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La rue Saint-Pierre,<br />
à Monflanquin.<br />
s a v o i r v i v r e<br />
Quand le bâtiment va, tout<br />
va ! » Ce vieil adage a forcément<br />
été inventé pour le<br />
Moyen Age. Qu’on en juge :<br />
entre le XI<br />
<strong>Le</strong>s bastides<br />
82 <strong>Marianne</strong> / 14 au 20 avril 2007 14 au 20 avril 2007 / <strong>Marianne</strong> 83<br />
e et le XIVe siècle,<br />
les compagnons du Devoir<br />
passant ont transporté,<br />
transformé et utilisé plus de pierres, en<br />
France, pour édifier les bastides que les<br />
maîtres bâtisseurs de l’Egypte ancienne<br />
pour les pyramides et les temples… en<br />
plus de mille ans. Ces formidables travaux<br />
ne donnent pourtant pas d’urticaire<br />
– ni, hélas, d’idées – au personnel<br />
politique contemporain, qui ne cherche<br />
malheureusement pas à s’inspirer du<br />
fantastique élan économique qu’a généré<br />
cette boulimie bâtisseuse.<br />
Pour le seul Sud-Ouest, ce sont près<br />
de 400 bastides qui ont égayé le paysage<br />
de leurs blanches pierres. Là où il n’y<br />
avait rien, il y eut soudain la vie, le travail,<br />
la paix, l’expansion démographique et<br />
commerciale, le perfectionnement et,<br />
parfois, la naissance de métiers pratiqués<br />
plus ou moins empiriquement au<br />
préalable. Tous les artisanats s’y développèrent.<br />
La gastronomie prit aussi de<br />
l’originalité en ces lieux de confort où<br />
les temps n’étaient pas aussi belliqueux<br />
que les livres d’histoire l’ont raconté.<br />
Chaque bastide tentait avec plus ou<br />
<strong>Le</strong> printemps des pierres<br />
moins de succès de créer un produit de<br />
bouche original. Il lui était propre et elle<br />
était la seule à le proposer et à en faire<br />
un symbole identitaire : les croquants<br />
(biscuits) de Cordes-sur-Ciel sont un<br />
exemple. C’est aussi le cas pour la gesse,<br />
récoltée dans les cazals et les arpents de<br />
Villeneuve-sur-Lot. Aujourd’hui, ce pois<br />
carré quasi inconnu permet de réaliser<br />
des veloutés d’exception et des purées<br />
de rêve. Certaines de ces spécialités se<br />
sont perdues, mais quelques-unes ont<br />
survécu : l’estoufat de bœuf de Monflanquin,<br />
que l’on appelle aussi « daube de la<br />
Dans le Sud-Ouest, près Saint-André », fait partie de ces recettes<br />
en voie de disparition que quelques ini-<br />
de 400 bastides ont égayé tiés et quelques mamés de plus en plus<br />
le paysage. Là où il n’y avait rares se refilent sous le manteau, comme<br />
rien, il y eut soudain<br />
on délivre un secret millénaire.<br />
Mieux encore : les bastides furent le<br />
la vie, le travail, la paix… lieu d’invention d’une forme de démocratie<br />
que certains, plus tard, tentèrent<br />
jean-sébastien canaux / office de tourisme de monflanquin<br />
Ces cités fortifiées naquirent<br />
au Moyen Age. On y vivait bien<br />
alors, et l’on continue aujourd’hui<br />
d’en apprécier les mille attraits,<br />
esthétiques ou gastronomiques.<br />
Par Michel Gardère<br />
de faire disparaître. Chaque ville neuve<br />
était administrée par une jurade, qui<br />
est une assemblée de 12 jurats choisis<br />
par la population. <strong>Le</strong> conseil municipal<br />
moderne, en somme.<br />
villes nouvelles, villes ouvertes<br />
<strong>Le</strong>s bastides sont nées d’une double<br />
nécessité : fixer les populations plus ou<br />
moins errantes en quête de liberté et de<br />
sécurité et répondre à l’important essor<br />
démographique dû à l’amélioration du<br />
climat et des récoltes.<br />
Dans le Sud-Ouest, la croisade contre<br />
les Albigeois a jeté dans les campagnes<br />
de pauvres hères. N’ayant plus ni feu ni<br />
lieu, ils se livrent au brigandage. Bâtir<br />
une ville nouvelle les fixe et les occupe.<br />
Rois et Eglise profitèrent donc à la fois<br />
d’un développement des populations et<br />
d’une recherche de « libertas ». Ajoutons<br />
à cela deux éléments indissociables : les<br />
différents « pouvoirs » cherchent, chacun,<br />
à se renforcer et à développer leur<br />
emprise sur les peuplades errantes ; les<br />
dissensions franco-anglaises (guerre de<br />
Cent Ans) créèrent une forme de jalousie<br />
bâtisseuse. Quand les Français élevaient<br />
une bastide, les Anglais en dressaient<br />
une autre à quelques lieues. Il en résulta<br />
trois séries de bastides. Celles de Raymond<br />
VII, comte de Toulouse et cathare.<br />
Il recherche des positions stratégiques<br />
naturellement défensives pour y installer<br />
ses hérétiques dans des villes ouvertes,<br />
des villes neuves : les bastides. Alphonse<br />
de Poitiers, qui succède au comte de<br />
Toulouse, sera le véritable promoteur<br />
de l’essor des bastides. A sa mort, son<br />
successeur, Eustache de Beaumarchais,<br />
poursuit l’œuvre bâtisseuse. Mais il y a<br />
aussi la lutte franco-anglaise. Ainsi, outre<br />
leur vocation économique, les bastides<br />
vont acquérir à cause de cette guerre<br />
(guéguerre, en vérité) une dimension<br />
militaire le long de la frontière (fluctuante,<br />
entre la Garonne et le Dropt)<br />
qui sépare Capétiens et Plantagenêts,<br />
Guyenne et Gascogne. Ce sera à celui<br />
qui édifiera la plus belle, la plus forte, la<br />
plus riche ! Enfin, ici ou là, pour montrer<br />
leur puissance, seigneurs, abbayes et<br />
monastères construisirent aussi leurs<br />
villes neuves. Il ne leur en coûtait que <br />
s a v o i r v i v r e