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Voir le texte de présentation complet (pdf) - Harmonia Mundi

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Les Mörike-Lie<strong>de</strong>r<br />

Parmi <strong>le</strong>s quelque trois cents lie<strong>de</strong>r composés par Hugo Wolf, <strong>le</strong>s cinquante-trois pièces<br />

sur <strong>de</strong>s poèmes d’Eduard Mörike, écrites entre <strong>le</strong> 16 février et <strong>le</strong> 26 novembre 1888,<br />

représentent <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> <strong>le</strong> plus important par <strong>le</strong>ur nombre. Depuis l’âge <strong>de</strong> dix-huit ans, Wolf<br />

possédait <strong>le</strong>s œuvres du poète souabe et avait fini par <strong>le</strong>ur attacher un tel prix qu’il confessait<br />

en 1886 ne pas pouvoir s’en séparer fût-ce même une heure. Grâce à ces poè mes, écrit<br />

encore Hans Jancik, “il s’était enfin trouvé, il avait trou vé son sty<strong>le</strong> après avoir longuement erré<br />

et cherché”. Eduard Mörike, théologien originaire <strong>de</strong> Ludwigsburg, est sou vent qualifié <strong>de</strong><br />

poétaillon bourgeois. Jugement pour <strong>le</strong> moins inexact, car on rencontre chez lui, à côté d’une<br />

piété fervente, <strong>de</strong>s fantasmes érotiques qui ne cadrent guère avec ses fonctions pas tora<strong>le</strong>s<br />

et, à côté <strong>de</strong> l’éloge <strong>de</strong>s petits bonheurs quotidiens, une robus te ironie et un sens aigu du<br />

récit “noir”, incluant la même cou<strong>le</strong>ur d’humour.<br />

La plupart <strong>de</strong>s poèmes <strong>de</strong> Mörike, même quand il s’agit <strong>de</strong> formes rigoureuses comme<br />

<strong>le</strong>s sonnets, ne se laissent pas enfer mer dans une idée unique. À l’exception <strong>de</strong> quelques<br />

balla<strong>de</strong>s, ils ne comportent pas <strong>de</strong> message ou d’intrigue univoques, ne sont pas tendus<br />

vers un objectif précis. Ils se présentent bien plutôt comme <strong>de</strong>s fragments arrachés<br />

à un con<strong>texte</strong> plus vaste, <strong>de</strong>s instantanés qui laissent <strong>de</strong>viner plus qu’ils ne montrent.<br />

Cette ouverture, ainsi que <strong>le</strong>s sonorités <strong>de</strong> la langue <strong>de</strong> Mörike et son art d’évoquer une<br />

atmosphère, avaient déjà inspiré plusieurs compositeurs. Mais aucun d’eux, avant ce<br />

Viennois d’adoption qu’était Hugo Wolf, ne s’était encore attaqué à tout un cyc<strong>le</strong> <strong>de</strong> plus <strong>de</strong><br />

cinquante poèmes dont l’audition intégra<strong>le</strong> durerait aussi longtemps qu’un drame musical.<br />

Car ces cinquante-trois lie<strong>de</strong>r sont bel et bien conçus comme une œuvre d’art tota<strong>le</strong>. Wolf <strong>le</strong>s<br />

a encadrés d’une introduction et d’un épilogue, tous <strong>de</strong>ux subjectifs. L’“O<strong>de</strong> du conva<strong>le</strong>scent<br />

à l’espérance” (dont <strong>le</strong> titre, Der Genesene an die Hoffnung, rappel<strong>le</strong> <strong>le</strong> quatuor en la mineur<br />

<strong>de</strong> Beethoven) est aussi un témoignage <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong> à l’adresse <strong>de</strong> Mörike, qui avait libéré<br />

la créativité <strong>de</strong> Wolf en lui imprimant une nouvel<strong>le</strong> direction. Quant à la conclusion bur<strong>le</strong>sque<br />

du cyc<strong>le</strong>, loin <strong>de</strong> représenter un adieu mélancolique dans la tradition romantique, el<strong>le</strong> boute<br />

hors avec énergie un représentant <strong>de</strong> cette corporation honnie qui faisait beaucoup souffrir<br />

Wolf : un critique. Le morceau com men ce comme <strong>le</strong> chœur que Schumann avait consacré<br />

à une rage <strong>de</strong> <strong>de</strong>nts et se termine, après que <strong>le</strong> critique a dégringolé <strong>le</strong>s escaliers, sur<br />

une allègre valse (la rumeur courait à Vienne que c’était là <strong>le</strong> genre favori du très fameux<br />

critique Eduard Hanslick). Les artistes ont choisi d’enregistrer ici une sé<strong>le</strong>ction <strong>de</strong> lie<strong>de</strong>r qui<br />

reflètent, sous une forme concentrée, la structure et <strong>le</strong>s carac tères essentiels du cyc<strong>le</strong> tout<br />

entier.<br />

Les Mörike-Lie<strong>de</strong>r se terminent sur une série d’humoresques annon cées dans Begegnung<br />

(“Rencontre”) et Nimmersatte Liebe (“Amour insatiab<strong>le</strong>”). Le groupe conclusif proprement dit<br />

commence avec Storchenbotschaft (“Le Message <strong>de</strong>s cigog nes”) : ces oiseaux qui, comme on<br />

<strong>le</strong> fait croire aux enfants, apportent <strong>le</strong>s bébés, confrontent <strong>le</strong> berger avec <strong>le</strong>s conséquences<br />

<strong>de</strong> son bel amour (insatiab<strong>le</strong> ?). Wolf en fait un scher zo qui joue capricieusement avec <strong>le</strong>s<br />

dissonances et <strong>le</strong>s mo tifs. Des balla<strong>de</strong>s précè<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s humoresques. L’alliance <strong>de</strong>s <strong>le</strong>itmotive<br />

et d’une peinture sonore stylisée, <strong>le</strong>s entrecroisements mé lo diques qui, reliant entre<br />

el<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s strophes apparemment hé térogènes, en dévoi<strong>le</strong>nt par intermittence <strong>le</strong>s arrièreplans<br />

se crets, l’intensité <strong>de</strong>s <strong>de</strong>scriptions qui créent l’ambiance, font du Feuerreiter (“Le<br />

Cavalier du feu”) un chef-d’œuvre du genre.<br />

An die Geliebte (“À la bien-aimée”), Peregrina I et II et Lebewohl (“Adieu”) forment un<br />

groupe relativement homo gène à l’intérieur du cyc<strong>le</strong>. Directement apparentés par <strong>le</strong>ur<br />

tonalité, ces quatre lie<strong>de</strong>r progressent sur une semblab<strong>le</strong> pulsa tion tranquil<strong>le</strong>, selon <strong>de</strong>s<br />

lignes mélodiques voisines à l’intérieur d’un ambitus harmonique comparab<strong>le</strong>. Peregrina II<br />

commence et se termine par <strong>le</strong> postlu<strong>de</strong> <strong>de</strong> Peregrina I, qui varie <strong>le</strong>s premières mesures <strong>de</strong><br />

la voix chantée. Le développement <strong>de</strong> Lebewohl est fondé sur <strong>le</strong>s mêmes traits chromatiques<br />

qui carac térisaient <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux Peregrina et dont l’importance n’avait cessé <strong>de</strong> croître dans An<br />

die Geliebte. Ces quatre pièces sont autant d’éclairages portés sur une idée unique : la<br />

tension entre l’amour sublimé et <strong>le</strong> désir érotique. L’intensité émotionnel<strong>le</strong> <strong>de</strong> ces vers dans<br />

<strong>le</strong>squels Mörike transfigure un moment c<strong>le</strong>f <strong>de</strong> sa vie se re trouve dans une musique d’une<br />

formidab<strong>le</strong> <strong>de</strong>nsité. El<strong>le</strong>s sont, el<strong>le</strong>s aussi, préfigurées dans Im Frühling (“Au Printemps”), un<br />

<strong>de</strong> ces poèmes dédiés à la nature qui s’interca<strong>le</strong>nt entre <strong>le</strong>s autres compositions sans se<br />

mê<strong>le</strong>r à el<strong>le</strong>s. Tel un commentaire élargissant la perspective, ces pièces recentrent <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong><br />

tout entier, tant sur plan <strong>de</strong> la musique que sur celui <strong>de</strong>s poèmes, car el<strong>le</strong>s aussi par<strong>le</strong>nt<br />

toujours <strong>de</strong> l’homme.<br />

Chacun <strong>de</strong> ces lie<strong>de</strong>r porte en lui-même son propre sens et sa propre va<strong>le</strong>ur. Pourtant, <strong>le</strong><br />

travail du compositeur concernait aussi <strong>le</strong>ur suite et <strong>le</strong>ur agencement. La structure du cyc<strong>le</strong><br />

laisse trans paraître <strong>de</strong>s idées d’exposition et <strong>de</strong> développement, l’esquisse, la reprise et la<br />

progression d’une pensée tant littéraire que musica<strong>le</strong>. Ces morceaux sont <strong>de</strong>s œuvres d’art<br />

tota<strong>le</strong>s au sens humain et subjectif du terme. Mörike en personne avait trouvé la formu<strong>le</strong> :<br />

“Songes-y, mon âme !”<br />

2<br />

Habakuk Traber<br />

Traduction : Brigitte Hébert

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