique<br />

m’inspire.<br />

Justement, avec quels<br />

artistes rêveriez-vous encore<br />

de travailler ?<br />

E. H. : J’aurais aimé enregistrer<br />

avec Merle Haggard avant sa<br />

mort. Je suis sûre qu’il y en a<br />

d’autres. Mais j’ai chanté avec<br />

tant de gens ! Avec Joan Baez – on<br />

a fait un concert de charité<br />

ensemble –, avec Jackson Browne,<br />

il y a quelques années. Oui, j’ai<br />

quasiment chanté avec tous les<br />

artistes que je connais… Et même<br />

avec quelques-uns que je ne<br />

connais pas !<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 37


PHOTO<br />

BLACK & WHITE<br />

La photographe<br />

française a capturé<br />

dans son objectif les<br />

plus grands noms du<br />

rock international.<br />

Carole Epinette<br />

Le rock dans le fond des yeux<br />

Après le Pays basque et la Suisse, son exposition Rock Is Dead pose ses bagages,<br />

et surtout ses photos, à Paris.<br />

Par Xavier Bonnet<br />

Bientôt un quart de<br />

siècle qu’elle trimballe<br />

d’une séance à un<br />

concert ses boîtiers, objectifs,<br />

lumières, trépied, quitte<br />

parfois à plier sous leur poids.<br />

Bien longtemps qu’on n’énumère<br />

plus les publications – <strong>Rolling</strong><br />

<strong>Stone</strong> compris – qui ont accueilli<br />

ses photos. Une exposition de ses<br />

clichés ? L’envie était là depuis<br />

longtemps, mais elle se trouvait<br />

toujours une raison (pas forcément<br />

bonne) pour ne pas franchir<br />

le pas. À commencer par le<br />

sempiternel “Pourquoi-moi-çava-intéresser-qui-bla-bla-bla…”<br />

On connaît la chanson. “Ce qui<br />

m’intéressait avant tout, c’était<br />

de les faire, ces photos, ponctuet-elle.<br />

Après, pour ce qui était de<br />

les montrer, il y avait les magazines<br />

auxquels je collaborais.<br />

Elles se montraient d’ellesmêmes,<br />

vivaient d’elles-mêmes,<br />

en quelque sorte.”<br />

Cette exposition existe désormais<br />

et va connaître sa troisième incarnation<br />

après Anglet, au Pays<br />

Basque, au printemps 2016 et<br />

Orbe, en Suisse, au début de cette<br />

année. Cette troisième mouture a<br />

été quelque peu réaménagée par<br />

rapport aux précédentes, dans la<br />

sélection comme dans le format<br />

– retravaillé – de certaines photos,<br />

mais fidèle à ce mélange d’images<br />

posées et live. Fidèle aussi à cette<br />

envie revendiquée de privilégier le<br />

noir et blanc, à une exception près<br />

(un cliché d’Iron Maiden) : “J’ai<br />

toujours adoré ça et je me suis<br />

toujours sentie frustrée que les<br />

magazines préfèrent quasi exclusivement<br />

la couleur, considérant<br />

souvent le noir et blanc comme<br />

‘trop vieux, ringard’. Personnellement,<br />

je trouve au noir et blanc<br />

une vraie classe. C’est aussi par<br />

goût personnel que j’opte souvent<br />

pour un noir et blanc très<br />

contrasté. J’ai toujours travaillé<br />

mes photos personnelles de cette<br />

manière et j’ai profité de l’exposition<br />

pour en faire de même avec<br />

celles que j’avais choisies pour<br />

l’occasion, y compris pour certaines<br />

photos qui avaient été publiées<br />

en couleur.”<br />

Le résultat est à la hauteur. Et<br />

qu’ils se nomment Lemmy<br />

Kilmister (Motörhead), Ozzy<br />

Osbourne, James Hetfield<br />

( Metallica), Marilyn Manson,<br />

David Bowie, James Brown, Amy<br />

Winehouse, Alain Bashung,<br />

Angus Young (AC/DC), Jack<br />

White (The White Stripes) et<br />

consorts – ils sont une vingtaine<br />

au total –, leurs expressions vous<br />

sautent au visage. “Un artiste rock<br />

a ceci de particulier à photographier<br />

qu’il est brut, explique<br />

Carole Epinette. C’est vrai quand<br />

il pose – la première motivation en<br />

vue de cette expo était d’ailleurs de<br />

me focaliser sur les gueules du<br />

rock –, mais aussi sur une scène où<br />

il joue souvent le jeu devant l’objectif,<br />

où il se donne à fond et où<br />

l’énergie est palpable. Le côté provocateur<br />

de la plupart d’entre eux<br />

m’attire également beaucoup.”<br />

Provocateur, le nom de l’exposition,<br />

Rock Is Dead, l’est tout autant.<br />

À dessein. La photographe le<br />

reconnaît, il est aussi, de manière<br />

sous-jacente, l’expression d’une<br />

certaine nostalgie : “Les conditions<br />

de travail des photographes<br />

musicaux ne favorisent plus de la<br />

même façon la complicité avec ces<br />

artistes. Mais mon but n’est surtout<br />

pas de dire ‘C’était mieux<br />

avant’, ce discours-là ne m’intéresse<br />

pas. Mais cela ne m’empêche<br />

pas de regretter que l’échange humain<br />

soit désormais de plus en<br />

plus contrôlé et restreint.”<br />

Rock Is Dead, 20 ans de photo rock –<br />

Carole Epinette. Du 31 août au 30 septembre,<br />

Galerie Stardust, 37, rue de Stalingrad,<br />

Le PréSaint-Gervais (93). Métro Hoche.<br />

À suivre sur Facebook.<br />

© CAROLE EPINETTE<br />

38 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


ROCK & ROLL<br />

NOUVEAUX ARTISTES<br />

Declan McKenna<br />

À peine majeur, ce jeune prodige anglais est parti pour conquérir le monde entier.<br />

L’evening standard parle de lui comme de “la voix de la génération<br />

z”. Certes, mais ce n’est pas tout. À 18 ans, Declan<br />

McKenna est un de ces petits prodiges du rock comme<br />

l’Angleterre sait si bien les concevoir. À 8 ans, il apprend la<br />

guitare, tout en écoutant David<br />

Bowie, les Strokes et Jeff Buckley.<br />

À 16 ans, après avoir enregistré<br />

des dizaines et des dizaines de<br />

chansons seul chez lui, il gagne le<br />

prix Emerging Talent du légendaire<br />

festival Glastonbury grâce<br />

à “Brazil”, qui évoque la corruption<br />

de la FIFA. C’est qu’il n’a pas<br />

la langue dans sa poche, le petit<br />

gars. Amateur de foot, il n’avait<br />

pas supporté que la dernière<br />

Coupe du monde soit autant viciée<br />

par l’argent. À 17 ans, il<br />

quitte l’école et part sur les routes<br />

britanniques et américaines défendre<br />

sa musique juvénile et<br />

engagée, où il est question de<br />

politique, d’environnement, de<br />

genre, d’attentats, des violences<br />

policières et de positionnement<br />

social. Bref, tout ce qui concerne<br />

la jeunesse d’aujourd’hui. Sachant piocher dans le punk sous influence<br />

ska des Clash comme dans la power pop plurielle de Vampire Weekend<br />

(Rostam Batmanglij a d’ailleurs coécrit et produit un morceau sur son<br />

disque), McKenna maîtrise les armes du rock’n’roll avec un naturel<br />

confondant et, surtout, un sens<br />

mélodique étonnamment abouti<br />

pour son âge. Il n’en faut pas plus<br />

pour qu’on le compare à Jake<br />

Bugg, autre jeune guitariste surdoué<br />

apparu il y a quelques années…<br />

Avec le penchant pour les<br />

joints d’herbe et la moue boudeuse<br />

en moins. Car Declan<br />

McKenna affiche déjà un style<br />

bien à lui, mis en valeur sur son<br />

premier album d’une pop plurielle<br />

mâtinée de rock et d’un on<br />

ne sait quoi de typiquement british.<br />

What do you think about the<br />

car? a été majoritairement produit<br />

par James Ford, qui a réalisé<br />

les albums de Foals, de Depeche<br />

Mode ou de l’un des groupes préférés<br />

de McKenna, les Arctic<br />

Monkeys. On lui souhaite le même<br />

destin.<br />

SOPHIE ROSEMONT<br />

Pale Seas<br />

Traversée mélodique en eaux claires.<br />

Originaire de Southampton, ce groupe a bousculé la scène indie rock<br />

anglaise en 2013 grâce à deux EP au charme ravageur. Puis silence<br />

radio. Séparation, dispute, manque d’inspiration ? Que nenni : Pale<br />

Seas a refusé les propositions alléchantes de nombre de labels pressés<br />

et s’est enfermé en studio, sur l’île de Wight, pendant deux ans pour<br />

peaufiner le premier album dont il rêvait. En résulte Stargazing for<br />

Beginners, impeccable condensé de guitares saturées et de mélodies<br />

romantiques servi par une production savante. S. R.<br />

© SANAA ABSTAKT ; ROCK TO THE BEAT<br />

Nova Twins<br />

Punkettes 2.1<br />

Découvertes sur la scène des Trans Musicales de Rennes en 2016, ces<br />

deux donzelles londoniennes s’illustrent sur un genre singulier et<br />

décoiffant qu’on appelle aussi l’urban punk. Amy Love et Georgia<br />

South ne lésinent ni sur les riffs agressifs ni sur un flow trempé dans<br />

l’acide. Après deux ans à tourner en Angleterre et en France, elles ont<br />

sorti un premier EP très remarqué avant l’été, en attendant un premier<br />

album qui promet de secouer, prévu pour l’automne. Oreilles<br />

sensibles s’abstenir, le girl power est en marche et fait du bruit ! S. R.<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 39


Q&R<br />

Robin Campillo :<br />

“ Ce n’était pas juste un docu-drama sur Act Up ”<br />

120 battements par minute a été couronné du Grand Prix du dernier festival de Cannes.<br />

Rencontre avec son réalisateur. Par Sophie Rosemont<br />

Vous souvenez-vous de votre première<br />

réunion chez Act Up ?<br />

R. C. : Oui, j’ai eu droit à la même<br />

introduction que celle du film, avec<br />

la personne qui présente l’association<br />

: un groupe joyeux, tonique,<br />

avec des personnalités très fortes.<br />

Au début, on ne sent pas tout de<br />

suite les tensions, ni la maladie. En<br />

arrivant, on est si content d’avoir<br />

traversé dix ans de l’épidémie et de<br />

ne plus être seul… Didier Lestrade<br />

était président, il animait quasiment<br />

à lui tout seul les réunions, il<br />

était d’une drôlerie incroyable !<br />

Tout est vrai dans votre film ?<br />

R. C. : J’ai surtout utilisé des<br />

moments, des formules, des rires…<br />

J’ai instrumentalisé des éléments<br />

du réel pour nourrir la mécanique<br />

du film. Au début, les personnages<br />

parlent de choses sans qu’elles<br />

soient expliquées, mais, comme<br />

moi au début des réunions où la<br />

majorité du vocabulaire m’échappait,<br />

il faut suivre le rythme, et<br />

remonter le fil.<br />

Vous racontez une passion amoureuse<br />

très rapidement contaminée<br />

par la maladie…<br />

R. C. : C’est une romance très précaire,<br />

car ils se connaissent depuis<br />

peu et d’un seul coup, il faut devenir<br />

garde-malade. Dans la vraie<br />

vie, ça pouvait foirer. Quand Sean<br />

dit à Arnaud : “Désolé que ce soit<br />

tombé sur toi”, c’est aussi parce<br />

que cela aurait pu être un autre. Il<br />

n’y a qu’au cinéma qu’on croit que<br />

l’amour est tangible. Dans la réalité,<br />

c’est soumis à interrogations.<br />

Peut-être que si Sean avait été en<br />

bonne santé, ils se seraient séparés<br />

très vite. “On observe tous les jours<br />

l’inauthenticité des sentiments des<br />

homosexuels”, soutient le prêtre<br />

réactionnaire Tony Anatrella.<br />

Mais dans quel monde vit-il, où<br />

tout serait labellisé authentique ?<br />

Un reality show ?<br />

Comment avez-vous réagi face à<br />

l’accueil dithyrambique de Cannes ?<br />

R. C. : C’était bouleversant. J’ai<br />

cependant parfois eu le sentiment<br />

que l’émotion autorisait tout,<br />

comme cette chaîne qui avait couvert<br />

le Mariage pour tous et qui<br />

voulait absolument m’interviewer<br />

! A posteriori, on me parle<br />

davantage de mise en scène, on a<br />

compris que ce n’était pas juste un<br />

docu-drama sur Act Up. Le film<br />

tient aussi de la chronique, car<br />

chaque scène possède son foisonnement<br />

propre, mais tout est<br />

construit, rien n’est laissé au<br />

hasard.<br />

Pensez-vous que le public est enfin<br />

prêt à affronter cette histoire tragique<br />

du SIDA, qui jusqu’ici a été peu<br />

traitée – les deux films les plus connus<br />

en France sur le sujet étant Les Nuits<br />

fauves et Philadelphia ?<br />

R. C. : Les gens ont réalisé qu’ils<br />

avaient traversé cette épidémie<br />

sans en sortir complètement<br />

indemnes. Moi, je m’autorise à<br />

penser que je peux en faire de la<br />

fiction. J’ai essayé de faire comprendre<br />

ce que ça signifiait d’avoir,<br />

en face de soi, un laboratoire suivant<br />

sa propre logique pécuniaire<br />

au détriment de la santé des séropositifs.<br />

De sentir aussi quand les<br />

gens, au sein du même groupe,<br />

n’avançaient pas de la même<br />

manière dans la maladie. Ce que<br />

c’était d’incarner ces luttes.<br />

Pourquoi faire appel à Arnaud<br />

Rebotini pour la musique du film ?<br />

R. C. : Je l’ai croisé sur Entre les<br />

murs (Robin Campillo a cosigné<br />

le scénario du film de Laurent<br />

Cantet, ndlr) et avais déjà fait<br />

appel à lui pour mon film Eastern<br />

Boys. Arnaud connaît à la perfection<br />

la musique des années 1990<br />

et a su transmettre ce besoin de<br />

s’amuser, après les réunions et les<br />

zaps. Le plaisir de se retrouver<br />

dans l’obscurité, sans paroles, où<br />

les gens se touchent… Nous avons<br />

utilisé deux travellings circulaires<br />

et j’ai laissé les acteurs faire. On<br />

sent la sueur, la clope, c’est<br />

organique.<br />

NAHUEL PÉREZ BISCAYART :<br />

NAISSANCE D’UN GRAND ACTEUR<br />

Si tous les comédiens sont brillants, Nahuel Pérez Biscayart irradie<br />

dans le rôle de Sean, jeune séropositif très militant – qui n’est pas<br />

sans rappeler Cleews Vellay, membre très actif d’Act Up décédé<br />

en 1994. “L’énergie de Sean est proche de celle de Cleews, mais il n’a<br />

jamais été question de l’imiter. Il faut être un peu inconscient quand<br />

tu incarnes de tels personnages, il ne faut pas se laisser hanter par<br />

les ombres de ceux qui l’ont vécu à l’époque”, précise l’acteur. S’il ne<br />

connaissait pas l’association, de par son âge (il est né en 1986) et son<br />

lieu de naissance (l’Argentine, où Act Up n’existait pas), Pérez<br />

Biscayart s’est immergé dans l’histoire du SIDA en France dans ces<br />

années d’hécatombe, perdant énormément de poids en un temps record. Il est pour beaucoup dans la réussite de 120 bpm,<br />

soulignée par Didier Lestrade en personne. “Je suis soulagé que quelqu’un avec un regard aussi aiguisé que le sien aime le film,<br />

quelqu’un pour qui nous avons tous énormément de respect. C’est le seul qui a survécu, ce combat a été sa vie.” Aurait-il été<br />

militant à l’époque ? “Absolument. Lorsque l’enjeu est si physique, l’engagement est presque inévitable.”<br />

S.R.<br />

Quel est votre regard sur la lutte<br />

contre le SIDA aujourd’hui ?<br />

R. C. : On sait que les gens sous traitement<br />

peuvent avoir une vie à peu<br />

près normale et, dans 90 % des cas,<br />

ne sont plus contaminants. Les<br />

outils sont là, mais il faut proposer<br />

le dépistage, ce que fait Aides, dans<br />

des lieux de drague. L’État reste<br />

absent, car cela demande une<br />

publicité. Or la santé publique, c’est<br />

une politique ! Il faut faire baisser<br />

le prix des médicaments, la prévention<br />

doit être mondiale. Surtout<br />

quand on voit qu’un homme<br />

comme Donald Trump est en train<br />

de permettre la discrimination des<br />

malades dans certains États.<br />

“LE CINÉMA,<br />

C’EST MA<br />

MANIÈRE D’ÊTRE<br />

MILITANT.”<br />

Face à la persécution des homosexuels<br />

en Tchétchénie, par exemple,<br />

on a l’impression que la population se<br />

mobilise plus. Qu’en pensez-vous ?<br />

R. C. : Aujourd’hui, plus de gens<br />

s’indignent de la Tchétchénie qu’il<br />

y aurait pu en avoir à l’époque,<br />

c’est certain. Et la Gay Pride n’a<br />

jamais été aussi importante,<br />

même si je ne la sens pas très politique.<br />

Le militantisme est là, mais<br />

il me semble qu’on ne trouve pas<br />

de lieux comme Act Up, à<br />

l’époque, pour exister. Mais nous<br />

sommes sans doute dans un<br />

moment d’impuissance politique<br />

qui peut se transformer. J’ai le<br />

sentiment qu’il y a des émergences<br />

communautaires, hors politique.<br />

Les gays ont été prégnants pendant<br />

longtemps, maintenant les<br />

lesbiennes et les transsexuels ont<br />

besoin de plus s’affirmer… Le<br />

cinéma, c’est ma manière d’être<br />

militant, car j’essaye d’interroger,<br />

par la fiction, ce qu’ont été ces<br />

mobilisations. Act Up, c’était une<br />

lutte, pas une cause : les corps des<br />

gens étaient en danger.<br />

© DR<br />

40 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


UNANIMITÉ<br />

Avec cette chronique<br />

des années Act Up,<br />

le réalisateur a aussi<br />

remporté la Queer<br />

Palm à Cannes.


Sélection de la<br />

RENTRÉE<br />

La rentrée de <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong><br />

Comment s’y retrouver dans les trop nombreuses sorties de la rentrée ? Pop en duo,<br />

rock indie, soul intimiste ou électro fédératrice ? Nos choix.<br />

Par Sophie Rosemont<br />

The Horrors<br />

V comme victoire<br />

V : comme 5 en latin, comme 5 e<br />

album du groupe (et aussi le nombre<br />

de ses musiciens, comme le V<br />

de victoire. On peut en effet parler<br />

de réussite lorsqu’on écoute<br />

les dix nouveaux morceaux des<br />

Horrors. Pour la première fois,<br />

et dans le but de réinventer leur<br />

son (qui, il faut bien l’avouer, perdait<br />

de son efficacité sur leur dernier<br />

opus, Luminous) ceux-ci ont<br />

entièrement délégué la production,<br />

et ils ont fait le bon choix<br />

avec Paul Epworth, connu pour<br />

son travail avec Adele, U2 ou Bloc<br />

Party. V se partage donc entre<br />

le post-gothique sous influence<br />

80’s cher au groupe (“Hologram”),<br />

mais aussi un drôle de punk alternatif<br />

(“Machine”), du dancerock<br />

innovant (“Something To<br />

Remember Me By”) et de la pop<br />

ténébreuse (“Weighed Down”).<br />

Le chanteur Faris Badwan, lui,<br />

reste toujours aussi charismatique,<br />

caché derrière sa chevelure<br />

aussi sombre que le verre de<br />

ses lunettes.<br />

Ariel Pink<br />

Rose comme lui<br />

Dedicated to Bobby Jameson…<br />

Encore un nouveau storytelling<br />

pour Ariel Pink qui, fasciné par<br />

le parcours de cet obscur musicien<br />

(1945-2015) fuyant la gloire<br />

comme la peste, lui rend hommage<br />

avec cet album merveilleusement<br />

barré : “Comme Jameson,<br />

moi aussi j’ai longtemps recherché<br />

juste un peu d’amour. Aujourd’hui,<br />

même si j’affectionne<br />

toujours autant la controverse, je<br />

suis plus sûr de moi et j’ai gagné<br />

en maturité, mais j’ai souvent<br />

frôlé le bord du précipice quand je<br />

réalisais que j’étais sous- estimé.”<br />

Ce qui n’est plus le cas. Fort d’une<br />

ribambelle d’albums devenus<br />

cultes pour les amateurs de pop-<br />

ANGUS & JULIA STONE<br />

Les deux font la paire<br />

Après plus d’une décennie de carrière, une parenthèse et des retrouvailles émotives,<br />

la fratrie <strong>Stone</strong> nous enchante de nouveau.<br />

Il y a quelques années, on avait sérieusement douté de la longévité du duo formé par le frère et la sœur <strong>Stone</strong>.<br />

Après la tournée du pourtant acclamé Down the Way (2010), ils avaient décidé de ne plus travailler ensemble…<br />

Jusqu’à ce que le producteur Rick Rubin s’en mêle et les convainque de s’y remettre. Dont acte. S’en est suivi<br />

Angus et Julia <strong>Stone</strong>, en 2014. Leur plus gros succès. Mais c’est seulement aujourd’hui, avec Snow, qu’ils explorent<br />

totalement leurs possibilités. “Nous voulions créer quelque chose de fort, mais sans vraiment savoir ce que ça pouvait<br />

donner, ni le temps que ça prendrait, explique Angus <strong>Stone</strong>. Ne rien avoir en tête de précis nous permet d’avoir<br />

beaucoup d’idées… et de garder une part de mystère qui permet d’être à l’affût tout au long de l’enregistrement.”<br />

Celui-ci durera huit semaines, dans le home studio d’Angus, situé en pleine campagne australienne, loin du bruit<br />

de la ville. Malgré les hauts et les bas, la complicité d’Angus et Julia <strong>Stone</strong> reste toujours intacte. Dixit le petit frère :<br />

“Je pense que, d’une manière générale, nous sommes plus décontractés, nous lâchons prise plus facilement.<br />

Après tout ce temps passé ensemble, nous avons compris quand il fallait s’éloigner, laisser passer certains orages…<br />

pour nous y remettre de plus belle un peu plus tard. Il fallait simplement apprendre à communiquer.” Ainsi,<br />

Snow est “une conversation”, une synthèse de ce que le dialogue entre le frère et la sœur <strong>Stone</strong> peut offrir de mieux,<br />

entre pop et folk. “Snow”, “Cellar Door” ou “Chateau” en offrent des exemples ultra-mélodiques, qui trottent en tête<br />

dès la première écoute. “Nous cultivons différents sons, différents styles musicaux et ce qui en résulte est, quelque<br />

part, assez dansant”, avance Angus. On ne le contredira pas : malgré son titre, cet album est celui qui prolonge<br />

l’été, nous transportant vers d’autres paysages lointains et ensoleillés. Tout en étant très près de nous : cet automne,<br />

Angus et Julia <strong>Stone</strong> assureront pas moins de sept dates en France.<br />

© J. STEINGLEIN<br />

42 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


ock indie, Ariel Pink a su garder<br />

son intégrité. Et son inspiration,<br />

nourrie du meilleur du<br />

passé américain, des sixties aux<br />

années 1980.<br />

LCD Soundsystem<br />

Le grand retour<br />

En 2011, il donnait son tout dernier<br />

concert à New York, annonçant<br />

qu’il prenait sa retraite.<br />

Et puis, finalement, James<br />

Murphy a réalisé qu’arrêter LCD<br />

Soundystem, poule aux œufs d’or<br />

de l’électro-pop-rock East Coast<br />

était une mauvaise idée. Il a donc<br />

pris le temps de façonner un nouvel<br />

album, American Dream.<br />

L’une des meilleures surprises de<br />

la rentrée, même si un embargo<br />

fixé à seulement trois jours de la<br />

sortie nous interdit, hélas ! de dire<br />

officiellement tout le bien qu’on en<br />

pense. La dance music est, comme<br />

toujours avec Murphy, hautement<br />

organique, nourrie de rock’n’roll<br />

mélancolique. Il n’y a plus qu’à<br />

attendre sagement ses concerts<br />

événements à l’Olympia, les 13 et<br />

14 septembre prochain.<br />

Sivu<br />

Au creux de l’oreille<br />

Avec son second album, James<br />

Page, alias Sivu, entre définitivement<br />

dans la cour des<br />

CHAD VANGAALEN<br />

Folk des bois, folk des champs<br />

L’album de la sérénité ? Sans doute. Car la maturité, Chad VanGaalen en fait preuve depuis des années, en digne<br />

héritier de Tom Petty et Neil Young. Écrit, composé et produit par le songwriter canadien, Light Information fait<br />

d’un folk contemplatif au grain vintage, un manifeste à la vie, l’amour, et dont l’énergie est incontestablement<br />

contagieuse. En témoignent “Old Heads”, “Faces Lit” ou “Static Shape”, sur lequel apparaissent ses filles. Certes,<br />

un “Prep Piano and 770” nous rappelle ses velléités instrumentales, mais VanGaalen cultive toujours le même jardin<br />

verdoyant, ici et là laissé volontairement en friche. L’une des bouffées d’air de la rentrée.<br />

grands. Même si, à la sortie de<br />

Something on High (2014), on<br />

se doutait que le meilleur était à<br />

venir… Mais pas son label, visiblement,<br />

qui choisit de le congédier<br />

tandis que Page réalisait<br />

qu’il était atteint de la maladie<br />

de Menière, qui l’a, depuis, privé<br />

de l’audition d’une oreille. Avant,<br />

peut-être, de le rendre complètement<br />

sourd dans quelques années.<br />

Au lieu de sombrer dans<br />

le désespoir, le musicien anglais<br />

n’écoute que son cœur et son<br />

inspiration. En résulte un très<br />

beau deuxième album, Sweet<br />

Sweet Silent, dans lequel il partage<br />

sa solitude et son folk ultra-sensible,<br />

mâtiné de soul. On<br />

pense à Björk, à Thom Yorke, ou<br />

encore à Sufjan Stevens parfois.<br />

Espérons que l’on pourra continuer<br />

à l’entendre pendant longtemps<br />

encore.<br />

Kevin Morby<br />

De l’art du nomadisme<br />

© MARCRIMMER. DR.<br />

BENJAMIN<br />

CLEMENTINE<br />

Hobo céleste<br />

Un parcours incroyable pour un musicien qui ne<br />

l’est pas moins, de la banlieue londonienne au<br />

métro parisien, où son charisme se fait remarquer<br />

entre Barbès-Rochechouart et La Chapelle. Très<br />

vite, Benjamin Clementine a su imposer sa voix de<br />

stenor – brute, prenante – et ses ritournelles hantées<br />

composées au piano. Cependant, si son premier<br />

album jouait la carte de l’épure, le très réussi I Tell<br />

A Fly ose davantage l’orchestration. En témoigne<br />

des morceaux comme « Phantom of Aleppoville »<br />

ou « Jupiter ». Y résonnent ses amours folks,<br />

gospels, jazzy, électros ou encore classiques. Lui qui<br />

dit être un expressionniste ne se trompe pas : tout<br />

est à la fois réel et imaginaire dans ses chansons,<br />

nous touchant en plein cœur. A seulement 28 ans,<br />

Benjamin Clementine est déjà un grand.<br />

C’est ce qu’on appelle un artiste<br />

prolifique. Après Harlem<br />

River en 2013, Still Life en 2014,<br />

Singing Saw en 2016, voici donc<br />

City Music, quatrième album<br />

du songwriter américain. Sous<br />

influence West Coast – mais<br />

dans ce qu’elle a de plus mélancolique<br />

–, Kevin Morby revendique<br />

toujours un folk-rock<br />

aussi romantique que subtil, se<br />

perdant cette fois dans les paysages<br />

urbains de métropoles insaisissables.<br />

Après avoir officié<br />

comme bassiste dans The Babies,<br />

groupe de garage rock, et<br />

Woods, formation de folk lo-fi<br />

pluriel, Morby a décidé de tracer<br />

sa route en solo, souhaitant visiblement<br />

s’inscrire dans la lignée<br />

des chantres nomades made in<br />

USA. Pour l’instant, il ne se perd<br />

pas en chemin.<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 43


FLASHBACK<br />

DERNIER MOT<br />

Joe Walsh<br />

Le guitariste raconte comment il a survécu à des années de débauche, parle des conseils qu’il a reçus<br />

d’un moine bouddhiste et déclare que les Eagles étaient une “dictature démocratique”.<br />

Interview par ANDY GREENE<br />

Quels sont, selon vous, les aspects les plus positifs et les plus négatifs<br />

du succès ?<br />

Je n’ai jamais eu à travailler à l’usine, ce qui est une vraie<br />

chance. L’aspect le plus négatif, ce sont les distractions :<br />

l’argent, les femmes, les fêtes. Quand on est jeune, c’est facile de perdre<br />

pied. J’ai commencé à croire que j’étais celui pour qui tout le monde me<br />

prenait, c’est-à-dire une rockstar complètement dingue. Vous savez, “Life’s<br />

Been Good”, tout ce bordel… Ça m’a détourné de mon travail. Moi et des<br />

tas de gars avec qui je traînais, on était de gros fêtards. C’était un sacré<br />

défi de simplement rester en vie.<br />

Nombre de vos amis de cette époque n’y sont pas parvenus. Keith Moon,<br />

John Belushi… Comment avez-vous survécu ?<br />

Je me pose la question tous les jours. Les gens me demandent si je crois en<br />

Dieu et j’y suis bien obligé, puisque je suis toujours là. Je n’avais pas prévu<br />

de vivre si longtemps.<br />

Quelles sont vos règles de vie essentielles ?<br />

La famille d’abord. J’ai passé des années en solitaire. C’était moi contre le<br />

monde entier, mais aujourd’hui, j’ai une famille qui s’occupe de moi, et<br />

dont je m’occupe. J’ai également appris à ne pas me laisser gouverner<br />

par mes émotions. Il ne faut pas envoyer d’e-mails quand on est en<br />

colère. On peut les rédiger, mais pas les envoyer. Parce que le lendemain,<br />

on se dit : “Putain, j’ai encore déconné. Je suis vraiment<br />

un gros blaireau.”<br />

Quel est le meilleur conseil que vous ayez jamais reçu ?<br />

Un moine bouddhiste m’a dit d’être conscient de chaque<br />

bouffée d’air que je respire. Il m’a dit : “Si vous faites<br />

ça, vous vivrez le présent. Ça vous évitera de<br />

gâcher du temps à ruminer le passé ou à tenter<br />

sans cesse d’écrire l’avenir.” Et puis je médite.<br />

Vivre le présent, c’est le secret.<br />

Qui sont vos héros ?<br />

Les Paul était l’un des gars le plus cool de<br />

la planète. Il a inventé la guitare Les<br />

Paul, ainsi que l’’enregistrement<br />

moderne tel que nous le connaissons.<br />

Un jour, il a eu un accident de voiture<br />

après lequel on lui a dit qu’il ne jouerait<br />

plus jamais parce qu’il s’était<br />

cassé le bras en quatre endroits. Il<br />

s’est assis, s’est mis à jouer et a dit :<br />

“OK, mettez mon bras en place<br />

comme ça. Posez-moi le plâtre<br />

maintenant.”<br />

Quel conseil auriez-vous aimé recevoir sur l’industrie<br />

du disque avant de commencer votre carrière ?<br />

J’aurais bien aimé qu’on me dise : “Écoute, c’est un<br />

boulot.” Je pensais que c’était un art. L’étalon<br />

selon lequel définir l’honnêteté dans l’industrie<br />

musicale, c’est de se dire que le gars qui<br />

te vole le moins est honnête. Et il ne faut rien<br />

signer. Je me dépatouille encore de trucs que<br />

j’ai signés quand j’avais 23 ans. Quelqu’un<br />

aurait dû me prévenir et me dire : “Écoute, c’est OK d’être idiot, mais soit<br />

un idiot intelligent.”<br />

Quel est l’achat le plus fou que vous vous soyez autorisé ?<br />

J’ai toujours eu un fantasme : “Je vais acheter de la terre pour en vivre. Je<br />

vais chasser comme Ted Nugent et couper mon bois.” Quand j’ai reçu un<br />

gros chèque de droits d’auteur des Eagles, j’ai trouvé une petite ferme<br />

dans le Vermont, avec un lac et presque 300 hectares. Mais quand il a<br />

fallu y vivre, je me suis rendu compte que c’était dur. Il fallait se lever à<br />

5 heures du matin parce qu’il y avait des tas de trucs à faire. Couper son<br />

bois, ça n’est pas marrant. L’hiver est rude. Je n’ai pu trouver personne<br />

pour s’occuper de l’endroit, alors je l’ai vendu. Il vaut mieux que certaines<br />

choses restent de l’ordre du fantasme.<br />

Quel est votre livre préféré ?<br />

L’Homme illustré, de Ray Bradbury. J’avais 10 ou 11 ans quand je l’ai lu.<br />

C’est un bouquin incroyable, qui vous absorbe<br />

complètement. Le livre en contient environ<br />

huit autres, et chacun d’entre eux<br />

porte sur l’un des tatouages de l’homme,<br />

qui se déplacent la nuit. De l’imagination<br />

et un livre plein de livres, quel<br />

concept !<br />

Vous donnez des concerts avec les<br />

Eagles, cet été. Ça n’est pas un peu<br />

difficile de jouer sans Glenn Frey ?<br />

Oui et non. Mais je suis sûr qu’on sera<br />

très bons.<br />

Deacon, le fils de Glenn, a rejoint le groupe.<br />

Comment s’adapte-t-il ?<br />

Il est super. Ça n’est pas un frimeur. Il se<br />

pointe et il fait son boulot. J’aimerais bien<br />

que davantage d’entre nous soient comme ça.<br />

Vous avez décrit les Eagles comme<br />

“une démocratie avec deux dictateurs”.<br />

C’était dur pour votre ego ?<br />

J’ai rejoint leur groupe. Je dirais que c’était une<br />

dictature démocratique. On votait tous et ensuite,<br />

Frey et Don Henley faisaient ce qu’ils voulaient.<br />

Vous vous êtes présenté aux élections<br />

présidentielles en 1980. Si vous aviez<br />

gagné, pensez-vous que vous auriez<br />

fait mieux que Trump ?<br />

Oui ! C’est une question de bon sens. Je<br />

ne suis pas sûr que Trump sache comment<br />

fonctionne le gouvernement et je pense qu’il s’en<br />

fout. Du coup, il n’arrivera pas à grand-chose.<br />

Je crois savoir comment ça marche. Je sais évoluer<br />

dans une organisation où il faut prendre<br />

des décisions complexes. Comme dans un<br />

groupe, par exemple. Et on a réussi à accomplir<br />

pas mal de choses !<br />

Traduction et adaptation Kathleen Aubert<br />

44 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Illustration par Mark Summers


AGENDA<br />

EN CONCERT !<br />

La sélection <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> des meilleurs rendez-vous de l’été… Et de l’automne !<br />

Vous pouvez réserver vos places sur www.digitick.com<br />

PHOENIX<br />

28/<strong>09</strong> – Esch-sur-Alzette -<br />

Rockhal<br />

29/<strong>09</strong> – Paris- AccorHotels<br />

Arena<br />

LES INSUS<br />

01/<strong>09</strong> – Ajaccio – Théâtre<br />

de Verdure<br />

03/<strong>09</strong>– Périgueux – Le Palio<br />

(Boulazac)<br />

05/<strong>09</strong>- Chambéry – Le Phare<br />

07/<strong>09</strong> – Le Noirmont –<br />

Festival Chant du gros<br />

15-16/<strong>09</strong> – Paris – Stade<br />

de France<br />

LES WAMPAS<br />

05/10 – Grenoble – La Belle<br />

Électrique<br />

METRONOMY<br />

07/10 – Le Havre – Festival<br />

Ouest Park<br />

NICK CAVE AND<br />

THE BAD SEEDS<br />

03-04/10 –<br />

Paris - Zénith<br />

10/10 – Esch-sur-<br />

Alzette - Rockhal<br />

MARILLION<br />

07/10 – Paris - Zénith<br />

WEEZER<br />

19/10 – Paris - Olympia<br />

FISHBACH<br />

07/10 – Montpellier –<br />

Le Rockstore<br />

14/10 – Alençon – La Luciole<br />

CATHERINE RINGER +<br />

SPARKS/SOLO<br />

04/<strong>09</strong> – Paris – La Cigale<br />

INTERPOL<br />

05 et 06/<strong>09</strong>- Paris –<br />

Le Trianon<br />

TEMPLES<br />

06/<strong>09</strong> – Paris – La Cigale<br />

CLAP YOUR HANDS<br />

SAY YEAH!<br />

20/<strong>09</strong> – Paris – La Maroquinerie<br />

SIGUR ROS<br />

27, 28 et 29/<strong>09</strong> – Paris –<br />

Grand Rex<br />

TIMBER TIMBRE<br />

07/10 – Feyzin – L’Épicerie<br />

Moderne<br />

<strong>09</strong>/10 – Montpellier –<br />

Le Rockstore<br />

À RÉSERVER<br />

DE TOUTE URGENCE<br />

ALT-J<br />

11/01/2018 – Paris- AccorHotels<br />

Arena<br />

FLEET FOXES<br />

20 et 21/11 – Paris – Le Trianon<br />

DEPECHE MODE<br />

26/11 – Anvers – Palais des Sports<br />

03 et 05/12 - Paris-<br />

AccorHotels Arena<br />

24/01/18 – Floirac –<br />

Bordeaux Métropole Arena<br />

ANGUS ET JULIA STONE<br />

17/10 – Lille – Zénith<br />

19/10 – Nantes – Zénith<br />

20/10 – Toulouse – Zénith<br />

25/10 – Marseille – Le Dôme<br />

01/11 – Paris – Zénith<br />

02/11 – Lyon – Halle Tony-<br />

Garnier<br />

CHRIS ISAAK<br />

02/11- Paris –Olympia<br />

TEXAS<br />

07 et 08/11 – Paris – Olympia<br />

11/11 – Nantes –<br />

Cité des Congrès<br />

12/11 – Limoges – Zénith<br />

21 et 22/11 – Bordeaux –<br />

Théâtre Femina<br />

THE WEDDING PRESENT<br />

07/11 – Saint-Nazaire – Le VIP<br />

08/11 – Paris – Petit Bain<br />

ROYAL BLOOD<br />

<strong>09</strong>/11 – Paris – Zénith<br />

PONI HOAX<br />

<strong>09</strong>/11 – Paris – La Cigale<br />

ELLIOTT MURPHY<br />

10/11 – Paris – New Morning<br />

FATHER JOHN MISTY<br />

11/11 – Paris – Le Trianon<br />

KASABIAN<br />

11/11 – Paris – Zénith<br />

THE CELTIC SOCIAL CLUB<br />

11/11 – Paris – Le Flow<br />

FINK<br />

10/11 – Paris – La Cigale<br />

11/11 – Tourcoing – Le Grand Mix<br />

PROCOL HARUM<br />

12/11- Paris – Le Trianon<br />

VAN MORRISON<br />

17/11 – Paris – Salle Pleyel<br />

SALLIE FORD<br />

21/11 – Paris – Point Ephémère<br />

THE STRANGLERS<br />

25/11 – Paris – La Cigale<br />

27/11 – Le Havre – Le Tetris<br />

28/11 – Brest – La Carène<br />

29/11 – Nantes – Stereolux<br />

30/11 – Chambray-lès-Tours –<br />

Salles Yves-Renault<br />

02/12- Mérignac – Le Krakatoa<br />

LONDON GRAMMAR<br />

19/11 – Lille – Zénith<br />

20/11 – Rennes – Le Liberté<br />

03/12 – Paris – Zénith<br />

05/12 – Toulouse – Zénith<br />

06/12 – Lyon – Halle Tony-Garnier<br />

AVEC<br />

© CHRIS CUFFARO_AS<br />

46 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


LIVE REPORT<br />

ON TOP<br />

OF THE WORLD<br />

À Monaco, Deep Purple<br />

a montré qu’il en avait<br />

encore sous la semelle.<br />

Rock around the Rocher<br />

© JIM RAKETE<br />

Tout l’été, la Côte d’Azur vit au rythme de festivals musicaux. L’édition <strong>2017</strong> du Monte Carlo<br />

Summer Festival l’a joué rock’n’roll pour sa soirée d’ouverture, avec une affiche monumentale :<br />

les Pretenders et Deep Purple.<br />

L<br />

es vétérans de Deep Purple ont<br />

remis en cet an de grâce <strong>2017</strong> l’ouvrage<br />

sur le métier. Quelques jours<br />

après un passage remarqué au<br />

HellFest, Gillan & Co changeaient radicalement<br />

de cadre pour ouvrir, le 28 juin dernier,<br />

le Monte Carlo Summer Festival. La salle n’a<br />

pas fait le plein. Tant mieux : un petit millier<br />

de personnes a donc le privilège de voir les<br />

légendaires métalleux quasi rien que pour<br />

eux. Rockers et bikers de la Côte d’Azur ont<br />

répondu au rendez-vous. Mais les Purple<br />

étant un fleuron du patrimoine rock, on<br />

retrouve dans la salle un sympathique<br />

Par Vincent Guillot<br />

mélange de vacanciers, de représentants de<br />

la bonne société monégasque et quelques<br />

fêtards russes, le tout rassemblant plusieurs<br />

générations. Dans ce cadre un peu inhabituel,<br />

le groupe ne va pas faire dans le détail. Et s’il<br />

restait quelques sceptiques quant au retour<br />

sur scène du groupe, ils en seront pour leurs<br />

frais. Certes, visuellement, les cadres supérieurs<br />

du metal n’ont plus trop la dégaine<br />

glam de leurs débuts, à l’image d’un Ian<br />

Gillan déambulant sur scène avec l’allure plus<br />

proche d’un retraité bouliste que d’une rock<br />

star. Mais le son est là. C’est ce qui frappe<br />

illico : après un “Time for Bedlam”, on<br />

QUAND CHRISSIE FÂCHÉE…<br />

Voir les Pretenders en concert en <strong>2017</strong> reste un privilège qui ne se refuse pas. Placés en première partie<br />

de Deep Purple, Chrissie Hynde et ses boys ne sont pas forcément la tasse de thé des bikers venus au<br />

rendez-vous des métalleux. De fait, la front girl aura fort à faire avec une foule pas toujours amicale.<br />

Notamment lorsqu’elle demande à dix reprises au moins qu’on arrête de la flasher à coup de<br />

smartphones. “We’re a rock band, this is not a fuckin’ Take That show !”, s’écrie-t-elle en s’arrêtant en<br />

plein milieu d’un titre. Fallait pas l’énerver. Elle reprend alors le doigt tendu bien haut une setlist pavée<br />

de hits gratinés : “Don’t Get Me Wrong”, “The Wait”, “Holy Commotion”. Chauffée à blanc, Chrissie,<br />

hilare, finit par s’excuser de ses réflexions. Et balance un “I’ll Stand by You” qui devrait lui valoir un<br />

pardon éternel pour toutes ses fautes… V. G.<br />

balance un “Fireball” qui pose direct le<br />

niveau : ça joue fort, vite et bien. Les claviers<br />

de Don Airey sonnent aussi lourd que du<br />

temps de Jon Lord. Derrière, les hits s’enchaînent<br />

(“Strange Kind of Woman”, “Lazy”)<br />

et la foule groove, heureuse, au point que les<br />

derniers titres du groupe ne font absolument<br />

pas tache – “Uncommon Man”, issu de Now<br />

What?! (2013) ou “The Surprising” du tout<br />

neuf InFinite, emportant l’adhésion.<br />

Le Long Goodbye ne battra pas des longueurs<br />

de durée, mais l’impact n’en est que plus fort,<br />

quand le groupe balance l’intro que tout le<br />

monde attend, ce “Smoke on the Water” qui<br />

remue la fosse, toute en joie de pouvoir<br />

contempler ce monument d’aussi près. Et<br />

puisque tout le monde est à point, un “Hush”<br />

enthousiaste envoie l’affaire aux orgasmes<br />

avant qu’un dernier “Black Night” ne vienne<br />

clôturer la nuit. Gillan et les autres peuvent<br />

quitter la salle avec cette certitude : que ce<br />

soit dans les allées roots des festivals<br />

d’Europe ou aux marches des palais, le rock<br />

de Deep Purple, malgré leur retraite annoncée,<br />

a conservé une sacrée puissance de feu,<br />

sur tous les terrains.<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 47


Etoile<br />

Du<br />

Il a eu une enfance dorée<br />

et traversa bien des drames<br />

avant de devenir Premier<br />

ministre du Canada. Justin<br />

Trudeau est-il le dernier<br />

espoir du monde libre ?<br />

Nord<br />

Par Stephen Rodrick<br />

Pour commencer, synchronisons<br />

nos montres.<br />

Calons-nous sur le bon fuseau<br />

horaire. La session<br />

parlementaire s’achève et le Premier<br />

ministre canadien Justin Trudeau va<br />

répondre à la presse. Ils sont tous là, les<br />

reporters, entassés dans la salle, grognons,<br />

bougons, comme d’habitude,<br />

pestant contre les embouteillages ou<br />

leurs rédacteurs en chef. Dans un coin<br />

de la salle, quelqu’un donne le top, le<br />

compte à rebours avant la prise d’antenne.<br />

“10 secondes !”, clame-t-il. Trudeau<br />

monte sur l’estrade, se glisse derrière<br />

le pupitre, fait un rapide signe de<br />

tête et égrène les mesures qu’il vient de<br />

faire passer. Il commence par rappeler<br />

qu’il a baissé les impôts qui pesaient sur<br />

la classe moyenne et qu’il a augmenté les<br />

taxes pesant sur les plus riches. “Grâce<br />

à nous, dit-il, neuf familles canadiennes<br />

sur dix ont plus d’argent pour financer<br />

l’éducation de leurs enfants.” Être là, à<br />

ce moment, assister à cette scène, c’est<br />

quelque chose, vraiment ! Le Premier<br />

ministre s’exprime tout en modulation.<br />

© MARTIN SHOELLER<br />

48 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


Justin<br />

Trudeau<br />

Il a une voix caverneuse. Ses cheveux sont d’un<br />

brun profond presque sauvage. Chez lui, il a laissé<br />

une femme et trois enfants qui savent prendre la<br />

pose devant les photographes, mais qui sont encore<br />

trop jeunes pour l’accompagner au sommet<br />

du G20 et encore moins pour se mêler à ses côtés<br />

à une affaire d’espionnage, si vous voyez ce que je<br />

veux dire… Quand Trudeau se lance dans l’apologie<br />

du féminisme et du droit des femmes (cellesci<br />

représentent plus de la moitié de son cabinet),<br />

ses inflexions changent, sa voix se fait plus douce,<br />

presque câline, mais ferme. Il garde la main. Trudeau<br />

maîtrise. Ses mots sont pesés, cohérents. Pas<br />

besoin du Littré ou d’un dico quelconque pour<br />

comprendre ce qu’il a voulu dire. Il évoque, tour<br />

à tour, les mesures prises contre le Fentanyl, cette<br />

drogue plus puissante que l’héroïne qui a fait des<br />

ravages cet hiver ou la baisse du taux de chômage.<br />

Le Premier ministre canadien a parfaitement<br />

intégré la faconde clintonienne, son talent pour<br />

trouver les mots justes : “Nous faisons tout ce qui<br />

est en notre pouvoir pour permettre aux citoyens<br />

de décrocher de bons jobs et aux familles de se projeter<br />

dans l’avenir, pour que tous gardent espoir,<br />

dit-il. Mais nous savons que le plus dur reste à<br />

faire. Rien n’est encore gagné.” À la fin, Trudeau<br />

prend la presse à témoin. “Le débat entre vous et<br />

nous est au cœur de la démocratie canadienne.<br />

Quand vous faites bien votre boulot de journalistes,<br />

cela nous oblige à être à la hauteur. Alors,<br />

surtout, ne lâchez pas l’affaire.”<br />

Mais où sommes-nous ? Dans le monde de<br />

Narnia ? Dans le carré des secours au festival<br />

de Coachella ? Même pas. Nous sommes à<br />

Ottawa. En Ontario. À 900 kilomètres à peine de<br />

Washington D.C. Et pourtant, nous sommes dans<br />

un autre monde. Alors, suivez le guide. Accrochezvous<br />

à moi, car nous allons plonger au cœur d’une<br />

nation dirigée par un type pas comme les autres,<br />

un mec qui se présente sur les plateaux de télévision<br />

en T-shirt de H2G2, Le Guide du voyageur<br />

galactique, qui se balade en monocycle, capable<br />

d’accueillir à bras ouverts 40 000 réfugiés syriens.<br />

Le contraste entre ici et là-bas, n’est pas seulement<br />

formel. Pendant que Trump réduit les aides<br />

aux associations américaines favorables à l’avortement,<br />

Trudeau augmente leurs financements publics.<br />

D’un côté de la frontière, il y a un ministre de<br />

la Justice, Jeff Sessions, qui remet en question les<br />

lois autorisant l’usage du cannabis à but thérapeutique.<br />

De l’autre, au Nord, Trudeau admet avoir tiré<br />

sur un joint pour fêter son élection au Parlement, et<br />

milite activement pour sa dépénalisation. Trump<br />

a jeté aux orties les accords de Paris. Trudeau fait<br />

pression sur les grandes villes américaines et les<br />

États de l’union pour qu’ils réduisent les émissions<br />

de gaz. Et pour faire face à la vague d’overdoses qui<br />

a frappé le pays, Trudeau a ouvert d’urgence des<br />

salles de shoot, tandis qu’en Amérique, le nombre<br />

d’overdoses atteint de nouveaux records. Et puis, il<br />

y a la Russie. Côté US, le fils de Trump aurait utilisé<br />

des agents russes pour monter des dossiers contre<br />

Hillary Clinton. Côté Grand Nord, le ministre<br />

des Affaires étrangères de Trudeau est d’origine<br />

ukrainienne. Elle s’appelle Chrystia Freeland.<br />

Elle est persona non grata dans la Russie de Poutine.<br />

“Notre soutien à l’Ukraine, même militairement,<br />

nous positionne de manière claire quant au<br />

fait que la Russie reste un acteur contreproductif<br />

dans la dynamique internationale.”, m’a confié<br />

Trudeau. Il veut un “Canada great again”. Et pour<br />

y parvenir, il a une méthode bien à lui.<br />

« C’est l’image du Canada, la manière dont<br />

les autres peuples nous regardent. Ils disent :<br />

“Ah ! vous êtes canadien – sous-entendu<br />

‘Pas américain’ – vous êtes là pour nous aider !»<br />

Ce reportage a commencé l’été<br />

dernier. Pendant que nous prenions<br />

place pour une longue interview<br />

dans des chaises en<br />

bois sculpté de son bureau de<br />

Parliament Hill, il a commencé par ôter sa veste.<br />

Ses manches étaient remontées. Il portait une<br />

cravate bleue, une chemise blanche et ses chaussettes<br />

étaient ornées d’un élan. Pour être tout à<br />

fait sincère, Trudeau me fait penser à Obama. Il a<br />

la même façon de sourire et d’écouter sans broncher<br />

quand je lui parle de ma femme canadienne.<br />

Pour Trudeau, l’écoute est une arme de séduction<br />

massive. Mais dès que je commence à lui poser<br />

des questions, tout s’aligne, tout se met en ordre de<br />

marche, éloquent sur sa vie, sous contrôle quand il<br />

s’agit de politique. Pendant que nous échangeons,<br />

il est souriant, son regard bleu vissé dans le mien.<br />

Mais à chaque fois que le nom de Trump surgit, il<br />

change, il esquive, d’un air de dire “Pas de ça entre<br />

nous, mec !” Il recentre le débat : un Canada fort,<br />

mais ouvert. Je lui ai demandé pourquoi son pays,<br />

qui est coincé entre deux vastes océans et une<br />

superpuissance, avait augmenté de 14 milliards<br />

d’euros ses dépenses militaires. Il m’a répondu<br />

que son pays était très engagé dans les affaires du<br />

monde. Ensuite, il est revenu sur la spécificité du<br />

Canada. “Un Canadien, qu’il soit diplomate, employé<br />

d’une ONG ou soldat, a une image particulière.<br />

Partout dans le monde, le Canadien est considéré<br />

comme un citoyen à part, explique Trudeau.<br />

Je veux dire, l’image du Canada, la façon dont les<br />

autres peuples nous regardent en disant “Ah ! Vous<br />

êtes canadien – sous-entendu ‘Pas américain’ –,<br />

vous êtes là pour nous aider. Vous n’êtes pas seulement<br />

là pour notre pétrole ou pour nous dire ce<br />

que nous devons faire.” Ça, c’est la canadian touch !<br />

Pendant sa campagne, Trump a déclaré que<br />

l’OTAN était obsolète. Trudeau n’est pas d’accord.<br />

Pour lui, le Canada doit étendre son influence dans<br />

le monde. Des soldats canadiens sont positionnés<br />

en mer Baltique pour contrer une éventuelle<br />

agression russe. C’est la plus forte mobilisation<br />

de troupes en Europe depuis plus d’une décennie.<br />

Trudeau m’a rapporté une histoire. Elle concerne<br />

Harjit Sajjan, son ministre de la Défense. Autrefois,<br />

c’est lui qui dirigeait les troupes canadiennes<br />

en Afghanistan.<br />

Sajjan est né au Penjab, en Inde. Il porte un<br />

turban. Un jour, un chef afghan s’étonnait de la<br />

présence de Sajjan. Le chef tribal voulut savoir s’il<br />

faisait partie de l’armée indienne. Quand il lui a<br />

répondu qu’il dirigeait les troupes canadiennes,<br />

l’Afghan ouvrit de grands yeux ronds. Sans bouger,<br />

il balança : “Eh, attendez ! Mais comment un<br />

homme comme vous peut diriger une armée de<br />

soldats canadiens ?” Trudeau ménage son effet.<br />

À l’évidence, il adore raconter cette anecdote.<br />

“Harjit a répondu : ‘Eh ben ouais ! C’est bien ça.’<br />

Le chef tribal l’a fixé un long moment avant de<br />

lâcher : ‘Bon, bon. Alors vous allez pouvoir nous<br />

aider.’ C’est ça, la force des Canadiens !”<br />

Les Trudeau-sceptiques prétendent qu’il est<br />

“émotionnellement intelligent”. C’est une manière<br />

très canadienne de dire que c’est un niais. Grave<br />

erreur ! Trudeau est le fils de Pierre Trudeau, ancien<br />

Premier ministre canadien pendant quinze<br />

ans et figure historique du Canada du xx e siècle.<br />

Il y a des choses qu’il a apprises sur les genoux de<br />

son “Papa”. Mais Justin s’est forgé son propre mode<br />

de pensée, une grille de lecture bien à lui. Jusqu’à<br />

la mort de Fidel Castro, il n’a cessé de déclarer que<br />

le Líder Màximo était “un grand chef qui avait<br />

servi son peuple”, sans faire beaucoup de cas des<br />

coups tordus et des violences que Castro pouvait<br />

commettre dans l’ombre. Pour le Canada Day, le<br />

14-Juillet de nos cousins d’Amérique, Trudeau a<br />

mentionné toutes les provinces du pays, sauf une :<br />

l’Alberta. Il est revenu sur scène pour tenter de<br />

rattraper le coup. “Laissez-moi juste vous dire que<br />

je suis un peu embarrassé – je me suis emballé à<br />

propos des Rocheuses canadiennes. Mais Alberta,<br />

toi aussi je t’aime. Joyeux Canada Day !” Quelques<br />

minutes après, des politiciens de l’Alberta faisaient<br />

déjà courir le bruit que cet oubli n’était pas une<br />

erreur, qu’il était volontaire.<br />

Cet homme-là est capable de surgir de nulle<br />

part, comme un dauphin ; enfant, il a voyagé dans<br />

le monde entier, avec son père, comme s’il faisait<br />

partie de sa délégation. Il s’aime. Il est très narcissique<br />

(ses adversaires le surnomment “Shiny Pony”,<br />

un personnage de dessin animé). Un jour, avant<br />

un débat décisif, alors qu’il comparait son destin à<br />

celui d’Obama, sa femme lui saisit brutalement le<br />

bras. Elle le fixa droit dans les yeux et lui balança :<br />

“Sois humble !” Sophie et Justin se sont rencontrés<br />

50 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


1<br />

2 Quand Trudeau<br />

devient un homme<br />

(1)Pierre et Margaret<br />

Trudeau, avec leurs<br />

trois fils. (2)Justin a<br />

hérité de son père sa<br />

passion pour le canoë.<br />

(3)Pierre Trudeau<br />

est mort peu après<br />

l’avalanche qui a<br />

emporté son frère<br />

Justin. “J’ai bien vu<br />

que c’était ce qui<br />

avait tué mon père,<br />

confie Trudeau.<br />

Il n’accepta jamais<br />

l’idée que Dieu<br />

puisse lui prendre<br />

son fils.”<br />

3<br />

© GETTY IMAGES. DR.<br />

dans leur ville natale, à Montréal. Et dès leur premier<br />

rendez-vous, Justin s’est mis en tête que c’était<br />

la bonne, qu’il allait l’épouser.<br />

Trudeau ne traîne pas sur les greens de golf.<br />

Il préfère dévaler les pentes en snowboard. Il est<br />

humain. Il a le goût du risque. Quand il était plus<br />

jeune et plus simple d’esprit, il s’amusait à se jeter<br />

du haut des marches pour faire marrer ses potes.<br />

Pour faire plaisir à son fils Hadrien qui jouait Le<br />

Petit Prince de Saint-Exupéry, Justin Trudeau s’est<br />

pointé sur la scène déguisé en aviateur. Cet homme<br />

a un sens de l’humour très particulier, mais il se<br />

défend d’en user contre ses ennemis. Trudeau est<br />

un centriste. Un optimiste aussi. Solaire. Rien à<br />

voir avec le long règne de son prédécesseur Stephen<br />

Harper et ses méthodes à la Dick Cheney. Dans<br />

son bureau aux murs couverts de portraits de rois<br />

de France – où je l’ai entendu siffloter le refrain<br />

“Like a <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>” de Dylan –, il me montre<br />

un tableau de Louis XIV. “Lui aussi était solaire”,<br />

blague-t-il. Ce Premier ministre-là n’en finit pas<br />

de surprendre son monde. Il se fait prendre en<br />

photo dans toutes les situations, en train de faire<br />

du kayak, ou de jogger. Récemment, il a interrompu<br />

sa course dans les rues de Vancouver pour<br />

faire une série de selfies avec des étudiants habillés<br />

pour leur bal de fin d’année. Son photographe<br />

officiel est toujours dans les parages. Un autre<br />

Trudeau-sceptique m’a confié l’autre jour que, s’il<br />

devait se présenter contre lui aux prochaines élections,<br />

il demanderait à des clodos et à des pauvres<br />

de brandir des panneaux pour exiger d’être pris en<br />

photo avec Trudeau. Pourquoi pas…<br />

Le Canada n’a pas résolu tous ses dilemmes. Il<br />

reste dépendant de son voisin américain pour<br />

ses énergies fossiles. Aucun puits de pétrole du<br />

Dakota du Nord américain ne peut rivaliser avec<br />

ceux de l’Alberta. Cette province canadienne est<br />

trouée comme un gruyère, plantée de milliers de<br />

puits et de foreuses. Je lui ai demandé comment<br />

il s’accommodait de cette réalité, lui qui se pique<br />

d’être un des grands supporters des accords de<br />

Paris sur le climat. “C’est une vraie question”,<br />

lâcha-t-il, sans se laisser démonter. “Il faut bien<br />

l’avouer : on ne peut pas se passer du gaz, des carburants<br />

fossiles. Nous ne sommes pas prêts. Il va<br />

falloir quelques décennies avant d’y parvenir.” Il<br />

réfléchit. “On peut réduire leur utilisation, mais<br />

la transition énergétique va prendre encore un peu<br />

de temps.” Trudeau l’écolo est aussi un supporter du<br />

fameux oléoduc Keystone, qui part des sables bitumineux<br />

de l’Alberta et traverse tous les États du<br />

nord des États-Unis sur près de 3 500 kilomètres.<br />

Cette double casquette, cette position un peu schizophrénique,<br />

est d’autant plus forte que Trudeau<br />

doit faire face au legs de son père. Quand Pierre<br />

Trudeau était Premier ministre, il s’en est pris à<br />

cette industrie. Il a taxé les profits des industries<br />

pétrolières de l’Alberta pour les redistribuer dans<br />

tout le pays. Ces grands patrons s’en souviennent.<br />

Ils l’ont encore mauvaise. Et Trudeau fils doit faire<br />

avec. Justin Trudeau se souvient encore de cette<br />

conférence qu’il a donnée il y a quelques années<br />

à Calgary. Quand il quitta la scène, un homme<br />

s’approcha de lui et lui dit : “Bien, bien ! Très bon<br />

discours. Heureux de vous avoir rencontré – pas<br />

comme votre père, ce sac à merde !” Dont acte. Pour<br />

Trudeau, la question est la suivante : “Comment on<br />

fait pour transporter tout ça ? Il ne faut pas se mentir.<br />

Les camions sont chers et en plus, ils polluent.<br />

Le rail c’est cher, c’est sale et on n’est jamais à l’abri<br />

d’une catastrophe. L’option Keystone est la plus<br />

sûre.” Argument discutable, au moins aux yeux<br />

des types qui ont planté leurs tentes à Standing<br />

Rock pour protester contre son projet d’extension.<br />

En Amérique, on connaît moins le Trudeau qui<br />

soutient l’expansion du réseau d’oléoducs Trans<br />

Mountain, transportant le pétrole de l’Alberta vers<br />

la côte de la Colombie-Britannique, pour le vendre<br />

aux marchés asiatiques. “La vraie question est de<br />

savoir si nous voulons mettre tous nos œufs dans<br />

le même panier. Est-ce que nous voulons rester<br />

dépendants du seul marché américain ? N’est-il<br />

pas préférable de s’ouvrir à l’international pour<br />

accéder à de nouveaux marchés ?” Question très<br />

rhétorique, du moins posée ainsi. Malgré toutes<br />

ces contradictions, ce jeune Premier ministre est<br />

progressif, cartésien. Il a une vista, comme on dit,<br />

une vision de l’avenir. Oui, il est né avec une cuillère<br />

d’argent dans la bouche. Mais il est en phase<br />

avec ses concitoyens. Et la vie ne l’a pas épargné.<br />

Il a vécu des drames personnels. La majorité<br />

des Canadiens est persuadée qu’il a vraiment à<br />

cœur de défendre ses 36 millions de concitoyens.<br />

En 2015, Trudeau est allé à la rencontre des réfugiés<br />

syriens. Avec d’autres bénévoles, il leur a distribué<br />

des manteaux pour l’hiver. Un an plus tard,<br />

l’un d’entre eux a profité de son passage sur une<br />

radio pour le remercier personnellement. Trudeau<br />

en a pleuré. Un autre a appelé son fils Justin, en<br />

guise d’hommage. Quel contraste avec Trump qui<br />

veut interdire l’accès au sol américain aux musulmans<br />

et à Mike Pence, qui a osé aller devant les<br />

tribunaux pour empêcher les réfugiés syriens de<br />

s’installer en Indiana ! “Si nous avons décidé d’ac-<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 51


Justin<br />

Trudeau<br />

cueillir 40 000 réfugiés syriens, ce n’est pas parce<br />

que notre gouvernement a envoyé là-bas quelques<br />

avions ou que nous avons signé un quelconque<br />

décret”, me confie Trudeau. “Si nous avons pris<br />

cette décision, c’est parce que des Canadiens ont<br />

accepté de leur ouvrir leurs maisons, leurs églises,<br />

leurs associations. Ils disaient : ‘À nous de jouer, à<br />

nous de nous mobiliser pour offrir à ces hommes et<br />

à ces femmes, qui ont traversé une crise terrible, des<br />

lendemains meilleurs.’ Nous avons pris conscience<br />

qu’en faisant venir ces réfugiés ici pour leur offrir<br />

une vie meilleure, nous rendons le monde meilleur<br />

et nous rendons nos propres communautés<br />

meilleures elles aussi. Si j’ai pris cette décision,<br />

c’est bien parce que les Canadiens étaient prêts à<br />

le faire, parce qu’ils sont ouverts, généreux et qu’ils<br />

nourrissent de grands espoirs pour notre pays.”<br />

Il y a quelque chose d’étonnant dans toute cette<br />

histoire. C’est que Trump aime Trudeau. Quand<br />

il a débarqué en Australie, il a décrit Trudeau<br />

comme “son nouvel ami”. Peut-être est-ce dû au<br />

fait que sa fille Ivanka lui faisait les yeux doux<br />

pendant sa précédente visite à la Maison-Blanche.<br />

À moins que ce ne soit parce que Trudeau augmente<br />

de 70 % le budget militaire de son pays,<br />

satisfaisant l’obsession de Trump de voir ses alliés<br />

traditionnels assumer le coût de leur propre<br />

défense nationale. “Nous avons un grand voisin<br />

au Canada et Justin fait un boulot incroyable”, a<br />

martelé Trump lors du sommet du G20. Au même<br />

moment, Trudeau jouait au jeu du mépris avec lui,<br />

renforçant les conventions environnementales<br />

avec les États et les dirigeants membres du groupe<br />

des fameuses vingt nations les plus industrialisées<br />

de la planète. Le New York Times rapporte que<br />

Trudeau aurait engagé l’ancien Premier ministre<br />

conservateur Brian Mulroney pour gérer Trump,<br />

et que le gouvernement canadien se serait payé les<br />

services d’un lobbyiste américain pour assouplir la<br />

ligne proaméricaine, America First, Buy American<br />

d’Andrew Cuomo, le gouverneur de l’État de New<br />

York. Un mauvais coup pour les relations commerciales<br />

du Canada. Trudeau n’aime pas ces tracasseries.<br />

Il préférerait que ses voisins d’Amérique,<br />

ceux des 48 États d’en dessous, n’en mentionnent<br />

pas même l’existence. “Je ne pense pas que moi ou<br />

le Canada ayons quoi que ce soit à gagner à jouer<br />

les fiers-à-bras. Seuls les faits comptent”, lâchet-il<br />

en prenant place dans ce bureau de Premier<br />

ministre dans lequel, des années plus tôt, un peu<br />

comme les Kennedy, il jouait, enfant. “C’est clair<br />

que je ne partage pas les positions de Trump sur un<br />

bon paquet de sujets, dit-il en desserrant son nœud<br />

de cravate. Mais les Canadiens me demandent de<br />

faire le grand écart, en tenant ferme sur nos points<br />

de désaccord sans mettre en péril tous nos intérêts<br />

commerciaux.” Puis il ajoute, en parlant de<br />

Trump : “Nous avons des échanges constructifs. Je<br />

ne suis pas du genre à bondir à la moindre frustration,<br />

à lui sauter dessus, à l’insulter dès qu’il ouvre<br />

la bouche. Il faut maintenir ce dialogue.” Trudeau<br />

n’est plus un gosse comme du temps de son père<br />

et des photos de famille à la JFK. Dans ce bureau,<br />

désormais, c’est lui le patron.<br />

Le soir après sa conférence de<br />

presse, le Premier ministre se<br />

pointe avec sa femme Sophie à une<br />

soirée de gala où tous les invités<br />

sont en costard et ressemblent au<br />

pingouin de Linux. La scène se déroule au bal de<br />

Rideau Hall, la résidence officielle du gouverneur<br />

général. Le président italien est en visite officielle.<br />

Au menu, cochon de lait, panna cotta au coulis<br />

de cerises du Niagara et compote d’abricot. Les<br />

Canadiens détestent ça, mais parfois Trudeau et<br />

ses jeunes conseillers s’y soumettent, en petits gars<br />

bien-pensants et bien sous tous rapports, comme<br />

dans une série de Netflix. Il faut reconnaître que<br />

Trudeau est suffisamment bien balancé pour rivaliser<br />

avec Gary, le héros de la série comique Veep,<br />

diffusée sur HBO. À ceci près qu’il n’est pas très<br />

branché pince-fesses, dîners en ville, si chers à<br />

feu Pierre Trudeau, son père. Justin bosse, sympathique,<br />

attachant, balançant à l’occasion un<br />

« Pour tenter de me déstabiliser, les gens<br />

disaient : ‘Il est très différent de son père.<br />

Il tient surtout de sa mère.’ Et moi,<br />

je répondais : ‘Merci, merci beaucoup.’ »<br />

clin d’œil à untel, un petit coup de coude à un<br />

autre. C’est un garçon de son temps. Un homme<br />

du xxi e siècle.<br />

Justin est tombé dedans quand il était petit. Il<br />

est du coin. Il y est né. Il a grandi à moins d’un kilomètre<br />

du 24, Sussex Drive, la résidence officielle du<br />

Premier ministre. Enfin, en temps normal. Parce<br />

qu’au moment où j’écris ces lignes, la résidence de<br />

Trudeau est en rénovation. C’est le problème avec<br />

les vieilles résidences officielles. Avec sa petite famille,<br />

l’actuel Premier ministre a dû se rabattre sur<br />

un petit “cottage” d’à peine 3 000 mètres carrés,<br />

situé quelques centaines de mètres plus loin. Mais<br />

toujours dans le quartier de naissance de Trudeau.<br />

Lequel est né le soir de Noël. En 1971. Dès sa naissance,<br />

il fait parler de lui. Quelques lignes déjà,<br />

dans la presse nationale. Fils de… Cette annéelà,<br />

Pierre Trudeau, 51 ans, épousait en urgence<br />

la jeune mère de son fils, Margaret, 22 ans. Les<br />

caméras ont fixé ce moment. Trudeau senior sortant<br />

tout sourire sur le perron de l’hôpital d’Ottawa<br />

pour annoncer la naissance du divin Justin.<br />

“Ce gars est né sous le feu des projecteurs.”<br />

Dès le début, commente Terry DiMonte, DJ à<br />

Montréal et ami proche. Il le connaît depuis les<br />

années 1980, depuis que le jeune Justin a passé<br />

une annonce sur une radio locale pour tenter<br />

de dénicher des places pour un film qui affichait<br />

complet. C’est un héros shakespearien. Une<br />

sorte de Camelot version Grand Nord canadien.<br />

Dans son bureau de Parliament Hill, Trudeau<br />

me montre un recoin, une planque, l’endroit où<br />

il aimait se cacher quand il jouait dans les pattes<br />

de son père. “C’est drôle, mais, dans mon souvenir<br />

de gosse, les murs étaient plus clairs. J’ai<br />

regardé les photos de l’époque, pour comparer. Ce<br />

sont les mêmes. Rien n’a changé, en fait.” Après<br />

sa naissance, deux autres fils naquirent. Mais<br />

il n’y a que Justin qui accompagnait son père,<br />

comme sur cette photo de lui exhibant son yo-yo<br />

sous les yeux du Premier ministre de la Suède, ou<br />

cette autre prise pendant qu’il récite un poème<br />

à Ronald Reagan intitulé “The shooting of Dan<br />

McGrew”. Son père préférait les grands classiques<br />

de la littérature. Sur un autre cliché, on aperçoit<br />

Justin jeune pris en flagrant délit de zyeutage<br />

pendant que Lady Di se prélasse dans la piscine<br />

de la résidence officielle. “C’est comme ça que j’ai<br />

compris que les affaires internationales reposaient<br />

sur les relations humaines, et la manière<br />

de se comporter avec nos interlocuteurs, confie<br />

Trudeau. La manière de les écouter. En vérité,<br />

je ne parle pas de la même manière avec Merkel<br />

et avec Trump.” Trudeau en profite pour dénoncer<br />

les affirmations du Spiegel qui prétend qu’il<br />

aurait demandé à Merkel de lever le pied avec<br />

Trump au lendemain de sa sortie des accords<br />

de Paris. Pierre Trudeau, le père, était considéré<br />

comme un homme de grande valeur aux yeux de<br />

ses concitoyens. Il a orchestré la rédaction d’une<br />

nouvelle Constitution pour le pays. Il a maintenu<br />

l’unité du pays lors des velléités sécessionnistes du<br />

Québec francophone – recourant tour à tour aux<br />

urnes et aux armes, selon les circonstances. En<br />

octobre 1970, le Front de libération du Québec<br />

a assassiné un ministre provincial et kidnappé<br />

un diplomate anglais. Pierre a envoyé les troupes<br />

dans les rues de Montréal. Et lorsqu’un journaliste<br />

lui a demandé jusqu’où il était prêt à aller<br />

dans la restriction des libertés publiques, ce Premier<br />

ministre, qui se targuait d’être moderniste, a<br />

simplement lâché : “Regardez bien”. Mais en dépit<br />

de l’image qu’il voulait donner, la maison Trudeau<br />

était déjà sens dessus dessous. Les intuitions politiques<br />

de Pierre masquaient une grande fragilité,<br />

une véritable obsession pour l’embrigadement, le<br />

contrôle, traçant chez lui, dans sa propre maison,<br />

des étages où Justin et ses frères devaient s’exprimer<br />

en français, et d’autres où l’anglais était de<br />

mise. Sous contrôle, donc, même en 1977, lorsque<br />

monsieur Trudeau père fit mine d’improviser<br />

une pirouette facétieuse dans le dos de la reine<br />

Elizabeth à Buckingham Palace. Il voulait exprimer<br />

tout le mépris des Canadiens pour la pompe<br />

52 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


© GREG KOLZ. BERNARD WEIL/CORBIS.<br />

Le bon vivant<br />

(1) Sportif, Trudeau aime se mettre en scène.<br />

(2) En 2005, il épouse Sophie. Ils ont trois enfants.<br />

2<br />

élisabéthaine. “Mon père a perdu son père quand<br />

il avait 15 ans. Ça l’a bousillé, m’a confié Trudeau.<br />

Ça l’a marqué à vie.” De son côté, sa mère, du<br />

haut de sa vingtaine d’années, explosait sans prévenir.<br />

Margaret souffrait de troubles bipolaires.<br />

Pierre et Margaret Trudeau divorcèrent quand<br />

Justin avait 6 ans, trop jeune pour accompagner<br />

seul son père sur ses visites d’État, pas assez fort<br />

encore pour consoler sa mère, capable de débarquer<br />

à la sortie de son école pleurant toutes les<br />

larmes de son école parce que son petit ami de la<br />

veille venait de la quitter. “Ma mère a toujours été<br />

très généreuse, sensible, vulnérable et pourtant si<br />

forte”, se souvient-il. “Il a fallu qu’elle tienne face à<br />

ce trouble mental. Il lui fallait bien du courage”,<br />

dit-il, marquant une pause et souriant. “Elle<br />

comprenait les gens et tissait des relations très<br />

étroites avec eux. Ma mère était douée pour cela,<br />

plus que mon père.”<br />

Enfant, Justin a dû subir les unes des journaux<br />

évoquant les frasques de sa mère, qui faisait la<br />

fête avec les <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>s et dansait jusqu’au<br />

bout de la nuit au Studio 54, une boîte canadienne<br />

à la mode. Quand il a fait ses premiers<br />

pas en politique, les mauvaises langues disaient<br />

qu’il ressemblait plus à sa mère qu’à son père.<br />

Qu’importe. Justin traça sa route. “Mon père,<br />

dit-il, était quelqu’un d’incroyablement fort. Il<br />

était brillant. C’était une grande figure, au sens<br />

classique du terme. Mais il portait aussi cette<br />

fragilité intime, cette faiblesse qui pouvait faire<br />

de lui un homme distant, émotionnellement distant.”<br />

Justin affiche un sourire triste. “Certains<br />

faisaient feu de tout bois pour m’atteindre, ils<br />

disaient : ‘Il est très différent de son père. Il tient<br />

surtout de sa mère.’ Et moi, j’avais envie de leur<br />

dire ‘Merci, merci beaucoup.”<br />

Trudeau m’a invité à l’accompagner en berline,<br />

pour suivre avec lui les jeux de l’Acadie, à<br />

Fredericton au Nouveau-Brunswick. À l’arrivée,<br />

j’ai bien essayé de sortir, mais ma portière<br />

était verrouillée. “Il faut que tu attendes qu’ils<br />

t’ouvrent la porte”, dit-il en pointant du menton<br />

les officiers de la police royale canadienne. Il grimaça<br />

avant de lâcher : “Il m’a fallu six mois pour<br />

m’y habituer.” Au planning, Justin doit suivre<br />

1<br />

un match de badminton. Mais les choses<br />

ne vont pas se dérouler comme prévu. Il<br />

est pris d’assaut par une vague humaine,<br />

littéralement cerné par des gosses qui se<br />

ruent, le tirent, le poussent dans un volume<br />

sonore équivalent à la sonnerie de<br />

6 000 téléphones portables. Trudeau attire<br />

cette énergie. Il s’en nourrit, pas comme<br />

son père, mais plutôt comme l’ancien premier<br />

ministre de la Colombie-Britannique : James<br />

Sinclair, le père de Margaret. Sinclair était très<br />

fort pour ça, pour se jeter dans la mêlée, aller à<br />

la rencontre des gens et donner à chacun, qu’il<br />

soit ministre ou bien mineur, le sentiment d’être<br />

important à ses yeux. Son -petit-fils a hérité de lui<br />

ce talent-là. Ça fait partie de son style. Trudeau<br />

se concentre sur les individus, il fait fi des barrières<br />

sociales, des conventions, pour permettre<br />

le dialogue, même avec ses conseillers proches.<br />

Trudeau se laisse entraîner par un groupe d’adolescentes<br />

vers le gymnase. L’ambiance est à la<br />

fête, avec une pointe de nostalgie, un ressentiment<br />

étouffé, à la canadienne. Ces enfants sont<br />

les héritiers de la Grande Expulsion de 1755,<br />

quand les Britanniques poussèrent les Acadiens<br />

francophones à l’exil vers le Maine, la France ou<br />

encore la Louisiane. Mais aujourd’hui, c’est du<br />

passé. Il y a beaucoup d’amour. C’est quelque<br />

chose que je n’ai jamais ressenti en fréquentant<br />

d’autres hommes politiques. C’est obamesque, si<br />

tant est qu’Obama ait pu se retrouver dans un tel<br />

bain de foule, si ses services de sécurité avaient<br />

laissé faire cela. “Souvenez-vous de Roosevelt à<br />

la radio”, minore le journaliste canadien Noah<br />

Richler, ancien candidat socialiste à un siège de<br />

parlementaire. “Churchill était un grand orateur.<br />

Trudeau est très mauvais à l’oral. Mais il est beau<br />

gosse.” Quelques minutes plus tard, Richler se ravise<br />

un peu et concède : “Il aime son boulot – c’est<br />

amusant de le regarder faire.”<br />

Pour Trudeau, cette exposition n’est pas seulement<br />

liée à son propre ego. “J’ai la conviction<br />

très profonde qu’on ne peut pas faire ce job si on<br />

n’est pas en prise avec les gens”, me dit-il sur le<br />

chemin du retour vers Ottawa. “Ça signifie être<br />

assez disponible pour qu’ils se sentent proches de<br />

vous.” Le reste du déplacement est joyeux. Autre<br />

visite. La caserne de Fredericton qui célèbre son<br />

200 e anniversaire – il me confie que sa femme lui<br />

en veut parce qu’il refuse de la laisser l’accompagner<br />

au milieu de ces beaux gars, ces pompiers.<br />

Trudeau est chaud. Il saute sur le toit d’un camion<br />

de pompier, manipule les équipements. Une heure<br />

plus tard, il est debout sur une table de piquenique<br />

à partager des glaces avec des supporters<br />

sur les rives de la rivière Saint John, dans le cadre<br />

idyllique de Grand Bay-Westfield, au Nouveau-<br />

Brunswick. Image de carte postale. Il est encore à<br />

ses photos quand son équipe le pousse gentiment<br />

vers sa berline. La journée se poursuit à merveille,<br />

sans le moindre accroc, jusqu’à ce que le convoi<br />

quitte brutalement l’autoroute pour s’engager sur<br />

un sentier du Nouveau-Brunswick. Je ne comprends<br />

pas ce qui se passe. J’imagine une crise<br />

ou une menace sur la sécurité nationale. Je vois le<br />

Premier ministre qui descend la vitre de sa portière<br />

et balance son cône glacé. Tout un détour<br />

pour ne pas être vu en train de jeter ce cône sur<br />

une autoroute nationale. Ce culte de la personnalité,<br />

ce contrôle de l’image, toute cette conquête du<br />

pouvoir a débuté des années plus tôt.<br />

Tout a commencé par une avalanche et une<br />

marche funèbre.<br />

Q<br />

uand<br />

il se retira du monde<br />

politique en 1984, Pierre<br />

Trudeau retourna avec ses<br />

trois fils Justin, Alexandre et<br />

Michel, dans sa demeure Art<br />

déco de Mount Royal. Pierre occupait tout un<br />

étage, immense, aux murs couverts de livres et<br />

de souvenirs, pendant que ses trois fils s’entraînaient<br />

à la lutte sur les tapis du rez-de-chaussée.<br />

Le soir, ils se retrouvaient tous les quatre<br />

autour d’un bon dîner et le pater familias leur<br />

parlait de Shakespeare et de Thomas Hobbes.<br />

Justin intégra un lycée prestigieux tenu par des<br />

jésuites ; il y avait des élèves juifs, des protestants<br />

aussi. Certains ont bien essayé de le faire<br />

réagir sur les gros titres des journaux à propos<br />

de sa mère, mais ils étaient rares et Justin a plutôt<br />

été épargné. Son camarade de classe, Marc<br />

Miller, se souvient qu’il était “plus un acrobate<br />

qu’un athlète”, capable de débarquer au lycée<br />

dressé sur son monocycle tout en jonglant avec<br />

des quilles ou des balles de tennis. “Il n’était pas<br />

du genre à s’enfermer dans une catégorie type,<br />

parmi d’autres mâles alpha”, précise Miller, aujourd’hui<br />

secrétaire parlementaire.<br />

Trudeau garde un souvenir très fort des<br />

balades en famille, avec son père et ses deux<br />

frères, dans tout l’arrière-pays, les grandes<br />

marches, l’escalade, le kayak. Quand ils se retrouvaient<br />

à table, Pierre devait pressentir qu’il<br />

n’aurait probablement pas la chance de suivre<br />

la carrière de son fils. C’était comme s’il était<br />

pressé de lui transmettre tout ce qu’il pouvait,<br />

partager son expérience. “Il nous répétait souvent<br />

que nous devions être capables de faire un<br />

feu même sous l’averse, se souvient Justin. Il<br />

voulait que nous soyons prêts à affronter toutes<br />

les situations, dans tous les domaines.” À l’occasion,<br />

Justin faisait des apparitions publiques,<br />

à la grande joie des Canadiens. À 18 ans, il a pris<br />

part à un débat entre lycéens, affirmant que le<br />

Québec devait rester au Canada. Il a défendu<br />

cette opinion en utilisant parfois le français<br />

et certaines formules comme “le Canada ne<br />

chie pas sur le Québec”, montrant à l’occasion<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 53


Justin<br />

Trudeau<br />

qu’il pouvait se montrer aussi incisif que son<br />

père. Il a fait McGill à Montréal, où il s’est initié<br />

aux grands débats de société, nouant une<br />

solide amitié avec Gerald Butts, un de ses plus<br />

proches collaborateurs aujourd’hui. “Pour moi,<br />

la plus grande chose que Justin est parvenu à<br />

accomplir c’est d’avoir su rester normal”, commente<br />

Butts. Une fois son diplôme en poche,<br />

il s’est rendu dans le Grand Ouest, employé<br />

comme moniteur de snowboard tout d’abord,<br />

puis comme prof à Vancouver. Son enfance, sa<br />

longue période d’insouciance, a duré jusqu’à<br />

ses 26 ans. Cette année-là, Trudeau reçut un<br />

coup de fil lui annonçant que son frère Michel<br />

venait d’être emporté par une avalanche, alors<br />

qu’il skiait près du lac Kokanee, en Colombie-<br />

Britannique. La coulée de neige l’avait emporté<br />

vers les eaux glacées du lac. Et malgré tous<br />

les efforts des amis qui l’accompagnaient, sa<br />

dépouille n’a jamais été retrouvée. La nation<br />

tout entière se souvient du ballet incessant des<br />

hélicoptères et des plongeurs occupés à retrouver<br />

“Miche”, comme le surnommaient ses amis.<br />

C’était filmé. Justin rentra à Montréal pour rejoindre<br />

son père. La météo était mauvaise. Et la<br />

famille Trudeau prit la décision de faire interrompre<br />

les opérations de sauvetage. Le corps du<br />

plus jeune des fils Trudeau repose encore dans<br />

le lac. Justin resta à Montréal et, avant la fin<br />

de ses études, apprit que son père était atteint<br />

d’un cancer de la prostate. Il vit son père dépérir<br />

lentement, s’en aller, en quelques mois. Justin<br />

reste persuadé aujourd’hui que si son corps<br />

était rongé par le cancer, c’est bien la mort de<br />

“Miche” qui avait eu raison de lui. “J’ai bien vu<br />

que c’était ce qui l’avait tué”, confie Trudeau, les<br />

yeux troublés par l’émotion. “Il a perdu la tête. Il<br />

ne parvenait pas à accepter l’idée que Dieu lui<br />

reprenne son fils comme ça.”<br />

Pierre Trudeau meurt à l’automne 2000. Assailli<br />

par les médias, Justin se réfugie dans un<br />

lieu surprenant : la maison de son ami DJ Terry<br />

DiMonte, persuadé que les journalistes n’auraient<br />

jamais l’idée de le chercher de ce côté-là. Ses<br />

funérailles ont lieu à la basilique Notre-Damede-<br />

Montréal, un édifice du xix e siècle qui fut<br />

longtemps considéré comme la plus grande église<br />

de toute l’Amérique du Nord. Pour le meilleur et<br />

pour le pire, ce moment allait être celui du passage,<br />

du relais. Rien ne fut laissé au hasard. Dans<br />

la cuisine de DiMonte, Trudeau junior réunit ses<br />

vieux amis, Butts et Miller. Il écrivit quelques<br />

lignes et les confia à ses amis pour relecture. Il<br />

écrivit, ratura, recommença son éloge funèbre. “Il<br />

savait qu’il allait être sous le feu des projecteurs”,<br />

se souvient DiMonte. Les funérailles nationales<br />

se déroulèrent le 3 octobre, avec Castro et Jimmy<br />

Carter aux premiers rangs. Justin évoqua la mémoire<br />

de son père, et finit sur une citation de<br />

Robert Frost : “Il tint ses promesses et mérita son<br />

repos.” En lisant ces dernières lignes, Justin se mit<br />

à trembler. Il était en larmes. “Je t’aime, Papa”,<br />

ajouta-t-il en français avant de s’incliner et de<br />

poser le front sur le cercueil recouvert du drapeau<br />

canadien. Puis il alla se réfugier dans les bras<br />

de sa mère et de son dernier frère. Le buzz était<br />

lancé. Les gens s’interrogeaient sur le destin politique<br />

de Justin. Il a commencé juste avant la mort<br />

de son père. Un avant le décès de Pierre Trudeau,<br />

Justin s’assit pour l’un de leurs fameux déjeuners<br />

de famille. Justin voulait parler de son peu<br />

d’entrain pour la chose politique. Il a attendu. Il<br />

« J’ai la conviction très profonde qu’on ne peut<br />

pas faire ce job si on n’est pas en prise avec<br />

les gens », dit-il en se fondant dans la foule.<br />

attendait le bon moment. Il voulait s’assurer de la<br />

pérennité et du soutien du Parti libéral. Les libéraux<br />

étaient déjà sur le déclin, occupant 172 sièges<br />

en 2000, et seulement 34 en 2011. La vieille garde<br />

gauchisante était déjà en train de dépecer ce qui<br />

restait du parti. “Il sentait, raconte Butts, que le<br />

parti devait aller au bout de cette déchéance pour<br />

mieux se réinventer ensuite.”<br />

T<br />

rudeau est retourné sur<br />

le chemin de l’école, pour un<br />

doctorat d’ingénieur. Il fit aussi<br />

l’acteur dans une production<br />

canadienne glorifiant l’engagement<br />

des conscrits canadiens dans la Première<br />

Guerre mondiale. Toujours en marge de la politique,<br />

jusqu’en 2007. Il devient candidat à un<br />

poste de député. Ce qu’il y a de particulier dans<br />

le système parlementaire canadien, c’est qu’en<br />

dernier ressort, ce sont les caciques des partis<br />

qui définissent la circonscription devant laquelle<br />

chacun de ses candidats peut se présenter.<br />

Trudeau a été parachuté à Montréal, dans<br />

la circonscription de Papineau, à quelques encablures<br />

du foyer paternel. Papineau est peuplé<br />

de migrants, d’Africains, d’Haïtiens. Une<br />

députée, originaire d’Haïti, occupait le siège<br />

visé par Justin. Et, malgré son look de jeune<br />

premier, personne ne donnait cher de la peau<br />

de Trudeau. Il a déjoué les pronostics et gagné<br />

sa place au Parlement, pendant que les autres<br />

candidats du Parti libéral se faisaient laminer.<br />

Trudeau garde un souvenir ému de cette première<br />

campagne. “J’ai raflé les votes grecs au<br />

nez et à la barbe du candidat grec. J’ai gagné<br />

le vote des Italiens malgré le candidat italien.<br />

Ma rivale la plus solide était la députée sortante,<br />

une Haïtienne, mais les Haïtiens ont<br />

voté pour moi.” J’avais ma prochaine question<br />

sur le bout de la langue, mais Trudeau a enchaîné.<br />

“Au Canada, explique-t-il, les électeurs ne<br />

votent pas pour un représentant de telle ou telle<br />

communauté. Ils votent pour des valeurs.” Pas<br />

comme aux États-Unis d’Amérique, où le tribalisme<br />

et l’appartenance ethnique prédominent.<br />

“Ma vision du pays, poursuit-il, reflétait tout<br />

simplement celle de mes électeurs.”<br />

Plus récemment, le principe du vivre et laisser<br />

vivre, si cher à la nation canadienne, a été mis à<br />

rude épreuve. En janvier dernier, un Canadien<br />

de 27 ans a froidement assassiné six musulmans<br />

dans une mosquée de Québec. Trudeau a rappelé<br />

sa confiance en l’esprit d’ouverture des Canadiens,<br />

mais le pays et ses chefs politiques ont été durablement<br />

affectés.<br />

“Les gens de confession musulmane sont trop<br />

souvent victimes du terrorisme, hélas”, lâche Trudeau.<br />

Quel contraste avec les mesures de bannissement<br />

de Trump ! La suite de la carrière de<br />

Trudeau, de la députation au poste de Premier<br />

ministre peut paraître moins romantique, moins<br />

élégante, en passant par un vrai ring de boxe. Elle<br />

est le résultat d’une stratégie plus réfléchie qu’il<br />

n’y paraît.<br />

Pendant longtemps, le désir assumé de<br />

Trudeau d’apprendre les us et coutumes des gens<br />

d’Ottawa a été altéré par ce nom lourd à porter et<br />

sa grande gueule. En 2011, Trudeau n’a-t-il pas<br />

qualifié de “grosse merde” un député conservateur<br />

en pleine Chambre des Communes lors d’un<br />

débat houleux ? Il a fallu qu’il s’en excuse. Mais le<br />

mal était fait. Et les médias conservateurs n’hésitaient<br />

pas à rappeler que ce jeune ambitieux avait<br />

aussi le sang chaud. L’année suivante, il a été bien<br />

mal inspiré d’accepter de monter sur un ring et de<br />

mettre les gants contre le sénateur conservateur<br />

Patrick Brazeau dans le cadre d’un gala de charité<br />

visant à récolter des fonds pour la lutte contre<br />

le cancer. “Personne ne peut prétendre les yeux<br />

dans les yeux que c’était une bonne idée, dit Miller,<br />

son ami et très proche conseiller. Il s’est donné<br />

en spectacle.” Ce soir de mars 2012, la cote de<br />

Trudeau était à 1 contre 3. Le Canadien Brazeau,<br />

d’origine indienne, avec ses longs cheveux noirs et<br />

ses tatouages sur les bras, était donné vainqueur.<br />

Pour l’occasion, Trudeau s’était fait dessiner un<br />

corbeau et le globe terrestre. Brazeau ressemblait<br />

à un gars capable de rétamer une palanquée de<br />

poivrots dans une boîte à strip-tease. Les médias<br />

conservateurs étaient comblés, ils guettaient la<br />

mort du “Shiny Pony”. Dans tous les bars du pays,<br />

les matchs de hockey cédaient la place à ce match<br />

au sommet. Énorme succès d’audience. Dès le<br />

début du combat, Brazeau s’est rué sur Trudeau<br />

et lui a asséné des coups terribles. La foule était<br />

comblée. Elle avait ce qu’elle voulait. Un massacre<br />

en règle et très vite Trudeau au sol, le cul à terre,<br />

inhalant des sels pour se remettre d’aplomb. Trudeau<br />

s’est accroché. Il a répliqué par une série de<br />

directs à la face du sénateur. Brazeau a même été<br />

compté. Lui-même n’en revenait pas. Au troisième<br />

54 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


© GETTY IMAGES<br />

round, l’arbitre dut interrompre le match, alors<br />

que Trudeau venait de se ruer une nouvelle fois<br />

sur son adversaire incapable de répliquer. La victoire<br />

de Trudeau a révélé que ce jeune loup savait<br />

tenir parole et qu’on pouvait appartenir à un Parti<br />

libéral un peu mou du genou et avoir un sacré<br />

punch. Cinq ans et des kilomètres plus loin, Trudeau<br />

esquive un sourire bien mystérieux quand<br />

je lui demande si ce match n’était pas biaisé. “On<br />

a beaucoup réfléchi, laisse-t-il tomber. Je voulais<br />

quelqu’un capable de tenir sur le ring, et on a déniché<br />

ce sénateur un peu hors normes, issu de la<br />

communauté indienne, pour jouer le méchant. Il<br />

a joué le jeu. Il m’a donné la réplique.” Trudeau dit<br />

cela avec la précision froide d’un expert financier<br />

lors d’une réunion de comptables. “Pour moi, ça<br />

faisait la blague et ça avait du sens.”<br />

Le dimanche précédent notre entrevue, le<br />

Premier ministre Trudeau paradait et dansait à<br />

la Gay Pride de Toronto, avec des chaussettes barrées<br />

d’inscriptions en arabe célébrant la fin du ramadan.<br />

Drôle de manière d’afficher son soutien à<br />

deux minorités opprimées. De quoi faire bondir le<br />

journaliste conservateur Sean Hannity. Mais c’est<br />

avec des coups comme ça que Trudeau est devenu<br />

Premier ministre. Il a hérité du Parti libéral de<br />

son père, quand ses représentants étaient au plus<br />

bas dans les sondages, juste après la désastreuse<br />

campagne de 2011 qui les réduisit à 34 sièges sur<br />

un total de 308 au Parlement. Trudeau a pris<br />

la tête du parti en 2013. Et d’emblée, il s’est mis<br />

à “l’obamatiser”, réinvestissant les jeunes électeurs,<br />

mais aussi les minorités, usant des médias<br />

sociaux pour relayer ses slogans. Il s’est adjoint<br />

les services de l’ancien directeur adjoint de la<br />

campagne d’Obama. Trudeau avait du charisme.<br />

“C’était incroyable de voir toute cette jeunesse se<br />

ruer vers lui”, reconnaît Richer. Et puis il s’est<br />

imposé dans les débats télévisés. “C’est alors que<br />

j’ai compris que nous étions cuits”, laisse tomber<br />

Richer. Le parti de Trudeau a remporté les élections<br />

du 19 octobre 2015. Avec lui, les votes en<br />

faveur du Parti libéral sont passés de 2,8 millions<br />

en 2011 à près de 7 millions quatre ans plus tard.<br />

Quelques jours plus tard, les membres de son<br />

nouveau cabinet, reflet parfait du multiculturalisme<br />

à la canadienne, se rendaient comme un<br />

seul homme à Rideau Hall pour son investiture.<br />

Un reporter sur place a demandé à Trudeau pourquoi<br />

il y avait tant de conseillers femmes autour<br />

de lui. Il sourit avant de répondre : “Parce que<br />

nous sommes en 2015.”<br />

Suivre l’investiture de Trudeau, c’était un peu<br />

comme regarder un enfant faire ses premiers<br />

mètres à vélo. Tant de promesses. Tant de renoncements.<br />

Parfois encore, le jeune homme est<br />

capable de coups de tête. L’année dernière, il a<br />

déboulé dans la Chambre des Communes pour<br />

aller chercher un de ses opposants, bousculant au<br />

passage, d’un coup de coude à la poitrine, la députée<br />

Ruth Ellen Brosseau. Cette affaire est devenue<br />

le “Coudegate” (“Elbowgate” en anglais). Les<br />

membres de l’opposition se sont rués sur lui, impatients<br />

de transformer la bousculade en affaire<br />

d’État. Trudeau a présenté ses excuses. Quatre<br />

fois. Il est devenu le souffre-douleur du comique<br />

John Oliver. “Je lui ai envoyé un texto juste après,<br />

se souvient DiMonte. Et il m’a répondu que ça<br />

lui avait échappé, qu’il ne recommencerait plus.”<br />

DiMonte s’est mis à rigoler en me livrant cette<br />

anecdote. “Il est bien comme son père. Il est gentil,<br />

patient, jusqu’à un certain point. Est-ce qu’il<br />

a appris à arrondir les angles ? Oui. Se comportet-il<br />

parfois encore comme un éléphant dans un<br />

magasin de porcelaine ? Absolument.” Récemment,<br />

Trudeau a été tancé par son aile droite parce<br />

qu’il avait autorisé le versement d’une indemnité<br />

de 9,5 millions d’euros au ressortissant canadien<br />

Face à la nation<br />

Sur Trump : “On est en désaccord<br />

sur nombre de sujets, mais on travaille<br />

bien ensemble.”<br />

Omar Khadr, engagé à 15 ans dans un échange de<br />

tirs qui a causé la mort d’un soldat américain en<br />

Afghanistan. Le père de Khadr était associé à Ben<br />

Laden. Le jeune homme a été incarcéré à Guantanamo.<br />

Il y a été torturé avant de finir dans une<br />

prison canadienne. Khadr a été libéré en 2015,<br />

après avoir passé la moitié de sa vie derrière les<br />

barreaux. Les tribunaux canadiens ont estimé que<br />

ses droits avaient été bafoués. Khadr a poursuivi<br />

le gouvernement canadien et Trudeau a transigé<br />

pour un accord. Le leader conservateur Andrew<br />

Scheer a bondi sur l’occasion, qualifiant cette indemnité<br />

de “lamentable”. Trudeau s’est défendu<br />

que, devant les tribunaux, le gouvernement aurait<br />

encouru une amende quatre fois plus élevée. “On<br />

apprécie une société juste, pas seulement dans les<br />

cas où la défense des droits de ses ressortissants<br />

est facile et populaire, dit-il, mais aussi quand sa<br />

reconnaissance est moins évidente.”<br />

Certaines promesses de campagne n’ont pas<br />

été réalisées, comme la réforme du code électoral,<br />

mais il a tenu la plus importante, celle faite<br />

au million cinq cent mille indigènes du Canada.<br />

Il a créé une Commission pour la paix et la réconciliation<br />

et assumé publiquement que l’État était<br />

responsable de l’enlèvement de 150 000 enfants<br />

à leurs familles indigènes en 1883. Ils furent placés<br />

dans des orphelinats et des pensionnats scolaires.<br />

Une section de cette commission enquête<br />

sur le meurtre de mille femmes indigènes. Mais<br />

cette dernière fait déjà l’objet de vives critiques<br />

en interne. Elle souligne aussi la négligence coupable<br />

dont le gouvernement a fait preuve tant au<br />

niveau de l’éducation de cette population, que de<br />

la qualité de ses eaux et de ses réserves nationales.<br />

Trudeau a promis une eau plus saine, de nouvelles<br />

écoles et, plus important, plus de latitude dans l’allocation<br />

et la répartition de fonds aux différentes<br />

réserves nationales. Mais les réalisations tardent<br />

à venir. Lors de sa conférence de presse, Trudeau<br />

a appelé à plus de patience. “Cela nous a pris des<br />

siècles avant d’en arriver là. Il va falloir encore<br />

quelques générations avant que nous puissions<br />

apurer les comptes liés à cet héritage.”<br />

Quelques heures après sa conférence de presse,<br />

Trudeau insiste pour me faire partager sa vision<br />

du Canada. Nous faisons une demi-heure de route<br />

vers la banlieue d’Ottawa, jusqu’à l’école élémentaire<br />

de Berrigan, à Nepean. Pendant que ses officiers<br />

de sécurité s’assurent des lieux, je reste dans<br />

le fond d’une salle de classe qui ressemble à s’y<br />

méprendre à celle dans laquelle l’ancien président<br />

George W. Bush se trouvait le matin du 11 septembre<br />

2001. Sur place, j’ai l’impression d’assister<br />

à une session de l’assemblée des Nations unies. Plus<br />

tard, le proviseur me dit que, sur les 900 élèves<br />

inscrits dans son école, 35 pays étaient représentés<br />

et une vingtaine de langues parlées. Je n’étais<br />

pas très loin. Les élèves parlent anglais, français et<br />

tout un tas d’autres langues qui m’échappent. Cela<br />

me rappelle ce que Richter m’avait dit à propos de<br />

son pays : “Ce pays est si étendu que nous ne l’occuperons<br />

jamais complètement. Nous avons autant<br />

besoin des immigrants qu’ils ont besoin de nous.”<br />

Trudeau allait de l’un à l’autre, écoutait, jusqu’à ce<br />

qu’un jeune Indien se mette à raconter qu’il était<br />

fier de se sentir Canadien et de pouvoir entonner<br />

sans crainte l’hymne national indien. Le Premier<br />

ministre s’empara du micro et se mit à parler en<br />

anglais et en français. “Quand vous observez un<br />

pays, ou une communauté, la division est à l’origine<br />

des désaccords, d’affrontements et finalement<br />

d’affaiblissements”, dit-il. Ici, au Canada, nous<br />

avons des points de divergence, des origines différentes,<br />

des histoires différentes, plusieurs religions,<br />

plusieurs langues.” Puis il darde vers l’écolier un<br />

regard de vieux maître d’école. “Nous avons réussi<br />

à faire de cette diversité une force.”<br />

Trudeau retourne vers les voitures de son convoi<br />

qui s’arrête à chaque feu rouge. Dans la cour, près<br />

de deux cents gosses tendent à bout de bras des<br />

pancartes avec les mots “Espoir” et “Respect” écrits<br />

dessus. Ils s’accrochent à sa chemise et repartent<br />

avec de grands sourires. Cela peut paraître un peu<br />

niais comme ça, mais c’était magnifique. Voilà la<br />

définition de ce qu’un pays doit être aux yeux de<br />

Trudeau. Le Canada se bat pour fédérer les communautés<br />

quand l’Amérique construit des murs et<br />

rêve d’un âge d’or qui ne reviendra pas. Ce pays-là,<br />

le pays de Trudeau, pourrait bien constituer un<br />

beau refuge à ceux qui voudraient fuir la tempête<br />

qui vient d’Amérique.<br />

TRADUCTION ET ADAPTATION PAR SÉBASTIEN SPITZER<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 55


Portfolio<br />

RENCONTRES PHOTOGRAPHIQUES<br />

Hache de guerre<br />

Depuis vingt-neuf ans, à Perpignan, Visa pour l’image, plus grand<br />

festival international de photojournalisme au monde, multiplie<br />

ses regards, lucides et sans complaisance, mais terriblement humains,<br />

comme autant de constats sur l’état de notre planète.<br />

PAR LORAINE ADAM<br />

Avec un regard scrutateur sur<br />

l’actualité, les faits et personnalités<br />

majeurs de l’année écoulée, l’édition<br />

<strong>2017</strong> évoque, sans surprise, un<br />

monde en souffrance. Parmi les 4500 projets<br />

reçus par l’organisation de la manifestation,<br />

25 ont été retenus et feront l’objet d’expositions<br />

gratuites, présentées dans toute la cité catalane.<br />

Deux d’entre elles, en noir et blanc, ont tout particulièrement<br />

retenu notre attention, traitant de<br />

la condition des Amérindiens du Dakota, un<br />

thème abordé il y a quelques mois dans nos<br />

pages, avec notamment Neil Young qui s’est<br />

associé à cette lutte.<br />

Le célèbre photo-reporter canadien Larry<br />

Towell de Magnum Photos présente Standing<br />

Rock, sur les Sioux qui se sont opposés au projet<br />

d’oléoduc Dakota Access Pipeline menaçant<br />

les sites sacrés et les réserves d’eau<br />

potable, en organisant des campements de<br />

prière. Cette mobilisation a abouti au plus<br />

grand rassemblement d’Amérindiens depuis<br />

plus d’un siècle, avec près de deux cents tribus.<br />

Durant l’été 2016, 5 000 manifestants amérindiens<br />

et militants campaient près de la Cannonball<br />

River. Le 4 décembre 2016, le gouvernement<br />

américain annonçait l’arrêt de la<br />

construction. Deux mois plus tard, sur ordre<br />

du président Trump, des policiers lourdement<br />

armés, à bord de véhicules blindés, ont pénétré<br />

dans les camps, arrêtant ou évacuant par la<br />

force les derniers manifestants.<br />

Quant à l’Américaine Darcy Padilla de l’Agence<br />

VU’, lauréate du Prix Canon de la Femme photojournaliste<br />

2016 soutenu par le magazine Elle,<br />

elle propose Dreamers, un reportage dans la<br />

réserve indienne des Lakotas, à Pine Ridge.<br />

Considérée comme l’une des plus pauvres des<br />

États-Unis, celle-ci affiche un taux de chômage<br />

de 85 % et l’espérance de vie la plus faible du<br />

pays : 47 ans pour les hommes et 52 pour les<br />

femmes. Une communauté aux prises avec<br />

l’alcoolisme, la dépendance à la méthamphétamine<br />

et qui tente de faire survivre sa culture.<br />

Visa pour l’image, 29 e festival international<br />

du photojournalisme, du 2 au 17 septembre, Perpignan (66).<br />

Entrée gratuite, tous les jours, de 10h à 20h<br />

www.visapourlimage.com - Visa pour l’image sur Facebook<br />

© LARRY TOWELL / MAGNUM PHOTOS<br />

Le camp d’Oceti s’apprête<br />

à disparaître dans les flammes.<br />

Ainsi en ont décidé les quelques<br />

centaines d’occupants qui auront<br />

résisté jusqu’au bout, jusqu’à<br />

l’ordre d’évacuation militaire<br />

ordonné par le gouverneur<br />

de l’État. Standing Rock,<br />

Dakota du Nord. Février <strong>2017</strong>.<br />

56 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


© DARCY PADILLA / AGENCE VU’<br />

© DARCY PADILLA / AGENCE VU’<br />

Pow-wow pour célébrer l’anniversaire du massacre de Wounded Knee : en<br />

1973, des militants ont occupé la ville pour manifester contre le gouvernement<br />

fédéral et son non-respect des traités conclus avec les Amérindiens.<br />

Un drapeau en lambeaux flotte sur la réserve de Pine Ridge, dans le Dakota<br />

du Sud, considérée comme l’endroit le plus pauvre des États-Unis.<br />

© LARRY TOWELL / MAGNUM PHOTOS<br />

Vue du campement de Oceti Sakowin, celui<br />

des résistants de la dernière heure, dans<br />

la réserve sioux de Standing Rock, située<br />

dans le Dakota du Nord. Septembre 2016.<br />

© LARRY TOWELL / MAGNUM PHOTOS<br />

© DARCY PADILLA / AGENCE VU’<br />

Affrontement entre l’armée américaine et les Sioux à Mandan,<br />

Dakota du Nord. Novembre 2016.<br />

À Whiteclay (Nebraska), proche de la frontière du Dakota du Sud, près de<br />

5 millions de canettes de bière sont vendues chaque année, principalement<br />

aux résidents de la réserve, où l’alcool est interdit. En avril <strong>2017</strong>, les élus de l’État<br />

du Nebraska ont voté la révocation du permis d’alcool de quatre commerces.<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 57


PLAYLIST<br />

C'est James Taylor<br />

qui donnera envie<br />

à Charles Berbérian de<br />

se mettre à la guitare.<br />

Le folkeux américain<br />

accompagnera aussi<br />

ses premiers coups<br />

de crayon.


La culture rock de<br />

CHARLES<br />

BERBÉRIAN<br />

Chaque mois dans <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>, une personnalité du monde<br />

du spectacle, du sport ou de la politique dévoile sa passion pour<br />

le rock. Épisode 19 avec un illustrateur-scénariste de BD, grand fan<br />

du son West Coast des années 1970. Berbérian virevolte en mélomane<br />

averti ; passant de la folk à la country, du blues au rhythm’n’blues,<br />

tout en gardant une oreille sur The Young Rascals.<br />

I<br />

nitié et conseillé par son frère aîné<br />

Alain Berbérian (producteur de<br />

films), le jeune Charles découvre à<br />

16 ans la blue-eyed soul des Young<br />

Rascals avec “Groovin’”. Fort d’un<br />

riche nuancier musical, il est rapidement<br />

conquis par la musique de Paul Simon et les<br />

chorus gorgés de salsa de Carlos Santana.<br />

Depuis toujours, son inspiration musicale<br />

vient de l’Amérique, celle d’une Californie<br />

au soleil brûlant qui va de James Taylor à<br />

Joni Mitchell en passant par Jackson<br />

Browne. Amateur de folk songs et de guitares<br />

acoustiques au son boisé, il écoute Neil<br />

Young et Bob Dylan. Guitariste, il fonde au<br />

début des années 2000, Nightbuzz, un duo<br />

de musiciens composé du dessinateur Jean-<br />

Claude Denis qui, lui aussi, est un grand<br />

amateur de sonorités californiennes.<br />

Aujourd’hui, il continue l’aventure avec sa<br />

guitare acoustique, jouant régulièrement<br />

avec JP Nataf et Bastien Lallemant sur<br />

scène à Paris. Côté BD, Charles signe régulièrement<br />

des couvertures pour le<br />

New Yorker ou Les Inrockuptibles. Pour les<br />

Par PHILIPPE LANGLEST<br />

Photographies de SABRINA LAMBLETIN<br />

fans de BD, il est avant tout le coauteur, au<br />

côté de Philippe Dupuy, de la série culte<br />

Monsieur Jean en 1991 ou l’histoire d’un<br />

trentenaire citadin et bobo, cherchant une<br />

âme sœur pour enjoliver ses nuits. Dans<br />

l’univers de Berbérian, le dessin et la prose<br />

sont poétiques comme le témoigne<br />

Bienvenue à Boboland. Sur son dernier<br />

opus, Afterz, il emmagasine sa poésie dans<br />

chaque case en faisant dialoguer ses personnages<br />

– clubbeurs et âmes solitaires – au<br />

cœur de la nuit, quitte à planer un peu. L’occasion<br />

de retrouver l’auteur chez lui, au cœur<br />

de l’été, en pleine canicule, dans son appartement<br />

parisien, à quelques pas de la gare de<br />

l’Est ; il nous reçoit avec une tournée d’eau<br />

pétillante bien glacée. On s’installe au frais<br />

dans la cuisine. Planté au milieu du salon<br />

avec son faux air de Woody Allen, Charles<br />

fait la navette entre les deux pièces, sortant<br />

au compte-goutte les disques qu’il aime :<br />

Groovin’ de The Young Rascals, Sweet Baby<br />

James de James Taylor, etc. À la fois profond<br />

et léger, il raconte son histoire et ses obsessions<br />

musicales dans sa “Culture Rock”…<br />

Vous avez passé une partie de votre adolescence<br />

entre l’Irak, le Liban et la France. Comment<br />

s’est construite votre éducation musicale ?<br />

Charles Berbérian : En fait, je suis resté en Irak<br />

jusqu’à l’âge de 10 ans, puis j’ai vécu au Liban<br />

cinq ans. Je suis arrivé en France juste après,<br />

au beau milieu des années 1970. Mon éducation<br />

musicale s’est faite principalement grâce<br />

à mon grand frère Alain, qui a six ans de plus<br />

que moi. Il avait un certain goût pour des<br />

groupes peu connus à l’époque. Par exemple,<br />

il n’a jamais ramené un disque des Beatles ou<br />

des <strong>Stone</strong>s à la maison. Je me souviens qu’un<br />

jour, il a mis Groovin’, un disque de The<br />

Young Rascals sur la platine. C’est là que ça<br />

a commencé. À cette époque, à la maison, je<br />

n’avais pas le droit de m’approcher de la platine,<br />

qui était réservée à mon frère. Donc le<br />

seul moyen de rejouer les morceaux que<br />

j’entendais, c’était d’oser toucher la platine<br />

quand Alain n’était pas là, ce qui était hyperdangereux.<br />

(Sourire.) Soit de me rejouer dans<br />

la tête les morceaux et de les chantonner.<br />

J’adorais les mélodies et le son des Young<br />

Rascals, avec la guitare en stéréo qui passait<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 59


CHARLES<br />

BERBÉRIAN<br />

d’un baffle à l’autre, ça me rendait dingue.<br />

Avant de sonner un peu comme les Beatles,<br />

la musique des Young Rascals baignait dans<br />

la soul et le R’n’B ;“Groovin’” est un authentique<br />

tube de blue-eyed soul.<br />

On est au cœur des années 1970. En ce qui<br />

concerne les groupes de rock, vous êtes alors plutôt<br />

attiré par ce qui se fait en France, en Angleterre<br />

ou aux États-Unis ?<br />

C. B. : J’ai tout de suite été séduit davantage<br />

par les songwriters américains qu’anglais.<br />

Paul Simon et Neil Young ont beaucoup<br />

compté dans ma culture rock, tout comme<br />

James Taylor. J’avais vu au cinéma le film<br />

A Hard Day’s Night, mais on n’écoutait pas<br />

beaucoup les Beatles à la maison. À cette<br />

époque, je préférais les outsiders aux têtes<br />

couronnées : les Young Rascals ou Bill Deal<br />

& The Rhondels me plaisaient davantage que<br />

les <strong>Stone</strong>s, par exemple. Ensuite, j’ai bifurqué<br />

vers une petite période prog rock anglaise<br />

avec Pink Floyd et Genesis. À 17 ans, j’étais<br />

particulièrement attaché à une compilation<br />

de rhythm’n’blues, sortie sur le label Atlantic,<br />

avec Booker T. & the MG’s, Solomon Burke<br />

et Wilson Pickett. Une vraie machine à hits<br />

avec en tête de liste l’incontournable “In the<br />

Midnight Hour”. Bizarrement, le premier<br />

tube français que j’ai appris par cœur, c’était<br />

“Le Téléfon” de Nino Ferrer. C’était du R’n’B<br />

“à la française”. J’adorais ça !<br />

À propos de rhythm’n’blues, vous êtes de<br />

quelle école ? Stax ? ou Atlantic ?<br />

C. B. : Le label Atlantic, en priorité. Dans leur<br />

catalogue, on trouvait du très lourd : Aretha<br />

Franklin, Percy Sledge et l’irremplaçable<br />

Wilson Pickett. Leurs chansons me touchaient<br />

au cœur et je n’arrêtais pas de les<br />

chanter. À la même période, j’avais une<br />

espèce d’obsession, une sorte de tic de langage<br />

: j’imitais sans cesse le son de la wahwah.<br />

(Sourire.) C’est sur le label Stax, qui par<br />

la suite sera absorbé par Atlantic, que je<br />

découvrirai Otis Redding, Sam & Dave et<br />

Isaac Hayes. Avec lui, je touchais le graal du<br />

R’n’B. Son générique génialissime de Shaft<br />

me renverse littéralement dès la première<br />

écoute. En plus, lui, la wah-wah il connaissait<br />

ça par cœur. Parallèlement, je me<br />

branche sur les musiques de feuilletons télé<br />

avec Mission : Impossible ou Mannix. Je<br />

voulais les disques de Lalo Schifrin qu’on ne<br />

trouvait pas encore chez le disquaire du coin.<br />

Il fallait les commander en import. Je patientais.<br />

J’avais besoin de ces disques.<br />

Quel a été votre premier vrai choc musical ?<br />

C. B. : J’en ai eu quelques-uns. Tout d’abord,<br />

sur les conseils avertis de mon frère, je suis<br />

tombé sur un best of de Tony Joe White où<br />

figurait la chanson “Polk Salad Annie”. Une<br />

mélodie inoubliable, magique, avec ce timbre<br />

vocal unique. Un jour, mon frère rapporte à<br />

la maison un 45-tours de Bill Deal and The<br />

Rhondels, “May I”. C’était un groupe de<br />

Blancs qui jouait du rhythm’n’blues comme<br />

les Noirs américains. Imparable ! Ça a été un<br />

vrai choc. Au même titre que les Young<br />

Rascals avec “Groovin’”.<br />

Paul Simon tient une place importante dans<br />

votre panthéon musical. Comment le<br />

découvrez-vous ?<br />

C. B. : En 1974, lors de mon premier voyage en<br />

France, j’achète mes premiers disques. Il y<br />

avait notamment l’album There Goes Rhymin’<br />

Simon, de Paul Simon. À l’époque, les albums<br />

CBS étaient interdits au Liban parce qu’estampillés<br />

“label juif”… Du coup, impossible de<br />

trouver le moindre disque CBS au Liban. Pas<br />

de Santana, pas de Paul Simon. Je suis donc<br />

en France dans un supermarché avec ma<br />

mère, qui accepte que je prenne un disque. Je<br />

le prends un peu par hasard, parce que c’est un<br />

album CBS et que mon frère aime bien Simon<br />

and Garfunkel. Un coup de bol qui va vite<br />

“ quand j'ai<br />

commencé<br />

la guitare, les<br />

deux premiers<br />

morceaux<br />

que j'ai joués<br />

venaient<br />

de harvest,<br />

de neil young.<br />

”<br />

devenir mon disque fétiche. Depuis, je ne me<br />

lasse pas de le réécouter. Je connais les chansons<br />

par cœur, de “Take Me to the Mardi Gras”<br />

à “American Tune”. Il y a aussi cette pochette<br />

complètement démente, signée Milton Glaser.<br />

Au niveau des compos, Paul Simon m’a autant<br />

marqué que James Taylor…<br />

Avec James Taylor, on reste dans le son et l’esthétique<br />

West Coast. Musicalement, c’est votre<br />

ADN ?<br />

C. B. : Oui, sans aucun doute. Je découvre<br />

James Taylor encore une fois grâce à mon<br />

frère. Quand j’écoute pour la première fois<br />

son album Sweet Baby James, je suis séduit<br />

par la finesse du compositeur et l’élégance du<br />

musicien. Il y a aussi Carole King au piano,<br />

qui fait partie de la bande. C’est James Taylor<br />

qui m’a donné envie de jouer de la guitare. À<br />

ce moment-là, je commençais à dessiner et<br />

les chansons de Taylor et de Simon accompagnaient<br />

mes journées.<br />

On arrive à Neil Young, dont vous êtes un grand<br />

fan. Dans sa discographie, il y a des périodes que<br />

vous préférez plus que les autres ?<br />

C. B. : Neil Young c’est une découverte assez<br />

tardive. Il est arrivé dans les parages avec<br />

Crosby, Stills & Nash. Tous les quatre, ils<br />

sortent l’album Déjà vu. J’écoute beaucoup le<br />

disque et surtout la chanson “Helpless”, que je<br />

passe en boucle. Quand j’ai commencé la guitare,<br />

les deux premiers morceaux que j’ai joués<br />

venaient de l’album Harvest. C’était “The<br />

Needle and the Damage Done” et “Heart of<br />

Gold”. Je deviendrai vraiment fan de Neil<br />

Young des années plus tard, quand je<br />

découvre Everybody Knows This Is Nowhere<br />

avec Crazy Horse. Il y a ce son de guitare volcanique,<br />

incendiaire. Sur “Down by the<br />

River”, par exemple, les guitares de Neil et de<br />

Danny Whitten sont grandioses. Depuis, je<br />

l’ai suivi sur des chemins de traverse pas évidents<br />

comme sur l’album Re-ac-tor ou Comes<br />

a Time qui, à mon sens, reste l’un de ses meilleurs<br />

disques country à ce jour.<br />

On arrive à Bob Dylan. Quelle place occupe-t-il<br />

dans votre culture rock ?<br />

C. B. : Beaucoup plus aujourd’hui qu’avant. J’ai<br />

vraiment commencé à faire une fixation sur<br />

Dylan quand il a sorti en Time Out of Mind<br />

que j’ai adoré comme jamais je n’avais aimé<br />

un album de Dylan auparavant. Du coup, je<br />

suis remonté à la source. Je l’ai réécouté<br />

autrement, de Highway 61 Revisited à<br />

Blonde on Blonde en passant par les coffrets.<br />

Là, j’ai enfin compris que Dylan faisait de la<br />

musique comme un peintre. Quand il fait un<br />

morceau, ce n’est jamais fini. Il rajoute des<br />

couches. Il les enlève. Comme faisait Matisse<br />

quand il peignait sur un tableau. Pour lui, les<br />

chansons sont des matières vivantes qu’il<br />

continue à malaxer. Dylan ne se préoccupe<br />

pas des albums qu’il enregistre. C’est un mec<br />

qui a un rapport à son travail aussi fascinant<br />

que celui que Moebius avait avec le dessin. Je<br />

m’intéresse beaucoup à ce qui relie le dessin<br />

et la musique. J’ai une perception encore plus<br />

riche aujourd’hui de ce que je perçois de leur<br />

travail par le prisme du dessin pour Dylan et<br />

de la musique pour Moebius. Il y a deux ans,<br />

je suis tombé amoureux fou de The Band.<br />

Pour moi, c’est un tout : il y a Dylan et The<br />

Band. La période avec The Band, c’est-à-dire<br />

The Basement Tapes et la tournée de 1974.<br />

C’est de loin la meilleure formation qui a<br />

accompagné Dylan sur scène.<br />

Revenons à la musique californienne des 70’s.<br />

Que vous évoque Joni Mitchell ? Jackson Browne ?<br />

C. B. : Joni Mitchell est une artiste complète,<br />

qui sait surtout écrire de très bonnes chansons.<br />

Elle peint également. Quand je l’écoute<br />

sur les albums Blue ou Court and Spark, j’ai<br />

toujours éprouvé plus d’émotion que sur un<br />

disque de Linda Ronstadt ou des Eagles, au<br />

hasard. (Sourire.) À part leur disque<br />

Desperado, j’avoue que je déteste les Eagles.<br />

60 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


JUKEBOX<br />

Young Rascals et Elton John<br />

(première époque) : deux chocs<br />

musicaux pour le dessinateur.<br />

Quand “Hotel California” passe à la radio, ça<br />

me déprime. J’ai toujours préféré Jackson<br />

Browne aux Eagles. Je suis fan de l’album<br />

Running on Empty, moins de The Pretender.<br />

Dernièrement, je suis tombé sur des albums<br />

que Jackson Browne avait enregistrés avec<br />

David Lindley en live. Techniquement, ça<br />

tricote sévère ! (Sourire.) Pour revenir à Joni<br />

Mitchell, il y a une espèce d’intelligence et de<br />

sensibilité dans les arrangements de Blue qui<br />

me touchent encore aujourd’hui. Quand les<br />

autres font du folk, elle fait de la musique.<br />

Elle est apparentée folk song, mais c’est une<br />

erreur. C’est d’ailleurs ce qui fascine tout le<br />

monde, et surtout David Crosby. Mis à part<br />

que, physiquement, elle est quand même<br />

sublime. Enfin, elle n’aurait pas été aussi loin<br />

si elle avait été uniquement blonde et belle.<br />

Avec le dessinateur Jean-Claude Denis, vous<br />

avez sorti deux disques sous le nom de Nightbuzz.<br />

Vous continuez à vous produire sur scène ?<br />

C. B. : Avec Nightbuzz, un peu moins. On fait<br />

un petit break. Aujourd’hui, je fais des<br />

concerts à Paris, une fois par mois, à La Loge,<br />

rue de Charonne, dans le cadre des Siestes<br />

acoustiques. Sur scène, nous sommes trois :<br />

moi, JP Nataf et Bastien Lallemant. Du coup,<br />

je me suis replongé dans le picking façon<br />

James Taylor. (Sourire.)<br />

Votre dernière obsession musicale ?<br />

C. B. : Il n’y a pas longtemps, j’ai découvert<br />

Harry Smith, Alan Lomax et George<br />

Mitchell : toute cette jungle, toute cette<br />

forêt, toute cette musique du Delta… Je<br />

n’arrivais plus à écouter autre chose, tellement<br />

ça m’avait absorbé. Il y a quelques<br />

jours, je me suis procuré The American Epic<br />

Sessions, une compilation produite par<br />

T Bone Burnett et Jack White absolument<br />

remarquable. Musicalement, c’est tout ce<br />

que j’aime. Le casting et les musiciens sont<br />

fabuleux. À l’intérieur, tu trouves des duos<br />

inédits, notamment ceux d’Elton John et<br />

Jack White ou encore de l’acteur Steve<br />

Martin avec Edie Brickell.<br />

Quels sont les cinq disques que vous aimeriez<br />

offrir à vos amis ?<br />

C. B. : Pour découvrir le son West Coast par<br />

exemple, Tapestry, de Carole King, s’impose.<br />

C’est un album qui est à la croisée de plein<br />

de choses, du rock au blues en passant par la<br />

soul. J’adore le timbre de voix de Carole<br />

King. J’aime bien faire découvrir aux<br />

copains la qualité de songwriting qu’avait<br />

James Taylor à ses débuts et qu’il a égarée<br />

par la suite, car il s’est retrouvé un peu au<br />

milieu de la route dans les 80’s. Pour découvrir<br />

James Taylor, je conseillerais deux<br />

disques : Sweet Baby James et One Man Dog.<br />

Si tu n’aimes pas Neil Young, en revanche, il<br />

n’y a aucune raison que tu finisses par l’aimer,<br />

tout comme Bob Dylan. Ils ont tous les<br />

deux des voix tellement bizarres, que si on a<br />

le poil hérissé par l’un ou par l’autre depuis<br />

toujours, ça ne passera pas. Dans un tout<br />

autre registre, je proposerai l’album<br />

Madman Across the Water à ceux qui ne<br />

connaissent pas le Elton John d’avant les<br />

succès planétaires. C’est un disque essentiel<br />

de la pop anglaise, dont on ne dit pas assez<br />

souvent du bien, à mon sens. Les gens ne<br />

savent pas par exemple que, sur cet album<br />

aux arrangements de cordes fantastiques,<br />

Elton John a composé des chansons<br />

sublimes comme “Tiny Dancer” ou “Levon”.<br />

J’offrirais également l’album Malibu<br />

d’Anderson Paak. Il faut écouter ça ! Dans<br />

son genre, ce type est un martien. Et pour<br />

finir, La Maison haute de Bastien Lallemant,<br />

parce que c’est un disque fabuleux, avec un<br />

son et des arrangements un peu “à la<br />

Gainsbourg”. Il n’y a pas un morceau à jeter.<br />

Dès la première écoute, tu sais que ce disque<br />

sera là pour longtemps.<br />

Si vous n’aviez pas été illustrateur et scénariste<br />

de bande dessinée, vous seriez-vous vu dans la<br />

peau d’une rockstar ?<br />

C. B. : Pour rien au monde ! Je trouve que c’est<br />

le plus mauvais endroit que puisse envisager<br />

un musicien ou une musicienne. Il n’y a rien<br />

de tel pour tomber dans une déchéance qui<br />

a coûté la vie à Janis Joplin ou encore à Kurt<br />

Cobain. Aucun être humain n’est fait pour<br />

vivre ce qu’ont vécu ces gens-là. En fait, je<br />

crois que personne n’a vraiment envie d’être<br />

une rockstar…<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 61


1<br />

2<br />

3<br />

4<br />

5<br />

6<br />

AMBIANCES !<br />

(1) L’entrée du Forecastle Festival<br />

de Louisville. (2) Clown au Hellfest,<br />

à Clisson. (3) Lollapalooza Festival, à<br />

Chicago, Michigan. (4) La surprenante<br />

PJ Harvey était à l’affiche du Forecastle<br />

Festival, puis à Montreux. (5) Aubert<br />

et Bertignac, manche contre manche,<br />

à l’American Festival de Tours. (6) Fresque<br />

en hommage à Leonard Cohen à Montréal,<br />

où s’est tenu le Festival international de<br />

jazz. (7) La foule au Main Square Festival<br />

d’Arras. (8) Jimme O’Neill, du Celtic Social<br />

Club, à l’Interceltique de Lorient.<br />

8<br />

7


LES<br />

FESTIVALS<br />

Tous en scène !<br />

<br />

Une orgie de sons, de décibels, de poussière : voilà le programme<br />

que la rédaction de <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> s’était fixé. Bilan d’un début<br />

d’été en Festivalie !<br />

Par Belkacem Bahlouli, Xavier Bonnet, Stan Cuesta,<br />

Baptiste Manzinali et Sophie Rosemont<br />

<br />

<br />

<br />

SARAH BASTIN. LORAINE ADAM. BELKACEM BALHOULI. CAMBRIA HARKEY. FLEUR SCUT. JEROME POUILLE. XAVIER BONNET. DR.<br />

Aerosmith<br />

17 juin, Clisson, Hellfest<br />

Bon, à ce qu’il paraît, c’est leur<br />

dernière tournée. Mais peut-être<br />

pas non plus. Quoi qu’il en soit,<br />

pour leur dernière tournée générale,<br />

on aurait apprécié que les<br />

vrais faux futurs retraités fassent<br />

preuve d’un peu plus de générosité<br />

et de moins d’agacement (Steven<br />

Tyler) – dont on n’a d’ailleurs toujours<br />

pas compris les motivations.<br />

Pourtant, nous, on avait envie ! Et<br />

quand- déboulent les images d’archives<br />

sur l’emphase de “Carmina<br />

Burana”, le palpitant a d’emblée<br />

changé de fréquence. D’ailleurs,<br />

tout semble d’abord être “comme<br />

avant” : chemise largement<br />

ouverte et riffs tranchants pour<br />

Joe Perry, bagouses, colliers, foulards<br />

en veux-tu en voilà et éructations<br />

de bon aloi pour son alter ego.<br />

Au final, un set par trop décousu et<br />

un Aerosmith un brin cachetonneur,<br />

malgré une setlist aux petits<br />

oignons. C’est pourtant le temps de<br />

quelques reprises (“Stop Messin’<br />

Around” de Fleetwood Mac,<br />

”Come Together”) que ce petit<br />

monde aura donné l’impression de<br />

s’amuser un peu.<br />

X.B.<br />

Lana Del Rey<br />

23 juillet, Paris, Lollapalooza,<br />

Hippodrome de Longchamp<br />

Oui, Lana Del Rey minaude et en<br />

fait des caisses ! Oui, chaque geste,<br />

GREEN DAY<br />

11 juin, Brétigny-sur-Orge,<br />

Download Festival<br />

Un show de Green Day est une affaire<br />

bien huilée : la musique du Bon,<br />

la Brute et le Truand avant la montée<br />

sur scène, un “Know Your Enemy”<br />

enjoué pour lancer les débats, un<br />

premier spectateur invité à rejoindre<br />

la troupe pour montrer de quoi il est<br />

capable micro ou guitare en main,<br />

quelques pétarades- pyrotechnies,<br />

et roulez jeunesse… Voilà, c’est<br />

comme ça, Green Day fait dans le pur<br />

divertissement, le Disneyland du punk,<br />

quitte à oublier qu’il est un groupe<br />

de rock. C’est à prendre ou à laisser.<br />

Et on ne me retirera pas de la tête<br />

qu’avec ses mimiques et ses poses,<br />

quelqu’un serait bien inspiré de<br />

proposer à Billie Joe Armstrong le rôle<br />

de Charlie Chaplin époque Charlot<br />

dans un nouveau biopic. Je ne prends<br />

que 10 % pour l’idée… X.B.<br />

PILULES<br />

BLEUES<br />

D’abord<br />

le look, puis<br />

vint le son...<br />

BLUES PILLS<br />

10 juin, Brétigny-sur-Orge, Download Festival<br />

Est-ce l’effet (trompeur ?) de la – très – mini-jupe de sa chanteuse<br />

blonde ? Le fait que son blues-rock ou son rock bluesy constituent<br />

le parfait intermède dans l’orgie de décibels de la journée ? Blues Pills<br />

était très loin de sa performance un brin “rigide” au Trianon de Paris<br />

en octobre dernier. Une pilule bien plus facile à avaler, en tout cas… X.B.<br />

chaque attitude, chaque œillade,<br />

vire à l’outrance et au ridicule<br />

(mais pas davantage que certaines<br />

“chorégraphies” de ses danseuseschoristes<br />

avec des chaises) ! Oui,<br />

derrière “Blue Jeans”, “Video<br />

Games” et “Summertime<br />

Sadness”, il n’y a pas grand-chose<br />

à retenir de ces lancinantes mélopées,<br />

sinon avec énormément de<br />

mansuétude ! Charmante ou<br />

désespérante, Lana Del Rey reste<br />

une attraction, avec toutes les<br />

nuances de sens que l’on veut<br />

associer au mot. Même la pluie<br />

s’invite à ses concerts et reste<br />

jusqu’au bout, quitte à se lâcher<br />

sur le concert suivant (Red Hot<br />

Chili Peppers) !<br />

X.B.<br />

François & The Atlas<br />

Mountains<br />

8 juillet Fnac Live<br />

Comme tous les ans, Fnac Live a<br />

réussi à offrir gratuitement, tant<br />

sur le parvis de l’Hôtel de ville de<br />

Paris que dans les majestueux<br />

salons de ce dernier, des concerts<br />

de qualité. Si ceux de Camille, de<br />

Benjamin Biolay ou de Témé Tan<br />

ont fait des émules, la soirée du<br />

8 juillet a su allier jeunes talents<br />

prometteurs (le folkeux Aliocha<br />

ou Clara Luciani, digne héritière<br />

de Françoise Hardy et PJ Harvey<br />

réunies) et aligner les valeurs<br />

sûres. Au programme, donc, le<br />

rock noisy de The Horrors, qui<br />

jouait pour la première fois sur<br />

scène son nouvel album V ou<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 63


LES<br />

FESTIVALS<br />

Julien Doré et son sex-appeal nonchalant.<br />

Dans les salons, on a<br />

retenu le flegme de Jay-Jay<br />

Johanson, mais on s’est surtout<br />

laissé prendre par le pop-rock<br />

francophone, à la fois onirique et<br />

exotique, new wave et grunge, des<br />

incomparables François & The<br />

Atlas Mountains. Showman généreux<br />

et enthousiaste, François<br />

Marry a le sens du groove et le<br />

chant céleste, osant même une<br />

chorégraphie.<br />

S.R.<br />

VOIX<br />

MAGIQUE<br />

La chanteuse<br />

américaine<br />

a présenté<br />

un répertoire<br />

solide.<br />

Jowee Omicil<br />

1 er juillet, Festival international<br />

de Jazz de Montréal<br />

Alors que le pays célébrait les<br />

150 ans de sa création, l’île-ville<br />

québécoise, elle, célébrait les<br />

375 ans de sa fondation. D’où l’ambiance<br />

extrêmement festive de ce<br />

38 e Festival international de jazz de<br />

Montréal. Bien que hors festival, et<br />

le hasard faisant fort bien les<br />

choses, Bob Dylan a donné rendezvous<br />

le 30 juin à ses 15 000 fans<br />

locaux au Centre Bell pour un set<br />

court et ramassé de dix-huit titres<br />

où on l’a vu “crooner” en tenant le<br />

pied du micro, soit à son piano, très<br />

en voix, alternant les standards du<br />

grand répertoire américain tirés de<br />

son dernier opus Triplicate et ses<br />

propres standards revisités, comme<br />

à l’accoutumée. Mais ce qui rend ce<br />

festival passionnant, ce sont les<br />

découvertes. Ainsi de Jowee<br />

Omicil, qui a mis le feu avec sa<br />

prestation fulgurante. Au saxo, à la<br />

clarinette et même au bugle, le<br />

musicien- entertainer – qui vient de<br />

publier Let’s Bash, chez Blue Note<br />

– mêle funk, jazz et sonorités<br />

caraïbes. Ce Montréalais d’origine<br />

haïtienne, multi-instrumentiste au<br />

talent écrasant ne jure que par la<br />

fusion : blues, jazz, latin, caraïbe.<br />

Avec des prestations toujours électrisantes,<br />

cet ancien compagnon de<br />

show de Pharoah Sanders,<br />

Branford Marsalis ou Kenny<br />

Garrett montre que la scène est<br />

réellement son domaine. B.B.<br />

Electric Wizard<br />

16 juin, Clisson, Hellfest<br />

Le mur du son psyché-metal est à<br />

ce point dense, massif, qu’il ne<br />

semble pas tolérer que le moindre<br />

EMMYLOU HARRIS<br />

29 juillet • Country Rendez-vous, Craponne-sur-Arzon<br />

Craponne-sur-Arzon, Haute-Loire, 2 129 habitants. La France profonde. Pourtant, pendant trois jours,<br />

fin juillet, cette paisible bourgade est envahie de drapeaux américains, de cactus en carton-pâte, de Harley. Au marché<br />

du samedi matin, les vieux paysans et les néoruraux servent une foule de bikers en bandana, de retraités coiffés<br />

de stetsons et chaussés de santiags, de majorettes, de sosies de ZZ Top…<br />

La raison de ce joyeux foutoir ? Le Festival Country Rendez-Vous, qui attire des fans venus de toute l’Europe. Des gens<br />

que l’on ne voit jamais dans la vraie vie. Une sorte de monde parallèle… Dans un vaste champ, entouré de stands tous plus<br />

folkloriques les uns que les autres et d’estrades pour line dancers, 6 000 spectateurs aux looks improbables applaudissent<br />

des groupes assez variés et, bien sûr, une vedette. En trente ans, le festival de Craponne a déjà reçu des pointures<br />

comme Bill Monroe, Alison Krauss, Steve Earle ou Guy Clark. Mais ce 29 juillet <strong>2017</strong>, il propose la plus grande tête d’affiche<br />

de son histoire (résultat de quatre années de négociations !) : Emmylou Harris, pour son unique concert en France…<br />

Elle en est à la fois charmée et amusée : “C’est vrai, il y a beaucoup de bolo ties (cravates western, ndlr) ! Je suis<br />

un peu inquiète parce qu’avec ce groupe, on met l’accent sur les harmonies vocales et sur les titres plus récents.<br />

J’espère que les fans ne seront pas déçus s’ils n’entendent pas les hits. C’est mon amour de la country qui m’a amenée<br />

là où je suis, mais j’ai toujours eu une sensibilité folk. Et me voici… à Craponne !”<br />

Effectivement, sa prestation n’a rien de country. Tout en douceur et en subtilité, elle fait la part belle aux chœurs de ses<br />

acolytes Mary Ann Kennedy et Pam Rose, sur des reprises comme “To Know Him Is To Love Him” ou “The Boxer” ou sur de<br />

superbes titres des années 2000 (le fantastique “Here I Am” d’ouverture). Emmylou chante divinement, peut-être mieux que<br />

jamais, et l’émotion atteint des sommets sur le final, une version de “After the Gold Rush” quasi a capella, belle à pleurer. “Je<br />

ne jouerai pas de chanson de Gram (Parsons, ndlr), a-elle précisé avant le concert. Mais son esprit est toujours avec moi.” S.C.<br />

membre du groupe puisse être mis<br />

en avant ou qu’une poursuite<br />

lumière vienne se fixer sur l’un ou<br />

l’autre. Electric Wizard est un bloc,<br />

un pavé, et on l’a bien pris en pleine<br />

poire… Merci, les gars !<br />

B.B.<br />

Teddy Abrams<br />

14 juillet, Forecastle Festival,<br />

Louisville, Kentucky<br />

Avec plus de soixante groupes ou<br />

artistes à l’affiche, le Forecastle<br />

Festival est devenu le lieu incontournable,<br />

le “must be in”, le lieu où<br />

il faut être vu et entendu. Et surtout,<br />

un rendez-vous pas comme les<br />

autres, avec un état d’esprit partagé<br />

par pas moins de 60 000 amateurs<br />

de musique, mais aussi de militants<br />

pour l’économie durable. Ces deux<br />

points sont étroitement associés<br />

dans ce festival. Car pour défendre<br />

la cause environnementale, de gros<br />

moyens ont été mis en place : “Ici,<br />

des stands proposent de la nourriture<br />

équitable et bio, explique<br />

JK McKnight, fondateur de l’événement.<br />

D’autres expliquent à quel<br />

point l’économie durable est au<br />

centre des préoccupations. Et si<br />

nous organisons ce festival ici,<br />

à Louisville, c’est parce que le maire<br />

de la ville se sent très concerné par<br />

cette cause et qu’il nous soutient<br />

dans cette aventure.” Pour cette<br />

15 e édition, l’un des invités n’était<br />

pas un rocker pur jus, malgré<br />

l’énorme quantité de talents confirmés<br />

à l’affiche du rendez-vous<br />

(Weezer, LCD Soundsystem,<br />

© PHILIPPE TISSIER<br />

64 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


LES<br />

FESTIVALS<br />

PJ Harvey, Conor Oberst, etc.).<br />

C’est ainsi que le chef de l’orchestre<br />

symphonique de la ville,<br />

Teddy Abrams, est venu faire une<br />

création où il a réussi à mêler rock,<br />

jazz, country et classique ! Rendezvous<br />

compte : après avoir joué un<br />

air de bluegrass, le style country<br />

originaire du Kentucky, du hip-hop<br />

avec un rappeur qui n’était autre<br />

que son percussionniste en chef à<br />

l’orchestre symphonique de<br />

Louisville, sans oublier une sorte de<br />

concerto pour orgue accompagné<br />

non par des violons, mais par une<br />

flopée de guitares électriques et<br />

avant de se lancer dans une relecture<br />

de haut niveau du<br />

“Comfortably Numb” du Floyd, le<br />

directeur de la musique de l’État,<br />

30 ans à peine, a réussi à faire<br />

acclamer le nom de Johannes<br />

Brahms, dont il a interprété l’une<br />

des danses hongroises ! Un exploit<br />

salué dans toute la presse, les télévisions<br />

et les radios locales. C’est<br />

l’homme à suivre, car il proposera<br />

dès novembre une symphonie<br />

moderne pour orchestre philharmonique,<br />

en hommage au héros de<br />

Louisville, Mohamed Ali. B.B.<br />

Kasabian<br />

10 juillet, Montreux Jazz<br />

Festival, Auditorium Stravinski<br />

Ce n’était pourtant pas la première<br />

fois que les Anglais étaient<br />

CLEAN IT UP<br />

Un set parfois<br />

un peu trop<br />

sage.<br />

LONDON GRAMMAR<br />

12 juillet, Montreux Jazz Festival, Auditorium Stravinski<br />

22 juillet, Paris, Lollapalooza, Hippodrome de Longchamp<br />

On peut ne pas toujours souscrire à ses choix vestimentaires – il y aurait même souvent pas mal à redire<br />

dans cette façon de chercher à vouloir ainsi passer aussi inaperçue –, pour ce qui est de la voix, Hannah Reid<br />

reste hors normes, quel que soit l’environnement dans lequel elle évolue, en salle (Montreux) ou en extérieur<br />

(Lollapalooza). Mieux en ce qui concerne le “plein air”, mêlée aux ambiances de ses deux acolytes, Dan Rothman<br />

(guitare) et Dot Major (claviers), cette voix parvient à faire d’une musique qui s’écoute a priori confortablement<br />

installé dans son salon quelque chose qui a du sens en festival. Tout le monde ne peut pas en dire autant !<br />

Certes, tout cela est parfois trop propret et si l’on rêverait que tout ce petit monde se lâche un peu plus,<br />

on sent très vite qu’il risque de se passer pas mal de temps avant que la miss se décide sans prévenir à éructer<br />

ne serait-ce que la moitié du refrain de – au hasard – “Roots Bloody Roots” de Sepultura ! X.B.<br />

à l’affiche du festival (une première<br />

fois en 2005). Pas faute<br />

non plus d’avoir mis tous les<br />

atouts de leur côté pour lancer la<br />

soirée – jusqu’à insérer des passages<br />

du “Around the World” de<br />

Daft Punk dans leur déjà entraînant<br />

“Eez-Eh”. Est-ce la redingote<br />

blanche de Tom Meighan, lui<br />

donnant des allures d’infirmier<br />

intrigant, qui en a effrayé certains<br />

? Quoi qu’il en soit,<br />

Kasabian aura eu quelque mal à<br />

bouger son monde, même s’il sera<br />

finalement parvenu à ses fins,<br />

comme à son habitude. On<br />

retiendra aussi quelques belles<br />

giclées solo sortant de la guitare<br />

de Tim Carter, le sieur Sergio<br />

Pizzorno s’occupant avant tout<br />

des tâches rythmiques. X.B.<br />

Last Train<br />

13 juillet, Aix-les-Bains,<br />

Festival Musilac<br />

© R.AUBERT/MUSILAC <strong>2017</strong>. LIONEL FLUSIN.-<br />

ROYAL REPUBLIC<br />

14 juillet, Aix-les Bains,<br />

Festival Musilac<br />

“Les Suédois sont là et on va pouvoir<br />

commencer à s’amuser !” Allez, ne mégotons<br />

pas, Adam Grahn est l’un des meilleurs<br />

showmen du rock à guitares d’aujourd’hui.<br />

Grâce à lui (et un peu beaucoup très fort<br />

aussi), Royal Republic devrait être enrôlé<br />

dans tous les festivals du monde pour lancer<br />

une soirée ! Set carré à souhait, humour<br />

potache qui tombe juste à chaque fois,<br />

nos Scandinaves en costard ont mis tout<br />

le monde d’accord, y compris quand il s’est<br />

agi de montrer qu’ils pouvaient tenir la<br />

comparaison avec n’importe quel groupe<br />

de metal en s’autorisant un mix tout sauf<br />

ridicule du “Battery” de Metallica, fondu<br />

dans le “Ace of Spades” de Motörhead.<br />

Une démonstration de bout en bout ! X.B.<br />

Au-delà de la fausse bonne idée<br />

du “tous habillés en noir sur fond<br />

noir” – à moins que l’objectif ne<br />

soit de faire la nique à Slayer<br />

(voir plus loin) –, les Alsaciens<br />

auront offert la première déflagration<br />

de cette édition <strong>2017</strong> de<br />

Musilac. Chaleur intense, soleil<br />

dans les yeux, public plus curieux<br />

et attentiste que réellement<br />

impliqué : il en fallait plus pour<br />

désarçonner un groupe dont le<br />

garage rock – à défaut de meilleur<br />

terme – sonne plus affûté à<br />

chaque fois que l’on recroise sa<br />

route. Sinon, très futée, Jean-<br />

Noël, cette idée de poser la<br />

sangle de la guitare sur la caméra<br />

qui te filme en gros plan à cet<br />

instant précis ! Pas de doute,<br />

c’est le métier qui rentre… X.B.<br />

rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 65


Midnight Oil<br />

7 juillet, Caen Hérouville-Saint-<br />

Clair, Festival Beauregard<br />

14 juillet, Aix-les-Bains,<br />

Festival Musilac<br />

Trois concerts en une semaine<br />

(avec celui de l’Olympia la veille de<br />

Beauregard) et trois setlists différentes<br />

! La preuve, si besoin en<br />

était, que les Australiens n’ont pas<br />

traversé la moitié de la planète<br />

pour faire les choses, hum, à moitié…<br />

Alors, bien sûr, les années au<br />

compteur s’affichent sur les visages<br />

de certains, mais ils n’ont perdu ni<br />

la main ni le rythme. Plus souriant<br />

que par le passé, Peter Garrett<br />

enchante toujours autant pour sa<br />

présence scénique et ses mouvements<br />

mi-robotiques miépileptiques.<br />

Le désir d’engagement<br />

non plus n’a pas perdu une<br />

ride, à l’image du T-shirt clamant<br />

“Pécher par silence lorsque nous<br />

nous devrions protester différencie<br />

les hommes des lâches” porté –<br />

dans tous les sens du terme – par<br />

l’ancien ministre. Au-delà de l’incontournable<br />

“Beds Are Burning”,<br />

attendu comme du bon pain à<br />

chaque fois, les diverses plongées<br />

dans la longue discographie du<br />

groupe furent autant d’instantanés<br />

de bonheur intense.<br />

X.B.<br />

SL AYER<br />

10 juin, Brétigny-sur-Orge,<br />

Download Festival<br />

FONDU<br />

AU NOIR<br />

Le thrash test<br />

par excellence.<br />

OK, Kerry King n’a plus dû esquisser un sourire depuis la réélection<br />

de Richard Nixon en 1972. OK, avec tout ce petit monde en noir<br />

de la tête aux pieds sur fond noir, difficile de distinguer de loin<br />

sans lunettes à triple foyer autre chose que la barbe blanchissante<br />

de Tom Araya et le crâne d’œuf du King précité. Mais quand il s’agit<br />

de sortir la sulfateuse, Slayer sait nous rappeler qui est Raoul,<br />

à défaut de changer quoi que ce soit dans son set. Ou son thrash<br />

test... “Same Slayer shoots again”, en quelque sorte. X.B.<br />

laisser abattre par une petite averse<br />

aussi rafraîchissante que ses<br />

refrains mélodiques. Le lendemain,<br />

le rock stoner de Red Fang attirait<br />

un public déjà conquis, armé de<br />

T-shirt à leur effigie. Slowdive se<br />

chargeait ensuite de la touche shoegaze,<br />

fort d’un tout dernier album,<br />

vingt-deux ans après Pygmalion.<br />

Autre ambiance avec Ryan Adams,<br />

qui interpellait une pleine lune<br />

lumineuse au milieu d’un set dans<br />

la plus pure tradition du rock américain<br />

engagé et patriotique, en<br />

digne héritier du Boss et du Loner.<br />

L’édition <strong>2017</strong> du Pointu s’achevait<br />

sous le doux et mélodique vacarme<br />

du trio Dinosaur Jr., ceux-là même<br />

qui étaient attendus en 2016 avant<br />

d’annuler leur prestation. B.M.<br />

Placebo<br />

7 juillet, Caen Hérouville-Saint-<br />

Clair, Festival Beauregard<br />

OK, là, on vous doit un aveu. À la<br />

limite du coming out. Allez, on se<br />

lance… D’ordinaire, l’ennui nous<br />

gagne au bout de 20-25 minutes, à<br />

un concert de Placebo. Une lassitude<br />

aussi rapide que quasiment<br />

immuable. Or, là, rien de tout ça !<br />

À fond dedans du début à la fin.<br />

Bien sûr, la collection de hits (“Pure<br />

Morning” d’entrée, “Too Many<br />

Hanni El Khatib<br />

8 et 9 juillet, Île du Gaou,<br />

Pointu Festival<br />

Ils ne sont pas nombreux, les festivals<br />

de l’Hexagone alliant qualité et<br />

gratuité, dans un cadre idyllique de<br />

surcroît. Pourtant, pour la troisième<br />

année consécutive, le pari des<br />

organisateurs du Pointu Festival,<br />

dans le Var, était réussi. Quelque<br />

10 000 personnes ont répondu<br />

présent les 8 et 9 juillet, au beau<br />

milieu d’un été caniculaire. Sur la<br />

scène installée à flanc de crique sur<br />

l’île du Petit Gaou, derrière laquelle<br />

se confondaient le ciel et la mer,<br />

quelques grands noms du rock<br />

indé. Après l’entrée en matière des<br />

Varois de The Spitters et leur rock<br />

garage teigneux, le très attendu<br />

Kurt Vile, muni de son banjo,<br />

accompagnait un coucher de soleil<br />

somptueux, avant que Ride n’accélère<br />

le tempo. Hanni El Khatib, en<br />

véritable harangueur de foule, clôturait<br />

la première soirée sans se<br />

JARVIS COCKER<br />

ET CHILLY GONZALES<br />

9 juillet, Paris, Days Off<br />

ROOM 29<br />

Show<br />

théâtral.<br />

Cette année, on ne pouvait pas<br />

manquer le festival prenant place<br />

au bel ensemble formé par la Cité<br />

de la musique et la Philharmonie<br />

de Paris, tant sa programmation<br />

était alléchante. Si on a dû essuyer<br />

quelques petites déceptions,<br />

comme la prestation guignolesque<br />

de Devendra Banhart, et outre<br />

l’odyssée dans l’espace offerte<br />

par Sufjan Stevens, Bryce Dessner,<br />

Nico Muhly et James McAlister<br />

pour Planetarium, on a été conquis<br />

par la performance du duo formé<br />

par Jarvis Cocker et Chilly<br />

Gonzales. Les deux compères<br />

ont présenté leur projet Room 29,<br />

conte pop ourlé autour du<br />

légendaire Chateau Marmont, nous<br />

livrant un show théâtral, visuel,<br />

musical et absolument irrésistible.<br />

Cocker chante, danse, joue<br />

la comédie, se moque de ses<br />

cauchemars, nous explique les<br />

destins des stars du cinéma<br />

hollywoodien tombées dans l’oubli,<br />

se balade dans la salle, se retrouve<br />

dans un écran de télévision<br />

vintage… Un grand moment. S.R.<br />

© CD HEROUVILLE. NICKO GUIHAL. DR.<br />

66 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


LES<br />

FESTIVALS<br />

DIVA<br />

GOTHIQUE<br />

Troublante<br />

prestation<br />

de Banks,<br />

BRILLANT !<br />

Arcade Fire,<br />

tout en<br />

maîtrise.<br />

La démesure Lollapalooza<br />

En quatre jours, le festival américain a rappelé combien il était un événement hors normes.<br />

Par Xavier Bonnet<br />

© CAMBRIA HARKEY. SCOTT WITT. XAVIER BONNET<br />

Depuis la fenêtre de la chambre<br />

d’hôtel, le ballet est saisissant. Des<br />

heures déjà que vont et viennent<br />

sur le site des dizaines de véhicules<br />

en tout genre (chariots élévateurs, fourgonnettes,<br />

voiturettes de golf). Pas de temps à<br />

perdre, non plus : tout doit être prêt dans moins<br />

de dix-huit heures. Car c’est bien plus qu’un<br />

simple festival qui prend possession de Grant<br />

Park, le plus grand espace vert de Chicago, avec<br />

ses 129 hectares. C’est une ville où vont de croiser<br />

quatre jours durant quelque 400000 spectateurs<br />

et plus de 170 groupes ou artistes solo<br />

répartis sur pas moins de huit scènes, et dont les<br />

décibels vont résonner à des kilomètres à la<br />

ronde. C’est simple, quand, deux matins de suite,<br />

les essais de son se feront sur le “Take the Power<br />

Back” de Rage Against the Machine, on croira le<br />

temps de quelques secondes qu’une reformation<br />

surprise se fomente. Le troisième matin, c’est la<br />

musique de Star Wars qui fera trembler les murs<br />

des immeubles de Michigan Avenue – qui borde<br />

Grant Park – et nous laissera envisager un instant<br />

un DJ set de Dark Vador, et finalement non.<br />

De la musique électro – et plus particulièrement<br />

son volet EDM (pour Electronic Dance Music) –,<br />

il en est beaucoup question au Lollapalooza.<br />

À l’instar de ce qui avait été présenté lors de la<br />

récente étape parisienne du festival, une scène<br />

lui est quasiment entièrement dédiée, la Perry’s,<br />

du nom du cofondateur de Lolla, Perry Farrell,<br />

l’ancienne tête brûlée de Jane’s Addiction et<br />

Porno for Pyros. À cette différence près que la<br />

Perry’s de Chicago est au moins dix fois plus<br />

conséquente que sa petite sœur parisienne et<br />

que ses jeux d’écrans intégrés dans la structure<br />

de la scène sont bluffants. L’intéressé en est persuadé,<br />

comme il nous le confiait le temps de<br />

quelques échanges sur l’hippodrome de<br />

Longchamp : “L’électro est l’avenir de la musique.<br />

D’ailleurs, le projet sur lequel je me concentre va<br />

dans ce sens. D’une certaine manière, l’électro<br />

correspond, dans son état d’esprit, au rock indé,<br />

qui était la raison d’être du festival à sa naissance.<br />

Il y a donc plus que sa place.”<br />

Qu’elles tentent de traverser le site pour enchaîner<br />

un concert après l’autre, s’autorisent une<br />

brève pause devant les tentes accueillant<br />

diverses associations (de Black Lives Matter à<br />

One, en passant par Rock & Recycle, Oxfam<br />

America ou HeadCount-Register to Vote),<br />

qu’elles se laissent gentiment happer par des<br />

animations commerciales ou bien s’agglutinent<br />

devant les stands de nourritures où, comme<br />

ailleurs mais toujours avec une surenchère qui<br />

ne cesse de surprendre, burgers, pizzas et hotdogs<br />

sont de mise (tout en faisant appel exclusivement<br />

aux entreprises de restauration<br />

locales), ce sont de véritables marées humaines<br />

– oser le terme de “migrations” ne serait pas<br />

exagéré – qui vont d’un point à l’autre du site, à<br />

en donner le tournis.<br />

Pour beaucoup, la musique semble presque un<br />

prétexte. Prétexte à se retrouver entre potes –<br />

avec prédominance d’un public jeune, voire adolescent.<br />

Prétexte à s’afficher, à tenter de se<br />

démarquer d’un point de vue vestimentaire.<br />

Prétexte à passer du bon temps. Que<br />

retiendront-ils de ces quatre jours ? Un Liam<br />

Gallagher interrompant sa prestation au bout de<br />

20 minutes à cause d’un problème de voix qui<br />

aura échappé à tout le monde ? L’option collants<br />

résilles-boxer-ceinture-mocassins- chaussettes<br />

de Matthew Shultz, le chanteur de Cage the<br />

Elephant ? Un début de set tonitruant de Muse<br />

sous une pluie battante avant l’appel à évacuation<br />

immédiate du site à cause d’orages devenus<br />

trop menaçants ? La relative noyade d’un Ryan<br />

Adams oubliant que certaines de ses chansons<br />

intimistes n’étaient pas la définition de tout un<br />

chacun d’un début de week-end festif sur un festival<br />

? L’étonnante reformation de Live avec son<br />

line-up d’origine – là, on avait clairement raté un<br />

épisode ! – et débarrassé soudain de son maniérisme<br />

vocal geignard post-grunge de l’époque ?<br />

La troublante prestation de Banks, entre une<br />

arrivée solennelle invitant à se demander si elle<br />

se repasse en boucle les images d’Emmanuel<br />

Macron se dirigeant à pas mesurés vers la pyramide<br />

du Louvre, œillades et gestuelle tendance<br />

diva veuve noire gothique chic hésitant entre<br />

électro-pop à la Lykke Li et R&B un peu facile<br />

parfois ? La confirmation de la solidité de Royal<br />

Blood et London Grammar, bien que dans des<br />

registres à l’opposé l’un de l’autre ? À moins que<br />

reste gravée la véritable leçon de maîtrise et de<br />

ferveur d’un Arcade Fire offrant des versions<br />

énormissimes de ses “No Cars Go”, “Ready To<br />

Start” ou “Afterlife”. D’une certaine façon, le côté<br />

bigger than life d’un concert des Québécois<br />

en fait l’illustration et la conclusion parfaites d’un<br />

Lollapalooza sans commune mesure.<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 67


LES<br />

FESTIVALS<br />

Friends”, “The Bitter End”, “Infra-<br />

Red”) que nous auront assénée sans<br />

faiblir les garçons y aura été pour<br />

quelque chose, y compris l’intensité<br />

avec laquelle ils auront attaqué<br />

chaque morceau. Un “Soulmates”<br />

emballant, un “Song To Say<br />

Goodbye” prenant, les images de<br />

David Bowie sur l’écran au moment<br />

de “Without You I’m Nothing”, puis<br />

une caricature de Donald Trump<br />

sur un paquet de cigarettes portant<br />

la mention “Seriously harms you<br />

and others around you” auront fini<br />

le travail. Vingt ans, ça se fête<br />

dignement. C’est fait et bien fait en<br />

ce qui concerne Placebo. X.B.<br />

FIESTA<br />

Le groupe<br />

francoécossais<br />

était<br />

à l’honneur.<br />

Iggy Pop<br />

7 juillet, Caen Hérouville-Saint-<br />

Clair, Festival Beauregard<br />

“I Wanna Be Your Dog”, “Gimme<br />

Danger” et “The Passenger” d’entrée<br />

de jeu. Le message est clair :<br />

Iggy ne va pas s’emm… avec des<br />

préliminaires. Est-ce parce qu’il<br />

était pressé d’aller roucouler avec<br />

son cacatoès ? De poursuivre sa<br />

thalasso entamée la veille à<br />

quelques kilomètres de là ? Peu<br />

importe. De plus en plus fripé, de<br />

plus en plus claudiquant, Iggy Pop<br />

reste à fond, allant d’un côté à<br />

l’autre de la scène, descendant et<br />

remontant l’escalier qui le mène à la<br />

foule telle une danseuse de revue<br />

un peu revenue de tout, mais qui<br />

connaît son affaire comme personne.<br />

Cette foule qu’il ne cesse de<br />

haranguer, accrochant une main,<br />

un bras, se contorsionnant devant<br />

elle. À ce qu’il paraît, cette même<br />

veille, il avait commencé à se faire<br />

rattraper par un début de bronchite.<br />

De deux choses l’une : soit on<br />

s’était affolé un peu vite dans son<br />

entourage, soit les médecins normands<br />

sont des gourous. Notre<br />

traitement de cheval à nous se sera<br />

conclu par un “No Fun” et un “Real<br />

Wild Child (Wild One)” tout sauf<br />

homéopathiques…<br />

X.B.<br />

Royal Blood<br />

11 juillet, Montreux Jazz<br />

Festival, Jazz Lab<br />

Ils n’ont beau être que deux, Mike<br />

Kerr et Ben Thatcher envoient<br />

comme s’ils étaient cinq ! L’intensité<br />

ne redescendra pas un instant dans<br />

ce set ramassé à souhait. À deux, ils<br />

ont trouvé leur équilibre, riffs et<br />

solos ravageurs via cette basse trafiquée<br />

pour le premier, cette batterie<br />

mitraillette pour le second et son<br />

inamovible casquette vissée sur la<br />

tête – à croire qu’elle a dû être fournie<br />

avec à sa naissance. Un équilibre<br />

qui ira jusqu’à la répartition<br />

des morceaux joués ce soir-là : cinq<br />

du premier album, six du dernier.<br />

Avec les hits qui vont bien (“Lights<br />

Out”, “Come On Over” et “Figure It<br />

Out”, toujours au-dessus du lot).<br />

Tonitruant !<br />

X.B.<br />

THE CELTIC SOCIAL CLUB<br />

5 août, Festival interceltique de Lorient<br />

L’Écosse était à l’honneur pour cette nouvelle édition de l’Interceltique, festival installé depuis l’aube des années 1970<br />

qui, depuis près de trente ans, offre une programmation internationale et s’est imposé comme l’un des plus gros rendezvous<br />

musicaux français, avec plus de 600 000 visiteurs. Un record. Toute la ville est aux couleurs de l’interceltisme<br />

et notamment de l’Écosse, pays invité qui y a délégué plus de 200 artistes : chanteurs, musiciens, danseurs que nous<br />

avions eu le privilège de rencontrer à Glasgow en juin dernier en avant-première. Dire que ce centre économique respire<br />

la musique est en dessous de la vérité. Nombre de groupes de stature internationale s’y sont fondés et surtout, la ville<br />

a accueilli tout ce que le monde du pop, rock, folk, punk, électro ou hip-hop a pu produire ces dernières décennies.<br />

En témoigne le nombre de salles existant dans cette cité industrielle et poumon économique du pays. Mais c’est sur<br />

le versant celtique que se sont orientés les programmateurs du rendez-vous breton : ainsi, les artistes présents, quels que<br />

soient leurs domaines de prédilection, mettent un point d’honneur à préserver une identité celte dans leur musique.<br />

Les très jeunes groupes qui se sont produits dès le 5 août au théâtre de Lorient devant une salle bondée – comptant<br />

dans ses rangs le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian – ont ainsi montré l’étendue de leurs talents et<br />

prouvé que la culture celte s’adaptait parfaitement aux enjeux artistiques du XXI e siècle. Certes, il y a eu du “tradi”<br />

– réclamé à cor et à cri par les inconditionnels de ce rendez-vous –, mais les guitares électriques ont pu s’exprimer<br />

librement, entre deux bagadous, aussi bien dans le festival off, sur les terrasses des nombreux bars, que sur la grande<br />

scène de la Marine et ses 4 000 places. C’est ainsi que The Celtic Social Club, mené par Jimme O’Neill, double régional<br />

de l’étape, car Écossais et habitant en Bretagne, chanteur des Silencers originaires de Glasgow, a lancé le festival avec<br />

un show explosif. Une pyrotechnie mêlant uilleann pipes, violon, washboard, banjo, mandoline, mais aussi guitares, basse<br />

et batterie, comme il se doit. En rhabillant de vieux traditionnels d’habits rock, leur musique, proposant une sorte<br />

de Pogues/Clash renouvelé, a transporté au loin, vers les côtes des Hébrides et l’île de Skye, mais aussi vers l’Irlande<br />

ou la Galice non seulement les inconditionnels du groupe, mais aussi ceux qui découvraient ce “concept group” formé<br />

sur une scène bretonne aussi (à Carhaix, aux Vielles Charrues), destiné à ne faire qu’un one shot. C’était sans compter<br />

sur le soutien de nombreuses entités privées et institutionnelles qui ont finalement permis au groupe de poursuivre cette<br />

dynamique – mais aussi grâce à la ténacité de son initiateur, Manu Masko –, d’avoir déjà produit deux albums (dont le<br />

dernier, salué dans ces colonnes), et de désormais arpenter les scènes du monde entier, dont celle de Lorient et de son<br />

festival, où leur show a permis de les placer sans détour sur les cartes du rock comme des fans de musique celtique. B.B.<br />

Les Insus<br />

8 juillet, American Tours Festival,<br />

Tours<br />

Tout un pan de la culture US était<br />

posé sur les bords de la Loire le<br />

temps d’un week-end dingue, chaud<br />

et surtout fun. Et c’est par dizaines<br />

de milliers que les festivaliers ont<br />

déboulé de toute l’Europe. Côté<br />

spectacle, tout le monde en a eu pour<br />

ses yeux et ses oreilles : des dizaines<br />

de petits groupes couvrant toutes les<br />

facettes de la country et du rockabilly,<br />

des shows d’Indiens, de visiteurs<br />

habillés en cow-boys ou en G.I.<br />

et, en soirée, les concerts. Le premier<br />

soir, le ton a été donné par ZZ Top et<br />

son boogie blues juteux : une setlist<br />

renouvelée, des reprises (Hendrix ou<br />

Elvis) et un show tout à l’énergie. Le<br />

lendemain, les Insus ont tout<br />

déboîté : certes, ils ne sont pas américains,<br />

mais Tours est la seule ville<br />

à ce jour à les avoir reçus deux fois.<br />

Difficile de décrire la ferveur du<br />

public lors de la montée sur scène de<br />

Jean-Louis, Richard et Louis. Un<br />

show énorme, tubes sur tubes<br />

enchaînés à un rythme diabolique.<br />

Et surtout, on est dans le cultissime.<br />

Pour cela, la jauge maxi a été<br />

atteinte : inutile de préciser que les<br />

© LORAINE ADAM<br />

68 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


LES<br />

FESTIVALS<br />

© T.BIANCHIN/MUSILAC <strong>2017</strong><br />

Insus, pour cette longue remontée à<br />

Paris où ils joueront dans un Stade<br />

de France complet les 15 et 16 septembre,<br />

sont désormais fin prêts. Le<br />

show d’anthologie livré ce jour-là a<br />

réveillé de bons vieux souvenirs.<br />

Qu’on se le dise… Par téléphone. B.B.<br />

Red Hot Chili Peppers<br />

23 juillet, Paris, Lollapalooza,<br />

Hippodrome de Longchamp<br />

Comme un singulier clin d’œil de<br />

l’histoire, le groupe que l’on conviait<br />

aux éditions d’antan du<br />

Lollapalooza au nom de son appartenance<br />

à la frange “indie” se<br />

retrouve à nouveau tête d’affiche de<br />

la fraîche extension nationale du<br />

festival, de par son statut de cador<br />

du mainstream rock. Pas sûr que<br />

cela ait de quoi… défriser la moustache<br />

façon Super Mario d’Anthony<br />

Kiedis ou de friper davantage les<br />

accoutrements en mode Desigual<br />

de Rodeo Drive privilégiés par Flea.<br />

Ça durera encore ce que ça durera<br />

(les “indiscrétions” de son batteur<br />

Chad Smith laissant entendre que<br />

ce ne sera as forcément le cas longtemps),<br />

mais sur une scène en <strong>2017</strong>,<br />

Red Hot Chili Peppers ne semble<br />

plus avoir d’autre ambition que de<br />

se faire plaisir. Un désir manifeste<br />

de “s’éclater” qui passe tout autant<br />

par un bombardement intensif des<br />

grenades qui ont fait leur notoriété<br />

(“Californication” – joliment foiré<br />

par Kiedis , “By the Way”, “Give It<br />

Away”) que par des reprises déjà<br />

torpillées dans le passé (“Higher<br />

Ground” de Stevie Wonder) ou<br />

dégoupillées pour la circonstance<br />

(“I Wanna Be Your Dog” des<br />

Stooges, “Wicked Games” de Chris<br />

Isaak, pour Josh Klinghoffer en<br />

solo). C’est surtout l’occasion pour<br />

le groupe de s’autoriser moult<br />

digressions qui virent à la jam, pas<br />

forcément couronnées de succès –<br />

doux euphémisme – mais toujours<br />

excitantes à observer. Bref, le<br />

piment reste au rendez-vous pour<br />

assaisonner le quotidien, aux<br />

risques et périls de chacun ! X.B.<br />

Liam Gallagher<br />

23 juillet, Paris, Lollapalooza<br />

Hippodrome de Longchamp<br />

“Rock’n’roll” écrit en capitales,<br />

blanc sur noir. Des musiciens sur<br />

ressort, dont l’indispensable Jay<br />

Mehler, et puis il arrive. En<br />

parka, bien sûr, la moue arrogante<br />

de celui qui sait qu’il est<br />

aimé et attendu. Pour ce qu’il est,<br />

le bad boy de Manchester et frère<br />

ennemi de Noel Gallagher. Ce qui<br />

ne l’empêche pas d’attaquer les<br />

festivités avec trois titres d’Oasis<br />

d’affilée : “Fuckin’ in the Bushes”,<br />

“Rock ‘n’ Roll Star” et “Morning<br />

Glory”. S’ensuivent les titres de<br />

son prochain album solo, à<br />

paraître au début du mois d’octobre<br />

: “Wall of Glass”, “Greedy<br />

Soul”, “Chinatown”… Avant de<br />

reprendre “D’You Know What I<br />

Mean?” ou “Slide Away”, qu’il<br />

dédie aux victimes du Bataclan.<br />

Très touché par le récent attentat<br />

à Manchester, Liam Gallagher<br />

trouve le moyen de le cacher derrière<br />

sa légendaire nonchalance<br />

– et son chant impeccable, qui n’a<br />

pas pris une ride depuis les<br />

années 1990. Pour finir, il chante<br />

“Wonderwall” : on exulte, il<br />

savoure.<br />

S.R.<br />

Pixies<br />

29 juillet, Festival<br />

de Carcassonne<br />

C’est derrière les remparts de la<br />

Cité médiévale que les Pixies ont<br />

donné rendez-vous à leurs<br />

inconditionnels fans français,<br />

pour l’une de leurs très rares dates<br />

dans l’Hexagone cet été. Et les<br />

fidèles étaient au rendez-vous. Ce<br />

soir-là, le grand théâtre en plein<br />

air était rempli jusqu’au dernier<br />

gradin. Il faut dire que<br />

Carcassonne propose un festival<br />

atypique, éclaté dans plusieurs<br />

lieux de la ville, et offrant une<br />

programmation allant de la<br />

grande variété et de la pop internationale<br />

– notamment cette<br />

année les Vieilles Canailles<br />

Dutronc, Mitchell et Hallyday – à<br />

des concerts gratuits avec des<br />

artistes comme Axel Bauer. Mais<br />

pour Black Francis et son gang,<br />

Joey Santiago et David Lovering<br />

accompagné de leur nouvelle bassiste<br />

qui officie depuis 2014, pas<br />

de quartier. Comme à son habitude,<br />

ni bonjour ni au revoir : à la<br />

place, des riffs ravageurs, des<br />

chansons ciselées et articulées<br />

autour de la voix toujours impeccable<br />

du chanteur, soulignée par<br />

les guitares serpentines de<br />

Santiago. Le public exultait. Et<br />

lorsqu’arrive en deuxième partie<br />

de “match” l’hymne pixien par<br />

excellence, le gigatube “Where Is<br />

My Mind”, c’est l’explosion, accompagnée<br />

d’effets de fumées et de<br />

lights de toute beauté. Qui aurait<br />

pu croire que les Pixies donnaient<br />

dans le son et lumière ?<br />

B.B.<br />

System of a Down<br />

30 juin, Arras, Main Square<br />

Festival<br />

La force et l’attractivité de System<br />

of a Down ont toujours résidé dans<br />

l’allant, l’entrain, voire le grain de<br />

folie, qui pouvaient accompagner<br />

sa musique. Bon, pour ce dernier,<br />

autant ne pas nous faire d’illusions,<br />

c’est plié. Passé par pertes et profits.<br />

SOAD ne veut plus tourner, en<br />

tout cas Serj Tankian. Mais il<br />

honore ses engagements, bon gré<br />

mal gré. Bref, un System “dans un<br />

bon soir” ne tient que dans l’envie :<br />

l’envie de respecter une réputation,<br />

accessoirement respecter des milliers<br />

de gens qui se sont bougés<br />

pour lui (seul groupe de ce premier<br />

soir du Main Square dont les<br />

T-shirts à son effigie sont arborés<br />

en nombre). Bonne pioche, ce soir,<br />

c’est un groupe concerné, à défaut<br />

de volontaire, qui va enchaîner ses<br />

meilleurs titres et faire bouillonner<br />

son né o-metal à géométrie<br />

variable. À croire que les bases<br />

aériennes (concert souvent transparent<br />

au Download) lui réussissent<br />

moins que les citadelles à<br />

l’ancienne. Oui, ce soir, SOAD va<br />

se souvenir quelle machine de<br />

guerre il pouvait encore être quand<br />

il veut s’en donner les moyens. Un<br />

très beau souvenir…<br />

X.B.<br />

STING<br />

14 juillet, Aix-les-Bains,<br />

Festival Musilac<br />

Comment résister à un type qui vous lance au visage<br />

– en l’occurrence, relance – toute une partie de votre<br />

adolescence ? Comment ne pas chanceler quand, dans<br />

les enceintes géantes d’un festival, résonnent les<br />

“Synchronicity II”, “Spirits In a Material World”, “Every<br />

Little Thing She Does Is Magic, “Message in a Bottle,<br />

“Walking on the Moon”, “So Lonely”, “Roxanne”<br />

et “Next to You”, pour ne citer que le premier travail<br />

du Monsieur (car tous les hits en solo seront aussi<br />

de la partie) ? À quoi bon s’attarder sur le sentiment<br />

que le bonhomme, bien qu’affûté comme jamais,<br />

est en roue libre, livre son set sans émotion apparente ?<br />

Est-il bien utile de se demander si l’accordéon<br />

est vraiment ce qui manquait à l’ambiance sombre<br />

d’un “Fields of Gold” ? Quoi qu’on dise, quoi<br />

qu’on fasse, Sting est insubmersible… X.B.<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 69


VIRTU<br />

COMBA<br />

PROPHETS OF RAGE


EL<br />

T ?<br />

Avec son nouveau<br />

groupe, Tom Morello<br />

et ses acolytes tentent<br />

de faire oublier Rage<br />

Against the Machine.<br />

Mais derrière les belles<br />

intentions et la vindicte,<br />

le discours de la méthode<br />

peine à convaincre.<br />

À tort ou à raison ?<br />

Par XAVIER BONNET<br />

Photographie de TRAVIS SHINN


PROPHETS<br />

OF RAGE<br />

Download, Hellfest. Deux festivals de metal à une semaine d’intervalle<br />

et un scénario qui se reproduit à l’identique. La même<br />

impatience qui grandit à l’approche du moment fatal. Aucun<br />

doute là-dessus, Prophets of Rage est l’attraction de ceux qui<br />

ont investi les lieux, ayant réussi à créer une appétence que certaines<br />

têtes d’affiches des deux festivals sont loin d’avoir réussi<br />

à engendrer. Peut-être parce que, alors que ce mois de juin<br />

entame tout juste sa seconde moitié, c’est nimbé de mystère que<br />

le groupe s’affiche. Et que, c’est bien connu, le mystère intrigue<br />

et attire… Après tout, un seul single, “Unfuck the World”, a encore été dévoilé, et l’annonce de<br />

l’arrivée d’un album en septembre n’a pas encore percé.<br />

Certes, le “casting” de Prophets of Rage se suffirait presque à lui-même. Pensez donc… Trois<br />

anciens membres de Rage Against the Machine – simplifions : tous sauf Zack de la Rocha, soit<br />

Tom Morello, Tim Commerford à la basse et Brad Wilk à la batterie –, deux de Public Enemy<br />

(Chuck D au micro et DJ Lord aux platines) et un de Cypress Hill (B-Real au… gosier). Se suffire<br />

à lui-même et poser problème en même<br />

temps. Car il ne faudra pas longtemps pour en<br />

avoir le cœur net : une grande majorité de ce<br />

public si impatient n’est manifestement là que<br />

pour entendre les hymnes de RATM, notamment<br />

sa frange la plus jeune, qui n’a encore<br />

jamais vu le groupe sur scène. Oui, là pour<br />

s’éclater, faire des bonds sur les “Take the<br />

Power Back”, “Bombtrack”, “Bullet in the<br />

Head”, “Bulls on Parade” et l’insubmersible<br />

“Killing in the Name”. Là pour ça et rien<br />

d’autre. Comme si le message sous-jacent<br />

qu’entend véhiculer Prophets of Rage, ce qui<br />

en fait sa raison d’être, à en écouter ses divers<br />

protagonistes, volait en éclats devant la nostalgie<br />

ou la simple dimension exutoire des<br />

brûlots d’antan. “Il n’est pas indispensable de<br />

percevoir le message”, énonce Tom Morello, le<br />

véritable leader de ce qu’il ne faudrait surtout<br />

pas percevoir comme un simple super-groupe.<br />

Et tant pis s’il assène le contraire depuis le<br />

début de l’entretien à grand renfort de phrases<br />

chocs. “Si, sur un festival comme celui-ci<br />

(Hellfest, ndlr), 50 000 personnes deviennent<br />

dingues grâce à ce que nous leur proposons,<br />

ça me va parfaitement, poursuit-il. Et peutêtre<br />

parmi eux s’en trouvera-t-il pour creuser<br />

davantage et devenir les leaders de la résistance<br />

de demain !”<br />

Résistance, il n’a que ce mot à la bouche, le<br />

Tom. Bien sûr, difficile de le taxer d’opportuniste<br />

en l’occasion, lui qui est de toutes les<br />

luttes depuis son adolescence et n’a pas<br />

attendu les événements récents pour manifester-afficher-réaffirmer<br />

ses idées assez à<br />

gauche. Pas illogique qu’on le présente désormais<br />

autant comme un musicien que comme<br />

un militant. “L’un – musicien – est une vocation,<br />

l’autre – militant – est une conviction,<br />

s’esclaffe-t-il. Maintenant, dans quelle proportion,<br />

c’est compliqué à déterminer. Ils ne<br />

partagent pas forcément le même espace.<br />

Disons que je suis à 100 % l’un et l’autre ! Y<br />

a-t-il un risque que l’un l’emporte sur l’autre ?<br />

Oui, certainement. Si la musique est à chier,<br />

ça ne devient plus qu’un mauvais discours. Et<br />

c’est là le meilleur moyen de desservir la cause<br />

que tu veux défendre.”<br />

Mais si Tom Morello – l’homme – n’a guère<br />

besoin d’apporter de gages quant à son sens<br />

de l’engagement, peut-on – et faut-il – aborder<br />

l’émergence de Prophets of Rage avec les<br />

mêmes… garanties ? Le guitariste ne manque<br />

jamais de le rappeler : le groupe est né en<br />

réaction à l’utilisation du terme “Rage<br />

against the system” lors de la dernière campagne<br />

présidentielle américaine par Donald<br />

Trump, mais aussi par Bernie Sanders.<br />

Morello va jusqu’à enfoncer le clou en parlant<br />

d’une réaction à une urgence, un bouillonnement<br />

naissant à accompagner. Dans le feu de<br />

l’enthousiasme, la résistance est à nouveau<br />

convoquée (“et cette résistance a besoin d’une<br />

bande sonore”). À l’en croire encore, Prophets<br />

of Rage serait le reflet de son époque, de l’instant,<br />

“en espérant pouvoir le changer”.<br />

Opportunisme ou pas ? Vœu pieux ? On vous<br />

laissera vous faire un avis.<br />

Car, vue d’Europe, cette résistance à laquelle<br />

il croit dur comme fer, ainsi que les illustrations<br />

qu’il avance pour étayer son ardeur,<br />

paraissent bien plus embryonnaires. Vrai, les<br />

marches des femmes à travers les États-Unis<br />

le jour de l’investiture de Trump en janvier<br />

denier ont réuni près de 4 millions de personnes<br />

(une première dans le pays). Vrai<br />

encore, des aéroports ont été un temps occupés<br />

lorsque le même Trump décida d’interdire<br />

l’entrée sur le territoire américain à des<br />

ressortissants de certains pays musulmans.<br />

Mais depuis ? Quelle résistance “durable”<br />

“Une fois<br />

de plus,<br />

ce groupe<br />

est un reflet<br />

de son<br />

époque.’’<br />

derrière ces quelques prémices, dans un pays<br />

qui a finalement entériné sans broncher<br />

qu’un candidat pouvait accéder à l’investiture<br />

avec deux millions de voix en moins que<br />

son adversaire de par un système de collège<br />

électoral d’un autre temps, mais que personne<br />

ne songe à remettre en cause pour<br />

autant, au nom du respect des institutions ?<br />

Qui donc pour percevoir l’écho d’un Tom<br />

Morello ou d’un Chuck D, prônant la révolution,<br />

sur disque ou sur scène ?<br />

De manière plus globale, à l’heure de l’individualisme<br />

forcené et sciemment entretenu<br />

afin d’étouffer les combats de société et la<br />

dimension collective qu’ils impliquent, à qui<br />

peut bien s’adresser le discours d’un Prophets<br />

of Rage, aussi bien agencé soit-il ? Qui pour<br />

l’entendre, l’écouter ? Morello, lui, n’en<br />

démord pas : la colère gronde, y compris<br />

auprès des plus jeunes, il n’a jamais vu un tel<br />

mouvement de son vivant aux États-Unis, ne<br />

compte plus ceux qui se lancent dans l’action<br />

alors qu’ils prenaient soin jusqu’ici de faire<br />

partie de la majorité silencieuse. Et tant pis<br />

si c’est dans son entourage immédiat qu’il va<br />

puiser un exemple de sa démonstration “globale”,<br />

en évoquant sa femme jadis soutien<br />

tacite – mais pas plus – des engagements<br />

politiques de son conjoint et devenue soudain<br />

coordonnatrice pour le compte de certains<br />

mouvements féminins. Méthode Coué ou<br />

véritable credo ?<br />

Et si, au bout du compte, notre perplexité –<br />

pas forcément partagée, au demeurant – à<br />

l’encontre de Prophets of Rage tenait dans la<br />

formulation de son propos, dans le fond<br />

comme dans la forme ? Le fond, à savoir ces<br />

douze chansons que le groupe n’a pas cru bon<br />

de présenter lors de sa tournée européenne,<br />

à l’exception du seul single “Unfuck the<br />

World”, où sont passés en revue et pêle-mêle,<br />

parfois le temps d’une furtive suggestion, la<br />

paranoïa sécuritaire, la dépendance médicamenteuse,<br />

le radicalisme, les soldats qui<br />

meurent au combat, l’appel à la légalisation<br />

du cannabis, les sans-abri trouvant abri sous<br />

les bretelles d’autoroute, l’abrutissement des<br />

masses, etc. Autant de sujets dont la virulence<br />

et les ravages qu’ils engendrent ne sauraient<br />

être remis en cause, mais auxquels le<br />

groupe n’apporte aucun nouvel éclairage<br />

véritable, y compris dans la façon de les narrer<br />

– pour ne pas dire qu’il lui manque le<br />

talent et la fougue d’écriture de Zack de la<br />

Rocha et ce, alors qu’il tient à en faire son<br />

cheval de bataille.<br />

À l’inverse, le sens de l’à-propos de Tom<br />

Morello en entretien sonne parfois “trop<br />

beau pour être vrai”, jamais très loin non plus<br />

d’un simple “y a qu’à, faut qu’on”… Difficile<br />

de se satisfaire en effet de certaines réponses<br />

toutes faites, à commencer lorsqu’il s’efforce<br />

de nous assurer que l’enregistrement de<br />

72 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


© JEFF KRAVITZ/GETTY IMAGES<br />

l’album fut “le plus facile et le plus fun” des<br />

quinze ou seize sur lesquels il aura œuvré ;<br />

ou quand il nous assène que Prophets of<br />

Rage est là pour durer et que tout le monde<br />

se donnera toujours à fond, que le groupe n’a<br />

pas de date de péremption, tout en précisant<br />

dans la même phrase que “Public Enemy<br />

continue, Cypress Hill continue et que j’ai<br />

moi-même mes propres projets.” Délicat de<br />

nous contenter en outre de tirades grandiloquentes,<br />

au moment de s’interroger sur le fait<br />

de savoir si des musiciens désormais bien<br />

nantis sont les mieux placés pour appeler à<br />

la révolution, sur le mode “tout le monde sans<br />

exception est la personne idéale pour ça, qui<br />

soit-il ou quoi qu’il fasse : charpentier, étudiant,<br />

sans-abri, anarchiste, rappeur, guitariste…<br />

Il ne peut y avoir de ghettoïsation à<br />

propos de qui est le mieux habilité à porter<br />

ce genre de mouvement. Je suis la même étoile<br />

polaire en matière de politique depuis mes<br />

16 ans. Il se trouve juste que je suis devenu<br />

guitariste. Mais que je sois un guitariste qui<br />

n’ait vendu aucun disque ou 30 millions ne<br />

change rien à l’affaire…”<br />

Et que dire de cette répartie lorsqu’est avancée<br />

l’idée que des adolescents de 14-15 ans<br />

n’ont peut-être pas forcément envie<br />

aujourd’hui d’écouter les conseils-injonctions<br />

de quinquagénaires bien sentis : “D’une certaine<br />

manière, nous sommes moins là pour<br />

les guider que pour les suivre, moins là pour<br />

prêcher à leur encontre que les écouter. Une<br />

fois de plus, ce groupe est un reflet de son<br />

époque. Une fois de plus, il est né d’une<br />

urgence partagée par une grande partie du<br />

MAKE AMERICA RAGE AGAIN<br />

En concert à Varsovie, en <strong>2017</strong>,<br />

Prophets of Rage fait le show, tout en ferveur<br />

et en protestation, collant à son image<br />

de “supergroupe révolutionnaire”.<br />

monde. Quand 500 000 réfugiés srilankais<br />

fuient à cause du réchauffement climatique,<br />

ça concerne aussi bien celui qui a 14 ans que<br />

celui qui en a 53, comme moi, ou 57, comme<br />

Chuck.” À trop vouloir en faire…<br />

Et si, après tout, nous exigions trop de<br />

Prophets of Rage, au prétexte du pedigree de<br />

ses divers protagonistes ? Après tout, il ne<br />

serait ni le premier ni le dernier groupe<br />

contestataire et protestataire qui n’aurait<br />

que son savoir-faire à faire valoir en guise<br />

d’argument et à chercher à tracer sa route – le<br />

temps qu’il faudra – en mettant à profit un<br />

contexte ou l’humeur du moment. Après<br />

tout, ce n’est peut-être que du show-business<br />

et c’est très bien ainsi. Après tout, et convenons-en<br />

bien volontiers, il est encore suffisamment<br />

de sons à sortir de la guitare de<br />

Tom Morello, au pire intrigants au mieux<br />

passionnants, pour que l’on accepte de se<br />

contenter, et ne pas avoir à réduire l’utilité de<br />

l’instrument au désir pour son propriétaire<br />

d’y coller sur le revers une feuille avec l’inscription<br />

“Fuck Trump”.<br />

Et tant pis si, là encore, l’explication fournie<br />

ne convaincra qu’à moitié. “Woody Guthrie<br />

s’est rendu célèbre avec son message ‘This<br />

machine kills fascists’ sur la sienne et j’en ai<br />

souvent collé sur les miennes au fil des ans,<br />

prend soin de rappeler Morello. Quand nous<br />

avons commencé cette tournée en Europe,<br />

quelque part en Allemagne, je me suis<br />

demandé quel serait le meilleur message à<br />

faire passer. Ce ‘Fuck Trump’ est la première<br />

idée qui m’est venue. Je crois qu’il peut créer<br />

un pont de solidarité avec ce public européen<br />

qui pense que les États-Unis ont perdu la<br />

tête. C’est ma façon de lui dire : Nous sommes<br />

d’accord avec vous !” Alors, si tout le monde<br />

est d’accord…<br />

Seul l’avenir dira qui, de la ferveur débridée<br />

de Tom Morello ou des réactions dubitatives<br />

que celle-ci peut susciter, se sera approché le<br />

plus de la vérité. Reste à savoir si nous aurons<br />

longtemps à attendre. Car s’il est bien une<br />

urgence au programme, et une urgence que<br />

l’on partage sans détours avec ces prophètes<br />

de la rage, c’est bien celle qui consiste à<br />

“unfuck the world”. Pour peu qu’il ne soit pas<br />

trop tard, ce que ne veut là non plus pas<br />

entendre le guitariste : “L’histoire montre<br />

que des gens se sont levés à des périodes tragiques<br />

et dangereuses de ce monde. Combien<br />

sont ceux qui se sont longtemps persuadés<br />

que le mur de Berlin ne tomberait jamais ?<br />

Combien sont ceux qui se sont persuadés que<br />

l’apartheid durerait indéfiniment ? Pareil<br />

pour l’esclavage aux États-Unis ou le droit<br />

de vote refusé aux femmes. Autant de supposées<br />

réalités que l’on pensait inamovibles,<br />

coincées dans le cours de l’histoire. À tort. Et<br />

pourquoi ? Parce que des gens pas différents<br />

de ceux qui pourront lire cet article ont refusé<br />

ce qui ressemblait à une fatalité et ont changé<br />

le monde…” Camarades lecteurs, au boulot !<br />

Unfuckez-nous tout ça…<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 73


MORRICONE<br />

ENNIO<br />

IL MAESTRO<br />

Il a donné<br />

un son à<br />

l’Amérique,<br />

construit son<br />

propre mythe<br />

à grands coups<br />

d’harmonica et a<br />

même fini par être<br />

sympa avec Tarantino.<br />

Par OLIVIER FLORIO<br />

Photographie de JIM DYSON<br />

75<br />

<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>


AAvec soixante ans de carrière, Ennio<br />

Morricone incarne l’une des figures les plus<br />

marquantes de l’industrie cinématographique.<br />

Considéré comme une influence<br />

majeure pour bon nombre de compositeurs<br />

du cinéma actuel tel que Hans Zimmer, il a<br />

été également une source pour certaines<br />

icônes de la pop, jusqu’à Metallica ou Bruce<br />

Springsteen. Examiné sous toutes les coutures,<br />

disséqué au scalpel, passé aux rayons X,<br />

le personnage fascine. Mais qu’est-ce qu’on<br />

peut dire de plus aujourd’hui que : Ennio,<br />

c’est LE compositeur de musiques de film.<br />

Un film ? Un vrai sac de nœuds. Il y a<br />

d’abord le réal qui arrive avec sa problématique<br />

existentielle et qui est souvent suivi<br />

par un producteur (sorte de poisson-pilote)<br />

qui a une vision chiffrée du monde. Et là,<br />

ils tombent sur Ennio qui, lui-même, est<br />

ENNIO<br />

MORRICONE<br />

rendre sa musique accessible aux cinéphiles<br />

qui traînent dans les salles obscures.<br />

Morricone “sert”. Sert le film. Une musique<br />

“de service”, comme il dit. Mais bon, il y a<br />

tout de même une limite. Parce que c’est<br />

une part de son ADN qu’il met sur le tapis.<br />

Et là, il lâche pas l’affaire facilement, le<br />

Maestro. Pas question de laisser se dégrader<br />

son “creativ’ impulse”.<br />

Pour Ennio, au départ, le cinéma c’est tout<br />

sauf une histoire de vocation. “Je pensais<br />

faire comme tant de compositeurs qui<br />

gagnent peu, mais écrivent ce qu’ils veulent<br />

(...). Mon rapport avec le cinéma est venu<br />

par hasard, parce que j’ai pas eu la possibilité<br />

de faire autre chose.”<br />

Il fallait bouffer, assurer le quotidien. Alors<br />

il commence en faisant des arrangements<br />

pour de la variet’ ou autre, comme ça, un<br />

peu en souterrain, histoire de pas être trop<br />

repéré. Mais bon, ça n’a pas duré longtemps.<br />

Un jour, le cinéma frappe à sa porte.<br />

Et alors là… c’est THE virage. Car dans les<br />

années 1960-1970, Ennio bouscule, renouvelle,<br />

transcende les codes de la musique du<br />

cinéma de l’époque. Mais pour lui, la<br />

musique de film c’est qu’une sorte de “gymnastique”,<br />

un “exercice”. “Chaque film est<br />

Antonio Ferdinandi et, plus tard, ceux de<br />

Goffredo Petrassi. Nous avions un amour<br />

sans bornes pour l’écriture, la recherche (…).<br />

Un amour spirituel.”<br />

Mais voilà, dans sa période “à la mode”, il<br />

cartonne tellement qu’il court, il court,<br />

Ennio. Et le temps finit par lui manquer.<br />

Son succès grandissant le porte, mais finit<br />

aussi par l’enchaîner. Les feuilles blanches<br />

de la musique absolue restent immaculées<br />

sur un coin de bureau, la poussière fait son<br />

office. Ainsi soit-il.<br />

Alors, le soir, lorsque résonnent les cloches<br />

du Vatican, Ennio est seul face à lui-même.<br />

Et il a cette voix qui s’immisce en lui,<br />

comme une prière profonde, un appel vers<br />

l’au-delà, un trait d’union vers l’infini, la<br />

voix de l’autre musique. “J’ai un doute terrible”,<br />

confie-t-il un jour à Sergio Miceli<br />

historien de la musique, musicologue et<br />

ami, “que ma limite soit la musique de<br />

cinéma.” Comme une frontière invisible<br />

que l’homme appréhende et qui le hante. Et<br />

même si le public croit que la musique<br />

d’Ennio, c’est celle qu’il fait pour les films,<br />

lui sait intérieurement qu’il y a “l’autre”,<br />

l’autre musique, l’autre Ennio, et envers<br />

lequel il sent qu’il a une dette. Croirait-on<br />

“<br />

Chaque film est une nouvelle expérience musicale,<br />

qui présente de nouveaux problèmes à résoudre,<br />

cela me donne le sentiment d’exister,<br />

de ne pas créer dans le vide.”<br />

*** ***<br />

dans une perspective assez “personnelle”,<br />

disons ondulatoire, de l’espace et du temps.<br />

Mais bon, malgré tout, quelquefois, ça<br />

“matche”, et comme Ennio est du genre gros<br />

bosseur et qu’il a des ondulations sonores<br />

un peu partout dans la tête, ils finissent<br />

donc parfois par se mettre d’accord. “Cinq<br />

cents films, sinon rien” : ainsi pourrait-on<br />

résumer sous forme de boutade la riche carrière<br />

du maître italien. Cinq cents, ça fait<br />

tout de même un paquet d’accords. Et<br />

encore, il en aurait viré la moitié, refusant<br />

de travailler pour des réals qui ne lui revenaient<br />

pas ou qui lui demandaient d’écrire<br />

dans le style de Stravinsky ou de Mozart.<br />

À dégager.<br />

Pour autant, malgré son caractère, Ennio<br />

sait s’adapter. Composer avec les contingences<br />

stochastiques, scolastiques et chaotiques<br />

du monde cinématographique. Il sait<br />

prendre pleinement en considération sa<br />

responsabilité de fournir un matériel artistique<br />

convaincant. Wow ! Pour le réal bien<br />

sûr (faut pas l’oublier), mais aussi pour<br />

une nouvelle expérience musicale, qui présente<br />

de nouveaux problèmes à résoudre<br />

(…). Cela me donne le sentiment d’exister,<br />

de ne pas créer dans le vide.” Un exercice<br />

noble, certes, et lucratif, mais qui, malgré<br />

tout, ne saurait en aucun cas se substituer<br />

au questionnement profond et existentiel<br />

de l’individu face à la feuille blanche : celui<br />

de la “musica assoluta”. Kézako ? La “musica<br />

assoluta” (musique “en soi”) par opposition<br />

à la “musica applicata” (musique de commande).<br />

Deux concepts bien éloignés, voire<br />

antinomiques. Le truc qui rend bien schizophrène.<br />

On comprend alors ses sautes<br />

d’humeur, au Maestro. Et c’est aussi et<br />

peut-être surtout cette “musica assoluta”<br />

que Morricone a dans la tête depuis qu’il est<br />

enfant. “Mon père jouait de la trompette.<br />

C’est lui qui m’a enseigné la clé de sol et<br />

transmis la passion pour cet instrument.<br />

Puis je me suis inscrit au conservatoire de<br />

Santa Cecilia, à Rome. J’ai fait un cours<br />

d’harmonie complémentaire et ensuite étudié<br />

la composition. J’ai suivi les leçons de<br />

en lui en tant que musicien sans images ?<br />

Alors Ennio fait une sorte de pacte avec luimême.<br />

“Servir” du mieux qu’il peut. Comme<br />

pour donner le change, comme pour se<br />

repentir de son péché de ne pas servir sa<br />

propre voix. De ne pas servir cette “musica<br />

assoluta” qu’il porte en lui, pure et sans<br />

compromis. Il espère ainsi se sauver luimême<br />

et peut-être aussi “sauver” certains<br />

des films dont il accepte d’écrire la musique.<br />

“Je ne me suis pas laissé aller (…). J’ai cherché<br />

à racheter, à me racheter.” Et c’est peutêtre<br />

ce qui donne une teneur si particulière<br />

à sa musique.<br />

Ennio se sent enfermé. Briser les bords de<br />

l’image, pulvériser les écrans, la question<br />

reste épineuse. “Moi, je ne peux jamais être<br />

content en faisant de la musique pour le<br />

cinéma, même si je reconnais qu’il y a beaucoup<br />

d’aspects positifs”, déclare-t-il encore<br />

en 1979 à Miceli. Le cadre, toujours le cadre.<br />

Bien sûr, ses maîtres à penser ont eu à composer<br />

avec des problématiques similaires.<br />

La forme (sonate, fugue, forme<br />

© GETTY IMAGES. DR.<br />

76 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

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2<br />

1<br />

3<br />

4<br />

UNE VIE EN IMAGES<br />

(1) Partitions sous le bras, le<br />

compositeur prépare ses concerts.<br />

(2) Avec son ami, le réalisateur<br />

Sergio Leone. (3) Le “Maestro” en<br />

pleine répétition avec ses choristes,<br />

à Rome en 1984. (4) Sur scène,<br />

Morricone dirige ses propres œuvres<br />

de main de maître. (5) C’est Clint<br />

Eastwood qui lui remettra le seul<br />

oscar de sa carrière, en 2016, pour la<br />

BO des Huit Salopards. (6) L’équipe<br />

de Hateful Eight, avec (de gauche<br />

à droite) Kurt Russell, Ennio Morricone,<br />

Quentin Tarantino et Michael Madsen.<br />

5 6


ENNIO<br />

MORRICONE<br />

Duel<br />

Rencontrer le Maestro n’est pas facile. Tous ceux qui s’y sont essayés en gardent<br />

un souvenir doux-amer. Et se souviennent d’une tension digne d’un duel de western.<br />

Que l’on soit journaliste, compositeur… ou les deux à la fois. Par Alex Jaffray<br />

Chez mes grands-parents, il y avait<br />

trois vinyles. Un disque de valses<br />

autrichiennes que je n’ai jamais sorti<br />

de sa pochette – à cette époque<br />

j’avais une aversion pour le trois temps ; un disque<br />

d’enregistrements de machines à vapeur – mon<br />

grand-père était ancien cheminot et le vacarme<br />

de métal et de vapeur devait lui manquer ; et un<br />

disque des plus grands titres de Ennio Morricone,<br />

avec, sur la pochette, une photo du film Le Casse,<br />

avec Belmondo qui met en joue Omar Sharif.<br />

J’ai grandi en écoutant en boucle ce générique<br />

de film avec l’impression diffuse de transgression,<br />

d’écouter de la musique de voyou, à cause<br />

du revolver ; une musique interdite et fascinante,<br />

hypnotique avec ce thème court que Morricone<br />

balade dans toutes les tonalités et toutes les<br />

gammes. Il promène cet ostinato à la manière de<br />

Bach, mais avec le côté goguenard de l’instrumentation<br />

façon Maestro : un piano de saloon,<br />

une guitare, un son de vagues au loin…<br />

Plus tard, porté par le dicton “Ennio un jour,<br />

Ennio toujours”, avec mes premiers francs, j’ai<br />

acheté le 45-tours de la musique du film À l’aube<br />

du cinquième jour, d’une tristesse palpable, qui<br />

m’avait transpercé l’âme sans pouvoir y mettre<br />

de mots. Une composition qui m’a donné envie<br />

de comprendre la magie invisible de la musique<br />

et d’essayer d’en écrire moi-même.<br />

Quelques années passent en une mesure de<br />

valse et, en 2006, lors du festival de musique de<br />

films d’Auxerre, on me propose de rencontrer le<br />

Maestro. Avec, bien entendu, toutes les réserves<br />

d’usage : il est difficile, il est ronchon, il est âgé,<br />

il ne parle pas anglais, il se réserve le droit de ne<br />

pas répondre à toutes les questions et il ne fera<br />

peut-être pas l’interview, bref, un terrain propice<br />

à l’épanouissement et à l’attente sereine.<br />

J’avais réussi à me glisser sans permission pour<br />

assister aux répétitions et voir le Maestro à<br />

l’œuvre, et en fait, il n’était pas du tout vieux !<br />

Droit, sec, sévère et souple, l’oreille tendue, arrêtant<br />

les musiciens à la moindre approximation,<br />

avec le pli du front du chef d’orchestre qui n’a pas<br />

entendu ce qu’il avait en tête.<br />

Il sort de scène et débutent alors deux bonnes<br />

heures d’attente et de tractations : interview ?<br />

pas d’interview ? On nous dit qu’il est fatigué,<br />

que ces entretiens n’étaient pas prévus, que les<br />

trois journalistes devront faire leur interview<br />

ensemble. Une traductrice, trois journalistes<br />

penauds, dont une jeune collègue qui débutait<br />

dans l’exercice. Le Maestro arrive, le pli n’avait<br />

pas quitté son front.<br />

À la première question, une réponse tiède nous<br />

arrive après le temps de traduction. Deuxième<br />

question maladroite sur les musiques pour<br />

Leone de notre jeune amie – on sent la réponse<br />

froide même avant traduction. Je pose ma question,<br />

que j’espère intelligente, plouf plouf. Le pli<br />

ne part pas du front du patron. S’ensuivent deux<br />

séries de questions, puis le Maestro se lève, je<br />

reste avec le souvenir de ma pochette du Casse<br />

qui se fissure en mille morceaux, et avec une<br />

impression d’inachevé.<br />

Deux mesures de valses plus tard, nous sommes<br />

en 2014, le Maestro s’est enfin décidé à diriger ses<br />

musiques en concert, on me propose d’aller le<br />

rencontrer chez lui, à Rome. Le voyage s’organise,<br />

seulement quatre journalistes français sont<br />

choisis, grosse pression. Et pour en rajouter une<br />

fine couche, on reçoit des consignes strictes<br />

avant de partir :<br />

1. on doit l’appeler “Maestro” ;<br />

2. on n’emploie pas le terme de “western<br />

spaghetti” ;<br />

3. on ne lui parle pas d’entrée de jeu de ses films<br />

avec Sergio Leone ;<br />

4. on ne lui fait pas signer de disques…<br />

Comme ça pendant une demi-page avant même<br />

de poser le pied à Rome, de quoi être bien tendu,<br />

en sachant qu’Ennio est à l’humour ce que<br />

Dupont-Aignan est au mariage pour tous. Le jour<br />

dit, avion pour Rome, les interviews ont lieu en<br />

début d’après-midi pour qu’Ennio soit en forme<br />

après une petite sieste.<br />

Vieil et vaste appartement romain dans lequel le<br />

Maestro habite depuis quarante ans et a composé,<br />

dans la plus grande solitude de son bureau,<br />

quelques-uns de ses plus grands chefs-d’œuvre.<br />

Premier contact sur place à la hauteur de l’appréhension,<br />

le manager d’Ennio, une sorte<br />

d’Italien échappé des Affranchis de Scorsese te<br />

regarde dans les yeux et te dit en anglais avec<br />

un accent plein de “r”.<br />

— Tu sais pourquoi le Maestro fait les interviews<br />

chez lui ?<br />

— Euh… Non, Monsieur.<br />

Il faut toujours être très poli quand un Italien<br />

avec des chaussures blanches vous parle.<br />

— Eh bien, le Maestro fait ses interviews chez lui,<br />

comme ça, si les questions ne lui plaisent pas, il<br />

se lève et te remercie. (Le manager me montre la<br />

porte d’entrée de l’appartement, en mimant<br />

Morricone.)<br />

Ambiance.<br />

L’équipe installe le matériel, pieds de caméra,<br />

rallonges, lumières, micro.<br />

Là, le même homme de main avec le même<br />

accent approche :<br />

— Il y a quelques années, un mec de TF1 s’est<br />

branché sur cette prise, il a fait sauter les plombs.<br />

On lui a fait un procès.<br />

Léger froid.<br />

Et puis Monsieur Morricone arrive, vieux et beau<br />

à la fois.<br />

Moins en forme qu’il y a quelques années, il a<br />

subi une opération qui l’a affaibli. L’interview<br />

commence, il est un peu fermé, puis je lui parle<br />

de son père, de ses débuts de trompettiste et du<br />

flambeau transmis par son père, de la musique<br />

absolue – la musica assoluta – tellement importante<br />

à ses yeux, de ses années d’arrangeur pour<br />

la variété italienne qui lui ont permis d’essayer<br />

plein d’assemblages en musique – assemblages<br />

que l’on retrouve dans ses grandes musiques de<br />

film. On parle de Mina, de ses tubes des<br />

années 1960. Puis il s’ouvre, sourit, l’interview<br />

devait durer 20 minutes, une heure après on y<br />

est encore. Je lui parle de son bureau de composition,<br />

il se lève et me dit qu’il ne le montre que<br />

rarement. Il sort une clé, ouvre une porte, sort<br />

une deuxième clé, ouvre une seconde porte et<br />

on se retrouve dans son bureau, entourés de<br />

toutes ses partitions classées et rangées méticuleusement<br />

sur des étagères.<br />

Posées sur le canapé, les partitions en cours<br />

pour Tornatore, sur une étagère en face, des<br />

dizaines de récompenses – Bafta, Grammy,<br />

Golden Globes, Nastro… J’ai la présence d’esprit<br />

de ne pas lui parler de l’oscar qu’il n’a pas encore<br />

eu, surtout de celui du film Mission qui lui est<br />

resté un peu sur l’estomac.<br />

Je cherche du regard un piano, rien. Uniquement<br />

un bureau, large, massif, dos à la fenêtre, le<br />

Maestro a sa musique dans la tête, il écrit directement<br />

sur du papier qu’il achète une fois par<br />

mois chez le même imprimeur romain. Il m’explique<br />

qu’il écrit tous les matins, à la même<br />

heure, après avoir fait un peu de jogging dans<br />

son appartement (?), il taille ses crayons et écrit.<br />

Pour écrire plus de 450 musiques de films, il n’y<br />

a pas de secret.<br />

78 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr Septembre <strong>2017</strong>


Je me rassois en espérant qu’il va m’adopter, que<br />

je peux mourir tranquille, mais inquiet que les<br />

trois autres journalistes me maudissent pendant<br />

cinq générations pour leur avoir mangé tout leur<br />

temps d’interview.<br />

Je me lance pour une dernière confidence et<br />

explique au Maestro que, petit, j’écoutais le<br />

générique du film À l’aube du cinquième jour, et<br />

que c’est certainement l’un des morceaux qui<br />

m’a donné envie d’écrire de la musique. Le titre<br />

italien doit être très différent. Ennio ne semble<br />

pas comprendre de quoi je lui parle, il baragouine<br />

un truc en italien avec un pli sur le front.<br />

Puis il se lève d’un bond, l’air furieux, je me dis :<br />

C’est bon, j’ai réussi à me torpiller sur la dernière<br />

question. Comme dans un film de Leone, une<br />

goutte de sueur perle sur mon front, lentement.<br />

Mais le plus grand compositeur du monde ne va<br />

pas vers la porte d’entrée, il va vers un piano<br />

caché dans le salon sous une tonne de bibelots,<br />

il soulève le capot, s’assoit et me joue juste pour<br />

moi, l’introduction de À l’aube du cinquième jour.<br />

La goutte de sueur se transforme alors en larme.<br />

Une courte mesure de valse plus tard, je me<br />

retrouve à Abbey Road pour l’enregistrement de<br />

la musique des Huit Salopards de Tarantino que<br />

le Maestro a composée et dirigée.<br />

L’enregistrement est filmé, il règne une atmosphère<br />

électrique dans le studio, quasiment la<br />

même que le duel de l’homme à l’harmonica. Un<br />

peu moins de temps pour échanger et, conforté<br />

par notre précédente rencontre, je passe tout de<br />

suite la seconde.<br />

Je lui demande pourquoi avoir cédé à Tarantino<br />

au bout de temps d’années (il a imploré<br />

Morricone pendant quinze ans de lui composer<br />

une musique originale et, n’obtenant pas de<br />

réponse positive du Maestro, Tarantino allait piocher<br />

dans d’anciennes BO de Morricone). Le<br />

Maestro, en grande forme, me répond : “J’aime<br />

bien Quentin, c’est un très bon réalisateur, qui<br />

aime ma musique, mais j’en avais assez qu’il utilise<br />

n’importe comment mes compositions.” Bim.<br />

Je lui demande pourquoi faire venir son<br />

orchestre de Rome, alors qu’à Londres, il y a les<br />

plus grands orchestres du monde tel que le<br />

London Symphony Orchestra. Léger blanc. Je<br />

regarde la porte de sortie en me disant que j’y<br />

suis allé un peu fort.<br />

Ennio plisse son œil d’enfant derrière ses grosses<br />

lunettes, sourit et dit : “Je préfère travailler avec<br />

mon orchestre ; je peux leur parler en italien, surtout<br />

quand je ne suis pas satisfait.” Ce qui ne<br />

manqua pas d’arriver quand le malheureux clarinettiste<br />

loupa l’entrée à la 57 e mesure de l’ouverture<br />

des Huit Salopards et que le Maestro lui<br />

souffla magistralement dans les bronches.<br />

Il faut croire Hans Zimmer, prince des bandes<br />

originales des plus grandes productions hollywoodiennes,<br />

quand on lui demande qui sont<br />

les trois plus grands compositeurs : “Ennio<br />

Morricone, Ennio Morricone, Ennio Morricone.”<br />

symphonique), le mécène à qui il faut plaire<br />

ou bien encore la mode, tout simplement. Le<br />

film apporte certes ses contraintes, mais<br />

également un nouvel espace d’écriture. Et<br />

c’est dans ce paradoxe que la musique de<br />

film se construit. Pourtant, Ennio ne<br />

regrette rien. Ainsi confesse-t-il en 1990 :<br />

“Je rêvais bien sûr d’écrire un autre type de<br />

musique quand j’étais jeune, mais cela ne<br />

signifie pas que je regrette ce que j’ai fait. Je<br />

pourrai déplorer les œuvres que je n’ai pas<br />

eu le temps de composer, c’est différent.” Le<br />

cinéma lui aurait-il volé trop de temps ?<br />

Morricone veut l’absolu. Mais est-on jamais<br />

proche de la vérité ? “Le grand hobby d’Ennio,<br />

disait son ami Giuliano Montaldo, c’est la<br />

musique. Cela paraît paradoxal ? Et pourtant<br />

non. C’est grâce à elle qu’il se libère.” Lorsqu’il<br />

ne fait pas de musique, il fait donc de la<br />

musique. Comme ça, en marge des films.<br />

Ennio a toujours eu une âme d’explorateur. Le<br />

piolet à la main. Prêt à aller décrocher des<br />

notes inattendues. Comme avec la Nuova<br />

Consonanza, un groupe d’improvisation expérimentale.<br />

Les espaces musicaux nouveaux,<br />

l’avant-garde et la recherche musicale, c’est<br />

son truc. Musique de chambre, orchestre, tout<br />

y passe. Ennio, l’expérimental. Aujourd’hui,<br />

avec le recul, aucun doute qu’il a fini par trancher<br />

entre la musica assoluta et la musica<br />

applicata. Sa production personnelle n’a cessé<br />

d’augmenter inversement proportionnellement<br />

à sa production cinématographique.<br />

Une dizaine d’œuvres entre 1960 et 1980,<br />

contre plus d’une centaine entre 1990 et 2010.<br />

À l’instar de sa musique de film, il opère dans<br />

ce domaine une sorte de syncrétisme de<br />

genres. Atonale, parfois climatique ou<br />

hybride, il crée une musique dont il avait du<br />

reste parfois semé les graines au cours de ses<br />

centaines de collaborations pour le cinéma.<br />

Citons des œuvres comme Ut (1991) ou Totem<br />

secondo (1981), Epitaffi sparsi (1992),<br />

Les espaces musicaux nouveaux,<br />

l’avant-garde et la recherche musicale<br />

c’est son truc. Musique de chambre,<br />

orchestre, tout y passe. Ennio,<br />

l’expérimental.<br />

*** ***<br />

ACCLAMATIONS !<br />

Chaque soir, le Maître reçoit<br />

une standing ovation<br />

de la part du public, comme<br />

de l’orchestre symphonique.<br />

Wow! (1993), Braevissimo I, II, III (1994) ou<br />

même récemment Mass for Pope<br />

Francis (2015), une messe que lui aurait suggéré,<br />

un jour, un moine devant le kiosque en<br />

bas de chez lui. “Vous écrivez de tout, pourquoi<br />

pas une messe ?”<br />

Sa musica assoluta aura-t-elle la force de<br />

celle de ses homologues contemporains du<br />

xx e siècle ? Nono, Berio, Dutilleux ou<br />

encore Stravinsky ou Bach, qu’il aime citer<br />

en référence. Fera-t-il autant preuve de<br />

clairvoyance et de force de langage dans ce<br />

domaine qu’il a pu en avoir dans celui de la<br />

musique de film ? Seule l’histoire le dira. Le<br />

temps révèle par décantation lente le paysage<br />

des œuvres marquantes d’une époque.<br />

Quoi qu’il en soit, sa musique restera en<br />

nous comme un écho. Celui de sa musique<br />

de film bien sûr, mais peut-être aussi un<br />

jour, nous lui souhaitons, comme l’écho de<br />

sa musique tout court.<br />

© GETTY IMAGES<br />

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1<br />

2<br />

3<br />

4<br />

6<br />

GRACELANDOLOGY<br />

(1) L’album de tous les records.<br />

(2) La pochette de l’album<br />

présentant tous les hits de Soweto,<br />

qui inspirera Paul Simon. (3) En<br />

studio, en 1986. (4) Sur la scène du<br />

Hard Rock Festival, à Londres.<br />

(5) Lors de l’émission Saturday<br />

Night Live. (6) Sur la scène du stade<br />

Rufaro de Harare, au Zimbabwe,<br />

avec Ray Phiri. (7) L’ensemble<br />

des musiciens sud-africains, lors<br />

de la tournée de 1987.<br />

5<br />

7


Making Of<br />

ÉTAT DE GRÂCE<br />

Paul Simon aura mis cinq ans à publier le concert anniversaire<br />

donné en 2012 à Londres et célébrant le quart de siècle de son album<br />

événement, Graceland, sorti en 1987, avec les musiciens sud-africains<br />

qui l’avaient accompagné sur cet opus hors normes.<br />

Par BELKACEM BAHLOULI<br />

© GETTY IMAGES. SONY MUSIC. DR.<br />

On se souvient encore du titre du quotidien<br />

de Harare, au Zimbabwe : “Disgraceland”. Cette<br />

violente manchette faisait suite au concert de<br />

Paul Simon au stade Rufaro avec son groupe sudafricain,<br />

le 14 février 1987. Elle symbolise<br />

également toutes ces polémiques qui ont entouré<br />

l’enregistrement et la sortie de l’album Graceland,<br />

l’un des plus beaux fleurons des années 1980. Mais depuis, de l’eau est<br />

passée sous les ponts. L’album est devenu “culte”, Simon a fait deux tournées<br />

mondiales avec les musiciens qui avaient participé à ce disque<br />

séminal, celui-là même qui a lancé la grande vogue de la “world music” au<br />

cœur des années 1980. À tel point que, vingt-cinq ans plus tard, son auteur<br />

décide de faire revivre ce moment magique, d’abord en Afrique du Sud lors<br />

d’un concert à Johannesburg, puis à Londres où, jusqu’à l’orée des<br />

années 1990, les musiciens sud-africains n’avaient pas le droit de se produire,<br />

qu’ils soient Noirs ou Blancs, de Johnny Clegg à Mahlathini &<br />

Mahotella Queens. Belle revanche. Et c’est devant plus de 60000 personnes<br />

que Graceland, in extenso, revécut un soir de juillet 2012. Ce live<br />

est resplendissant : outre l’intégrale de l’album “world”, Paul Simon y joue<br />

bien entendu ses plus grands succès, parmi eux une poignante version<br />

acoustique de l’inusable “Sound of Silence”, une relecture avec Jerry Wexler<br />

à la slide de “The Boxer” et un final en forme de profession de foi, “Still<br />

Crazy After All These Years”. Bref, un double CD assorti d’un DVD/Blu-ray<br />

indispensable.<br />

Flash-back. Les années 1980 n’avaient pas épargné Paul Simon. Après le<br />

succès des trois albums qui ont suivi Bridge Over Troubled Water, il a du<br />

mal à retrouver son inspiration ; One-Trick Pony comme Hearts and Bones<br />

sont des déceptions. Pire encore pour le moral, l’album live enregistré avec<br />

Art Garfunkel à Central Park en 1981 est certifié double platine. Son heure<br />

est-elle passée ? Est-il un artiste fini pour nostalgiques ? Dans Under<br />

African Skies, l’impressionnant documentaire de Joe Berlinger consacré<br />

à l’aventure Graceland, il prétend avoir abordé ce déclin avec optimisme :<br />

“Parfait, la prochaine fois, personne ne sera là pour regarder par-dessus<br />

mon épaule.” Paul Simon peut faire quelque chose qui l’intéresse, parce<br />

que plus personne ne s’intéresse à lui. “Quand j’ai voulu enregistrer ‘Mother<br />

and Child Reunion’ en 1971, j’ai appelé le gars qui avait enregistré Jimmy<br />

Cliff et je lui ai dit que j’aimerais enregistrer là-bas. J’avais compris qu’il<br />

faut aller là où sont les musiciens si on veut avoir le bon son, et c’est ce qui<br />

s’est passé avec Graceland. Je suis allé en Afrique du Sud parce que c’était<br />

là-bas qu’était cette musique.”<br />

C’est aussi là que les ennuis commencent, parce que l’Afrique du Sud n’est<br />

pas un pays comme un autre. Depuis 1948, le National Party au pouvoir<br />

applique une politique de ségrégation raciale et de développement séparé<br />

entre les Noirs et les Blancs (et les Asiatiques et les “métis”), mais aussi<br />

entre les différentes tribus. Dans le documentaire de Berlinger, Simon<br />

demande à Quincy Jones : “Pourquoi les politiciens sont-ils considérés<br />

comme des experts ?” Bonne question : alors que les Nations unies imposent<br />

une série de boycotts pour mettre la pression sur le gouvernement sudafricain,<br />

Ronald Reagan et Margaret Thatcher soutiennent une politique<br />

“d’engage ment constructif”, censée, selon eux, mettre fin à l’apartheid en<br />

atténuant les sanctions et en récompensant la minorité blanche d’empêcher<br />

la propagation du communisme.<br />

Parallèlement, The Indestructible Beat of Soweto, compilé par Herman et<br />

publié sur le label Earthworks, arrive sur le marché international en 1985.<br />

“Ils avaient sorti un truc appelé Zulu Jive, dit Herman, c’est la meilleure<br />

musique du pays, laissez-moi compiler et sortir les bons trucs.” Présentant<br />

des artistes comme Nelcy Sedibe, Simon ‘Mahlathini’ Nka binde et<br />

Ladysmith Black Mambazo, il ne passe pas beaucoup sur les grandes radios<br />

mais, salué par Robert Christgau du Village Voice comme “le disque le plus<br />

important des années 1980”, prépare les critiques à l’album sur lequel Paul<br />

Simon est discrètement en train de travailler.<br />

Après avoir parlé à son label, qui lui suggère d’enregistrer en Amérique, et<br />

à des amis comme Harry Belafonte, qui lui conseille de demander la<br />

permis sion à l’African National Congress (ANC), qui représente la majorité<br />

des Sud-Africains noirs, Simon se rend à Johannesburg en février 1985.<br />

Rosenthal a réservé du temps de studio pour ses groupes préférés –<br />

Stimela, le groupe soul du guitariste Ray Phiri ; Tau Ea Matsekha, un<br />

groupe du Lesotho emmené par l’accordéoniste Forere Motloheloa et le<br />

bassiste Baghiti Khumalo ; General MD Shirinda And The Gaza Sisters,<br />

qui viennent du Gazankulu ; et The Boyoyo Boys, spécialement reformés<br />

après la mort de leur batteur – et il s’agit maintenant de les rassurer, car ils<br />

ont enfreint la loi sur les laissez-passer, de se détendre et de voir ce que ça<br />

donne. Si l’on en croit le film de ces séances, le temps que Simon a passé à<br />

travailler avec ces groupes a été une fête du début à la fin, mais rien que<br />

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Paul Simon<br />

par sa présence, il s’expose aux critiques. Pour<br />

commencer, il n’a pas parlé à l’ANC et n’a pas respecté<br />

un boycott créé pour empêcher l’Afrique du<br />

Sud d’avoir des échanges de quelque sorte que ce<br />

soit avec le monde extérieur. Il a obtenu l’autorisation<br />

du syndicat des musiciens local, qui ne s’est<br />

pas opposé à ce qu’il enregistre avec ses artistes si<br />

ceux-ci n’étaient pas exploités – il les paye trois<br />

fois plus que ce qu’impose le barème du syndicat<br />

américain –, mais n’a pas demandé l’approbation<br />

des politiciens. “En un sens, Paul a eu beaucoup<br />

de chance d’être coincé dans cette impasse politique,<br />

dit Phiri. Toutes ces controverses ont attiré<br />

l’attention sur l’album, et tout le monde s’est dit :<br />

Écoutons-le… Qu’est-ce que c’est que ce Graceland ?’<br />

Ça a contribué à relancer sa carrière et à faire<br />

connaître la politique de l’Afrique du Sud au<br />

monde entier. Nous transmettions de bonnes et de<br />

mauvaises nouvelles.” “Rétrospectivement, je suis<br />

heureux que ça ait eu lieu, dit Simon aujourd’hui,<br />

parce que, de mon point de vue, il est absurde que<br />

des partis politiques vous dictent ce qui est moral<br />

ou pas.” On accuse aussi Simon d’impérialisme<br />

culturel. Voilà un riche Blanc qui, selon le groupe<br />

de pression Artists Against Apartheid, profite de<br />

gens qui ne peuvent pas prendre part à un libre<br />

échange d’idées, parce qu’ils ne<br />

sont tout simplement pas libres.<br />

Le journaliste Jan Fairley avait<br />

même lancé : “Les gens avec lesquels<br />

il a travaillé étaient brillants<br />

et lui n’était qu’un imitateur, prenant<br />

leur train en marche.” “Je<br />

n’avais rien, tout a été fait là-bas,<br />

à l’exception de ‘Gumboots’, qui<br />

était écrite avant que j’arrive, rappelle<br />

Simon. S’ils ne comprenaient<br />

pas ce dont je parlais d’un point de vue conceptuel,<br />

une fois qu’on l’avait enregistré et qu’ils venaient<br />

l’écouter en cabine, ils pouvaient voir ce que je<br />

faisais, ce mélange de sons. Je modifiais la<br />

musique en partant de ce qu’ils jouaient, j’ajoutais<br />

des ponts et d’autres choses, pour la rendre<br />

formellement plus proche de quelque chose avec<br />

quoi je serai capable de travailler après l’enregistrement<br />

et qui ressemble à notre musique<br />

populaire. C’était une autre façon de faire des<br />

chansons, pas comme m’asseoir dans ma chambre<br />

avec une guitare et écrire une chanson, méthode<br />

que je ne voulais plus utiliser. Je voulais faire un<br />

disque que j’aimerais et ensuite penser aux chansons,<br />

par opposition à écrire une chanson, aller<br />

en studio, la montrer aux musiciens et, avec un<br />

peu de chance, obtenir le disque que je voulais. La<br />

plupart du temps, le résultat n’était pas satisfaisant.”<br />

L’Afrique du Sud se dirigeant vers l’état<br />

d’urgence, Simon se décide à partir, avec cinq<br />

chansons enregistrées, dont “The Boy in the<br />

Bubble”, “Graceland” et “I Know What I Know”.<br />

Trois mois plus tard, il invite Phiri, Khumalo et le<br />

batteur Isaac Mtshali à New York pour les séances<br />

qui produiront “You Can Call Me Al” et “Under<br />

African Skies”. Après ça, les choses se ralentissent.<br />

Il passe encore du temps en studio, avec l’expatrié<br />

sud-africain Morris Goldberg au penny<br />

whistle et au sax, le joueur de pedal steel de<br />

King Sunny Ade, Demola Adepoju, Don et Phil<br />

Everly et, ravivant la controverse, Linda<br />

Ronstadt, vétéran de Sun City – “Simon utilise<br />

de l’essence pour éteindre des bougies d’anniversaire”,<br />

soutient le critique Nelson George. Il<br />

essaye aussi de rendre cette musique familière<br />

à son public. Presque un an plus tard, après<br />

avoir correspondu avec le chanteur Joseph<br />

Shabalala par courrier, Simon rencontre le<br />

groupe zoulou de chant a cappella Ladysmith<br />

Black Mambazo à Abbey Road. Il y arrange<br />

rapidement et enregistre avec eux ce qui est<br />

sans doute le meilleur argument de vente du LP,<br />

“Homeless”. L’album étant censé sortir en<br />

juin 1986, le groupe de Graceland et Ladysmith<br />

sont programmés dans Saturday Night Live<br />

en mai, mais Warner repousse la date de sortie<br />

à l’automne. Ayant du temps à tuer, l’ensemble<br />

répète une chanson totalement nouvelle,<br />

“Diamonds on the Soles of Her Shoes”, et la joue<br />

pour les téléspectateurs. La réaction est telle<br />

qu’ils retournent illico en studio pour une dernière<br />

séance.<br />

“ LORS DE SA SORTIE,<br />

L’ALBUM SE VENDRA<br />

À 150 000 EXEMPLAIRES<br />

EN AFRIQUE DU SUD ”<br />

Quand le lp sort, il est accueilli<br />

par une approbation quasi unanime…<br />

pendant environ un mois.<br />

Puis les gens commencent à poser<br />

des questions, pas sur le Graceland chanté par<br />

Simon, mais sur l’État paria dans lequel il a enregistré.<br />

Il est traité de profiteur, accusé<br />

d’impérialisme, de viol d’embargo, de légitimer<br />

le gouvernement de l’apartheid et de voler la<br />

musique sud-africaine pour donner un vernis<br />

d’intérêt à des textes “étriqués, comme d’habitude”.<br />

Artists Against Apartheid appelle au<br />

boycott de l’album et les Nations unies menacent<br />

de le mettre sur liste noire, bien qu’il soutienne<br />

n’avoir violé aucun embargo, puisqu’il n’a pas joué<br />

en Afrique du Sud. Cependant, l’avis de Phiri sur<br />

la question de savoir à qui la musique appartient<br />

est plus poétique : “Paul Simon a écrit sur les diamants,<br />

mais il ne possède pas la mine.”<br />

Puis vient la tournée : la présence de Masekela et<br />

Makeba, sur les conseils du premier, donne à la<br />

fois une crédibilité anti-apartheid à Simon et du<br />

grain à moudre aux critiques. Si la presse demandait<br />

au trompettiste pourquoi il était là, dit<br />

Simon, sa réponse était : “Putain, qu’avez-vous<br />

jamais fait, vous personnellement, pour l’Afrique<br />

du Sud ?” Mais le plus inquiétant, peut-être, c’est<br />

que le gouvernement de Pretoria semble adorer<br />

l’album, l’encensant comme une preuve que l’engagement<br />

constructif et – bizarrement – que le<br />

développement séparé fonctionnent. Il se vend<br />

bientôt à 150 000 exemplaires, ce qui en fait le<br />

plus grand succès dans le pays depuis Thriller.<br />

L’affaire, heureusement, se termine<br />

bien. Graceland se vend à<br />

14 millions d’exemplaires dans le<br />

monde ; Ladysmith Black Mambazo<br />

deviennent des superstars, arrivant en tête des<br />

charts internationaux des albums avec leur<br />

best of, The Star and the Wiseman ; Khumalo<br />

reste l’un des hommes à tout faire de Simon pour<br />

les enregistrements et les tournées ; et Phiri se<br />

voit décerner en avril un prix pour l’ensemble de<br />

son œuvre par l’industrie musicale sud-africaine.<br />

Plus important, l’apartheid lui-même s’effondre,<br />

après la libération d’un grand nombre de prisonniers<br />

politiques en 1990. Tout le monde sort<br />

gagnant. Avec le temps, il devient acceptable<br />

pour ceux qui s’étaient regroupés contre l’album,<br />

comme Fairley, Billy Bragg ou Dali Tambo<br />

d’Artists Against Apartheid, d’admettre en aimer<br />

la musique. En 1992, Simon est<br />

invité par le syndicat des musiciens<br />

à jouer en Afrique du Sud et,<br />

après le concert, il rencontre le<br />

futur président du pays au cours<br />

d’une réception de l’ANC. Alors<br />

que dire si Graceland a reçu l’approbation<br />

de Nelson Mandela…<br />

“Je dois dire ceci, dit Herman, pour<br />

beaucoup de ces musiciens, c’est<br />

l’album le plus africain sur lequel<br />

ils aient joué. C’est un fait. C’est ironique, mais<br />

prenez Ray Phiri, vous ne trouverez pas un disque<br />

auquel il ait participé qui soit plus africain, et<br />

Paul Simon a tiré le meilleur de ce mec.”<br />

Vingt ans plus tard, c’est sur la<br />

scène du Hard Rock Festival de<br />

Londres que Simon savoure cette<br />

revanche et célèbre cet album magnifique.<br />

Visionnaire est un métier difficile : “Cela ne<br />

me fait pas tout à fait plaisir”, signalait alors le<br />

chanteur quelques heures avant de monter sur<br />

scène. “Si quelqu’un m’avait dit, ‘Écoute, on ne<br />

veut vraiment pas que tu ailles là-bas,’ je ne pense<br />

pas que j’y serais allé, mais personne ne l’a fait,<br />

donc je n’étais pas conscient de ce qui se passait.<br />

Pour ce qui est des regrets, non, je n’en ai pas, parce<br />

que le dénouement a été heureux.” Le dernier mot,<br />

cependant, appartient à un Sud-Africain.<br />

“Graceland, c’était il y a vingt-cinq ans, dit Phiri.<br />

J’ai la chance de faire partie d’une troupe possédant<br />

une conscience. Peut-être que des erreurs ont<br />

été commises, mais qui sommes-nous pour juger<br />

les autres ? Et je me moque de savoir qui les a<br />

faites, la vérité c’est que nous avons avancé, en<br />

tant que peuple et en tant que pays.”<br />

82 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


ALBUMS .........................P. 84<br />

CINÉMA ..........................P. 90<br />

LIVRES ............................P. 96<br />

Point trop n’en faut !<br />

Produit par Mark Ronson, le plus accessible<br />

des albums du groupe californien.<br />

Queens<br />

of the<br />

<strong>Stone</strong> Age<br />

Villains<br />

Matador<br />

★★★★<br />

Autour du leader-auteur-chanteur-guitariste<br />

Josh Homme : le guitariste Troy Van<br />

Leeuwen, le bassiste Michael Shuman, le<br />

claviériste Dean Fertita et le batteur Jon<br />

Theodore. Ici, pas de copains invités comme Mark<br />

Lanegan ou Dave Grohl. Et au rendez-vous d’un album<br />

s’étant fait attendre depuis … Like Clockwork, paru en<br />

2013. Le terme “villains” ne désigne personne en particulier,<br />

et Homme insiste là-dessus : on a tous besoin d’un<br />

adversaire pour se faire les griffes… À nous de décider<br />

lequel. Or le but de Villains est d’être beau, de redonner<br />

sa fureur de vivre à un rock’n’roll parfois trop stoner pour<br />

briller de sa modernité.<br />

La modernité, c’est la grande obsession de Josh Homme,<br />

malgré ses allures de crooner des années 1960. Et qui<br />

d’autre que Mark Ronson pouvait insuffler du groove à<br />

un sex-appeal déjà prégnant ? Amateur de son tube<br />

“Uptown Funk”, le premier a demandé au second d’intervenir<br />

sur ce septième album, de ne pas changer radicalement,<br />

mais de les aider à se renouveler sans les trahir.<br />

Ronson est un fan avéré du groupe, sur lequel il<br />

transfère ici tous ses fantasmes de producteur, convoquant<br />

les techniques sonores de David Bowie (époque<br />

Iggy Pop), de Captain Beefheart, des Ramones ou encore<br />

de Led Zeppelin. Avec l’appui de Mark Rankin (et<br />

d’Alan Moulder au mixage, plutôt classe), il parvient à<br />

capter totalement les possibilités pop des QOTSA.<br />

Ainsi en témoigne l’ouverture “Feet Don’t Fail Me”, à<br />

l’énergie contagieuse (récupérée des séances d’écriture<br />

avec Iggy Pop sur Post Pop Depression) où s’immiscent<br />

des synthétiseurs – vintage, tout de même, on n’est pas<br />

dans l’âge de pierre par hasard. S’ensuivent “The Way<br />

You Used To”, qui ne lésine pas sur le catchy rockabilly,<br />

“ Domesticated Animals”, dont les relents industriels<br />

évoquant davantage Bristol que la Californie. En revanche,<br />

Homme sait rappeler ses amours punk sur<br />

“Head Like a Haunted House”.<br />

Pour conclure les festivités, s’impose le psyché électrique<br />

de “Villains of Circumstances”, dont le grain se<br />

montre aussi palpable que le sable du désert. Fier,<br />

sensuel, doté de guitares lancinantes, il affirme la nature<br />

intemporelle de QOTSA avant que Josh Homme<br />

joue de sa gouaille de crooner sur l’incandescent<br />

“The Evil Has Landed”.<br />

SOPHIE ROSEMONT<br />

Illustration par ALAIN FRÉTET<br />

rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 83


GUIDEMUSIC<br />

Yan Wagner<br />

This Never Happened<br />

Her Majesty Ship / Pias<br />

★★★<br />

Confirmation réussie<br />

pour le crooner électro<br />

Il nous avait déjà séduits<br />

avec son premier album<br />

solo Forty Eight Hours,<br />

en 2012, produit par<br />

Arnaud Rebotini, petit<br />

bijou de pop glaciale<br />

et sophistiquée sous<br />

influence new wave.<br />

Le revoici avec sa manière<br />

singulière de manipuler<br />

l’électronique afin<br />

de raconter “un recueil<br />

d’histoires qui ne sont<br />

jamais arrivées. Dix<br />

pistes comme autant<br />

de fausses pistes parlant<br />

d’amours vaines,<br />

d’équipées nocturnes,<br />

de la vie et de la vérité<br />

qui ne tiennent qu’à un fil.”<br />

En effet, de l’instrumental<br />

“This Never Happened”<br />

à la délicatesse ténébreuse<br />

de “A Place Nearby”, Yan<br />

Wagner invente un univers<br />

sombre qui rappelle<br />

Dave Gahan comme Ian<br />

Curtis. Point d’orgue ? Le<br />

dandysme synthétique et<br />

mélancolique de “No Love”.<br />

S. R.<br />

Jake Bugg<br />

Hearts That Strain<br />

Mercury/Universal<br />

★★★½<br />

Le “gamin” de<br />

Nottingham se fait<br />

stratège de l’utilisation<br />

de ses dons<br />

Cinq années ont passé<br />

depuis la révélation d’un<br />

premier album ébouriffant.<br />

Sauf que quand on passe<br />

de 18 à 23 ans, c’est bien<br />

plus qu’un quinquennat !<br />

Bref, désormais, Jake<br />

Bugg ne laisse rien<br />

au hasard. Troubadour<br />

folk, détrousseur<br />

d’une rétro-pop qui<br />

The National<br />

Sleep Well Beast<br />

4AD<br />

★★★★<br />

7 est un chiffre porte-bonheur<br />

S’ouvrant sur la majestueuse ballade “Nobody<br />

Else Will Be There”, le septième album<br />

du groupe américain nous séduit d’emblée,<br />

avec, toujours, le chant merveilleusement traînant<br />

de Matt Berninger. Les titres suivants viennent<br />

confirmer le rock à la fois épique, irrémédiablement<br />

mélancolique et cérébral de The National, dont<br />

les membres ont pourtant été très occupés ces<br />

derniers mois. Bryce Dessner avec ses projets<br />

solos et Planetarium (ambitieux projet mené avec<br />

Sufjan Stevens), mais aussi le festival Haven,<br />

au Danemark, créé avec son frère Aaron, tandis<br />

que Matt collaborait, lui, avec l’association Planned<br />

Parenthood. Se retrouvant pour de longues sessions<br />

dans leur studio de l’Hudson, entre eau et verdure,<br />

ils ont su rassembler leurs (bonnes) idées pour<br />

l’un de leurs meilleurs disques à ce jour. Lancé par<br />

la ballade en suspension “Nobody Else Will Be<br />

There”, l’album se concentre d’emblée sur un rock<br />

profondément mélancolique, construit en couches<br />

superposées, avec des titres lancinants comme<br />

“Day I Die” ou “Walk it Back”. Si on se réjouit<br />

d’entendre The National en grande forme électrique<br />

sur “Turtleneck”, on les préfère sur des tonalités<br />

plus douces comme dans “Born to Beg” ou “Guilty<br />

Party” : c’est dans l’introspection que le groupe<br />

américain témoigne de sa force artistique…<br />

mais sans se départir pour autant de sa tension<br />

émotionnelle, comme c’est le cas dans “I’ll Still<br />

Destroy You”.<br />

SOPHIE ROSEMONT<br />

dépoussiérerait ses<br />

oripeaux psychédéliques,<br />

ou énième bouture de<br />

la northern soul anglaise,<br />

rien ne lui semble<br />

interdit. D’où un début<br />

d’agacement quand<br />

il se laisse aller à trop<br />

de facilité (ce “Waiting”<br />

sirupeux ou ce “Man on<br />

Stage” où on jurerait qu’il<br />

se cherche son “chanteur<br />

abandonné” à lui).<br />

Bugg n’est jamais aussi<br />

convaincant que lorsqu’il<br />

privilégie la profondeur<br />

ou le plus abstrait dans<br />

ses envies poétiques<br />

(“In the Event of My<br />

Demise”, “Indigo Blue”).<br />

Maintenant, si le but<br />

recherché est d’emballer<br />

tout ce qui bouge, ça<br />

devrait continuer à bien<br />

se passer ! Après tout, c’est<br />

de son âge… XAVIER BONNET<br />

Washington<br />

Dead Cats<br />

Live Under the Creole<br />

Moon<br />

Devil Deluxe Music/PIAS<br />

★★★★<br />

Double Wash', double fun<br />

Juste trente-trois ans<br />

à attendre l'album live<br />

des Wash', il était temps !<br />

Du coup, Mat Firehair<br />

et ses sbires on fait les<br />

choses en grand : double<br />

album, carrément. Un<br />

CD électrique enregistré<br />

au Nancy Jazz Pulsations<br />

et un CD acoustique saisi<br />

au Tiger's Manor pour une<br />

webTV. Tous les “Pizza<br />

Attack”, “I'm a Dead Cat”<br />

et autres “Napalm Surf”<br />

sont là, l'énergie aussi, la<br />

connivence avec le public<br />

fonctionne. Et puis le<br />

psychobilly est festif et la<br />

fête, ça les connaît. J'avoue<br />

avoir un goût particulier<br />

pour la face acoustique.<br />

La contrebasse de LouRIP<br />

n'y est pas pour rien, elle<br />

danse à tous les étages,<br />

et les cuivres mettent<br />

les accents là où il faut.<br />

On est plus près du rockab'<br />

que du punkabilly, mais<br />

ça n'empêche pas la reprise<br />

de “Too Drunk To Fuck”<br />

des Dead Kennedys. La fête<br />

du mois. SILVÈRE VINCENT<br />

Gregg Allman<br />

Southern Blood<br />

Concord/Universal<br />

★★★½<br />

Avant de tirer sa<br />

révérence, la légende des<br />

Allman Brothers a laissé<br />

un superbe témoignage.<br />

Ça ne devait pas<br />

forcément être un album<br />

posthume, même si<br />

son enregistrement était<br />

rythmé par un état de<br />

santé fragilisé. Le sort,<br />

et surtout un cancer<br />

du foie contre lequel Gregg<br />

Allman se battait depuis<br />

des années, en ont décidé<br />

autrement en mai dernier.<br />

Qu’il soit en revanche<br />

l’ultime effort d’une<br />

carrière et d’une vie, ça,<br />

tout le monde s’y était<br />

préparé. C’est d’ailleurs<br />

beaucoup cette vie<br />

qu’Allman passe ici en<br />

revue, métaphoriquement,<br />

à travers une majorité de<br />

reprises. Duane, ce frère<br />

trop tôt disparu, n’est<br />

jamais très loin, notamment<br />

sur ce “My Only True<br />

Friend” introductif et sur<br />

le “Song for Adam” de<br />

Jackson Browne, qui clôt<br />

l’album. Entre les deux,<br />

Allman s’immisce dans<br />

les univers de Tim Buckley,<br />

Bob Dylan (“Going<br />

Going Gone”, prenant),<br />

Grateful Dead ou Lowell<br />

George. Farewell and alive,<br />

en quelque sorte. X. B.<br />

Micah P. Hinson<br />

Presents the Holy<br />

Strangers<br />

Full Time Hobby / PIAS<br />

★★★<br />

Conte folk<br />

“Un folk opéra moderne” :<br />

voilà comme Micah<br />

P. Hinson présente, avec<br />

un sens de la synthèse,<br />

son nouveau disque. Et<br />

c’est plutôt beau. Le temps<br />

de 14 pistes, il raconte la<br />

vie, les bonheurs et surtout<br />

les malheurs d’une famille<br />

en temps de guerre.<br />

De la déception au deuil,<br />

de l’enfantement à la<br />

disparition, le guitariste<br />

s’empare du registre<br />

country pour traduire<br />

l’exact contraire de<br />

l’American Dream.<br />

Plombant ? Non, car les<br />

mélodies qu’il sait faire<br />

siennes absorbent<br />

l’auditeur, autant que<br />

sa voix rauque. Mentions<br />

spéciales à la ballade<br />

des grands espaces<br />

“The Great Void”,<br />

l’instrumental cerné de<br />

violons “The Years Tire On”<br />

ou à la narration musicale<br />

de “Micah, Book One”. S. R.<br />

© GRAHAM MACINDOE. DR.<br />

84 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…


Oyster's Reluctance<br />

Insignificant<br />

The War on Drugs<br />

A Deeper Understanding<br />

Triggerfinger<br />

Colossus<br />

Downtown Boys<br />

Cost of Living<br />

No Tone<br />

★★★<br />

Sombre et lourde tension<br />

Deuxième EP du groupe après<br />

le Sick Sad World de 2013,<br />

cet In sig n ifi c a nt enfonce le clou<br />

là où ça fait du bien. Tout en<br />

approfondissant leur côté face<br />

metal, le trio ne quitte pas son côté<br />

pile expérimental. Des titres comme<br />

“Degraded” ou “Bulging Eyes”<br />

nous entraînent sur les territoires<br />

défrichés par Kill the Thrill, voire<br />

Ministry, et qu'on retrouve, par<br />

exemple, dans Royal Blood, le<br />

groupe hype du moment. Oyster's<br />

Reluctance prend à ces derniers<br />

la formation minimale – juste une<br />

basse et une batterie – à laquelle<br />

ils ont ajouté la voix puissante et<br />

sombre de TomPao. Eux-mêmes<br />

définissent leur musique comme<br />

un “rock anaphylactique”, le<br />

choc du même nom venant d'un<br />

mécanisme d'hypersensibilité<br />

immédiate. C'est dire si on n'est pas<br />

dans une franche rigolade. Ce qui<br />

frappe dans la musique de O'sR,<br />

c'est cette capacité, comme dans<br />

“Greed”, à passer d'une ambiance<br />

étriquée maladive à une ampleur<br />

digne des stades. Reste que<br />

cinq titres, même longs, c'est trop<br />

court. Encore ! SILVÈRE VINCENT<br />

Atlantic/Warner<br />

★★★★<br />

L’Americana plus que jamais<br />

érigée en mur du son.<br />

Lost in the Dream, le précédent<br />

album, en avait singulièrement<br />

posé les bases, mais c’est<br />

désormais entériné : il n’est<br />

plus nécessaire de s’accrocher<br />

à ce qui peut sortir de la guitare<br />

d’Adam Granduciel pour se<br />

laisser embarquer, bringuebaler,<br />

par le grand chambardement<br />

musical de The War on Drugs.<br />

Certes, celle-ci n’a rien perdu<br />

de ses envolées et déchirements,<br />

mais c’est davantage les<br />

cathédrales sonores qu’il bâtit<br />

avec le groupe sur chacune<br />

des dix étapes de ce nouveau<br />

voyage dans une Americana<br />

dont il explose les bordures<br />

qui comblent d’aise. L’allant<br />

de “Holding On”, le lyrisme<br />

enivrant de “Strangest Thing”,<br />

les reliefs de “Knocked<br />

Down”, la pop transcendée de<br />

“Nothing To Find” et les onze<br />

minutes du périple à lui seul<br />

de “Thinking of a Place”,<br />

contrepoints parfaits de textes<br />

pouvant virer au lugubre,<br />

nous tiendront bien au chaud<br />

cet hiver…<br />

XAVIER BONNET<br />

Mascot/Wagram<br />

★★★<br />

Le trio belge s’ouvre à de<br />

nouveaux horizons sans<br />

perdre de vue son rock cossu…<br />

Au risque de ne pas se faire<br />

des amis auprès du groupe<br />

– pas taper, Monsieur Paul, pas<br />

taper ! –, on osera avancer que<br />

c’est essentiellement sur scène<br />

que le trio d’Anvers a toujours<br />

su donner sa pleine mesure,<br />

ses albums ne parvenant jamais<br />

tout à fait à en égaler le charme<br />

et la puissance de feu. Sans<br />

non plus s’avérer la “virée<br />

de nuit dans une attraction<br />

de Disneyland” que nous<br />

promet l’argument commercial,<br />

Colossus est l’occasion pour<br />

Triggerfinger de montrer<br />

une autre facette de son garage<br />

rock flamboyant. Via l’ajout<br />

d’éléments et instruments<br />

inhabituels pour lui (samples,<br />

percussions), il parvient<br />

à se faire tour à tour catchy<br />

(le single “Flesh Tight”) ou<br />

plus expérimental (le presque<br />

iggypopien “Bring Me Back a<br />

Live Wild One”, un “Steady Me”<br />

qui part un peu dans tous les<br />

sens). Bref, plus seulement une<br />

boîte à riffs et à rythmes… X. B.<br />

SubPop/PIAS<br />

★★★½<br />

Retour aux sources<br />

Retour au punk-rock chez<br />

SubPop avec ce troisième album<br />

– mais premier sur le label –<br />

des Downtown Boys. Qui plus<br />

est, un punk-rock engagé<br />

à gauche, antisuprématisme<br />

mâle et blanc. Leur précédent<br />

album s'appelait Full Communism,<br />

pour expliquer la chose rare<br />

aux États-Unis. Dans le même<br />

esprit, ce Cost of Living est<br />

produit par Guy Picciotto, juste<br />

le guitariste des activistes de<br />

Fugazi. Du coup, musicalement,<br />

c'est surtout du côté du groupe<br />

de Washington qu'on trouvera<br />

les racines de “Lips That Bite”,<br />

“It Can't Wait” ou “Because<br />

You”. Et s'il n'y avait des<br />

interventions rares du saxo<br />

de Joe DeGeorge, on serait<br />

dans une filiation pure malgré<br />

le chant de Victoria Ruiz qui<br />

rappelle toute cette scène<br />

post-hardcore américaine.<br />

Pas vraiment de mélodies, mais<br />

une colère évidente dans des<br />

textes comme ceux de “Violent<br />

Complicity” ou “A Wall”. À voir<br />

sur scène, sans retenue, comme<br />

une évidence. S. V.<br />

JAZZ<br />

Tony Allen<br />

The Source<br />

Blue Note<br />

Pour son premier album sur Blue Note<br />

(il était temps : l’animal affiche 76 printemps !),<br />

Tony Allen a mis les petits plats dans<br />

les grands, et convoqué – entre autres –<br />

cinq redoutables souffleurs pour réaliser<br />

son grand œuvre : un ambitieux voyage musical entre l’Afrique<br />

des tambours ancestraux et de l’hypnotique afro-beat et l’Amérique<br />

du jazz de Max Roach ou de Art Blakey (auquel notre homme<br />

a consacré un LP au début de l’année). Le résultat, aussi surprenant<br />

que séduisant, nous entraîne dès le premier titre en terres inconnues.<br />

Avec The Source, l’immense batteur de Fela, toujours sur la brèche<br />

de nouvelles expérimentations, explore sur des beats vertigineux<br />

un hallucinant métissage où chacun (y compris Damon Albarn, qui<br />

vient pianoter 3 minutes) y cherchera les siens. PHILIPPE BLANCHET<br />

Charnett Moffett<br />

Music From Our Soul<br />

Motema/PIAS<br />

S’il fallait encore aujourd’hui une marque<br />

supplémentaire de l’incroyable éclectisme<br />

musical de Charnett Moffett (considéré<br />

à juste titre comme un des meilleurs bassistes<br />

de sa génération), cet album contrasté aurait<br />

des allures de démonstration. En rassemblant sur le même disque des<br />

titres live gravés à New York (avec son trio habituel, featuring le pianiste<br />

Cyrus Chestnut et le batteur Victor Lewis) et à Seattle (aux côtés du<br />

mythique Pharoah Sanders, plus lyrique et déchaîné que jamais derrière<br />

sa barbiche blanche), avec des enregistrements studio en compagnie<br />

du grand guitariste Stanley Jordan, Moffet signe un album aux multiples<br />

facettes (du free à la fusion en passant par des choses beaucoup plus<br />

classiques, comme une reprise d’Ellington), à l’image de sa carrière.<br />

Un puzzle éclatant. P. B.<br />

Septembre <strong>2017</strong><br />

★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…


GUIDEMUSIC<br />

Nine Inch Nails<br />

Add Violence<br />

Caroline/Universal<br />

★★★½<br />

Un second EP en un an<br />

pour un Trent Reznor<br />

plus noir que jamais<br />

Bien sûr, depuis le<br />

temps, on devrait y être<br />

habitué. N’est-ce d’ailleurs<br />

pas ce que l’on croyait,<br />

d’évidence naïvement ?<br />

Habitué et un peu revenu.<br />

Triturer les angoisses,<br />

les siennes mais aussi<br />

celles des autres par<br />

ricochet, ériger des murs<br />

musicaux qui sonnent<br />

comme autant de cellules<br />

d’internement, Trent<br />

Reznor persiste et signe.<br />

Dans les mots et dans<br />

les sons, chaque instant<br />

de ces cinq chapitres<br />

cauchemardesques<br />

supplémentaires confine<br />

à la suffocation, quels que<br />

soient les outils privilégiés,<br />

électroniques ou non, pour<br />

cette mise en abîme. Les<br />

loops de “The Background<br />

World”, répétées au fur et<br />

à mesure que la distorsion<br />

prend le dessus, l’illustrent<br />

à merveille : pour ce<br />

qui est de l’aliénation,<br />

Trent Reznor en a encore<br />

dans le ventre. On ressort<br />

de ces 27 minutes rincé,<br />

chancelant. X. B.<br />

Mogwai<br />

Every Country’s Sun<br />

Rock Action Records / PIAS<br />

★★★½<br />

Glorieux post-rock<br />

Déjà vingt-deux ans<br />

de carrière pour l’un<br />

des groupes écossais<br />

les plus intègres, pour qui<br />

le post-rock est un vaste<br />

terrain de jeux dont il faut<br />

sans cesse retourner la<br />

terre. Pour ce neuvième<br />

album imaginé entre Berlin<br />

et Glasgow et en grande<br />

partie enregistré dans<br />

Steve Earle & The Dukes<br />

So You Wannabe an Outlaw<br />

New West ★★★★<br />

Hors-la-loi ? Un métier, mon bon monsieur !<br />

On visualise parfaitement Steve Earle,<br />

derrière ses Wayfarer, dire au gosse en face<br />

de lui “Alors tu veux être un hors-la-loi ?<br />

Tu n’as qu’à me regarder faire...”, lui qui était le poulain<br />

du mouvement Outlaw, au début des années 1970,<br />

quand les jeunes chanteurs de country music ont<br />

commencé à chanter autre chose que la beauté des<br />

Rocky Mountains et la tarte aux myrtilles de Tante<br />

Sally-Rose pour se mettre à parler de la solitude,<br />

des vies gâchées, du destin, de la mort… Ces gars-là<br />

s’étaient mis hors-la-loi de l’école country. La tracklist<br />

de So You Wannabe an Outlaw est un vrai plan<br />

de route avec une production ouverte, live et rageuse,<br />

emmenée par ses fidèles Dukes, des folks qui<br />

strumment et des électriques lancées à bloc qui<br />

remorquent efficacement pedal-steels et violons<br />

country jusqu’à un “Fixin’ to Die”, carrément rock<br />

(tendance légèrement road-house). Entre rythmiques<br />

inarrêtables et micros crunchy comme il faut<br />

aux accents parfois seventies, le récit reste toujours<br />

d’un État du Sud à l’autre. Puis, comme à l’arrivée<br />

d’un voyage, le disque défait ses bagages et laisse<br />

admirer la vue et repenser au passé. Steve Earle porte<br />

la rédemption jusque dans ses austères chemises.<br />

La deuxième partie de ce 12-steps-program, bien plus<br />

traditionnelle, classique et posée, est un rappel direct<br />

à sa maîtrise parfaite du genre et à ses maîtres Townes<br />

Van Zandt (à qui il avait consacré le sublime Townes,<br />

album de reprises en 20<strong>09</strong>) et Guy Clark. Le dernier<br />

titre, “Goodbye Michelangelo”, est d’ailleurs dédié<br />

à ce dernier, même si, quatre morceaux avant, “The<br />

Girl From the Mountain” sonnait déjà terriblement.<br />

Comme le “L.A. Freeway” de Clark, qui ouvrait en 1975<br />

le formidable Heartworn Highways… et à la fin duquel<br />

un Steve de 20 ans entonnait “Silent Night” avec<br />

son maître et d’autres disciples, au milieu des lampes<br />

à pétrole et des bouteilles bientôt vides. CHARLES BLOCH<br />

l’État de New York<br />

avec leur complice Dave<br />

Fridmann, Mogwai reste<br />

à l’affût de son inspiration,<br />

cherchant toujours à<br />

envisager notre quotidien<br />

via d’autres dimensions.<br />

Mué d’une énergie<br />

presque rageuse, “Party<br />

in the Dark” refuse la<br />

mélancolie de l’obscurité<br />

tandis qu’au rock épique<br />

de “Brain Sweeties”<br />

succède l’expérience<br />

brumeuse de “1 000 Foot<br />

Face”. Enfin, “Every<br />

Country's Sun” impose<br />

son foisonnement et<br />

sa catharsis émotionnelle.<br />

On s’incline. S. R.<br />

Motörhead<br />

Under Cöver<br />

Silver Linings Music/Motörhead Music<br />

★★★<br />

Retour de flamme<br />

On attendait l'album<br />

acoustique de Lemmy, nous<br />

voilà avec une compilation<br />

de reprises jouées par<br />

Motörhead. On se retrouve<br />

partagé entre la joie de<br />

réentendre le feulement<br />

de notre “Saigneur”<br />

et la déception devant<br />

la tracklist : les titres sont<br />

tous connus des fans,<br />

ou presque ! Au hasard :<br />

“Cat Scratch Fever” de Ted<br />

Nugent extrait de March<br />

ör Die (1992), “God Save the<br />

Queen” des Sex Pistols pris<br />

dans We Are Motörhead<br />

(2000), l'énorme “Sympathy<br />

for the Devil”, dernier titre<br />

de Bad Magic, ultime album<br />

studio de 2015, etc. Et pas<br />

de “It's a Long Way to the<br />

Top” d’AC/DC, de “Hoochie<br />

Coochie Man” de Willie<br />

Dixon, de “Louie Louie”<br />

de Richard Berry… Pourquoi<br />

ces “cövers” et pas les<br />

autres ? On aurait voulu au<br />

moins un album exhaustif,<br />

non ? Quel intérêt pour les<br />

adeptes qui ont déjà tout ?<br />

Et quel intérêt pour les<br />

novices ? Bien sûr, il y a<br />

UN titre jamais entendu :<br />

la version de “Heroes”<br />

de David Bowie tirée de la<br />

dernière séance de studio.<br />

Très bien mais un peu court,<br />

non ? Reste toujours la<br />

version coffret de luxe avec<br />

CD, vinyle, goodies... S. V.<br />

Jen Cloher<br />

Jen Cloher<br />

Milk Records<br />

★★★½<br />

Rockeuse<br />

made in Melbourne<br />

Une guitare malmenée,<br />

une batterie abrupte,<br />

un chant-parlé hérité des<br />

années 1990 américaines :<br />

Jen Cloher pourrait être<br />

considérée comme<br />

la Joan as Police Woman<br />

australienne, au francparler<br />

sans vulgarité et à<br />

l’affirmation de soi presque<br />

déstabilisante. Pas besoin,<br />

donc, d’une relation<br />

amoureuse avec la rockeuse<br />

la plus en vie du pays.<br />

Courtney Barnett, pour<br />

faire parler d’elle – même<br />

si le couple ne cesse de<br />

collaborer et de s’échanger<br />

ses guitares. N’ayant<br />

d’autres prétentions que de<br />

livrer un vrai bon album de<br />

classic rock, avec le moins<br />

de fioritures possible, Cloher<br />

réussit son coup avec ces<br />

onze titres taillés à la serpe<br />

où elle se raconte, à travers<br />

son art, son pays, et ses<br />

rêves pas encore réalisés.<br />

Passionnant.<br />

S.R.<br />

Sugaray Rayford<br />

The World That We Live<br />

In<br />

Blind Faith Records/Differ-ant<br />

★★★<br />

Une soul à la fois vintage et<br />

moderne et la redécouverte<br />

d’une voix…<br />

Le label italien Blind Faith –<br />

et derrière lui le producteur<br />

romain Luca Sapio qui signe<br />

ici tous les textes et toutes<br />

les musiques – se sentirait-il<br />

des velléités de devenir<br />

le Daptone européen ?<br />

Après avoir relancé la<br />

carrière de Martha High,<br />

l’ancienne choriste de<br />

James Brown, voilà qu’il<br />

nous (res)sort des fagots<br />

un géant texan (1,96 m)<br />

au gosier tonitruant. Et<br />

dans le monde dans lequel<br />

nous vivons, mis en exergue<br />

à travers le titre de l’album,<br />

la soul incandescente et le<br />

blues lancinant de Sugaray<br />

Rayford trouvent autant leur<br />

voix que leur voie. À l’aube<br />

de la cinquantaine, Canon<br />

Nimoy Rayford – son nom<br />

à l’état civil – décline ses<br />

tourments et ses réflexions<br />

sur l’existence et le fait<br />

plus que bien. Il sera<br />

toujours temps de rallumer<br />

son incontournable cigare<br />

un peu plus tard… X. B.<br />

© MARK HUMPHREY. DR.<br />

86 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr ★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…


© DUFFY ARCHIVE. DR.<br />

David Bowie<br />

A New Career in a New Town, 1977-1982<br />

Parlophone<br />

★★★★★<br />

Troisième volume des œuvres complètes de Bowie, ce coffret<br />

rassemble pépites rares et classiques remasterisés. Indispensable !<br />

Le bien nommé coffret A New Career in a New Town, 1977-1982,<br />

troisième volume des œuvres complètes de David Bowie,<br />

reflète la phase la plus expérimentale de sa carrière. Celle<br />

où, après sa période pop-soul américaine, l’ange blond remet les<br />

compteurs à zéro en s’installant à Berlin, où il bénéficie d’un quasianonymat<br />

bienvenu. Celle où il se débarrasse également des costumes<br />

encombrants de ses avatars. Celle, surtout, où accompagné de<br />

Brian Eno et de Tony Visconti, influencé par le krautrock et le film<br />

Metropolis de Fritz Lang, il invente la post-new wave avant même<br />

que la new wave n’ait eu l’idée d’exister. On retrouve évidemment<br />

la fascinante “trilogie berlinoise”, composée des albums Low,<br />

Heroes et Lodger – ce dernier bénéficiant d’un nouveau remix inédit<br />

signé Tony Visconti qui, avec la bénédiction de Bowie juste avant<br />

sa disparition, est retourné au studio Hansa berlinois afin, dixit<br />

l’intéressé, “d’apporter plus de nuances aux bandes originales.”<br />

Le double album Stage, enregistré durant la tournée Isolar II<br />

en 1978, bénéficie également d’un remastering bienvenu, qui lui<br />

confère enfin une réelle dimension live que le mixage initial avait<br />

par trop gommée, au profit de la restitution des effets sonores.<br />

Outre un sympathique EP “Heroes”, qui célèbre le 40 e anniversaire<br />

de la chanson et qui réunit pour la première fois les différentes versions<br />

albums et singles chantées en allemand et en français, le fan dénichera<br />

le véritable graal dans le CD d’inédits Re:Call 3. Lequel propose<br />

l’intégralité de l’adaptation musicale de la pièce de Bertolt Brecht, Baal,<br />

enregistrée par Bowie pour la BBC en septembre 1981. Ce chef-d’œuvre<br />

méconnu, à écouter au casque pour des frissons garantis, figure parmi<br />

les meilleures performances vocales de l’artiste. Notamment sur le titre<br />

“The Drowned Girl”, dédié à la révolutionnaire Rosa Luxemburg, où<br />

il déploie une technique impressionnante et une sensibilité authentique<br />

qui le hissent sans conteste au niveau des prouesses de Frank Sinatra<br />

dans les années 1950. Autre pépite improbable, “Crystal Japan”. Non,<br />

il ne s’agit pas d’une drogue en provenance de l’Empire du Soleil levant,<br />

mais bien d’une plage instrumentale spatiale composée par Bowie<br />

en 1979 pour une publicité – dans laquelle il apparaît – vantant<br />

les mérites de Crystal Jun Rock, une marque de saké. Uniquement<br />

publié à l’époque au Japon en format single, ce pur joyau ambient<br />

fut un temps pressenti pour clore, à la place de “It’s No Game”, l’album<br />

Scary Monsters (and Super Creeps), dernier volume studio du coffret,<br />

enregistré à New York et à Londres en 1980. Les deux premiers singles<br />

extraits, “Ashes to Ashes” où il enterre définitivement le Major Tom<br />

et “Fashion”, qui préfigure son virage dancefloor, lui permettent de<br />

renouer avec le succès – les trois albums “berlinois”, malgré un accueil<br />

critique favorable, n’ayant pas séduit les foules. Trois ans plus tard,<br />

Let’s Dance grimpera en tête des charts du monde entier… Mais ceci est<br />

une autre affaire, qui fera l’objet d’un quatrième coffret ! DENIS ROULLEAU<br />

VINYLES<br />

Muddy Waters<br />

The Best of<br />

Chess records ★★★★★<br />

C’est un peu à cause de ce best of que deux jeunes Anglais fans de blues,<br />

Mick Jagger et Keith Richards, ont renoué connaissance sur le quai de<br />

la gare de Richmond, au tout début des sixties, peu de temps de rejoindre<br />

le groupe d’un certain Brian Jones. La bible, en quelque sorte, telle<br />

qu’écrite par Muddy Waters, alias McKinley Morganfield, né dans le<br />

Mississippi en 1915, découvert à 28 ans par le musicologue Alan Lomax,<br />

dans une plantation de coton… Émigrant à Chicago, il métamorphose<br />

le son profond rural du blues en le rendant urbain, extatique et amplifié…<br />

Ici, rien que des morceaux qui ont forgé sa légende : “I Just Want To Make<br />

Love to You”, “Hoochie Coochie Man”, “I’m Ready” – trois monuments<br />

signés Willie Dixon. Et puis tous les autres, “I Can’t Be Satisfied”, “Louisiana<br />

Blues”, “Honey Bee” et, bien sûr, “Rollin’ <strong>Stone</strong>”. Un LP qui a changé<br />

l’histoire. Et pas seulement à cause des <strong>Stone</strong>s. ALAIN GOUVRION/ GIULIA BLUE<br />

James Brown<br />

Live at the Apollo<br />

Polydor ★★★★★<br />

Octobre 1962. James Brown, “the hardest man working in showbusiness”,<br />

investit la scène de l’Appolo Theater de Harlem, qu’il a loué<br />

à ses frais. Les Famous Flames sont au taquet et le Maestro déverse<br />

toute l’émotion de sa sensuelle soul, le temps d’un show qui va rester<br />

gravé dans l’histoire. “I’ll Go Crazy”, blues cuivré empli de chœurs<br />

gospel, donne le coup d’envoi. Gorgé de swing, tout comme ce “Think”<br />

qui emporte tout sur son passage, avant le prodigieux meddley qui<br />

va suivre (“Please, Please, Please/You’ve Got the Power”, etc.). Sax<br />

jazzy, rythmiques funky, voix de grand fauve blessé, Mister Dynamite<br />

s’ouvre un nouveau public au cœur de New York City. Les filles hurlent<br />

de plaisir… et James Brown écrit sa légende en lettres de néon sur<br />

le fronton de l’Appolo pour l’éternité.<br />

THOMAS GRIMAUD<br />

Little Richard<br />

The Fabulous Little Richard<br />

Specialty ★★★<br />

DITES 33<br />

La sélection de la rédaction avec les magasins Cultura…<br />

À cette époque (1958), Little Richard a déjà enregistré l’essentiel<br />

de ses classiques (“Tutti Frutti”, “Long Tall Sally”, “Jenny Jenny”,<br />

“Rip It Up”, “Ready Teddy”, etc.) et décidé d’abandonner le rock’n’roll,<br />

cette autre musique du diable, pour se consacrer à la religion – six mois<br />

après la sortie de ce troisième album, il enregistrera d’ailleurs un<br />

disque de gospel. À la réécoute de The Fabulous Little Richard, cette<br />

métamorphose n’est pas aussi probante que ça, notre héros lâchant<br />

une salve de morceaux incandescents à la hauteur de sa sulfureuse<br />

réputation, au milieu desquels émergent le “Shake a Hand” de<br />

Joe Morris, “Whole Lotta Shakin’ Goin’ On” de Dave “Curlee” Williams<br />

déjà repris l’année précédente par Jerry Lee Lewis et le mythique<br />

“Kansas City” de Leiber-Stoller qu’il avait déjà enregistré en 1956<br />

et dont les Beatles s’empareront dans Beatles for Sale (1964).<br />

A-bop-bop-a-loom-op a-lop-bop-boom ! A. G.<br />

Serge Gainsbourg<br />

London Paris 1963-1971<br />

Mercury ★★★★<br />

Entre le beau Serge et l’Angleterre, l’histoire d’amour a été au<br />

beau fixe, notre génial songwriter ayant souvent pris ses quartiers<br />

au cœur du Swinging London pour graver quelques-unes de ses<br />

plus belles compositions au tournant des sixties-seventies.<br />

C’est donc le Gainsbourg pop (et des années B.B.) qu’on retrouve<br />

au fil de cette récente compilation thématique qui aligne les hits<br />

inoxydables (“69, année érotique”, “Qui est ‘In’ Qui est ‘Out’”,<br />

“Docteur Jekyll et Monsieur Hyde”, “L’Anamour” et bien sûr<br />

“Je t’aime… Moi non plus”)… mais aussi quelques raretés comme<br />

la musique du film La Horse (1970, avec Jean Gabin) ou un “Vilaine<br />

Fille Mauvais Garçon” délicieusement yéyé. T. G.<br />

Septembre <strong>2017</strong><br />

★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…


SUPER TREND<br />

SON&OBJETS<br />

Par PIERRE STEMMELIN<br />

Lacroix x Brian Kenny<br />

Écusson d'une secte cabalistique ? Emblème d'un<br />

nouveau groupe de metal gothique ? Non, c'est<br />

la maison Christian Lacroix qui fête ses 30 ans.<br />

À cette occasion, son directeur de la création,<br />

Sacha Walckhoff, s’est associé à l’artiste<br />

new-yorkais Brian Kenny pour créer une<br />

collection capsule très arty de sacs, bandanas,<br />

T-shirts et sweats reprenant les codes tribalobaroques<br />

de la marque. Prix non communiqué.<br />

OPEN ROAD<br />

MICROLINO<br />

Revival électrique<br />

La Microlino fleure bon les années 1950 et son<br />

style fait penser à celui des anciens scooters<br />

Vespa ou de la Fiat 500 originale. Normal, car<br />

elle s'inspire directement de l'Isetta de l'Italien<br />

ISO Rivolta, un des véhicules urbains les plus<br />

populaires de l'après-guerre, qu'appréciaient<br />

tant Elvis Presley ou Cary Grant. Cette version<br />

<strong>2017</strong> ne tourne plus à l'essence, mais bien<br />

à l'électricité. C'est une deux-places. Elle<br />

conserve son ouverture par l'avant et ajoute<br />

un toit décapotable. Conçue par une société<br />

suisse, elle entrera en production en fin<br />

d'année et il est déjà possible de la réserver.<br />

Son autonomie sera d'environ 120 km/h<br />

et sa vitesse de pointe atteindra 90 km/h.<br />

Parfait pour les déplacements courts en ville,<br />

à la campagne ou en bord de mer. 12 000 €<br />

Helly Hansen Icon Jacket<br />

Avec ce blouson, vous ressemblerez à un<br />

biker de manga. Helly Hansen, spécialiste<br />

des équipements de sport et des tenues<br />

professionnelles, y a mis des technologies<br />

empruntées au monde du sport automobile.<br />

Cette veste waterproof, windproof<br />

et respirante, intègre le nouveau système<br />

breveté de thermorégulation H2Flow. 800 €<br />

HI-GADGET<br />

STIR IT UP / HOUSE OF MARLEY<br />

Une platine qui envoie du bois<br />

Dans la famille Marley, le recyclage on connaît. Aussi lorsque Rohan, le fils de Bob, créateur<br />

de la marque House of Marley, conçoit une platine vinyle, il la baptise d'une des chansons<br />

emblématiques du king du reggae et la pense écolo. La Stir it Up s'habille donc de chanvre<br />

et s'équipe d'une base en bambou. Son plateau tourne-disque est en aluminium recyclé<br />

tandis que le couvre-plateau est en silicone lui aussi recyclé. Cela n'empêche pas cette platine<br />

d'avoir une approche technique sérieuse et audiophile. Son entraînement se fait par courroie<br />

et sa cellule est un modèle de bonne facture de chez Audio-Technica. 250 €<br />

Faguo Lebanon<br />

Un bon classique pour attaquer l'automne,<br />

puis passer l'hiver : la bottine en daim. Faguo,<br />

marque française engagée dans le reboisement,<br />

qui a déjà fait planter plus de 700 000 arbres<br />

pour compenser ses émissions en CO 2<br />

, propose<br />

des modèles en plusieurs teintes, tout en pensant<br />

fabrication durable. Environ 120 €<br />

88 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


Baladeurs audiophiles<br />

Ce n’est pas parce que les smartphones savent tout faire que les baladeurs n’ont<br />

plus voix au chapitre. Dotés de la Hi-Res, compatibles avec des écouteurs ou un<br />

casque haut de gamme, ces modèles sont pour la plupart déconnectés. De quoi<br />

redécouvrir le plaisir d’utiliser un appareil qui fait de la musique et rien d’autre.<br />

HOT GADGET<br />

LEICA TL2<br />

HYBRIDE DE LUXE<br />

FIIO X3 II<br />

Design ★★★<br />

Fonctions ★★★<br />

Prix ★★★★★<br />

Une interface digne des années 1990, pas d’écran<br />

tactile, seulement 8 Go de mémoire interne, mais<br />

la possibilité de l’étendre de 128 Go avec une carte SD<br />

et un son qui a une pêche d’enfer. 195 €<br />

© DR<br />

SHANLING M2S<br />

Design ★★★<br />

Fonctions ★★★½<br />

Prix ★★★★★<br />

Affichant une interface simple et originale,<br />

ce baladeur possède un bel écran de 3 pouces,<br />

un lecteur de carte SD jusqu’à 256 Go et peut servir<br />

de convertisseur audiophile pour votre smartphone<br />

ou votre ordinateur. Ceux qui l’ont utilisé sont<br />

dithyrambiques sur ses performances audio. 200 €<br />

COWON PLENUE D<br />

Design ★★★★½<br />

Fonctions ★★★★<br />

Prix ★★★★★<br />

Un minilecteur de poche, mais qui délivre un gros<br />

son. Le Cowon Plenue D est totalement tactile,<br />

équipé d’une mémoire de 32 Go extensible avec<br />

des cartes SD jusqu’à 128 Go. 300 €<br />

QUESTYLE QP1R<br />

Design ★★★★<br />

Fonctions ★★★★<br />

Prix ★★★<br />

Totalement ésotérique, totalement<br />

anachronique, mais d’une finesse à l’écoute<br />

tellement exquise. La mémoire interne est<br />

de 32 Go. On peut y ajouter deux cartes SD<br />

allant jusqu’à 128 Go chacune. 1 000 €<br />

SONY NW-A35<br />

Design ★★★★★<br />

Fonctions ★★★★★<br />

Prix ★★★★<br />

Le Walkman n’est pas mort ! Voici le NW-A35,<br />

l'un de ses représentants modernes. Son petit<br />

plus est son transmetteur Bluetooth qui permet<br />

d’envoyer sans fil de l’audio Hi-Res grâce au codec<br />

LDAC propre aux produits Sony. La mémoire<br />

interne de 16 Go est extensible avec des micro SD<br />

allant jusqu’à 192 Go. 210 €<br />

ASTELL & KERN AK JR<br />

Design ★★★★★<br />

Fonctions ★★★★<br />

Prix ★★★★<br />

Avec le Junior, le plus petit baladeur d’Astell & Kern,<br />

le spécialiste des modèles ultra-haut de gamme,<br />

on entre de plain-pied dans le monde du luxe<br />

audiophile. La mémoire interne est de 64 Go,<br />

extensible par carte SD. 600 €<br />

Les modèles de la série TL représentent<br />

le haut de gamme en matière d’appareils<br />

photo “mirorless” (sans miroir) chez<br />

Leica. Ils sont donc plus compacts<br />

que les appareils reflex et cependant<br />

dotés d’une monture pour optiques<br />

interchangeables. Si le modèle<br />

de première génération n’avait pas<br />

totalement convaincu, le TL2 s’annonce<br />

beaucoup plus prometteur. Il reprend<br />

le superbe boîtier taillé dans un bloc<br />

d’aluminium et de fabrication allemande,<br />

mais avec un nouveau capteur de 24 Mpx<br />

de grand format (ASP-C) beaucoup plus<br />

performant et un<br />

processeur hérité<br />

LE BOÎTIER EST<br />

ÉQUIPÉ D’UN<br />

CAPTEUR ASP-C<br />

DE GRAND FORMAT<br />

EN 24 MPX.<br />

DE FABRICATION<br />

ALLEMANDE, IL EST<br />

LITTÉRALEMENT<br />

TAILLÉ DANS<br />

UN BLOC<br />

D'ALUMINIUM.<br />

de la série<br />

Maestro de<br />

Leica qui rend<br />

son autofocus<br />

beaucoup plus<br />

rapide et réactif.<br />

L’interface de<br />

l’écran tactile<br />

du TL2 gagne<br />

également en<br />

vitesse. L’appareil<br />

peut désormais<br />

réaliser des<br />

vidéos en<br />

Ultra HD 4K,<br />

descendre dans les très faibles lumières<br />

jusqu’à 50 000 ISO et shooter en rafale<br />

jusqu’à vingt images par seconde.<br />

En revanche, les objectifs proposés<br />

en complément n’évoluent pas. Le choix<br />

en monture L, composé de trois focales<br />

fixes et de trois zooms, est toujours<br />

un peu restreint. Mais naturellement,<br />

ces optiques sont toujours de très haute<br />

précision – il en va de la réputation<br />

de Leica… Et heureusement, des bagues<br />

d’adaptation sont disponibles pour<br />

utiliser d’autres gammes d’optiques<br />

plus fantaisistes. 1 950 € (appareil seul)<br />

Septembre <strong>2017</strong><br />

★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…


CINÉMA<br />

En plein cœur<br />

C’est LE film qu’on attendait de voir, traitant cette zone d’ombres et de fantômes,<br />

les années 1990 en France, vues par les séropositifs.<br />

120 battements par minute<br />

Avec Nahuel Pérez Biscayart,<br />

Arnaud Valois, Adèle Haenel…<br />

Réalisé par Robin Campillo<br />

★★★★<br />

L<br />

a<br />

scène d'ouverture nous percute<br />

d’emblée. Quand l’équipe d’Act<br />

Up débarque, sifflets et bras levés,<br />

pour interrompre les discours ronronnants<br />

des représentants de laboratoires évoquant<br />

les traitements pour les séropositifs comme<br />

s’il ne s’agissait pas de vie ou de mort. C’est<br />

pourtant le cas : le film se déroule au début<br />

des années 1990, lorsqu’on peut disparaître,<br />

en quelques mois et dans une solitude extrême,<br />

à cause du SIDA. Fondée le<br />

25 juin 1989, Act Up décide de leur donner la<br />

parole et surtout, de lutter pour incarner les<br />

patients atteints du virus, sensibiliser la population,<br />

booster la prévention. “Nous vivons<br />

le SIDA comme une guerre, une guerre invisible<br />

aux yeux des autres”, proclame dans le<br />

film Thibault, personnage inspiré par le cofondateur<br />

de l’association Didier Lestrade et<br />

interprété par Antoine Reinartz.<br />

À l’aide de “zaps”, ces actions médiatisées très<br />

fortes, où le faux sang est versé, où les corps<br />

s’allongent, immobiles, Act Up a changé la<br />

donne. C’est ce que montre Robin Campillo<br />

dans ce film choral où l’on vit des scènes de<br />

réunion passionnantes, des moments intenses<br />

de clubbing, les inimitiés et les clans qui<br />

peuvent se former au sein d’un groupe. On suit<br />

ceux qui meurent, trop jeunes, qui s’aiment,<br />

souvent très fort. Pas de pathos, mais de l’action,<br />

de l’émotion, de la sensualité. Les personnalités<br />

des acteurs sont exacerbées et complémentaires<br />

: Adèle Haenel, vindicative et<br />

Terminator 2 :<br />

Le Jugement dernier 3D<br />

Avec Arnold Schwarzenegger,<br />

Linda Hamilton, Edward Furlong,<br />

Robert Patrick…<br />

Réalisé par James Cameron<br />

Mais c’est qu’on l’a échappé belle, dites donc !<br />

On attendra donc un peu plus longtemps que<br />

le 29 août 1997 pour l’apocalypse nucléaire,<br />

mais restons vigilants tout de même… Après tout,<br />

des bouboules de feu tombant d’on ne sait où<br />

avec des robots à l’intérieur sont si vite arrivées.<br />

Bref, Terminator 2 refait un petit tour en salles<br />

à partir de la mi-septembre (avant une réédition<br />

en DVD et Blu-ray quelques semaines plus tard),<br />

et le plaisir demeure toujours aussi coupable.<br />

Mieux, T2 s’offre ici une nouvelle mue via un<br />

traitement 3D on ne peut plus réussi, précisément<br />

parce que ses instigateurs ont manifestement<br />

pris soin de ne pas trop en faire. Résultat,<br />

non seulement cette 3D fait son petit effet<br />

quand il faut (ah ! les impacts de balles sur<br />

FOCUS<br />

consciencieuse, Nahuel Pérez Biscayart, hyperactif<br />

et sans tabous, Arnaud Valois, introverti<br />

et concerné, Antoine Reinartz, meneur réfléchi<br />

et obsessionnel… Tous portent un 120 battements<br />

par minute inoubliable, d’un engagement<br />

servi par une rare force émotionnelle.<br />

Chef-d’œuvre.<br />

SOPHIE ROSEMONT<br />

le T-1000 si “succulemment” incarné par Robert<br />

Patrick !), mais elle ne dénature jamais la couleur<br />

générale du film, allant jusqu’à en rafraîchir<br />

les effets spéciaux un brin datés. L’ami Arnold<br />

peut dès lors nous montrer une énième fois<br />

combien le modèle 101 de Cyberdyne reste<br />

sacrément solide (quand bien même on ait<br />

fait plus perfectionné depuis), Linda Hamilton<br />

révéler par – brefs – instants des faux airs<br />

de Françoise Hardy derrière son attirail militaire<br />

et Guns N’ Roses claquer à nouveau avec<br />

“You Could Be Mine” sa dernière bonne chanson<br />

– la dernière vraiment excitante en tout cas.<br />

Plaisir coupable, disait-on ? XAVIER BONNET<br />

© CELINE NIESZAWER. DR.<br />

90 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


© PHILIPPE AUBRY/LES COMPAGNONS DU CINÉMA. DR.<br />

Good Time<br />

Avec Robert Pattinson,<br />

Ben Safdie…<br />

Réalisé par Ben et Joshua Safdie<br />

★★★★<br />

Cela aurait pu être un polar comme<br />

un autre. Mais non. Ben et Joshua<br />

Safdie font d'un braquage raté<br />

le point de départ d'une chasse<br />

à l'homme inversée, puisqu'il s'agit<br />

pour Connie (Robert Pattinson) de<br />

retrouver à tout prix son frère Nick<br />

(Ben Safdie, excellent), handicapé<br />

mental, arrêté lors dudit hold-up.<br />

Bande sonore prenante, tension<br />

en dents de scie, suspense palpable<br />

et une émotion qui saisit sans<br />

crier gare : porté par un Pattinson<br />

ultraconvaincant, Good Time<br />

confirme tout le bien que l'on<br />

pensait des frères Safdie.<br />

S.R.<br />

Le Redoutable<br />

Avec Stacy Martin,<br />

Louis Garrel, Bérénice Bejo…<br />

Réalisé par Michel Hazanavicius<br />

★★★<br />

Joli coup que celui d'Hazanivicius,<br />

attendu au tournant sur l’adaptation<br />

d'Un an après, d’Anne Wiazemsky,<br />

récit du déclin de sa passion avec<br />

Jean-Luc Godard, tandis qu'il<br />

se lançait à corps perdu dans la<br />

révolution. Quitte à en être ridicule,<br />

de mauvaise foi, mais aussi<br />

doué de punchlines bien senties.<br />

Tout cela, on le retrouve chez<br />

un Garrel-JLG plus vrai que nature<br />

face à l'ingéniosité sensuelle<br />

de Stacy Martin. Quasi interactif,<br />

Le Redoutable réussit à éviter<br />

par des pirouettes (scénaristiques,<br />

formelles) l'amertume de cette<br />

autopsie d'un amour défunt. S.R.<br />

Les Proies<br />

Avec Nicole Kidman,<br />

Kirsten Dunst, Colin Farrell,<br />

Elle Fanning...<br />

Réalisé par Sofia Coppola<br />

★★★½<br />

Virginie, guerre de Sécession.<br />

Une demeure coloniale devenue<br />

pension de jeunes filles où<br />

Miss Martha Farnsworth (Nicole<br />

Kidman), gère son petit monde<br />

à l'aide de l'institutrice Edwina<br />

(Kirsten Dunst). Lorsque l’une<br />

de ses protégées revient avec un<br />

soldat yankee grièvement blessé<br />

(Colin Farrell), la tension monte<br />

subitement d'un cran. Comme<br />

toujours chez Sofia Coppola,<br />

l'image est superbe, le texte aussi :<br />

on souligne son adaptation, toute<br />

en finesse et féminité, du roman<br />

de Thomas Cullinan, jadis porté<br />

à l'écran par Don Siegel. Si Colin<br />

Farrell n'a pas le charisme inquiétant<br />

de Clint Eastwood, le trio de<br />

femmes qui s'élève face à lui est<br />

d'une efficacité redoutable. S.R.<br />

Patti Cake$<br />

Avec Danielle Macdonald,<br />

Bridget Everett, Siddhart<br />

Dhanajay…<br />

Réalisé par Geremy Jasper<br />

★★★<br />

Patricia (Danielle Macdonald) vit<br />

dans le New Jersey et cumule les<br />

petits boulots pour subvenir aux<br />

besoins de sa grand-mère malade<br />

et de sa mère, chanteuse ratée.<br />

En secret, elle rêve de gloire et de<br />

devenir Patti Cake$, une rappeuse<br />

à la punchline aiguisée et au<br />

sex-appeal avéré. Ne choisissant<br />

pas entre film d’auteur et conte<br />

mainstream, Patti Cake$ est drôle,<br />

acerbe, pétri de bons sentiments…<br />

On est conquis ! S. R.<br />

Brooklyn Yiddish<br />

Avec Menashe Lustig,<br />

Ruben Nyborg…<br />

Réalisé par Joshua Z. Weinstein<br />

★★★<br />

Veuf, Menashe (Menashe Lustig),<br />

Juif orthodoxe de Brooklyn,<br />

a perdu la garde de son fils, car<br />

il ne veut pas se remarier. Et parce<br />

qu'il ne rentre pas dans le moule…<br />

Questionnant les notions de<br />

libre-arbitre, Brooklyn Yiddish<br />

évoque surtout la complexité des<br />

liens filiaux, d'autant plus lorsqu'ils<br />

sont régis par des lois extérieures.<br />

À noter qu’il s'agit de l'histoire de<br />

Lustig lui-même. Ce qui explique la<br />

justesse de son jeu et la crédibilité<br />

de sa foi, jamais remise en question<br />

malgré tout.<br />

S.R.<br />

Barbara<br />

Avec Jeanne Balibar,<br />

Mathieu Amalric…<br />

Réalisé par Mathieu Amalric<br />

★★★<br />

Avec Tournée, en 2010, Amalric<br />

démontrait déjà son talent à capter<br />

la chaleur d’une performance<br />

et la mélancolie des coulisses.<br />

Ce qu’on retrouve dans ce Barbara<br />

qui, évitant soigneusement<br />

le format biopic classique, raconte<br />

la chanteuse – chez elle, sur scène,<br />

en voiture, de jour mais surtout<br />

de nuit, incarnée par une Jeanne<br />

Balibar assez exceptionnelle.<br />

Mimétisme, certes, et pour cause :<br />

elle est ici une actrice qui doit jouer<br />

Barbara devant la caméra d’un<br />

fan éperdu, Yves (Amalric). Mise<br />

en abyme, quand tu nous tiens.<br />

En filigrane, sont effleurés les<br />

1<br />

2<br />

3<br />

1. Avec Good Time, Pattinson joue les bandits de bas étage et montre une<br />

nouvelle facette de son talent. 2. Portrait inattendu de l’icône de la Nouvelle<br />

Vague dans Le Redoutable de Michel Hazanavicius, avec un Louis Garrel plus vrai<br />

que nature. 3. Kristen Dunst et Nicole Kidman, en fortes femmes aux prises avec<br />

un soldat yankee en pleine guerre de Sécession. Avec ses Proies, la réalisatrice<br />

Sofia Coppola a raflé le prix de la mise en scène au dernier festival de Cannes.<br />

fissures de Barbara, tout comme<br />

son engagement auprès d’Act Up<br />

à la fin de sa vie. S. R.<br />

Seven Sisters<br />

Avec Noomi Rapace,<br />

Glenn Close, Willem Dafoe…<br />

Réalisé par Tommy Wirkola<br />

★★★<br />

Dans un futur anxiogène, la politique<br />

de l’enfant unique a été imposée<br />

dans l’espoir de sauver la Terre<br />

du surpeuplement. Pourtant,<br />

à la mort de sa fille en couches,<br />

Terrence Settman décide de garder<br />

ses petites-filles, des septuplées,<br />

auprès de lui. Parfaitement<br />

identiques, elles ne sortent que le<br />

jour de leur prénom. Jusqu’à ce que<br />

Monday disparaisse… Une tension<br />

rampante, des scènes d’action<br />

musclées, une violence rarement<br />

gratuite et une Noomi Rapace ultra<br />

efficace : que demander de plus ? S.R.<br />

Septembre <strong>2017</strong><br />

★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…


SÉRIE TV<br />

Entre fiel et nerfs…<br />

En transférant l’essentiel de sa trame en banlieue, la série policière fait mieux que mettre<br />

ses personnages en danger et y gagne encore en puissance.<br />

Engrenages, saison 6<br />

Avec Caroline Proust, Philippe Duclos,<br />

Fred Bianconi, Thierry Godard, Audrey<br />

Fleurot, Nicolas Briancon, Valentin<br />

Merlet…<br />

Réalisée par Frédéric Martin et Frédéric Mermoud<br />

Canal+, 12 épisodes<br />

★★★★<br />

L<br />

’intensité.<br />

la tension. si cette nouvelle<br />

saison d’Engrenages devait être résumée<br />

à un ou deux mots, ils seraient vite<br />

trouvés. Certes, rien de neuf en soi – c’est pour<br />

ainsi dire l’ADN de la série – sinon que le curseur<br />

est encore poussé plus loin ici, à la limite de la<br />

surenchère. De là à imaginer qu’Anne Landois,<br />

la showrunneuse, a voulu s’offrir une petite apothéose<br />

avant de passer la main dans l’écriture –<br />

après quatre saisons de bons et loyaux services –,<br />

il n’y a pas loin.<br />

Cette tension a, d’une certaine manière, trouvé<br />

sa source, ou tout du moins une teneur supplémentaire,<br />

dans le timing de la conception du<br />

scénario, puisqu’entamée au moment de la tuerie<br />

de Charlie Hebdo et finalisée peu de temps<br />

après l’attentat de Nice. Et si le terrorisme n’est<br />

en rien convoqué au parloir de cette sixième<br />

saison, son spectre est latent. “En fait,<br />

Engrenages prend tout le temps le pouls de la<br />

société, explique la showrunneuse. Sans en faire<br />

en effet une saison sur le terrorisme, je trouvais<br />

intéressant de traiter en filigrane l’une des raisons<br />

qui en a fait le lit. Installer l’action de cette<br />

saison en Seine-Saint-Denis faisait partie de<br />

cette réflexion. S’il y a bien un lieu en France où<br />

la société est en fracture, c’est celui-là !”<br />

Le département, dans lequel Anne<br />

Landois est née et pour lequel elle<br />

confesse garder une grande affection,<br />

fait ici mieux que servir de<br />

décor aux ramifications entre services<br />

de police, de justice, élus locaux,<br />

quartiers et bandes organisées.<br />

Il va, à son tour, exacerber le<br />

sentiment suffocant de stress permanent<br />

auquel ses protagonistes sont confrontés.<br />

Et c’est peu dire que les personnages récurrents,<br />

de Laure Berthaud (Caroline Proust) à<br />

Joséphine Karlsson (Audrey Fleurot) en passant<br />

par le juge Roban (Philippe Duclos), Tintin<br />

(Fred Bianconi) ou Gilou (Thierry Godard), ne<br />

trouveront guère de répit dans leur quotidien<br />

personnel, parfois touchés jusque dans leur<br />

chair. “C’est vrai que c’est absolument horrible,<br />

sourit Landois, espiègle. Pour moi, le dosage<br />

“ LE DOSAGE<br />

D'ENGRENAGES,<br />

C'EST 60 %<br />

DE PSYCHOLOGIQUE<br />

ET 40 % D'ACTION.”<br />

ANNE LANDOIS,<br />

SHOWRUNNEUSE<br />

d’Engrenages, c’est 60 % de psychologique et<br />

40 % d’action. Tout le monde sait ce qu’est un<br />

polar, nous arrivons en sixième saison, on ne va<br />

pas en redéfinir les codes. En revanche, la liberté<br />

de renouvellement est totale en travaillant sur<br />

les personnages et en essayant d’aller toujours de<br />

plus en pus loin. Or, quand tu démarres ton<br />

histoire avec une mutilation (un corps de policier<br />

retrouvé démembré, ndlr), il<br />

est intéressant de chercher des correspondances<br />

avec l’intimité des<br />

personnages et comment ils vont<br />

vivre ça jusqu’à l’intérieur de leur<br />

propre corps.”<br />

Cette dualité intime-action fait en<br />

tout cas le bonheur revendiqué des<br />

acteurs, Caroline Proust en tête : “Le<br />

plaisir est le même à jouer l’un ou l’autre. Comme<br />

l’est celui de pouvoir alterner les différentes situations,<br />

surtout si l’interaction entre elles est palpable.”<br />

Ne reste plus qu’au capitaine de la DPJ un<br />

modèle de voitures plus à son goût. “C’est vrai<br />

que j’ai toujours eu tendance à avoir des veaux”,<br />

s’amuse-t-elle. Bon, en même temps, si c’est pour<br />

rester des heures en planque, hein… Un ultime<br />

détail à régler à l’amorce de la saison 7, qui pourrait<br />

être la dernière ?<br />

XAVIER BONNET<br />

© DR<br />

92 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


DVD<br />

Sur la plage,<br />

abandonnés…<br />

Même quand une guerre se termine, elle<br />

continue d’affirmer sa cruauté et son absurdité.<br />

Un film marquant, en terrain miné…<br />

D<br />

anemark, mai 1945. fin d’un conflit et de cinq ans d’occupation<br />

allemande. Dans les yeux et le souffle haletant du sergent<br />

Carl Rasmussen, qui passe en revue au volant de sa Jeep une<br />

colonne de soldats de la Wehrmacht déambulant en sens inverse, le ressentiment,<br />

la haine, sont tangibles. Pourtant,<br />

cette rage, il va devoir la canaliser<br />

Les Oubliés<br />

Réalisé par Martin Zandvliet lorsque lui est confiée la mission d’encadrer<br />

une douzaine de ces prisonniers alle-<br />

Avec Roland Moller,<br />

Joel Basman, Ludwig mands, à peine sortis de l’adolescence, qui<br />

Haffke, Louis Hoffman vont être chargés de nettoyer une partie<br />

ESC<br />

de la côte ouest danoise où ont été enfouies<br />

au total plus de deux millions de<br />

★★★★<br />

mines. Land of Mine, le titre originel du<br />

film, prend alors tout son (double) sens : champ de mine, terre que l’on<br />

veut récupérer et refaire sienne à tout prix. Là, trois mois durant, couchés<br />

sur le sol, parfois sans manger pendant des jours, ces presque encore gamins<br />

vont sonder le sol, comme absorbés par ce sable aveuglément clair<br />

printanier, avant d’entamer le déminage à mains nues de chaque engin<br />

explosif. Sans l’emphase d’un Dunkerque, mais d’une âpreté non moins<br />

pesante, Les Oubliés/Land of Mine fait froid dans le dos, symbole exacerbé<br />

de l’absurdité belliciste dans une Europe ravagée. X. B.<br />

© 2016 WILD BUNCH. DR<br />

Le Dîner des vampires<br />

Réalisé par Jason Flemyng<br />

Avec Charlie Cox, Tony Curran,<br />

Mackenzie Crook, Eve Myles<br />

Marco Polo<br />

★★★<br />

Même chez les vampires, dura lex, sed lex…<br />

Et gare à celui qui dépassera son quota de,<br />

hum !, sang frais, surtout s’il se sert parmi<br />

les enfants ! Ça, dans la confrérie vampire,<br />

on n’accepte pas ! Elle n’a beau avoir lieu que<br />

tous les demi-siècles, cette réunion au sommet<br />

dans une vieille ferme anglaise ne sera donc<br />

pas de tout repos, en même temps que<br />

l’occasion de constater que le renouvellement<br />

des cadres n’est jamais chose simple, a fortiori<br />

quand des militaires – mandatés par un<br />

ecclésiastique pas forcément saint (d’) esprit<br />

– sont bien déterminés à vous faire passer<br />

le goût de l’éternité. Loufoquerie comme<br />

les Anglais en ont le secret, des références qui<br />

tombent à pic (Shining, La Grande Évasion) :<br />

on se laisse volontiers mordiller par cette<br />

horror comedy gentiment foutraque ! X. B.<br />

Soudain l’été dernier<br />

Réalisé par Joseph L. Mankiewicz<br />

Avec Elizabeth Taylor, Katharine<br />

Hepburn, Montgomery Clift<br />

Carlotta<br />

★★★★<br />

L’argent, le désir, la foi, l’expérimentation<br />

scientifique et surtout la folie – réelle ou pratique<br />

paravent pour masquer les non-dits –, le scénario<br />

de Gore Vidal “développant” une pièce de<br />

Tennessee Williams et la réalisation haletante<br />

de Joseph L. Mankiewicz balayent toutes<br />

les obsessions de la société américaine des<br />

années 1950. Autant de… traumas sur lesquels<br />

le noir et blanc, sublimé davantage encore ici<br />

par une restauration en 4K, vient poser un voile<br />

troublant sur la réalité crue. Les longs dialogues<br />

se muent en autant de performances d’acteurs<br />

saisissantes, Katharine Hepburn et Elizabeth<br />

Taylor en tête (Montgomery Clift restant<br />

quelque peu en retrait). Les luttes peuvent<br />

alors commencer, à deux puis à trois. Intenses.<br />

Étouffantes. Tennessee Williams détestait cette<br />

adaptation. On l’aimera doublement. X. B.<br />

Grave<br />

Réalisé par Julia Ducournau<br />

Avec Garance Marillier, Ella Rumpf,<br />

Rabah Naït Oufella, Laurent Lucas<br />

Wild Side<br />

★★★★<br />

On savait nos amis végétariens très, disons,<br />

à cheval sur leur régime alimentaire. Le premier<br />

film de Julia Ducournau nous en fournit une<br />

explication à laquelle on n’aurait pas forcément<br />

pensé, en même temps qu’un éclairage sur<br />

les conséquences potentiellement fâcheuses<br />

d’un bizutage ! Ni vraiment film d’épouvante<br />

ni tout à fait film d’auteur, Grave se plaît<br />

à… valdinguer entre les univers et les codes<br />

de l’un et de l’autre, faisant de lui un film de<br />

genre à part entière. Le cannibalisme, qui en<br />

devient vite le thème central, s’il sait se montrer<br />

spectaculaire – et gore quand nécessaire –<br />

n’est jamais jeté en pâture gratuitement. Grave<br />

est aussi (surtout ?) l’occasion de découvrir<br />

une actrice saisissante en Garance Marillier,<br />

qui tient le film sur des épaules bien moins frêles<br />

qu’il pourrait y laisser paraître. X. B.<br />

Septembre <strong>2017</strong><br />

★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…


JEUXVIDÉO<br />

Le choc des univers !<br />

Des lapins pas si crétins !<br />

Même si la rumeur hantait le Net depuis quelques mois, le lancement de Mario + Lapins crétins<br />

Kingdom Battle, annoncé par le patron d’Ubisoft Yves Guillemot et le gourou de Nintendo<br />

Shigeru Miyamoto, a fait l’effet d’une petite bombe.<br />

MARIO + LAPINS CRÉTINS<br />

KINGDOM BATTLE<br />

Nintendo Switch<br />

Ubisoft<br />

★★★★<br />

Pour Grant Kirkhope, le compositeur<br />

de ce titre, la musique de jeu vidéo est<br />

aujourd’hui beaucoup mieux considérée<br />

que lorsqu'il a commencé au milieu des<br />

90’s (il jouait auparavant avec le groupe<br />

Zoot and The Roots) : “Cette musique<br />

est tellement populaire aujourd’hui.<br />

On peut maintenant aller voir des concerts<br />

de musique de jeux vidéo avec des<br />

orchestres prestigieux... Cela a permis<br />

à de nombreuses générations de découvrir<br />

la musique instrumentale. Mon fils<br />

de 14 ans n’écoute que de la musique<br />

de jeux vidéo. Jamais de pop music !”<br />

C<br />

’était le 12 juin à l’e3, la grande<br />

messe annuelle des jeux vidéo qui se<br />

déroule à Los Angeles. Sur la scène<br />

mythique de l’Orpheum Theatre, le boss breton<br />

d’Ubisoft recevait donc sous un tonnerre d’applaudissements<br />

LA grande star du jeu vidéo<br />

japonais. Miyamoto San est en effet un de ces<br />

personnages mythiques qui ont tout changé. Il<br />

y a un avant et un après Miyamoto.<br />

Et l’inventeur des légendaires Mario<br />

ou Zelda a rarement laissé d’autres<br />

artistes manipuler à ce point ses<br />

créatures. D’autant plus exceptionnel<br />

que cette rencontre entre Mario<br />

et les Lapins crétins est une création<br />

européenne, développée entre Paris,<br />

Milan et Montpellier.<br />

Comme dans la musique, les mélanges<br />

entre les univers dans le jeu n’ont pas<br />

toujours laissé des souvenirs impérissables. Et<br />

pourtant, parfois, ça fonctionne. Côté musique,<br />

“Under Pressure”, par exemple, cet improbable<br />

duo entre Bowie et Queen, qui, sur le papier,<br />

aurait fait trembler de peur n’importe quelle<br />

nonne fan de pop suédoise, s’est avéré au final<br />

être une merveille de kitsch et de chantilly. On<br />

a la même chose dans le domaine du jeu vidéo.<br />

“LES LAPINS<br />

CRÉTINS<br />

APPORTENT<br />

LEUR CÔTÉ<br />

LOUFOQUE<br />

ET PAS MAL<br />

DE DÉBILITÉ…”<br />

L’exemple le plus frappant étant Kingdom<br />

Hearts. Je vous fais l’histoire rapide, car elle<br />

pourrait remplir les pages de tout ce numéro de<br />

<strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong>. Kingdom Hearts est un crossover<br />

entre, probablement, les deux univers les plus<br />

“copyrightés” de la pop culture : Disney et Final<br />

Fantasy. Disney, maître absolu de l’entertainment,<br />

chantre ultime de l’expansionnisme<br />

culturel ricain, et Squaresoft, son<br />

équivalent nippon, gardien d’une licence<br />

multimillionnaire (Final<br />

Fantasy), peut-être plus intello et<br />

profonde, mais tout aussi protégée<br />

jusque dans les moindres recoins.<br />

Incroyable, mais vrai : le jeu<br />

Kingdom Hearts a réussi à être une<br />

vraie bonne surprise artistique, dans<br />

lequel ses créateurs ont mis tout leur<br />

cœur pour nous faire oublier cette association<br />

aussi improbable qu’étrange.<br />

Pour les Lapins crétins et Mario, le mélange est<br />

peut-être moins détonnant, mais leurs deux<br />

univers n’ont pas non plus grand-chose en commun.<br />

Si les titres Nintendo ont toujours une<br />

grande profondeur et un excellent gameplay,<br />

l’univers de Mario est toujours resté lisse, hermétique<br />

au moindre relief et à tout second<br />

© DR<br />

94 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


Un jeu de pure<br />

stratégie. Ici,<br />

positionnez-vous<br />

pour vous mettre<br />

à l’abri de votre<br />

ennemi planqué<br />

en haut à droite.<br />

Des boss loufoques, mais<br />

loin d'être évidents.<br />

Entre les combats,<br />

vous pourrez vous<br />

relaxer avec de courtes<br />

phases d’exploration.<br />

degré. Les Lapins crétins n’ont pas beaucoup<br />

plus de consistance, mais n’hésitent jamais à<br />

mettre les pattes dans le plat, à cultiver nonsens<br />

et stupidité et à appuyer bien fort partout<br />

où ça peut faire mal. Un humour corrosif et loin<br />

du politiquement correct du plombier moustachu.<br />

De quoi pouvoir faire peur à Nintendo. La<br />

firme de Kyoto a pourtant donné son feu vert à<br />

ce crossover improbable en imposant tout de<br />

même une condition de base : que Mario et la<br />

famille Nintendo ne s’affichent que dans un<br />

style de jeu dans lesquels ils n’étaient jamais<br />

apparus auparavant. On avait eu Mario en plateforme<br />

(la base), en foot, en basket, en jeu de<br />

rôle, en tennis, en flipper, en golf, en kart, en jeu<br />

de plateau, en runner… Ubisoft a finalement<br />

proposé de réaliser un titre s’inspirant de<br />

X-Com, un jeu culte des années 1990. Soit des<br />

combats ultra-stratégiques, au tour par tour,<br />

qui propose une utilisation poussée de l’envi-<br />

ronnement (ne pas rester à découvert, détruire<br />

les abris derrière lesquels se planquent les ennemis,<br />

utiliser intelligemment les passages secrets,<br />

etc.). On y incarne plusieurs personnages<br />

de l’univers Nintendo ou leurs alliés Lapins,<br />

chacun ayant des pouvoirs particuliers. Les<br />

Lapins crétins apportent leur côté loufoque et<br />

pas mal de débilité, que ce soit dans les petites<br />

phases de recherche, les séquences animées, ou<br />

les boss, tout aussi cinglés que dangereux. En<br />

revanche, côté multijoueur, il ne sera pas possible<br />

de s’y essayer en réseau, le titre ne proposant<br />

que la possibilité de jouer en local, et uniquement<br />

en coopération. Dommage.<br />

Du côté de l’habillage, ce Kingdom Battle est à<br />

la hauteur des meilleurs titres Nintendo. Un<br />

soin tout particulier a été apporté aux textures<br />

graphiques et à la qualité sonore. La musique a<br />

d’ailleurs été composée par le Britannique<br />

Grant Kirkhope, célèbre pour son travail sur<br />

des succès Nintendo comme GoldenEye ou<br />

Donkey Kong Country. Son score reste original<br />

tout en rendant hommage au génie de Koji<br />

Kondo, le créateur des thèmes éternels de<br />

Mario ou Zelda. Grant Kirkhope déclarait<br />

ainsi : “Zelda: A Link to the Past est mon jeu<br />

vidéo préféré. La musique y est fantastique, ses<br />

thèmes sont éternels et il est impossible de faire<br />

mieux ! La musique de Super Mario 64 était<br />

aussi un grand classique signé Koji Kondo. Je<br />

me souviens que j’adorais le thème du château,<br />

mais aussi la façon dont la musique était interactive<br />

dans le ‘Monde trempé-séché’. Je savais<br />

que si j’essayais d’imiter Kondo, je me planterais…”<br />

Kirkhope a donc réussi à garder sa personnalité<br />

dans ce jeu qui devrait faire patienter<br />

les possesseurs de la Switch jusqu’à la sortie du<br />

prochain Mario, prévue pour la fin octobre de<br />

cette année.<br />

MATT MURDOCK<br />

DANS LA CONSOLE<br />

AGENTS OF MAYHEM<br />

PS4, Xbox One, PC<br />

Deep Silver Volition /<br />

Koch Media<br />

★★★<br />

Les créateurs de Saints<br />

Row lancent une nouvelle<br />

licence. On est toujours<br />

plus ou moins dans la<br />

démarque de GTA, cette<br />

fois avec un côté action<br />

et shoot très prononcé.<br />

Une sorte de parodie<br />

trash des cartoons d’action<br />

américains. Parfait pour<br />

se défouler et ne pas trop<br />

réfléchir.<br />

MIITOPIA<br />

3DS<br />

Nintendo<br />

★★★★<br />

Entre le jeu de rôle et<br />

la simulation de vie, on<br />

utilise ses Mii, autrement<br />

dit, les persos que l’on<br />

a créés. Tout le monde<br />

n’aimera pas, mais moi,<br />

je suis à fond. Je fais<br />

combattre les gens de<br />

ma famille, mes potes et<br />

même quelques persos que<br />

je viens de créer, comme<br />

Marilyn Manson ou JCVD.<br />

Du grand n’importe quoi !<br />

OVERCOOKED<br />

Nintendo Switch,<br />

PS4, Xbox One, PC<br />

Ghost Town Games<br />

★★★★<br />

Je profite de sa sortie<br />

récente sur la Switch pour<br />

vous présenter ce petit jeu<br />

anglais qui ne paye pas<br />

de mine, mais qui est une<br />

vraie bombe en multilocal<br />

(jusqu’à quatre joueurs).<br />

On doit faire la cuisine et<br />

servir en se répartissant les<br />

tâches. Fous rires garantis !<br />

Un vrai jeu familial pour<br />

dimanches pluvieux.<br />

DREAM DADDY<br />

PC<br />

Game Grumps<br />

★★★<br />

Les visual novels (sortes<br />

de romans animés et<br />

interactifs) et les jeux de<br />

drague sont très populaires<br />

au Japon. Dream Daddy,<br />

jeu de drague entre papas<br />

gays, est l’un des premiers<br />

à cartonner chez nous.<br />

Pour l’instant uniquement<br />

sur PC, il ne devrait pas<br />

tarder, vu son succès,<br />

à débarquer sur tablettes<br />

et autres formats…<br />

PATAPON<br />

REMASTERED<br />

PS4<br />

Sony Interactive<br />

Entertainment<br />

★★★★<br />

Certains jeux ont tendance<br />

à se bonifier avec le temps,<br />

surtout lorsqu’ils ont un<br />

fort parti pris artistique.<br />

Comme celui-ci, sorti<br />

initialement en 2007 sur<br />

PSP. Entre le jeu de rythme<br />

et le combat tactique,<br />

Patapon fascine grâce à la<br />

sublime direction artistique<br />

de l’artiste français Rolito.<br />

© DR<br />

Septembre <strong>2017</strong><br />

★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…


LIVRES<br />

The Wind Cries Mary<br />

Entre roman noir sudiste et conte crépusculaire aux accents quasi bibliques,<br />

Ron Rash, grande voix de la littérature américaine contemporaine, nous invite à une réflexion<br />

sur la culpabilité et la rédemption. Le tout sur fond de rock psychédélique.<br />

PAR LE VENT PLEURÉ<br />

RON RASH<br />

Seuil<br />

★★★★<br />

“<br />

À<br />

san francisco, le summer of<br />

Love, l’été de l’amour, a eu lieu<br />

en 1967, mais il a fallu deux ans<br />

pour qu’il atteigne le petit monde des<br />

Appalaches. Sur l’autoroute, en février, on a<br />

aperçu un hippie au volant d’un minibus<br />

bariolé, un événement dûment signalé dans<br />

le Sylva Herald. Sinon, la contre-culture<br />

était quelque chose qu’on ne voyait qu’à la<br />

télévision, tout aussi exotique qu’un pingouin<br />

ou qu’un palmier nain.” En 1969, vus<br />

de Sylva, une petite ville rurale des<br />

Appalaches, le bourbier du Viêtnam et le<br />

mouvement pacifiste de Berkeley, les manifestations<br />

de plus en plus violentes pour les<br />

droits civiques, ou l’assassinat de Sharon<br />

Tate par Charles Manson paraissent bien<br />

lointains. Bill et Eugene vivent une vie<br />

simple et studieuse, réglée au carré par un<br />

grand-père tyrannique, ancien combattant<br />

de la guerre de 1914, médecin du patelin et<br />

notable de coin. Un dimanche après-midi,<br />

alors qu’ils pêchent des truites dans le lit<br />

d’une rivière, les deux frères aperçoivent<br />

une jeune fille de leur âge en train de se<br />

baigner nue dans un trou d’eau. Le temps<br />

d’un été, la troublante Ligeia, qui arrive de<br />

Floride et qui a passé quelque temps dans<br />

une communauté hippie, va à jamais bouleverser<br />

la vie des deux frangins, leur faire<br />

découvrir le sexe, l’alcool et la drogue, les<br />

guitares acides de Moby Grape et de Jimi<br />

Hendrix, les lyrics troublants des Doors et<br />

de Jefferson Airplaine, avant de disparaître<br />

comme elle était apparue, à la fin de la saison.<br />

Quarante-six ans plus tard, beaucoup<br />

d’eau a coulé dans la rivière à truites,<br />

lorsque les fortes pluies du printemps<br />

mettent à jour, sur la berge, des lambeaux<br />

de bâche bleue et de macabres petits ossements<br />

blancs. Ligeia est de retour, et Bill,<br />

devenu un chirurgien renommé, comme<br />

Eugene, universitaire raté et poivrot, abandonné<br />

de sa femme et de sa fille, vont devoir<br />

affronter ce fantôme sorti du passé…<br />

Comment est morte Ligeia ? Qui l’a tuée ? Par<br />

le vent pleuré aurait presque des allures de<br />

whodunit, aux forts accents sudistes. Presque.<br />

Car avec ce roman d’une rare puissance et<br />

d’une extrême finesse, l’Américain Ron Rash<br />

signe une œuvre riche et complexe qui dépasse,<br />

et de loin, la simple résolution d’un mystère.<br />

Par le vent pleuré est un livre sur le choc des<br />

cultures, en cette fin des sixties, entre un pays<br />

en pleine révolution culturelle, vibrant sur<br />

“Good Lovin’” des Rascals, et une Amérique<br />

profonde, provinciale, traditionnelle (la<br />

Caroline du Sud, chère à l’auteur de Serena),<br />

bercée par les vieux airs de Merle Haggard.<br />

C’est aussi un conte crépusculaire convoquant<br />

les plus grands auteurs (le Steinbeck de À l’est<br />

d’Eden, le Dostoïevski des Frères Karamazov,<br />

ou encore l’Edgar Poe de Ligeia) autour de<br />

vieux mythes et d’histoires éternelles, qui<br />

donnent aux grands textes leur raison d’être.<br />

Le tout en tout juste 200 pages, limpides et<br />

lumineuses. Superbe.<br />

PHILIPPE BLANCHET<br />

© MARK HASKETT. DR.<br />

96 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


Fantasia chez les ploucs<br />

Une jeune prostituée en cavale, des tueurs sadiques, un vieux trafiquant de whiskey et quelques flics<br />

ripoux : tout le charme de la campagne !<br />

Une cambrousse improbable, au<br />

sud d’Atlanta. Des champs de cacahuètes<br />

et de millet, des forêts de<br />

pins où crapahutent des tatous, et des mobile<br />

homes dézingués, habités par des lascars<br />

tout aussi improbables. Une très jeune<br />

prostituée – Maya, la favorite du maire –<br />

vient d’échapper aux tueurs qui veulent<br />

l’exécuter. La fille connaît toutes les magouilles<br />

des dirigeants de la ville, les réseaux<br />

de trafic de drogue ou de prostitution,<br />

et la horde sauvage qui la traque a bien<br />

l’intention de finir le boulot. Au terme<br />

d’une courte cavale, Maya se réfugie chez<br />

un vieux trafiquant de gnole solitaire et<br />

bourru, un brin cinglé, qui vit avec une poupée<br />

géante, vêtue des robes de sa femme<br />

disparue. Face aux sociopathes enfouraillés<br />

qui pistent la belle, nos deux “gueules cassées”<br />

vont devoir la jouer serré... Dès la<br />

première page – une malheureuse ligotée<br />

dans le coffre nauséabond d’une voiture,<br />

une chaussette dans la bouche – Peter<br />

Farris donne le ton à un lancinant polar,<br />

taraudé par une aveuglante violence et<br />

émaillé d’hallucinantes visions, pour pousser<br />

Jim Thompson, Larry Brown et les<br />

autres dans le brasier d’un “Southern noir”<br />

radical, réglé sur un infernal tempo. Du<br />

Hank Williams Jr., version hardcore. P. B.<br />

LE DIABLE<br />

EN PERSONNE<br />

PETER FARRIS<br />

Gallmeister<br />

★★★½<br />

© DR<br />

LE LIVRE QUE JE NE VOULAIS PAS ÉCRIRE<br />

ERWAN LARHER<br />

Quidam<br />

★★★★<br />

“Tu pénètres dans la salle. Sensations familières, plénitude<br />

immédiate : un concert de rock. Tu ne les comptes plus,<br />

mais à chaque fois le même enchantement, la même<br />

excitation, allez, vas-y, tu peux bien l’avouer maintenant<br />

que si tu devais avoir un regret, ce serait de ne pas être<br />

devenu une rock star.” Erwan Larher est romancier. Et fan<br />

de rock. Le 13 novembre 2015, vers 20 h 30, Erwan Larher<br />

entre dans le hall du Bataclan. Et son histoire personnelle<br />

bascule dans un cauchemar collectif. Touché d’une balle<br />

de kalachnikov dans la fesse (ironie de l’histoire, à cette<br />

époque, il est en train d’écrire un roman qui s’intitule<br />

Marguerite n’aime pas ses fesses !), Erwan Larher baigne<br />

dans son sang, au milieu des blessés et des cadavres.<br />

C’est cette histoire, c’est ce cauchemar que raconte<br />

ce livre. Les coups de feu. Les hurlements. La mort.<br />

Puis la délivrance. La souffrance. L’hospitalisation. Mais<br />

pas seulement : plutôt que livrer un simple témoignage<br />

et de tomber dans le pathos, Erwan Larher choisit<br />

d’élargir l’angle, de ponctuer son récit des témoignages<br />

de proches, vivant l’événement de l’extérieur, et réussit<br />

avec ce livre totalement bouleversant à faire de ce drame,<br />

notre drame. Définitivement. P. B.<br />

LES BUVEURS DE LUMIÈRE<br />

JENNI FAGAN<br />

Métailié<br />

★★★½<br />

En 2020, dans le nord de l’Écosse.<br />

Les dérèglements climatiques<br />

provoquent le début d’une<br />

nouvelle ère glaciaire. Partout<br />

sur la planète, les températures<br />

chutent sévèrement, alors<br />

que l’hiver n’a pas encore<br />

commencé. Dans un parc de<br />

caravanes, une mère vaguement<br />

hippie (elle lit Cookie Mueller<br />

en écoutant Harvest Moon)<br />

et son ado transsexuel, qui<br />

se prénomme désormais Sarah,<br />

croisent la route d’un géant<br />

tatoué et cinéphile, pataugeant<br />

dans la neige en Chelsea boots.<br />

Ensemble, ces trois magnifiques<br />

marginaux, “pas nés dans le<br />

bon corps” au moins pour deux<br />

d’entre eux, vont résister au froid<br />

mortel du monde… Avec ce livre<br />

étrange et follement lyrique,<br />

balayé par des bourrasques<br />

de grésil, opposant des êtres<br />

lumineux à un monde de<br />

ténèbres, l’Écossaise Jenni<br />

Fagan signe un bouleversant<br />

roman apocalyptique, et l’un des<br />

plus beaux textes de la rentrée.<br />

P. B.<br />

DARK NET<br />

BENJAMIN PERCY<br />

Éditions Super 8<br />

★★★<br />

Il existe aujourd’hui un Internet parallèle, sans aucune<br />

limite, permettant de naviguer en toute impunité au gré<br />

d’une infinité de sites cryptés. Une immense poubelle du<br />

Web, où se croisent pédophiles, terroristes et salauds de<br />

tous poils. Le Dark Net. Jusque-là, tout est vrai. Imaginez<br />

maintenant que des forces obscures grenouillant dans<br />

ce marigot tentent de soumettre le monde en hackant les<br />

esprits des internautes pour les transformer en tueurs…<br />

C’est le sujet de ce techno-thriller baroque et affolant,<br />

petit bijou pulp et cyberpunk faisant un écho lointain aux<br />

manipulations et autres fake news qui menacent<br />

aujourd’hui insidieusement le monde. P. B.<br />

HILLBILLY ÉLÉGIE<br />

J.D. VANCE<br />

Globe<br />

★★★<br />

J.D. Vance, la trentaine, vient d’une petite ville industrielle<br />

complètement sinistrée de l’Ohio, et a aussi vécu dans<br />

le Kentucky, élevé par ses grands-parents au sein d’une<br />

famille pauvre et passablement dysfonctionnelle. Ce livre<br />

est le récit de son enfance et de son adolescence. C’est<br />

surtout celui des white trash et autres hillbillies (chantés<br />

par Dwight Yoakam) du Midwest industriel, pour la plupart<br />

d’origine irlando-écossaise, dont la forte culture ouvrière<br />

s’est progressivement diluée dans la crise et la misère,<br />

pour devenir un vivier plein d’amertume et de xénophobie<br />

pour les Républicains les plus durs. Un passionnant portrait<br />

de l’Amérique de Trump. P. B.<br />

Septembre <strong>2017</strong><br />

★★★★★ Classique | ★★★★ Excellent | ★★★ OK ! | ★★ Mouais… | ★ Euh…


RADIOCLASSIQUE<br />

“Days of Pearly Spencer”<br />

David McWilliams<br />

Une radio pirate, un animateur français, des violonnades et un clochard céleste. Il n’en faudra pas plus pour<br />

faire de cette sublime chanson un tube planétaire. Exploit que son auteur ne réussira pas à renouveler…<br />

Par Philippe Barbot<br />

Un matin d’octobre 1967, un animateur<br />

d’une radio française retourne<br />

le 45-tours qu’il vient de recevoir. La<br />

chanson qu’il entend alors, nichée<br />

en face B, le sidère. Il décide aussitôt de la passer<br />

en boucle sur son antenne. Quelques<br />

semaines plus tard, le morceau trône dans les<br />

premières places du hit-parade national. L’animateur<br />

avisé, c’est Gérard Klein, le futur<br />

“Instit” de la télé, qui officiait alors sur France<br />

Inter. La chanson s’intitule “Days of Pearly<br />

Spencer” et est interprétée par un inconnu<br />

nommé David McWilliams.<br />

En anglais, on appelle ça un “one hit wonder”,<br />

un tube sans lendemain. Le<br />

McWilliams en question a enregistré<br />

plus d’une dizaine d’albums,<br />

mais son nom restera à jamais<br />

accolé à une chanson, une seule. Et<br />

quelle chanson ! Une sorte d’ovni<br />

sonore, mélange de folk symphonique<br />

et de pop psychédélique, aux<br />

arrangements dignes des meilleurs<br />

moments des Beatles. On comprendra<br />

plus loin pourquoi.<br />

Irlandais bon teint, David<br />

McWilliams est né en 1945 aux<br />

environs de Belfast. S’il grattouille<br />

la guitare dans un groupe de bal, il<br />

se distingue surtout dans l’équipe<br />

de foot locale, le Linfield FC, pour<br />

laquelle il officie comme gardien de<br />

but. Une blessure à la cheville mettra<br />

fin à sa carrière sportive et l’obligera<br />

à trouver un boulot. Sur les<br />

traces de son père, le voilà devenu<br />

apprenti dans une usine d’armement<br />

qui fabrique… des torpilles. Mais,<br />

plus que les sous-marins, c’est la<br />

musique qui le passionne. Même que, fan de<br />

Buddy Holly, il écrit des chansons, plutôt de<br />

jolies chansons, dans un registre folk. En 1966,<br />

il réussit même à signer chez CBS pour un premier<br />

single intitulé “God and My Country” qui<br />

fait un flop. Pourtant, ses maquettes intéressent<br />

un producteur, Phil Solomon, qui n’est autre que<br />

le manager de groupes comme les Them ou les<br />

Dubliners. On reste entre Irlandais… Sauf que<br />

ledit Solomon a non seulement créé un label de<br />

disques, Major Minor Records, mais est aussi<br />

codirecteur de la station pirate Radio Caroline,<br />

qui émet illégalement mais avec succès dans les<br />

eaux internationales de la mer du Nord, au large<br />

du Royaume-Uni. Une aubaine pour le jeune<br />

chanteur mais, on le verra plus tard, un sacré<br />

handicap aussi.<br />

Grâce à son nouveau mentor, David McWilliams<br />

enregistre deux albums, sous la houlette d’un<br />

réalisateur déjà célèbre pour ses collaborations<br />

avec la crème des artistes british : Mike<br />

Leander, c’est son nom, a produit récemment le<br />

“As Tears Go By” de Marianne Faithfull et, surtout,<br />

a signé les arrangements du “She’s Leaving<br />

Home” des Beatles, à la faveur d’une défection<br />

momentanée de George Martin.<br />

C’est en si bon équipage que le jeune David enregistre<br />

la chanson “Days of Pearly Spencer”, qui<br />

doit figurer sur son deuxième album éponyme.<br />

Une chanson comme une autre, croit-on,<br />

puisqu’elle est destinée à n’être que la face B de<br />

“Harlem Lady”, un titre auquel le label croit<br />

davantage. Mais qui est donc Pearly Spencer ?<br />

“ DES ENVOLÉES DE CORDES<br />

ET UN RIFF UNIQUE”<br />

Une gente damoiselle croisée dans les brumes<br />

irlandaises ? Pas du tout. L’auteur avouera plus<br />

tard qu’il s’agit d’un clochard qu’il a connu autrefois<br />

dans les rues de Ballymena, la ville d’Irlande<br />

du Nord où il a grandi.<br />

Si le titre peut prêter à confusion, le texte, lui,<br />

est éloquent. Écrit à la façon d’un reportage, il<br />

décrit dès la première strophe les quartiers déshérités<br />

de la cité, en ces termes : “Un immeuble,<br />

une rue sale/ Foulée et usée par des pieds nus/<br />

Se déroule à l’infini/ Sous un soleil frissonnant…”<br />

Pas vraiment une bluette. D’autant que<br />

le principal protagoniste de la chanson est<br />

dépeint le teint rougeaud, affublé d’une mauvaise<br />

barbe arrosée au tord-boyaux (sic), et que<br />

le refrain renchérit : “La fin du parcours est<br />

proche…” Le refrain, justement. Tout vient de<br />

là. Outre la voix du chanteur qu’on croirait soudain<br />

passée à travers un mégaphone (en fait,<br />

enregistrée via une cabine téléphonique située<br />

à côté du studio) et son désormais fameux “hin<br />

hin hin”, ce sont les envolées de cordes qui<br />

séduisent immédiatement, un riff unique et<br />

immédiatement mémorisable. La recette d’un<br />

tube, n’est-ce pas ?<br />

Notre Phil Solomon, en businessman avisé (plus<br />

tard, il produira le “Mony Mony” de Tommy<br />

James and the Shondells et achètera les droits<br />

pour le Royaume-Uni du “Je t’aime… Moi non<br />

plus” de Gainsbourg-Birkin) y croit tellement<br />

qu’il décide de sortir le grand jeu : le voilà qui<br />

achète des pages entières de pub dans les<br />

journaux musicaux (avec des slogans du<br />

genre “Le single qui va vous exploser<br />

la tête” ou “L’album qui bouleversera<br />

le cours de la musique”) et décore<br />

les flancs de bus à l’effigie de son<br />

poulain. Lequel arbore de<br />

sémillantes rouflaquettes qui<br />

lui mangent le visage et se<br />

balade dans Londres avec en<br />

poche même pas de quoi<br />

s’acheter un ticket pour ces<br />

damnés bus.<br />

Oui, mais voilà. Si la chanson<br />

est matraquée sur les ondes de<br />

Radio Caroline, la prude et perfide<br />

BBC refuse obstinément de la<br />

diffuser, considérant qu’elle n’a pas<br />

à faire la promotion d’un artiste acoquiné<br />

avec une station concurrente, de<br />

surcroît pirate. Shocking. Il faudra que les<br />

voisins européens, France, Belgique, Pays-<br />

Bas ou Finlande, y mettent du leur pour que<br />

le titre devienne le tube qu’on connaît.<br />

Depuis, les reprises ont évidemment fleuri. Si<br />

la plus célèbre reste celle de Marc Almond<br />

en 1992, elle a également fait les beaux soirs du<br />

easy listening (de Caravelli à Franck Pourcel,<br />

en passant par Raymond Lefevre) et de multiples<br />

adaptations dans toutes les langues, dont<br />

la plus kitsch est sans doute celle de Frank<br />

Alamo, sous le titre “Je connais une chanson”.<br />

Plus récemment, Rodolphe Burger en a offert<br />

une version étonnante, bien dans son style.<br />

David McWilliams est mort d’une crise cardiaque<br />

en janvier 2002, à l’âge de 56 ans. Malgré<br />

ses 150 chansons (qui méritent d’être<br />

redécouvertes, quelque part entre Donovan<br />

et Al Stewart), il n’a jamais retrouvé le chemin<br />

du succès. Quant aux clochards de Ballymena,<br />

Irlande du Nord, ils continuent de marcher<br />

pieds nus.<br />

© DR<br />

98 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />

Septembre <strong>2017</strong>


Actuellement en kiosques<br />

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