Rolling Stone 09/2017
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CHARLES<br />
BERBÉRIAN<br />
d’un baffle à l’autre, ça me rendait dingue.<br />
Avant de sonner un peu comme les Beatles,<br />
la musique des Young Rascals baignait dans<br />
la soul et le R’n’B ;“Groovin’” est un authentique<br />
tube de blue-eyed soul.<br />
On est au cœur des années 1970. En ce qui<br />
concerne les groupes de rock, vous êtes alors plutôt<br />
attiré par ce qui se fait en France, en Angleterre<br />
ou aux États-Unis ?<br />
C. B. : J’ai tout de suite été séduit davantage<br />
par les songwriters américains qu’anglais.<br />
Paul Simon et Neil Young ont beaucoup<br />
compté dans ma culture rock, tout comme<br />
James Taylor. J’avais vu au cinéma le film<br />
A Hard Day’s Night, mais on n’écoutait pas<br />
beaucoup les Beatles à la maison. À cette<br />
époque, je préférais les outsiders aux têtes<br />
couronnées : les Young Rascals ou Bill Deal<br />
& The Rhondels me plaisaient davantage que<br />
les <strong>Stone</strong>s, par exemple. Ensuite, j’ai bifurqué<br />
vers une petite période prog rock anglaise<br />
avec Pink Floyd et Genesis. À 17 ans, j’étais<br />
particulièrement attaché à une compilation<br />
de rhythm’n’blues, sortie sur le label Atlantic,<br />
avec Booker T. & the MG’s, Solomon Burke<br />
et Wilson Pickett. Une vraie machine à hits<br />
avec en tête de liste l’incontournable “In the<br />
Midnight Hour”. Bizarrement, le premier<br />
tube français que j’ai appris par cœur, c’était<br />
“Le Téléfon” de Nino Ferrer. C’était du R’n’B<br />
“à la française”. J’adorais ça !<br />
À propos de rhythm’n’blues, vous êtes de<br />
quelle école ? Stax ? ou Atlantic ?<br />
C. B. : Le label Atlantic, en priorité. Dans leur<br />
catalogue, on trouvait du très lourd : Aretha<br />
Franklin, Percy Sledge et l’irremplaçable<br />
Wilson Pickett. Leurs chansons me touchaient<br />
au cœur et je n’arrêtais pas de les<br />
chanter. À la même période, j’avais une<br />
espèce d’obsession, une sorte de tic de langage<br />
: j’imitais sans cesse le son de la wahwah.<br />
(Sourire.) C’est sur le label Stax, qui par<br />
la suite sera absorbé par Atlantic, que je<br />
découvrirai Otis Redding, Sam & Dave et<br />
Isaac Hayes. Avec lui, je touchais le graal du<br />
R’n’B. Son générique génialissime de Shaft<br />
me renverse littéralement dès la première<br />
écoute. En plus, lui, la wah-wah il connaissait<br />
ça par cœur. Parallèlement, je me<br />
branche sur les musiques de feuilletons télé<br />
avec Mission : Impossible ou Mannix. Je<br />
voulais les disques de Lalo Schifrin qu’on ne<br />
trouvait pas encore chez le disquaire du coin.<br />
Il fallait les commander en import. Je patientais.<br />
J’avais besoin de ces disques.<br />
Quel a été votre premier vrai choc musical ?<br />
C. B. : J’en ai eu quelques-uns. Tout d’abord,<br />
sur les conseils avertis de mon frère, je suis<br />
tombé sur un best of de Tony Joe White où<br />
figurait la chanson “Polk Salad Annie”. Une<br />
mélodie inoubliable, magique, avec ce timbre<br />
vocal unique. Un jour, mon frère rapporte à<br />
la maison un 45-tours de Bill Deal and The<br />
Rhondels, “May I”. C’était un groupe de<br />
Blancs qui jouait du rhythm’n’blues comme<br />
les Noirs américains. Imparable ! Ça a été un<br />
vrai choc. Au même titre que les Young<br />
Rascals avec “Groovin’”.<br />
Paul Simon tient une place importante dans<br />
votre panthéon musical. Comment le<br />
découvrez-vous ?<br />
C. B. : En 1974, lors de mon premier voyage en<br />
France, j’achète mes premiers disques. Il y<br />
avait notamment l’album There Goes Rhymin’<br />
Simon, de Paul Simon. À l’époque, les albums<br />
CBS étaient interdits au Liban parce qu’estampillés<br />
“label juif”… Du coup, impossible de<br />
trouver le moindre disque CBS au Liban. Pas<br />
de Santana, pas de Paul Simon. Je suis donc<br />
en France dans un supermarché avec ma<br />
mère, qui accepte que je prenne un disque. Je<br />
le prends un peu par hasard, parce que c’est un<br />
album CBS et que mon frère aime bien Simon<br />
and Garfunkel. Un coup de bol qui va vite<br />
“ quand j'ai<br />
commencé<br />
la guitare, les<br />
deux premiers<br />
morceaux<br />
que j'ai joués<br />
venaient<br />
de harvest,<br />
de neil young.<br />
”<br />
devenir mon disque fétiche. Depuis, je ne me<br />
lasse pas de le réécouter. Je connais les chansons<br />
par cœur, de “Take Me to the Mardi Gras”<br />
à “American Tune”. Il y a aussi cette pochette<br />
complètement démente, signée Milton Glaser.<br />
Au niveau des compos, Paul Simon m’a autant<br />
marqué que James Taylor…<br />
Avec James Taylor, on reste dans le son et l’esthétique<br />
West Coast. Musicalement, c’est votre<br />
ADN ?<br />
C. B. : Oui, sans aucun doute. Je découvre<br />
James Taylor encore une fois grâce à mon<br />
frère. Quand j’écoute pour la première fois<br />
son album Sweet Baby James, je suis séduit<br />
par la finesse du compositeur et l’élégance du<br />
musicien. Il y a aussi Carole King au piano,<br />
qui fait partie de la bande. C’est James Taylor<br />
qui m’a donné envie de jouer de la guitare. À<br />
ce moment-là, je commençais à dessiner et<br />
les chansons de Taylor et de Simon accompagnaient<br />
mes journées.<br />
On arrive à Neil Young, dont vous êtes un grand<br />
fan. Dans sa discographie, il y a des périodes que<br />
vous préférez plus que les autres ?<br />
C. B. : Neil Young c’est une découverte assez<br />
tardive. Il est arrivé dans les parages avec<br />
Crosby, Stills & Nash. Tous les quatre, ils<br />
sortent l’album Déjà vu. J’écoute beaucoup le<br />
disque et surtout la chanson “Helpless”, que je<br />
passe en boucle. Quand j’ai commencé la guitare,<br />
les deux premiers morceaux que j’ai joués<br />
venaient de l’album Harvest. C’était “The<br />
Needle and the Damage Done” et “Heart of<br />
Gold”. Je deviendrai vraiment fan de Neil<br />
Young des années plus tard, quand je<br />
découvre Everybody Knows This Is Nowhere<br />
avec Crazy Horse. Il y a ce son de guitare volcanique,<br />
incendiaire. Sur “Down by the<br />
River”, par exemple, les guitares de Neil et de<br />
Danny Whitten sont grandioses. Depuis, je<br />
l’ai suivi sur des chemins de traverse pas évidents<br />
comme sur l’album Re-ac-tor ou Comes<br />
a Time qui, à mon sens, reste l’un de ses meilleurs<br />
disques country à ce jour.<br />
On arrive à Bob Dylan. Quelle place occupe-t-il<br />
dans votre culture rock ?<br />
C. B. : Beaucoup plus aujourd’hui qu’avant. J’ai<br />
vraiment commencé à faire une fixation sur<br />
Dylan quand il a sorti en Time Out of Mind<br />
que j’ai adoré comme jamais je n’avais aimé<br />
un album de Dylan auparavant. Du coup, je<br />
suis remonté à la source. Je l’ai réécouté<br />
autrement, de Highway 61 Revisited à<br />
Blonde on Blonde en passant par les coffrets.<br />
Là, j’ai enfin compris que Dylan faisait de la<br />
musique comme un peintre. Quand il fait un<br />
morceau, ce n’est jamais fini. Il rajoute des<br />
couches. Il les enlève. Comme faisait Matisse<br />
quand il peignait sur un tableau. Pour lui, les<br />
chansons sont des matières vivantes qu’il<br />
continue à malaxer. Dylan ne se préoccupe<br />
pas des albums qu’il enregistre. C’est un mec<br />
qui a un rapport à son travail aussi fascinant<br />
que celui que Moebius avait avec le dessin. Je<br />
m’intéresse beaucoup à ce qui relie le dessin<br />
et la musique. J’ai une perception encore plus<br />
riche aujourd’hui de ce que je perçois de leur<br />
travail par le prisme du dessin pour Dylan et<br />
de la musique pour Moebius. Il y a deux ans,<br />
je suis tombé amoureux fou de The Band.<br />
Pour moi, c’est un tout : il y a Dylan et The<br />
Band. La période avec The Band, c’est-à-dire<br />
The Basement Tapes et la tournée de 1974.<br />
C’est de loin la meilleure formation qui a<br />
accompagné Dylan sur scène.<br />
Revenons à la musique californienne des 70’s.<br />
Que vous évoque Joni Mitchell ? Jackson Browne ?<br />
C. B. : Joni Mitchell est une artiste complète,<br />
qui sait surtout écrire de très bonnes chansons.<br />
Elle peint également. Quand je l’écoute<br />
sur les albums Blue ou Court and Spark, j’ai<br />
toujours éprouvé plus d’émotion que sur un<br />
disque de Linda Ronstadt ou des Eagles, au<br />
hasard. (Sourire.) À part leur disque<br />
Desperado, j’avoue que je déteste les Eagles.<br />
60 | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | rollingstone.fr<br />
Septembre <strong>2017</strong>