NICE GUYS Une œuvre prolifique, une pop inspirante, le duo étincelle toujours.
ROCK & ROLL Sparks forever ! Une pop intemporelle et à forte personnalité : avec ce nouvel album, Hippopotamus, le duo prouve qu’il a toujours beaucoup de choses à dire. Rencontre. Par Sophie Rosemont © ELAINE STOCKI D isons-le honnêtement, on ne pensait pas les retrouver aussi vite. En effet, les frères Russell et Ron Mael nous avaient épatés lors de leur collaboration avec Franz Ferdinand, en 2015. Le fruit de leur travail, FFS, était un disque de rock parfaitement contemporain, sautillant et alternatif à la fois. Lors de la tournée mondiale qui avait suivi, les Sparks s’étaient montrés en très grande forme, mais on n’osait penser les revoir si vite. Même si ce sont ces mêmes concerts qui les ont incités à remettre le couvert ! “Dès le début, nous avons été très excités par ce nouvel album, explique Russell Mael. C’est rare d’avoir l’occasion de sortir autant de chansons en une seule vie, de trouver la force de se réinventer et d’avoir encore un mot à dire à notre âge, alors nous en profitons !” Nous sommes dans la suite d’un hôtel du centre parisien. Chic, mais pas branché. Calme, mais pas morose. On retrouve là la discrétion des Sparks… Même si eux restent reconnaissables entre mille. Ron, sa fine moustache, sa cravate et sa coiffure impeccablement plaquée. Russell et sa chevelure ébouriffée, son style plus décontracté et ses chaussettes de couleur. Tous deux ont respectivement 71 et 68 ans mais ne les font pas, même de près – sans doute grâce à l’air pur californien dans lequel ils baignent depuis leur naissance à Los Angeles. Là où ils écoutaient, enfants, les Kinks, Pink Floyd ou les Who. Dès le début des années 1970, alors qu’ils étudient le théâtre et le cinéma à l’UCLA, ils écrivent leurs propres morceaux. D’abord sous le nom d’Halfnelson, produit par Todd Rundgren, mais sans grand succès, puis en tant que Sparks. C’est avec Kimono My House, en 1974, enregistré avec des musiciens londoniens, que les frères Mael percent véritablement – “This Town Ain’t Big Enough for Both of Us” est un tube dont personne ne s’est vraiment remis. Depuis, leur bonne réputation n’a jamais terni et ils ont réussi à passer du glam à l’art rock et à une drôle d’électro-pop, avec l’aide de Giorgio Moroder. En 2006, Hello Young Lovers témoignait encore de leur inspiration sans cesse renouvelée, tout comme leur comédie musicale consacrée à Ingmar Bergman. Aujourd’hui, tout le gratin de la scène pop contemporaine se réclame d’eux, d’Arcade Fire à MGMT. Le secret d’un tel engouement : leur sens de la mélodie, assorti d’une rigueur presque étonnante dans le milieu de la pop. “Hormis l’exception FFS, nous produisons notre musique nous-mêmes, précise Ron. Tout est plutôt cloisonné, cadré, encapsulé et rassurant. Notre son est singulier, nous y tenons beaucoup et préférons ne pas le laisser à quelqu’un d’autre !” Le but est d’emporter l’auditeur ailleurs que chez lui, sans le perdre en route. Dixit Russell, “ce serait prétentieux de notre part de parler de libération des esprits. Cependant, la pop possède quelque chose que les autres genres n’ont pas : plonger dans un état d’esprit, une ambiance à part.” Enfin, l’esthétique des Sparks est sans aucun doute leur point fort. Leur influence cinématographique est évidente : les deux frères dévorent des films depuis leur plus jeune âge et planchent actuellement sur un projet avec Leos Carax, qui intervient sur la chanson “When You’re a French Director”. “Nous l’avons récemment rencontré à Cannes. Il avait utilisé une de nos chansons dans Holy Motors, ‘How Are You Getting Home?’, raconte Russell. ROCK, ROCK, ROCK Depuis leurs débuts, les Sparks cultivent une esthétique à part. “LA CHANSON EST UN MOYEN LUDIQUE DE PARLER DE NOS CONGÉNÈRES, AVEC TOUT LE RESPECT QU’ON LEUR DOIT.” Nous avons réfléchi à un projet commun de film, qui se nourrisse à la fois de nos paroles et de son expérience personnelle. Ce sera pour Leos son premier film en anglais et à gros budget, le tournage devrait se faire en début d’année prochaine et nous avons hâte de voir le résultat !” Nous aussi. En attendant, on les verra sur la scène de la Cigale pour les 30 ans de la salle parisienne, invités par Catherine Ringer. Depuis leur hit avec les Rita Mitsouko, “Singing in the Shower” (en 1988), ils sont restés très amis. Un peu comme la plupart des gens qui croisent le chemin des frères Mael. En particulier en France, où leur public leur est acquis depuis des années. Ce n’est pas un hasard s’ils citent Édith Piaf dans l’un de leurs nouveaux titres, “Édith Piaf (Said It Better Than Me)” : ils ne regrettent rien, affirment-ils. Mais ce qui ressort le plus souvent des morceaux des Sparks, c’est leur profonde affection pour l’être humain dans les grandes largeurs. En le mettant en scène dans des situations banales (un intérieur au style suédois dans “ Scandinavian Design”, au lit avec sa dulcinée avec “The Missionary Position”) ou insolite (sur un plateau de cinéma dans “When You’re a French Director”, face à une piscine squattée par un hippopotame dans “ Hippopotamus”), c’est lui le héros, quoi qu’il arrive. “La chanson est un moyen très ludique de parler de nos congénères avec tout le respect qu’on leur doit”, confirme Russell Mael. Sur “What the Hell Is It This Time?”, en revanche, ils interrogent indirectement le rapport à Dieu. Sont-ils croyants ? “C’est rassurant de penser qu’il peut y avoir quelque chose, aussi abstrait que cela puisse être. Ce qui est embêtant, c’est de ne pas pouvoir faire appel à Dieu pour des broutilles, attendre les drames pour le supplier de nous venir en aide”, sourit Ron. “Je suis plus attiré par le bouddhisme et le shintoïsme : la présence divine compte, elle peut d’ailleurs se décliner au pluriel, mais elle régit le quotidien des hommes avec plus de subtilité”, répond Russell. En tout cas, leur spiritualité transperce à travers leurs textes poétiques jonglant entre métaphore et pragmatisme, parlant ainsi à toutes les générations. C’est le souhait le plus cher des Sparks, comme l’exprime Russell : “Notre rêve, ce serait qu’un jeune écoute Hippopotamus et se demande pourquoi il n’a pas acheté nos précédents disques !” Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 35