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Rolling Stone 09/2017

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Making Of<br />

ÉTAT DE GRÂCE<br />

Paul Simon aura mis cinq ans à publier le concert anniversaire<br />

donné en 2012 à Londres et célébrant le quart de siècle de son album<br />

événement, Graceland, sorti en 1987, avec les musiciens sud-africains<br />

qui l’avaient accompagné sur cet opus hors normes.<br />

Par BELKACEM BAHLOULI<br />

© GETTY IMAGES. SONY MUSIC. DR.<br />

On se souvient encore du titre du quotidien<br />

de Harare, au Zimbabwe : “Disgraceland”. Cette<br />

violente manchette faisait suite au concert de<br />

Paul Simon au stade Rufaro avec son groupe sudafricain,<br />

le 14 février 1987. Elle symbolise<br />

également toutes ces polémiques qui ont entouré<br />

l’enregistrement et la sortie de l’album Graceland,<br />

l’un des plus beaux fleurons des années 1980. Mais depuis, de l’eau est<br />

passée sous les ponts. L’album est devenu “culte”, Simon a fait deux tournées<br />

mondiales avec les musiciens qui avaient participé à ce disque<br />

séminal, celui-là même qui a lancé la grande vogue de la “world music” au<br />

cœur des années 1980. À tel point que, vingt-cinq ans plus tard, son auteur<br />

décide de faire revivre ce moment magique, d’abord en Afrique du Sud lors<br />

d’un concert à Johannesburg, puis à Londres où, jusqu’à l’orée des<br />

années 1990, les musiciens sud-africains n’avaient pas le droit de se produire,<br />

qu’ils soient Noirs ou Blancs, de Johnny Clegg à Mahlathini &<br />

Mahotella Queens. Belle revanche. Et c’est devant plus de 60000 personnes<br />

que Graceland, in extenso, revécut un soir de juillet 2012. Ce live<br />

est resplendissant : outre l’intégrale de l’album “world”, Paul Simon y joue<br />

bien entendu ses plus grands succès, parmi eux une poignante version<br />

acoustique de l’inusable “Sound of Silence”, une relecture avec Jerry Wexler<br />

à la slide de “The Boxer” et un final en forme de profession de foi, “Still<br />

Crazy After All These Years”. Bref, un double CD assorti d’un DVD/Blu-ray<br />

indispensable.<br />

Flash-back. Les années 1980 n’avaient pas épargné Paul Simon. Après le<br />

succès des trois albums qui ont suivi Bridge Over Troubled Water, il a du<br />

mal à retrouver son inspiration ; One-Trick Pony comme Hearts and Bones<br />

sont des déceptions. Pire encore pour le moral, l’album live enregistré avec<br />

Art Garfunkel à Central Park en 1981 est certifié double platine. Son heure<br />

est-elle passée ? Est-il un artiste fini pour nostalgiques ? Dans Under<br />

African Skies, l’impressionnant documentaire de Joe Berlinger consacré<br />

à l’aventure Graceland, il prétend avoir abordé ce déclin avec optimisme :<br />

“Parfait, la prochaine fois, personne ne sera là pour regarder par-dessus<br />

mon épaule.” Paul Simon peut faire quelque chose qui l’intéresse, parce<br />

que plus personne ne s’intéresse à lui. “Quand j’ai voulu enregistrer ‘Mother<br />

and Child Reunion’ en 1971, j’ai appelé le gars qui avait enregistré Jimmy<br />

Cliff et je lui ai dit que j’aimerais enregistrer là-bas. J’avais compris qu’il<br />

faut aller là où sont les musiciens si on veut avoir le bon son, et c’est ce qui<br />

s’est passé avec Graceland. Je suis allé en Afrique du Sud parce que c’était<br />

là-bas qu’était cette musique.”<br />

C’est aussi là que les ennuis commencent, parce que l’Afrique du Sud n’est<br />

pas un pays comme un autre. Depuis 1948, le National Party au pouvoir<br />

applique une politique de ségrégation raciale et de développement séparé<br />

entre les Noirs et les Blancs (et les Asiatiques et les “métis”), mais aussi<br />

entre les différentes tribus. Dans le documentaire de Berlinger, Simon<br />

demande à Quincy Jones : “Pourquoi les politiciens sont-ils considérés<br />

comme des experts ?” Bonne question : alors que les Nations unies imposent<br />

une série de boycotts pour mettre la pression sur le gouvernement sudafricain,<br />

Ronald Reagan et Margaret Thatcher soutiennent une politique<br />

“d’engage ment constructif”, censée, selon eux, mettre fin à l’apartheid en<br />

atténuant les sanctions et en récompensant la minorité blanche d’empêcher<br />

la propagation du communisme.<br />

Parallèlement, The Indestructible Beat of Soweto, compilé par Herman et<br />

publié sur le label Earthworks, arrive sur le marché international en 1985.<br />

“Ils avaient sorti un truc appelé Zulu Jive, dit Herman, c’est la meilleure<br />

musique du pays, laissez-moi compiler et sortir les bons trucs.” Présentant<br />

des artistes comme Nelcy Sedibe, Simon ‘Mahlathini’ Nka binde et<br />

Ladysmith Black Mambazo, il ne passe pas beaucoup sur les grandes radios<br />

mais, salué par Robert Christgau du Village Voice comme “le disque le plus<br />

important des années 1980”, prépare les critiques à l’album sur lequel Paul<br />

Simon est discrètement en train de travailler.<br />

Après avoir parlé à son label, qui lui suggère d’enregistrer en Amérique, et<br />

à des amis comme Harry Belafonte, qui lui conseille de demander la<br />

permis sion à l’African National Congress (ANC), qui représente la majorité<br />

des Sud-Africains noirs, Simon se rend à Johannesburg en février 1985.<br />

Rosenthal a réservé du temps de studio pour ses groupes préférés –<br />

Stimela, le groupe soul du guitariste Ray Phiri ; Tau Ea Matsekha, un<br />

groupe du Lesotho emmené par l’accordéoniste Forere Motloheloa et le<br />

bassiste Baghiti Khumalo ; General MD Shirinda And The Gaza Sisters,<br />

qui viennent du Gazankulu ; et The Boyoyo Boys, spécialement reformés<br />

après la mort de leur batteur – et il s’agit maintenant de les rassurer, car ils<br />

ont enfreint la loi sur les laissez-passer, de se détendre et de voir ce que ça<br />

donne. Si l’on en croit le film de ces séances, le temps que Simon a passé à<br />

travailler avec ces groupes a été une fête du début à la fin, mais rien que<br />

Septembre <strong>2017</strong><br />

rollingstone.fr | <strong>Rolling</strong> <strong>Stone</strong> | 81

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