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Marianne : Le Vrai Sarkozy - Free

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Dominique D’HENRI, 50 ans<br />

Service encaiSSement,<br />

32 anS de Samaritaine<br />

« Un CaP aujourd’hui,<br />

ça ne vaut plus rien »<br />

ala fin de son CAP de comptabilité, sa boulangère lui<br />

apprend que la Samaritaine embauche. Nous sommes<br />

en 1974, elle a 18 ans et commence sa carrière au contrôle.<br />

« Nous étions 200 alignées sur des petits bureaux de bois. »<br />

Relever les rouleaux de caisse, calculer la TVA, avant de<br />

les archiver dans des placards pour des années. Elle sera<br />

la dernière dans ce service, fermé en 2004. Pendant toutes<br />

ces années, elle n’a eu droit qu’à un seul stage, « pour<br />

le passage à l’euro ». Pourtant, Dominique n’a jamais<br />

voulu quitter le magasin. La fermeture ne lui laisse plus le<br />

choix. Depuis un an et demi, elle cherche du travail dans la<br />

comptabilité. Et ne trouve pas. « Toute l’expérience acquise<br />

pendant des années, ils n’en tiennent pas compte, c’est dur. »<br />

Elle se souvient du temps où lorsqu’on frappait aux portes<br />

des entreprises on pouvait commencer un boulot dès<br />

le lendemain. « Maintenant, faut faire des CV, des lettres<br />

de motivation, enchaîner les entretiens », lâche-t-elle,<br />

lassée. Depuis la fermeture, elle n’en a passé qu’un,<br />

chez Franck & Fils, une enseigne du groupe LVMH. Elle n’a<br />

pas été retenue. « Ils voulaient du bac + 2, un bon niveau<br />

en informatique et en anglais. Surtout, ils ne voulaient pas<br />

de moi ; un CAP aujourd’hui, ça ne vaut plus rien, je n’étais<br />

pas opérationnelle tout de suite. Mais comment on va s’en<br />

sortir si on ne nous forme pas, si personne ne nous laisse un<br />

peu de temps pour nous adapter à un nouveau poste ? ».<br />

60 <strong>Marianne</strong> / 14 au 20 avril 2007<br />

M a g a z i n e<br />

Service encaiSSement,<br />

22 anS de Samaritaine<br />

« D’abord, ils ont viré notre<br />

clientèle populaire »<br />

elle a toujours connu la<br />

Samaritaine, où sa mère a<br />

passé trente-deux ans comme<br />

vendeuse au rayon salle de<br />

bains. Enfant, elle venait au<br />

spectacle de Noël. A 18 ans,<br />

CAP de dactylo en poche, elle<br />

fait un remplacement d’été<br />

à la caisse. Quelques mois<br />

après, Sylvie est titularisée<br />

au service encaissement. Son<br />

travail alterne entre la caisse,<br />

le service clientèle coffre et la<br />

comptabilité. « On apprenait<br />

chaque matin notre affectation<br />

pour la journée. »<br />

Pour rien au monde elle<br />

n’aurait quitté le grand<br />

magasin. « Je ne gagnais que<br />

1 026 € net par mois, mais<br />

qu’est-ce que je rigolais ! »<br />

Un peu moins pendant les<br />

années LVMH. « D’abord, ils<br />

ont viré notre clientèle populaire.<br />

» Ils ont aussi changé<br />

l’âme de leur magasin. Et<br />

même les noms. « <strong>Le</strong>s caissières<br />

sont devenues le “front<br />

office” ; les bureaux, le “back<br />

office” ; le personnel, c’était<br />

le “staff”. » LVMH impose un<br />

nouveau logo et un nouveau<br />

Sylvie MARTINEZ, 40 ans<br />

slogan – « Magasin évolutif<br />

». « Moi, j’ai tout de suite<br />

dit : “Vous allez voir, nous<br />

allons évoluer dans nos maisons.”<br />

C’était une boutade,<br />

mais ça n’a pas loupé. » La<br />

fermeture du magasin, elle<br />

ne leur pardonne toujours<br />

pas. Alors elle a préféré couper<br />

les ponts. « Pourquoi se<br />

battre pour être reclassé dans<br />

un groupe qui ne voulait<br />

plus de nous ? » Elle a donc<br />

pris ses 23 000 € et préfère<br />

chercher du travail par ses<br />

propres moyens.<br />

Elle s’est inscrite dans des<br />

agences d’intérim. « Je ne<br />

suis pas encore complètement<br />

au point pour me vendre,<br />

mais je progresse. » Elle<br />

a passé cinq entretiens et a<br />

travaillé un mois dans un<br />

cabinet d’expert-comptable.<br />

Elle a refusé deux propositions<br />

fermes, car elle<br />

aurait dû faire trois heures<br />

de transport par jour. Elle<br />

n’a pas encore trouvé de<br />

travail, mais elle garde le<br />

sourire. Surtout, elle ne<br />

regrette pas son choix.<br />

Yvon THUILLIER, 57 ans<br />

Service encaiSSement, 40 anS de Samaritaine<br />

« J’ai rêvé d’évolution<br />

de carrière,<br />

de marches à gravir »<br />

enfant, il venait souvent à la Samaritaine avec ses parents<br />

pour acheter des poussins et les élever dans leur petit<br />

jardin de Palaiseau. « On n’était pas très bons. Une année,<br />

on n’a pris que des coqs. » C’est donc tout naturellement,<br />

à la fin de son CAP d’aide comptable, qu’il se présente<br />

au service du personnel, sans rendez-vous. Deux jours<br />

plus tard, Yvon commence au « service des décomptes ».<br />

Il a 18 ans, et un bon salaire pour l’époque – « plus que<br />

dans la fonction publique ». <strong>Le</strong> montant sur son dernier<br />

bulletin de paie est de 1 050 € net. « Aujourd’hui, vaut<br />

mieux être dans la fonction publique », conclut-il.<br />

A partir de 1985, son service est restructuré, le boulot<br />

se fait rare. « En 1993, il n’y avait même plus rien à faire. »<br />

On lui donne des factures à agrafer, « un coup en haut,<br />

un coup en bas ». Il range des rouleaux de caisse dans<br />

des cartons. Pendant dix ans. Mais il ne quitte pas le navire.<br />

« J’avais 40 ans, je voyais le chômage dehors. » En 2002,<br />

muté au service encaissement, il reprend goût au travail.<br />

Mais, aujourd’hui, Yvon pense qu’il a fait une erreur<br />

en restant aussi longtemps. « Je suis entré en rêvant<br />

d’une évolution de carrière, de marches à gravir. »<br />

Pas assez formé, dépassé par une nouvelle génération<br />

plus diplômée, il s’est « senti prisonnier ».<br />

Il n’aime pas parler de la fermeture, « ça [l]’angoisse<br />

encore ». Lui s’est retrouvé en préretraite, mais<br />

beaucoup de ses collègues cherchent encore un travail.<br />

« Mais qu’est-ce qu’ils vont devenir ? » Il sera serein quand<br />

les derniers « samaritains » seront reclassés. Ce jour-là,<br />

il s’occupera enfin de sa maison de 80 m2 , celle où il vit<br />

depuis qu’il a 10 ans. « J’ai tellement de bazar à ranger. ».<br />

14 au 20 avril 2007 / <strong>Marianne</strong> 61<br />

vendeuSe et caiSSière,<br />

38 anS de Samaritaine<br />

« On se sentait utiles,<br />

on faisait partie d’une<br />

grande famille »<br />

Diplômée d’un CAP de<br />

vendeuse étalagiste en<br />

chaussures, elle a 17 ans<br />

quand son père l’accompagne<br />

rue de Rivoli chercher<br />

un emploi dans les grands<br />

magasins. Elle est prise à la<br />

Samaritaine, rayon confection.<br />

« J’étais grande, c’était<br />

plus pratique pour habiller<br />

les mannequins. » La tenue<br />

des salariés doit être stricte.<br />

<strong>Le</strong>s hommes portent la cravate,<br />

les manches courtes et<br />

les pantalons sont interdits<br />

pour les femmes. On s’habille<br />

en noir, bleu marine<br />

ou marron. <strong>Le</strong> grand patron<br />

d’alors, « M. Renand père »,<br />

vient tous les samedis et<br />

n’oublie pas de serrer la<br />

main aux vendeuses. « On<br />

avait l’impression d’être<br />

connue, on se sentait utile,<br />

on faisait partie d’une grande<br />

famille. » Quand LVMH<br />

arrive, tout s’inverse. <strong>Le</strong><br />

« grand patron », Nicole ne<br />

l’a jamais vu, « sauf dans les<br />

médias ». Par contre, « les<br />

Nicole CHAMPION, 56 ans<br />

robes pouvaient être courtes,<br />

les bras nus. Il faut que<br />

les vendeurs soient branchés<br />

pour une clientèle branchée ».<br />

<strong>Le</strong> magasin est « relooké ».<br />

<strong>Le</strong>s murs : « repeints en fuchsia,<br />

pour la clientèle bo-bo<br />

du Marais ». <strong>Le</strong>s vendeuses<br />

: « On avait des réunions<br />

de relooking deux fois par<br />

an. » Mais la clientèle visée<br />

ne vient pas. Des fidèles<br />

passent quand même. « Ils<br />

nous demandaient : “Mais<br />

pourquoi on ne trouve plus<br />

rien ? Pourquoi il y a du<br />

fuchsia partout ?” » A la fermeture,<br />

elle s’est retrouvée<br />

en préretraite, « une chance,<br />

vu le marché du travail ». <strong>Le</strong><br />

contrecoup, elle l’a reçu avec<br />

sa lettre officielle lui annonçant<br />

qu’elle ne faisait plus<br />

partie de la Samaritaine et<br />

qu’un assureur allait la payer<br />

jusqu’à ses 60 ans. « Pas de<br />

remerciements, pas de pot de<br />

départ. En deux lignes, tout<br />

était fini, trente-huit ans de<br />

Samaritaine balayés. ».<br />

M a g a z i n e

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