ACTES <strong>SFAP</strong>.qxd 09/01/03 17:36 Page 10 En effet, bien que je me sois autorisée à bouscu<strong>le</strong>r l'image et <strong>la</strong> symbolique <strong>de</strong> <strong>la</strong> pluridisciplinarité, il n'en reste pas moins qu'el<strong>le</strong> représente pour moi <strong>la</strong> condition sine qua none pour accompagner <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et <strong>la</strong> loyauté d'une équipe que j'ai pu tenir si longtemps en soins palliatifs. Néanmoins, <strong>le</strong> regard que porte <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> sur nous ne restera t'il pas <strong>le</strong> fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> notre évolution, <strong>le</strong> moteur <strong>de</strong> notre progression d'équipe ? Sommes-nous prêts à entrer dans cet autre partenariat ? Sommes-nous prêts à lui <strong>la</strong>isser jouer ce rô<strong>le</strong> et nous gui<strong>de</strong>r lorsque l'on se <strong>la</strong>isserait volontiers aveug<strong>le</strong>r par nos certitu<strong>de</strong>s ou bien encore lorsque l'espace <strong>du</strong> soin se fait plus obscur…? Alors, lorsque <strong>le</strong> doute nous envahit, que l'impuissance nous gagne, sommes-nous capab<strong>le</strong>s <strong>de</strong> nous entendre dire : " j'aimerais tel<strong>le</strong>ment être aidante pour vous mais je ne sais pas comment je peux l'être. Ai<strong>de</strong>z-moi à vous ai<strong>de</strong>r.... " 16
ACTES <strong>SFAP</strong>.qxd 09/01/03 17:36 Page 11 LE MALADE, SA FAMILLE ET LES SOIGNANTS EN UNITE DE SOINS PALLIATIFS. ETUDE PSYCHOPATHOLOGIQUE, PHILOSOPHIQUE ET ETHIQUE DE LEUR RELATION. REFLEXION SUR LA RELATION SOIGNANTS - FAMILLES DES MALADES. Par <strong>le</strong> Docteur Marie - Sylvie Richard Thèse d'éthique médica<strong>le</strong>. Université R Descartes, Paris - Mars 2001 Cette thèse est <strong>le</strong> résultat <strong>de</strong> quatre années <strong>de</strong> travail, <strong>de</strong> 25 ans <strong>de</strong> pratique clinique dont 15 en soins palliatifs à <strong>la</strong> Maison Médica<strong>le</strong> Jeanne Garnier et en équipe mobi<strong>le</strong> dans différents hôpitaux, et d'une recherche dans <strong>le</strong> domaine <strong>de</strong> <strong>la</strong> psychanalyse, <strong>du</strong>rant toutes ces années. L'éthique <strong>du</strong> dialogue en est l'axe principal. I. Ma pratique m'a fait poser cette question : Pourquoi <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion entre <strong>le</strong>s soignants et <strong>le</strong>s proches <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s est-el<strong>le</strong> si diffici<strong>le</strong> ? Plusieurs enquêtes ont montré que <strong>le</strong>s difficultés <strong>de</strong> cette re<strong>la</strong>tion étaient pour <strong>le</strong>s soignants un important facteur <strong>de</strong> stress. En unité <strong>de</strong> soins palliatifs, dont <strong>la</strong> mission comporte l'accueil et <strong>le</strong> soutien <strong>de</strong>s proches <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, <strong>le</strong>s re<strong>la</strong>tions avec <strong>le</strong>s proches y sont aussi parfois très éprouvantes pour <strong>le</strong>s soignants. L'amélioration <strong>de</strong>s conditions matériel<strong>le</strong>s <strong>de</strong> l'hospitalisation et <strong>la</strong> motivation <strong>de</strong>s soignants ne suffisent pas donc pas à résoudre cette difficulté re<strong>la</strong>tionnel<strong>le</strong>. D'où l'urgence <strong>de</strong> l'analyser pour tenter d'y remédier. C'est l'objectif <strong>de</strong> ma recherche. Je me suis engagée dans une recherche-action, que j'ai décrite dans <strong>la</strong> première partie J'ai focalisé ma recherche sur <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s. Mon étu<strong>de</strong> est qualitative. L'échantillon, construit <strong>de</strong> façon empirique, comporte 38 famil<strong>le</strong>s. Les entretiens avec <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s sont mes entretiens habituels dans <strong>le</strong> cadre <strong>de</strong> mon activité clinique. Je me suis astreinte toutefois à respecter un cadre et à poser une question, <strong>la</strong> consigne : "Qu'est-ce qui est <strong>le</strong> plus diffici<strong>le</strong> pour vous ?" Ce<strong>la</strong> souligne <strong>la</strong> particu<strong>la</strong>rité <strong>du</strong> milieu étudié : une unité <strong>de</strong> soins palliatifs, où sont accueillis <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s en phase avancée ou termina<strong>le</strong> d'une ma<strong>la</strong>die grave irréversib<strong>le</strong> et évolutive. L analyse thématique <strong>de</strong>s entretiens avec <strong>le</strong>s 38 famil<strong>le</strong>s a mis en évi<strong>de</strong>nce ce qui était <strong>le</strong> plus diffici<strong>le</strong> pour <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s, mais éga<strong>le</strong>ment pour <strong>le</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s et <strong>le</strong>s soignants. El<strong>le</strong> met très fortement en évi<strong>de</strong>nce l'interaction <strong>de</strong> <strong>la</strong> souffrance <strong>de</strong>s trois partenaires <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s, famil<strong>le</strong>s, soignants. Au terme <strong>de</strong> l'enquête ma problématique a évolué et se formu<strong>la</strong>it ainsi : <strong>le</strong>s difficultés re<strong>la</strong>tionnel<strong>le</strong>s avec <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s s'expliquent par l'intensité <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur souffrance. En effet si <strong>la</strong> ma<strong>la</strong>die grave agresse <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et bou<strong>le</strong>verse sa vie, el<strong>le</strong> perturbe aussi l'équilibre familial jusqu'à provoquer parfois une situation <strong>de</strong> crise. De ce fait il est indispensab<strong>le</strong> que <strong>le</strong>s soignants établissent une re<strong>la</strong>tion avec <strong>la</strong> famil<strong>le</strong>. En cherchant à déce<strong>le</strong>r <strong>la</strong> souffrance <strong>de</strong> <strong>la</strong> famil<strong>le</strong>, interdépendante <strong>de</strong> cel<strong>le</strong> <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>le</strong>ur, <strong>le</strong>s soignants trouveront, comment abor<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s conflits qui <strong>le</strong>s opposent à el<strong>le</strong>. Tenant davantage compte <strong>de</strong> l'interdépendance <strong>de</strong>s trois partenaires, mon champ <strong>de</strong> recherche s'est é<strong>la</strong>rgi. J'ai souhaité mieux comprendre <strong>la</strong> souffrance <strong>de</strong> tous et <strong>le</strong>ur quête <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tion dans <strong>la</strong> <strong>de</strong>uxième partie qui est à <strong>la</strong> fois <strong>de</strong>scriptive et théorique : a) La souffrance est pour une part spécifique à chacun et pour une autre commune à tous. Chacun <strong>de</strong>s partenaires souffre <strong>de</strong> façon particulière ; j'ai retenu parmi d'autres sources <strong>de</strong> souffrance : - La dépendance et l'inquiétu<strong>de</strong> <strong>du</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> qui, à l'approche <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, reconnue ou niée, s'engage dans un travail psychologique et spirituel - La culpabilité <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s, et <strong>le</strong>ur travail <strong>de</strong> séparation à l'égard <strong>de</strong> <strong>le</strong>ur proche, tout en étant <strong>de</strong> plus en plus investie auprès <strong>de</strong> lui <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> sa dépendance. - L'impuissance <strong>de</strong>s soignants et <strong>le</strong>ur confrontation à l'agressivité <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s parfois et plus souvent à cel<strong>le</strong> <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s qui remettent en cause <strong>le</strong>urs décisions, <strong>le</strong>urs soins et même <strong>le</strong>ur i<strong>de</strong>ntité professionnel<strong>le</strong>. * Les entretiens révè<strong>le</strong>nt éga<strong>le</strong>ment une souffrance commune à tous, liée à : - La proximité <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort, (inquiétu<strong>de</strong>, peur, angoisse, effet miroir <strong>de</strong> <strong>la</strong> mort d'autrui.) - L'ambiva<strong>le</strong>nce qui habite chacun, c'est-à-dire <strong>la</strong> présence simultanée dans <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion à l'autre, d'attitu<strong>de</strong>s et <strong>de</strong> sentiments opposés, l'amour et <strong>la</strong> haine par exemp<strong>le</strong>. - Les difficultés <strong>de</strong> <strong>la</strong> communication et <strong>de</strong> <strong>la</strong> paro<strong>le</strong> en un tel moment. Le désir <strong>de</strong> protéger l'autre con<strong>du</strong>it fréquemment au non dit, voire au mensonge, ce qui accentue l'iso<strong>le</strong>ment, et l'angoisse. b) Au cœur même <strong>de</strong> cette souffrance <strong>la</strong> quête <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> chacun est manifeste. Les famil<strong>le</strong>s éprouvent un certain apaisement lorsqu'el<strong>le</strong>s peuvent par<strong>le</strong>r à quelqu'un qui écoute. Les ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s sont encore capab<strong>le</strong>s d'établir <strong>de</strong>s liens alors qu'ils semb<strong>le</strong>nt épuisés (travail <strong>du</strong> trépas). Les soignants reconnaissent combien <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion donne sens à <strong>le</strong>ur travail. A l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> certains concepts psychanalytiques, en me référant à Freud principa<strong>le</strong>ment mais aussi à Lacan, j'ai voulu montrer <strong>la</strong> mise en jeu <strong>de</strong> l'inconscient dans <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion <strong>de</strong> soin, et <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce <strong>du</strong> désir dans <strong>le</strong>s p<strong>la</strong>intes, et <strong>le</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s. J'ai rappelé <strong>la</strong> fonction essentiel<strong>le</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> paro<strong>le</strong>, <strong>de</strong> l'écoute. La re<strong>la</strong>tion concerne tout autant <strong>la</strong> philosophie que <strong>la</strong> psychanalyse, c'est pourquoi j'ai souhaité nourrir ma réf<strong>le</strong>xion <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> certains philosophes : Buber, Levinas, Ricœur plus particulièrement. Après avoir rappelé <strong>la</strong> visée éthique où s'inscrit ce désir <strong>de</strong> re<strong>la</strong>tion, j'ai envisagé plusieurs aspects et enjeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> re<strong>la</strong>tion humaine. Mon travail ouvre plusieurs perspectives, c'est <strong>la</strong> troisième partie. J'en développe trois qui nécessitent l'évolution <strong>de</strong> certaines pratiques médica<strong>le</strong>s, soignantes et hospitalières. C'est bien l'un <strong>de</strong>s objectifs d'une recherche-action. * Encourager l'accueil <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s à l'hôpital. Les ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s sont dépendants d'el<strong>le</strong>s et <strong>de</strong> nous soignants. De ce fait, <strong>le</strong> soutien <strong>de</strong>s famil<strong>le</strong>s m'apparaît davantage encore, comme l'une <strong>de</strong>s tâches <strong>du</strong> soignant : en prenant soin d'el<strong>le</strong>s il prend éga<strong>le</strong>ment soin <strong>de</strong>s ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s. - Comment faciliter <strong>le</strong>ur présence à l'hôpital et <strong>le</strong>ur apporter <strong>le</strong> soutien nécessaire ? Améliorer <strong>le</strong>s conditions matériel<strong>le</strong>s d'accueil ne suffit pas, un changement <strong>de</strong> mentalité est nécessaire pour accepter <strong>la</strong> famil<strong>le</strong> en position <strong>de</strong> tiers. Pour <strong>le</strong>s soignants, ce tiers peut faciliter <strong>le</strong>ur re<strong>la</strong>tion avec <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong> ou <strong>la</strong> troub<strong>le</strong>r, il peut être l'allié mais aussi l'adversaire en cas <strong>de</strong> conflit. Comment voir en cette re<strong>la</strong>tion triangu<strong>la</strong>ire, une richesse ? L'alliance thérapeutique, établie entre <strong>le</strong> soignant et <strong>le</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>, s'enrichit <strong>de</strong> ce troisième pô<strong>le</strong>. - Il me paraît très important d'ai<strong>de</strong>r <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s à vivre <strong>le</strong> temps qui reste. Nombre <strong>de</strong> ma<strong>la</strong><strong>de</strong>s souhaitent qu'il soit un espace où vivre encore. Par l'ai<strong>de</strong> et <strong>le</strong> soutien qu'ils apportent aux famil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s soignants accomplissent un travail <strong>de</strong> prévention <strong>du</strong> <strong>de</strong>uil anticipé. Ils <strong>de</strong>vraient éga<strong>le</strong>ment favoriser <strong>le</strong> travail <strong>de</strong> <strong>de</strong>uil en <strong>le</strong> prenant en compte * La <strong>de</strong>uxième perspective consiste à développer l'interdisciplinarité. Si <strong>la</strong> pluridisciplinarité est fréquente à l'hôpital, l'interdisciplinarité est moins habituel<strong>le</strong> et plus exigeante. El<strong>le</strong> concerne <strong>le</strong>s soignants et <strong>le</strong>s bénévo<strong>le</strong>s dont <strong>la</strong> présence et l'intervention au sein <strong>de</strong> l'équipe sont d'une gran<strong>de</strong> richesse, encore trop méconnue. 17