Rolling Stone 09/2017
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ROCK & ROLL<br />
Sparks forever !<br />
Une pop intemporelle et à forte personnalité : avec ce nouvel album, Hippopotamus,<br />
le duo prouve qu’il a toujours beaucoup de choses à dire. Rencontre. Par Sophie Rosemont<br />
© ELAINE STOCKI<br />
D<br />
isons-le honnêtement,<br />
on ne pensait pas les<br />
retrouver aussi vite. En<br />
effet, les frères Russell<br />
et Ron Mael nous avaient épatés<br />
lors de leur collaboration avec<br />
Franz Ferdinand, en 2015. Le fruit<br />
de leur travail, FFS, était un disque<br />
de rock parfaitement contemporain,<br />
sautillant et alternatif à la<br />
fois. Lors de la tournée mondiale<br />
qui avait suivi, les Sparks s’étaient<br />
montrés en très grande forme,<br />
mais on n’osait penser les revoir si<br />
vite. Même si ce sont ces mêmes<br />
concerts qui les ont incités à<br />
remettre le couvert ! “Dès le début,<br />
nous avons été très excités par ce<br />
nouvel album, explique Russell<br />
Mael. C’est rare d’avoir l’occasion<br />
de sortir autant de chansons en<br />
une seule vie, de trouver la force de<br />
se réinventer et d’avoir encore un<br />
mot à dire à notre âge, alors nous<br />
en profitons !”<br />
Nous sommes dans la suite d’un<br />
hôtel du centre parisien. Chic,<br />
mais pas branché. Calme, mais<br />
pas morose. On retrouve là la discrétion<br />
des Sparks… Même si eux<br />
restent reconnaissables entre<br />
mille. Ron, sa fine moustache, sa<br />
cravate et sa coiffure impeccablement<br />
plaquée. Russell et sa chevelure<br />
ébouriffée, son style plus<br />
décontracté et ses chaussettes de<br />
couleur. Tous deux ont respectivement<br />
71 et 68 ans mais ne les font<br />
pas, même de près – sans doute<br />
grâce à l’air pur californien dans<br />
lequel ils baignent depuis leur<br />
naissance à Los Angeles. Là où ils<br />
écoutaient, enfants, les Kinks,<br />
Pink Floyd ou les Who. Dès le<br />
début des années 1970, alors qu’ils<br />
étudient le théâtre et le cinéma à<br />
l’UCLA, ils écrivent leurs propres<br />
morceaux. D’abord sous le nom<br />
d’Halfnelson, produit par Todd<br />
Rundgren, mais sans grand succès,<br />
puis en tant que Sparks. C’est<br />
avec Kimono My House, en 1974,<br />
enregistré avec des musiciens londoniens,<br />
que les frères Mael<br />
percent véritablement – “This<br />
Town Ain’t Big Enough for Both<br />
of Us” est un tube dont personne<br />
ne s’est vraiment remis. Depuis,<br />
leur bonne réputation n’a jamais<br />
terni et ils ont réussi à passer du<br />
glam à l’art rock et à une drôle<br />
d’électro-pop, avec l’aide de<br />
Giorgio Moroder. En 2006, Hello<br />
Young Lovers témoignait encore<br />
de leur inspiration sans cesse<br />
renouvelée, tout comme leur<br />
comédie musicale consacrée à<br />
Ingmar Bergman. Aujourd’hui,<br />
tout le gratin de la scène pop<br />
contemporaine se réclame d’eux,<br />
d’Arcade Fire à MGMT.<br />
Le secret d’un tel engouement : leur<br />
sens de la mélodie, assorti d’une<br />
rigueur presque étonnante dans le<br />
milieu de la pop. “Hormis l’exception<br />
FFS, nous produisons notre<br />
musique nous-mêmes, précise<br />
Ron. Tout est plutôt cloisonné,<br />
cadré, encapsulé et rassurant.<br />
Notre son est singulier, nous y<br />
tenons beaucoup et préférons ne<br />
pas le laisser à quelqu’un d’autre !”<br />
Le but est d’emporter l’auditeur<br />
ailleurs que chez lui, sans le perdre<br />
en route. Dixit Russell, “ce serait<br />
prétentieux de notre part de parler<br />
de libération des esprits. Cependant,<br />
la pop possède quelque chose<br />
que les autres genres n’ont pas :<br />
plonger dans un état d’esprit, une<br />
ambiance à part.” Enfin, l’esthétique<br />
des Sparks est sans aucun<br />
doute leur point fort. Leur<br />
influence cinématographique est<br />
évidente : les deux frères dévorent<br />
des films depuis leur plus jeune âge<br />
et planchent actuellement sur un<br />
projet avec Leos Carax, qui intervient<br />
sur la chanson “When You’re<br />
a French Director”. “Nous l’avons<br />
récemment rencontré à Cannes. Il<br />
avait utilisé une de nos chansons<br />
dans Holy Motors, ‘How Are You<br />
Getting Home?’, raconte Russell.<br />
ROCK, ROCK, ROCK<br />
Depuis leurs débuts,<br />
les Sparks cultivent<br />
une esthétique à part.<br />
“LA CHANSON EST UN MOYEN LUDIQUE<br />
DE PARLER DE NOS CONGÉNÈRES, AVEC<br />
TOUT LE RESPECT QU’ON LEUR DOIT.”<br />
Nous avons réfléchi à un projet<br />
commun de film, qui se nourrisse<br />
à la fois de nos paroles et de son<br />
expérience personnelle. Ce sera<br />
pour Leos son premier film en<br />
anglais et à gros budget, le tournage<br />
devrait se faire en début d’année<br />
prochaine et nous avons hâte<br />
de voir le résultat !” Nous aussi. En<br />
attendant, on les verra sur la scène<br />
de la Cigale pour les 30 ans de la<br />
salle parisienne, invités par<br />
Catherine Ringer. Depuis leur hit<br />
avec les Rita Mitsouko, “Singing in<br />
the Shower” (en 1988), ils sont restés<br />
très amis. Un peu comme la<br />
plupart des gens qui croisent le<br />
chemin des frères Mael. En particulier<br />
en France, où leur public<br />
leur est acquis depuis des années.<br />
Ce n’est pas un hasard s’ils citent<br />
Édith Piaf dans l’un de leurs nouveaux<br />
titres, “Édith Piaf (Said It<br />
Better Than Me)” : ils ne regrettent<br />
rien, affirment-ils.<br />
Mais ce qui ressort le plus souvent<br />
des morceaux des Sparks, c’est leur<br />
profonde affection pour l’être<br />
humain dans les grandes largeurs.<br />
En le mettant en scène dans des<br />
situations banales (un intérieur au<br />
style suédois dans “ Scandinavian<br />
Design”, au lit avec sa dulcinée<br />
avec “The Missionary Position”) ou<br />
insolite (sur un plateau de cinéma<br />
dans “When You’re a French<br />
Director”, face à une piscine squattée<br />
par un hippopotame dans<br />
“ Hippopotamus”), c’est lui le héros,<br />
quoi qu’il arrive. “La chanson est<br />
un moyen très ludique de parler de<br />
nos congénères avec tout le respect<br />
qu’on leur doit”, confirme Russell<br />
Mael. Sur “What the Hell Is It This<br />
Time?”, en revanche, ils interrogent<br />
indirectement le rapport à<br />
Dieu. Sont-ils croyants ? “C’est rassurant<br />
de penser qu’il peut y avoir<br />
quelque chose, aussi abstrait que<br />
cela puisse être. Ce qui est embêtant,<br />
c’est de ne pas pouvoir faire<br />
appel à Dieu pour des broutilles,<br />
attendre les drames pour le supplier<br />
de nous venir en aide”, sourit<br />
Ron. “Je suis plus attiré par le<br />
bouddhisme et le shintoïsme : la<br />
présence divine compte, elle peut<br />
d’ailleurs se décliner au pluriel,<br />
mais elle régit le quotidien des<br />
hommes avec plus de subtilité”,<br />
répond Russell. En tout cas, leur<br />
spiritualité transperce à travers<br />
leurs textes poétiques jonglant<br />
entre métaphore et pragmatisme,<br />
parlant ainsi à toutes les générations.<br />
C’est le souhait le plus cher<br />
des Sparks, comme l’exprime<br />
Russell : “Notre rêve, ce serait<br />
qu’un jeune écoute Hippopotamus<br />
et se demande pourquoi il n’a pas<br />
acheté nos précédents disques !”<br />
Septembre <strong>2017</strong> rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 35