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Dans les années 1980, la ministre du Développement<br />
économique Elvira Nabioullina a été l’élève de Evgueniï<br />
Yassine.<br />
Dans les années 1990, elle a travaillé sous sa direction<br />
à la RSPP (Union russe des industriels <strong>et</strong> des entrepreneurs)<br />
<strong>et</strong> au ministère de l'Economie.<br />
Elle est mariée à Iaroslav Kouzminov, recteur du Haut<br />
collège d'économie.<br />
dire : « bon, 45% ». Mais à la place de Renault,<br />
je dirais : « non, 55% <strong>et</strong> on n’en parle plus » [fi n<br />
octobre, Carlos Ghosn, le PDG de Renault, s’est<br />
déclaré prêt à rach<strong>et</strong>er les parts de Troïka Dialog,<br />
qui désire se dégager partiellement, par étapes,<br />
du capital d’AvtoVAZ dont elle détient <strong>encore</strong> un<br />
peu moins du quart, <strong>et</strong> début novembre Vladimir<br />
Poutine a proposé à Ghosn de faire monter la part<br />
de Renault jusqu’au paqu<strong>et</strong> de contrôle, ndlr].<br />
Il y a une espèce de marchandage en cours,<br />
mais il est clair que sans investisseurs étrangers,<br />
les Russes eux-mêmes ne pourront pas résoudre<br />
les problèmes posés. Mais ils ne veulent pas céder.<br />
Tant que le marché ne le leur aura pas fait<br />
pénétrer dans le cerveau, ils ne comprendront<br />
pas qu’ils n’y arriveront pas, qu’ils y perdent tout.<br />
Poutine doit se convaincre qu’ils ne peuvent rien<br />
faire sans le marché, <strong>et</strong> faire taire ses sentiments<br />
nationaux.<br />
Mais si j’étais à la place des Russes d’Avto-<br />
VAZ, je me demanderais : à qui vendre, à Renault,<br />
ou aux Coréens ? Les Français sont trop habitués<br />
à la bureaucratie, ils ressemblent aux Russes. Ils<br />
marchandent trop longtemps.<br />
LCDR : Quelles sont les entreprises qui vont<br />
fi nalement être privatisées en priorité, d’après<br />
vous ?<br />
E. Y. : Je dirais que si la privatisation a pour but<br />
de dégager un certain montant de ressources<br />
fi nancières pour réaliser des tâches pour lesquelles<br />
l’Etat n’a pas les fonds nécessaires, alors<br />
il faut commencer par les grosses entreprises<br />
pétrolières, Rosneft, Gazprom, puis continuer<br />
avec les grandes banques, Sberbank <strong>et</strong> VTB.<br />
Mais si l’on cherche à entamer le processus de<br />
modernisation de l’industrie, alors il faut vendre<br />
les entreprises de construction de machines-outils<br />
<strong>et</strong> le producteur de moteurs d’avion Permskie<br />
Motory, qui ont été l’obj<strong>et</strong> de tractations avec<br />
des investisseurs étrangers qui n’ont pas abouti,<br />
avec Siemens dans le premier cas en 2006 ou<br />
2007, United Technologies dans le second cas<br />
dans les années 1990.<br />
LCDR : Sait-on comment vont se dérouler les<br />
appels d’off re, y aura-t-il des garanties en matière<br />
de transparence des procédures, pour les<br />
investisseurs étrangers en tout cas ?<br />
E. Y. : Je pense que là où l’on va adm<strong>et</strong>tre des<br />
investisseurs étrangers, les questions informelles<br />
d’« économie de l’ombre » auront déjà<br />
été réglées en amont de la procédure, <strong>et</strong> sur ces<br />
bases-là, une fois les candidats présélectionnés,<br />
on pourra espérer une certaine transparence. Par<br />
ailleurs, si vous investissez dans un secteur quelconque<br />
qui n’attire pas beaucoup l’attention des<br />
dirigeants de l’Etat russe, hors du pétrole, du gaz,<br />
des métaux, vous pourrez travailler dans la transparence,<br />
dans les limites que l’on peut attendre<br />
dans un pays comme la Russie.<br />
LCDR : La situation actuelle est-elle vraiment<br />
diff érente de celle des années 1990, <strong>et</strong> les résultats<br />
de la redistribution des actifs peuvent-ils<br />
être mieux maîtrisés ? Quand Gaïdar a réalisé<br />
son programme, il a cru qu’il fallait commencer<br />
par créer une classe de propriétaires des<br />
moyens de production, <strong>et</strong> que la formation des<br />
institutions qui garantiraient la pérennité des<br />
Evgueniï Yassine<br />
Sur les causes de la crise<br />
mondiale :<br />
« Les explications données<br />
jusqu’ici, limitées aux aspects<br />
fi nanciers <strong>et</strong> au constat certes<br />
juste de l’insuffi sance de régulation,<br />
n’ont pas saisi les deux<br />
facteurs structurels fondamentaux<br />
: l’entrée de l’économie<br />
mondiale dans une nouvelle<br />
phase de son développement<br />
dans les sphères agricole<br />
<strong>et</strong> industrielle, qui répond à<br />
des lois auxquelles nous ne<br />
sommes pas <strong>encore</strong> habitués<br />
à nous confronter ; le changement<br />
structurel en profondeur<br />
de l’économie mondiale,<br />
avec la montée des pays dits<br />
émergents, la Chine <strong>et</strong> l’Inde,<br />
<strong>et</strong> le changement radical des<br />
rapports de force sur l’arène<br />
mondiale. »<br />
« Deux phénomènes ont joué<br />
un rôle déterminant dans le<br />
déclenchement de la crise<br />
fi nancière mondiale : la<br />
entreprises suivrait sous sa pression…<br />
E. Y. : Du temps de Gaïdar, la situation était<br />
autre qu’on ne le dit, <strong>et</strong> la logique de développement<br />
des événements également. Il fallait mener<br />
une privatisation dans un pays où il n'y avait<br />
jamais eu de capital privé. Le gouvernement<br />
comprenait parfaitement qu’il devait trouver un<br />
soutien avant tout du côté des entrepreneurs privés.<br />
Or le business, alors, c’était principalement<br />
les p<strong>et</strong>its marchés <strong>et</strong> les p<strong>et</strong>ites banques, montés<br />
par des gens qui la veille <strong>encore</strong> ne possédaient<br />
rien. C’est pourquoi la première étape de la privatisation<br />
a consisté à ém<strong>et</strong>tre des vouchers <strong>et</strong> à<br />
distribuer les actifs, ou aux collectifs de travail,<br />
ou aux citoyens qui détenaient ces vouchers. Ces<br />
vouchers étaient de l’argent généré spécialement<br />
pour que les gens puissent acquérir des parts de<br />
ces actifs étatiques sous forme de propriété privée.<br />
Si vous investissez dans un secteur quelconque qui n’attire<br />
pas beaucoup l’attention des dirigeants de l’Etat russe, hors<br />
du pétrole, du gaz, des métaux, vous pourrez travailler dans<br />
la transparence, dans les limites que l’on peut attendre dans<br />
un pays comme la Russie.<br />
Ensuite, le gouvernement a voulu vendre<br />
plus cher, car il fallait stabiliser la situation, combattre<br />
l’infl ation, <strong>et</strong> l’Etat avait besoin d’argent<br />
pour boucler le budg<strong>et</strong>. La seconde phase, c’était<br />
une privatisation fi nancière, qui n’aurait pu réussir<br />
que si l’on avait pu vendre les actifs à des<br />
étrangers. Mais on avait peur des étrangers, qui<br />
avaient les moyens de tout ach<strong>et</strong>er <strong>et</strong> de contrôler<br />
ainsi la politique économique russe. D’autant<br />
plus que les étrangers en question étaient<br />
plutôt douteux, des sociétés dont le siège était<br />
soi-disant à Londres mais dont les propriétaires<br />
n’étaient pas des gens recommandables. La si-<br />
surabondance d’argent bon<br />
marché <strong>et</strong> le manque de sens<br />
de la responsabilité fi nancière<br />
des grandes puissances<br />
économiques mondiales,<br />
Etats-Unis en tête ; le système<br />
de gestion des risques<br />
commerciaux, qui perm<strong>et</strong> aux<br />
producteurs de s’affranchir<br />
des risques liés aux prix des<br />
matières premières en ach<strong>et</strong>ant<br />
des contrats « futures »<br />
que leurs contreparties ne<br />
sont pas, en fi n de cycle, en<br />
mesure d’assumer.<br />
Les entrepreneurs, c’est une<br />
catégorie de gens qui exercent<br />
une activité impliquant<br />
des risques. Si vous voulez<br />
vous débarrassez complètement<br />
du risque, vous devez<br />
aussi renoncer à la possibilité<br />
de dégager des bénéfi ces. »<br />
Christian de Boissieu<br />
Sur les remèdes de sortie de<br />
crise :<br />
« Le G20 s’est contenté, depuis<br />
l’automne 2008, de traiter<br />
Acteur<br />
Texte : Simon Roblin<br />
Le Haut collège d’économie fait monter sa cote<br />
Avec le « colloque scientifi que franco-russe » qui s’est tenu les 28 <strong>et</strong> 29 octobre, le Haut<br />
collège d’économie (Vyschaïa Chkola Ekonomiki en russe) s’était fi xé un programme<br />
ambitieux tant par le nombre <strong>et</strong> la qualité des intervenants que par la diversité des<br />
thèmes abordés.<br />
Moment fort de c<strong>et</strong>te matinée, Evgueniï Yassine, directeur scientifi que de l’EHESE, <strong>et</strong><br />
Christian de Boissieu, professeur d’économie à l’université Paris I Panthéon Sorbonne <strong>et</strong><br />
président du Conseil d’analyse économique auprès du président français, ont présenté<br />
leur « rapport scientifi que », dont Le Courrier de Russie vous propose quelques extraits.<br />
les problèmes de régulation<br />
fi nancière <strong>et</strong> bancaire. La<br />
France, soutenue par la Russie,<br />
propose aujourd'hui de<br />
m<strong>et</strong>tre en débat autour de la<br />
table du G20 la question des<br />
déséquilibres internationaux,<br />
celle des taux de change<br />
<strong>et</strong> celle des monnaies de<br />
réserve, suj<strong>et</strong>s qui ont joué un<br />
rôle important dans la crise<br />
mondiale depuis 2007, mais<br />
n’ont pas été traités par le<br />
G20 depuis deux ans. »<br />
« Face à la crise, il fallait être<br />
keynésien ; en phase de sortie<br />
de crise, il faut faire du Schump<strong>et</strong>er<br />
: il ne s’agit plus de réguler<br />
la demande à court terme<br />
par des politiques de relance<br />
par le défi cit budgétaire, mais<br />
de stimuler la compétitivité<br />
des entreprises <strong>et</strong> de l’offre <strong>et</strong><br />
m<strong>et</strong>tre le paqu<strong>et</strong> sur l’innovation,<br />
la recherche <strong>et</strong> développement<br />
<strong>et</strong> la compétitivité de<br />
nos systèmes d’enseignement<br />
<strong>et</strong> de recherche. » ڤ<br />
tuation était très dangereuse. C’est pourquoi le<br />
gouvernement s’est dit : mieux vaut vendre bon<br />
marché, mais aux nôtres. En outre, il y avait des<br />
conséquences politiques : les Russes sont très<br />
sensibles sur la question de savoir à qui on vend,<br />
<strong>et</strong> ils étaient contents de voir que l’on vendait à<br />
des nationaux.<br />
M<strong>et</strong>tez-vous à la place de Tchernomyrdine<br />
ou de Tchoubaïs, qui devaient résoudre ces problèmes,<br />
<strong>et</strong> trouver 1,5 milliards de dollars pour<br />
équilibrer le budg<strong>et</strong>. Ils ont fi nalement récolté<br />
07<br />
Le Courrier de Russie<br />
Du 12 au 26 novembre 2010<br />
www.lecourrierderussie.ru<br />
un milliard en vendant à Khodorkovskiï, Potanine,<br />
Berezovskiï <strong>et</strong> consorts, c’est-à-dire aux<br />
« nôtres ».<br />
LCDR : Et aujourd'hui, alors ?<br />
E. Y. : Aujourd'hui la situation est très diff érente.<br />
La moitié des actifs est <strong>encore</strong> dans les mains de<br />
l’Etat. Parmi les gens qui ont reçu des actifs autrefois,<br />
une bonne partie sont des gestionnaires<br />
effi caces. Qui peut dire que Potanine gère mal<br />
Norilsk Nickel ? Khodorkovskiï a managé Ioukos<br />
très effi cacement. Schwindler, le représentant<br />
d’Abramovitch à la tête de Sibneft, a été un excellent<br />
manager. Mais ces entreprises ont justement<br />
été nationalisées, ou peut-être faut-il parler d’expropriation.<br />
Appeler « nationalisation » ce qui<br />
s’est passé avec Ioukos, je n’oserais pas, parce<br />
qu’ils l’ont tout simplement récupérée. Juger une<br />
seconde fois Khodorkovskiï pour le vol qu’il aurait<br />
commis, c’est une honte.<br />
Il y a assez de bons chefs d’entreprise en Russie.<br />
Le problème, c’est que, quand ils se m<strong>et</strong>tent<br />
à gagner beaucoup d’argent, les fonctionnaires<br />
cherchent à tout accaparer. L’exemple suivant,<br />
après Khodorkovskiï, c’est celui de Tchitchvarkin :<br />
ce n’est pas du pétrole, juste des téléphones, mais<br />
il y avait beaucoup d’argent en jeu. Oui, peut-être<br />
qu’il a entrepris quelque chose de contraire à la<br />
loi, après qu’on lui a saisi un lot de téléphones<br />
importés à la douane <strong>et</strong> que l’on s’est mis à les<br />
vendre…<br />
Comment privatiser, à qui vendre dans ces<br />
conditions ? Je dirais : si les hommes d’aff aires<br />
russes ont de l’argent, on peut leur vendre, mais<br />
aujourd'hui il est possible de vendre aussi à des<br />
étrangers. Si vous ne voulez pas donner accès aux<br />
étrangers à un secteur ou une entreprise donnés,<br />
le concours ne sera ouvert qu’aux Russes, <strong>et</strong> le<br />
prix de vente chutera. Mais en tout cas il faudra<br />
des règles claires. Si vous voulez accomplir un<br />
miracle dans un domaine quelconque, alors il faut<br />
laisser entrer des étrangers. Aujourd'hui, je pense<br />
que l’on peut ouvrir les privatisations <strong>et</strong> aux uns <strong>et</strong><br />
aux autres. Cela dit, ce sont les étrangers qui sont<br />
dans la position la plus confortable. Les Russes<br />
ont de l’argent frais, mais ils ont exporté beaucoup<br />
de capitaux à l’étranger, qu’ils ne vont pas<br />
rapatrier, car ils ne font pas confi ance au pouvoir<br />
actuel. ڤ