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06<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
Protocole à la<br />
convention fi scalerusso–chypriote<br />
: quelles<br />
conséquences ?<br />
La Russie <strong>et</strong> Chypre ont conclu à<br />
Nicosie le 7 octobre, durant la visite<br />
du président Medvedev, un Protocole<br />
modifi ant leur Convention de double<br />
imposition.<br />
C<strong>et</strong> accord revêt une importance<br />
particulière dans la mesure où les<br />
sociétés chypriotes constituent des<br />
véhicules traditionnels d’investissement<br />
en Russie.<br />
Les principales modifi cations<br />
apportées par le Protocole sont les<br />
suivantes :<br />
• Sous réserve de quelques exceptions<br />
(sociétés cotées…), les plus-values<br />
de cession de titres de sociétés à<br />
prépondérance immobilière (c’està-dire<br />
dont la valeur est constituée à<br />
au moins 50 % par des immeubles)<br />
seront imposables dans l’Etat de<br />
situation desdits immeubles ; c<strong>et</strong>te<br />
disposition entrera en vigueur la quatrième<br />
année suivant la ratifi cation de<br />
l’avenant ;<br />
• les autorités fi scales chypriotes<br />
ne pourront plus opposer le secr<strong>et</strong><br />
commercial ou bancaire pour refuser<br />
une demande d’assistance de leurs<br />
homologues russes ; c<strong>et</strong>te disposition<br />
entrera en vigueur lorsque Chypre<br />
aura adapté sa législation en ce sens ;<br />
• enfi n, une mesure anti-« tax treaty<br />
shopping » est également adoptée.<br />
En contrepartie, Chypre sera r<strong>et</strong>irée<br />
de la liste noire des paradis fi scaux<br />
en Russie <strong>et</strong> les sociétés mères<br />
chypriotes pourront dorénavant bénéfi<br />
cier de l’exonération des dividendes<br />
distribués par leurs fi liales russes au<br />
lieu d’une r<strong>et</strong>enue à la source actuellement<br />
de 5 % si l’investissement<br />
atteint désormais au moins 100 K€<br />
(100 K USD jusqu’à présent) ou de<br />
10 % si le seuil n’est pas atteint.<br />
Le Protocole entrera en vigueur à<br />
compter de sa ratifi cation par les<br />
deux Etats.<br />
En résumé, si ces nouvelles stipulations<br />
sont donc susceptibles d’atténuer<br />
à l’avenir l’intérêt de recourir à<br />
des structures chypriotes pour des<br />
investissements immobiliers en Russie,<br />
elles perm<strong>et</strong>tront, en revanche,<br />
d’améliorer prochainement la fl uidité<br />
des remontées de dividendes entre<br />
les groupes russes <strong>et</strong> leurs holdings<br />
basées à Chypre.<br />
Gayk Safaryan André Loup<br />
Senior Associate Senior Associate<br />
CMS, Russia CMS, Russia<br />
Acteur<br />
Texte : Simon Roblin<br />
Photo : Kommersant<br />
Le Courrier de Russie : Vous dites que les marchés<br />
ne sont pas effi caces en Russie. Pourquoi ne<br />
le sont-ils pas, <strong>et</strong> que manque-t-il aujourd'hui<br />
à la Russie pour que l’on puisse vraiment parler<br />
d’économie de marché ?<br />
Evgueniï Yassine : Il y a déjà une économie de<br />
marché en Russie. Simplement, le système institutionnel<br />
n’est pas <strong>encore</strong> établi assez solidement<br />
pour la faire fonctionner pleinement. Les<br />
problèmes de défense des droits de la propriété<br />
privée, de droit de la concurrence, de suprématie<br />
du droit, continuent à se poser.<br />
C’est une conséquence prévisible du fait que<br />
nous n’avons pas connu l’économie de marché<br />
pendant 70 ans. Jusqu’ici, les réformes entreprises<br />
ont j<strong>et</strong>é les bases, mais n’ont pas posé le<br />
cadre correspondant. Ce travail se poursuit, mais<br />
avec de grandes diffi cultés. C’est dû en particulier<br />
au fait qu’au cours des dix dernières années,<br />
l’intervention de l’Etat dans l’économie s’est fortement<br />
renforcée, au prétexte que le marché n’est<br />
pas assez effi cace par lui-même, que les entrepreneurs<br />
sont trop intéressés, pas assez responsables,<br />
<strong>et</strong> ainsi de suite.<br />
LCDR : Dans ce contexte d’ineffi cacité relative<br />
du marché, pensez-vous que le programme de<br />
privatisations annoncé c<strong>et</strong> été doit être entrepris<br />
dès 2011, conformément au vœu de ses<br />
promoteurs ?<br />
E. Y. : Je répondrais que si le marché n’est pas<br />
effi cace, c’est précisément parce que le secteur<br />
étatique y occupe une place trop importante. Les<br />
entreprises étatiques jouissent ouvertement de<br />
privilèges spécifi ques vis-à-vis des entreprises<br />
privées, justifi és par les tâches que l’Etat leur assigne.<br />
De plus, les organes étatiques <strong>et</strong> les fonctionnaires<br />
exercent une forte pression, soi-disant<br />
au nom de l’Etat, mais en réalité dans leur propre<br />
intérêt égoïste, sur le secteur privé.<br />
En bref, il n'y a pas de conditions équitables<br />
d’exercice entre le secteur étatique <strong>et</strong> le business<br />
privé. C’est un problème grave, car ce dernier<br />
est conduit à restreindre son horizon, limiter les<br />
risques pris, <strong>et</strong> n’investit pas autant qu’il le devrait.<br />
LCDR : Qu’en est-il du cadre institutionnel<br />
susceptible de garantir le bon déroulement du<br />
programme de privatisations prévu : est-il<br />
assez consolidé pour que les choses se fassent<br />
dans de bonnes conditions ?<br />
E. Y. : D’après ce que je comprends, le contenu<br />
du plan qui a été annoncé c<strong>et</strong> été, issu des eff orts<br />
du ministère du Développement économique, se<br />
présente comme une tentative de la part des libéraux<br />
au gouvernement de revenir au plan de création<br />
d’un système institutionnel adéquat à l’économie<br />
de marché initié dans les années 1990.<br />
LCDR : Mais quelles sont leur chances de réussite,<br />
<strong>et</strong> s’agit-il vraiment d’un r<strong>et</strong>our à l’inspiration<br />
libérale des années 1990 ?<br />
E. Y. : Les privatisations sont en permanence<br />
l’obj<strong>et</strong> d’une lutte politique intense. Le tournant<br />
eff ectué au début des années 2000 en faveur<br />
d’une plus grande immixtion de l’Etat a<br />
été motivé par le fait que dans les années 1990<br />
une grande partie de la propriété de l’Etat<br />
a été distribuée aux entrepreneurs appelés<br />
« oligarques ». La nouvelle équipe nommée par<br />
Poutine s’est eff orcée de changer la situation, <strong>et</strong><br />
de redistribuer la propriété au profi t du nouveau<br />
pouvoir en place en constituant de grandes entreprises<br />
d’Etat, car une partie des gens avaient<br />
été faits oligarques, mais pas eux. Mais dès 2002-<br />
2003, il est devenu clair que l’on était allé trop<br />
loin dans c<strong>et</strong>te direction. Et quand il est apparu<br />
dans la période récente que la crise avait épuisé<br />
les réserves fi nancières de l’Etat russe, il a été<br />
décidé de les reconstituer aux dépens des entreprises<br />
d’Etat, en les privatisant en partie.<br />
Mais en soi, la privatisation n’a de sens que<br />
si elle consiste en un transfert eff ectif du contrôle<br />
sur les actifs au profi t de propriétaires privés, <strong>et</strong> où<br />
ces actifs sont ouverts à tous les vents du marché.<br />
Si le contrôle sur le business reste dans les mains<br />
de l’Etat, il n'y a guère à attendre de r<strong>et</strong>ombées<br />
positives, autres que les fl ux fi nanciers apportés<br />
par des fous qui vont acquérir des paqu<strong>et</strong>s minoritaires.<br />
Je dis « fous », parce que ceux qui achèteront<br />
ne pourront pas exercer d’infl uence sur la<br />
politique de l’entreprise.<br />
En 1989, Evgueniï Yassine a participé à la conduite des<br />
travaux de la Commission d’Etat du Conseil des ministres<br />
d’URSS pour la réforme économique. Il est l’un des treize<br />
coauteurs du programme de transition à l’économie<br />
de marché connu sous le nom des « 500 jours ». Ce<br />
programme n’a pas été réalisé, mais a servi de base<br />
au premier programme de privatisation des entreprises<br />
étatiques.<br />
Evgueniï Yassine : « Les privatisations<br />
sont en permanence l’obj<strong>et</strong> d’une<br />
lutte intense »<br />
Directeur scientifi que du Haut collège d’économie (EHESE) depuis 1998, connu pour ses convictions<br />
libérales inébranlables, Evgueniï Yassine est l’un des économistes les plus écoutés de Russie.<br />
Appelé au poste de ministre de l’Economie en novembre 1994, en plein milieu du premier mandat<br />
de Boris Eltsine, il a été l’un des principaux artisans de la « transition à l’économie de<br />
marché ». C’est dire que peu de gens sont mieux placés que lui pour aborder la question des<br />
privatisations dans la Russie d’hier – <strong>et</strong> d’aujourd’hui.<br />
A l’heure où un nouveau chantier est à l’ordre du jour, qui prévoit la cession sur cinq ans de<br />
l’équivalent de 50 milliards d’euros d’actifs de grandes entreprises d’Etat telles que Transneft <strong>et</strong><br />
Rosneft, VTB <strong>et</strong> Sberbank, <strong>et</strong> d’autres <strong>encore</strong> dont la liste n’est pas défi nitivement arrêtée, il a bien<br />
voulu exposer son point de vue au Courrier de Russie.<br />
Je suis donc content de voir que l’idée de la<br />
privatisation en elle-même est remise en circulation,<br />
mais je ne vois jusqu’ici aucun pas réel dans<br />
c<strong>et</strong>te direction.<br />
LCDR : Aujourd'hui, concrètement, qui sont<br />
les fous qui vont ach<strong>et</strong>er des parts dans ces<br />
conditions, <strong>et</strong> y a-t-il des entreprises étrangères<br />
qui seront tentées de le faire ? Prenons le<br />
cas d’AvtoVAZ. Entre Renault, qui se contente<br />
de ses 25% à défaut de pouvoir accéder au<br />
paqu<strong>et</strong> de contrôle, <strong>et</strong> la corporation d’Etat<br />
Rostekhnologuii, qui a décidé d’augmenter sa<br />
part, qui passera à la faveur d’une émission<br />
de capital de 18,8% à 29% en 2011, puis à<br />
36,4% en 2012, la situation semble bloquée,<br />
les deux actionnaires n’ayant pas les mêmes<br />
objectifs. Est-ce que ce type de situation pourrait<br />
se généraliser ?<br />
E. Y. : Si je prends le cas concr<strong>et</strong> d’AvtoVAZ, le<br />
dispositif de la prime à la casse suit son cours<br />
[mis en place en Russie le 8 mars 2010, il perm<strong>et</strong><br />
de recevoir une somme d’argent forfaitaire de<br />
50000 roubles à valoir sur l’achat d’un véhicule<br />
neuf en échange de la restitution d’une voiture<br />
destinée à la casse, ndlr], mais il reste qu’Avto-<br />
VAZ est toujours dans l’impasse, <strong>et</strong> approche du<br />
dépôt de bilan. Dans ces conditions, les gens qui<br />
sont au gouvernement, à Rostekhnologuii, qui<br />
font du marchandage avec Renault en disant :<br />
« d’accord, on va vous donner 35% », à la place<br />
de Renault, je leur aurais dit non. Ils vont attendre,<br />
se rapprocher un peu plus du gouff re, <strong>et</strong><br />
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