Rolling Stone 09/2017
- No tags were found...
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
Q&R<br />
© FRANK LORIOU<br />
“Le punk en France,<br />
c’était plutôt ‘ future’<br />
que ‘no future’ !”<br />
À l’occasion de ses 40 ans de carrière, Kent sort<br />
un nouvel album. L’occasion de revenir sur un joli pan<br />
de vie mêlant punk-rock, chanson française, BD et romans.<br />
On vient de fêter les 40 ans du punk. Avec<br />
Starshooter, vous étiez aux premières loges à Lyon.<br />
Quel souvenir en conservez-vous ?<br />
Kent : Pour nous, le punk a représenté une occasion<br />
en or d’émerger et de nous faire connaître.<br />
Nous étions dans l’air du temps. Nous avions<br />
un look, une attitude. On faisait tout à toute<br />
vitesse. Nous n’étions pas des punks au sens<br />
anglais du terme. Nous ne raisonnions pas en<br />
termes de “no future”, mais de “future”. Nous<br />
étions surtout opposés à la musique bien frelatée<br />
des années 1970, les Daniel Guichard et<br />
consorts, les années Giscard. À l’époque, nous<br />
avons joué en première partie des Damned. Je<br />
me souviens qu’avec Captain Sensible (l’un des<br />
leaders, ndlr), nous partagions une certaine<br />
forme d’hédonisme et de joie de jouer sur scène,<br />
bien loin du nihilisme des Sex Pistols.<br />
Comment se passait la scène punk à Lyon ?<br />
K. : Grâce à une cassette remise à Philippe<br />
Manœuvre, nous avons eu un article dans<br />
Rock & Folk, ce qui nous a permis de nous faire<br />
connaître. Une véritable chance, car les journalistes<br />
ne se bousculaient pas à Lyon. Nous<br />
cultivions notre attitude antiparisienne avec<br />
Marie et les Garçons. (Rires.) En réalité, nous<br />
étions potes avec Bijou, Trust, Téléphone, cette<br />
génération qui souhaitait secouer le cocotier de<br />
la chanson française. Une saine émulation.<br />
De 1978 à 1981, Starshooter a sorti quatre<br />
albums. Nous avions 20 ans, nous étions les<br />
rois du monde.<br />
En 1981, Pas fatigué est le dernier album de<br />
Starshooter. La gueule de bois ?<br />
K. : Malgré une grosse tournée, ce disque s’est<br />
mal vendu. Nous étions déçus. Nous avons<br />
décidé d’arrêter l’aventure. À l’époque, j’étais<br />
déjà à fond dans la bande dessinée. Après<br />
quatre années, à plein tube, j’en avais un peu<br />
assez du grand cirque du rock’n’roll. J’ai alors<br />
beaucoup écouté les grands chanteurs français<br />
comme Gainsbourg, Brel, Aznavour. Plutôt<br />
qu’à l’interprétation proprement dite, aux<br />
textes, si importants en France, je me suis intéressé<br />
à la musique, aux arrangements, à l’utilisation<br />
très “française” de la valse, par<br />
exemple. En fait, ces auteurs représentent ce<br />
que les grands maîtres de la country – Hank<br />
Propos recueillis par Éric Delon<br />
Williams, Kris Kristofferson – symbolisent<br />
aux États-Unis.<br />
Avec votre premier album solo, Amours propres,<br />
en 1982, vous devenez officiellement un chanteur<br />
français post-punk ?<br />
K. : Oui, j’avais 25 ans et j’étais déjà un has been !<br />
(Rire.) Je suis monté à Paris. J’ai introduit de<br />
l’accordéon dans mes chansons, j’ai voulu<br />
m’inscrire dans une certaine idée de la chanson<br />
française, mais qui ne soit pas momifiée. Même<br />
si je me suis toujours méfié du diktat très hexagonal<br />
de la “chanson à texte”, j’ai beaucoup<br />
travaillé ces derniers. N’oublions pas que si les<br />
spectateurs écoutent avant tout la musique des<br />
groupes, ils écoutent, en priorité, les textes des<br />
chanteurs solos. Par ailleurs, je n’ai jamais été,<br />
contrairement à ce que certains ont écrit, le<br />
chantre de la chanson française. Je ne suis pas<br />
du tout fan de Brassens et de Trenet, par<br />
exemple. Certains journalistes, dans les<br />
années 1990, voulaient à tout prix me faire parler<br />
de la chanson française, alors même que<br />
j’écoutais de la drum’n’bass dans les clubs avec<br />
mes jeunes musiciens.<br />
En 1989, le single “J’aime un pays”, ode à une<br />
France métissée, fait un carton.<br />
K. : Oui, l’album À nos amours dont il est extrait<br />
a très bien marché. Je voulais réagir à cette<br />
France qui commençait à se laisser séduire par<br />
les discours xénophobes du FN. Cette chanson<br />
a rencontré son époque. J’ai eu de la chance.<br />
Outre la BD, vous avez écrit des romans et des<br />
livres pour enfants : une récréation ?<br />
K. : Un vrai désir et un défi à relever. Pour les<br />
romans, j’ai répondu à des propositions que j’ai<br />
acceptées.<br />
Votre nouvel album, La Grande Illusion, est sorti<br />
début février. Quelle en est la genèse ?<br />
K. : En 2015, je me trouvais au 104 (salle d’art et<br />
de spectacle parisienne, ndlr) pour jouer mon<br />
disque Métropolitain avec un groupe d’un instant,<br />
Tahiti Boy – alias David Sztanke. Nous<br />
nous sommes particulièrement bien entendus.<br />
J’avais quelques chansons dans le coin de ma<br />
tête. Nous avons décidé de travailler ensemble<br />
pour ce nouvel album. Ils ont été des “déclencheurs<br />
d’envie”.<br />
La politique ?<br />
K. : Je suis de plus en plus spectateur, un peu<br />
fataliste. Je me dis qu’il est difficile d’agir, qu’il<br />
est presque vain de vouloir enrayer la marche du<br />
monde, la mondialisation, l’élection de Trump.<br />
Rassurez-vous, je vote toujours à gauche, même<br />
si j’ai perdu certaines illusions…<br />
EN FANFARE<br />
Le chanteur revient<br />
avec La Grande<br />
Illusion et dix titres<br />
entre pop et rock.<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 23