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c u l t u r e<br />
Michel Onfray<br />
pour les nuls<br />
Portrait d’un ancien prof de lycée devenu un auteur prolifique<br />
de best-sellers philosophiques et le créateur d’universités<br />
du savoir et du goût qui rencontrent un énorme succès.<br />
Apeine débarqué d’un train<br />
Corail Intercités, Michel<br />
Onfray a été incarcéré<br />
dans un fauteuil club de<br />
l’hôtel des Saints-Pères<br />
par son attachée de presse,<br />
Elodie Deglaire, énergique<br />
sauterelle qui conduit ses opérations<br />
de public relation comme un raid sur<br />
Bagdad. Elle propose toutefois à Michel<br />
Onfray une légère collation en vol, qu’il<br />
décline, raide et vêtu de noir comme un<br />
pasteur anglican. Normal, la philo, ça<br />
nourrit son prof. La veille, il a donné sa<br />
conférence à l’Université populaire, dite<br />
« Lupé » dans le langage de la secte des<br />
onfrayés. Thème : « Fourier<br />
l’excentrique ». « Une performance<br />
physique », dit-il.<br />
Surtout qu’en sortant il a<br />
découvert que deux pneus<br />
de son auto avaient été lacérés,<br />
ce qu’il a pris la peine de<br />
relater sur son blog sous le<br />
titre énervé « Crado, facho,<br />
auto ». Parce qu’en plus des<br />
cinq livres qu’il écrit par an,<br />
de sa chronique mensuelle<br />
sur son site, de ses cours,<br />
Onfray tient un blog pendant<br />
la campagne électorale. Du coup,<br />
il n’a pas eu le temps de déjeuner.<br />
La maison d’édition a prévenu : « <strong>Le</strong><br />
mec est colossal : c’est une machine à<br />
paroles. » A peine appuyé sur « play », il<br />
démarre, volubile, bouche mignonne de<br />
poupée, mains sur les genoux. Sans un<br />
En plus<br />
de ses livres,<br />
de sa chronique<br />
mensuelle et de<br />
ses cours, il tient<br />
un blog pendant<br />
la campagne<br />
présidentielle.<br />
Par Marie-doMinique lelièvre<br />
regard à montures Mikli pour l’assiette<br />
de biscuits qu’un serveur a apportée.<br />
l’imprésario parisien<br />
« Sa fécondité est incroyable, j’ai trois ou<br />
quatre livres d’avance », dit Jean-Paul<br />
Enthoven, son imprésario, pardon éditeur<br />
chez Grasset, qui ne parvient pas à résorber<br />
cette inflation, ce qui oblige Onfray<br />
à écouler le surplus dans des maisons<br />
adverses. Onfray est convaincu qu’il ne<br />
vivra pas longtemps, d’où sa productivité.<br />
Il a eu un infarctus à 28 ans – il ne boit pas<br />
d’alcool et ne fume pas – et a commencé<br />
à écrire pour célébrer sa résurrection.<br />
Enthoven a publié son premier livre en<br />
1989, alors que Michel Onfray<br />
avait 30 ans. <strong>Le</strong> récit de leur<br />
rencontre est aussi enluminé<br />
qu’une légende. « <strong>Le</strong> manuscrit<br />
était arrivé par la poste. Un<br />
éditeur fait rarement bien son<br />
travail, mais c’était un 15 août,<br />
je rentrais de vacances plein de<br />
bonnes résolutions, décidé à<br />
tout lire. C’est tombé sur lui…<br />
Je lui ai téléphoné pour qu’on<br />
se rencontre, il m’a dit qu’il ne<br />
venait jamais à Paris. J’ai proposé<br />
de lui envoyer un contrat<br />
par fax. Un fax, il ne savait même pas ce<br />
que c’était. Il habitait Argentan… Pour moi,<br />
c’était l’Afrique », dit Jean-Paul Enthoven,<br />
qui ressemble un peu à Keith Richards.<br />
L’Orne, c’est la Normandie ouvrière et<br />
rurale, pas celle des hôtels Barrière et<br />
des casinos. Ami de Bernard-Henri Lévy,<br />
72 <strong>Marianne</strong> / 14 au 20 avril 2007<br />
Jean-Paul Enthoven dit d’Onfray qu’il est<br />
l’homme qui lui ressemble le moins. « Sa<br />
vision, ses opinions politiques, tout cela est<br />
loin de moi. » Avec deux marques, Grasset<br />
couvre le marché : le BHL pour la jet-set<br />
tendance Malraux-Diane de Furstenberg ;<br />
le Michel Onfray, pour les gens modestes<br />
tendance Sartre-Besancenot. <strong>Le</strong> joli playboy<br />
du Flore chaussé chez Loeb, le joli<br />
ermite révolté de l’Orne chaussé par Doc<br />
Martens. Qui invite à voter pour l’antilibéral<br />
et altermondialiste José Bové, tout<br />
en étant favorable aux biotechnologies<br />
contemporaines, au nucléaire, aux OGM.<br />
(Pour toute explication supplémentaire,<br />
lui envoyer un mail.)<br />
la machine à paroles<br />
« J’ai commencé à enseigner à 21 ans, en<br />
remplaçant un prof absent quatre mois<br />
au pied levé. Je n’étais pas préparé. <strong>Le</strong> prof<br />
principal a ouvert la porte, m’a présenté<br />
aux élèves. “C’est votre nouveau professeur,<br />
M. Onfray.” Une des élèves était plus<br />
âgée que moi. <strong>Le</strong> principal a refermé la<br />
porte. C’était parti et, depuis, ça ne s’est<br />
jamais arrêté. »<br />
Entre les sourcils, la ride du lion est<br />
creusée profond dans la chair. Pas de<br />
vacances, pas de week-ends : Michel<br />
Onfray bosse. Trente-cinq livres en dixhuit<br />
ans, plusieurs best-sellers. D’ailleurs,<br />
à Argentan, où il habite toujours (il y est<br />
né il y a quarante-huit ans), il n’y a pas<br />
grand-chose d’autre à faire. Sauf la cuisine,<br />
qu’il prépare lui-même. Il a été l’élève, à<br />
l’université de Caen, d’un pédagogue <br />
hannah<br />
Michel Onfray sur le quai<br />
de la gare d’Argentan,<br />
la ville où il est né<br />
et où il vit toujours.<br />
c u l t u r e