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The Truman Show

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I/ Le film<br />

THE TRUMAN SHOW<br />

SOMMAIRE<br />

A) Générique et synopsis 3<br />

B) Le réalisateur et sa filmographie 4<br />

II/ Approches du film<br />

A) Structure dramaturgique 5<br />

B) Réflexions, pistes d’analyses et d’utilisations pédagogiques 7<br />

1) Genèse du film<br />

2) Références et mises en abîme 8<br />

3) Mise en scène…de la mise en scène 9<br />

4) Un film visionnaire 10<br />

III/ Autour du film 14<br />

Annexes et cahier critique<br />

1


Avant-propos<br />

Une fois n’est pas coutume, on commencera par un regret : pourquoi ne pas avoir<br />

commencé le film sans générique ? Une plongée directe dans le récit -par exemple avec la<br />

chute du projecteur- aurait peut-être rendu le film plus étrange et plus efficace encore.<br />

Ce générique, à l’instar de l’affiche, donne déjà trop de clefs au spectateur… l’argument<br />

scénaristique repose dès lors sur la découverte. Le spectateur, averti, va reconnaître les indices<br />

ou les ambiances de la manipulation. Néanmoins, <strong>The</strong> <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> reste un film difficile à<br />

présenter pour les néophytes : trop en dire serait vraiment gâcher les effets déstabilisants de la<br />

mise en scène (qu’on en juge par les précautions du critique de Télérama Marine Landrot, à<br />

découvrir en annexe!).<br />

Par là même, on trouve un des axes d’analyse possible du film, en reprenant pour synthétiser<br />

le titre du livre de J.L. Bourget : Hollywood, la norme et la marge.<br />

D’une certaine manière, le film de Peter Weir tient des deux :<br />

-La norme : film « très grand public » (il suffit de penser à ses nombreux passages TV, y<br />

compris sur TF1 (!) ) avec des moyens, une distribution et une mise en image hollywoodiens<br />

(récit linéaire, personnages archétypaux, suspense savamment dosé et « amené », humour…).<br />

Bref, <strong>The</strong> <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> serait un produit, de qualité certes, mais un produit !<br />

-La marge : l’apparente légèreté et le happy end attendu cachent en fait une série<br />

d’interrogations et de réflexions qui vont plutôt loin, à la fois sur le système médiaticotélévisuel,<br />

mais aussi sur la civilisation occidentale dans sa globalité.<br />

Peter Weir lui-même résume cette ambivalence : auteur prolifique, protéiforme et à<br />

succès (il suffit de penser à Witness, au Cercle des poètes disparus ou au récent et superbe<br />

Master and commander), il insère mine de rien un questionnement qui ne peut qu’engager le<br />

spectateur. Le choix d’Andrew Nicoll comme scénariste ne fait que renforcer ce point de vue :<br />

c’est l’auteur de Bienvenue à Gattaca, film qui travaillait le questionnement sur la<br />

civilisation, avec comme fil directeur les dérives possibles de la génétique.<br />

Possible, encore un mot-clef : Nicoll et Weir font des films où « tout est possible », dans le<br />

sens commun du mot : là encore, mine de rien, les deux compères ne font que légèrement<br />

pousser, dévier ce qui existe déjà. Le principe de la réalité -encore un mot-clef, bien sûr- est<br />

la base du propos : il ne s’agit pas ici de science-fiction (peu de poésie, par exemple, dans <strong>The</strong><br />

<strong>Truman</strong> <strong>Show</strong>) mais plutôt d’anticipation légère, de miroir déformant. Ainsi, le film de Peter<br />

Weir est en continuité des grandes comédies américaines des années 40 et 50 (cf. Capra), qui,<br />

« sans avoir l’air d’y toucher », tendaient un miroir plus ou moins déformant au spectateur,<br />

tout en respectant les bases de l’ « entertainment » populaire.<br />

Facilité d’accès et profondeur du propos : que rêver de mieux pour engager une<br />

démarche pédagogique ?<br />

Au fait, Seaheaven n’est pas un décor : c’est une ville réelle appelée « Seaside » et située en<br />

Floride. Toujours en Floride, « Celebration », la ville parfaite de Disney…<br />

Et vous, dans quel décor vivez-vous ?<br />

2


1 Générique<br />

I/ Le film<br />

Réalisation : Peter Weir<br />

Production : Scott Ruder, Andrew Nicoll, E. Feldman et A. Schroeder pour Paramount<br />

Pictures<br />

Scénario : Andrew Nicoll<br />

Directeur de la photo : Peter Biziou<br />

Son : Art Rochester<br />

Montage : William Anderson et Lee Smith<br />

Effets spéciaux : Michael J. Mc Alister<br />

Musique : Burkhard Dallwitz et Philip Glass<br />

Décors : Denis Gassner<br />

Distribution : Jim Carrey <strong>Truman</strong> Burbank<br />

Laura Linney Meryl<br />

Noah Emmerich Marlon<br />

Natasha Mc Elhone Lauren/Sylvia<br />

Ed Harris Cristof<br />

Brian Delate Kirk, le père de <strong>Truman</strong><br />

Paul Giamatti Le réalisateur<br />

Holland Taylor La mère de <strong>Truman</strong><br />

Budget : 60 millions de $<br />

Durée : 1h43mn<br />

Sortie à Paris : 28/10/1998<br />

Entrées France : 1,2 million<br />

Synopsis<br />

Une vie, un show. <strong>Truman</strong> Burbank, la trentaine « middle class », vit une vie parfaite à<br />

Seaheaven : les couleurs, le climat, les gens, sa femme…. Tout est PARFAIT.<br />

Pourtant, à partir de la chute d’un objet insolite, le doute s’installe dans la conscience de<br />

<strong>Truman</strong> : que cache l’apparente réalité autour de lui ?<br />

Le film est donc le récit de son cheminement, alors que le spectateur a toujours une longueur<br />

d’avance. En « réalité », nous assistons à la fin du <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong>…qui durait pourtant depuis<br />

10 000 jours !<br />

3


2 Le réalisateur et sa filmographie<br />

Peter Weir est né le 21 août 1944 (il vient donc juste d’avoir 60 ans) à Vaucluse,<br />

province de Sydney en Australie.<br />

Après des études secondaires dans son pays, il a une première expérience du spectacle à<br />

Londres, où il interprète des sketches de son cru. De retour en Australie au milieu des années<br />

60, il commence une carrière cinématographique à la télévision, comme technicien. Puis<br />

arrive le temps des premières réalisations courtes et moyennes, qui débouche sur le premier<br />

long-métrage <strong>The</strong> cars that ate Paris, en 1974 (il a alors 30 ans).<br />

Sa carrière américaine commence avec Gallipoli, où symboliquement, il s’engage dans<br />

la machine de guerre hollywoodienne au travers de l’histoire du débarquement des<br />

Dardanelles en 1915, effectué par les troupes néo-zélandaises et australiennes.<br />

Mais c’est Dead Poet Society qui lui apporte la consécration mondiale et en fait une des<br />

références de qualité du cinéma anglo-saxon.<br />

Habitué à tourner avec des stars (rien moins que Richard Chamberlain, Sigourney<br />

Weaver, Mel Gibson, Harrison Ford, Robin Williams, Ethan Hawke, Gérard Depardieu,<br />

Andie Mc Dowell, Jeff Bridges, Isabella Rossellini, Jim Carrey, Russell Crowe…), se<br />

moulant dans le système hollywoodien, il n’en a pas pour autant totalement vendu son âme au<br />

« diable du marché » : comme référence, il cite spontanément Stanley Kubrick, car pour lui,<br />

« il a toujours su donner un sens au divertissement (…) Il a démontré avec de magnifiques<br />

films qu’on pouvait aussi avoir quelque chose à dire ».<br />

Nul doute qu’à 60 ans, il a encore une bonne partie de sa carrière devant lui.<br />

Filmographie<br />

Pattern Recognition ( 2004, inédit) S<br />

Master and commander (2002) S<br />

<strong>The</strong> <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> ( 1998)<br />

Fearless (1993, VF: État second)*<br />

Green Card (1990) S<br />

Dead Poet Society (1989, VF : Le cercle des poètes disparus) PERIODE AMERICAINE<br />

Mosquito Coast (1986)<br />

Witness (1984)<br />

<strong>The</strong> year of leaving dangerously (1982, VF : L’année de tous les dangers)<br />

Gallipoli (1981) S<br />

<strong>The</strong> Plumber (1979, VF: Le plombier)<br />

<strong>The</strong> last wave (1977, VF : La dernière vague) S<br />

Picnic at hanging rock (1975) PERIODE AUSTRALIENNE<br />

<strong>The</strong> cars that ate Paris (1974, VF : Les voitures qui ont mangé Paris) S<br />

S : Peter Weir scénariste<br />

On remarquera l’aspect prolifique (14 longs métrages en 30 ans, soit presque 1 tous les<br />

2 ans), et surtout l’éclectisme (Polar, Thriller, S.F, film de guerre, comédie « sociétale »…).<br />

Une piste intéressante serait de chercher les thèmes, les lignes qui traversent toute l’œuvre de<br />

P.Weir (la disparition, l’opposition ville/homme/nature, la violence et la mort).<br />

4


A) Structure dramaturgique<br />

II Approches du film<br />

Le résumé qui va suivre n’est pas un découpage séquentiel, et ce pour plusieurs raisons :<br />

d’abord, les séquences sont beaucoup trop nombreuses si on prend la séquence dans sa<br />

définition stricte ; ensuite elles appartiennent à plusieurs points de vue différents, souvent mis<br />

en parallèle, enfin une organisation plus globale permet d’y voir beaucoup plus clair.<br />

L’architecture générale du film est simple : après un « vrai-faux » générique, le temps du récit<br />

est concentré sur cinq jours, avec une distorsion temporelle pour le dernier : <strong>Truman</strong> trouve la<br />

« réalité » à l’aube d’un sixième jour factice.<br />

Dernière précision : le découpage temporel est fondé sur la vision intégrale du DVD, donc les<br />

repères ne sont qu’approximatifs, la vidéo fonctionnant sur le principe du 26 images/seconde.<br />

La durée totale de la version DVD est ainsi de 1h32, alors que celle de la version 35mm ciné<br />

est de 1h43 (générique final compris).<br />

00 : 00<br />

Vrai-faux<br />

générique<br />

Cristof<br />

<strong>Truman</strong><br />

Meryl, femme de <strong>Truman</strong><br />

Marlon, ami de <strong>Truman</strong><br />

02 : 10 Cristof : « <strong>Truman</strong> ne fait pas semblant »<br />

Jour 1<br />

Découverte des voisins et de l’environnement<br />

Incident du projecteur<br />

matin Solution de la production via la radio : accident d’un avion<br />

Arrivée au travail, découverte des aspirations de <strong>Truman</strong> : Fidji,<br />

femme idéale<br />

Échec du passage en ferry : découverte de la phobie de l’eau pour<br />

<strong>Truman</strong><br />

Soir et nuit Apparition de la femme de <strong>Truman</strong> et de son ami. Dialogue autour de<br />

son envie de partir.<br />

1 er 02 :10<br />

flash-back : la mort du père par noyade<br />

Dans cette première journée, premiers indices : cadrage spécifique caméra de<br />

13 : 40 surveillance, bruit de mise au point de la caméra, 3 publicités, « dialogue » avec la<br />

radio…<br />

13 : 40 1<br />

13 : 50<br />

er changement de point de vue : les deux gardiens de parking<br />

5


13 : 50<br />

18 : 15<br />

28 : 20<br />

37 : 40<br />

37 : 40<br />

67 : 05<br />

Jour 2<br />

Kiosque (Journal : « Who needs Europe ?)<br />

Réapparition du père. Échec des retrouvailles<br />

Explication rationnelle via la mère<br />

Recherche des souvenirs dans la malle, retour de la femme de <strong>Truman</strong><br />

(4 ème publicité : tondeuse)<br />

2 ème changement de point de vue : les serveuses du bar<br />

Point de vue du spectateur du T.S. : téléviseur avec calendrier<br />

(10910 ème jour)<br />

2 ème flash-back : l’histoire d’amour avortée avec Lauren, à deux doigts<br />

d’avouer la fiction … mais explication rationnelle avec apparition du<br />

faux père de Lauren (maladie mentale et disparition par départ aux<br />

Fidji)<br />

retour aux serveuses<br />

retour au « présent » du T.S. : la double photo recto/verso (la vraie et la<br />

fausse réalité ?)<br />

3 ème changement de point de vue : Lauren/Sylvia spectatrice du T.S.<br />

Jour 3<br />

matin Problème technique dans la voiture de <strong>Truman</strong> : interférence radio,<br />

découverte par le spectateur de la caméra embarquée<br />

Explication rationnelle : interférence avec radio de la police<br />

Début du « doute trumanien »<br />

1 ère rupture de « réalité » : découverte du décor<br />

dialogue avec Marlon : parano de <strong>Truman</strong><br />

soir Dialogue avec Marlon : la vie, une manipulation ?<br />

L’image à la rescousse de la production (mais indices : Mont<br />

Rushmore trop petit, doigts croisés lors du mariage)<br />

Cinéclub : « on peut voyager en restant chez soi »<br />

Jour 4<br />

matin Début de la « découverte » par <strong>Truman</strong> : hôpital, agence de voyage,<br />

bus<br />

Blocages : pas de place d’avion, bus en panne<br />

4 ème changement de point de vue : retour au « <strong>Truman</strong> bar »<br />

Fin de<br />

journée<br />

Tentative de fuite avortée par blocage circulation, puis par l’eau et le<br />

feu : <strong>Truman</strong> passe outre<br />

Solution : accident nucléaire – indice : le « mot » de trop – et retour à<br />

la maison, 5 ème publicité : le cacao)<br />

Crise du couple, femme de <strong>Truman</strong> à deux doigts de craquer : « faîtes<br />

quelque chose ! »<br />

Retour à la normale grâce à l’intervention de Marlon<br />

55 : 10 Changement de point de vue : studio de Cristof<br />

Jour 5<br />

« Retour » du père, découverte totale du processus fictionnel<br />

Bande-annonce du T.S.<br />

Interview Cristof : éclaircissements sur les derniers points obscurs<br />

(historique des intrusions, récupération scénaristique du retour<br />

paternel, confrontation avec Sylvia/Lauren)<br />

Plans symboliques du toucher de l’image par Cristof<br />

6


67 : 05<br />

92 : 00<br />

matin Apparent retour à la normale<br />

Apparition de Vivian, nouveau « virage » scénaristique prévu (6 ème<br />

Soir<br />

Tout au long de<br />

cette partie,<br />

changements<br />

rapides de<br />

points de vue :<br />

spectateurs du<br />

T.S.,<br />

production,<br />

<strong>Truman</strong>,<br />

Lauren…<br />

et 7 ème publicités)<br />

2 ème rupture : ruse de <strong>Truman</strong> : pour la 1 ère fois, la production ne le<br />

contrôle plus<br />

Traque très « bodysnatchers » de <strong>Truman</strong><br />

Rupture temporelle artificielle : Cristof « commande » le lever du<br />

soleil<br />

Découverte de <strong>Truman</strong> fuyant sur l’eau<br />

Lutte à distance entre <strong>Truman</strong> et Cristof : contrôle de la météo<br />

contre volonté<br />

Limite : la mort possible de <strong>Truman</strong>. Cristof abandonne.<br />

<strong>Truman</strong> crève l’écran et sort par la petite porte. Dernier clin d’œil<br />

au spectateur après dialogue final avec Cristof<br />

Dernier plan : gardiens de parking : « On change ? Où est le programme ? »<br />

Vrai générique<br />

B) réflexions et pistes d’analyse et d’utilisations pédagogiques<br />

1) Genèse du film<br />

source : voir en annexe l’interview de Peter Weir dans Positif de novembre 1998, n°453<br />

À l’origine, c’est un projet d’Andrew Nicoll. Créateur du scénario, il devait réaliser le<br />

film. Mais, sans expérience, et son projet étant considéré comme trop lourd, la collaboration<br />

avec Peter Weir lui a été au départ imposée.<br />

Le réalisateur australien trouve l’idée de départ intéressante, mais « trop sombre, une<br />

atmosphère kafkaïenne » : bref, fort de sa pratique hollywoodienne, il a tiré le film vers une<br />

sensibilité plus accessible au grand public : « le public doit vraiment croire que cela pouvait<br />

arriver, sinon il ne rentrera pas dans le film ». Paradoxalement, cette recherche du plausible<br />

pousse Peter Weir à chercher un endroit imaginaire, alors que Nicoll situait l’histoire en plein<br />

Manhattan. Mais cet endroit, au final réel, on l’a déjà vu, doit concentrer l’Amérique et ses<br />

valeurs. De ce point de vue, il a raison : New York, trop cosmopolite, trop « mondiale », ne<br />

peut synthétiser les E-U (n’oublions pas que nous sommes avant le 11 septembre 2001 !).<br />

Autre aspect essentiel pour la recherche du lieu : le réalisateur indique qu’il a adapté sa<br />

démarche à celle du créateur fictif Cristof, il reprend à son compte le point de vue de son<br />

personnage, plutôt que « d’adopter [la] position avantageuse du satiriste. Car le danger était<br />

en effet de se perdre dans la satire. »<br />

Sur ces deux points essentiels (remodelage du projet initial, choix du lieu et du point de<br />

vue), on retrouve l’ambivalence norme/marge évoquée au début. Pour faire plus simple, P.<br />

Weir a évacué une vision trop « auteuriste » ou trop démonstrative pour mixer son travail<br />

avec celui de Nicoll (qui n’a donc pas été écarté, il est crédité seul du scénario ; et le succès<br />

du <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> lui permettra de réaliser sa propre œuvre Bienvenue à Gattacca).<br />

7


À partir de cet exemple, il est donc facile de montrer aux élèves que le processus de<br />

création cinématographique est complexe, collectif, et dépendant de logiques à la fois<br />

artistiques (la spécificité de chaque créateur) et économiques (la nécessité de rentabiliser un<br />

film somme toute assez coûteux bien que privé, par souci artistique, d’effets spéciaux<br />

spectaculaires)<br />

2) références et mises en abîme<br />

<strong>The</strong> <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> est truffé de références et de clins d’œil au spectateur, pour peu qu’il y<br />

prête un peu d’attention :<br />

- le choix des mots<br />

Commençons par le personnage principal : <strong>Truman</strong> (True-Man, l’homme vrai) Burbank<br />

(nom du lieu des Studios Disney). Il concentre donc par son identité la contradiction entre<br />

réalité et illusion. Est-il réel en dehors de son rôle fictionnel… ou son rôle inconscient<br />

constitue-t-il la réalité de <strong>Truman</strong> ?<br />

Continuons avec Cristof (le porteur du Christ). On notera d’abord qu’il est le seul sans<br />

patronyme, comme s’il était en dehors du monde des hommes (Osiris, Yahvé ou Allah n’ont<br />

pas d’autre élément d’identité !). Il « porte » donc <strong>Truman</strong>, sorte de démiurge céleste (voir sa<br />

position dans le dôme) omnipotent commandant aux hommes, aux machines et même aux<br />

éléments (soleil, vent, et surtout foudre, symbole ô combien divin)<br />

Le lieu, par définition unique, c’est Seahaven, le « havre », donc le refuge, le havre de mer<br />

et de paix : inutile de s’appesantir plus sur le choix du terme. Enfin, le nom du bateau qui<br />

permet à <strong>Truman</strong> de « sortir du havre » : Santa Maria, comme le navire amiral de Christophe<br />

(!) Colomb, qui, lui aussi explore et découvre la réalité du monde.<br />

- Les références : on s’en doute, elles sont avant tout cinématographiques et picturales.<br />

À Seahaven, il existe une « Bogart Avenue », et l’entrée du lotissement de <strong>Truman</strong><br />

(portail monumental avec la devise « un pour tous, tous pour un ») fait automatiquement<br />

penser à l’entrée des studios hollywoodiens et à la devise de M.G.M. ( « Ars Gratia Artis »).<br />

Les vêtements, les décors – en grande partie naturels, rappelons-le ! – font référence aux<br />

sitcom mièvres produits à la chaîne par les studios américains et européens. Mais d’un autre<br />

côté, l’accumulation de ces signes vestimentaires et architecturaux, par les choix de mise en<br />

scène qu’on verra plus loin, « tire » l’image vers quelque chose de plus inquiétant. On peut<br />

penser à la série Le prisonnier, au début d’ Edward aux mains d’argent de Tim Burton, voire<br />

aux films fantastiques ou d’horreur critiques de la société américaine (cf. Joe Dante par<br />

exemple). Mais on peut y voir aussi une allusion directe aux « bunkervilles » développées aux<br />

E.U., surtout en Californie et en Floride (tiens donc !), sortes de lotissements hyperprotégés et<br />

quasi autarciques pour riches. Ne rigolez pas, ils commencent à s’implanter en France…<br />

L’utilisation de la lumière crue et des couleurs vives fait évidemment référence à<br />

l’esthétique publicitaire ou sitcom, mais P. Weir cite une influence plus originale et plus<br />

profonde : les tableaux de Norman Rockwell, où l’hyperréalisme confine parfois au malaise,<br />

tempéré il est vrai par une bonne dose d’humour… comme dans le film.<br />

- les mises en abîme : il y a de quoi devenir parfois schizophrène !<br />

P. Weir indique par exemple qu’il s’adressait toujours avec déférence à Ed Harris, le<br />

Cristof « designé » par des couturiers japonais. Prenons les acteurs du film : ils (elles) jouent<br />

le rôle d’acteurs (d’actrices) jouant des personnages réels aux yeux de <strong>Truman</strong>, voire des<br />

spectateurs peu attentifs. Pour accroître cette complexité, le réalisateur a demandé aux<br />

8


« vrais » acteurs d’inventer le passé de leurs personnages et les conditions de leur engagement<br />

dans le <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong>. Ainsi, l’actrice jouant Méryl, la femme de <strong>Truman</strong>, s’est-elle inventé<br />

un contrat portant, entre autres, sur le sexe (invisible à l’écran, on en reparlera). Allons plus<br />

loin avec le décor et ses « habitants » : P. Weir indique que les habitants de la ville de Seaside<br />

ont été engagés comme figurants du film. Donc de vrais habitants d’une vraie ville jouant de<br />

faux habitants, mais de « vrais » acteurs dans la fiction, et dans un décor faux de fiction… qui<br />

est pourtant vrai (vous suivez toujours ?).<br />

On a donc sur ce point une mine quasi inépuisable avec les élèves sur les rapports<br />

fiction/réalité bien sûr, mais aussi sur leur mélange complexe à l’intérieur même de la fiction<br />

globale constituée par le film. Les rapports possibles avec le théâtre, la littérature ou les<br />

manipulations des images fixes ou animées sont évidents.<br />

Un dernier exemple pour finir : <strong>Truman</strong> regarde une « fausse » télévision (après avoir<br />

écouté une « fausse » radio) qui diffuse le film <strong>Show</strong> me the way to go home (VF : Le chemin<br />

qui ramène chez soi) datant de 1932, hymne à l’Amérique rurale et communautaire. Peter<br />

Weir avait pensé à It’s a beautiful life (VF : La vie est belle) de Franck Capra. Il n’a pas voulu<br />

complexifier son propos, et c’est bien dommage : quand on connaît l’ambiguïté<br />

presqu’inconsciente du film, on se dit que cette mise en abîme supplémentaire – pour ceux qui<br />

n’ont pas vu le film, rappelons qu’il montre ce que pourrait être la réalité si une force<br />

supérieure (ici divine) infléchissait à un moment la réalité, pour en créer une autre, qui restera<br />

(happy end) virtuelle, car trop tragique – on se dit que P. Weir n’a pas été loin d’une création<br />

beaucoup plus dérangeante encore que le produit final. Mais là encore, Hollywood…<br />

3) mise en scène… de la mise en scène<br />

Continuons donc dans la schizophrénie : le pari de <strong>The</strong> <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> est de donner à voir<br />

au spectateur de cinéma à la fois celui qui est filmé (mais qui ne le sait pas), celui qui est<br />

filmé (mais qui le sait), celui qui filme et produit et ceux qui regardent le show (le public<br />

mondial).<br />

Rajoutons-en une couche supplémentaire : le spectateur du film, qui n’est pas filmé bien sûr,<br />

devient lui aussi de fait un spectateur de show, plus ou moins averti dans la première partie du<br />

film (on l’a vu, la révélation totale intervient au bout d’une heure de film) et totalement<br />

impliqué dans la séquence finale. Comment Peter Weir arrive-t-il à organiser et à concilier ces<br />

différents points de vue ?<br />

D’abord par un récit fondamentalement simple et linéaire : l’alternance jour/nuit,<br />

l’alternance rupture-prise de conscience avec la réponse rationnelle de la production<br />

(exemple : le projecteur perdu par l’avion), l’utilisation des flash back pour répondre aux<br />

questions posées par les spectateurs, elles-mêmes générées par les indices distillés<br />

régulièrement… bref, tout concourt à la prise en charge totale et progressive du spectateur par<br />

le scénario. Le « système » culmine à la fin, où la différence spectateur du film/spectateur du<br />

show n’existe plus : tous poussent un soupir de soulagement à la victoire finale de <strong>Truman</strong>.<br />

Néanmoins, cette norme du récit n’empêche pas les déviances qui complexifient le propos :<br />

par l’exemple, le choix de cadrages type caméra de surveillance (les coins arrondis du cadre)<br />

alternés avec des plans « normaux » (par exemple, lors du premier dialogue entre <strong>Truman</strong> et<br />

sa mère) ou le symbolisme complexe de la photo recto-verso des deux femmes (la deuxième<br />

fruit d’un montage !) de <strong>Truman</strong> : celui-ci s’est donc construit une fiction de femme… pour<br />

mieux rejoindre sa réalité… mais qui est prise en charge, récupérée par le show. En clair, le<br />

statut des images du <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> n’est pas toujours très clair : le spectateur du show voit-il<br />

tout ce que voit le spectateur de cinéma ? L e réalisateur installe d’ailleurs ce doute en<br />

montrant que lors de la panique qui s’installe après la découverte de la fuite de <strong>Truman</strong>… le<br />

spectateur du show, lui, ne voit qu’une mire !<br />

9


Enfin, le choix de Jim Carrey s’est avéré pour le moins judicieux : ses mimiques sont<br />

rares et utilisées à bon escient (le plan final, ou les plans dans la glace) et sa caractérisation à<br />

la fois infantile (vêtements, couleurs, qui permettent au critique de Télérama de le situer entre<br />

Oui-Oui et Forrest Gump) et terriblement lucide au fur et à mesure de sa prise de conscience<br />

permet une grande crédibilité du personnage. On imagine alors la difficulté de la rupture avec<br />

son monde, qui peut s’avérer très dangereuse : symboliquement, lors de sa tentative de fuite<br />

en voiture, il n’attache pas sa ceinture ; et à l’inverse, il s’attache à son bateau, seule<br />

possibilité de fuite.<br />

Film « diabolique » (dixit Télérama, on ne se refait pas!) donc ? La réponse est, une fois de<br />

plus, complexe. Le personnage de Cristof (joué par un génial Ed Harris, dont la carrière<br />

devient de plus en plus intéressante) donne peut-être la meilleure clef : on pourra objecter au<br />

critique de Positif qu’il n’est peut-être pas « le mauvais génie archétypal »... Certes, il est<br />

habillé de noir lors de son travail, mais un plan superbe le montre sans son costume, avec une<br />

serviette, touchant quasi amoureusement l’image de sa créature – son fils (d’ailleurs adopté<br />

officiellement par la production, dixit la bande-annonce du <strong>Truman</strong> show).<br />

Docteur Frankenstein des médias, il veut le bonheur parfait de son fils et des<br />

spectateurs. Il ne refuse pas la contradiction (il dialogue en direct avec Lauren/ Sylvia), mais<br />

persiste à penser que « c’est le monde dans lequel vous vivez qui est monstrueux. Seaheaven,<br />

c’est le monde tel qu’il devait être ».<br />

On imagine tout ce qu’on peut tirer avec les élèves sur ce point. Un cinéaste nous force par sa<br />

mise en scène à vous poser la question du choix entre sécurité, liberté, et illusions du monde<br />

réel. Le monde tel qu’il est, ou tel qu’il devrait être ? Vaste programme, source d’inspiration<br />

artistique depuis l’Antiquité.<br />

4) Un film visionnaire<br />

Visionnaire, dans les deux sens du terme : il offre une vision, un point de vue sur la téléréalité<br />

et la société ; mais aussi prémonitoire : c’est déjà un « vieux » film pour les élèves<br />

(pensez-donc : 6 ans !), sorti à une époque où la télé-réalité était encore en gestation en<br />

France.<br />

Star Story, Loft Academy, le chantier de Koh-Lanta, l’île de mon choix, le pensionnat de la<br />

tentation… La télévision française déborde aujourd’hui de productions de télé-réalité. Après<br />

la vision du “<strong>Truman</strong> <strong>Show</strong>”, on se rend bien compte qu’accoler “réalité” à ce genre de<br />

production est tout simplement obscène. Rien de moins réel que ces vraies fictions formatées,<br />

organisées dans un but exclusivement d’audience, donc de commerce (voir la première page<br />

de ce dossier).<br />

En réalité (!), le film de P.Weir, et surtout les réactions qu’il a provoquées, semblent<br />

maintenant préhistoriques : qu’on en juge en lisant les critiques de 1998 proposées en annexe.<br />

Si, à l’époque, le phénomène était déjà présent aux Etats-Unis, il n’était qu’embryonnaire en<br />

France (l’étonnement du critique de Positif, ne comprenant pas qu’on puisse suivre la vie<br />

d’une étudiante via la Webcam en dit déjà assez long). Certes, « Psyshow » et autres<br />

émissions des années 80/90 avaient montré la voie, mais c’est Loft Story qui a marqué le<br />

début massif de la télé-réalité à la française (qu’on se rappelle les innombrables discussions à<br />

tous les niveaux lors de la première saison !).<br />

De ce point de vue, le film de Peter Weir est historique : il donnait à voir, par la fiction, un<br />

exemple pas si extrême que cela, et d’une certaine manière encore limité, de la trop fameuse<br />

télé-réalité.<br />

Première limite, le sexe. Il est totalement absent du film, et le réalisateur prend bien<br />

soin, via les gardiens de parking, d’indiquer que le show ne montre jamais les relations<br />

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sexuelles entre <strong>Truman</strong> et Meryl. La crise traversée par <strong>Truman</strong>, qui aboutira à la fin du show,<br />

est presque totalement asexuée : si le personnage déclencheur est une femme, c’est un idéal<br />

platonique (symboliquement, <strong>Truman</strong> essaie de reconstituer son visage, pas son corps).<br />

Certes, il y a un début de fétichisme (le bracelet, le pull) mais la frustration sexuelle n’est pas<br />

son moteur.<br />

En liaison, l’absence totale de vulgarité : pas de gros mots, pas de situation scabreuse,<br />

pas de caméra dans les toilettes, <strong>Truman</strong> cadré en gros plan poitrine dans la salle de bains…<br />

Enfin et surtout, pas de compétition : personne ne cherche à prendre la place de <strong>Truman</strong>, et les<br />

scénaristes du show n’en font pas un arriviste, puisqu’il occupe une place somme toute assez<br />

médiocre dans le microcosme de Seaheaven. Sa seule ambition, c’est de voyager et de<br />

s’ouvrir aux autres. L’argent ne tient aucune place dans le show, excepté bien sûr pour<br />

l’extérieur, avec la publicité « intégrée » au script. On retrouve la logique commerciale, mais<br />

qui existait bien avant la télé-réalité.<br />

Inutile de s’appesantir à démontrer que toutes ces limites ont été très largement explosées<br />

depuis le tournage du film…mais travailler sur ce point en comparant avec les élèves risque<br />

d’être plus qu’intéressant…<br />

Autre aspect, le miroir déformant. Le critique de Positif juge celui-ci excessif pour que<br />

le spectateur de 1998 se sente vraiment concerné. Il serait intéressant de replacer ces propos<br />

dans le contexte de 2004… Certes, l’homme dans sa baignoire représente peut-être un cas<br />

extrême, mais les serveuses du <strong>Truman</strong> Bar, ou les deux mamies « <strong>Truman</strong> fan » sont-elles si<br />

exagérées ? Pire encore, l’exagération des situations ou des caractéristiques humaines fait<br />

partie intégrante de la télé-réalité !<br />

Peter Weir donne également à voir un « à côté » intéressant, peu vu par les critiques : le<br />

phénomène d’intrusion. Il montre des exemples militants, mais aussi narcissiques : celui ou<br />

celle qui « s’invite » pour simplement dire « je suis dans le <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> ». Le réalisateur<br />

touche ici du doigt la folie télévisuelle : pour exister aux yeux du monde et à mes propres<br />

yeux, je dois passer à la télé.<br />

Plus intéressant encore, le cas du comédien jouant le rôle du père de <strong>Truman</strong>. Frustré<br />

par sa « vraie-fausse » mort fictionnelle, il n’accepte pas sa vraie mort artistique. Quitter le<br />

show quand on a été presque au sommet, c’est pire que la mort. Réduit à l’état de clochard (ce<br />

n’est pas un déguisement, puisqu’ils n’existent pas à Seaheaven), il revient clandestinement<br />

dans le dôme.<br />

Astucieusement récupéré par la production, il va même faire remonter l’audience. Le <strong>Truman</strong><br />

<strong>Show</strong> se nourrit donc paradoxalement de sa propre remise en cause, puisque c’est justement la<br />

possibilité des failles, des incidents permettant à <strong>Truman</strong> de découvrir la réalité qui tient le<br />

spectateur en alerte, donc fait remonter l’audience.<br />

Mais cette contradiction porte en elle-même la mort du show, car passée une certaine limite,<br />

tout l’édifice s’écroule. Peter Weir souligne alors deux phénomènes contradictoires : l’acmé<br />

absolue et mondiale lors de la sortie de <strong>Truman</strong> (certainement avec explosion des taux<br />

d’écoute), qui entraîne des scènes de liesse lacrymale… mais aussi le zapping immédiat, avec<br />

le dernier plan du film, où le gardien du parking demande à son compère : « On change ? Où<br />

est le programme ? ».<br />

On peut donc travailler à partir de là sur le caractère proprement monstrueux de la<br />

célébrité médiatique télévisuelle, car qui n’est pas vu à la télé n’est pas connu…mais même<br />

les personnalités les plus connues ont une notoriété éphémère : pour quelques heureuses et<br />

provisoires reconversions (paraît-il), combien aux oubliettes ?<br />

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À la limite, on pourrait dire que le « <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> » est presque une vision<br />

intellectuelle (même si le point de départ est encore, pour l’instant, assez extrême) de la téléréalité.<br />

Là encore, le personnage de Cristof semble trop sophistiqué pour représenter un<br />

producteur de ce genre d’émissions ; ou le choix d’un <strong>Truman</strong> écoutant du Mozart ne<br />

correspondant pas aux canons de l’orthodoxie télé-réalité.<br />

Cependant, limiter <strong>The</strong> <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> à un simple révélateur de la télé-réalité serait trop<br />

réducteur : il y a une véritable réflexion philosophique et politique sur le principe de réalité.<br />

Philosophie, oui, car la comparaison avec le mythe de la caverne de Platon vient tout de suite<br />

à l’esprit. Coincés depuis leur naissance dans une grotte, les hommes prennent les ombres<br />

projetées pour la réalité. <strong>Truman</strong> ne peut que réagir de la même manière, dupé qu’il est depuis<br />

sa naissance.<br />

Dans la très belle séquence de la bibliothèque, plus significative encore que celle du<br />

bateau, <strong>Truman</strong> fait l’effort de se surélever, dans tous les sens du terme, de passer au-dessus<br />

de la barrière de l’étagère pour découvrir le principe de la réalité représenté par Lauren.<br />

Symboliquement, il s’adresse à elle en japonais… toujours l’envie et la curiosité de l’ailleurs,<br />

de l’au-delà des apparences et des ombres. Pour en terminer sur ce point, il n’échappera à<br />

personne que le mythe de la caverne est en soi une splendide métaphore du cinéma, mais aussi<br />

une mise en abîme (encore !) : les ombres et les couleurs projetées sur l’écran ne sont-elles<br />

pas plus vraies que …la réalité ?<br />

Politique, oui, car on ne peut pas manquer les allusions au totalitarisme. Formaté,<br />

éduqué, socialisé par le show, le <strong>Truman</strong> prétrentenaire ne peut que ressembler au modèle<br />

imposé (les moindres déviances étant, on l’a vu, « recyclées » par le show : métaphore des<br />

régimes qui récupèrent leur propre contestation). N’ayant connu que le projet parfait et<br />

totalitaire de Seaheaven, il répond aux exigences de la pensée cristofienne. Faire le parallèle<br />

avec les projets totalitaires staliniens et nazis sera donc facile, avec le petit « plus » d’un<br />

exemple de totalitarisme doux, car pas de police politique, pas de camp, pas de propagande<br />

(sauf la publicité) à Seaheaven : une vie trop bien réglée, sécurisée, finit par nier la liberté de<br />

l’individu, au contraire de ce que prétend Cristof dans son dialogue avec Lauren. Sur ce point,<br />

une étude littéraire à partir de l’excellent Globalia de J.C. Ruffin semble pertinente. Peter<br />

Weir sécrète pourtant l’antidote : la possibilité du grain de sable, de la défaillance technique<br />

(le projecteur, la radio, la pluie) ou humaine (le défaut de surveillance), qui permet la prise de<br />

conscience, le doute, puis la rébellion. Dans le film, le réalisateur nous offre en « bonus »<br />

l’efficacité finale de cette rébellion sous forme de happy end exempt de haine : <strong>Truman</strong> quitte<br />

son cocon protecteur par une pirouette dialoguée.<br />

À l’inverse des rebelles aux systèmes écrasants, Cristof ne pouvait pas tuer <strong>Truman</strong>, pression<br />

d’audience et d’éthique… commerciale obligent. Mais rien n’indique que d’autres ne<br />

prendront pas le relais, ou même prendront en compte la rébellion comme élément du show (il<br />

paraît que c’est le cas à l’heure actuelle, où il y a toujours le « rebelle » de service).<br />

Là encore, le dernier plan « Où est le programme ? » ouvre toutes les possibilités, même<br />

les plus tragiques. Politique aussi, la critique des évolutions sociologiques des Etats-Unis. Sur<br />

ce point, Peter Weir rappelle avec une pointe d’ironie qu’il est australien, que Niccol est néozélandais<br />

et que le chef op’ Biziou est anglais… Bref, que tous ont quelque part au moins un<br />

reste d’Europe dans leur point de vue.<br />

La première dérive montrée est bien sûr la croissance des villes aseptisées, vidées de leurs<br />

pauvres (voir l’incident du retour du père qui provoque les titres vengeurs des journaux), où le<br />

bonheur aseptisé et poli à l’excès dégouline dans le microcosme de Seaheaven ( les passagers<br />

du bus constituant un microcosme sociétal à lui tout seul, amusez-vous à faire l’inventaire).<br />

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Microcosme mais « politically correct », puisqu’on voit toutes les générations et toutes les<br />

communautés.<br />

La deuxième dérive, c’est le repli sur soi : le globe, l’insularité, la phobie de l’eau… et<br />

surtout l’inénarrable agence de voyage qui a pour but (logique dans le show) de décourager<br />

toute sortie du paradis : pourquoi chercher le bonheur plus loin, dans un monde dangereux en<br />

dehors de la bulle ? Métaphore de l’isolement volontaire des Américains, le film prend encore<br />

plus de force depuis le 11 septembre : ignorants et méfiants à l’égard du reste du monde, la<br />

découverte brutale de la réalité, de l’au-delà des mers n’en a été plus que traumatisante. Le<br />

parallèle avec le film est donc évident : un jour ou l’autre, même la bulle la plus protégée ne<br />

peut pas échapper à l’irruption de la réalité (à l’interne comme à l’externe).<br />

Mais limiter <strong>The</strong> <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> à une critique en surface « soft » mais destructrice en<br />

profondeur du seul système américain serait réducteur : c’est en fait toute la civilisation<br />

occidentale qui est visée. Persuadée, et d’abord par les médias, de la perfection de son<br />

modèle, elle en oublie le reste de la planète. Symboliquement, les seuls spectateurs nonoccidentaux<br />

du show montrés à l’écran sont japonais…<br />

En conclusion, <strong>The</strong> <strong>Truman</strong> <strong>Show</strong> constitue bien un excellent support et point de départ<br />

sur la représentation du monde (ou d’un certain monde) et les dérives actuelles de la société<br />

de communication mondialisée. À partir d’une étude filmique, on peut ainsi démontrer (et<br />

démonter) le pouvoir des images et ses limites, ainsi que la possibilité d’y échapper. Plutôt<br />

que d’attaquer de front( et c’est louable !), la télé-réalité et (ou) la télé commerciale, mieux<br />

vaut commencer par le biais de ce film, en montrant sa richesse, ses ambiguïtés et ses choix.<br />

Une fois de plus, la fiction se révèle la meilleure arme pour représenter et décoder la réalité.<br />

Au fait, quelle réalité ?<br />

« Au cas où je ne vous reverrais pas, bonsoir et bonne nuit ! »<br />

28 septembre 2004<br />

Frédéric Fièvre remercie Lucille Méziat et Marielle Guillembet pour leur collaboration.<br />

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