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N°178 du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru Bimensuel en langue française<br />
с п р и л о ж е н и е м н а р у с с к о м я з ы к е : с т р . I - I V<br />
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15 ans en Russie<br />
<strong>Michaïl</strong> <strong>Prokhorov</strong> : <strong>riche</strong> <strong>et</strong> <strong>encore</strong><br />
Evgueniï Yassine :<br />
privatisation, piège à cons ? pages 6-7<br />
Kremlin :<br />
cuisine de haute exigence pages 10-11<br />
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Tel. : + 7 (495) 787 99 85<br />
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Service de presse d’Oneksim
02<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Pour les fêtes<br />
de fi n d’année,<br />
off rez une vision<br />
diff érente de la<br />
Russie<br />
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Le livre est aussi disponible а la rédaction<br />
du Courrier de Russie :<br />
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* Surprise du chef <strong>et</strong> spécialités françaises<br />
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A partir de 19:00 !<br />
Organisé par Russian Business Event Agency<br />
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Rédactrice en chef<br />
Inna Doulkina<br />
inna.doulkina@lcdr.ru<br />
Rédacteur en chef adjoint<br />
Simon Roblin<br />
simon.roblin@lcdr.ru<br />
Rédacteurs<br />
Vera Gaufman,<br />
Gabrielle Leclair<br />
Correctrice de la version française<br />
Julia Breen<br />
Rédactrice de la version russe<br />
Ekaterina Litvintseva<br />
ekaterina.litvintseva@lcdr.ru<br />
Correctrice de la version russe<br />
Natalia Leïbina<br />
Rédacteur en chef du site Intern<strong>et</strong><br />
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N’hésitez pas à contacter la rédaction<br />
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Edité par<br />
OOO Novyi Vek Media ©<br />
(Nouveau Siècle Media)<br />
Enregistré auprès du TsTU<br />
du Ministère de la presse <strong>et</strong> des media<br />
PI N. 1-01029<br />
Directeur de la publication<br />
Jean-Félix de La Ville Baugé<br />
Fondateurs<br />
Philippe Pelé Clamour<br />
Jean-Luc Pipon<br />
Emmanuel Quid<strong>et</strong><br />
Le journal est distribué<br />
gratuitement<br />
<strong>et</strong> sur abonnement.<br />
Il est imprimé à partir de fi lms au<br />
OAO Moskovskaia<br />
Gas<strong>et</strong>naia Tipografi ia,<br />
123995, Moscou,<br />
Oulitsa 1905 goda, dom 7.<br />
Volume 3 p.l.<br />
Tirage 15 000 exemplaires<br />
Commande N° 2966<br />
Donné à imprimer<br />
le 10 Novembre 2010
Il ne faut pas m<strong>et</strong>tre le<br />
sombrero avant le<br />
poncho.<br />
Proverbe mexicain<br />
Rentré en France pour les vacances<br />
de la Toussaint, j’ai eu bien du mal à<br />
comprendre ce qui s’y passait. Ire de<br />
la population à propos des r<strong>et</strong>raites,<br />
discussions à n’en plus fi nir sur un<br />
remaniement ministériel qui ne changera pas<br />
grand-chose vu la conjoncture internationale,<br />
réforme de la fi scalité pour faire payer les<br />
« <strong>riche</strong>s ». En fait, seule la vision que les Français<br />
ont du monde <strong>et</strong> d’eux-mêmes peut expliquer<br />
c<strong>et</strong> état de fait. La France a probablement<br />
besoin de c<strong>et</strong>te catharsis pour mieux renaître<br />
ensuite.<br />
Mais pour l’heure, la France est on ne peut<br />
plus fi gée quand le reste du monde n’en fi nit pas<br />
de bouger. Quand il faudrait se résoudre à imaginer<br />
de nouveaux modèles, états-majors des<br />
partis politiques <strong>et</strong> syndicats en sont à disserter<br />
sur les r<strong>et</strong>raites <strong>et</strong> à trier <strong>riche</strong>s <strong>et</strong> pauvres. Il faut<br />
dire que la France a été longtemps en pointe,<br />
mais le monde était alors bien diff érent.<br />
Saint-Louis a fondé la Sorbonne au XIII e<br />
siècle. Au XV e , la France <strong>et</strong> l’Europe ont découvert<br />
l’imprimerie, les voyages <strong>et</strong> par suite<br />
les échanges, le crédit lombard, les premières<br />
sociétés multinationales à comptoirs multiples<br />
avec Jacques Cœur. Puis au XVII e , ce fut le début<br />
des empires coloniaux <strong>et</strong> le mercantilisme<br />
<strong>et</strong> dès 1685, l’établissement du Code noir. Au<br />
XIX e , l’industrialisation, les sociétés par actions,<br />
l’apogée du colonialisme. Enfi n au XX e siècle, le<br />
marxisme, l’affi rmation des droits de l’homme,<br />
la décolonisation suivie des chocs pétroliers,<br />
l’émancipation de la femme <strong>et</strong> surtout l’inversion<br />
entre Nord <strong>et</strong> Sud de la poussée démographique.<br />
L’Europe toujours très puissante vit sur<br />
son passé. Mais maintenant plus de frontières<br />
au moins au plan technique, l’accès de tous<br />
au savoir, aux divers marchés, l’inversion des<br />
échanges… <strong>et</strong> comme seul outil un capitalisme<br />
en crise. Mais maîtriser les fl ux n’est pas si<br />
simple quand d’autres ont plus de ressources<br />
naturelles, des moyens humains pléthoriques<br />
avec des exigences sociales proches de rien.<br />
La France peut compter, raboter, qui comprend<br />
ce qu’il faut m<strong>et</strong>tre en abscisses <strong>et</strong> en<br />
ordonnées ? De préférence à chaudes larmes<br />
pour mieux se dédouaner de ne pas chercher à<br />
comprendre, intellectuels <strong>et</strong> journalistes ne vendent<br />
qu’émotion ; économistes, scientifi ques <strong>et</strong><br />
autres polytechniciens ne font pas mieux. Sans<br />
être sûrs de maîtriser risques <strong>et</strong> enjeux, ils résolvent<br />
tout <strong>et</strong> son contraire le plus froidement du<br />
monde. Et je ne parle pas des énarques qui pour<br />
durer, préfèrent gérer, restructurer sans panache<br />
plutôt que de mener une politique claire<br />
<strong>et</strong> ambitieuse. Au point qu’on peut se demander<br />
si tout n’irait pas mieux si intellectuels <strong>et</strong> politiques<br />
décidaient seulement d’aller à la pêche.<br />
Le pire est que le système est en faillite.<br />
Et invoquer le passé, aussi glorieux soit-il, ne<br />
donne pas plus de droits. Sans même parler<br />
de l’Europe, la France découvre que rien n’est<br />
acquis. Un rapide inventaire ne plaide pas en<br />
faveur du contraire. La France compte 36 682<br />
communes <strong>et</strong> 503 117 élus locaux ou conseillers<br />
régionaux ; 3 650 000 entreprises, 200 000 exploitations<br />
agricoles plein temps ; 28 millions<br />
d’actifs, 7 millions de fonctionnaires dont<br />
280 000 militaires permanents.<br />
La France, c’est 35 millions de foyers fi scaux,<br />
parmi lesquels 15 millions (soit moins<br />
d’un ménage sur deux) paient l’impôt sur le revenu<br />
<strong>et</strong> 500 000 contribuent à hauteur de 43 %<br />
de l’impôt. Le revenu médian est de 27 150 euros<br />
par an, soit 2 260 euros par mois. Le niveau<br />
de vie médian (qui prend compte des économies<br />
d’échelle procurée par la vie en commun) s’établit<br />
à 17 600 euros par an <strong>et</strong> par membre du<br />
ménage, soit 1 470 euros par mois. Le revenu<br />
disponible de 10% des personnes les plus modestes<br />
se compose à près de 42% de transferts<br />
sociaux <strong>et</strong> 7 800 000 personnes vivent sous le<br />
seuil de pauvr<strong>et</strong>é (60% du niveau de vie médian).<br />
Combien de gens travaillent a Radio-France<br />
? Environ un tiers.<br />
José Artur<br />
On est tenté d’appliquer à la France toute entière<br />
le bon mot de José Artur. Une grosse auto<br />
avec un tout p<strong>et</strong>it moteur… Et pourtant la route<br />
est pleine d’embûches.<br />
2,8 millions de chômeurs, 68 512 accidents<br />
faisant 85 000 blessés <strong>et</strong> près de 4 000 morts sur<br />
les routes. Plus généralement, 530 000 morts<br />
par an, dont 300 000 en établissements hospitaliers.<br />
346 932 nouveaux cancers (197 717 pour<br />
l’homme <strong>et</strong> 149 215 chez la femme), la mortalité<br />
par cancer touchant 147 239 personnes<br />
(85 311 hommes <strong>et</strong> 61 928 femmes). En termes<br />
d’incidence, le cancer de la prostate est le plus<br />
fréquent avec plus de 71 000 cas, suivi par le<br />
cancer du sein (51 759), le cancer colorectal (39<br />
491) <strong>et</strong> le cancer du poumon (34 185). Ce dernier<br />
serait le plus meurtrier (28 380), devant le<br />
cancer colorectal (17 408). Cependant, passé 60<br />
ans, les Français gagnent désormais deux mois<br />
d’espérance de vie par an <strong>et</strong> la France, y compris<br />
les DOM-TOM, comptait 825 000 naissances<br />
l’an passé.<br />
Portrait abrupt qui montre que la vie ne s’articule<br />
pas autour de la <strong>riche</strong>sse ou de la pauvr<strong>et</strong>é,<br />
ni même de la r<strong>et</strong>raite.<br />
La France a inventé l’automobile, l’aviation,<br />
le minitel, le TGV, développé l’énergie nucléaire.<br />
Elle a raté l’informatique, mais réussit<br />
<strong>encore</strong> dans le luxe, les cosmétiques, la mode <strong>et</strong><br />
la cuisine, même si tout a été fait pour détruire<br />
artisans <strong>et</strong> agriculteurs. Le monde a fait d’incroyables<br />
progrès <strong>et</strong>, de la femme de ménage à<br />
l’artisan en passant même par l’éboueur, chacun<br />
a voiture, écran plat, centrale vapeur, micro-ondes,<br />
téléphone sans fi l, ordinateur <strong>et</strong> part<br />
en vacances. Un p<strong>et</strong>it monde bourgeois qui vit<br />
bien ! Dès lors les socialistes ont un immense<br />
problème de fond.<br />
Justes héritiers de la SFIO (Section Française<br />
de l’Internationale Ouvrière), ils préfèrent<br />
draguer les sociaux-démocrates, chrétiens de<br />
gauche <strong>et</strong> autres humanistes, plutôt que rester<br />
fi dèles à leurs premières amours. S’ils étaient<br />
logiques, ils devraient se tourner vers les masses<br />
chinoises, indiennes ou africaines. Mais la solidarité<br />
s’arrête souvent là où commence le sacrifi<br />
ce personnel. La vraie charité, ce n’est pas partager<br />
ce que l’on a, mais partager ce que l’autre<br />
n’a pas <strong>et</strong> ça, c’est plutôt chrétien.<br />
Il ne peut être question d’acquis sociaux s’ils<br />
ne sont pas appliqués à tous <strong>et</strong> par tous. Seulement<br />
nostalgique de son passé, coincée dans<br />
des principes abscons, la France fait tout pour<br />
ignorer une bonne partie de l’Humanité.<br />
Pour avancer, il suffi rait de se rappeler la<br />
loi des grands nombres. L’explosion démographique<br />
n’autorise plus l’Europe <strong>et</strong> <strong>encore</strong> moins<br />
la France à prétendre représenter un échantillon<br />
signifi catif. Elles sont condamnées à raisonner<br />
en fonction des plus grands communs<br />
diviseurs : la <strong>riche</strong>sse mondiale <strong>et</strong> le nombre<br />
d’individus. On trouvera peut-être l’algorithme<br />
de l’humanité ou une théorie de la relativité<br />
entre peuples. A défaut, l’Europe se verra appliquer<br />
le plus p<strong>et</strong>it commun multiple : le seuil de<br />
pauvr<strong>et</strong>é.<br />
Naturam expelles furca, tamen<br />
usque recurr<strong>et</strong> (Chassez le naturel à<br />
coups de fourche, il revient au galop)<br />
Horace<br />
Car nous sommes revenus au XV e siècle, époque<br />
où la Chine, l’Inde <strong>et</strong> l’Empire Ottoman étaient<br />
Éditorial<br />
Texte : Jean-Luc Pipon<br />
Les <strong>riche</strong>s, les pauvres <strong>et</strong> les autres<br />
extrêmement puissants. Arabes <strong>et</strong> Vénitiens livraient<br />
soie <strong>et</strong> épices à l’Europe à cinquante fois<br />
le prix de départ. L’Europe a alors fui à l’Ouest.<br />
Mais aujourd’hui, chacun a fait le tour. Faut-il<br />
se barricader ? La Russie nous a assez montré<br />
à quoi menait l’entêtement.<br />
Le monde peut-il changer ? Un monde plus<br />
équitable, plus juste. Eff ectivement nous fi nirons<br />
peut-être tous par manger des aliments<br />
à base de soja <strong>et</strong> d’huile de palme. Pour beaucoup<br />
ce sera un plus, mais pas pour les Français.<br />
Et qu’on ne me parle pas d’écologie. Leurs<br />
leaders ne savent même pas ce que mange un<br />
canard, ni traire une vache.<br />
Pas besoin d’écologie pour observer la<br />
nature. Gregory King (1695) dont les travaux<br />
n’ont été publiés qu’en 1973 est le premier à<br />
avoir tenté une projection de la population<br />
mondiale. La population qu’il estimait à 630<br />
millions en 1695 devait atteindre 780 millions<br />
en 2050. Nous sommes déjà 6,5 milliards !<br />
La vie ne se résume pas à trier <strong>riche</strong>s <strong>et</strong><br />
pauvres, à imposer ceux-ci pour aider ceux-là à<br />
mieux avaler la pilule. Chacun a le droit à sa vie<br />
aujourd’hui <strong>et</strong> maintenant.<br />
Au XVI e siècle, les Percherons allaient<br />
chercher fortune en partant pour la Nouvelle<br />
France. Aujourd’hui, c’est plus simple, forts<br />
des moyens <strong>et</strong> techniques de communication, il<br />
faut s’acharner à être de tous les fl ux.<br />
Car si la France était plus <strong>riche</strong> de ressources,<br />
elle ne gagnerait pas grand-chose à<br />
montrer sa force. La Russie est <strong>encore</strong> là pour<br />
nous le montrer. Poursuivant une tradition séculaire<br />
depuis Pierre le grand en passant par<br />
Catherine II, elle maintient un régime de despotes<br />
éclairés. En d’autres temps, autocratie <strong>et</strong><br />
servage n’ont fait qu’entraver le développement<br />
capitaliste. Aujourd’hui la Russie est plus respectée<br />
qu’il y a vingt ans. Elle a repris la main<br />
sur ses ressources naturelles, mais toujours<br />
loin d’avoir résolu ses problèmes internes.<br />
Pendant ce temps, la nature implacable<br />
livre son lot d’évènements internationaux :<br />
revers de Barack Obama aux midterm elections,<br />
assassinat de chrétiens en Irak, visite en<br />
France du président chinois, rachat de bons du<br />
trésor américains. Pour se sortir du chaos avant<br />
03<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
tous les autres ? Offi ciellement pour limiter un<br />
risque infl ationniste. Peut-être aussi pour limiter<br />
les risques que la Chine ait défi nitivement<br />
la clé pour que les Etats-Unis fassent le grand<br />
plongeon quand elle le voudra. Dans l’instant,<br />
l’assouplissement quantitatif de la FED aide<br />
les pays comme la Russie à boucler plus facilement<br />
leur budg<strong>et</strong>.<br />
L'ennemi est bête : il croit que c'est<br />
nous l'ennemi, alors que c'est lui !<br />
Pierre Desproges<br />
Tout cela donne le vertige. Heureusement pour<br />
beaucoup, le monde reste bien plus simple. Acquérir<br />
son indépendance, fonder une famille,<br />
vivre en société. Au Sénégal, le paludisme recule<br />
à grands pas. Mais en Irak, les chrétiens<br />
qui étaient 300 000 il y a vingt ans, ne sont plus<br />
que quelques milliers.<br />
J’aime c<strong>et</strong>te défi nition de l’identité nationale<br />
de Guy Laporte trouvée sur Intern<strong>et</strong>. La<br />
France est le pays de la liberté dans la vérité, de<br />
la droiture, bref de la franchise. Voilà ce qu’est<br />
être Français ! Ni un sang, ni une terre, ni des<br />
papiers, mais une vertu !<br />
Assurément, la clé de toute société humaine<br />
ne se résume pas à la capacité de faire<br />
coexister <strong>riche</strong>s <strong>et</strong> pauvres, mais bien de perm<strong>et</strong>tre<br />
la recherche du bien commun. Seules,<br />
l’éducation, l’intelligence, la discipline, l’ambition<br />
diff érencient l’homme de l’animal. La<br />
paix sociale, la domesticité de la société <strong>et</strong> la<br />
satisfaction de besoins quotidiens ne suffi sent<br />
pas pour diff érencier la société du simple zoo.<br />
Le choix n’est pas entre un steak à 5 euros<br />
dans une épicerie de luxe ou 4 steaks hachés<br />
surgelés moins chers dans un hypermarché,<br />
mais d’avoir plaisir à produire de la viande, de<br />
savoir la préparer <strong>et</strong> de pouvoir la consommer.<br />
Qui sait <strong>encore</strong> faire la diff érence entre veau <strong>et</strong><br />
agneau. Et qui sait qu’un simple morceau de<br />
paleron suffi t à faire un excellent pot au feu.<br />
Le monde n’est toujours pas parti bien loin<br />
<strong>et</strong> pourrait même revenir sur ses pas. Comme<br />
dit le proverbe, il ne faut pas m<strong>et</strong>tre le sombrero<br />
avant le poncho. ڤ<br />
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04<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Le Courrier de Russie : Vous avez réussi.<br />
Quel est votre horizon aujourd’hui ?<br />
Mikhaïl <strong>Prokhorov</strong> : Je ne crois pas avoir réussi.<br />
J’ai créé la base pour réussir. Mon succès<br />
est dans l’avenir. Si j’estimais que mon succès<br />
était passé, il serait temps de partir à la r<strong>et</strong>raite.<br />
Tous les sept ou huit ans, il faut que je change<br />
de business. Pour commencer j’ai travaillé dans<br />
les PME, ensuite dans la banque puis comme<br />
directeur d’une multinationale <strong>et</strong> maintenant je<br />
suis investisseur privé. Dans quatre ans, je ferai<br />
autre chose, je ne sais pas <strong>encore</strong> quoi <strong>et</strong> ne<br />
l’envisage jamais.<br />
LCDR : A quoi attribuez-vous c<strong>et</strong>te lassitude ?<br />
M. P. : Ce n’est pas de la lassitude, au contraire,<br />
c’est une envie de faire autre chose. Après sept<br />
ou huit ans dans une activité, on n’a plus faim,<br />
on est rassasié mais aujourd’hui j’ai <strong>encore</strong> plus<br />
d’énergie qu’hier pour travailler dans les nouveaux<br />
domaines.<br />
LCDR : Votre stratégie d’investissement estelle<br />
tournée vers la France ?<br />
M. P. : Il y a un élément stratégique essentiel<br />
Éminence<br />
Texte : Jean-Félix de La Ville Baugé<br />
Photo : Service de presse d'Oneksim<br />
à mon avis, le business doit être rapide, il faut<br />
trouver la voie la plus courte, c’est en fait la<br />
théorie de la paresse absolue : tu agis là où tu<br />
es meilleur que les autres. Je pense que mon<br />
avantage est en Russie si je peux y trouver des<br />
actifs dont le prix est inférieur à celui auquel ils<br />
seraient vendus en France.<br />
LCDR : De quelle manière procédez-vous<br />
dans la recherche de vos actifs ?<br />
M. P. : Quand nous analysons un actif, nous<br />
faisons un premier plan avec une équipe gestionnaire<br />
puis nous regardons si avec un partenaire<br />
russe ou étranger 1+1 est égal à plus de<br />
deux <strong>et</strong> quand c’est le cas, on y va.<br />
LCDR : Des exemples ?<br />
M. P. : Oui, avec une entreprise française justement,<br />
Dalkia, pour monter un proj<strong>et</strong> sur le marché<br />
du chauff age en Russie qui est un marché<br />
en mauvais état. Nous parvenons donc à avoir<br />
un avantage concurrentiel en combinant l’expérience<br />
en la matière de Dalkia International<br />
<strong>et</strong> notre compréhension professionnelle de la<br />
réalité russe. Le résultat sera merveilleux, il y<br />
a vraiment beaucoup de choses à faire sur ce<br />
marché.<br />
LCDR : Vous avez en revanche eff ectué des<br />
investissements culturels en fi nançant l’exposition<br />
« Sibérie inconnue » en France, à<br />
Lyon ?<br />
M. P. : J’ai des relations particulières avec la<br />
France <strong>et</strong> la fondation que j’ai créée travaille<br />
en Sibérie <strong>et</strong> a son état-major à Krasnoïarsk.<br />
Quand nous envisagions de quelle façon célébrer<br />
l’année croisée France-Russie, nous avons<br />
noté que Krasnoïarsk <strong>et</strong> Lyon étaient toutes les<br />
deux des villes au centre de leur pays, bien sûr<br />
ce sont deux pays diff érents mais les cultures<br />
de deux villes au centre peuvent s’unir. Pour la<br />
culture russe, la matriochka a nourri le monde<br />
entier <strong>et</strong> rempli sa mission, nous, nous avons<br />
choisi d’autres représentants de c<strong>et</strong>te culture :<br />
des artistes doués qui s’expriment sur la Sibérie.<br />
« La culture je comprends<br />
son rôle mais je préfère le<br />
sport »<br />
LCDR : Vous avez déclaré avoir une relation<br />
particulière à la culture.<br />
M. P. : La culture, je comprends son rôle <strong>et</strong><br />
notamment son infl uence sur l’évolution des<br />
sociétés mais je préfère le sport. Le mécène le<br />
plus horrible est celui qui juge qu’il a un goût,<br />
les dégâts qu’il causera seront à la hauteur des<br />
investissements réalisés. La culture est un domaine<br />
d’activité assez spécifi que, moi je suis<br />
un mécène modèle, j’y agis avec l’esprit froid <strong>et</strong><br />
non le cœur chaud.<br />
LCDR : Pourquoi ?<br />
M. P. : Parce que tous les changements de société<br />
dans le monde ont été des changements<br />
culturels qui entraînaient ensuite des changements<br />
économiques <strong>et</strong> ce, depuis la Renaissance,<br />
alors on ne va pas réinventer la bicycl<strong>et</strong>te.<br />
La connaissance des lois sociales augmente les<br />
bénéfi ces <strong>et</strong> procure un grand plaisir aux gens<br />
cultivés !<br />
LCDR : Vous parliez de la Renaissance, les<br />
Médicis ont commencé par le pouvoir économique,<br />
puis culturel avec le mécénat, puis politique<br />
puis religieux, où vous situez-vous ?<br />
M. P. : J’espère que je resterai à la première<br />
étape.<br />
LCDR : Religieux, politique, non ?<br />
M. P. : Je suis <strong>encore</strong> loin de ces étapes. La<br />
politique ne m’intéresse pas, les gens qui en<br />
font sont dans des états de non liberté absolue,<br />
il n’y a pas de p<strong>et</strong>its plaisirs pour eux dans la<br />
Mikhaïl <strong>Prokhorov</strong> est président du<br />
fonds d’investissement Oneksim.<br />
C'est avec Norilsk Nickel dont il a été<br />
directeur général de 2001 à 2007 qu'il<br />
a bâti sa fortune.<br />
Mikhaïl <strong>Prokhorov</strong> : « Je ne rêve pas »<br />
Mikhaïl <strong>Prokhorov</strong> est la deuxième fortune de Russie. C’est aussi un oligarque à part, réputé pour<br />
sa simplicité, son goût du sport <strong>et</strong> de la bonne chère. Entr<strong>et</strong>ien exclusif avec Le Courrier de Russie.<br />
vie puisqu’il y a toujours l’opinion publique. J’ai<br />
du respect pour eux <strong>et</strong> je me dis souvent : comment<br />
font-ils pour aimer autant le pouvoir ? La<br />
qualité <strong>et</strong> la joie de vivre font que je resterai à<br />
c<strong>et</strong>te première étape des Médicis.<br />
LCDR : Parlez-nous de votre relation à la<br />
France.<br />
M. P. : La France <strong>et</strong> la Russie sont les pays<br />
où je passe le plus de temps. A Moscou je fais<br />
mon business <strong>et</strong> dès que je le peux, je passe des<br />
vacances en France. J’ai une faiblesse, je suis<br />
gourmand <strong>et</strong> la cuisine française est celle que<br />
je préfère. C’est une grande épreuve pour moi à<br />
chaque fois parce que je mange trop <strong>et</strong> dois ensuite<br />
faire cinq à huit heures de sport par jour !<br />
LCDR : Qu’aimez-vous en France en dehors<br />
de la nourriture ?<br />
M. P. : L’ambiance, il y a quelque chose que je<br />
ne peux pas expliquer, mon énergie augmente,<br />
c’est peut-être ça que j’aime en France, une<br />
énergie forte.<br />
LCDR : C’est amusant, c’est exactement le<br />
contraire qu’on entend des Français de Moscou.<br />
M. P. : C’est la loi des systèmes : quand un<br />
homme se meut à l’intérieur d’un système, il<br />
n’y a pas d’énergie, quand il passe d’un système<br />
à un autre, l’énergie est diff érente.<br />
« Moi j’aime la France »<br />
LCDR : Et les liens culturels, historiques<br />
entre la France <strong>et</strong> la Russie ?<br />
M. P. : Diffi cile d’être objectif, moi j’aime la<br />
France. Au XVIIIe siècle, l’élite russe parlait<br />
mieux le français que le russe, ce n’est pas par<br />
hasard. Historiquement on voit qu’en politique<br />
étrangère, les relations entre la Russie <strong>et</strong> la<br />
France, même sous l’Union Soviétique, étaient<br />
>
Au classement Forbes 2010,<br />
il est le deuxième homme<br />
d'affaires le plus <strong>riche</strong> de<br />
Russie (13,4 milliards de dollars<br />
contre 9,5 en 2009).<br />
bonnes. Sur les questions les plus aiguës, il y a<br />
toujours eu une convergence de vues.<br />
LCDR : Qu’est-ce qui vous excite aujourd’hui ?<br />
M. P. : La vie même. Je ne fais rien de ce qui ne<br />
m’excite pas. J’adore les diffi cultés pour les surmonter<br />
ensuite. Vous connaissez le proverbe<br />
russe : « Nous créons nous-mêmes nos diffi -<br />
cultés pour les surmonter de façon héroïque ».<br />
LCDR : Quel type de diffi cultés ?<br />
M. P. : Dans le sport, le business, c’est le côté<br />
extrême qui m’attire tant qu’il est contrôlé.<br />
Quand il n’est pas contrôlé, je le m<strong>et</strong>s sous<br />
contrôle d’abord, <strong>et</strong> je m’en occupe après. Je<br />
vais vous donner un exemple. Je fais du j<strong>et</strong> ski.<br />
Quand la vague était supérieure à deux mètres,<br />
je ne pouvais pas sauter à 360 ° <strong>et</strong> puis on m’a<br />
donné la solution : un tremplin <strong>et</strong> après six<br />
mois d’entraînements, je sautais à quatre ou<br />
cinq mètres. Et pourtant j’avais déjà plus de<br />
quarante ans. L’extrême était devenu contrôlé.<br />
LCDR : Y-a-t il des challenges qui vous attirent<br />
plus que les autres ?<br />
M. P. : Non, pour moi, c’est un ensemble de<br />
plaisirs <strong>et</strong> souvent de diffi cultés que ce soit dans<br />
le sport ou dans le business. Il y a tout de même<br />
une diff érence très sensible entre les deux : le<br />
business est une création <strong>et</strong> le sport professionnel<br />
une guerre. Les gens ont choisi le sport<br />
pour ne pas faire la guerre, ils se battent à mort<br />
sans compromis alors que le business est tout<br />
de même aff aire de compromis.<br />
« La guerre comporte la<br />
destruction de ce pour<br />
quoi tu luttes »<br />
LCDR : Les joueurs de bask<strong>et</strong> ou de football<br />
américains font fi gure de rigolos à côté de<br />
certains hommes d’aff aires, pour vous le business<br />
ne serait pas la guerre ?<br />
M. P. : Moi j’ai pitié des gens qui font la guerre<br />
dans les aff aires, ils n’en tirent pas de plaisir. Il<br />
faut savoir faire la guerre mais la guerre est une<br />
mesure extrême <strong>et</strong> le compromis est beaucoup<br />
plus effi cace. La guerre comporte la destruction<br />
de ce pour quoi tu luttes, je le sais de mes<br />
propres erreurs, je sais qu’il faut tout faire pour<br />
l’éviter.<br />
LCDR : Vous déclarez ne pas lire de romans<br />
mais des essais ?<br />
M. P. : Je m’intéresse beaucoup aux théories<br />
futuristes pour ordonner ma planifi cation. En<br />
quinze ans on peut très bien imaginer des innovations<br />
qui changeront le monde. Aussi rapidement<br />
que le téléphone portable <strong>et</strong> Intern<strong>et</strong> l’ont<br />
fait dans les quinze dernières années.<br />
LCDR : Par exemple ?<br />
M. P. : Je vais vous donner un exemple simple<br />
: j’ai un gisement de cuivre. Je sais que des innovations<br />
nanotechnologiques pourraient perm<strong>et</strong>tre<br />
de créer un matériau dix fois plus effi -<br />
cace que le cuivre. Je dois savoir ce qui se passe<br />
dans les matériaux pour savoir si dans trois ou<br />
cinq ans on aura découvert un tel matériau pour<br />
pouvoir vendre mon gisement avant.<br />
« Je n’ai pas d’idole »<br />
LCDR : Y-a-t-il des personnages que vous<br />
admirez en Russie ou en France ?<br />
M. P. : Je n’ai pas d’idole. En France, j’aime bien<br />
le Président Sarkozy, les lois qu’il fait éveillent du<br />
respect en moi. A la RSPP (Union des industriels<br />
<strong>et</strong> des entrepreneurs russes), je dirige le comité<br />
sur les aff aires sociales <strong>et</strong> je me r<strong>et</strong>rouve de temps<br />
en temps dans la peau du président de la République.<br />
Je sais que chaque fois qu’il fait quelque<br />
chose, il a les syndicats en face, sa tâche est dure.<br />
LCDR : Le comité des aff aires sociales ?<br />
M. P. : Oui, nous traitons tout ce qui a trait à<br />
l’aspect social des aff aires <strong>et</strong> ça me donne beaucoup<br />
de maux de tête !<br />
LCDR : Sur quels thèmes travaillez-vous ?<br />
M. P. : Nous travaillons sur les lois systémiques<br />
qui stimuleraient la production <strong>et</strong> l’effi cacité de<br />
l’économie nationale. Malheureusement ici le<br />
système de répartition est dominant. La Russie<br />
est entre l’Europe <strong>et</strong> l’Asie : en Europe la production<br />
<strong>et</strong> les standards sociaux sont élevés, en Asie<br />
la production est élevée mais la protection sociale<br />
basse, en Russie il y a de hauts standards de<br />
protection sociale mais une production basse <strong>et</strong><br />
ça se relie mal avec la concurrence globale. J’ai-<br />
Éminence<br />
Texte : Jean-Félix de La Ville Baugé<br />
Photo : Marie de La Ville Baugé<br />
merais rendre la Russie plus concurrentielle, offrir<br />
aux gens une opportunité légale de travailler<br />
beaucoup <strong>et</strong> gagner beaucoup. Mes propositions<br />
ne sont pas populaires mais je continuerai.<br />
« Il faut libéraliser la durée<br />
légale du travail »<br />
LCDR : Quelles sont vos propositions ?<br />
M. P. : La première proposition consiste à simplifi<br />
er le licenciement <strong>et</strong> diminuer les dépenses<br />
sur les allocations de licenciement : il faut donner<br />
moins pour la personne <strong>et</strong> plus pour sa formation,<br />
peut-être que les dépenses vont augmenter<br />
mais on aura là un employé formé qui<br />
va augmenter la productivité du travail <strong>et</strong> on va<br />
diminuer le nombre d’employés ineffi caces.<br />
La deuxième vise à multiplier les emplois<br />
à distance : en Russie, une femme chef-comptable<br />
part en congé maternité pour un an alors<br />
qu’elle pourrait très bien travailler de chez elle<br />
par Intern<strong>et</strong>.<br />
La troisième serait de libéraliser la durée légale<br />
du travail : le code du travail russe interdit<br />
de travailler plus de huit heures par jour alors<br />
qu’il y a des jeunes qui voudraient travailler<br />
plus pour gagner plus. Nous proposons donc<br />
que des accords soient passés pour perm<strong>et</strong>tre à<br />
ceux qui veulent travailler plus de le faire.<br />
La quatrième consiste à simplifi er la classifi<br />
cation des métiers. Il y a en Russie un annuaire<br />
du métier d’ouvrier qui comporte 7000<br />
catégories alors que dans les pays développés,<br />
il n’en comporte que 700, vous imaginez les<br />
dépenses qu’occasionnent ces 7000 catégories.<br />
Nous proposons de simplifi er c<strong>et</strong> annuaire<br />
05<br />
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avec les économies aff érentes <strong>et</strong> de m<strong>et</strong>tre en<br />
place des formations dans de nouvelles spécialités<br />
dans des lycées prévus à c<strong>et</strong> eff <strong>et</strong>.<br />
LCDR : Pour fi nir <strong>et</strong> même si vous déclarez<br />
ne pas lire de romans, y-a-t-il un romancier<br />
français dont vous vous sentez proche ?<br />
M. P. : Il y en a un qui a eu beaucoup d’infl<br />
uence sur moi : Guy de Maupassant.<br />
LCDR : Quand on regarde la photo du jeune<br />
sergent <strong>Prokhorov</strong> qui marchait devant ses<br />
hommes à vingt ans, à quoi rêvait-il ? Ses<br />
rêves sont-ils toujours les mêmes ?<br />
M. P. : Je ne rêve pas. La vie, j’aime la vie, j’ai<br />
tant de choses à faire, tant d’amis intéressants<br />
à voir <strong>et</strong> je n’ai pas le temps pour tout. Dans ce<br />
sens, je ne rêve pas.<br />
LCDR : Et la nuit ?<br />
M. P. : La nuit je dors. ڤ<br />
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06<br />
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Protocole à la<br />
convention fi scalerusso–chypriote<br />
: quelles<br />
conséquences ?<br />
La Russie <strong>et</strong> Chypre ont conclu à<br />
Nicosie le 7 octobre, durant la visite<br />
du président Medvedev, un Protocole<br />
modifi ant leur Convention de double<br />
imposition.<br />
C<strong>et</strong> accord revêt une importance<br />
particulière dans la mesure où les<br />
sociétés chypriotes constituent des<br />
véhicules traditionnels d’investissement<br />
en Russie.<br />
Les principales modifi cations<br />
apportées par le Protocole sont les<br />
suivantes :<br />
• Sous réserve de quelques exceptions<br />
(sociétés cotées…), les plus-values<br />
de cession de titres de sociétés à<br />
prépondérance immobilière (c’està-dire<br />
dont la valeur est constituée à<br />
au moins 50 % par des immeubles)<br />
seront imposables dans l’Etat de<br />
situation desdits immeubles ; c<strong>et</strong>te<br />
disposition entrera en vigueur la quatrième<br />
année suivant la ratifi cation de<br />
l’avenant ;<br />
• les autorités fi scales chypriotes<br />
ne pourront plus opposer le secr<strong>et</strong><br />
commercial ou bancaire pour refuser<br />
une demande d’assistance de leurs<br />
homologues russes ; c<strong>et</strong>te disposition<br />
entrera en vigueur lorsque Chypre<br />
aura adapté sa législation en ce sens ;<br />
• enfi n, une mesure anti-« tax treaty<br />
shopping » est également adoptée.<br />
En contrepartie, Chypre sera r<strong>et</strong>irée<br />
de la liste noire des paradis fi scaux<br />
en Russie <strong>et</strong> les sociétés mères<br />
chypriotes pourront dorénavant bénéfi<br />
cier de l’exonération des dividendes<br />
distribués par leurs fi liales russes au<br />
lieu d’une r<strong>et</strong>enue à la source actuellement<br />
de 5 % si l’investissement<br />
atteint désormais au moins 100 K€<br />
(100 K USD jusqu’à présent) ou de<br />
10 % si le seuil n’est pas atteint.<br />
Le Protocole entrera en vigueur à<br />
compter de sa ratifi cation par les<br />
deux Etats.<br />
En résumé, si ces nouvelles stipulations<br />
sont donc susceptibles d’atténuer<br />
à l’avenir l’intérêt de recourir à<br />
des structures chypriotes pour des<br />
investissements immobiliers en Russie,<br />
elles perm<strong>et</strong>tront, en revanche,<br />
d’améliorer prochainement la fl uidité<br />
des remontées de dividendes entre<br />
les groupes russes <strong>et</strong> leurs holdings<br />
basées à Chypre.<br />
Gayk Safaryan André Loup<br />
Senior Associate Senior Associate<br />
CMS, Russia CMS, Russia<br />
Acteur<br />
Texte : Simon Roblin<br />
Photo : Kommersant<br />
Le Courrier de Russie : Vous dites que les marchés<br />
ne sont pas effi caces en Russie. Pourquoi ne<br />
le sont-ils pas, <strong>et</strong> que manque-t-il aujourd'hui<br />
à la Russie pour que l’on puisse vraiment parler<br />
d’économie de marché ?<br />
Evgueniï Yassine : Il y a déjà une économie de<br />
marché en Russie. Simplement, le système institutionnel<br />
n’est pas <strong>encore</strong> établi assez solidement<br />
pour la faire fonctionner pleinement. Les<br />
problèmes de défense des droits de la propriété<br />
privée, de droit de la concurrence, de suprématie<br />
du droit, continuent à se poser.<br />
C’est une conséquence prévisible du fait que<br />
nous n’avons pas connu l’économie de marché<br />
pendant 70 ans. Jusqu’ici, les réformes entreprises<br />
ont j<strong>et</strong>é les bases, mais n’ont pas posé le<br />
cadre correspondant. Ce travail se poursuit, mais<br />
avec de grandes diffi cultés. C’est dû en particulier<br />
au fait qu’au cours des dix dernières années,<br />
l’intervention de l’Etat dans l’économie s’est fortement<br />
renforcée, au prétexte que le marché n’est<br />
pas assez effi cace par lui-même, que les entrepreneurs<br />
sont trop intéressés, pas assez responsables,<br />
<strong>et</strong> ainsi de suite.<br />
LCDR : Dans ce contexte d’ineffi cacité relative<br />
du marché, pensez-vous que le programme de<br />
privatisations annoncé c<strong>et</strong> été doit être entrepris<br />
dès 2011, conformément au vœu de ses<br />
promoteurs ?<br />
E. Y. : Je répondrais que si le marché n’est pas<br />
effi cace, c’est précisément parce que le secteur<br />
étatique y occupe une place trop importante. Les<br />
entreprises étatiques jouissent ouvertement de<br />
privilèges spécifi ques vis-à-vis des entreprises<br />
privées, justifi és par les tâches que l’Etat leur assigne.<br />
De plus, les organes étatiques <strong>et</strong> les fonctionnaires<br />
exercent une forte pression, soi-disant<br />
au nom de l’Etat, mais en réalité dans leur propre<br />
intérêt égoïste, sur le secteur privé.<br />
En bref, il n'y a pas de conditions équitables<br />
d’exercice entre le secteur étatique <strong>et</strong> le business<br />
privé. C’est un problème grave, car ce dernier<br />
est conduit à restreindre son horizon, limiter les<br />
risques pris, <strong>et</strong> n’investit pas autant qu’il le devrait.<br />
LCDR : Qu’en est-il du cadre institutionnel<br />
susceptible de garantir le bon déroulement du<br />
programme de privatisations prévu : est-il<br />
assez consolidé pour que les choses se fassent<br />
dans de bonnes conditions ?<br />
E. Y. : D’après ce que je comprends, le contenu<br />
du plan qui a été annoncé c<strong>et</strong> été, issu des eff orts<br />
du ministère du Développement économique, se<br />
présente comme une tentative de la part des libéraux<br />
au gouvernement de revenir au plan de création<br />
d’un système institutionnel adéquat à l’économie<br />
de marché initié dans les années 1990.<br />
LCDR : Mais quelles sont leur chances de réussite,<br />
<strong>et</strong> s’agit-il vraiment d’un r<strong>et</strong>our à l’inspiration<br />
libérale des années 1990 ?<br />
E. Y. : Les privatisations sont en permanence<br />
l’obj<strong>et</strong> d’une lutte politique intense. Le tournant<br />
eff ectué au début des années 2000 en faveur<br />
d’une plus grande immixtion de l’Etat a<br />
été motivé par le fait que dans les années 1990<br />
une grande partie de la propriété de l’Etat<br />
a été distribuée aux entrepreneurs appelés<br />
« oligarques ». La nouvelle équipe nommée par<br />
Poutine s’est eff orcée de changer la situation, <strong>et</strong><br />
de redistribuer la propriété au profi t du nouveau<br />
pouvoir en place en constituant de grandes entreprises<br />
d’Etat, car une partie des gens avaient<br />
été faits oligarques, mais pas eux. Mais dès 2002-<br />
2003, il est devenu clair que l’on était allé trop<br />
loin dans c<strong>et</strong>te direction. Et quand il est apparu<br />
dans la période récente que la crise avait épuisé<br />
les réserves fi nancières de l’Etat russe, il a été<br />
décidé de les reconstituer aux dépens des entreprises<br />
d’Etat, en les privatisant en partie.<br />
Mais en soi, la privatisation n’a de sens que<br />
si elle consiste en un transfert eff ectif du contrôle<br />
sur les actifs au profi t de propriétaires privés, <strong>et</strong> où<br />
ces actifs sont ouverts à tous les vents du marché.<br />
Si le contrôle sur le business reste dans les mains<br />
de l’Etat, il n'y a guère à attendre de r<strong>et</strong>ombées<br />
positives, autres que les fl ux fi nanciers apportés<br />
par des fous qui vont acquérir des paqu<strong>et</strong>s minoritaires.<br />
Je dis « fous », parce que ceux qui achèteront<br />
ne pourront pas exercer d’infl uence sur la<br />
politique de l’entreprise.<br />
En 1989, Evgueniï Yassine a participé à la conduite des<br />
travaux de la Commission d’Etat du Conseil des ministres<br />
d’URSS pour la réforme économique. Il est l’un des treize<br />
coauteurs du programme de transition à l’économie<br />
de marché connu sous le nom des « 500 jours ». Ce<br />
programme n’a pas été réalisé, mais a servi de base<br />
au premier programme de privatisation des entreprises<br />
étatiques.<br />
Evgueniï Yassine : « Les privatisations<br />
sont en permanence l’obj<strong>et</strong> d’une<br />
lutte intense »<br />
Directeur scientifi que du Haut collège d’économie (EHESE) depuis 1998, connu pour ses convictions<br />
libérales inébranlables, Evgueniï Yassine est l’un des économistes les plus écoutés de Russie.<br />
Appelé au poste de ministre de l’Economie en novembre 1994, en plein milieu du premier mandat<br />
de Boris Eltsine, il a été l’un des principaux artisans de la « transition à l’économie de<br />
marché ». C’est dire que peu de gens sont mieux placés que lui pour aborder la question des<br />
privatisations dans la Russie d’hier – <strong>et</strong> d’aujourd’hui.<br />
A l’heure où un nouveau chantier est à l’ordre du jour, qui prévoit la cession sur cinq ans de<br />
l’équivalent de 50 milliards d’euros d’actifs de grandes entreprises d’Etat telles que Transneft <strong>et</strong><br />
Rosneft, VTB <strong>et</strong> Sberbank, <strong>et</strong> d’autres <strong>encore</strong> dont la liste n’est pas défi nitivement arrêtée, il a bien<br />
voulu exposer son point de vue au Courrier de Russie.<br />
Je suis donc content de voir que l’idée de la<br />
privatisation en elle-même est remise en circulation,<br />
mais je ne vois jusqu’ici aucun pas réel dans<br />
c<strong>et</strong>te direction.<br />
LCDR : Aujourd'hui, concrètement, qui sont<br />
les fous qui vont ach<strong>et</strong>er des parts dans ces<br />
conditions, <strong>et</strong> y a-t-il des entreprises étrangères<br />
qui seront tentées de le faire ? Prenons le<br />
cas d’AvtoVAZ. Entre Renault, qui se contente<br />
de ses 25% à défaut de pouvoir accéder au<br />
paqu<strong>et</strong> de contrôle, <strong>et</strong> la corporation d’Etat<br />
Rostekhnologuii, qui a décidé d’augmenter sa<br />
part, qui passera à la faveur d’une émission<br />
de capital de 18,8% à 29% en 2011, puis à<br />
36,4% en 2012, la situation semble bloquée,<br />
les deux actionnaires n’ayant pas les mêmes<br />
objectifs. Est-ce que ce type de situation pourrait<br />
se généraliser ?<br />
E. Y. : Si je prends le cas concr<strong>et</strong> d’AvtoVAZ, le<br />
dispositif de la prime à la casse suit son cours<br />
[mis en place en Russie le 8 mars 2010, il perm<strong>et</strong><br />
de recevoir une somme d’argent forfaitaire de<br />
50000 roubles à valoir sur l’achat d’un véhicule<br />
neuf en échange de la restitution d’une voiture<br />
destinée à la casse, ndlr], mais il reste qu’Avto-<br />
VAZ est toujours dans l’impasse, <strong>et</strong> approche du<br />
dépôt de bilan. Dans ces conditions, les gens qui<br />
sont au gouvernement, à Rostekhnologuii, qui<br />
font du marchandage avec Renault en disant :<br />
« d’accord, on va vous donner 35% », à la place<br />
de Renault, je leur aurais dit non. Ils vont attendre,<br />
se rapprocher un peu plus du gouff re, <strong>et</strong><br />
>
Dans les années 1980, la ministre du Développement<br />
économique Elvira Nabioullina a été l’élève de Evgueniï<br />
Yassine.<br />
Dans les années 1990, elle a travaillé sous sa direction<br />
à la RSPP (Union russe des industriels <strong>et</strong> des entrepreneurs)<br />
<strong>et</strong> au ministère de l'Economie.<br />
Elle est mariée à Iaroslav Kouzminov, recteur du Haut<br />
collège d'économie.<br />
dire : « bon, 45% ». Mais à la place de Renault,<br />
je dirais : « non, 55% <strong>et</strong> on n’en parle plus » [fi n<br />
octobre, Carlos Ghosn, le PDG de Renault, s’est<br />
déclaré prêt à rach<strong>et</strong>er les parts de Troïka Dialog,<br />
qui désire se dégager partiellement, par étapes,<br />
du capital d’AvtoVAZ dont elle détient <strong>encore</strong> un<br />
peu moins du quart, <strong>et</strong> début novembre Vladimir<br />
Poutine a proposé à Ghosn de faire monter la part<br />
de Renault jusqu’au paqu<strong>et</strong> de contrôle, ndlr].<br />
Il y a une espèce de marchandage en cours,<br />
mais il est clair que sans investisseurs étrangers,<br />
les Russes eux-mêmes ne pourront pas résoudre<br />
les problèmes posés. Mais ils ne veulent pas céder.<br />
Tant que le marché ne le leur aura pas fait<br />
pénétrer dans le cerveau, ils ne comprendront<br />
pas qu’ils n’y arriveront pas, qu’ils y perdent tout.<br />
Poutine doit se convaincre qu’ils ne peuvent rien<br />
faire sans le marché, <strong>et</strong> faire taire ses sentiments<br />
nationaux.<br />
Mais si j’étais à la place des Russes d’Avto-<br />
VAZ, je me demanderais : à qui vendre, à Renault,<br />
ou aux Coréens ? Les Français sont trop habitués<br />
à la bureaucratie, ils ressemblent aux Russes. Ils<br />
marchandent trop longtemps.<br />
LCDR : Quelles sont les entreprises qui vont<br />
fi nalement être privatisées en priorité, d’après<br />
vous ?<br />
E. Y. : Je dirais que si la privatisation a pour but<br />
de dégager un certain montant de ressources<br />
fi nancières pour réaliser des tâches pour lesquelles<br />
l’Etat n’a pas les fonds nécessaires, alors<br />
il faut commencer par les grosses entreprises<br />
pétrolières, Rosneft, Gazprom, puis continuer<br />
avec les grandes banques, Sberbank <strong>et</strong> VTB.<br />
Mais si l’on cherche à entamer le processus de<br />
modernisation de l’industrie, alors il faut vendre<br />
les entreprises de construction de machines-outils<br />
<strong>et</strong> le producteur de moteurs d’avion Permskie<br />
Motory, qui ont été l’obj<strong>et</strong> de tractations avec<br />
des investisseurs étrangers qui n’ont pas abouti,<br />
avec Siemens dans le premier cas en 2006 ou<br />
2007, United Technologies dans le second cas<br />
dans les années 1990.<br />
LCDR : Sait-on comment vont se dérouler les<br />
appels d’off re, y aura-t-il des garanties en matière<br />
de transparence des procédures, pour les<br />
investisseurs étrangers en tout cas ?<br />
E. Y. : Je pense que là où l’on va adm<strong>et</strong>tre des<br />
investisseurs étrangers, les questions informelles<br />
d’« économie de l’ombre » auront déjà<br />
été réglées en amont de la procédure, <strong>et</strong> sur ces<br />
bases-là, une fois les candidats présélectionnés,<br />
on pourra espérer une certaine transparence. Par<br />
ailleurs, si vous investissez dans un secteur quelconque<br />
qui n’attire pas beaucoup l’attention des<br />
dirigeants de l’Etat russe, hors du pétrole, du gaz,<br />
des métaux, vous pourrez travailler dans la transparence,<br />
dans les limites que l’on peut attendre<br />
dans un pays comme la Russie.<br />
LCDR : La situation actuelle est-elle vraiment<br />
diff érente de celle des années 1990, <strong>et</strong> les résultats<br />
de la redistribution des actifs peuvent-ils<br />
être mieux maîtrisés ? Quand Gaïdar a réalisé<br />
son programme, il a cru qu’il fallait commencer<br />
par créer une classe de propriétaires des<br />
moyens de production, <strong>et</strong> que la formation des<br />
institutions qui garantiraient la pérennité des<br />
Evgueniï Yassine<br />
Sur les causes de la crise<br />
mondiale :<br />
« Les explications données<br />
jusqu’ici, limitées aux aspects<br />
fi nanciers <strong>et</strong> au constat certes<br />
juste de l’insuffi sance de régulation,<br />
n’ont pas saisi les deux<br />
facteurs structurels fondamentaux<br />
: l’entrée de l’économie<br />
mondiale dans une nouvelle<br />
phase de son développement<br />
dans les sphères agricole<br />
<strong>et</strong> industrielle, qui répond à<br />
des lois auxquelles nous ne<br />
sommes pas <strong>encore</strong> habitués<br />
à nous confronter ; le changement<br />
structurel en profondeur<br />
de l’économie mondiale,<br />
avec la montée des pays dits<br />
émergents, la Chine <strong>et</strong> l’Inde,<br />
<strong>et</strong> le changement radical des<br />
rapports de force sur l’arène<br />
mondiale. »<br />
« Deux phénomènes ont joué<br />
un rôle déterminant dans le<br />
déclenchement de la crise<br />
fi nancière mondiale : la<br />
entreprises suivrait sous sa pression…<br />
E. Y. : Du temps de Gaïdar, la situation était<br />
autre qu’on ne le dit, <strong>et</strong> la logique de développement<br />
des événements également. Il fallait mener<br />
une privatisation dans un pays où il n'y avait<br />
jamais eu de capital privé. Le gouvernement<br />
comprenait parfaitement qu’il devait trouver un<br />
soutien avant tout du côté des entrepreneurs privés.<br />
Or le business, alors, c’était principalement<br />
les p<strong>et</strong>its marchés <strong>et</strong> les p<strong>et</strong>ites banques, montés<br />
par des gens qui la veille <strong>encore</strong> ne possédaient<br />
rien. C’est pourquoi la première étape de la privatisation<br />
a consisté à ém<strong>et</strong>tre des vouchers <strong>et</strong> à<br />
distribuer les actifs, ou aux collectifs de travail,<br />
ou aux citoyens qui détenaient ces vouchers. Ces<br />
vouchers étaient de l’argent généré spécialement<br />
pour que les gens puissent acquérir des parts de<br />
ces actifs étatiques sous forme de propriété privée.<br />
Si vous investissez dans un secteur quelconque qui n’attire<br />
pas beaucoup l’attention des dirigeants de l’Etat russe, hors<br />
du pétrole, du gaz, des métaux, vous pourrez travailler dans<br />
la transparence, dans les limites que l’on peut attendre dans<br />
un pays comme la Russie.<br />
Ensuite, le gouvernement a voulu vendre<br />
plus cher, car il fallait stabiliser la situation, combattre<br />
l’infl ation, <strong>et</strong> l’Etat avait besoin d’argent<br />
pour boucler le budg<strong>et</strong>. La seconde phase, c’était<br />
une privatisation fi nancière, qui n’aurait pu réussir<br />
que si l’on avait pu vendre les actifs à des<br />
étrangers. Mais on avait peur des étrangers, qui<br />
avaient les moyens de tout ach<strong>et</strong>er <strong>et</strong> de contrôler<br />
ainsi la politique économique russe. D’autant<br />
plus que les étrangers en question étaient<br />
plutôt douteux, des sociétés dont le siège était<br />
soi-disant à Londres mais dont les propriétaires<br />
n’étaient pas des gens recommandables. La si-<br />
surabondance d’argent bon<br />
marché <strong>et</strong> le manque de sens<br />
de la responsabilité fi nancière<br />
des grandes puissances<br />
économiques mondiales,<br />
Etats-Unis en tête ; le système<br />
de gestion des risques<br />
commerciaux, qui perm<strong>et</strong> aux<br />
producteurs de s’affranchir<br />
des risques liés aux prix des<br />
matières premières en ach<strong>et</strong>ant<br />
des contrats « futures »<br />
que leurs contreparties ne<br />
sont pas, en fi n de cycle, en<br />
mesure d’assumer.<br />
Les entrepreneurs, c’est une<br />
catégorie de gens qui exercent<br />
une activité impliquant<br />
des risques. Si vous voulez<br />
vous débarrassez complètement<br />
du risque, vous devez<br />
aussi renoncer à la possibilité<br />
de dégager des bénéfi ces. »<br />
Christian de Boissieu<br />
Sur les remèdes de sortie de<br />
crise :<br />
« Le G20 s’est contenté, depuis<br />
l’automne 2008, de traiter<br />
Acteur<br />
Texte : Simon Roblin<br />
Le Haut collège d’économie fait monter sa cote<br />
Avec le « colloque scientifi que franco-russe » qui s’est tenu les 28 <strong>et</strong> 29 octobre, le Haut<br />
collège d’économie (Vyschaïa Chkola Ekonomiki en russe) s’était fi xé un programme<br />
ambitieux tant par le nombre <strong>et</strong> la qualité des intervenants que par la diversité des<br />
thèmes abordés.<br />
Moment fort de c<strong>et</strong>te matinée, Evgueniï Yassine, directeur scientifi que de l’EHESE, <strong>et</strong><br />
Christian de Boissieu, professeur d’économie à l’université Paris I Panthéon Sorbonne <strong>et</strong><br />
président du Conseil d’analyse économique auprès du président français, ont présenté<br />
leur « rapport scientifi que », dont Le Courrier de Russie vous propose quelques extraits.<br />
les problèmes de régulation<br />
fi nancière <strong>et</strong> bancaire. La<br />
France, soutenue par la Russie,<br />
propose aujourd'hui de<br />
m<strong>et</strong>tre en débat autour de la<br />
table du G20 la question des<br />
déséquilibres internationaux,<br />
celle des taux de change<br />
<strong>et</strong> celle des monnaies de<br />
réserve, suj<strong>et</strong>s qui ont joué un<br />
rôle important dans la crise<br />
mondiale depuis 2007, mais<br />
n’ont pas été traités par le<br />
G20 depuis deux ans. »<br />
« Face à la crise, il fallait être<br />
keynésien ; en phase de sortie<br />
de crise, il faut faire du Schump<strong>et</strong>er<br />
: il ne s’agit plus de réguler<br />
la demande à court terme<br />
par des politiques de relance<br />
par le défi cit budgétaire, mais<br />
de stimuler la compétitivité<br />
des entreprises <strong>et</strong> de l’offre <strong>et</strong><br />
m<strong>et</strong>tre le paqu<strong>et</strong> sur l’innovation,<br />
la recherche <strong>et</strong> développement<br />
<strong>et</strong> la compétitivité de<br />
nos systèmes d’enseignement<br />
<strong>et</strong> de recherche. » ڤ<br />
tuation était très dangereuse. C’est pourquoi le<br />
gouvernement s’est dit : mieux vaut vendre bon<br />
marché, mais aux nôtres. En outre, il y avait des<br />
conséquences politiques : les Russes sont très<br />
sensibles sur la question de savoir à qui on vend,<br />
<strong>et</strong> ils étaient contents de voir que l’on vendait à<br />
des nationaux.<br />
M<strong>et</strong>tez-vous à la place de Tchernomyrdine<br />
ou de Tchoubaïs, qui devaient résoudre ces problèmes,<br />
<strong>et</strong> trouver 1,5 milliards de dollars pour<br />
équilibrer le budg<strong>et</strong>. Ils ont fi nalement récolté<br />
07<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
un milliard en vendant à Khodorkovskiï, Potanine,<br />
Berezovskiï <strong>et</strong> consorts, c’est-à-dire aux<br />
« nôtres ».<br />
LCDR : Et aujourd'hui, alors ?<br />
E. Y. : Aujourd'hui la situation est très diff érente.<br />
La moitié des actifs est <strong>encore</strong> dans les mains de<br />
l’Etat. Parmi les gens qui ont reçu des actifs autrefois,<br />
une bonne partie sont des gestionnaires<br />
effi caces. Qui peut dire que Potanine gère mal<br />
Norilsk Nickel ? Khodorkovskiï a managé Ioukos<br />
très effi cacement. Schwindler, le représentant<br />
d’Abramovitch à la tête de Sibneft, a été un excellent<br />
manager. Mais ces entreprises ont justement<br />
été nationalisées, ou peut-être faut-il parler d’expropriation.<br />
Appeler « nationalisation » ce qui<br />
s’est passé avec Ioukos, je n’oserais pas, parce<br />
qu’ils l’ont tout simplement récupérée. Juger une<br />
seconde fois Khodorkovskiï pour le vol qu’il aurait<br />
commis, c’est une honte.<br />
Il y a assez de bons chefs d’entreprise en Russie.<br />
Le problème, c’est que, quand ils se m<strong>et</strong>tent<br />
à gagner beaucoup d’argent, les fonctionnaires<br />
cherchent à tout accaparer. L’exemple suivant,<br />
après Khodorkovskiï, c’est celui de Tchitchvarkin :<br />
ce n’est pas du pétrole, juste des téléphones, mais<br />
il y avait beaucoup d’argent en jeu. Oui, peut-être<br />
qu’il a entrepris quelque chose de contraire à la<br />
loi, après qu’on lui a saisi un lot de téléphones<br />
importés à la douane <strong>et</strong> que l’on s’est mis à les<br />
vendre…<br />
Comment privatiser, à qui vendre dans ces<br />
conditions ? Je dirais : si les hommes d’aff aires<br />
russes ont de l’argent, on peut leur vendre, mais<br />
aujourd'hui il est possible de vendre aussi à des<br />
étrangers. Si vous ne voulez pas donner accès aux<br />
étrangers à un secteur ou une entreprise donnés,<br />
le concours ne sera ouvert qu’aux Russes, <strong>et</strong> le<br />
prix de vente chutera. Mais en tout cas il faudra<br />
des règles claires. Si vous voulez accomplir un<br />
miracle dans un domaine quelconque, alors il faut<br />
laisser entrer des étrangers. Aujourd'hui, je pense<br />
que l’on peut ouvrir les privatisations <strong>et</strong> aux uns <strong>et</strong><br />
aux autres. Cela dit, ce sont les étrangers qui sont<br />
dans la position la plus confortable. Les Russes<br />
ont de l’argent frais, mais ils ont exporté beaucoup<br />
de capitaux à l’étranger, qu’ils ne vont pas<br />
rapatrier, car ils ne font pas confi ance au pouvoir<br />
actuel. ڤ
08<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Entreprises<br />
Renault m<strong>et</strong> le paqu<strong>et</strong><br />
sur la Russie<br />
Renault n’a pas tardé à emprunter l’autoroute<br />
que lui ouvre le proj<strong>et</strong> de loi sur les<br />
conditions d’implantation des constructeurs<br />
étrangers en Russie (voir Le Courrier de Russie<br />
n° 176). Alors qu’il avait toujours affi rmé,<br />
depuis le rachat pour 1 milliard de dollars de<br />
25% des parts d’AvtoVAZ au début 2008, que<br />
le constructeur n’augmenterait plus sa participation,<br />
son PDG Carlos Ghosn a fait savoir le<br />
27 octobre que l’alliance Renault-Nissan était<br />
prête à acquérir les parts détenues par Troïka<br />
Dialog, (24,8% du capital d’AvtoVAZ, pour<br />
une valeur estimée de 600 millions de dollars).<br />
Le président du conseil d’administration de<br />
Troïka Rouben Vardanan a précisé que les transactions<br />
se feraient par lots – le premier serait<br />
cédé en 2011 – <strong>et</strong> que la banque d’investissement<br />
ne prévoyait pas de sortir totalement du<br />
capital d’AvtoVAZ. Selon une autre source, le<br />
premier lot serait vendu avant la fi n 2010 à Nissan,<br />
qui pourrait alors se joindre à l’accord d’actionnaires<br />
d’AvtoVAZ, <strong>et</strong> déterminer ses droits<br />
<strong>et</strong> obligations en matière de développement de<br />
l’entreprise.<br />
Sergueï Tchemezov, le patron de<br />
Rostekhnologuii, détentrice aujourd'hui de<br />
18,8% du capital d’AvtoVAZ, a fait savoir de<br />
son côté que la corporation d’Etat était prête<br />
à céder à Nissan une part de 4% après la première<br />
étape de l’émission de capital, qui fera<br />
passer sa participation à 29% en 2011.<br />
Le 2 novembre, Vladimir Poutine a affi rmé<br />
à Carlos Ghosn son soutien à la décision éventuelle<br />
de l’alliance Renault-Nissan d’augmenter<br />
sa participation jusqu’à hauteur du paqu<strong>et</strong><br />
de contrôle.<br />
Les analystes estiment que ce changement<br />
de cap dans la stratégie de Renault s’explique<br />
par les perspectives favorables qui se dessinent<br />
sur le marché automobile russe <strong>et</strong> l’amélioration<br />
de la santé fi nancière du groupe Renault<br />
dans le monde en 2010.<br />
Ghosn a indiqué que Renault ne pourrait<br />
atteindre ses objectifs en Russie – détenir 40%<br />
de parts de marché dans 5 ans – sans s’appuyer<br />
sur les possibilités d’augmentation de la<br />
capacité de production off ertes par l’usine de<br />
Togliatti.<br />
Vedomosti, 29/10/2010, 2/11/ 2010<br />
ErDF se m<strong>et</strong> au jus<br />
ErDF, la fi liale d’EDF en Russie, est sur le<br />
point de se voir confi er par la holding russe<br />
MRSK la gestion du paqu<strong>et</strong> de contrôle qu’elle<br />
détient dans la société TRK, qui assure la distribution<br />
d’énergie dans la région de Tomsk.<br />
MRSK contrôle les réseaux de distribution des<br />
fournisseurs d’énergie sur l’ensemble de la Fédération.<br />
ErDF n’entrera pas, toutefois, dans le capital<br />
de TRK. La privatisation des réseaux de<br />
distribution n’est pas à l’ordre du jour : MRSK<br />
ne délègue pour l’heure que la gestion des sociétés<br />
de distribution, <strong>et</strong> conservera ses paqu<strong>et</strong>s<br />
de contrôle jusqu’en 2015 si la demande de mo-<br />
Cotes & Cours<br />
Texte : Simon Roblin<br />
ratoire qu’elle a adressée au gouvernement est<br />
acceptée. La réforme de l’organisation publique<br />
non-commerciale Système unifi é d’énergie<br />
électrique de Russie (RAO « EES ») prévoyait<br />
que la cession des actifs d’Etat détenus par<br />
MRSK pourrait commencer dès 2011.<br />
Selon les analystes, les entreprises occidentales<br />
comme ErDF introduiront des procédures<br />
de gouvernance plus rigoureuses <strong>et</strong> une<br />
plus grande transparence en matière de gestion<br />
<strong>et</strong> de système d’achats.<br />
Kommersant, 26/10/2010<br />
Mistral gagnant : oui, mais<br />
pour qui ?<br />
Le ministère de la Défense a déclaré ouvertes<br />
les enchères sur l’achat d’un « bâtiment<br />
de projection <strong>et</strong> de commandement » pour le<br />
compte de la marine de guerre russe (VMF).<br />
Le suspense est faible : le ministère <strong>et</strong> le haut<br />
commandement militaire ne font pas mystère<br />
du fort penchant qu’ils ont toujours pour le<br />
Mistral, devenu, plus qu’une arme de guerre,<br />
un véhicule de l’amitié politique entre les gouvernements<br />
français <strong>et</strong> russe.<br />
La menace brandie par la Russie en revenant<br />
sur l’option de la négociation exclusive<br />
avec la France n’a toutefois pas été vaine. Certaines<br />
restrictions ont été levées, <strong>et</strong> en particulier<br />
la coque ne sera pas livrée nue. Pierre<br />
Legros, directeur des chantiers navals publics<br />
DCNS, a en eff <strong>et</strong> déclaré fi n octobre que les<br />
Mistral livrés à la Russie seraient équipés des<br />
mêmes systèmes de commandement de pointe<br />
que ceux qui sont fabriqués pour la marine française.<br />
Dans l’hypothèse la plus vraisemblable aujourd’hui,<br />
où 2 des 4 Mistral commandés par<br />
la marine russe seraient construits en Russie,<br />
c’est aux chantiers navals Baltzavod, contrôlés<br />
par la Mejprombank de Sergueï Pougatchev,<br />
que reviendrait le contrat. Mais les experts notent<br />
que ni Baltzavod ni son concurrent OSK<br />
n’ont la capacité de gérer un tel chantier.<br />
Le ministère a lui-même du mal à justifi<br />
er le choix du Mistral. Et de l’avis même du<br />
chef de la VMF Vladimir Vysotskiï, c’est dans<br />
l’océan Indien que celui-ci, irremplaçable en<br />
matière de commandement de groupements<br />
de forces navales en eaux éloignées, serait à sa<br />
place. Or la marine russe n’y possède pas aujourd'hui<br />
de tels groupements. Les mauvaises<br />
langues disent qu’il ne s’agit que d’assouvir un<br />
vieux rêve nourri par l’amirauté depuis le temps<br />
de l’URSS.<br />
Kommersant, 25/10/2010, 26/10/2010<br />
En Russie<br />
Envie de Potash : Fosagro<br />
n’a pas peur de s’engraisser<br />
Fosagro, l’un des plus gros producteurs d’engrais<br />
chimiques russes, rêve de prendre le<br />
contrôle du canadien Potash (PotashCorp),<br />
leader mondial de la production de potassium,<br />
dont l’américain BHP Billigton cherche lui aussi<br />
à s’emparer. La valeur de l’entreprise serait<br />
aujourd'hui de 43 milliards de dollars.<br />
www.vitaly.livejournal.com<br />
Pour mener à bien son proj<strong>et</strong>, le président<br />
du Conseil d’administration de Fosagro Vladimir<br />
Litvinenko n’a pas hésité à adresser le 20<br />
octobre une l<strong>et</strong>tre à Vladimir Poutine, dans laquelle<br />
il explique que l’acquisition perm<strong>et</strong>trait à<br />
la Russie de contrôler plus de 70% de la commercialisation<br />
des engrais potassiques dans le<br />
monde. Le potassium est selon lui un produit<br />
agrochimique stratégique en matière de politique<br />
de sécurité alimentaire. Fosagro serait en<br />
outre le seul prétendant sérieux aujourd'hui en<br />
Russie à ne pas risquer de tomber sous le coup<br />
des lois anti-monopole russes, car elle ne dispose<br />
pas à ce jour de gisements de potassium.<br />
Elle aurait déjà l’aval des dirigeants de Potash<br />
<strong>et</strong> aurait passé un accord de co-fi nancement à<br />
hauteur de 50% du coût de la transaction – qui<br />
n’a pas été précisé – avec un pool d’institutions<br />
bancaires canadiennes. Les 50% restants<br />
devraient donc être assumés par les banques<br />
russes, si toutefois les autorités compétentes<br />
donnent leur accord.<br />
Vedomosti, 3/11/ 2010<br />
Inteko : quand Loujkov<br />
déménage, Batourina fait<br />
le ménage<br />
Alors que le couple Loujkov-Batourina<br />
cherche à sauver les meubles, la presse<br />
russe s’excite autour des opérations de restructuration<br />
des actifs d’Inteko, qui seraient actuellement<br />
à l’étude. La société, présente dans la<br />
construction, la production de matériaux de<br />
construction, le développement immobilier <strong>et</strong><br />
la pétrochimie, a permis à la femme de l’exmaire<br />
de bâtir, sur fond de corruption présumée,<br />
une fortune personnelle estimée par le magazine<br />
Forbes à 2,9 milliards d’euros.<br />
Les deux prétendants principaux au rachat<br />
de ces actifs exposés seraient la banque VTB<br />
<strong>et</strong> des structures commerciales dont la banque<br />
Rossia <strong>et</strong> Sourgoutneftegaz, la société de Iouriï<br />
Kovaltchouk, sont co-propriétaires.<br />
Pour LifeNews, Elena Batourina cherche<br />
à se débarrasser uniquement des actifs qui<br />
pourraient créer des problèmes au couple. Selon<br />
Kommersant, elle examine la possibilité de<br />
ne vendre que les proj<strong>et</strong>s de développement en<br />
phase de lancement.<br />
Marker, 1/11/ 2010, LifeNews, 1/11/ 2010,<br />
Kommersant, 2/11/ 2010, Forbes 2/11/ 2010<br />
Pervyï Kanal : Abramovitch<br />
passe aux aveux<br />
L<br />
’oligarque Roman Abramovitch s’est décidé<br />
à offi cialiser une information jamais confi rmée<br />
formellement jusqu’alors par aucune des<br />
parties intéressées : il détient 49% des actions<br />
de Pervyï Kanal, la première chaîne de télévision<br />
russe en termes d’audience, dont l’Etat<br />
détient les 51% restants. Depuis 2001, date<br />
du rachat à Boris Berezovskiï des parts qu’il<br />
détenait alors dans ORT (l’ancien nom de la<br />
chaîne), régnait l’omerta sur le suj<strong>et</strong>.<br />
Kommersant, 3/11/ 2010 (interview de John<br />
Mann, représentant d’Abramovitch au sein de<br />
la société Millhouse LLC, qui gère ses actifs)<br />
Corporations d’Etat Résultat de la restructuration Délais de restructuration<br />
Rosnano S.A. Fin 2010<br />
ASV Société de droit public Dernier trimestre 2011<br />
Olimpstroï Liquidation Eté 2014<br />
Fond JKKh Liquidation 1er janvier 2012<br />
VEB Société de droit public D’ici le 1er janvier 2012<br />
Rostekhnologuiï S.A. Elaboration du proj<strong>et</strong> de loi sur la réorganisation<br />
au 4e trimestre 2010<br />
Rosatom Inconnu La décision sera prise avant la fi n 2010<br />
Avtodor S.A. Elaboration du proj<strong>et</strong> de loi sur la réorganisation<br />
au 4e trimestre 2010<br />
Il a fait il a dit<br />
Tchernomyrdine : parti<br />
pour toujours, il restera<br />
pour l’éternité<br />
Viktor Tchernomyrdine est décédé des suites<br />
d’une longue maladie dans la nuit du 3<br />
novembre, à l’âge de 72 ans. Fondateur de<br />
Gazprom (1989), successeur de Gaïdar à la tête<br />
du gouvernement sous Eltsine (1992-1996),<br />
conseiller <strong>et</strong> représentant spécial du président<br />
russe pour la coopération économique avec les<br />
pays membres de la CEI depuis 2009, il restera<br />
dans les mémoires comme l’un de ceux sans<br />
qui la Russie n’aurait pas survécu à l’époque<br />
dite de la « transition ».<br />
Ancien apparatchik, Tchernomyrdine a<br />
commencé sa carrière comme ouvrier de l’industrie<br />
gazière pour la fi nir en oligarque (le magazine<br />
Forbes le comptait en 2001 au nombre<br />
des milliardaires russes les plus fortunés, avec<br />
un patrimoine évalué au minimum à 1 milliard<br />
de dollars).<br />
Il a été salué par tous les responsables politiques<br />
qui l’ont connu, Poutine le premier, autant<br />
sinon plus pour son sens de l’humour que<br />
pour son sens de la responsabilité. « Je suis<br />
pour le marché mais pas pour le bazar », avaitil<br />
ainsi lâché au plus fort de la transition.<br />
Ria Novosti, Vedomosti, Pervyï Kanal, 3/11/ 2010<br />
Agenda<br />
Phamtech 2010<br />
D ans<br />
ce salon consacré à l’analyse des tendances<br />
de développement du secteur pharmaceutique,<br />
on invite les entreprises représentées<br />
à « ne pas tomber dans la publicité ». La<br />
section « Pharma people » leur perm<strong>et</strong>tra toutefois<br />
de faire le plein de candidatures de frais<br />
émoulus des facultés.<br />
Du 23 au 26 novembre 2010 au VVC (Vserossiïskiï<br />
Vystavotchnyï Tsentr, Pavillon 75).<br />
Site Intern<strong>et</strong> : www.pharmtech-expo.ru<br />
Festival russe du vin<br />
(Rossiïskiï Festival Vina)<br />
C<strong>et</strong>te exposition internationale perm<strong>et</strong>tra<br />
aux producteurs <strong>et</strong> aux distributeurs de<br />
vins <strong>et</strong> spiritueux de se chercher des partenaires<br />
dans le monde entier. Sur la « Tasting<br />
Aera » auront lieu des dégustations <strong>et</strong> des master<br />
classes.<br />
Du 18 au 21 novembre 2010 à Crocus Expo<br />
(pavillon 1, hall 1), Krasnogorsk.<br />
Site Intern<strong>et</strong> : www.drinksindustry.ru ڤ
« Adm<strong>et</strong>tons que quelqu’un me règle mon compte : qui ça intéressera de savoir que je<br />
n’ai jamais dénoncé personne, que je ne me suis jamais battu avec qui que ce soit. Je<br />
vois déjà la scène : un de mes assassins créera le site pravdakashina.ru, où il écrira que les<br />
bourreaux sanglants de Poutine ont assassiné Oleg Kachine, espoir de la presse libre. Vu<br />
comme ça, sérieusement, ça devient effrayant. Je ne sais pas si je fais bien d’écrire tout<br />
cela à découvert. Mais tout de même, au cas où, ne croyez pas ce qu’ils écriront sur moi<br />
dans ce site. »<br />
Oleg Kachine, 5 juill<strong>et</strong> 2005, 17:13<br />
http://avmalgin.livejournal.com/2191580.html<br />
Agression sous caméras<br />
Le 6 novembre, à 00h20, Oleg Kachine rentrait<br />
chez lui, au 28 de la rue Piatnitskaïa. Un<br />
taxi l'a conduit jusqu'à l'entrée d'une cour<br />
fermée au public par des portes <strong>et</strong> une barrière<br />
à digicode.<br />
« À minuit 20, ma femme m'a dit : j'ai l'impression<br />
qu'on frappe quelqu'un devant la<br />
porte », a raconté à Kommersant Vladimir Ladokhine.<br />
Il vit avec sa famille au rez-de-chaussée de<br />
l'immeuble <strong>et</strong> s'occupe de l'entr<strong>et</strong>ien des parties<br />
communes. M. Ladokhine explique qu'il a enfi<br />
lé un manteau <strong>et</strong> est sorti de l'autre côté de la<br />
grille. « Au moment où je me suis montré, deux<br />
espèces de types se sont mis à courir vers les<br />
cours non éclairées, en direction de Piatnitskaïa,<br />
ajoute Vladimir. Oleg était assis par terre juste au<br />
pied de la porte, entièrement tuméfi é. Il m’a dit :<br />
« Deux salopards m'ont attaqué. Ils m'attendaient.<br />
» Le journaliste était clairement conscient<br />
<strong>et</strong> a même essayé de se lever, mais il est tombé<br />
immédiatement en disant : « Je ne peux pas, mes<br />
jambes…». Ensuite, raconte Vladimir Ladokhine,<br />
Oleg Kachine s’est écroulé sur le sol. « Il pleuvait,<br />
je ne pouvais pas le traîner. J'ai apporté une<br />
large planche <strong>et</strong> du cellophane, je l'ai allongé<br />
<strong>et</strong> couvert. On a appelé les secours, poursuit le<br />
concierge. En les attendant, Oleg a <strong>encore</strong> une<br />
fois répété que ses agresseurs l’attendaient. Et<br />
puis il a dit : « J'ai l'impression qu'ils m'ont cassé<br />
les dents, j'ai mal partout. »<br />
Les secours ont conduit Oleg Kachine à l'hôpital<br />
municipal n°36. Il a alors expliqué ce qui<br />
s’était passé par téléphone à sa femme, Evguenia<br />
Milova. Les médecins ont précisé à Kommersant<br />
que Kachine était conscient lors de son admission,<br />
il souff rait de fractures de la mâchoire, des jambes,<br />
des mains (une phalange d'un de ses doigts était<br />
pratiquement arrachée), d’un traumatisme crânien<br />
<strong>et</strong> de nombreuses blessures. Le journaliste<br />
a été anesthésié. Quand il a commencé de perdre<br />
connaissance, on l’a placé en sommeil médicalisé.<br />
Le 7 novembre, il a subi de nouvelles opérations :<br />
on a posé des plaques de titane sur ses mâchoires<br />
brisées, fi xé sa jambe cassée. Les chirurgiens ont<br />
travaillé trois heures, après quoi les médecins ont<br />
pu assurer que le cerveau d'Oleg n'avait pas été<br />
touché.<br />
Pour l’agression contre le journaliste, le comité<br />
d'enquête du Parqu<strong>et</strong> de la capitale a ouvert<br />
une enquête pénale sur le fondement de l'article<br />
« Tentative de meurtre » (art. 105 du Code Pénal<br />
de la Fédération de Russie). Le président russe<br />
Dmitriï Medvedev a ordonné au Procureur général<br />
Iouriï Tchaïka de prendre l'enquête sous<br />
contrôle spécial, <strong>et</strong> le chef du MVD (ministère de<br />
l’Intérieur, ndt) Rachid Nourgaliev a promis de<br />
confi er la recherche des coupables aux meilleurs<br />
enquêteurs du MOuR (police judiciaire moscovite,<br />
ndt).<br />
D'après Vladimir Markine, représentant offi<br />
ciel du comité d'enquête près du Parqu<strong>et</strong> de la<br />
Fédération, on sait actuellement que juste avant<br />
l'agression, les deux voyous ont suivi durant un<br />
court moment le journaliste. L’un deux portait un<br />
bouqu<strong>et</strong> de fl eurs : soit pour détourner l'attention,<br />
soit pour cacher le morceau d'armature métallique<br />
avec lequel, comme on le suppose, les coups ont<br />
été portés. Les agresseurs, visiblement, savaient<br />
de quel côté le journaliste s'approcherait de son<br />
immeuble, étant donné qu'ils le gu<strong>et</strong>taient à c<strong>et</strong><br />
endroit alors que l’autre côté de l’immeuble est<br />
aussi muni de portes <strong>et</strong> d’une barrière. Le 18 octobre,<br />
Oleg avait publié un article dans la revue<br />
Vlast, consacré au recensement de la population.<br />
Le journaliste y écrivait notamment : « Je peux me<br />
féliciter <strong>et</strong> m’enorgueillir, depuis un an déjà, d’au<br />
moins une chose : personne ne sait où j'habite ».<br />
Versions de l’entourage<br />
du journaliste<br />
Les journalistes, politiciens, acteurs de la<br />
société civile <strong>et</strong> bloggeurs qui connaissent<br />
bien Oleg Kachine ont proposé un certain<br />
nombre de versions sur la question de savoir<br />
qui pouvait être à l’origine de l’agression. Selon<br />
l’une de ces hypothèses, l’attaque pourrait être la<br />
conséquence du confl it autour de la forêt de Khimki.<br />
Oleg Kachine avait interviewé en exclusivité<br />
pour Kommersant un activiste du mouvement<br />
Antifa, un des organisateurs du pogrom commis<br />
à l'administration de Khimki, ainsi que de l’un<br />
des participants de c<strong>et</strong>te même action, Maksim<br />
Solopov, actuellement en liberté surveillée. À<br />
l'appui de c<strong>et</strong>te version : les caractéristiques des<br />
coups portés à Oleg coïncident avec les blessures<br />
que des inconnus avaient infl igées, il y a<br />
deux ans, à Mikhaïl Bek<strong>et</strong>ov, défenseur de la forêt<br />
de Khimki <strong>et</strong> rédacteur en chef de Khimkinskaïa<br />
Pravda. De plus, un jour avant l'agression<br />
d’Oleg Kachine, on a attaqué <strong>et</strong> mutilé un autre<br />
militant, le chef de la section du parti Pravoe delo<br />
pour la ville de Khimki, Konstantin F<strong>et</strong>issov. « Il<br />
avait fait beaucoup pour que le suj<strong>et</strong> ait une large<br />
résonance», a déclaré à Kommersant Evguenia<br />
Tchirikova, leader du mouvement de défense de<br />
la forêt. Nous considérons que l’agression contre<br />
À la une<br />
Kommersant : Andreï Kozenko, Vladislav<br />
Trifonov, Maria Semendiaeva, Mikhaïl<br />
Kirtzer<br />
Rabkor.ru : Dmitriï Jvania<br />
Traduit par Julia Breen<br />
L’Armature comme moyen de censure<br />
Dans la nuit du 5 au 6 novembre, Oleg Kachine, correspondant de la maison d’édition Kommersant, a été sauvagement<br />
frappé près de son immeuble à Moscou. Il a été admis à l’hôpital avec des blessures graves <strong>et</strong> a déjà<br />
subi plusieurs opérations. Les médecins estiment que son état est grave. Il est d’ores <strong>et</strong> déjà évident que le journaliste<br />
a été victime d’une agression planifi ée à l’avance : les enregistrements de caméras vidéo installées près<br />
du lieu de l’attaque perm<strong>et</strong>tent d’établir que les deux voyous attendaient précisément Kachine. Une enquête<br />
pénale a été ouverte sur le fondement de l’article « Tentative de meurtre » du Code pénal de la Fédération.<br />
Oleg a été commise selon un schéma dûment<br />
préétabli, au même titre que les attaques contre<br />
Konstantin F<strong>et</strong>issov <strong>et</strong> Mikhaïl Bek<strong>et</strong>ov. À la<br />
place des enquêteurs, c’est là-dessus que je porterais<br />
mon attention. »<br />
Les bloggeurs envisagent aussi l’hypothèse<br />
selon laquelle l'agression d’Oleg Kachine serait<br />
liée au confl it qui l’opposait à Andreï Tourtchak,<br />
gouverneur de la région de Pskov. En août dernier,<br />
dans son blog sur LiveJournal, Oleg, commentant<br />
la démission du gouverneur de la région de<br />
Kaliningrad Gueorguiï Boos, avait exprimé une<br />
opinion sans détour sur le gouverneur. Ce dernier,<br />
dans les commentaires, avait exigé des excuses,<br />
qu’Oleg lui avait refusées. Trois semaines avant<br />
son agression, Oleg Kachine, citant ses sources,<br />
a déclaré à ses collègues de la rubrique Société<br />
de Kommersant qu’Andreï Tourtchak, non seulement<br />
n’avait pas oublié l’off ense, mais prétendait<br />
aussi vouloir se venger. Plus tard, le journaliste<br />
a <strong>encore</strong> une fois déclaré à ses collègues, sur un<br />
ton mi-sérieux mi-humoristique : « S’il m’arrive<br />
quelque chose, c’est Tourtchak ».<br />
Enfi n, selon la troisième version avancée par<br />
les journalistes, l'agression contre Oleg Kachine<br />
pourrait être le fait d’une organisation de jeunesse<br />
pro-Kremlin, la Jeune garde de Edinaïa Rossia. Le<br />
11 août, un texte était publié sur le site de l’organisation,<br />
qui affi rmait que Kommersant employait<br />
des « saboteurs de l'information ». Le texte était<br />
illustré d’une photographie d'Oleg Kachine barrée<br />
de la mention : « Sera puni ». Toutefois, après<br />
le tabassage d'Oleg Kachine, le site de la Jeune<br />
garde a rapidement publié une interview d’Andreï<br />
Tatarinov, membre du conseil politique du mouvement<br />
<strong>et</strong> membre de la Chambre civile. Tatarinov y<br />
exige « une enquête prompte <strong>et</strong> diligente » sur le<br />
tabassage de Kachine. Kommersant ڤ<br />
On assassine les journalistes, ça veut dire<br />
que le journalisme est vivant<br />
journalisme est mort, <strong>et</strong> nous voulons<br />
jouer avec lui comme s’il était au zénith. «Le<br />
Nous tentons de réveiller, à coups de<br />
chaudes caresses, une jeune fi lle, alors qu'elle<br />
est depuis longtemps déjà une vieillarde, qui<br />
plus est à l’agonie … », m'écrivait récemment un<br />
vieil ami <strong>et</strong> collègue, grâce à l'entremise duquel,<br />
à l’époque, je suis devenu journaliste. (…)<br />
Je comprends mon ami. Mais je pense qu'il<br />
a tort. Le journalisme, dans notre pays, est bien<br />
vivant. Le journalisme russe est vivant parce que,<br />
dans notre pays, on assassine les journalistes,<br />
on les frappe à mort. Ce qui signifi e que par<br />
leurs écrits, ils inquiètent certaines personnes.<br />
Au temps de la perestroïka, on pouvait écrire <strong>et</strong><br />
dire ce qu’on voulait. Mais quand on a le droit de<br />
tout dire, c’est signe que la vérité n’a que peu de<br />
puissance. Aujourd’hui, c’est tout autre chose.<br />
Je ne connais pas personnellement Mikhaïl Bek<strong>et</strong>ov<br />
ni Oleg Kachine. Je sais seulement qu'ils<br />
dénonçaient les responsables politiques, l'arbitraire<br />
des miliciens, qu’ils défendaient la forêt<br />
de Khimki. Je lisais leurs articles, <strong>et</strong> c’était du<br />
journalisme avec un grand J. Du journalisme<br />
vivant, <strong>et</strong> pas une « vieillarde agonisante ». On<br />
n’agresse pas les vieillards au coin des rues, on<br />
ne les frappe pas avec des tiges de métal, on ne<br />
leur écrase pas des phalanges. (…)<br />
Je ne sais pas qui a commandité l’agression<br />
de Kachine : les Nachi, la Jeune garde, les nazis,<br />
le gouverneur de la région de Pskov Andreï<br />
Tourtchak ou les constructeurs de la route au<br />
milieu de la forêt de Khimki. L’essentiel, c’est<br />
qu’une telle atmosphère se soit installée dans<br />
notre pays : que, pour un texte, on risque la<br />
mort. Et, pour mourir, il faut être un authentique<br />
journaliste vivant.<br />
À ce qu’on dit, il ne faudrait pas canoniser<br />
Kachine. Il aurait prétendument commencé à<br />
Kaliningrad comme national-bolchévique avant<br />
de collaborer à des éditions aussi pro-kremlin<br />
que le site Vzgliad <strong>et</strong> le journal Ré-action, pour<br />
fi nir par se rapprocher des Antifa <strong>et</strong> des anarchistes.<br />
Et quoi ? Si on va par là, je n’ai jamais<br />
aimé les gens qui « ont choisi une voie une fois<br />
<strong>et</strong> pour toujours ».<br />
Je me fi che profondément de savoir qui était<br />
Oleg Kachine à ses débuts. Ce que je sais, c’est<br />
que maintenant, il est entre la vie <strong>et</strong> la mort. Et<br />
qu’il s’est r<strong>et</strong>rouvé dans c<strong>et</strong> état pour avoir écrit<br />
des choses qui n'ont pas plu aux apologistes du<br />
pouvoir. Rabkor.ru ڤ<br />
09<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Kachine dans les blogs<br />
Il pourrait arriver la même chose à chacun<br />
d'entre nous. L'État ne défend aucunement ses<br />
citoyens, il ne défend que ses intérêts propres.<br />
Les organisations censées lutter, sur le papier,<br />
contre l'extrémisme, s'occupent, dans la pratique,<br />
de tout autre chose. La racaille criminelle<br />
qui fait son business est toute puissante en Russie<br />
<strong>et</strong> s'est étroitement liée à un État embourbé<br />
dans le vol <strong>et</strong> la corruption.<br />
Oleg, mon cher, tiens bon, je t'en prie.<br />
http://drugoi.livejournal.com/3405604.html<br />
C'est précisément lui [Sourkov] qui dresse des<br />
jeunes au lac Seliger, c'est sous son commandement<br />
que s'élaborent des mouvements<br />
où les militants des droits de l'homme, les<br />
journalistes <strong>et</strong> l'opposition sont peints sous les<br />
traits de criminels nazis. C'est précisément lui<br />
qui est à l'origine des organisations extrémistes<br />
Nachi, Jeune garde, Jeune Russie, Stal, <strong>et</strong>c.,<br />
qui défi lent dans les rues de Moscou avec<br />
des banderoles dénonçant les « Ennemis de<br />
la Russie ». Et ces ennemis, ce sont à nouveau<br />
l'opposition, les défenseurs des droits de<br />
l'homme, les journalistes.<br />
Pour l'atmosphère de haine qui s'est installée<br />
dans le pays <strong>et</strong> qui a rendu possible, également,<br />
l'agression contre Kachine, M. Sourkov<br />
porte une responsabilité personnelle. Et tant<br />
qu'il sera au pouvoir, une menace réelle<br />
continuera de planer sur la vie <strong>et</strong> la santé<br />
des journalistes, des défenseurs des droits de<br />
l'homme <strong>et</strong> des membres de l'opposition.<br />
http://b-nemtsov.livejournal.com/88758.html<br />
J’ai bien l’impression que personne n’a commandité<br />
l’agression de Kachine. Ce n’est pas<br />
un journaliste si terrifi ant, ce Kachine. Dans ce<br />
pays, de toute façon, un journaliste ne peut<br />
pas faire peur. Il suffi t que la bonne personne<br />
téléphone à l’autre bonne personne, <strong>et</strong> hop !<br />
n’importe quel journaliste se fait virer <strong>et</strong> va se<br />
faire voir. Pas la peine d’ouvrir une quelconque<br />
enquête pénale… les types qui ont frappé Kachine,<br />
vraisemblablement, ce sont deux bons<br />
gars russes ordinaires, simplement armés de la<br />
connaissance de la vérité.<br />
http://blguanblch.livejournal.com/763818.<br />
html<br />
Mais qu’est-ce qu’ils m’emmerdent, tous, avec<br />
ce Kachine ! C’est tout juste si ça ne devient<br />
pas le type le plus important du pays !<br />
À la radio, à la télé, sur le n<strong>et</strong>, sur<br />
LiveJournal : toutes les nouvelles ne parlent<br />
que de lui. En Russie, chaque jour, on frappe,<br />
tue <strong>et</strong> viole des dizaines de gens. En quoi<br />
seraient-ils pires que lui ? Pourquoi est-ce que<br />
je dois, d’absolument partout, entendre combien<br />
de dents on a cassé à un quelconque<br />
provocateur ?<br />
À mon humble avis, le journalisme est un boulot<br />
de porcs. Le pire. Déterrer la merde. Surtout<br />
sur les questions socio-politiques. La liberté<br />
d’expression, dans notre pays, n’a jamais existé,<br />
n’existe pas <strong>et</strong> n’existera pas, <strong>et</strong> la censure<br />
étatique n’a rien à voir là-dedans. En Russie, le<br />
journaliste doit comprendre que s’il s’attaque<br />
à certains intérêts, il peut le payer physiquement.<br />
Et je ne crois pas qu’on ne les ait pas<br />
assez prévenus. Et puis c<strong>et</strong>te forêt de Khimki, là,<br />
personne n’en a rien à cirer : la route est bien<br />
plus nécessaire.<br />
http://super-oslik.livejournal.com/24703.html<br />
Une agression a été commise contre le journaliste<br />
du quotidien Kommersant Oleg Kachine. À<br />
l’époque, journaliste débutant, il a beaucoup<br />
écrit sur l’activité du Parti national-bolchévique,<br />
<strong>et</strong> ses publications l’ont rendu célèbre. Il écrivait<br />
de façon plutôt objective, <strong>et</strong> c’est ce qui<br />
lui a valu des louanges. Je tiens à lui exprimer,<br />
ainsi qu’à ses proches, toute ma compassion.<br />
J’espère qu’il se rétablira <strong>et</strong> remontera au front.<br />
http://limonov-eduard.livejournal.com/90219.<br />
html
10<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Reportage<br />
Texte : Gabrielle Leclair<br />
Photo : Galina Kouzn<strong>et</strong>sova<br />
Palais du Kremlin. 10h. Les employés<br />
de Kombinat Pitaniïa Kremliovskiï<br />
s’aff airent pour dresser un banqu<strong>et</strong><br />
de 600 personnes qui doit se tenir<br />
dans quelques heures, préparer la<br />
visite imminente du président du<br />
Qatar, <strong>et</strong> le déjeuner en comité restreint du Patriarche<br />
Kirill. Journée, à vrai dire, classique pour<br />
les employés de Guennadiï Korolev, sous-directeur<br />
de l’organisation qui gère notamment toutes<br />
les réceptions données par le président Medvedev,<br />
le Premier ministre Poutine <strong>et</strong> le Patriarche Kirill.<br />
Marmelades de fruits, roul<strong>et</strong>te de cèpes, tartel<strong>et</strong>tes<br />
au caviar rouge, salade Olivier, broch<strong>et</strong>tes<br />
de saumon, pirojkis, mousse de mangue <strong>et</strong> fruit<br />
de la passion… Les cuisiniers préparent le menu<br />
pour le banqu<strong>et</strong> pendant que les serveurs dressent<br />
le buff <strong>et</strong>. Au même moment, des sandwichs<br />
sont à préparer pour être vendus aux spectateurs<br />
de la représentation quotidienne du Bolchoï. De<br />
son p<strong>et</strong>it bureau qui juxtapose la cuisine, le chef<br />
cuisinier Jérôme Rigaud supervise tout. Confi ant,<br />
il tâche de rendre ses 30 cuisiniers autonomes :<br />
« le rôle d’un chef n’est pas de tout faire, mais<br />
d’aiguiller ses apprentis », explique ce Français<br />
qui forme son personnel sans jamais élever<br />
la voix. C’est important de bien s’entendre car<br />
« on voit plus les cuisiniers que sa propre<br />
famille », reprend le chef. Dans une ambiance<br />
plutôt détendue pour une mission d’une telle exigence,<br />
les cuisiniers travaillent au son d’une radio<br />
diff usant des tubes universels des années 80.<br />
Isolée dans le bloc pâtisserie de la cuisine, Janna<br />
s’apprête à faire déguster au chef le dessert<br />
qu’elle a elle-même conçu pour le déjeuner du<br />
Patriarche. Une mousse de melon couverte d’une<br />
gelée de menthe, avec une sauce menthe vanille<br />
agrémentée de quelques fruits des bois. Le des-<br />
sert est exclusif : pas question de servir deux fois<br />
le même plat. « Il faut se renouveler sans cesse »,<br />
explique Janna dont le visage détendu <strong>et</strong> souriant<br />
confi rme qu’elle « ne s’ennuie jamais ». Depuis<br />
trois ans, c<strong>et</strong>te pâtissière de 40 ans innove quotidiennement<br />
pour un président particulièrement<br />
friand de sorb<strong>et</strong>s. Mais, la plupart du temps, c’est<br />
Jérôme <strong>et</strong> Guennadiï qui imposent le menu. « Il<br />
arrive aussi que le président exige un produit<br />
en particulier », confi e Janna, qui ne dévoilera<br />
pourtant sous aucun prétexte les desserts favoris<br />
de Medvedev. « Si les plats préférés du président<br />
sont dévoilés dans la presse, on court le<br />
risque que tous ses hôtes les reproduisent indéfi -<br />
niment », commente Jérôme.<br />
Une exigence d’État<br />
Mais, avant de présenter quoi que ce soit au chef<br />
Rigaud, « les produits sont soumis au service du<br />
protocole », confi e Janna, qui a suivi Jérôme au<br />
Kremlin depuis le restaurant français Nostalgie,<br />
à Moscou. Les médecins <strong>et</strong> technologues militaires<br />
du FSO (service fédéral russe de sécurité,<br />
chargé de la protection du président) soum<strong>et</strong>tent<br />
tous les aliments qui seront préparés pour le président,<br />
le Premier ministre <strong>et</strong> le Patriarche à des<br />
analyses en laboratoire. Les normes sont drastiques.<br />
« Les cèpes, les courg<strong>et</strong>tes <strong>et</strong> la salade frisée<br />
ne passent pas », observe Jérôme. Pourquoi ?<br />
Quelles sont ces normes ? «Je ne peux rien vous<br />
dire, sinon je me ferai fusiller », plaisante amèrement<br />
un médecin venu m<strong>et</strong>tre dans ses sach<strong>et</strong>s<br />
en plastique le contenu des repas du président<br />
pour les prochains jours. Lorsque Medvedev s’en<br />
va en voyage, sauf s’il est invité, toute la p<strong>et</strong>ite<br />
troupe gastronomique l’accompagne. Dans leurs<br />
bagages : tous les produits bien sûr, les ustensiles<br />
de cuisines, <strong>et</strong> même les gros appareils<br />
On n’a jamais vu un régime<br />
politique renverser une<br />
cusine nationale.<br />
Viviane Chocas<br />
Cuisine top secrète<br />
Les milliers de moscovites qui défi lent chaque jour sur la place Rouge ne peuvent s’imaginer ce<br />
qui se passe au quotidien dans les cuisines du Kremlin. Le Courrier de Russie s’est introduit discrètement<br />
pour une visite dans les coulisses gourmandes du palais présidentiel, l’un des lieux les plus<br />
surveillés au monde.<br />
Qu’est ce que le Kombinat<br />
Pitaniïa Kremliovskiï ?<br />
C’est un organisme qui supervise la<br />
nourriture servie dans les bâtiments dépendant<br />
du Kremlin (Palais du Kremlin,<br />
Bolchoï, Staraïa Plochtchad…). Il comprend<br />
2000 personnes dirigées par Igor<br />
Boukharov, président de l’Association<br />
des restaurateurs <strong>et</strong> hôteliers de Russie<br />
<strong>et</strong> président d’honneur du Bocuse d’or.<br />
La pesée des portions :<br />
vestige de l’URSS<br />
Ce qui frappe dans les cuisines du<br />
Kremlin, c'est que chacun des produits<br />
alimentaires est pesé. Par exemple,<br />
chaque sandwich au jambon doit<br />
contenir le même grammage de jambon<br />
<strong>et</strong> de pain. Idem pour les milliers<br />
de canapés servis pour le banqu<strong>et</strong> de<br />
ce soir.... La tradition date de l'époque<br />
soviétique, quand chaque portion était<br />
dûment pesée pour éviter les vols de<br />
nourriture par les cuisiniers.<br />
Comparaison discrète<br />
Selon Jérôme Rigaud, les mesures de<br />
sécurité <strong>et</strong> autres normes sont plus<br />
contraignantes en Russie qu’en France.<br />
Lorsque Nicolas Sarkozy est entouré<br />
de plus de 100 personnes, ce sont des<br />
traiteurs extérieurs qui le servent. Et les<br />
cuisiniers de L’Élysée ne suivent jamais<br />
le président dans ses déplacements.<br />
Le chef cuisinier Jérôme Rigaud<br />
Guennadiï Korolev, directeur adjoint des<br />
cuisines du Kremlin<br />
Les cuisiniers du Kremlin préparent le banqu<strong>et</strong><br />
Janna en pâtisserie Iouriï, un des 30 cuisiners Vakhtang, le sous chef Viktor, un des maîtres d’hôtel<br />
comme les fours. « Nous avons un avion particulier<br />
», rassure Jérôme.<br />
Lorsque Medvedev reçoit des invités, à ces exigences<br />
s’ajoutent celles de ceux qu’il reçoit. Ce<br />
matin, Jérôme Rigaud a reçu un fax énumérant<br />
les aliments que le président de l’État du Qatar<br />
ne peut consommer ou n’apprécie pas. La liste<br />
est longue. Mais le chef la tient secrète. On apprend<br />
seulement que, en présence du président<br />
de l’Émirat musulman, Medvedev <strong>et</strong> les autres<br />
invités devront se passer d’alcool. Tout le challenge<br />
des cuisiniers du Kremlin tient dans le fait<br />
de réaliser un menu de haute qualité en se passant<br />
de ces nombreux produits.<br />
Mais cuisiner dans les règles de l’art présidentiel<br />
n’est pas tout, il faut <strong>encore</strong> que le service soit<br />
impeccable. Étonnamment timide, Anton, serveur<br />
attitré de Medvedev depuis un an, explique :<br />
« je dois réfl échir à chacun de mes actes. Prendre<br />
les distances nécessaires pour ne pas gêner le<br />
président, sans pour autant m’éloigner trop au<br />
cas où il aurait besoin de moi ». Évidemment, le<br />
service se fait dans le plus grand silence <strong>et</strong> l’on<br />
n’adresse pas la parole au chef de l’État, mais «<br />
s’il pose une question, je dois pouvoir y répondre<br />
justement ». C<strong>et</strong>te attitude est essentielle, selon<br />
Viktor, maître d’hôtel depuis 1976 : « nous<br />
représentons la Russie dans notre manière de<br />
servir », dit avec sagesse c<strong>et</strong> homme au visage<br />
doux <strong>et</strong> à l’attitude irréprochable. D’autres, cependant,<br />
conçoivent leur métier avec moins de<br />
solennité, comme Iouriï, plus détendu <strong>et</strong> extrêmement<br />
jovial. Ce pilier des cuisines du Kremlin<br />
depuis plus de 30 ans avoue sans complexe <strong>et</strong><br />
tout en s’amusant que « ce qu’il y a de particulier<br />
ici, c’est la vue qu’on a sur le Kremlin <strong>et</strong> la<br />
ville ». De loin, Iouriï peut observer les passants,<br />
mais eux ne le verront jamais cuisiner. ڤ
En France, la cuisine est une<br />
forme sérieuse d’art <strong>et</strong> un<br />
sport national.<br />
Julia Child<br />
Au goût du Kremlin<br />
dans les cuisines du<br />
Kremlin, c’est comme dans le<br />
sport : il faut gagner le match<br />
tous les jours. » Depuis janvier<br />
«Travailler<br />
2008, Jérôme Rigaud est le<br />
responsable cuisinier des réceptions<br />
données par le président Medvedev. Quand<br />
on demande à ce Français de 35 ans comment<br />
il est arrivé là, il répond tout simplement<br />
qu’il s’est trouvé « au bon endroit au bon moment<br />
». Ce que confi rme son parcours professionnel,<br />
qui n’est qu’une suite d’opportunités<br />
saisies au vol. Un enchaînement de défi s qu’il<br />
s’est lancés depuis qu’il a su qu’il ne pourrait<br />
plus jouer au rugby, sport auquel il s’adonnait<br />
depuis l’adolescence.<br />
À l’âge de 19 ans, ce joueur de deuxième division<br />
à Perpignan se blesse. A la suite d’une rupture<br />
des ligaments croisés du genou, Jérôme doit renoncer<br />
non seulement à sa passion mais également<br />
à son rêve de devenir un jour inspecteur de<br />
police. « Une immense déception », souligne-il.<br />
Le jeune homme, natif d’Abidjan (Côte d’Ivoire),<br />
restera « déprimé » jusqu’au jour où un ami serveur<br />
lui propose de venir l’aider pour la soirée<br />
du Nouvel An dans un restaurant de Perpignan.<br />
Jérôme a alors 22 ans, <strong>et</strong> se découvre une nouvelle<br />
vocation : « Ca m’a donné envie d’ouvrir<br />
un restaurant ». Il décide d’en faire son métier.<br />
Après avoir été formé, notamment, par les grands<br />
chefs français Joël Robuchon <strong>et</strong> Michel Troisgros,<br />
Jérôme Rigaud reçoit plusieurs propositions.<br />
L’une d’elles l’intrigue. Un certain Eldorado, à<br />
Moscou, le demande. « Je n’avais jamais entendu<br />
parler de ce restaurant ni trouvé aucune<br />
information sur Intern<strong>et</strong> », explique Jérôme qui<br />
décide pourtant de tenter l’aventure russe. « Une<br />
ouverture d’esprit <strong>et</strong> un goût du voyage » qui lui<br />
viennent, assure-t-il, de ses 16 premières années<br />
passées en Afrique. L’occasion est idéale<br />
pour se lancer un défi : « Même si tu ne connais<br />
pas les gens qui vont t’entourer ni leur culture,<br />
tu dois réussir à t’adapter ». Rapidement, c’est<br />
chose faite. Au bout de deux ans <strong>et</strong> demi, Jérôme<br />
quitte l’Eldorado <strong>et</strong> passe au Nostalgie, le plus<br />
ancien des restaurants français de Moscou.<br />
Deux ans plus tard, Igor Boukharov, propriétaire<br />
du Nostalgie, commence à se charger des<br />
banqu<strong>et</strong>s présidentiels. Il demande à Jérôme de<br />
l’aider de façon ponctuelle. Le jeune Français<br />
commence, « p<strong>et</strong>it à p<strong>et</strong>it », à diriger les banqu<strong>et</strong>s<br />
donnés par le président Medvedev. « Une<br />
sorte de test », pense Jérôme qui sera embauché<br />
dans les cuisines du Kremlin à plein temps,<br />
après cinq mois d’« essai ». Tout s’est déroulé<br />
en douceur, « c’est pour ça que j’ai accepté»,<br />
confi e Jérôme, qui souligne que « [s’il avait] su<br />
d’emblée les contraintes <strong>et</strong> la charge de travail<br />
que cela impliquait, [il aurait] refusé ».<br />
Chef sous haute surveillance<br />
Ces cinq mois d’essai ont aussi servi aux services<br />
de renseignement du président pour mener<br />
une enquête complète sur Rigaud, sa famille<br />
<strong>et</strong> ses amis. Surveillance rapprochée qui<br />
reste d’actualité. « Je suis sur écoute 24h/24 »,<br />
observe le cuisinier, qui se sait surveillé jusque<br />
dans ses soirées personnelles. Mais Jérôme affi<br />
rme ne rien changer pour autant à son mode<br />
de vie : « C’est normal, car je travaille pour le<br />
président d’une grande puissance mondiale ».<br />
Aujourd’hui, il oublie même les médecins militaires<br />
qui gu<strong>et</strong>tent ses faits <strong>et</strong> gestes lorsqu’il<br />
cuisine pour Medvedev dans une salle spéciale,<br />
à laquelle les autres cuisiniers – sans parler<br />
des journalistes – n’ont pas accès.<br />
« Le plus diffi cile dans ce travail est de s’adapter<br />
au rythme », explique celui qui doit être au<br />
service du président en permanence. Pas de va-<br />
Portrait<br />
Texte : Gabrielle Leclair<br />
Photo : Galina Kouzn<strong>et</strong>sova<br />
cances depuis trois ans, pas le temps de profi ter<br />
de son passe-temps préféré, le rugby, même<br />
si « la cuisine ressemble à tous les sports collectifs<br />
». Il faut que Jérôme soit toujours prêt<br />
à cuisiner, servir <strong>et</strong> diriger en fonction des<br />
événements organisés par le président. « On<br />
peut m’appeler ce soir à 22h pour un banqu<strong>et</strong><br />
de 200 personnes, demain, à l’autre bout de la<br />
ville », explique-t-il. À cela s’ajoute l’absence<br />
de routine dans les cuisines du Kremlin. « Le<br />
menu de chaque banqu<strong>et</strong> est unique », précise<br />
Jérôme. Le public étant prestigieux, « c’est<br />
un combat permanent » pour plaire à chaque<br />
réception. Avec Guennadiï Korolev, le sousdirecteur<br />
des cuisines du Kremlin, il supervise<br />
tout. Du choix de la vaisselle, des menus <strong>et</strong> des<br />
produits au nombre de serveurs <strong>et</strong> de cuisiniers<br />
requis. Dans ces choix, Jérôme a apporté un<br />
peu de french touch <strong>et</strong> bousculé les habitudes<br />
des cuisines du Kremlin.<br />
« J’adapte la cuisine<br />
française au goût<br />
russe »<br />
Le chef français a fait découvrir un système basé<br />
sur des menus dégustation, avec six ou sept<br />
plats par personne. Auparavant, on apportait de<br />
grands plats sur la table, <strong>et</strong> chacun se servait.<br />
Jérôme Rigaud a introduit une haute cuisine,<br />
« moins axée sur la quantité mais plus raffi née<br />
<strong>et</strong> plus diversifi ée », explique Guennadiï, qui<br />
souligne que même si le cuisinier « ne parle<br />
pas parfaitement russe, il nous comprend très<br />
bien ». C’est certainement ce qui a fait son<br />
succès dans les cuisines de la présidence.<br />
« S’il avait cuisiné comme un Français pour<br />
des Français, il n’est pas certain que ça aurait<br />
plu », poursuit un Guennadiï qui apprécie tout<br />
particulièrement la cuisine française, « fondée<br />
sur le choix de produits authentiques ». Jérôme<br />
11<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Jérôme Rigaud est le seul étranger employé à la présidence russe. Depuis bientôt trois ans, le chef<br />
cuisinier français prépare lui-même les plats qui sont servis à la table présidentielle dans le palais<br />
du Kremlin <strong>et</strong> ailleurs. Pour le plaisir de Dmitriï Medvedev <strong>et</strong> de ses hôtes, il a adapté sa cuisine au<br />
goût russe. Portrait d’un chef friand de défi s <strong>et</strong> de diversité.<br />
Jérôme Rigaud en<br />
10 dates<br />
21 février 1975 : Naissance à Abidjan en<br />
Côte d’Ivoire<br />
1996 : Apprenti auprès du chef Jean-Paul<br />
Hartmann à l’Almandin, restaurant une étoile<br />
au Michelin près de Perpignan.<br />
1998 : Commis de cuisine puis chef de partie<br />
à L’Astorg, restaurant parisien une étoile<br />
sous la tutelle de Joël Robuchon<br />
2000 : Chef de partie puis sous-chef de<br />
cuisine dans la Maison Troisgros, à Roanne.<br />
2003 : Chef cuisinier du restaurant Le Balthus,<br />
à Beyrouth, au Liban<br />
2004 : Chef cuisinier à l’Eldorado, à Moscou<br />
2006 : Chef cuisinier au Nostalgie, à Moscou<br />
11 septembre 2007 : Prépare son premier<br />
banqu<strong>et</strong> pour le président Medvedev<br />
1 e janvier 2008 : Devient le chef cuisinier<br />
en titre du président Medvedev<br />
a introduit dans l’assi<strong>et</strong>te présidentielle des produits<br />
atypiques <strong>et</strong> de grande qualité comme le<br />
sel noir, le thé de Taiwan <strong>et</strong>, bientôt, le chocolat<br />
français Weiss. Il apprend à ses trente cuisiniers<br />
russes à faire leur pâté foie gras. Le professeur<br />
se dit parfaitement satisfait de ses apprentis, qui<br />
ont le sens du travail <strong>et</strong> ne se plaignent jamais<br />
de faire, chaque jour, des heures supplémentaires<br />
: « En France, ce ne serait pas possible »,<br />
observe Jérôme.<br />
Vakhtang, son second, note lui aussi des changements,<br />
remarquant notamment « l’arrivée<br />
dans la cuisine de nouveaux poissons comme le<br />
turbot ou la dorade ». Iouriï, cuisinier au Kremlin<br />
depuis 30 ans, se souvient qu’il y a quelques<br />
années <strong>encore</strong>, ils préparaient des « sangliers<br />
<strong>et</strong> des esturgeons entiers », servis dans d’immenses<br />
plats. Viktor, maître d’hôtel, remarque<br />
que le chef français est arrivé à un moment où<br />
« la cuisine du Kremlin, en même temps que les<br />
idées du président au pouvoir, commençaient à<br />
changer ». Un président tourné vers l’Occident<br />
promeut logiquement une cuisine qui lui ressemble.<br />
Même si Jérôme tire beaucoup de satisfactions<br />
de son travail au Kremlin, il compte bien<br />
réaliser son rêve, toujours le même depuis ce<br />
fameux Jour de l’An. « Ici, c’est ma dernière<br />
place avant que je n’ouvre ma brasserie en<br />
Espagne ou en Australie », explique ce Français<br />
de l’Etranger. Dans l’un de ces deux pays<br />
« qui l’attirent », il continuera de faire ce qu’il a<br />
toujours fait : « travailler avec des produits que<br />
n’importe qui peut se payer, mais que personne<br />
ne peut cuisiner comme moi ». Un proj<strong>et</strong> <strong>encore</strong><br />
vague pour le Français qui ne prévoit pas<br />
<strong>encore</strong> concrètement de quitter les cuisines du<br />
Kremlin. « Je partirai quand je m’ennuierai »,<br />
ce qui est quasiment impossible, « ou quand je<br />
craquerai », ce qui est plus probable si son patron<br />
ne lui accorde pas de répit. ڤ
12 Le Courrier de Russie<br />
Texte<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Devoir lire les jeunes poètes :<br />
le châtiment me paraît cruel.<br />
Heureusement qu’il est des<br />
gens qui ne partagent pas mon<br />
point de vue. Olga Loukinova<br />
<strong>et</strong> Andreï Nosov s’adonnent à<br />
c<strong>et</strong>te tâche depuis cinq ans déjà, <strong>et</strong> n’ont aucune<br />
intention de s’arrêter... Depuis 2006, ces deux<br />
diplômés de l<strong>et</strong>tres de 22 <strong>et</strong> 23 ans organisent<br />
à Nij niï Novgorod le festival Molodoï literator<br />
(« jeune littérateur »), qui réunit des jeunes<br />
poètes de la région de la Volga. L’événement<br />
a permis à de nombreux auteurs de rencontrer<br />
des éditeurs, <strong>et</strong> Nij niï Novgorod a connu<br />
une renaissance de sa communauté littéraire.<br />
« Quand nous avons commencé, il n’y avait que<br />
quelques personnes en ville qui organisaient<br />
des soirées littéraires, <strong>et</strong> je les connaissais tous,<br />
confi e Andreï. Aujourd’hui, je reçois chaque<br />
semaine des invitations de la part de gens dont<br />
le nom m’est inconnu. » Pour convaincre la<br />
jeunesse novgorodienne que « lire, c’est très à<br />
la mode », Olga <strong>et</strong> Andreï ont aussi lancé dans<br />
la ville le mouvement du bookcrossing 1 <strong>et</strong> organisé<br />
des lectures de poèmes dans un tram qui<br />
circule autour du Kremlin... « Des diffi cultés,<br />
on en a eues, mais à chaque étape, nous avons<br />
rencontré des gens qui acceptaient de nous aider<br />
sans rien demander en échange », explique<br />
Olga, enthousiaste. Des amis venaient en masse<br />
pour distribuer les invitations, des propriétaires<br />
de cafés <strong>et</strong> cinémas accordaient gracieusement<br />
leurs locaux, les maires des villes de la région<br />
invitaient Olga <strong>et</strong> Andreï à donner des conférences<br />
dans des bibliothèques <strong>et</strong> maisons de la<br />
culture. « Nous pensions que seules des vieilles<br />
viendraient. Mais à chaque fois, les salles étaient<br />
remplies de jeunes », témoigne Andreï.<br />
Car aujourd’hui comme par le passé, les<br />
bleds russes perdus entre champs <strong>et</strong> marais regorgent<br />
de poètes qui crient leurs sentiments<br />
en crachant du sang <strong>et</strong> de la chair. « Bien sûr, la<br />
plupart des gens qui nous envoient leurs travaux<br />
écrivent comme si rien ne s’était passé dans la<br />
poésie depuis Pouchkine. Ils connaissent très<br />
peu les poètes contemporains », observe Olga.<br />
Certes, ils sont nombreux à penser que Brodski<br />
est <strong>encore</strong> vivant ou à n’avoir jamais entendu<br />
parler de Prigov. Mais peu importe. Exclus du<br />
« contexte littéraire », égarés dans le temps <strong>et</strong><br />
l’espace, ils affi rment par leurs balbutiements<br />
poétiques la dignité <strong>et</strong> la valeur humaines. Et<br />
Dossier<br />
: Inna Doulkina<br />
Photo : Kommersant<br />
Fin octobre, la Maison des artistes de Moscou a accueilli le festival Crosscontact. Sa<br />
mission : présenter au public les initiatives culturelles qui foisonnent dans les régions<br />
russes. Festivals littéraires, graffi tis post-soviétiques <strong>et</strong> vidéos poétiques... Le Courrier de<br />
Russie a rencontré des gens sans qui rien de tel ne se serait passé.<br />
Cuisiniers poétiques<br />
Olga <strong>et</strong> Andreï en sont conscients. « Ce qui<br />
nous intéresse, c’est de préparer un terrain où<br />
se formeront des génies, pas de regr<strong>et</strong>ter leur<br />
absence », souligne la jeune femme. Ni elle ni<br />
Andreï n’écrivent de poèmes. Ce ne sont pas<br />
non plus eux qui jugent la qualité des oeuvres<br />
qu’on leur soum<strong>et</strong> pour participation aux festivals.<br />
La tâche est confi ée à un jury composé de<br />
poètes <strong>et</strong> écrivains de renom, comme Lev Kharlamov<br />
ou Zakhar Prilepine. « Nous r<strong>et</strong>irons de<br />
grandes satisfactions de notre travail d’organisateurs.<br />
Nous ne recherchons pas les lauriers<br />
des poètes. À chacun son travail », proclamentils<br />
à l’unisson.<br />
En ce moment, dans leur besace : trois recueils<br />
de poèmes de jeunes auteurs de la Volga<br />
publiés sur une subvention gagnée auprès des<br />
autorités municipales. Au nombre de leurs proj<strong>et</strong>s<br />
: organiser un festival d’interprètes <strong>et</strong> un<br />
autre de jeunes dramaturges. Je les imagine,<br />
tous deux installés sur un toit novgorodien,<br />
armés de louches géantes, remuer l’air de leur<br />
ville natale pour le rendre plus nourrissant <strong>et</strong><br />
plus appétissant.<br />
L’envie leur est venue quand ils étaient <strong>encore</strong><br />
de sages étudiants. Le doyen de la faculté<br />
avait lancé un concours du « meilleur proj<strong>et</strong><br />
culturel ». Olga a proposé, avec une copine,<br />
un festival poétique, <strong>et</strong> remporté sa première<br />
subvention. Pour l’édition suivante, elles se<br />
sont fait aider par Andreï <strong>et</strong> son ami. Depuis,<br />
la copine a fait deux enfants <strong>et</strong> s’est r<strong>et</strong>irée du<br />
jeu. L’ami est parti étudier à Saint-Pétersbourg.<br />
Olga <strong>et</strong> Andreï veillent toujours, près de la marmite<br />
où mij ote le bouillon culturel nij niï-novgorodien.<br />
Pour y ajouter un peu de piment, Andreï<br />
prévoit d’ouvrir prochainement, avec une bande<br />
de complices, une p<strong>et</strong>ite librairie intellectuelle.<br />
Olga, de son côté, poursuit à Moscou des<br />
études de gestion de proj<strong>et</strong>s culturels. « Je ne<br />
sais pas où je vivrai dans l’avenir, mais je peux<br />
affi rmer que tous mes proj<strong>et</strong>s futurs prendront<br />
place à Nij niï Novgorod », déclare-t-elle catégorique.<br />
Une image vaut mille<br />
mots.<br />
Confucius<br />
Ca bouge à Nijniï Novgorod<br />
En préparant mon interview, j’étais certaine<br />
que j’allais devoir aff ronter deux individus souffrant<br />
de graphorrhée. Je les voyais blêmes, leurs<br />
yeux ardents. Exaltés comme des professeurs<br />
de littérature soviétique <strong>et</strong> rêveurs comme des<br />
hérissons perdus dans le brouillard. Du haut de<br />
mon snobisme moscovite, j’étais certaine de devoir<br />
faire preuve d’une extrême indulgence face<br />
à ces deux provinciaux aux passions douteuses<br />
<strong>et</strong> aux goûts discutables. Mais au cours de nos<br />
quatre-vingt-dix minutes d’entr<strong>et</strong>ien, mes lèvres<br />
n’ont pas une fois r<strong>et</strong>rouvé leur expression ironique<br />
habituelle : j’avais devant moi deux commissaires,<br />
hautement professionnels, menant<br />
leurs opérations d’une main ferme <strong>et</strong> la tête<br />
froide. Ils pourraient aussi bien le faire à Londres<br />
ou à Berlin. Par bonheur pour la Russie, ils ont<br />
choisi Nij niï Novgorod. ڤ<br />
1 Le bookcrossing, autrement appelé BC ou BX, est un phénomène<br />
mondial dont le concept est de faire circuler des livres en les<br />
« libérant » dans la nature pour qu’ils puissent être r<strong>et</strong>rouvés <strong>et</strong> lus<br />
par d’autres personnes, qui les relâcheront à leur tour.
Créer ce que jamais nous ne<br />
verrons, c’est cela la poésie.<br />
Gerardo Diego<br />
Révolutionnaires visuels<br />
M<strong>et</strong>tre des mots en phrases<br />
<strong>et</strong> construire avec des cathédrales<br />
littéraires : les<br />
Russes savent faire depuis<br />
longtemps. Les l<strong>et</strong>tres<br />
sont depuis toujours leur<br />
moyen d’expression favori. Les images, elles, sont<br />
quelque peu délaissées. Certes, le génie russe est<br />
aussi dans les icônes de Roublev ou les fi lms de<br />
Khlebnikov, mais ces fi gurations, quelques sublimes<br />
soit-elles, pâlissent sous les lumières de<br />
la Grande littérature.<br />
Nul ne sait pourquoi les Russes aiment<br />
mieux raconter des histoires plutôt que<br />
dessiner ; interpréter plutôt que représenter ;<br />
transformer plutôt que transm<strong>et</strong>tre. L’explication<br />
est-elle à chercher du côté des paysages ternes de<br />
grandes plaines russes qui inspirent moins que le<br />
ciel italien ou les champs de Provence ? qui éteignent<br />
les passions <strong>et</strong> incitent à la méditation ?..<br />
Peut-être. C’est pourtant en leur sein, au milieu<br />
des champs nus <strong>et</strong> nuages écrasants, que sont<br />
nés Pavel Mourykine <strong>et</strong> Nikita Smorkalov, deux<br />
artistes de 22 ans qui se sont fi xé pour mission de<br />
révolutionner la culture visuelle russe.<br />
Pour accomplir c<strong>et</strong> exploit, les deux diplômés<br />
d’histoire de l’université d’Ijevsk, en Oudmourtie,<br />
créent des « espaces de lumière » <strong>et</strong> des « catalogues<br />
de présence ». Le dernier en date répertorie<br />
les « moments sacrés » qui se produisent à<br />
Sviïajsk, île de la Volga où rien n’a été construit<br />
depuis le début du siècle dernier. « Oubliée » par<br />
les architectes soviétiques du fait de sa situation<br />
reculée, l’île a conservé ses églises en bois, ses<br />
routes pavées de pierres blanches <strong>et</strong> son atmos-<br />
phère de ville enchantée des contes slaves. Si la<br />
Russie a ses endroits « rouges », marqués par<br />
la mémoire des révoltes populaires comme Lougansk<br />
ou Tcheliabinsk, elle en compte aussi des<br />
« blancs », <strong>et</strong> Sviïajsk fait partie des plus entiers.<br />
Rempart de l’orthodoxie dans le Tatarstan musulman,<br />
Sviïajsk s’éveille au son des cloches <strong>et</strong> édifi e<br />
un monument aux offi ciers blancs morts pendant<br />
la guerre civile. « Un lieu très puissant, avec du<br />
caractère » : ainsi le caractérisent Pavel <strong>et</strong> Nikita.<br />
Pour saisir l’esprit de Sviïajsk, ils y fi lment la vie<br />
quotidienne, pendant un mois, <strong>et</strong> en font des vidéos<br />
poétiques. Imaginez : vaches aux mamelles<br />
généreuses, ruines blanches comme du sucre,<br />
fresques pâles dansant sur les murs... Et, entre<br />
chaque séquence, le ciel bleu foncé, éternel, engloutissant.<br />
Le bleu du ciel <strong>et</strong> l’or des autels. Le<br />
bleu des coupoles <strong>et</strong> l’or des étoiles qui les parsèment.<br />
Les couleurs des coiff es des magiciens<br />
du Moyen Âge <strong>et</strong> de la Vierge Marie... L’or <strong>et</strong> le<br />
bleu rythment le fi lm sur Sviïajsk, сontent son<br />
âme. Mais pourquoi donc avoir préféré le fi lm à<br />
un roman ?<br />
Parce que les textes sont trompeurs <strong>et</strong> les<br />
images un peu moins. « Quand vous écrivez,<br />
vous interprétez la réalité plutôt que vous ne la<br />
transm<strong>et</strong>tez. Alors que si vous prenez une caméra<br />
<strong>et</strong> commencez de fi lmer tout ce qui vous entoure,<br />
vous serez plus proche de la vérité », expliquent<br />
les artistes. Selon eux, l’image précède toujours<br />
l’idée. Elle est plus primitive, mais aussi plus<br />
puissante. La réalité est vivante <strong>et</strong> dépasse les représentations<br />
que nous nous en faisons. Elle ne<br />
peut être décortiquée en mots fi gés : elle s’étouff e<br />
sous leur poids <strong>et</strong> fi nit immanquablement par les<br />
Belles images<br />
Visages sereins, yeux clairs à l’expression<br />
vide <strong>et</strong> puissante. Décidément,<br />
ce sont les habitants de Nij niï Novgorod<br />
qui peuplaient l’électritchka<br />
bruyante <strong>et</strong> puante emportant Venedikt<br />
Erofeev – écrivain-ivrogne le<br />
plus célèbre de Russie – au comble de ses délires.<br />
Rappelez-vous ses lignes : « Je suis r<strong>et</strong>ourné<br />
dans le wagon. Les gens me regardaient d’un air<br />
impassible, leurs yeux étaient ronds <strong>et</strong>, aurait-on<br />
dit, parfaitement vides. Ça me plaît. J’aime que<br />
le peuple de mon pays ait les yeux vides <strong>et</strong> globuleux.<br />
Des yeux comme ça ne vous vendent pas.<br />
Les jours de malheurs, de doutes, de réfl exions<br />
pénibles, ces yeux ne battent pas des paupières.<br />
Tout leur est don de Dieu... »<br />
Ce sont ces mots qui me reviennent à l’esprit<br />
quand j’observe Sergueï Ragozine, venu éclairer<br />
la jeunesse branchée de la capitale sur l’état des<br />
lieux du graffi ti à Nij niï Novgorod. Son visage timide<br />
<strong>et</strong> un peu pâle se dissout dans l’ombre, on<br />
ne voit que ses yeux bleus qui dégagent une force<br />
tranquille. Lui, spécialiste en technologies de<br />
l’information, s’occupe depuis quatre ans de promouvoir<br />
le graffi ti dans sa ville natale aux parfums<br />
de bois humide <strong>et</strong> de métal grillé. « Un jour, je<br />
suis passé devant un mur peint de graffi tis. J’ai<br />
trouvé cela merveilleux. J’ai eu envie de connaître<br />
les gens qui l’avaient fait. » C’est ainsi que tout<br />
a commencé. Ont suivi des expositions – fi nancées<br />
par Sergueï de sa poche faute d’avoir trouvé<br />
des sponsors –, des performances <strong>et</strong> des conférences.<br />
Les mythes ont la peau dure, <strong>et</strong> l’entreprise<br />
de les démolir demande à Sergueï beaucoup<br />
d’eff orts. « Les graff eurs ne sont pas des voyous,<br />
s’empresse-t-il de préciser. Ce sont des gens<br />
cultivés, larges d’esprit, anglophones. Ils ont une<br />
vision des choses très fi ne <strong>et</strong> originale ». Pour<br />
l’exprimer, les jeunes artistes de l’ex-capitale de<br />
l’industrie militaire ne manquent pas d’espaces.<br />
Palissades d’usines, stades ou stations électriques<br />
désaff ectés – l’héritage de l’Empire qui<br />
avait forgé sa puissance dans des fours Martin<br />
passe à vitesse grand V aux mains des descendants<br />
des ouvriers novgorodiens. Et quoi de plus<br />
légitime. C’est eux que l’on voit, regards plongés<br />
au fond d’eux-mêmes, bonn<strong>et</strong>s baissés jusqu’aux<br />
sourcils, envahir discrètement ces forteresses<br />
industrielles. Les carcasses reprennent vie sous<br />
leur main. Cosmonautes aux sourires maniaques,<br />
soldats de l’Armée rouge aux antennes extraterrestres,<br />
enfants heureux jouant à la bombe<br />
atomique... Pour appréhender les peurs de la<br />
civilisation soviétique, il suffi t de s’off rir une<br />
balade dans les quartiers industriels de la ville.<br />
« Je trouve que tout ce qu’ils font est beau », affi<br />
rme Sergueï, péremptoire. Absence de regard<br />
critique ? Non, plutôt sa façon de rapprocher le<br />
Dossier<br />
Texte : Inna Doulkina<br />
faire exploser. Qui n’a connu ces moments où<br />
l’on ne trouve plus ses mots ?.. Certes, la vidéo<br />
comporte aussi sa part de subjectivité mais, paradoxalement,<br />
Pavel <strong>et</strong> Nikita ne cherchent pas<br />
à être objectifs. « Ce serait trop prétentieux, précisent-ils.<br />
Nous n’avons pas peur d’une subjectivité<br />
honnête <strong>et</strong> assumée. »<br />
Cheveux longs, gros pulls tricotés, yeux amusés.<br />
Pavel <strong>et</strong> Nikita m’expliquent en riant qu’Ijevsk<br />
grouille d’artistes indépendants, qu’à Moscou<br />
beaucoup de gens parlent tout seuls dans<br />
la rue, qu’ils ont nommé leur groupe artistique<br />
Anachorète avant de devoir – parce que personne<br />
n’était capable de le prononcer correctement – le<br />
renommer en Atelier des arts de lumière. « Aujourd’hui,<br />
la technique de la vidéo est accessible<br />
à un très grand nombre. Pour faire du cinéma,<br />
il suffi t de se payer une caméra <strong>et</strong> d’accorder à<br />
c<strong>et</strong>te occupation son temps <strong>et</strong> son attention »,<br />
affi rment les artistes qui, quand ils ne fi lment<br />
pas la nature oudmourtienne sur le compte de<br />
la télévision locale, animent un atelier cinématographique<br />
dans un lycée d’Ijevsk. « Le cinéma<br />
tel qu’on le connaît s’est depuis longtemps fi gé<br />
dans son développement. Pour le ramener à la vie,<br />
il faut se débarrasser de tous nos clichés morts,<br />
m<strong>et</strong>tre les compteurs à zéro, créer dans une totale<br />
liberté ». Intelligence remarquable, humour<br />
sans bornes <strong>et</strong> pas une note de ce snobisme trop<br />
largement répandu chez les jeunes intellos de la<br />
capitale, Pavel <strong>et</strong> Nikita renoncent aux mots car<br />
les grandes idées qu’ils ont servi à formuler n’ont<br />
pas sauvé la Mère Russie. Peut-être les images<br />
qui frappent droit au ventre sans passer par le cerveau<br />
en seront-elles capables ?.. ڤ<br />
moment où Nij niï Novgorod sera la capitale mondiale<br />
du graffi ti. « Il ne faut rien interdire, décrèt<strong>et</strong>-il.<br />
Que les gens peignent sur tous les murs de la<br />
ville ! Il n’y a rien à craindre. Les mauvais graffi tis<br />
ont la vie courte. » En eff <strong>et</strong>, ils sont rapidement<br />
recouverts par d’autres : plus expressifs, plus subtils,<br />
plus signifi catifs. « Et ce n’est qu’en créant<br />
un milieu qu’on peut espérer croiser un jour des<br />
génies », poursuit Sergueï. À l’en croire, il est<br />
grand temps. Si dans les années 1990, les diff érents<br />
groupes artistiques en Russie se disputaient<br />
la place au soleil, l’heure est aujourd’hui à la coopération<br />
<strong>et</strong> au compromis. « Je soutiens toutes<br />
les initiatives liées à la promotion de l’art actuel,<br />
explique Sergueï. Peu importe que je le trouve à<br />
mon goût. Nous défrichons tous le même champ<br />
<strong>et</strong> n’avons rien à disputer. » Dans ses proj<strong>et</strong>s :<br />
une exposition de graffi ti novgorodien à Kirov <strong>et</strong><br />
une autre, très importante, au début de l’année<br />
prochaine, dans l’ancien bâtiment de l’Arsenal de<br />
Nij niï Novgorod qui abrite aujourd’hui le Centre<br />
public d’art contemporain. « La directrice nous<br />
laisse le sous-sol. Le lieu est merveilleux. Nous<br />
allons le transformer le temps de l’exposition en<br />
une ligne de métro. » Un métro qui traverse le<br />
passé <strong>et</strong> emmène loin dans l’avenir. Beau symbole.<br />
Les yeux bleus de Sergueï s’allument, puis<br />
r<strong>et</strong>rouvent en un instant leur expression sereine<br />
habituelle. ڤ<br />
13<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Le Courrier de Russie<br />
sur le web<br />
www.lecourrierderussie.<br />
ru<br />
Le Courrier de Russie, c’est également<br />
un site d’actualités, lecourrierderussie.ru,<br />
à consulter jour après jour pour<br />
suivre <strong>et</strong> vivre la Russie au plus près<br />
Nos derniers suj<strong>et</strong>s à consulter sur<br />
lecourrierderussie.ru<br />
Mikhaïl Khodorkovskiï : « L’élite ne se<br />
réveillera qu’une fois la situation devenue<br />
vraiment grave »<br />
Mikhaïl Khodorkovskiï a donné une<br />
interview exclusive à Novaïa Gaz<strong>et</strong>a,<br />
traduite en français sur le site du Courrier<br />
de Russie<br />
« Un certain nombre de problèmes doivent<br />
être résolus afi n que les autres nations<br />
nous envient <strong>et</strong> souhaitent venir<br />
vivre en Russie plutôt que de nous mépriser<br />
en silence »<br />
Monsieur le Président...<br />
L<strong>et</strong>tre ouverte adressée au président<br />
de la Fédération de Russie suite à<br />
l’agression du journaliste Oleg Kachine<br />
« Le droit du journaliste à remplir normalement<br />
ses obligations sans craindre<br />
pour sa vie, c’est le droit de la société à<br />
parler <strong>et</strong> être entendue »<br />
Russes <strong>et</strong> puissants<br />
Vladimir Poutine est arrivé à la quatrième<br />
place dans le dernier classement<br />
Forbes des personnes les plus puissantes<br />
du monde<br />
Travailler plus, plus, plus<br />
Selon polit.ru, 58% des Russes sont<br />
opposés à l’introduction de la semaine<br />
de travail de 60 heures proposée par<br />
Mikhaïl <strong>Prokhorov</strong><br />
Droit <strong>et</strong> Vérité : Mikhalkov persiste <strong>et</strong><br />
signe<br />
Rien de bien nouveau dans le manifeste<br />
du réalisateur Nikita Mikhalkov,<br />
Pravo i Pravda (Droit <strong>et</strong> Vérité) pour<br />
le quotidien Vedomosti<br />
R<strong>et</strong>rouvez également chaque mardi sur<br />
lecourrierderussie.ru des proverbes<br />
russes traduits en français, chaque mercredi,<br />
des vidéos musicales en russe, <strong>et</strong><br />
chaque jeudi, nos bons plans pour une<br />
semaine bien pleine dans la rubrique<br />
Moscou est à nous.
9<br />
14<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Guide<br />
Bienvenue dans le Neuvième Cercle. Dernier<br />
cercle avant l’antre de l’Ange déchu. Péché<br />
de trahison. Médée, c’était l’Inacceptable.<br />
Par amour pour un homme, elle trahit son<br />
père <strong>et</strong> son peuple, jalousie <strong>et</strong> colère, elle<br />
assassine ses enfants. Magicienne surpuissante,<br />
elle transgresse l’ultime tabou,<br />
incarne le Mal <strong>et</strong> le chaos, Titan dévorant<br />
sa progéniture, monstre suprême. L’ombre<br />
continue de planer, la sorcière fascine <strong>et</strong> dégoûte.<br />
Le mythe est repoussoir, construit la norme sociale en miroir inversé.<br />
Jusqu’au spectacle Médée. Épisodes, zong-opéra. Le poète Liokha<br />
Nikonov <strong>et</strong> le m<strong>et</strong>teur en scène Giuliano di Capua relisent la tragédie<br />
: Euripide a menti, accusé l’étrangère pour préserver l’unité de<br />
la Grèce. La princesse de Corynthe est Géorgienne, confl it ossète en<br />
fi ligrane, la fi lle du roi rival est victime d’hommes bouchers, menteurs<br />
<strong>et</strong> lâches, qui l’accablent parce qu’elle a refusé de se soum<strong>et</strong>tre. Inscrite<br />
dans un présent tout proche, la Médée de c<strong>et</strong> opéra punk, pétersbourgeois<br />
<strong>et</strong> époustoufl ant, est victime sacrifi cielle, bouc émissaire <strong>et</strong><br />
furie, révolutionnaire, prophétesse de terribles augures. Médée fi gure<br />
inverse, aux ailes trop grandes, condamnée.<br />
Médée. Épisodes, opéra punk, le 27 novembre, à 19h, TsDKh,<br />
Krimskiï Val, 10.<br />
www.teatrodicapua.com/medea/p<br />
Conception : Vera Gaufman<br />
Texte : Julia Breen<br />
Réalisation : Galina Kouzn<strong>et</strong>sova<br />
Bienvenue dans le Huitième Cercle. Vous êtes<br />
chez les menteurs, les voleurs. Trompeurs,<br />
mauvais conseillers <strong>et</strong> faux-monnayeurs. Alchimistes.<br />
Performers <strong>et</strong> artistes contemporains,<br />
expérimentateurs invétérés. Le fossé<br />
capitale/province est toujours partout présent.<br />
Parfois, il est presque infranchissable. Alors on<br />
salue chaleureusement l’initiative éphémère <strong>et</strong> fragile<br />
de ce « musée vivant de la performance » au Centre<br />
municipal d’art contemporain de Voronej. La performance comme essence<br />
de l’art contemporain. Et au-delà. L’art ne peint plus des héros,<br />
mais s’approche, au contraire, au plus près de l’humain trop humain,<br />
colle au réel, abolit au maximum la distance. L’art classique observait<br />
depuis l’extérieur, façonnant l’obj<strong>et</strong> sur des canons formels quand<br />
l’art contemporain se veut expression des profondeurs de l’être, inverse<br />
le point de vue. La performance en est l’aboutissement, la représentation<br />
est abolie, l’acte devient spectacle, au moment même où<br />
il a lieu. Tout le XXe 8<br />
siècle dans un concept.<br />
« Musée vivant de la performance », du 12 au 19 novembre, Centre<br />
municipal d’art contemporain, oul. 20 l<strong>et</strong> Oktyabria, TTs Evropa,<br />
5-iï <strong>et</strong>aj, Voronej.<br />
7<br />
Bienvenue dans le Septième<br />
Cercle. Coupables du péché<br />
de violence. Une violence<br />
nécessaire, lieu de<br />
possibles, zone réservée,<br />
territoire neutre, sans loi,<br />
hors codes de la communauté,<br />
rituel initiatique, pour<br />
s’apprivoiser. Iouriï Bykov, c’est la<br />
« nouvelle vague russe ». Son dernier fi lm, Jit’<br />
(2010), pose à la morale la question de la survie,<br />
aux limites du Bien <strong>et</strong> du Mal, que rest<strong>et</strong>-il<br />
de l’humain confronté à l’extrême. Un type<br />
partait simplement à la chasse, mais, témoin<br />
d’une scène, se r<strong>et</strong>rouve à tirer un inconnu des<br />
pattes de bandits qui le poursuivent. Il faut fuir,<br />
à deux. Contraints par l’urgence de faire avec<br />
<strong>et</strong> ensemble, jusqu’à se r<strong>et</strong>rouver confronté au<br />
choix ultime, lui ou moi, un seul vivra. Tenter<br />
de maintenir des principes, s’accrocher à une<br />
abstraction, une certaine idée de soi, système<br />
de valeurs <strong>et</strong> éthique pour fi nir mal, broyé.<br />
Ou vivre peinard, serein, sans scrupules <strong>et</strong><br />
surtout sans questions. Bykov fi lme l’humain<br />
imparfait, en équilibre instable entre lui <strong>et</strong> luimême,<br />
ne tire surtout pas de conclusion. Il a<br />
une croyance, pourtant, absurde <strong>et</strong> folle, fi ne<br />
espérance, peut-être dans la justice. Car celui<br />
qui reste en vie n’est pas forcément le vainqueur.<br />
Jit’, Iouriï Bykov (2010), première russe le<br />
11 novembre.<br />
6<br />
DÉPART<br />
Bienvenue dans le Sixième Cercle. Hérétiques,<br />
athées <strong>et</strong> épicuriens. Andreï<br />
Plakhov est critique, commentateur cinéma<br />
attitré du quotidien Kommersant,<br />
membre du jury à Berlin, Locarno, Tokyo,<br />
San Sebastian. Winzavod lui ouvre le programme<br />
« Cinéma avec Andreï Plakhov ». La<br />
graine <strong>et</strong> le mul<strong>et</strong>, Abdellatif Kechiche, indéniablement très grand<br />
fi lm. Une vraie histoire. Qui dit toutes les histoires. Admirablement<br />
inscrite dans un milieu <strong>et</strong> une époque <strong>et</strong> parle en même temps de<br />
partout <strong>et</strong> toujours, de noblesse <strong>et</strong> de bassesses, d’humanité en profondeur,<br />
amours contrariées, générations sourdes. Les vieux ont sacrifi<br />
é <strong>et</strong> cru bon de se taire, ils ont espéré, les gamins les renient <strong>et</strong><br />
leur crachent au nez sur un sol étranger, veulent tout, tout de suite.<br />
Assimilation dévoreuse. Et puis la grâce, le temps d’un instant, autour<br />
d’un couscous, générosité pure <strong>et</strong> entière, abandon, folie, une<br />
fl eur des villes née dans la boue rayonne, inonde de soleil la grisaille,<br />
brûle de fraîcheur <strong>et</strong> d’énergie vitale. Et au même moment l’autre qui<br />
s’éteint, usé, vieil arbre déplacé, racines tronquées. Dans une danse.<br />
Kinoteatr s Andreem Plakhovym : La graine <strong>et</strong> le mul<strong>et</strong>, A. Kechiche<br />
(2007), le 15 novembre, à 20h. Tsurtsum kafe, Winzavod,<br />
4-iï Syromiatnitcheskiï per., d. 1/8, str. 6.<br />
www.winzavod.ru<br />
Vous ne savez plus que faire de votre temps libre ? J<strong>et</strong>ez<br />
les dés <strong>et</strong> lancez-vous dans un voyage insolite à travers<br />
les neuf cercles de l’Enfer. Vos guides, fi ns connaisseurs<br />
des ténèbres, vous feront goûter leurs plaisirs inattendus.<br />
Suivez leurs conseils, vous ne serez pas déçus. À la prochaine<br />
au purgatoire !<br />
4Bienvenue dans le Quatrième Cercle.<br />
Après avoir fait fortune, vous partez<br />
investir en Sibérie. Au passage prenez<br />
des informations à la nouvelle fondation<br />
de l’oligarque <strong>Prokhorov</strong>. Allez<br />
directement au purgatoire.<br />
Bienvenue dans le Huitième<br />
Cercle. Testez votre effi cacité<br />
au musée vivant de la performance.<br />
8<br />
Bienvenue dans le Troisième<br />
Cercle. Goûtez les plats<br />
bourguignons au restaurant<br />
Kaï. Passez votre tour. 3<br />
Bienvenue dans le Neuvième<br />
Cercle. Vous êtes<br />
terrorisés par la magicienne<br />
Médée lors de<br />
l’opéra punk. Passez votre<br />
tour.<br />
9<br />
ARRIVÉE<br />
BIENVENUE AU PUR-<br />
GATOIRE. PASSEZ UNE<br />
SEMAINE CHAUDE !<br />
7<br />
Bienvenue dans le Septième<br />
Cercle. Découvrez<br />
les limites entre le bien <strong>et</strong><br />
le mal en regardant Jit’, le<br />
dernier fi lm de Iouriï Bykov.<br />
Bienvenue dans le Cinquième Cercle. Les coléreux<br />
<strong>et</strong> les mélancoliques. Tulpan, c’est la première<br />
fi ction du réalisateur de documentaires Sergueï<br />
Dvortsevoï. Dvortsevoï vient du Kazakhstan, <strong>et</strong><br />
5<br />
son fi lm, il souffl e comme la steppe. C’est lent<br />
<strong>et</strong> immédiat, immense <strong>et</strong> simplissime. La steppe<br />
est le lieu d’un présent éternel, où l’histoire<br />
n’existe pas. Où rien n’évolue, ne progresse, ne<br />
change, où le rythme est celui du soleil, de l’herbe <strong>et</strong><br />
des brebis. Aza revient chez lui, démobilisé après le service dans la Flotte.<br />
Enfant de berger, il vise l’impossible <strong>et</strong> s’y attelle : bâtir une maison, installer<br />
l’eau <strong>et</strong> l’électricité, devenir propriétaire, écrire une Histoire. Caïn<br />
dans le monde d’Abel, Aza est toute la vanité <strong>et</strong> par là la grandeur de<br />
l’existence humaine. Pour posséder des moutons, il faut se marier. Mais<br />
la seule jeune fi lle à 300 kilomètres à la ronde c’est Tulpan. Et Tulpan<br />
ne veut pas épouser Aza. Parce qu’il a les oreilles décollées. Le fi lm en a<br />
mis, du temps, à se faire, en a épuisé, des équipes de tournage. Parce que<br />
Dvortsevoï laisse la réalité s’écrire d’elle-même dans ses cadres. Parce<br />
que dans la steppe, le quotidien est parabole. Voyage dans un autre espace-temps.<br />
Tulpan (2007), Sergueï Dvortsevoï.
1Bienvenue dans le Premier<br />
Cercle. Jouez les païens en<br />
vous rendant au festival d’art<br />
rituel In Out. Allez à la case<br />
suivante.<br />
5Bienvenue dans le Septième<br />
Cercle. Laissez-vous entraîner<br />
dans un autre espace-temps<br />
avec Tulpan, le fi lm de Sergueï<br />
Dvortesvoï. Revenez à la case<br />
départ.<br />
6Bienvenue dans le Sixième<br />
Cercle. Echappez-vous le<br />
temps du festival «cinéma<br />
avec Andreï Plakhov». Allez<br />
à la case suivante.<br />
2Bienvenue dans le Deuxième<br />
Cercle. Partez à la découverte<br />
du festival du nouveau<br />
théâtre européen. Avancez de<br />
deux cases.<br />
Bienvenue dans le Quatrième Cercle. Les Avares <strong>et</strong><br />
les prodigues. Mikhaïl <strong>Prokhorov</strong> est un oligarque,<br />
4<br />
milliardaire. Il a fait fortune sur les charognes de<br />
l’Empire, au temps des privatisations. Entre les<br />
usines de nickel, les villas yachts <strong>et</strong> j<strong>et</strong>s privés ou la<br />
NBA qu’il s’est off ert comme un p<strong>et</strong>it plaisir, il a <strong>encore</strong><br />
créé une Fondation de soutien à la culture. Échaudé à<br />
Courchevel, <strong>Prokhorov</strong> revient en France la tête haute <strong>et</strong>, sous le bras, une<br />
grandiose exposition Sibérie inconnue, à Lyon. Avare <strong>et</strong> prodigue. Inclassable.<br />
Comme la Sibérie, lieu symbolique d’une Russie ô combien duelle,<br />
plurielle, terre impraticable <strong>et</strong> hostile, <strong>et</strong> <strong>riche</strong> <strong>et</strong> nourricière ; insondables<br />
réserves souterraines, lieu des utopies, colonies <strong>et</strong> conquêtes. L’ombre des<br />
camps de travail <strong>et</strong> la pur<strong>et</strong>é de l’eau du Baïkal. Contrastes <strong>et</strong> paradoxe,<br />
contradictions infi nies comme les espaces. La fondation <strong>Prokhorov</strong> dévoile<br />
une Sibérie aussi archaïque qu’à la pointe, centre d’innovation technologique,<br />
pôle majeur de l’art contemporain russe.<br />
Festival Sibérie inconnue, La création russe contemporaine, du 15 au<br />
21 novembre, Lyon, France.<br />
www.prokhorovfund.ru<br />
3<br />
Guide<br />
1<br />
Bienvenue dans le Troisième Cercle.<br />
Coupables du péché de gourmandise <strong>et</strong><br />
gardés par Cerbère. Le chef français<br />
Nicolas Isnard s’envole en tournée,<br />
vient régaler les papilles moscovites.<br />
Si la France ne vit pas ses meilleurs<br />
moments, poids d’un passé qui ne<br />
survit que dans les représentations,<br />
certitudes <strong>et</strong> leçons de morale obsolètes,<br />
sclérose <strong>et</strong> rétrécissement des perspectives… on<br />
continue au moins de s’y faire plaisir à table. Hommage<br />
à la Bourgogne. Ironie : la région, à force d’isolation<br />
<strong>et</strong> de ferm<strong>et</strong>ure, de refus catégorique de toutes<br />
les innovations, fi nit par se r<strong>et</strong>rouver aujourd’hui à<br />
l’avant-garde, somm<strong>et</strong> d’une gastronomie de luxe célébrée<br />
dans le monde entier. À propos de luxe, entre<br />
nous, au restaurant Kaï, avec des business-lunches<br />
à 1 650 roubles, il sera conseillé de savourer. Mais<br />
puisque la très vieille France fait <strong>encore</strong> du bon vin, au<br />
diable les varices !<br />
Cuisine de Bourgogne, Nicolas Isnard au restaurant<br />
Kaï, du 22 au 26 novembre, Kaï, Swiss hotel Krasnye<br />
kholmy, Kosmodamianskaïa nab., 52, str. 6.<br />
www.swissotel.com<br />
15<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Bienvenue dans le Premier Cercle. Vous<br />
êtes chez les non-baptisés. Ils ont vécu<br />
avant l’avènement du Christ. Leur<br />
péché n’est pas mortel. Condamnés<br />
à errer, aveugles. L’Âge moderne a<br />
mis Dieu à mort, m<strong>et</strong>tait l’homme au<br />
centre <strong>et</strong> préparait sa chute. Ses enfants,<br />
maudits, devraient se r<strong>et</strong>rouver sans Père,<br />
privés d’abstraction <strong>et</strong> d’entité suprême.<br />
Eff ondrement des murs <strong>et</strong> utopies réalisées, illusion<br />
dévoilée, système déconstruit <strong>et</strong> désacralisé, nous nous<br />
sommes réveillés groggy, comme d’un cauchemar sans fi n, assis<br />
sur des cendres. Contre le Dieu matériel, on recherche du sens<br />
<strong>et</strong> des mondes parallèles. Dans le vide spirituel, on s’engouff re,<br />
piocher ici <strong>et</strong> là, troquer l’autorité contre la discipline. Consentie.<br />
Le centre culturel Dom invite le festival InOut, nouvel art rituel.<br />
Le créateur s’eff ace devant la création, le post-modernisme, orphelin,<br />
se fabrique des racines, se redécouvre archaïque, inspiré,<br />
soumis. Se contenter d’être, absolument, ne pas se contempler.<br />
Au plus profond de soi jusqu’à s’oublier. Chamanisme XXI e siècle<br />
<strong>et</strong> avant-garde classique, musique rituelle tibétaine <strong>et</strong> drone ambient.<br />
Néo-paganisme de rigueur. Ommmmm…<br />
Festival d’art rituel In Out, le 19 novembre, à partir de 20h,<br />
Centre culturel Dom, Bolshoï ovtchinnikovskiï per., d. 24, str. 4.<br />
www.dom.com.ru<br />
2<br />
Bienvenue dans le Deuxième<br />
Cercle. Péché de chair, ils<br />
ont placé la passion audessus<br />
du devoir. Il fut un<br />
temps où l’on enterrait les<br />
comédiens la nuit, hors les<br />
Murs, avec les Juifs <strong>et</strong> les<br />
excommuniés. Le théâtre occidental<br />
s’est détaché du rituel<br />
originel, n’est plus vecteur mais fi n<br />
en soi, devenu art. Le festival NET, pour<br />
Novyi Evropeïskiï teatr (Nouveau théâtre<br />
européen), se veut depuis 1998 « fenêtre<br />
sur l’Europe » <strong>et</strong> tient le cap. C<strong>et</strong>te année<br />
le festival innove : abolition des repères<br />
oblige, NET n’observe plus l’Ouest depuis<br />
la grande Russie mais devient lieu même<br />
du croisement, « festival des carrefours des<br />
diff érentes cultures européennes ». D’Allemagne,<br />
Finlande, France <strong>et</strong> Aut<strong>riche</strong> mais<br />
aussi Bulgarie, Pologne, Hongrie, L<strong>et</strong>tonie…,<br />
des troupes pour interroger un théâtre<br />
« nomade ». Qu’est-ce qu’écrire produire<br />
jouer hors de son pays natal, dans une autre<br />
langue ? Où les frontières, où l’étrang<strong>et</strong>é<br />
? À l’encontre de l’exil forcé, déchirures <strong>et</strong><br />
espace unifi é, identités confi squées dissolues<br />
; le voyage, désir curiosité rencontres,<br />
partage sans eff acer. Toujours se rappeler<br />
d’où l’on vient <strong>et</strong> ce dont on est dépositaire<br />
pour être libre <strong>et</strong> seul. Jamais se conformer.<br />
Manifeste pour une Europe d’en bas,<br />
appropriée, complexe, multiple, en mouvement,<br />
inaliénable.<br />
Festival NET, nouveau théâtre européen,<br />
jusqu’au 28 novembre.<br />
www.n<strong>et</strong>fest.ru
16<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
En forme<br />
Stévia : le goût du sucre sans le sucre<br />
Le 10 octobre dernier, le grand rabbin<br />
de Russie Berl Lazar a certifi é casher<br />
une marque de boissons traditionnelles<br />
nommée BioBiss. Tarkhun,<br />
Diouchess <strong>et</strong> autres délices locaux<br />
sont commercialisés par c<strong>et</strong>te marque moscovite<br />
qui produit ses breuvages avec des ingrédients<br />
naturels, <strong>et</strong> sans sucre. D’où provient<br />
donc le goût du sucre? Pour le consommateur<br />
attentif l’étiqu<strong>et</strong>te contient un mot qui r<strong>et</strong>iendra<br />
l’attention: stévia.<br />
Le stévia est une plante d’aspect buissonneux,<br />
originaire d’Amérique du Sud, qui<br />
contient des substances au goût sucré. Il en<br />
existe environ deux cent sortes dont la plus<br />
réputée pour ses propriétés édulcorantes est<br />
le stevia rebaudiana. A l’origine, c<strong>et</strong>te plante,<br />
aussi appelée chanvre d’eau, était largement<br />
consommée par les indiens Guarani du Paraguay<br />
<strong>et</strong> du Brésil, qui l’utilisaient pour ses<br />
vertus médicinales.<br />
Du point de vue médical le stévia est véritablement<br />
à la frontière entre le médicament<br />
<strong>et</strong> l’aliment. Pour zéro calorie, la douceur<br />
gustative est assurée, ce qui perm<strong>et</strong>trait de<br />
remplacer le sucre là où il ne remplit qu’un<br />
rôle d’édulcorant, <strong>et</strong> ferait du stévia un moyen<br />
de lutte contre l’obésité. De plus, plusieurs<br />
études semblent indiquer des eff <strong>et</strong>s positifs<br />
sur le diabète, ou <strong>encore</strong> l'ostéoporose. Il<br />
serait antifongique <strong>et</strong> antibactérien <strong>et</strong> aurait<br />
même un eff <strong>et</strong> protecteur pour les dents.<br />
Véritable pionnier, le Japon a banni les édulcorants<br />
artifi ciels dans les années 70, <strong>et</strong> les<br />
a remplacés par le stévia. Aujourd’hui c<strong>et</strong>te<br />
plante représente 50% du marché des produits<br />
sucrés dans l’archipel, avec notamment<br />
des chewing-gums, des boissons, mais<br />
aussi du dentifrice ou <strong>encore</strong> des produits de<br />
conservation des viandes <strong>et</strong> des poissons.<br />
Santé <strong>et</strong> Beauté<br />
ALLIANCE<br />
MEDICALE<br />
Centre médical<br />
Spécialistes français ou francophones<br />
Généralistes<br />
Dermatologue<br />
Kinésithérapeute<br />
Psychologue<br />
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Tél. : 8 (499) 243-49-69<br />
8 (915) 352-77-97<br />
www.alliancemedicale.ru<br />
En Russie, le stévia est connu depuis 1934,<br />
après que la plante a été ramenée d’une expédition<br />
en Amérique latine, par Nikolaï Vavilov,<br />
botaniste <strong>et</strong> généticien de renom. Il y<br />
est cultivé des zones méridionales jusqu’à<br />
Saint-Pétersbourg, <strong>et</strong> des recherches pour la<br />
création de nouvelles variétés résistantes au<br />
froid sont en cours. En France, le climat plus<br />
clément perm<strong>et</strong> jusqu’à deux récoltes par an.<br />
Toujours en France, l’utilisation d’extraits de<br />
stévia dans l’agroalimentaire est autorisée depuis<br />
2009, <strong>et</strong> les édulcorants de table depuis<br />
janvier 2010. Autre son de cloche pourtant<br />
dans le reste de l’UE où l’utilisation du stévia<br />
reste proscrite, bien que les démarches d'accréditation<br />
suivent leur cours.<br />
US Dental<br />
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Aux Etats-Unis, les lobbies des édulcorants<br />
ont réussi à r<strong>et</strong>arder de deux décennies l’autorisation<br />
de mise sur le marché par la Food<br />
and Drug Administration (FDA). Le stévia<br />
y est désormais commercialisé depuis deux<br />
ans. En 2006, l’Organisation Mondiale de la<br />
Santé (OMS) a déclaré la consommation humaine<br />
sans danger.<br />
Côté prix, les extraits de stévia coûtent entre<br />
600 <strong>et</strong> 2800 roubles le kilo selon les fournisseurs,<br />
tandis que le sucre revient à 100<br />
roubles en moyenne (sucre blanc, de canne,<br />
en cube <strong>et</strong> en poudre confondus). Sachant<br />
que le pouvoir édulcorant du rébiauside est<br />
300 fois supérieur à celui du sucre, il coûte<br />
entre 12 <strong>et</strong> 50 fois moins cher. Si le stévia<br />
Pour passer des annonces<br />
dans c<strong>et</strong>te nouvelle<br />
rubrique, appelez le<br />
690-64-39<br />
présente beaucoup d’avantages par rapport<br />
au sucre, ce dernier n’en est pas moins nécessaire<br />
au fonctionnement de l’organisme.<br />
Comme toute bonne chose : à consommer<br />
avec modération.<br />
Ugo Pfenninger<br />
Idée de rec<strong>et</strong>te:<br />
Moelleux chocolat au stévia<br />
Ingrédients (Pour 4 personnes) :<br />
- 200 g chocolat noir<br />
- 2 œufs entiers<br />
- 1 cuillère à soupe de beurre<br />
- 1 cuillère à soupe de maïzena (poudre<br />
de fécule)<br />
- 1 cuillère à café de stévia (poudre des<br />
feuilles)<br />
- poivre du moulin ou cannelle selon les<br />
goûts<br />
Préchauffez votre four à 180°C. Pendant<br />
ce temps, faites fondre le chocolat au<br />
bain-marie <strong>et</strong> incorporez-y le beurre. Une<br />
fois l’opération terminée, r<strong>et</strong>irez la casserole<br />
du feu <strong>et</strong> incorporez la maïzena, les<br />
oeufs battus, le stévia <strong>et</strong> un peu d’eau<br />
afi n de conférer à la masse une texture<br />
ferme <strong>et</strong> lisse.<br />
Remplissez vos moules de la pâte ainsi<br />
faite, en vous assurant qu’elle ne soit<br />
pas trop liquide. Enfournez de huit à dix<br />
minutes selon vos goûts <strong>et</strong> saupoudrez<br />
de copeaux de noix de coco à la sortie<br />
du four.<br />
Bon appétit!
Quand on meurt de faim, il se<br />
trouve toujours un ami pour<br />
vous offrir à boire.<br />
Antoine Blondin<br />
Utopie russe<br />
à l’anglaise<br />
30 octobre, un samedi. Moscou commence à célébrer<br />
Halloween, fête profondément orthodoxe. Depuis<br />
le matin, on croise dans les rues de p<strong>et</strong>its trolls, des<br />
sorcières souriantes <strong>et</strong> des vampires ensanglantés. La<br />
ville, couverte de nuages, est plutôt triste.<br />
En savourant la bruine, je me dirige avec mon ami<br />
français B.B. vers le théâtre académique de la jeunesse<br />
(RAMT), situé à côté du Bolchoï. Il est midi. Et c’est<br />
précisément à midi que débute le spectacle Sur les<br />
rives de l’Utopie, inspiré de la pièce éponyme de Tom<br />
Stoppard. L’ œuvre traite de l’évolution de la pensée<br />
philosophique russe au XIX e siècle. Et il ne faut pas<br />
moins de dix heures pour en parler.<br />
Spectacle en triptyque : trois pièces – Voyage,<br />
Naufrage <strong>et</strong> Sauv<strong>et</strong>age – d’une durée de deux heures<br />
trente chacune. Avec des pauses de trente minutes<br />
entre les spectacles <strong>et</strong> des entractes de quinze minutes<br />
: nul besoin donc de s’équiper de sandwiches ou<br />
de thermos de thé.<br />
Le buff <strong>et</strong> du théâtre propose toutes sortes de boissons<br />
– y compris champagne <strong>et</strong> cognac, si le spectacle<br />
vous paraissait particulièrement long –, canapés<br />
au caviar <strong>et</strong> friandises. Si le choix ne vous satisfait pas,<br />
il reste l’option MacDo, juste à côté du théâtre. Attention<br />
cependant, il vous faudra avaler votre hamburger<br />
en chemin : les sévères ouvreuses ne vous perm<strong>et</strong>tront<br />
pas de l’emporter dans la salle.<br />
Du courage, il en faut indéniablement pour tenir ces<br />
Rives de l’Utopie jusqu’à la fi n. Pour endurer sans faillir<br />
ces dix heures de marathon, il faut être soit masochiste,<br />
soit philosophe. Ou <strong>encore</strong> accompagné d’un ami fi dèle<br />
qui vous prêtera son épaule, pour un p<strong>et</strong>it somme, au<br />
cas où. Studieuse <strong>et</strong> disciplinée, j’ai bien dormi la nuit<br />
d’avant afi n de me préparer au mieux <strong>et</strong> d’éviter d’abuser<br />
de l’épaule de B.B.<br />
Les pièces comptent plus de 70 personnages : Bakounine,<br />
Tourgueniev, Belinski, Stankevitch, mais<br />
aussi Herzen, Ogarev, Sazonov, <strong>et</strong> même Marx. Les<br />
péripéties de la pensée russe prennent vie dans les tragédies<br />
personnelles des héros, dont la moitié meurent<br />
vers la fi n de la pièce.<br />
Naufrage porte sur la révolution française de 1848.<br />
Les acteurs chantent La Marseillaise. Herzen, détruit<br />
par l’eff ondrement de ses idées <strong>et</strong> l’adultère de<br />
son épouse, se laisse guider par une p<strong>et</strong>ite femme qui<br />
ressemble trait pour trait à la Liberté de la toile de Delacroix.<br />
Sauv<strong>et</strong>age est <strong>encore</strong> plus triste. Herzen a perdu<br />
son fi ls <strong>et</strong> sa mère dans un naufrage. Veuf, il partage<br />
dès lors le quotidien de son ami Ogarev, <strong>et</strong> surtout de<br />
la femme de ce dernier, Nathalie. Ensemble, ils tentent<br />
de réveiller l’intelligentsia en éditant la revue Kolokol.<br />
En vain.<br />
Si nous ne l’avions pas su, nous aurions été incapables<br />
de deviner que la pièce a été écrite par un Anglais.<br />
Top Stoppard est parvenu, avec brio, à saisir les<br />
racines de tous les malheurs russes, à une telle profondeur<br />
que j’en suis restée bouche bée. Le problème,<br />
avec nous, les Russes, c’est que nous passons notre<br />
temps à emprunter les idées les plus avancées venues<br />
d’Occident – depuis le capitalisme allemand jusqu’au<br />
ménage à trois à la française – sans être, pourtant,<br />
jamais vraiment capables de les m<strong>et</strong>tre en pratique<br />
correctement, jusqu’au bout.<br />
Presque tous les spectateurs sont restés jusqu’au<br />
bout. À la fi n, ils se sont tous levés pour une standing<br />
ovation qui a duré plus de dix minutes. J’étais debout<br />
aussi, époustoufl ée, émerveillée, estomaquée, à applaudir<br />
jusqu’à en avoir mal aux mains. Désolée pour<br />
tout ce pathos, les mots me manquent : c’était tout<br />
simplement génial !<br />
Vera Gaufman<br />
Prochain spectacle : le 18 décembre 2010, au RAMT,<br />
Teatralnaïa ploshad, 2. Bill<strong>et</strong>s : (+7 495) 69 200 69, www.<br />
ramt.ru.<br />
publi-reportage<br />
CUISINE GASTRONOMIQUE<br />
Moscou en bouteille<br />
GET SMART GET LAID<br />
Baraque à falafel<br />
Oulitsa ousatcheva. Une rue étonnante<br />
où les bâtiments de pierre se transforment<br />
au fi l du chemin en p<strong>et</strong>its blocs<br />
de préfabriqués diff ormes. Un restaurant<br />
végétarien aurait ouvert ses portes, il y a un<br />
mois à peine, dans c<strong>et</strong> amas de ferrailles sale <strong>et</strong> peu<br />
rassurant. Diffi cile à croire. Et pourtant si, c’est<br />
écrit en toutes l<strong>et</strong>tres : Korolevskiï Falafel. On comprend<br />
mieux pourquoi le gros milicien croisé plus<br />
tôt nous a demandé à plusieurs reprises si c’était<br />
bien le lieu que nous cherchions car « ce n’est pas<br />
vraiment un restaurant ». Il est vrai que l’on s’attendait<br />
plus à une sorte de Starbucks végétarien<br />
qu’à ce p<strong>et</strong>it boui-boui de 10m 2 prêt à fermer ses<br />
portes… alors qu’il n’est que 20h30. Drôle de sortie<br />
pour un vendredi soir.<br />
Vêtue d’un gros manteau d’hiver, la jeune<br />
serveuse qui s’apprêtait à quitter la bicoque s’empresse<br />
de sortir, à notre arrivée, les aliments de<br />
p<strong>et</strong>ites boîtes en plastique rouge pendant que nous<br />
nous débarrassons de nos manteaux <strong>et</strong> prenons<br />
place sur les quatre uniques tabour<strong>et</strong>s du lieu. La<br />
salle est si exiguë qu’elle est vite envahie par l’odeur<br />
du graillon. 30 secondes plus tard, nos sandwichs<br />
de boul<strong>et</strong>tes de pois chiches, dites falafels (99<br />
roubles), sont prêts à déguster. Ça, c’est de la restauration<br />
rapide ! Un peu trop peut-être puisqu’ils<br />
sont froids. Quelques secondes aux micro-ondes<br />
<strong>et</strong> r<strong>et</strong>our dans nos assi<strong>et</strong>tes… trop chauds c<strong>et</strong>te<br />
fois ! Les boul<strong>et</strong>tes de falafel sont à point mais le<br />
pain pita, les légumes <strong>et</strong> le houmous sont ramollis<br />
par la chaleur, alors qu’ils sont justement censés<br />
apporter toute la fraîcheur à c<strong>et</strong>te spécialité culinaire<br />
du Proche-Orient.<br />
Alors que nous essayons de nous concentrer<br />
pour manger nos sandwichs proprement <strong>et</strong> sans<br />
en perdre la moitié, David, le directeur du lieu,<br />
explique comment reconnaître un bon falafel. De<br />
ses grosses mains, il rompt une boul<strong>et</strong>te en deux :<br />
« Vous voyez, la couleur verte montre que c’est bon<br />
produit, si c’est jaune, c’est un faux ». Contentes de<br />
Les Beatles vus<br />
par une star du<br />
blues moscovite.<br />
Levan Lomidze <strong>et</strong><br />
les Blues Cousins<br />
(Russie)<br />
Les 25 novembre <strong>et</strong> 23 décembre.<br />
Blues, harmonica, guitare, vocal<br />
L’idée, c’est un mini-festival consacré au travail du<br />
quatuor légendaire de Liverpool, au cours duquel<br />
seront jouées, à côté des grands hits des années 70,<br />
les créations immortelles des Beatles. Des musiciens<br />
d’un tel niveau réunis sur la scène du jazz-club<br />
Soyouz kompozitorov, ça ne se rate pas ! Le leader<br />
des Blues Cousins, Levan Lomidze, est le premier<br />
guitariste russe reconnu aux États-Unis, où il a donné<br />
plus de 100 concerts, dont des apparitions dans<br />
les plus prestigieux festivals blues du pays. La presse<br />
américaine a réagi avec fougue, admiration <strong>et</strong> enthousiasme<br />
au succès vertigineux des Blues Cousins. Levan<br />
Lomidze a été sacré meilleur musicien blues de<br />
l’année par les auditeurs de l’émission Doctor Blues<br />
(Open radio). Il fi gure également au panthéon des dix<br />
plus grands guitaristes de Russie.<br />
Ouvert de 11h à 1h du matin<br />
manger de vraies boul<strong>et</strong>tes, nous observons qu’une<br />
p<strong>et</strong>ite bière avec ne serait pas de refus. L’homme<br />
aux gros sourcils noirs est étonné qu’on puisse<br />
penser accompagner un falafel d’une bière. Il n’en<br />
propose pas, mais nous indique où nous pouvons<br />
en trouver. Dans la « cabine » d’à côté, un jeune<br />
garçon sert des bières pression au verre pour 66<br />
roubles. Dans c<strong>et</strong> endroit absolument hors du commun,<br />
trois types déjà bien alcoolisés ingurgitent<br />
leurs bières comme de l’eau. R<strong>et</strong>our au fast-food où<br />
David ne se vexe pas devant les boissons rapportées.<br />
Au contraire, il note que la bière manque au menu<br />
de la gargote qu’il a conçue lui-même <strong>et</strong> nous demande<br />
des conseils sur la marque à commander.<br />
C<strong>et</strong> homme, d’origine géorgienne, s’aperçoit<br />
rapidement que ses trois seules clientes de la soirée<br />
sont françaises. Il entame alors un long monologue<br />
sur les lieux qu’il a visités dans la capitale française<br />
: « Ah… Paris ! » s’exclame-t-il à plusieurs<br />
reprises en français. « Place Vendôme, jardin des<br />
Tuileries, Champs Elysées, Euro Disney… » Celui<br />
qui assure qu’il est le seul à faire ses propres falafels<br />
à Moscou se souvient de ceux qu’il a goûtés dans le<br />
Marais… <strong>et</strong> nous fait alors revisiter Paris. David fait<br />
l’ambiance à lui seul. Ce qui rend fi nalement le lieu<br />
sympathique. Mais un trouble-fête, venu de la bicoque<br />
d’à côté, entre en titubant pour commander<br />
un sandwich. Le service est terminé. David a défi nitivement<br />
rangé ses falafels <strong>et</strong> ses chakchoukas (120<br />
roubles). Il faudra revenir le lendemain matin pour<br />
la formule p<strong>et</strong>it-déjeuner (de 39 à 49 roubles). L’intrus<br />
insiste. L’atmosphère s’alourdit soudainement.<br />
La serveuse nous lance un regard eff rayé en nous<br />
faisant comprendre qu’il faut quitter l’endroit. 40<br />
minutes après être entrées, nous partons en hâte.<br />
Un vrai fast-food.<br />
Gabrielle Leclair<br />
Korolevskiï Falafel<br />
26, Ousatcheva oul., Ousatchevskiï Trade House<br />
+ 7 (495) 363 11 91<br />
Cynthia<br />
Saunders<br />
(USA)<br />
Les 18,19 <strong>et</strong> 20 novembre.<br />
Jazz, vocal.<br />
Dans le monde de la<br />
musique, on l’appelle<br />
Cynthia Jazz. C<strong>et</strong>te vocaliste jazz brillante <strong>et</strong> pénétrante<br />
apaise l’âme <strong>et</strong> insuffl e la soif de vivre à tous<br />
ceux qui l’entendent. Armée de son ravissant sourire,<br />
Cynthia s’entr<strong>et</strong>ient chaleureusement avec<br />
son public, l’attirant dans son monde musical <strong>et</strong><br />
emplissant ses auditeurs d’émotions fortes <strong>et</strong> nouvelles.<br />
Sur elle, les critiques jazz ont écrit ceci :<br />
« Cynthia possède une voix très belle, qui embrasse<br />
les styles du passé, du présent <strong>et</strong> même du futur. Et<br />
elle est également un remarquable auteur de chansons…<br />
À toutes les compositions jazz interprétées par<br />
Cynthia vient s’ajouter la douceur toute particulière<br />
de la voix de la chanteuse, qu’il s’agisse de ballades<br />
jazz émouvantes <strong>et</strong> éternelles ou de mélodies latinoaméricaines<br />
vivantes <strong>et</strong> épicées. »<br />
Jazz-club « Soyouz kompozitorov »<br />
Moscou, Brioussov per., 8/10 str. 2, M° Okhotnyï riad,<br />
Tel : +7(495) 629 65 63, www.ucclub.ru<br />
www.artistico.ru<br />
cafe@artistico.ru Kamergersky per. 5/6, Tél. : 692 40 42, Fax : 692 52 71<br />
17<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Unités<br />
nationales<br />
Je n’ai toujours pas compris ce<br />
qu’était le Jour de l’Unité nationale<br />
– j’avoue ne pas avoir trop<br />
cherché non plus – si ce n’est<br />
un jour férié en plein milieu de la<br />
semaine <strong>et</strong>, en toute logique, une<br />
occasion pour mes amis moscovites<br />
de sortir jusqu’au matin.<br />
Rendez-vous dans le restaurant<br />
situé au cinquième étage<br />
de la synagogue Bolchaïa Bronnaïa,<br />
peuplé d’un sympathique<br />
mélange de Russes, de Français,<br />
<strong>et</strong> même un Amerloque, fi lles <strong>et</strong><br />
garçons, gay <strong>et</strong> straight, 25-35<br />
ans. Dans le lot, quelques expat’<br />
que je ne connais pas <strong>encore</strong>. Le<br />
problème des expat’, c’est qu’ils<br />
fi nissent forcément par quitter<br />
Moscou, <strong>et</strong> qu’ils se débrouillent<br />
toujours pour plier bagages au<br />
moment précis où l’on commençait<br />
à s’attacher. Comme quoi,<br />
en amitié aussi, il vaut mieux<br />
consommer local.<br />
Après un chachlik kasher<br />
surépicé (290 roubles), direction<br />
Solianka où, comme dans toutes<br />
les discothèques de Moscou, on<br />
se demande en arrivant si l’on n’a<br />
pas confondu l’entrée du night<br />
club avec celle du club d’aérobic.<br />
Car quand les Moscovites dansent,<br />
ils n’y vont pas à moitié !<br />
La nuit se poursuit au Proekt<br />
OGI. Autre ambiance, moins<br />
branchée peut-être, mais tout<br />
aussi animée. Les effl uves de vodka<br />
ont remplacé celles des eaux<br />
de toil<strong>et</strong>te. On discute, on rit, on<br />
danse. On est bien.<br />
Résultat des courses :<br />
2 verres de vin à la synagogue<br />
(600 roubles la bouteille de Carignan),<br />
4 vodkas tonic (210<br />
roubles au Solianka), quelques<br />
gorgées de Long Island bues<br />
ici <strong>et</strong> là dans les verres de mes<br />
amis (500 roubles), 1 vodka shot<br />
(70 roubles à OGI), 1 Sambuca<br />
fl ambée (250 roubles), une pinte<br />
de Baltika (100 roubles), <strong>encore</strong><br />
quelques gorgées de gin dans une<br />
after je ne sais plus où, <strong>et</strong> bien<br />
trop de cigar<strong>et</strong>tes (20 roubles le<br />
paqu<strong>et</strong> dans n’importe quel cabanon).<br />
8 heures du matin. R<strong>et</strong>our<br />
en taxi, <strong>et</strong> en (très) bonne compagnie.<br />
Guillaume Clément Marchal<br />
Restaurant de la synagogue<br />
Bolchaïa Bronnaïa<br />
Bolchaïa Bronnaïa oul., 6, str. 3<br />
Métro : Tverskaïa<br />
+7 (495) 202 45 30<br />
Solianka<br />
Solianka oul., 11/6, str. 1<br />
Métro : Kitaï Gorod<br />
s-11.ru, +7 (495) 221 75 57<br />
Proekt OGI<br />
Potapovskiï per., 8/12<br />
Métro : Tchistye Proudy<br />
+7 (495) 627 53 66
18<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
R<strong>et</strong>rouvez à chaque numéro du Courrier de Russie le clin d’œil<br />
pratique pour votre expatriation !<br />
LA CHRONIQUE DES EXPATRIES :<br />
All’eau !<br />
de YAN SOTTY<br />
A votre arrivée en Russie, les premiers conseils<br />
que l’on vous donne ont trait à la santé ! Et vous<br />
entendrez régulièrement : « Ne buvez jamais<br />
l’eau du robin<strong>et</strong> ! ». N’exagérons rien ! L’eau<br />
est potable, même si elle se caractérise souvent<br />
par un p<strong>et</strong>it goût inhabituel. Encore convientil,<br />
selon les organismes, de ne pas en ingurgiter<br />
de grandes quantités qui pourraient éventuellement générer de p<strong>et</strong>its<br />
désagréments.<br />
En tout cas, si vous êtes du genre ultra-prudent, vous pourrez toujours<br />
vous rabattre sur les bouteilles d’eau minérale vendues dans les<br />
supermarchés, ou plus simplement <strong>encore</strong>, louer, voire ach<strong>et</strong>er une fontaine<br />
d’eau <strong>et</strong> ses réserves.<br />
Les sociétés de distribution d’eau potable pour fontaine sont nombreuses<br />
<strong>et</strong>, parmi les plus connues en Russie, fi gurent Vitelia, Nestlé<br />
Waters, Cone-Forest <strong>et</strong> Korolevskaya Voda. Leurs tarifs de service sont<br />
sensiblement équivalents…<br />
La fontaine d’eau, dite en russe « cooler », selon le terme anglais,<br />
vous perm<strong>et</strong>tra d’avoir à domicile de l’eau fraîche ou chaude. Vous pourrez<br />
l’ach<strong>et</strong>er dès votre arrivée (entre 4000 <strong>et</strong> 8000 roubles pour une fontaine)<br />
<strong>et</strong> vous ferez des économies si vous prévoyez de vivre plus d’un an<br />
à Moscou. Un détail d’importance : en cas de problème, toute intervention<br />
vous coûtera le déplacement du spécialiste <strong>et</strong> la réparation Autre<br />
option, pour une somme <strong>encore</strong> raisonnable, la location de la fontaine<br />
(400 roubles mensuels) qui perm<strong>et</strong> un remplacement gratuit de matériel<br />
en cas de dysfonctionnement.<br />
Pour ces fontaines, les bombonnes d’eau d’une capacité de 19 à 23<br />
litres, se commandent par 3 minimum, pour une somme d’environ 250<br />
roubles pas bombonne. Pour un couple avec un enfant, vous pouvez tabler<br />
globalement sur une consommation de 4 bouteilles par mois en été<br />
<strong>et</strong> de 3 bouteilles en hiver.<br />
La livraison des bombonnes est gratuite. Dans la majorité des cas,<br />
vous êtes livrés le lendemain de la commande, rarement le jour même.<br />
Avec l’avantage appréciable de ne pas avoir à monter tous ces litres<br />
d’eau au domicile, surtout quand l’ascenseur est inexistant dans votre<br />
immeuble ! Sachant qu’il vous faudra trouver un endroit où stocker les<br />
bombonnes de réserve…P<strong>et</strong>it détail d’importance relatif à la livraison :<br />
si, pour plusieurs sociétés, c<strong>et</strong>te livraison s’eff ectue dans une fourch<strong>et</strong>te<br />
approximative de 3 heures, Nestlé <strong>et</strong> Cone-Forest sont généralement<br />
respectueux des horaires convenus.<br />
A savoir également : l’eau qui vous est proposée n’est pas une eau<br />
minérale particulière mais l’eau fournie par les services techniques de la<br />
ville <strong>et</strong> traitée par les soins de la société. Ce qui incite certains à s’approvisionner<br />
en plus de bouteilles d’eau minérale qu’ils avouent consommer<br />
« sans modération »…<br />
Se m<strong>et</strong>tre à l’eau, soit ! Mais sachons quand même raison garder !<br />
* Yan Sotty est directeur de « Wellcome Abroad Relocations»,<br />
société de services pour expatriés en Russie<br />
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Vivre en hauteur: les pours <strong>et</strong> les contres de<br />
la vie en gratte-ciel<br />
Il y a deux catégories de gens. La première se compose de<br />
personnes bien ancrées au sol, qui aiment la terre <strong>et</strong> qui préfèrent<br />
rester auprès d’elle. Elles rêvent d’une maison avec<br />
pelouse <strong>et</strong> jardin potager, n’importe où, mais pas en ville.<br />
Et puis, il y a c<strong>et</strong>te seconde catégorie qui, malgré ses airs de<br />
respectabilité plane toujours dans les nuages. Ce sont les enfants<br />
des mégalopoles, ceux pour qui le vacarme des villes est<br />
comme le bruissement des feuilles qui tombent, le chuchotement<br />
confus de la paisible rivière.<br />
Pour c<strong>et</strong>te dernière catégorie, le comble du bonheur se situe<br />
au 40 e étage d’un gratte-ciel. Ces bâtiments sont pensés <strong>et</strong><br />
construits pour eux, un peu comme « des villes dans la ville ».<br />
Y vivre témoigne d’un certain statut social. La quasi-totalité<br />
des constructions de ce type font partie des classes « business »<br />
<strong>et</strong> « élite ». Bien entendu, les ach<strong>et</strong>eurs potentiels de ces biens<br />
immobiliers à Moscou ont des revenus confortables.<br />
Il y a bien sûr avantages <strong>et</strong> inconvénients à résider dans un<br />
gratte-ciel. Considérons tout d’abord les points positifs. Outre<br />
le prestige, il y a la place, car en général les appartements sont<br />
plus spacieux que ceux des habitations conventionnelles. Dans<br />
ces « villes dans la ville », les infrastructures sont très développées.<br />
En général, ces constructions sont subdivisées en plusieurs<br />
zones : bureaux, surfaces commerciales, loisirs... Il est<br />
possible d’y faire ses courses, d’aller au cinéma, de se rendre au<br />
bureau, à la piscine... <strong>et</strong> tout cela sans sortir de chez soi. Quant<br />
à la pur<strong>et</strong>é de l’air, elle augmente avec l’altitude. Enfi n, la vue<br />
est souvent saisissante.<br />
Revers de la médaille : les coûts d’entr<strong>et</strong>iens de telles<br />
constructions sont deux fois plus élevés que ceux des autres<br />
habitations. De plus, s’ils veulent éviter les imbroglios, les résidents<br />
doivent se m<strong>et</strong>tre d’accord sur le choix des entreprises<br />
de maintenance. Bien que l’air pompé au somm<strong>et</strong> soit plus pur,<br />
il est aussi plus raréfi é, ce serait un peu comme vivre à la mon-<br />
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tagne. L’organisme des citadins doit s’acclimater à ces conditions,<br />
<strong>et</strong> cela n’est pas donné à tout le monde. Par exemple, les<br />
personnes atteintes de problèmes cardiovasculaires devraient<br />
éviter de vivre au-delà du 20 e étage. La vie en altitude peut<br />
accentuer des troubles psychiques préexistants, constituer un<br />
terreau favorable à l’apparition de phobies, voire favoriser les<br />
pulsions suicidaires. Principal point de friction entre défenseurs<br />
<strong>et</strong> opposants aux gratte-ciel: l’aspect sécuritaire de telles<br />
méga-structures. Les ingénieurs, quant à eux, affi rment que<br />
les habitants des tours sont biens mieux protégés des incendies<br />
ou des accidents électriques, grâce aux systèmes de distribution<br />
d’eau <strong>et</strong> anti-incendie, ainsi qu’à la gestion des ascenseurs,<br />
contrairement à ce qui se fait dans les constructions conventionnelles.<br />
Toutefois, une évacuation de milliers de personnes <strong>et</strong> leur<br />
mise en lieu sûr en l’espace de 2 ou 3 minutes semble peu<br />
plausible. Ce à quoi tout système sophistiqué ne changerait<br />
probablement rien. En fait, les gratte-ciel, dans un tissu urbain<br />
dense, compliquent considérablement le travail des pompiers<br />
: l’espace minimal entre le dispositif d’évacuation pour les<br />
étages supérieurs <strong>et</strong> le bâtiment doit être de 10 mètres, tandis<br />
que l’espace entre la nacelle <strong>et</strong> le bâtiment doit être de 6.<br />
Les appartements des gratte-ciel représentent une forme<br />
exotique d’habitation pour une clientèle non moins exotique :<br />
des gens aisés, aventureux, amateurs de sensations fortes, qui<br />
apprécient les vibrations d’une mégalopole <strong>et</strong> pour lesquels<br />
«être au somm<strong>et</strong>», c’est vivre au somm<strong>et</strong>. Quant à Jean-<br />
Claude Van Damme, il garde toujours des parachutes dans son<br />
appartement non moins haut perché.<br />
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« Rumeur des boulevards nocturnes.<br />
Le dernier rayon de soleil s’est éteint.<br />
Partout, partout des couples <strong>et</strong> des couples.<br />
Le frémissement des lèvres <strong>et</strong> l’audace des yeux.<br />
Je suis seule, ici. Il serait doux d’appuyer sa tête<br />
Au tronc d’un châtaignier !<br />
Dans mon сœur pleure un vers de Rostand.<br />
Comme à Moscou que j’ai abandonné.<br />
Paris la nuit m’est étranger <strong>et</strong> pitoyable,<br />
Le délire d’autrefois est plus cher à mon coeur.<br />
En rentrant chez moi, je r<strong>et</strong>rouve la tristesse des<br />
viol<strong>et</strong>tes<br />
Et le portrait de quelqu’un à l’expression amicale.<br />
(...)<br />
Dans le vaste <strong>et</strong> joyeux Paris<br />
Je rêve d’herbage, de nuages,<br />
Les rives s’éloignent, les ombres se rapprochent<br />
Et la douleur en moi est aussi profonde que jadis.<br />
»<br />
« J’avais oublié qu’en vous le сœur n’est qu’une<br />
vieillesse,<br />
Enigma<br />
Texte sélectionné par<br />
Jean-Félix de La Ville Baugé<br />
Et non une étoile, je l’avais oublié !<br />
J’avais oublié que votre poésie vient des livres<br />
Et vos critiques de la jalousie.<br />
Vieillard précoce, l’espace d’un instant,<br />
J’ai oublié que vous êtes un grand poète. »<br />
« La guerre, la guerre ! Encens devant les icônes !<br />
Les éperons tintent,<br />
Mais je n’ai rien à faire ni des calculs du tsar<br />
Ni des querelles des peuples ! »<br />
« Traquée dans le monde entier,<br />
Tu as des ennemis sans nombre,<br />
Comment donc t’abandonnerais-je,<br />
Comment te trahirais-je ?<br />
Où trouverais-je la sagesse de dire<br />
Œil pour œil, dent pour dent ?<br />
Ô Allemagne, ma folie,<br />
Ô Allemagne, mon amour ! »<br />
« Je sais la vérité ! Arrière la vérité d’hier !<br />
Il ne faut pas que l’homme se déchaîne contre<br />
l’homme »<br />
« André Chénier est monté sur l’échafaud<br />
Et moi, je vis <strong>et</strong> c’est là un péché mortel !<br />
Il y a des époques de fer pour tout le monde,<br />
Et il n’est pas de poète celui qui chante quand la<br />
parole est à la poudre ! »<br />
« Un jour adorable créature,<br />
Je ne serai plus pour toi qu’un souvenir,<br />
Perdu, dans ta mémoire aux yeux bleus<br />
Perdu, enseveli, si loin, si loin !<br />
Tu oublieras mon profi l au nez busqué,<br />
Mon front auréolé par la fumée de cigar<strong>et</strong>tes,<br />
Mon rire continuel qui agace les gens,<br />
Et la centaine de bagues d’argent sur ma main<br />
laborieuse,<br />
Et notre grenier-cabine de bateau,<br />
Et le désordre de mes paperasses.<br />
Tu oublieras l’année terrible, sublimée par le<br />
Malheur.<br />
Tu étais <strong>encore</strong> si p<strong>et</strong>ite <strong>et</strong> moi <strong>encore</strong> si jeune ! »<br />
« Celui qui survit mourra ; celui qui est mort ressuscitera<br />
;<br />
Et les descendants, évoquant le passé, demanderont<br />
d’une voix de tonnerre :<br />
« Où étiez-vous ? » La réponse résonnera aussi<br />
comme un coup de tonnerre : « Sur le Don ! »<br />
« Qu’y faisiez-vous ? – Nous y subissions notre<br />
martyre.<br />
Puis enfi n, exténués, nous nous sommes couchés<br />
<strong>et</strong> assoupis. »<br />
Et les p<strong>et</strong>its-fi ls songeurs inscriront dans leur dictionnaire,<br />
Après le mot Devoir, le mot Don. »<br />
« Où sont les cygnes ? – Les cygnes sont partis.<br />
Et les corbeaux ? – Les corbeaux sont restés.<br />
Où sont-ils partis, les cygnes ?- Là où partent les<br />
grues migratrices.<br />
Quant à moi, je considère que toute<br />
chose dirigée contre l’Union Soviétique,<br />
contre nous, n’a pas droit à<br />
l’existence<br />
Maïakovski, 1929<br />
« Pour le sommeil de la mort personne n’est trop vieux »<br />
Pourquoi sont-ils partis ? – Pour n’être pas plumés.<br />
Et Papa, où est-il ? – Dors, dors ! Le Sommeil<br />
Chevauchant le coursier des steppes va venir<br />
nous chercher.<br />
Où nous emmèrera-t-il ? – Vers le Don des<br />
cygnes,<br />
Là, tu le sais, où se trouve mon beau cygne<br />
blanc. »<br />
« Au-delà de quelles mers <strong>et</strong> de quelles villes<br />
Dois-je te chercher, toi l’invisible, toi l’aveugle ?<br />
Je m’en rem<strong>et</strong>s pour les adieux aux fi ls télégraphiques<br />
Et, appuyée au poteau qui les supporte, je<br />
pleure. »<br />
« Que dois-je faire de ma démesure<br />
Dans un monde où tout n’est que mesure ? »<br />
« Le carré d’une l<strong>et</strong>tre.<br />
Encre <strong>et</strong> magie.<br />
Pour le sommeil de la mort<br />
Personne n’est trop vieux.<br />
Le carré d’une l<strong>et</strong>tre. »<br />
« Comment ça va la vie avec une autre ?<br />
Plus simple, n’est-ce pas ? »<br />
La réponse à l’enigma du précédent<br />
numéro était : Arkady Gaydamak.
N°178 с 12 по 26 ноября 2010<br />
Афиша Вера Гауфман<br />
О, NET<br />
В Москве проходит 12-й Международный<br />
фестиваль «Новый Европейский<br />
Театр» (NET-2010). Тема фестиваля—staging<br />
abroad. Режиссеровучастников<br />
забросили в чужую страну<br />
и предложили поработать с театральной<br />
труппой, которая не говорит на их<br />
родном языке. В результате болгары<br />
занимались с немцами, немцы с<br />
латвийцами, латвийцы с русскими,<br />
австрияки с венграми (у них вообще<br />
древний союз) и так далее.<br />
Результаты этих экспериментов можно<br />
увидеть с 8 по 28 ноября в центре<br />
Мейерхольда, театре Наций, театре<br />
«Практика». В числе постановок, есть<br />
пьесы классиков со стажем (Чехов,<br />
Гоголь), а есть произведения авторов и<br />
помоложе (Вырапаев, Хандке).<br />
Особого внимания заслуживает,<br />
пожалуй, чеховский «Дядя Ваня» в<br />
трактовке французского режиссера<br />
Эрика Лакаскада (Eric Lacascade)<br />
совместно с труппой театра Оскараса<br />
Коршуноваса из Литвы. Чехов политовски,<br />
во французской сценографии,<br />
в сопровождении песни Симона<br />
и Гарфанкеля «Прощай, любовь»—зрелище<br />
явно не для консерваторов и не<br />
для слабонервных.<br />
«Дядя Ваня» (Антон Чехов), театр Оскараса<br />
Коршуноваса / Городской театр<br />
(Вильнюс, Литва), постановка Эрика<br />
Лакаскада (Франция)<br />
26, 27 ноября<br />
Сцена Центра им. Вс. Мейерходьда,<br />
ул. Новослободская, 23<br />
http://www.n<strong>et</strong>fest.ru/<br />
Пьер-Лоран Эмар выйдет<br />
на Триумфальную<br />
Наверное, все уже привыкли, что<br />
французы, которые посещают в этом<br />
году Россию, приезжают в рамках<br />
перекрестного года Франция—<br />
Россия. Не пропустите ещё одно<br />
музыкальное событие этого года. Если<br />
вы до этого обходили Триумфальную<br />
площадь стороной (мало ли, ОМОН<br />
или «Стратегия 31» встанут на пути), то<br />
ради пианиста Пьера-Лорана Эмара<br />
(Pierre-Laurent Aimard) стоит приехать<br />
на станцию метро «Маяковская». В<br />
Концертном зале им. П.И. Чайковского<br />
пройдут выступления знаменитого<br />
французского музыканта, который,<br />
кстати, имел счастье жениться на<br />
русской пианистке Ирине Катаевой.<br />
19 ноября Пьер-Лоран Эмар проведет<br />
мастер-класс, 20 ноября выступит с<br />
Национальным филармоническим<br />
оркестром России под руководством<br />
Владимира Спивакова, а 21 числа<br />
состоится его сольный концерт. В<br />
программе Мессиан, Форе, Равель,<br />
Пуленк, Дебюсси.<br />
Пьер-Лоран Эмар<br />
19—21 ноября<br />
Концертный зал им. Чайковского,<br />
Триумфальная площадь, 4/31<br />
Прямиком из Канн<br />
В ноябре в российский прокат выходит<br />
мультфильм «Рапунцель», очередная<br />
забавная диснеевская анимация по<br />
мотивам детской сказки. А для развлече-<br />
ния взрослых Бертран Тавернье (Bertrand<br />
Tavernier) снял «Принцессу де Монпансье»,<br />
которая участвовала в конкурсной<br />
программе Каннского кинофестиваля.<br />
Видимо, коса Мелани Тьерри (Mélanie<br />
Thierry), исполнительницы главной роли<br />
Мари де Монпансье, оказалась недостаточно<br />
длинной, поэтому никакой награды<br />
фильм из Канн не увез. 21 ноября<br />
кино можно будет посмотреть в «Ролане»<br />
в рамках фестиваля «Арт-Мейнстрим».<br />
Но можно и подождать официального<br />
российского релиза 9 декабря. Заинтересовавшимся<br />
есть смысл перечитать<br />
Дюма и приготовиться к кровопролитным<br />
столкновениям католиков и протестантов<br />
на большом экране.<br />
«Принцесса де Монпасье», в прокате с<br />
9 декабря<br />
Идиоты и ангелы<br />
на Солянке<br />
Аниматора Билла Плимптона (Bill<br />
Plympton) пытались одарить Оскаром<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Михаил Прохоров: «Я не мечтаю»<br />
Многие мечтают оказаться на<br />
его месте. А ему кажется, что<br />
вершина ещё далеко. О сложных сложных<br />
подъемах, крутых спусках<br />
и простых радостях бытия<br />
мы поговорили с Михаилом<br />
Прохоровым, самым удачливым<br />
российским предпринимателем.<br />
Начало. Продолжение на с. II.<br />
D.R.<br />
уже три раза с 1987 года. Его новый<br />
полнометражный мультфильм «Идиоты<br />
и ангелы», где нет ни одного диалога,<br />
выходит в российский прокат 18 ноября.<br />
Маэстро должен сам приехать<br />
представлять свой шедевр, гениальность<br />
которого Терри Гиллиам (Terry<br />
Gilliam) охарактеризовал фразой «Где<br />
он берет свою наркоту?». В ожидании<br />
российского релиза можно сходить<br />
на выставку в галерею «На Солянке»—<br />
выставка «Плимптунс» пройдет с 10<br />
по 21 ноября. На ней будут представлены<br />
оригинальные работы автора<br />
для короткометражек Your face, How<br />
to kiss, The cow who wanted to be a<br />
Hamburger, Guide Dog и другие.<br />
«Плимптунс»<br />
10—21 ноября<br />
Галерея «На Солянке»<br />
Ул. Солянка, 1/2, стр. 2 (вход с ул. Забелина)<br />
http://solgallery.ru/exhibitions/193
II<br />
Le Courrier de Russie<br />
12 – 26 ноября 2010<br />
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Бизнес<br />
Текст: Жан-Феликс де Ля Виль Боже<br />
Перевод: Вера Гауфман<br />
«Политика меня не интересует. Люди,<br />
которые ей занимаются, не вполне<br />
свободны»<br />
Михаил Прохоров<br />
Михаил Прохоров: «Я не мечтаю»<br />
Le Courrier de Russie: Вы преуспели в жизни.<br />
К чему Вы стремитесь сегодня?<br />
М. П.: Я не считаю, что преуспел. Я создал<br />
фундамент, чтобы преуспеть в дальнейшем.<br />
Мой успех—в будущем. Если бы я считал,<br />
что всего достиг, мне было бы пора уходить на<br />
пенсию. Раз в семь или восемь лет мне нужно<br />
менять сферу деятельности. Я начинал в малом<br />
бизнесе, потом я был директором банка,<br />
потом генеральным директором корпорации,<br />
а сейчас я частный инвестор. Через четыре<br />
года я буду заниматься чем-то другим, ещё не<br />
знаю чем, пока ещё не загадываю.<br />
LCDR: Вы не чувствуете усталости?<br />
М. П.: Нет, не чувствую. Наоборот, мне всё<br />
время хочется делать что-то новое. После<br />
восьми лет работы в одной области у меня<br />
пропадает чувство «голода», наступает насыщение.<br />
И сегодня я как никогда полон энергии<br />
и готов осваивать новые горизонты.<br />
LCDR: Собираетесь ли Вы инвестировать<br />
во французскую экономику?<br />
М. П.: Да, но для меня важно, чтобы бизнес<br />
приносил быстрый результат. Нужно найти<br />
самый короткий путь к успеху. Я исповедую<br />
теорию абсолютной лени и стараюсь действовать<br />
только в тех сферах, где у меня есть<br />
конкурентное преимущество. В России я могу<br />
найти активы, стоимость которых меньше,<br />
чем та, за которую они продавались бы во<br />
Франции.<br />
LCDR: Каким образом Вы ищете активы?<br />
М. П.: Когда мы анализируем актив, мы<br />
сначала составляем план с управляющей<br />
командой, потом смотрим с российским или<br />
иностранным партнёром, равняется ли 1+1<br />
больше двух. Если это так, мы его покупаем.<br />
LCDR: Например?<br />
М. П.: Сейчас мы делаем совместный проект<br />
с французской компанией Dalkia по модернизации<br />
российских отопительных систем. На<br />
сегодняшний день эти системы у нас находятся<br />
в плачевном состоянии. Наше конкурентное<br />
преимущество в том, что в своей работе<br />
мы соединяем опыт Dalkia International и свое<br />
видение российской реальности. Результат<br />
будет замечательным, потому что, как я уже<br />
сказал, на этом рынке есть, чем заняться.<br />
LCDR: Вы занимаетесь поддержкой<br />
культурных инициатив. При содействии<br />
Вашего фонда в Лионе открывается выставка<br />
«Неизвестная Сибирь». Почему<br />
именно там?<br />
М. П.: У меня особые отношения с Францией.<br />
Фонд, который я создал, базируется в Сибири,<br />
в Красноярске. Когда мы думали, каким образом<br />
отметить перекрестный год России—<br />
Франции, мы заметили, что и Красноярск, и<br />
Лион расположены в географических центрах<br />
своих стран. Конечно, это разные страны. Тем<br />
интересней проследить, как будут взаимодействовать<br />
их культуры на выставке. Матрёшкой<br />
уже все наелись. Мы хотим познакомить<br />
Францию с новыми представителями российской<br />
культуры: молодыми, современными, талантливыми.<br />
LCDR: К культуре у Вас особое отношение?<br />
М. П.: Я понимаю роль культуры, в частности,<br />
её влияние на развитие общества.<br />
Начиная с эпохи Ренессанса все важные<br />
общественные трансформации начинались<br />
с культурных изменений, которые влекли за<br />
собой экономические. Но мне больше нравится<br />
спорт. Считаю, что меценат, который<br />
полагает, что разбирается в культуре, может<br />
нанести ей большой вред, так как, вместо<br />
того, чтобы прислушиваться к мнению экспертов,<br />
он будет навязывать свое собственное<br />
видение. Я же в этом смысле—идеальный<br />
меценат! Так как руководствуюсь<br />
холодным рассудком, а не горячим сердцем.<br />
«Я понимаю роль культуры,<br />
… но мне больше<br />
нравится спорт»<br />
LCDR: Вы заговорили об эпохе Ренессанса.<br />
Вам, конечно, известна история семейства<br />
Медичи. В начале их интересовало<br />
экономическое могущество. Затем они<br />
стремились обрести культурное влияние,<br />
потом политическое и наконец религиозное.<br />
На каком этапе находитесь Вы?<br />
М. П.: Я надеюсь, что останусь на первом<br />
этапе.<br />
LCDR: Религия, политика Вас не интересуют?<br />
М. П.: Я слишком далёк от этого. Политика<br />
меня не интересует. Люди, которые ей занимаются,<br />
не вполне свободны. В их жизни<br />
нет места маленьким удовольствиям, потому<br />
что над ними всегда довлеет общественное<br />
мнение. Я с уважением отношусь к политикам,<br />
но иногда думаю: как можно настолько<br />
любить власть? Я слишком ценю качество<br />
жизни и радость жить, поэтому я останусь на<br />
первом этапе семейства Медичи.<br />
LCDR: Расскажите о Вашем отношении<br />
к Франции.<br />
М. П.: Франция и Россия—это страны, где<br />
я провожу больше всего времени. В Москве<br />
я работаю, а как только у меня появляется<br />
свободное время, уезжаю во Францию отдыхать.<br />
У меня есть слабость: я гурман, и французская<br />
кухня—моя любимая. Каждый раз<br />
для меня это огромное испытание, потому<br />
что я слишком много ем и потом мне нужно<br />
отрабатывать по 5–8 часов в спортзале!<br />
LCDR: Что еще Вам нравится во Франции,<br />
кроме еды?<br />
М. П.: Атмосфера. Там есть нечто такое, что я<br />
не могу объяснить. У меня становится больше<br />
энергии. Наверное, это то, что мне как<br />
раз и нравится во Франции, мощная энергия.<br />
LCDR: Забавно, французы, которые живут<br />
в Москве, говорят прямо противоположное…<br />
М. П.: Это закон систем. Когда человек постоянно<br />
живет в пределах одной системы, он<br />
не ощущает энергию, которая в ней заложена.<br />
Но при этом он может ощутить энергию<br />
чужой системы, если вдруг в ней окажется.<br />
«Я обожаю преодолевать<br />
трудности»<br />
LCDR: Что не оставляет вас равнодушным?<br />
М. П.: Сама жизнь. Я не делаю ничего, что<br />
мне бы не нравилось. Я обожаю преодолевать<br />
трудности. Есть такая русская пословица:<br />
«Мы сами себе создаем сложности, чтобы<br />
потом их героически преодолевать».<br />
LCDR: Какого рода сложности Вы имеете<br />
в виду?<br />
М. П.: Больше всего в бизнесе и в спорте<br />
меня привлекает экстрим. Контролируемый<br />
экстрим.<br />
LCDR: А неконтролируемый?<br />
М. П.: Я беру его под контроль. Я приведу<br />
пример. Я занимаюсь аквабайком. Раньше,<br />
когда волна была больше двух метров, я не<br />
мог делать переворот на 360°. Мне посоветовали<br />
потренироваться на батуте, и уже<br />
через 6 месяцев я делал прыжки при высоте<br />
волны 4 и даже 5 метров. Хотя мне тогда уже<br />
было больше 40 лет. Экстрим был взят под<br />
контроль.<br />
LCDR: Есть ли сложности, которые Вас<br />
привлекают больше других?<br />
М. П.: Нет, для меня это комплекс удовольствий,<br />
будь то в спорте или в бизнесе. Между<br />
ними есть одно существенное отличие: бизнес—это<br />
созидание, а профессиональный<br />
спорт—война. Люди выбирают спорт, чтобы<br />
не воевать. Они бескомпромиссно бьются на<br />
смерть, в то время как бизнес—это всё-таки<br />
дело компромисса.<br />
«Война подразумевает<br />
разрушение того, за что<br />
ты борешься»<br />
LCDR: Баскетболисты забавно бы смотрелись<br />
рядом с некоторыми бизнесменами.<br />
Для Вас бизнес—это война?<br />
М. П.: Мне жаль людей, которые воюют в<br />
бизнесе. Им это не доставляет удовольствия.<br />
Нужно уметь воевать, но война—это крайняя<br />
мера, компромисс—значительно более<br />
эффективен. Война подразумевает разрушение<br />
того, за что ты борешься. Я это выяснил<br />
путем собственных ошибок. Теперь я знаю,<br />
что войны нужно избегать любыми способами.<br />
«У меня нет кумиров»<br />
LCDR: Есть ли люди, которыми Вы восхищаетесь<br />
во Франции или в России?<br />
М. П.: У меня нет кумиров. Во Франции мне<br />
нравится Николя Саркози. Законы, которые<br />
он принимает, вызывают во мне уважение.<br />
Каждый раз, когда он что-то делает, ему противостоят<br />
профсоюзы. У него очень сложная<br />
задача. В РСПП я возглавляю комитет по социальным<br />
вопросам, и там я иногда чувствую<br />
себя в шкуре французского президента.<br />
LCDR: Комитет по социальным вопросам?<br />
М. П.: Да, мы занимаемся всем, что имеет отношение<br />
к социальному аспекту бизнеса, и от<br />
этого у меня часто болит голова!<br />
LCDR: А какими именно вопросами Вы занимаетесь?<br />
М. П.: Мы занимаемся системными законами,<br />
которые позволили бы увеличить эффективность<br />
нашей экономики. Россия находится<br />
между Европой и Азией: в Европе уровень >
«Еще ни один политический<br />
режим не сверг национальную<br />
кухню»<br />
Вивиан Шокас<br />
производительности и социальные стандарты<br />
высоки. В Азии производительность<br />
высокая, а социальная защищенность<br />
низкая. В России существуют<br />
высокие стандарты социальной защиты,<br />
но производительность низкая, и это<br />
плохо согласуется с глобальной конкуренцией.<br />
Я бы хотел сделать Россию более<br />
конкурентоспособной, дать людям<br />
возможность много работать, не нарушая<br />
трудовой кодекс, и много зарабатывать.<br />
Мои предложения непопулярны, но<br />
я буду продолжать на них настаивать.<br />
«Нужно увеличить продолжительностьрабочего<br />
дня»<br />
LCDR: Расскажите, что Вы предлагаете.<br />
М. П.: Я предлагаю упростить процедуру<br />
увольнения и уменьшить пособия по<br />
безработице: нужно давать меньше денег<br />
человеку на руки, и больше вкладывать<br />
в его переподготовку. Расходы, вероятно,<br />
возрастут, но тогда у нас будет больше<br />
подготовленных сотрудников, которые<br />
увеличат производительность труда.<br />
Вторая мера—позволить людям работать<br />
дистанционно. Третья мера—увеличить<br />
продолжительность рабочего дня:<br />
российский трудовой кодекс запрещает<br />
работать больше 8 часов в день, в то время<br />
как многие молодые люди хотели бы<br />
работать больше, чтобы зарабатывать<br />
больше. Надо сделать так, чтобы трудовые<br />
договора заключались таким образом,<br />
чтобы те, кто хочет больше работать,<br />
могли это делать. Четвертая мера —<br />
упростить классификацию профессий. В<br />
России есть каталог профессий, который<br />
включает 7000 категорий, в то время как<br />
в развитых странах их число не превышает<br />
700. Представьте расходы, связанные<br />
с этими 7000 категориями! Я предлагаю<br />
составить новый каталог с привлечением<br />
предприятий и организовать обучение<br />
новым специальностям.<br />
LCDR: Вы говорили как-то, что не<br />
читаете романы, только эссе. Может<br />
быть, есть французский писатель,<br />
чьё творчество Вам всё-таки<br />
близко?<br />
М. П.: Да, есть романист, который на<br />
меня сильно повлиял: Ги де Мопассан.<br />
Во всех смыслах. А вообще мне очень<br />
интересны футуристические теории, я<br />
их использую, чтобы планировать свое<br />
будущее. Мир сейчас развивается очень<br />
быстро. Простой пример: у меня есть<br />
месторождение меди. Я знаю, что сейчас<br />
ведутся эксперименты по созданию<br />
нового материала с улучшенными свойствами<br />
по сравнению с медью. Я должен<br />
всё знать о продвижении этих работ, чтобы<br />
продать мое месторождение до того,<br />
как этим новым металлом все начнут<br />
пользоваться.<br />
LCDR: Мне попалась на глаза фотография,<br />
на которой молодой сержант<br />
Прохоров марширует во главе<br />
взвода. О чём он мечтает?<br />
М. П.: Я не мечтаю. Я люблю жизнь, мне<br />
столько всего нужно успеть, встретиться<br />
со множеством интересных людей! У<br />
меня нет времени на мечты.<br />
LCDR: А ночью?<br />
М. П.: Ночью я сплю. ڤ<br />
Жером Риго (Jérôme Rigaud) на кремлевской<br />
кухне с января 2008 года.<br />
Когда интересуешься, как ему это<br />
удалось, он скромно отвечает, что оказался в<br />
«нужном месте в нужное время». Впрочем, на<br />
протяжении его карьеры таких возможностей<br />
у него было немало.<br />
Жером родился в Абиждане, столице<br />
Кот-д’Ивуара, в семье преподавателей. Там<br />
же и провел первые 16 лет своей жизни. Когда<br />
ему было 19, Жером играл за сборную Перпиньяна<br />
по регби. Но случилась неудача: бесстрашный<br />
француз разорвал связки колена, и<br />
на любимом увлечении пришлось поставить<br />
точку. Мечта стать инспектором полиции тоже<br />
оказалась невыполнимой. «Это было для<br />
меня огромным разочарованием»,—признается<br />
Жером. «Разочарование» длилось недолго.<br />
Однажды знакомый официант предложил<br />
Жерому поработать на новогоднем банкете.<br />
Опыт оказался удачным, и в 22 года Жером<br />
понял, что у него есть призвание. «Я решил<br />
открыть ресторан».<br />
Но вначале пришлось поучиться. С наставниками<br />
Жерому повезло. Ими оказались<br />
повара мишленовских ресторанов Жоэль<br />
Робюшон (Joël Robuchon) и Мишель Труагро<br />
(Michel Troisgros). Когда пришло время<br />
искать работу, он указал в резюме эти две<br />
фамилии, поместил в сеть и стал ждать предложений.<br />
Из большого их количества понастоящему<br />
заинтриговало его только одно: от<br />
ресторана «Эльдорадо» из сумрачной снежной<br />
Москвы. «Я ничего не слышал об этом<br />
ресторане, в интернете тоже ничего о нём не<br />
нашёл,—рассказывает Жером.—Но я решил<br />
приянять вызов, посмотреть, способен ли я<br />
выжить в чужой среде». Оказалось, что да.<br />
Через два года работы в Эльдорадо, Жерома<br />
переманил к себе Игорь Бухаров, владелец<br />
ресторана «Ностальжи».<br />
Еще через два года Игорь предложил Жерому<br />
помочь ему в организации президентского<br />
банкета. Через пять месяцев он был принят на<br />
работу на кухню Кремля, где готовят завтраки,<br />
обеды и ужины для президента, премьерминистра<br />
и патриарха. «Я согласился, потому<br />
что сам процесс найма происходил очень плавно.<br />
Если бы я заранее знал, сколько мне придётся<br />
работать и с какими ограничениями придётся<br />
столкнуться, я бы десять раз подумал».<br />
Повар под присмотром<br />
Ровно пять месяцев понадобилось спецслужбам,<br />
чтобы выяснить, кто такой Жером, чем<br />
Культура<br />
Текст: Габриель Леклер<br />
Перевод: Инна Дулькина,<br />
Вера Гауфман<br />
Фото: Галина Кузнецова<br />
занимаются члены его семьи, близкие друзья<br />
и дальние знакомые. Даже сейчас он под наблюдением:<br />
«Меня прослушивают 24 часа в<br />
сутки,—уверен Жером, — это нормально, что<br />
за мной следят, я ведь работаю на президента<br />
одной из крупнейших держав мира». Чтобы<br />
приготовить обед для президента, Жером удаляется<br />
в спецкухню. За ним следуют люди в<br />
белых халатах и погонах с двуглавыми орлами.<br />
Под их бдительным взором, француз разбивает<br />
яйца и месит тесто. Но убедиться в этом мы<br />
не смогли, ведь в это помещение нас, разумеется,<br />
не пустили.<br />
«Самое сложное—это приспособиться к<br />
ритму»,—признается Жером. Вот уже три<br />
года как у французского повара не было отпуска.<br />
Времени хватает только на сон, да и то<br />
не всегда. «Мне могут позвонить в 10 часов<br />
вечера и сказать, что завтра в другом конце<br />
города будет банкет на 200 человек». Зато<br />
работу не назовешь рутинной. Для каждого<br />
банкета нужно придумывать новое меню. А<br />
еще контролировать выбор посуды, продуктов,<br />
количество официантов и поваров.<br />
III<br />
Le Courrier de Russie<br />
12 – 26 ноября 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
На вкус Кремля<br />
Жером Риго – первый иностранный шеф-повар в Кремле. Уже около трёх лет он<br />
готовит блюда, которые отправляются прямиком на стол президенту.<br />
Настроения поваров, кстати, за последнее<br />
время заметно изменились. В русской кухне<br />
стали отчетливо слышаться французские<br />
ноты.<br />
С приходом Жерома на кремлевских застольях<br />
еду стали подавать в семь приёмов,<br />
каждому гостю отдельную порцию. Больше<br />
не нужно тянуться вилкой к салату в дальнем<br />
левом углу, с риском задеть локтем важного<br />
соседа. Новый девиз кремлёвской кухни —<br />
поражать не количеством, а разнообразием.<br />
Благодаря французскому повару, Дмитрий<br />
Медведев смог попробовать черную соль,<br />
тайваньский чай и французский шоколад<br />
Weiss. Под началом Жерома трудятся 30 поваров.<br />
Они собственноручно готовят фуа-гра<br />
и нередко задерживаются на работе, чтобы<br />
перенять у французского повара новые секреты.<br />
«Мне повезло. Мои коллеги очень<br />
трудолюбивы и никогда не жалуются. Не то<br />
что французы!»,—смеётся Жером.<br />
Замечают изменения и старейшие работники<br />
комбината. Кто-то жалеет, что больше<br />
не подают поросячьи тушки и осетров с<br />
веточкой петрушки. Кто-то радуется, что на<br />
кремлёвскую кухню приплыли дорада и тюрбо.<br />
Говорят, президент очень любит рыбу. И<br />
ещё поговаривают, что Дмитрий Медведев<br />
гораздо требовательней в выборе блюд, чем<br />
Владимир Путин. И что питаться он хочет<br />
«как в Европе». Новые идеи в политике, новые<br />
блюда на столе...<br />
Жерому в Кремле очень нравится, но о своей<br />
давней мечте он не забыл. «Это последнее<br />
место, где я работаю по найму»,—говорит<br />
он, лукаво улыбаясь. А потом—собственный<br />
ресторан на испанском или австралийском<br />
побережье. «Я буду заниматься там тем<br />
же, что я делаю сейчас: готовить необычные<br />
блюда из обычных продуктов». Но случится<br />
это не сегодня и даже не завтра. «Я уйду, когда<br />
почувствую скуку. А пока мне скучать не<br />
приходится». ڤ
IV Le Courrier de Russie<br />
Текст:<br />
12 – 26 ноября 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Сегодня на повестке дня—новый<br />
проект приватизации. В течение<br />
пяти лет активы крупнейших государственных<br />
предприятий (среди<br />
них Транснефть, Роснефть, ВТБ, Сбербанк<br />
и др.) должны перейти в частные руки. Евгений<br />
Ясин дает свой анализ сложившейся<br />
ситуации и делится с Le Courrier de Russie<br />
своими размышлениями по поводу новой<br />
экономической программы.<br />
Le Courrier de Russie: Евгений Григорьевич,<br />
можно ли сегодня вообще говорить<br />
о рыночной экономике в России?<br />
Евгений Ясин: Конечно, рыночная экономика<br />
в России уже существует. Но при этом<br />
ещё недостаточно выстроена институциональная<br />
система, которая способствовала<br />
бы её функционированию. Есть проблемы с<br />
защитой прав собственности, с равенством<br />
условий конкуренции, верховенством права.<br />
Работа по совершенствованию законодательства<br />
идет, но с большим трудом. Сложности<br />
связаны с тем, что в последние 10<br />
лет воздействие государства на экономику<br />
существенно усилилось. Государство объясняет<br />
своё вмешательство тем, что рынок<br />
малоактивен, что предпринимателей интересует<br />
только выгода, что они не готовы<br />
нести ответственность за последствия своих<br />
действий и т.д.<br />
LCDR: На Ваш взгляд, в этом причина<br />
недостаточной эффективности российских<br />
рынков?<br />
Е. Я.: Рынок неэффективен именно из-за<br />
того, что государственный сектор имеет в<br />
нём слишком большой удельный вес. Государственные<br />
компании обладают определёнными<br />
привилегиями, и государство<br />
оправдывает это тем, что на них возложены<br />
задачи государственной значимости. Равноправных<br />
отношений между государством<br />
и бизнесом не существует. В нашей стране<br />
ситуация осложняется ещё и тем, что у нас<br />
частный сектор испытывает давление со стороны<br />
чиновников, которые утверждают, что<br />
они действуют от имени государства. Но на<br />
самом деле, зачастую речь идет о преследовании<br />
корыстных частных интересов. В этих<br />
условиях бизнес вынужден ограничивать<br />
риски и с осторожностью инвестировать в<br />
российскую экономику.<br />
Новая программа приватизации призвана<br />
решить проблему чрезмерного присутствия<br />
государства на рынке. Она должна быть<br />
принята к исполнению с 2011 года, в соответствии<br />
с пожеланиями её инициаторов.<br />
LCDR: А какие институты могут обеспечить<br />
успешную реализацию программы<br />
приватизации?<br />
Е. Я.: Насколько я понимаю, план приватизации,<br />
который был объявлен этим летом,—<br />
это плод усилий министерства экономического<br />
развития. По сути его содержания,<br />
могу сказать, что либералы в правительстве<br />
делают попытку вернуться к планам создания<br />
институциональной системы, соответ-<br />
Экономика<br />
Симон Роблен<br />
Перевод: Вера Гауфман<br />
ствующей рыночной экономике первого послесоветского<br />
десятилетия.<br />
LCDR: Вы считаете, что речь идёт о<br />
возврате к либеральным идеям 90-х годов?<br />
Е. Я.: Сегодня, как и в начале 90-х, государству<br />
нужны деньги. Когда стало очевидно,<br />
что кризис опустошил финансовые резервы<br />
страны, было решено, как и тогда, пополнить<br />
их за счет частичной приватизации госпредприятий.<br />
Но вопрос в том, что сама по себе приватизация<br />
имеет смысл только в том случае,<br />
если контроль над активами передаётся в<br />
частную собственность. Если же контроль<br />
бизнеса остаётся в руках государства, то позитивных<br />
последствий, кроме притока денег<br />
от тех дураков, которые будут покупать акции<br />
миноритарных пакетов, не будет. Я говорю<br />
«дураки», потому что те, кто купит эти<br />
акции, в действительности не смогут оказывать<br />
влияния на политику компаний.<br />
То, что идея приватизации стоит на повестке<br />
дня, это хорошо, но пока я не вижу<br />
реальных намерений для её реализации.<br />
LCDR: Какие предприятия, на Ваш<br />
взгляд, будут приватизированы в первую<br />
очередь?<br />
Е. Я.: Если задачей приватизации является<br />
получение дополнительных финансовых<br />
ресурсов, которых не хватает для решения<br />
государственных задач, то в первую очередь<br />
должны быть приватизированы крупные нефтяные<br />
компании «Роснефть», «Газпром»<br />
и крупные банки «Сбербанк», «ВТБ» и т.д.<br />
Но если государство планирует начать модернизацию<br />
российской промышленности,<br />
«Если вы инвестируете в сектора, которые привлекают<br />
государственное руководство не так сильно, как<br />
нефть, газ, металлы, то вы можете работать спокойно—там<br />
будет достаточная прозрачность, в пределах<br />
того, что можно ожидать в такой стране, как<br />
Россия ».<br />
Евгений Ясин<br />
Евгений Ясин: «Равноправных отношений между<br />
государством и бизнесом не существует»<br />
Евгений Ясин – один из из самых самых влиятельных экономистов России. Бывший министр экономики, научный<br />
руководитель Высшей школы экономики (ГУ-ВШЭ), г-н Ясин был одним из ключевых инициаторов постановки<br />
страны на рыночные рельсы.<br />
В России достаточно хороших предпринимателей. Проблема<br />
в том, что когда они начинают много зарабатывать,<br />
чиновники хотят всё у них отобрать.<br />
D.R.<br />
то приватизацию следует распространить и<br />
на «Силовые машины» и на производителя<br />
авиадвигателей «Пермские моторы». Надо<br />
сказать, что попытки приватизировать эти<br />
компании уже предпринимались: в первом<br />
случае сделка с Siemens почти состоялась в<br />
2006-2007 годах, а во втором случае в 1990-е<br />
переговоры шли с United Technologies. Но<br />
сделки в обоих случаях были сорваны.<br />
LCDR: Известно ли, как будут проходить<br />
тендеры? Россия может гарантировать<br />
прозрачность процедур для иностранных<br />
инвесторов?<br />
Е. Я.: В тех областях, куда будут допускаться<br />
иностранные инвесторы, к моменту начала<br />
соответствующих процедур теневые вопросы<br />
уже будут решены и их решения уже<br />
будут заложены в условия тендера. Дальше<br />
уже можно рассчитывать на определённую<br />
прозрачность. Впрочем, если вы инвестируете<br />
в сектора, которые привлекают государственное<br />
руководство не так сильно, как<br />
нефть, газ, металлы, то вы можете работать<br />
спокойно—там будет достаточная прозрачность,<br />
в пределах того, что можно ожидать в<br />
такой стране, как Россия.<br />
LCDR: И тем не менее, отличается ли<br />
нынешняя ситуация в России от ситуации<br />
в 90-е годы? Могут ли результаты<br />
перераспределения активов на этот раз<br />
быть более предсказуемыми? Ведь когда<br />
Гайдар осуществлял свою программу,<br />
он думал, что необходимо начать с<br />
создания класса собственников средств<br />
производства и что создание институтов,<br />
гарантирующих непреходящий<br />
характер предприятий, будет ответом<br />
на потребность и давление со стороны<br />
частников...<br />
Е. Я.: Во времена Гайдара ситуация была<br />
другая и логика развития событий тоже.<br />
Тогда нужно было проводить приватизацию<br />
в стране, где никакого частного капитала и в<br />
помине не было. Правительство хорошо понимало,<br />
как важно найти поддержку среди<br />
индивидуальных предпринимателей. А весь<br />
бизнес в то время—это были, в основном,<br />
мелкие торговцы и банкиры, которые только<br />
вчера начали дело. Поэтому первый этап<br />
приватизации заключался в том, что государство<br />
выпустило ваучеры и стало раздавать<br />
активы.<br />
Затем у правительства возникла необходимость<br />
продавать госсобственность по более<br />
высокой цене: государство нуждалось в<br />
деньгах, чтобы закрыть «дыру» в бюджете.<br />
Поэтому была проведена денежная приватизация.<br />
Кстати, она могла бы оказаться очень<br />
успешной, если бы было принято решение<br />
продавать активы иностранцам. Но иностранцам<br />
правительство продавать не решилось:<br />
у них было достаточно средств, чтобы<br />
купить всё в этой стране и взять под свой<br />
контроль экономическую политику России.<br />
Кроме того, заинтересованные иностранцы<br />
тогда были сомнительными. Это было просто<br />
опасно. Поэтому правительство решило, что<br />
лучше продавать дёшево, но своим.<br />
LCDR: А как Вы оцениваете сегодняшнюю<br />
ситуацию?<br />
Е. Я.: Сейчас положение дел совершенно<br />
иное. Половина активов находится в руках<br />
государства. Что касается другой половины,<br />
то среди тех, кто получил госкомпании<br />
в собственность, большинство стали эффективными<br />
управленцами. Кто может сказать,<br />
что Потанин плохо управляет «Норильским<br />
Никелем»? Ходорковский был очень эффективным<br />
менеджером «Юкоса», и Швидлер,<br />
представитель Абрамовича, был отличным<br />
менеджером компании «Сибнефть»—но<br />
эти компании снова национализировали,<br />
можно даже сказать, экспроприировали.<br />
Назвать то, что произошло с «Юкосом»,<br />
«национализацией» нельзя,—просто отобрали<br />
и всё. Да ещё хотят осудить на второй<br />
срок, как будто лично Ходорковский украл<br />
всю нефть. Позор!<br />
В России достаточно хороших предпринимателей.<br />
Проблема в том, что, когда они<br />
начинают много зарабатывать, чиновники<br />
хотят всё у них отобрать.<br />
Как приватизировать и кому продавать в<br />
этих условиях? Если у российских бизнесменов<br />
есть деньги, то можно им продавать.<br />
Но сегодня уже нестрашно продавать и<br />
иностранцам. Просто должны быть ясные<br />
правила. Если вы не хотите пускать иностранцев<br />
в какую-то определенную отрасль,<br />
просто сделайте закрытый конкурс, в котором<br />
будут участвовать только русские. Но<br />
надо понимать, что и цена тогда упадёт…<br />
А если вы все-таки хотите совершить чудо<br />
в какой-нибудь отрасли, то путь один: нужно<br />
дать иностранцам возможность инвестировать.<br />
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