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Rolling Stone 09/2017

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Q&R<br />

Frank Darcel :<br />

“ Se construire une vie différente ”<br />

Musicien, écrivain, producteur, éditeur et militant… Avec près de quarante ans de carrière,<br />

l’ex-Marquis de Sade est à nouveau sur le devant de la scène. Collector. Par Philippe Barbot<br />

© JO PINTO MAIA<br />

I<br />

l y a déjà des lustres, à<br />

l’époque où les jeunes gens<br />

modernes aimaient leurs<br />

mamans et posaient en une<br />

du magazine Actuel, il coprésidait<br />

aux destinées du groupe Marquis<br />

de Sade. Un orchestre mythique,<br />

champion de la new wave rennaise<br />

qui, le temps de deux albums à<br />

l’orée des années 1980, a su réinventer<br />

un rock sombre et lyrique<br />

mâtiné d’influences européennes et<br />

de rythmes new-yorkais, mélangeant<br />

expressionnisme allemand et<br />

punk anglo-saxon, singularisé par<br />

un répertoire trilingue et la voix et<br />

la gestuelle du chanteur Philippe<br />

Pascal. Près de quarante ans après,<br />

Frank Darcel manie toujours la<br />

guitare, mais a également empoigné<br />

le micro, au sein d’un nouveau<br />

combo nommé “Republik”, dont le<br />

deuxième album, Exotica, est paru<br />

il y a quelques mois. Un disque résolument<br />

contemporain, impérieux et<br />

romantique, dans lequel on<br />

retrouve les influences chères à ce<br />

fan du Velvet Underground et des<br />

Talking Heads, dont il a invité,<br />

entre autres, Tina Weymouth et<br />

Chris Frantz sur le précédent opus.<br />

Musicien, écrivain, producteur, éditeur<br />

et militant, Frank Darcel a eu<br />

plusieurs vies. Il a guidé les premiers<br />

pas de Pascal Obispo, accompagné<br />

Étienne Daho sur le chemin<br />

du succès, produit des disques d’or<br />

au Portugal et un album pour Alan<br />

Stivell, écrit trois romans (le prochain,<br />

Pagan, un polar rennais,<br />

sortira en novembre), supervisé une<br />

somme en deux volumes sur l’histoire<br />

du “Rok” en Bretagne et continue<br />

d’œuvrer pour l’autonomie de<br />

sa région natale. À l’heure où l’on<br />

réédite les albums culte de son premier<br />

groupe, réuni pour un concert<br />

événement, rencontre avec un activiste<br />

débordant d’activité.<br />

Trente-six ans après la dissolution du<br />

groupe, il est question d’une reformation<br />

de Marquis de Sade. Qu’en est-il ?<br />

F. D. : C’est venu d’un ami graphiste,<br />

Patrice Poch, un passionné de<br />

longue date du groupe, qui a toujours<br />

collectionné les archives et<br />

même répertorié toutes nos<br />

anciennes dates de tournée. Il a eu<br />

envie d’organiser une expo qui<br />

aura lieu en septembre, à Rennes,<br />

avec la collaboration d’artistes<br />

illustrant chacun un titre de<br />

Marquis de Sade. Dans ce cadre, il<br />

nous a convaincus de faire un<br />

concert unique. L’idée est de<br />

recréer surtout l’ambiance du premier<br />

album, Dantzig Twist.<br />

À l’époque, Marquis de Sade était<br />

considéré comme un groupe à part,<br />

plus européen que français…<br />

F. D. : Nous sommes nés à cause des<br />

groupes à deux guitares comme<br />

Television, Richard Hell and the<br />

Voidoids ou les Feelies, que j’avais<br />

vus à plusieurs reprises à<br />

New York, en 1978. Nous ne voulions<br />

surtout pas ressembler aux<br />

groupes français de l’époque et<br />

même, ne pas refaire comme ceux<br />

que nous aimions. Nous étions<br />

influencés par les mouvements<br />

culturels d’entre-deux-guerres, le<br />

cinéma expressionniste, les films<br />

de Wenders, ce pont entre<br />

l’Europe de l’Est et l’Amérique.<br />

Avec tout ça, nous avons fait notre<br />

mélange à nous.<br />

Qu’est ce qui, finalement, a provoqué<br />

la fin du groupe ?<br />

F. D. : Après le deuxième album,<br />

Rue de Siam, en 1981, nous avons<br />

commencé à avoir des dissensions<br />

musicales. J’allais souvent à<br />

New York, grâce à un oncle qui<br />

avait émigré là-bas. Je hantais les<br />

clubs et j’avais découvert les<br />

Talking Heads, mais également<br />

Material, le groupe de Bill<br />

Laswell. J’avais envie d’introduire<br />

ce côté soul urbain dans notre<br />

musique. Et puis notre label, s’il<br />

était sympathique, avait un côté<br />

bricolo qui ne nous satisfaisait<br />

plus. Je pensais que l’on méritait<br />

davantage de soutien et de<br />

moyens. En fait, le message punk<br />

me plaisait vraiment : ne rien<br />

inscrire dans la durée, réinventer<br />

son avenir en décidant de tout<br />

casser et de recommencer.<br />

Ensuite, à côté de Marc Seberg, le<br />

groupe de Philippe Pascal, vous fondez<br />

Octobre, puis Senso, avec un<br />

chanteur nommé Pascal Obispo…<br />

F. D. : Avec Octobre, nous avons<br />

enregistré deux albums avec deux<br />

chanteurs différents, dont Patrick<br />

Vidal, ex-Marie et les Garçons.<br />

Nous avons même joué en première<br />

partie de David Bowie, à l’hippodrome<br />

d’Auteuil, en juin 1983. Puis<br />

j’ai créé Senso, deux albums aussi,<br />

dont un avec Pascal Obispo : il était<br />

bassiste à l’époque, une sorte de<br />

“J’AIMAIS BIEN LE<br />

MESSAGE PUNK :<br />

RÉINVENTER<br />

SON AVENIR,<br />

TOUT CASSER ET<br />

RECOMMENCER.”<br />

rocker sophistiqué qui écoutait<br />

David Sylvian et Sakamoto. Un<br />

jour de répétition, il nous a fait une<br />

imitation très réussie d’Yves<br />

Montand et je lui ai proposé de<br />

prendre le micro. C’est ce jour-là<br />

qu’il est devenu chanteur. Le<br />

disque n’est sorti qu’à mille exemplaires<br />

et est passé assez inaperçu.<br />

Mais j’ai été l’éditeur de son premier<br />

album solo, ce qui a amélioré<br />

mon ordinaire…<br />

Comment avez-vous été amené à<br />

collaborer avec Étienne Daho ?<br />

F. D. : J’ai commencé à travailler sur<br />

ses premières maquettes, comme<br />

musicien, arrangeur et co-compositeur.<br />

Comme le premier album,<br />

Mythomane, n’avait pas vraiment<br />

marché, on lui a demandé d’enregistrer<br />

ensuite un maxi-single. On<br />

a fait “Le Grand Sommeil” avec<br />

trois francs six sous et ça a été le<br />

premier tube radio d’Étienne. Du<br />

coup, j’ai produit l’album suivant<br />

La Notte, la Notte, en 1984, qui a<br />

été disque d’or. Puis le titre “Tombé<br />

pour la France”. Les groupes commençaient<br />

à me lasser, j’étais ravi<br />

de me lancer dans la production.<br />

Ensuite, je suis parti pour le<br />

Portugal où j’ai travaillé dix ans,<br />

essentiellement avec un artiste très<br />

populaire là-bas, Paulo Gonzo,<br />

dont j’ai produit cinq albums.<br />

Après le Portugal, vous devenez<br />

militant autonomiste breton. Un<br />

retour aux sources ?<br />

F. D. : Je suis né à Loudéac, au cœur<br />

du pays breton, mais je me sentais<br />

plutôt européen. J’avais un grandpère<br />

qui militait pour la défense de<br />

la langue bretonne et un jour, je<br />

suis tombé sur une caisse de livres<br />

qui lui appartenaient. Ça a été un<br />

choc terrible. Je me suis rendu<br />

compte que tout ce que j’avais<br />

appris à l’école n’avait rien à voir<br />

avec l’histoire du lieu où je vivais,<br />

que le roman national français a<br />

complètement occultée. Plus tard,<br />

j’ai participé aux élections municipales<br />

de 2008 avec le Parti Breton<br />

et je suis devenu collaborateur politique<br />

à la mairie de Rennes pendant<br />

trois ans. En 2014, j’ai fait<br />

partie de la liste de Breizh Europa,<br />

un micro-parti qui milite pour une<br />

citoyenneté bretonne et européenne.<br />

Nous avons fait 3,8 %, ce<br />

qui n’était jamais arrivé. Aux prochaines<br />

municipales, je serai tête<br />

de liste à Rennes.<br />

La musique, la politique, l’écriture…<br />

C’est quoi le lien dans tout ça ?<br />

F. D. : Dans ma vie, j’ai fait plein de<br />

petits boulots : carreleur en<br />

Bretagne, livreur de perruques à<br />

Manhattan, régisseur en Chine,<br />

marchand de tableaux sur<br />

Internet, importateur de guitares<br />

vintage… Mais j’ai compris assez<br />

vite que la musique permettait de<br />

se construire une vie différente.<br />

L’écriture et le militantisme en<br />

font pleinement partie. Le tout<br />

est que cela dure le plus longtemps<br />

possible…<br />

Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 31

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