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Flors del Gay Saber - Ars Metrica

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Des formes poétiques simples dans le traité des ‘<strong>Flors</strong> <strong>del</strong> <strong>Gay</strong> <strong>Saber</strong>’<br />

Dominique Billy (Université de Toulouse – Le Mirail)<br />

Abstract: This article deals with the formal integration of definitions and samples in the versified version of<br />

the occitan medieval treatise of grammar and poetics Las <strong>Flors</strong> <strong>del</strong> <strong>Gay</strong> <strong>Saber</strong> written in the first third of<br />

fourteenth century. This treatise is the first of the kind in the history of the theory of romance versification,<br />

and the most important and complete before long. Besides borrowings to some existent lyrics of the time,<br />

some samples have been created for the purpose, with forms illustrating the technical aspects exposed in the<br />

treatise, or presenting some liberties in metrical and/or rimical aspects not involved by the comment.<br />

La question des formes poétiques simples dans les <strong>Flors</strong> <strong>del</strong> <strong>Gay</strong> <strong>Saber</strong> se pose dans des termes particuliers<br />

du fait de la finalité didactique du traité: le concept même est difficile à cerner dans la mesure notamment où<br />

cette question est liée à un contenu dont le rapport avec le contexte varie énormément. Ce que nous<br />

entendons ici par forme simple, c’est une forme qui se distingue de l’environnement formel sur une base<br />

double, à la fois formelle et fonctionnelle. Formelle parce que cette forme doit présenter une réelle<br />

autonomie par rapport à l’environnement formel et avoir un caractère unitaire 1 ; fonctionelle parce que le<br />

passage concerné remplit une fonction particulière dans le cadre du texte qui le contient. On trouve dans le<br />

traité des exemples qui sont des strophes tirées de pièces ayant une existence propre par ailleurs, des strophes<br />

ou morceaux composés spécialement pour illustrer des figures spécifiques de diverses variétés de vers, de<br />

rimes ou de strophes, et enfin des définitions auxquelles le traité entend donner une certaine autonomie<br />

formelle, sans doute à des fins mémorielles. Sauf cas particulier, nous n’évoquerons pas ici les premières qui<br />

échappent par leur origine aux décisions de l’auteur du traité, en dehors bien entendu de la question de leur<br />

sélection. Nous rappellerons tout d’abord le plan du traité et le principe d’autonomie rimique qui est<br />

généralement observé avant d’aborder la question des définitions.<br />

1. Structure du traité<br />

La rédaction en vers du traité des Leys d’amors qui s’intitule Las <strong>Flors</strong> <strong>del</strong> <strong>Gay</strong> <strong>Saber</strong> que nous avons étudié<br />

à travers l’édition d’Anglade 2 est rédigée en vers à rimes plates, c’est-à-dire de ce qu’on conviendra de<br />

désigner comme une succession de couplets au sens particulier de couple de deux vers appariés par la rime 3 .<br />

Chacune des parties – dont la numérotation a fait problème au rédacteur –, est autonome du point de vue de<br />

la rime. Les sept parties dont le traité est composé n’ont pas de titre spécifique, mais sont introduites au<br />

moyen d’une description succinte:<br />

Prologue: Ayci comensa les FLORS DEL GAY SABER e primier le proleg<br />

Le prologue n’annonce que cinq parties (v. 116-191) qui correspondent à celles qu’Anglade numérote I, II<br />

– sans toutefois évoquer la question de compas qui est la première abordée –(la question du compas qui sera<br />

la première abordée n’est toutefois pas évoquée ici), III b , IV et V a . Les parties numérotées III a et V b<br />

constituent par conséquent des adjonctions au projet initial, sinon des omissions du plan annoncé.<br />

I. Ayci comensa la primera parts d’esta sciença en la qual son demostrades dues maneres de trobar generals les<br />

qals no son <strong>del</strong> presen cas. (v. 192 sq.) (“Ici commence la première partie dans laquelle on expose deux<br />

manière générales de trouver qui n’ont rien à voir avec notre propos.”)<br />

[définition du trobar: art de versifier en langue vulgaire]<br />

II. Ayci comensa la segonda parts e mostra primieramen ques es compas. (v. 312 sq.) (“Ici commence la segonde<br />

partie où l’on montre tout d’abord ce qu’est un compas”)<br />

[notions de compas (structure), de phonétique et de prosodie]<br />

III a . La diffinicios de bordos. (v. 1275 sq.) (“La définition de vers.”)<br />

1 Ce qui exclut des compositions strophiques qui relèveraient des formes de la lyrique, mais ce qui n’exclut pas des<br />

coblas esparsas conçues pour la démonstration, dont la parenté avec les coblas esparsas de la poésie lyrique n’est<br />

souvent qu’apparente.<br />

2 Il nous arrivera dans nos citations de retoucher la ponctuation sans le préciser, et d’ajouter des lettres entre crochets,<br />

que celles-ci fassent défaut dans le ms. ou dans la transcription d’Anglade (nous n’avons pas revu le texte, mais une<br />

révision s’impose).<br />

3 Exceptionnellement rimes alternées: 736-439


[vers, rime, strophe; partie non annoncée dans le prologue]<br />

III b . Ayci comensa la terça partida on tractam <strong>del</strong>s dictats e primerament de vers. (v. 3089) (“Ici commence la<br />

troisième partie où l’on traite des genres poétiques, et tout d’abord du vers.”)<br />

[genres lyriques]<br />

IV. Assi comença la quarta parts on tracta de las VIII parts d’oracio. (v. 3288 sq.) (“Ici commence la quatrième<br />

partie où l’on traite des huit parties du discours.”)<br />

[morphologie nominale et verbale]<br />

V a . Ayssi comensa la cinquena parts. De vicis e de figuras. (v. 3921 sq.) (“Ici commence la cinquième partie.<br />

Des vices et des figures.”)<br />

[rhétorique]<br />

V b . Ayci comensa la sinquena part en la qual es mostrat primieramen quo deu hom far acordar un mot amb<br />

autre e tornar lati en romans. (v. 7418 sq.) (“Ici commence la sixième partie dans laquelle on montre tout<br />

d’abord comment on doit faire accorder un mot avec un autre et traduire le latin en occitan.”)<br />

[remarques sur la versification et la traduction du latin en occitan; partie non annoncée dans le prologue]<br />

La délimitation des parties suit un principe d’autonomie rimique. Chaque nouvelle partie (sauf la<br />

première qui ouvre véritablement les <strong>Flors</strong>) est introduite au moyen d’un distique ou de quelques vers au<br />

terme de la partie précédente, dont l’autonomie du point de vue de la rime n’est pas toujours assurée; cette<br />

transition est en effet articulée par la rime à ce qui précède dans la présentation de deux parties:<br />

III b : l’exemple de cobla constructiva est suivi de trois vers de commentaire terminés sur le pronom us; la<br />

transition enchaîne: “ Vist havets de coblas lassus:/ En la segonda part s’esmersa/ Ez ayssi comensa la tersa;/<br />

E mostram vos qu’es vers ades/ E <strong>del</strong>s autres dictats apres. ” (3084-3088) (“Vous avez vu ci-dessus ce qui<br />

concerne les couplets, avec lesquels s’est conclue la seconde partie, et nous entrons à présent dans la<br />

troisième; et nous vous montrons tout d’abord ce qu’est le vers avant de traiter des autres genres poétiques.”)<br />

V a : concluant les vers relatifs au temps, l’auteur des traités renvoie aux Leys d’Amors dont Las <strong>Flors</strong> ne sont<br />

qu’un abrégé: “ Car huey vol hom breus escripturas ” (“car aujourd’hui on veut des écrits brefs”); il enchaîne<br />

ensuite la transition: “ Veus apres vicis e figuras./ Pus que la quarta parts termena,/ Aysi comensa la<br />

cinquena. ” (3918-3920) (“Voici bientôt les vices et les figures. Puisque la quatrième partie se termine, c’est<br />

ici que commence la cinquième.”)<br />

Le rattachement de III a à la partie suivante par Anglade s’explique par le sujet, mais elle est contestable,<br />

le point de vue médiéval pouvant fort bien associer les notions métriques aux aspects phonologiques traités<br />

auparavant (II), qui concernent tous peu ou prou la versification, plutôt qu’à la question des genres. C’est en<br />

tout cas le plan qu’adoptera la version en prose de Barcelone copiée après 1430, et l’emplacement des vers<br />

consacrés au concept de compas en tête de la seconde partie va dans le même sens. La première rédaction en<br />

prose (publiée par Gatien-Arnoult) réunit quant à elle I et II comme 1 ère partie, III a et III b comme 2 e<br />

partie, ce qui donne raison à Anglade. Si les deux options sont envisageables, le v. 3085 montre que le choix<br />

d’Anglade n’était pas le meilleur: ce vers donne bien III b comme 3 e partie, rejetant le traitement des coblas<br />

(III a ) dans la seconde partie, et cela correspond parfaitement au plan dessiné dans le prologue qui lie<br />

étroitement “ letras, diptonges e rims,/ sillabas, diccios, accen/ Es oracios (…),/ Don per distinccios poyran/<br />

Coblas formar ” (vv. 153-158) (“lettres, diphtongues et rimes, syllabes, mots, accent et phrase […] dont à<br />

travers des vers on peut former des couplets”. La transition qui amène III b , avec son erreur de numération,<br />

semble résulter d’une volonté d’introduire une division au sein de l’exposé initialement prévu comme<br />

seconde partie, et plutôt qu’une erreur comme la tient Anglade, l’expression “ segonda partida ” pourrait<br />

alors fort bien désigner la nouvelle section ainsi délimitée. Cette transition elle-même n’est rattachée par la<br />

rime au contexte antérieur que pour III b .<br />

L’autonomie rimique des différentes sections d’une même partie implique le changement de rime lors du<br />

passage à la section suivante. Les intertitres ne distinguent malheureusement pas le niveau auquel ils se<br />

situent dans la hiérarchie du discours (la dispositio): il peut s’agir d’un changement de section, de la<br />

déclinaison de différents arguments ou étapes argumentatives au sein d’une même section, de l’introduction<br />

de citations ou d’exemples etc. En général, on peut penser qu’un changement de section s’accompagne d’un<br />

changement de rime, qu’une transition au sein d’une section peut s’en passer, ce qui semble généralement se<br />

vérifier. Se passer d’un changement de rime signifie plus concrètement que le premier passage se termine sur<br />

un vers de rime nouvelle en attente d’un écho, écho qui lui sera apporté avec le premier vers commençant le<br />

passage suivant: c’est ce phénomène que, depuis Foulet, on désigne sous le terme de “brisure du couplet”.


On peut en donner une illustration avec le Proleg (A: passage précédent; B: passage suivant):<br />

Vers Mot de clôture A Intertitre Premier mot-rime B<br />

43-44 sems De las tres cauzas que so necessarias en obra cauza tostemps<br />

77-78 plus La segon[d]a cauza xascus<br />

79-80 test La terça cauza honest<br />

85-86 joençel Excitacio <strong>del</strong>s Joençels noel<br />

91-92 viatge La cauza que·s sec d’esta sciença agradatge<br />

97-98 gaya Los merits q’om reporta d’esta sciença veraya<br />

105-106 valeros La cauza per que mant hom azira aquesta sciença envejos<br />

115-116 rescon Declaracio de ço qu’es estat dig per methafora fon<br />

135-136 alegrier De que deu tractar en la primiera part cendyer<br />

144-145 coneyxenssa De que deu tractar en la segonda part scienssa<br />

158-159 dever De que deu tractar en la terça part saber<br />

162-163 principal De que deu tractar en la quarta part leyal<br />

170-171 nostre De que deu tractar en la [quinta omis] part mostre<br />

180-181 sera En la derriera part tractara d’alcunes doctrines e<br />

d’altres ensenhamens<br />

pauzara<br />

La brisure du couplet est à peu près systématique dans la partie IV, consacrée aux parties du discours et à<br />

leurs acidens (genre, nombre, cas, personne, temps), y compris au niveau des intertitres, à quelques<br />

exceptions près 4 . La partie rhétorique (V a ) a une organisation relativement complexe, avec huit titres<br />

principaux:<br />

1°) (…). De vicis e de figuras. (…): présentation générale (3921 sq.)<br />

2°) Mostra que Retthorica estrenet alscunas de las ditxas fillas ez alcunas de las nebodas de las <strong>Flors</strong> <strong>del</strong> sieu<br />

Vergier: continuation de la présentation (4289 sq.)<br />

3°) (…) de las figuras (…) (4357 sq.)<br />

4°) Dels autres vicis no principals. (4662 sq.)<br />

5°) Dels .XVII. vicis de sentensa. (4898 sq.)<br />

6°) De las XIIII fillas que Soloecismus hac de sa muller, Na Mataplasmus. (5366 sq.)<br />

7°) De las XIII fillas ques hac Allebolus de sa molher Na Tropus. E de lors nebodas que son XV. (5922 sq.)<br />

8°) De las figuras mens principals. (6771 sq.)<br />

9°) De las autras flors de Rethorica. (7088 sq.)<br />

Tous ces titres, sauf le premier qui débute l’ensemble de la cinquième partie, et le dernier, viennent briser<br />

un couplet, traitement qui souligne la cohésion de ces différentes sections au sein de la partie: une section se<br />

termine sur un vers rimiquement isolé que vient compléter le vers commençant la section suivante: 1°) aabb<br />

… iij; 2°) jkk … yyz(z). Seules les troisième, quatrième et cinquième sections comportent des intertitres,<br />

déclinant les différents vices ou figures: E primeramen de Barbarisme, De soloecisme, Del terç vici appellat<br />

Allebolus, Se Acirologia etc. 5 On constate ici un usage contradictoire à partir du troisième vice, ces rubriques<br />

intervenant d’abord systématiquement entre deux couplets (onze vices concernés), puis, à partir de la<br />

transportacio (v. 4608), au sein d’un couplet (vingt-quatre concernés), sauf une exception 6 . Dans les sections<br />

suivantes qui sont dépourvues de rubriques, c’est la brisure du couplet qui domine dans le passage à une<br />

nouvelle figure (ou vice), à moins que le passage précédent ne se conclue sur un exemple. La singularité de<br />

la neuvième section qui commence avec un nouveau couplet est soulignée par l’absence de brisure du<br />

couplet lorsqu’une nouvelle figure est présentée. Ces changements de procédés soulèvent par conséquent la<br />

question de savoir si l’on est en présence d’un changement en cours de composition ou de l’introduction de<br />

passages écrits à des moments différents, voire par des rédacteurs différents, en particulier, du fait de sa<br />

position, dans le cas de la section finale.<br />

Nous pouvons à présent voir de quelles façons s’articulent au sein de l’exposé les différents passages que<br />

4 Exceptions: vv. 3764-3765, 3842-3843, 3858-3859.<br />

5 Précisons que la septième en présente un, De methafora (devant le v. 5626).<br />

6 De amfibolia (v. 4855).


l’auteur entend doter d’une certaine autonomie, qu’il s’agisse de définitions ou d’exemples. Sauf précision<br />

particulière, nos observations ne porteront que sur les trois premières parties (III b incluse).<br />

2. Délimitation des définitions<br />

Les alinéas 7 procèdent assez systématiquement par la division du couplet, où l’insertion de nombreuses<br />

rubriques vient rythmer et structurer le discours comme on l’a vu dans le cas du prologue où c 8 es rubriques<br />

s’insèrent entre deux vers de même rime<br />

Il y a cependant quelques exceptions qui permettent de mettre en valeur des définitions sous la forme de<br />

distiques rimés, telles que Las diffinicios de trobar (228-229) 9 :<br />

Trobar es far noel dictat<br />

En romanç fi, be compassat.<br />

(“Trouver, c’est faire une nouvelle pièce en roman pur, bien arrangé.”)<br />

Ou encore La deffinicios de letra (366-269):<br />

Letra votz es no devisible<br />

E per escriure covenible;<br />

Letra, per miels esser esposta,<br />

Es menors parts de votz composta.<br />

(“La lettre est un son indivis transposé dans l’écriture; la lettre, pour mieux dire, est une petite partie d’un<br />

son composé.”)<br />

On retrouve le procédé à plusieurs reprises dans les définitions rubriquées de la seconde partie, mais la<br />

disposition du texte, au moins telle que le donne Anglade qui adopte parfois l’italique (366-369, 933-936)<br />

mais n’indique pas clairement les limites de la définition, laisse subsister des doutes sur la délimitation de<br />

certaines sections, spécialement à la fin, à propos des définitions suivantes (/ signale un changement de rime,<br />

^ la division d’un couplet 10 ; V désigne le nombre de vers composant la section en question telle que le<br />

suggère la mise en page d’Anglade):<br />

Début Fin V<br />

Ques es diptonges /480 506^ 27<br />

Ques es letra /925 929^ 5<br />

La diffinicios de sillaba ^930 1005^ 76<br />

La diffinicios de diccio /1021 1033^ 13<br />

La diffinicios d’accen /1117 1135^ 19<br />

La diffinicios de temps /1163 1207^ 45<br />

Ainsi, la définition proprement dite de la diphtongue se borne en fait à quatre vers, et se termine par<br />

conséquent avec une rime achevée. La rubrique relative à la syllabe sépare une rime en deux, le premier<br />

membre concluant de façon superflue la définition de letra (“ Vist es de letra lo proces ”), le second membre<br />

faisant partie d’un préambule de trois vers avant la définition proprement dite de sillaba 11 :<br />

La diffinicios de sillaba<br />

930 Sillaba demostrar apres<br />

7 Nous devons ici faire une réserve importante: nous nous basons sur les alinéas que donne Anglade sans avoir pu<br />

vérifier s’ils se trouvent toujours typographiquement marqués dans le manuscrit; la présence d’une rubrique est<br />

naturellement une meilleure garantie que son absence.<br />

8 Nous devons ici faire une réserve importante: nous nous basons sur les alinéas que donne Anglade sans avoir pu<br />

vérifier s’ils se trouvent toujours typographiquement marqués dans le manuscrit; la présence d’une rubrique est<br />

naturellement une meilleure garantie que son absence.<br />

9 Autres exceptions dépourvues de ce genre de justification: 279/280, 605-606, 960/961<br />

distique de transition: 309/310<br />

transition marquée d’une rubrique: 320/321, 852/853<br />

10 Le v. 506 se termine ainsi par re, le vers suivant par rete.<br />

11 Les italiques sont d’Anglade.


Volem tantost es atressi<br />

Diffinir com vesetz ayci:<br />

Sillaba votz es literals<br />

Segons los digs gramaticals<br />

935 Sots un accen pronunciada<br />

Ez en un trayg d’una levada.<br />

(“Nous voulons montrer ci-après ce qu’est la syllabe et aussi la définir comme vous voyez ici: la syllabe<br />

est un son composite selon la grammaire, prononcée sous un accent et d’une traite en un seul mouvement.”)<br />

Si la rubrique scinde ainsi une rime en deux, cette scission n’affecte en rien la définition. La définition de<br />

l’accent semble quant à elle se limiter à quatre vers, les 15 suivants consistant davantage en un commentaire<br />

explicitant le concept de melodia mis en œuvre dans la définition:<br />

Accens als no m’appar qe sia<br />

Mas ordenada melodia<br />

De votz que sobr’una sillaba<br />

1120 Principalmen totz temps s’acaba.<br />

Ez es melodia dous xans<br />

E plazens sos ez agradans<br />

Per lo qual es pronunciada<br />

Segon dever e governada<br />

1125 Diccios, etc.<br />

(“Il ne me paraît pas que l’accent soit autre chose qu’une mélodie plus ordonnée de sons qui s’achève le<br />

plus souvent sur une syllabe. Et cette mélodie est un doux chant et un son plaisant et agréable par lequel on<br />

prononce comme il faut et contrôle les mots, etc.”)<br />

Le cas de la définition du temps est sans doute plus délicat, mais celle-ci semble bien porter sur les cinq<br />

premiers vers, et on ne peut écarter l’idée que le rattachement du vers 1167 qui nous semble si évident du fait<br />

de l’emploi moderne le plus usuel de la conjonction car ne l’était pas pour l’auteur qui pouvait fort bien y<br />

voir une indépendante faisant fonction de commentaire de l’idée précédente:<br />

Temps es demora c’om deu far<br />

Competen al pronunciar,<br />

1165 La qals per dever ajustada<br />

Es a l’accen ez aplicada,<br />

Car d’ela pren tot son cabal.<br />

Us motz un accen principal<br />

Deu aver ses plus tota via,<br />

1170 E quantes que sillabas sia;<br />

Car per aquell es governatz<br />

Ez es principals appellatz;<br />

Qar per aqell es conegutz,<br />

Regitz, format es entendutz<br />

1175 Cascus <strong>del</strong>s motz c’om ditz parlan;<br />

etc.<br />

(“Le temps est un délai qu’on doit ménager de façon convenable dans la prononciation, lequel par<br />

nécessité est ajusté et appliqué à l’accent, car c’est de lui qu’il prend tout son dû. Un mot doit avoir un accent<br />

principal sans plus toutefois, et quel que soit le nombre de syllabes qui le composent; car c’est par lui qu’il<br />

est gouverné et qu’on le dit principal; car c’est à travers lui que sont connus, régis, formés et compris chacun<br />

des mots qu’on profère en parlant; etc.”)<br />

La partie III a donne deux définitions, rubriquées: La deffinicios de bordos (v. 1275 sq.) et La diffinicios<br />

de rim (v. 1708 sq.), dont la première pose davantage problème, car elle semble bien s’arrêter au cinquième<br />

vers:<br />

1275 Bordos es una partz de rima<br />

Qu’en XII sillabas fay sima<br />

E la razits dexen a quatre<br />

E no·l deu hom de plus abatre,<br />

Sino ret empeut o bioch.<br />

1280 Regularmen en aquest loch


Ez en semblan es entendut<br />

Que·l bordo en accen agut<br />

Deu finir, al qual assignam<br />

Certas sillabas e donam;<br />

etc.<br />

(“Le vers est une partie de rime, qui culmine avec 12 syllabes et prend racine avec quatre, et on ne doit<br />

pas descendre en-dessous, à moins d’en faire un greffé ou brisé. Régulièrement en ce lieu et autres<br />

semblables, on considère que le vers doit se terminer sur un accent aigu, auquel nous assignons et donnons<br />

certaines syllabes; etc.”)<br />

Dans la partie III b , la définition de chaque type de dictat (vers, canso, sirventes, dansa etc.) est<br />

également démarquée par la rime, sauf celle du descort où le dernier vers (3195) n’apporte à vrai dire pas<br />

grand chose à la description de la tornada du descort (dont le modèle est en fait le descort plurilingue de<br />

Raimbaut de Vaqueiras):<br />

Lo compas de cobla no passa,<br />

3195 La qal ab tots bordos s’afina.<br />

(“Elle ne doit pas dépasser la taille d’un couplet, lequel est parfait avec tous les vers [qui la constituent].”)<br />

Cette autonomie des définitions semble avoir une visée mnémotechnique en leur conférant une autonomie<br />

qui les rend faciles à extraire, avec une cohérence qui vient appuyer leur brièveté. Néanmoins, il convient<br />

sans doute de distinguer définitions courtes et définitions longues, telles que celles des genres, car si le<br />

caractère aisément mémorisable des premières semble s’imposer, on ne peut qu’avoir des doutes pour les<br />

secondes où on peut davantage penser que leur cohésion formelle a pour but de souligner leur unité, sans<br />

viser pour autant à une quelconque mémorisation. La fonction mnémotechnique ne semble au demeurant<br />

jamais explicitée, mais on peut relever un cas particulier d’une telle évocation à propos de la doctrina de<br />

rims retrogradats per sillabas e letras, procédé qui repose sur des artifices qui mettent à mal les<br />

versificateurs, au point que le théoricien en vient à suggérer d’apprendre quelques vers qui lui rappellent leur<br />

vanité:<br />

E q’om son temps trop no·y despenda<br />

Aquests versets cascus aprenda:<br />

2165 Qui per sillabas retrograda<br />

Als non es mas: bada, folls, bada;<br />

E qui de tornar letras usa,<br />

Dir li pot hom: musa, folls, musa.<br />

(“Et pour qu’on n’y consacre pas trop de temps, que chacun apprenne ces vers: Celui qui rétrograde<br />

syllabe par syllabe, il n’est rien de plus qu’un fou béant la bouche; et qui s’applique à retourner des lettres,<br />

on peut lui dire: “ Perds ton temps, fou, perds ton temps. ””)<br />

3. Les exemples standards<br />

Certains exemples n’occupent qu’une partie de vers, comme lorsque l’auteur oppose les diphtongues<br />

descendantes aux voyelles, en ce qu’elles ne provoquent pas d’hiatus (v. 554 sq.):<br />

Per que si paussatz son e mes<br />

555 Denan vocal vicis non es,<br />

Si con Johans me fay enueig,<br />

Ez enaxi de totz los hueig,<br />

Los qals podrets ayssi vesser.<br />

(“Parce que s’ils sont posés et mis devant une voyelle, ce n’est pas un vice, comme dans de Jean j’ai<br />

ennui, et il en va ainsi des huit [diphtongues], lesquelles vous pourrez voir ici.”)<br />

Il peut s’agir de plusieurs vers, mais incomplets du début ou de la fin, et qui à ce titre ne nous concernent<br />

pas davantage; ainsi, à propos du son de G:


Adonchs aysso tany ab la I<br />

Oz ab E senes tot meja,<br />

Car ab ley s’enlassa tot pla,<br />

Coma si·l mieu coratge huega<br />

675 De mos pecatz a Dieu me puega. 12<br />

(“Donc, ceci convient pour le I ou pour le E sans intermédiaire, car il se lie pleinement à lui [= G],<br />

comme: s’il me vide de mes péchés, mon courage me fait monter à Dieu.”)<br />

Il va sans dire que, dans de tels cas, l’auteur ne cherche pas spécialement à isoler par la rime ces exemples<br />

qui sont indissociables du texte-cadre. Il est possible que certains cas d’exemples ne soient étendus à une<br />

séquence complète de vers que par convenance, sans recherche particulière comme semble l’indiquer<br />

l’exemple suivant qui est rimiquement intégré au contexte (il faudrait remplacer la virgule par deux points à<br />

la fin du v. 560):<br />

Yeu e huey poden loch aver<br />

560 Apres vocal; M es ab vici 13 :<br />

Com yeu fay be huey mon offici,<br />

Com huey podets virar los motz;<br />

(“Yeu et huey peuvent se présenter après une voyelle; par vice après M: Comme je fais bien aujourd’hui<br />

mon travail, comme aujourd’hui vous pouvez changer les mots.”)En ce qui concerne les exemples détachés<br />

qui consistent en un ensemble quelconque de vers complets, il y a pour l’auteur des <strong>Flors</strong> plusieurs façons de<br />

les traiter . On trouve les cas de figure suivants:<br />

1°) exemples rédigés comme le texte-cadre en octosyllabes à rimes suivies (nous parlerons<br />

d’exemples “intégrés”)<br />

2°) exemples différenciés par le mètre seul, monométriques comme polymétriques<br />

3°) exemples différenciés par la seule disposition des rimes<br />

4°) exemples différenciés à la fois par le mètre et la disposition des rimes<br />

Toute la question concerne naturellement la motivation de la différentiation éventuelle, que ce soit au<br />

niveau du mètre ou de la rime.<br />

3.1. Exemples intégrés<br />

La démarcation des exemples intégrés est, comme les définitions, signalée par l’autonomie rimique, mais on<br />

trouve quelques exceptions:<br />

Li mot sinalimphat s’estan<br />

Denan vocal, si be·s termeno<br />

En M, qar la regla no teno,<br />

Segons ques ayci vesetz ara:<br />

575 Be m’es la mortz greus ez amara,<br />

Qar vas totz latz vey que m’albira,<br />

E m’assallis don ay gran ira<br />

E gran pahor can me sove.<br />

Per [er]re la regla no te,<br />

Per que soen no las prendem.<br />

Etc.<br />

(“Les mots élidés se présentent devant voyelle quand bien même ils sont alors terminés par [en fait<br />

réduits à] un M, car ils échappent à la règle [de l’élision… en latin!], selon ce que vous pouvez voir ici: La<br />

mort m’est bien pesante et amère, car je vois que je me considère de tous côtés, et elle m’assaille ce dont je<br />

suis grandement irrité et effrayé lorsque j’y pense.”)<br />

12 On attendrait pour les deux verbes une désinence en e ou i; dans la version de Toulouse, on lit vuegi et pluegi (éd. J.<br />

Anglade, Las Leys d’amors, vol. II, p. 42).<br />

13 Fait référence à la rubrique précédent le v. 521: Vocal ni M denan vocal ni R denan R ni S denan R, qan denan S ha<br />

autra consonan, no deu hom pauzar en diverses motz.


Voir aussi: /462-468^ (à propos de la distinction de i et u voyelle ou consonne), /538-542^ (à propos de r<br />

et de s devant r), /633-635^ (à propos des consonnes euphoniques après la préposition a), /645-651^ (id.<br />

après la conjonction o), 836-842 (à propos du son de s comme consonne évitant l’élision de que), ^1056-<br />

1059^ (à propos des rimes tronquées), /1063-1069^ (à propos des homonymes), /1075-1079^ (à propos de<br />

l’élision).<br />

Exceptionnellement pour les cas de plus de trois vers, l’exemple enchaîne directement avec la<br />

présentation au moyen d’un connecteur (si) dans l’illustration de la consonança de T e D en fi de mot (883-<br />

889) où, ayant décrit l’équivalence de ces consonnes à la rime, l’auteur des <strong>Flors</strong> ajoute:<br />

Per que segon us si pauzam<br />

L’una per l’autra no pecam: 14<br />

885 Si com l’avars per aver ard,<br />

Le franchs ha joy quan lo seu part;<br />

Qi per sa colpa lo sieu perd<br />

No·l tingats per savi ni cert,<br />

De trops d’aytals c’om ditz tots jorn.<br />

(“Parce que selon l’usage, si nous employons l’un pour l’autre, nous ne péchons pas: ainsi, comme<br />

l’avare brûle pour posséder, le franc a plaisir à donner sa part; celui qui par sa faute perd la sienne, ne le<br />

tenez pas pour sage ni sensé, il y en a trop de tels comme on dit toujours.”)<br />

Il va de soi que les exemples de coblas se doivent de se donner peu ou prou l’apparence d’une cobla,<br />

mais il est certain que l’emploi de rimes plates surprend toujours dans ce genre de contexte lyrique bien<br />

qu’ils soient par ailleurs effectivement attestés. Lorsque le type de cobla considéré n’engage pas la rime 15 , ce<br />

sont les rimes plates qui sont systématiquement adoptées, forme neutre par excellence: l’exemple de cobla<br />

capfinida, un sixain (/2513-2518/), celui de cobla capdenal, un quatorzain (/2523-2542/) et d’autres encore<br />

appartenant à la même classe générale de coblas parsonieras, c’est-à-dire reposant sur un procédé de reprise<br />

qui n’engage généralement pas la rime, de même que les coblas sentencials, ont naturellement été construits<br />

pour les besoins de la démonstration.<br />

3.2. Exemples différenciés par le mètre<br />

La démarcation des exemples métriquement différenciés bien qu’en rimes suivies qui servent à illustrer les<br />

différents types de vers font également l’objet d’une délimitation initiale: De bordos de quatre sillabas 16<br />

(/1297-1301^ plus /1308-1334^), de V sillabas (/1336-1354^) etc., y compris les vers de huit syllabes qui<br />

retrouvent par la force des choses la mesure adoptée dans le traité: le fait à illustrer est dans de tels cas la<br />

motivation même du changement de mètre, mais tout changement ne s’explique pas pour autant par cette<br />

raison. Ainsi, l’exemple de vers de sept syllabes et celui de huit se terminent sur une vers brisé, qui prolonge<br />

même la rime d’une nouvelle occurrence dans le premier cas. Ce qui est plus remarquable, c’est que, dans les<br />

deux cas, la rime est reprise avec le retour au discours didactique; ex. 1392-1399:<br />

[…]<br />

E adonchs per mi pregar<br />

Vullatz lo vostre fill car<br />

Qu’el, per sa gran passio,<br />

1395 Dels mals ques ay faytz me do<br />

Perdo.<br />

Del nombre d’ueyg sillabas so<br />

Li siguen versset atressi,<br />

Con ceyl qui son pauzat ayssi.<br />

(“Et donc veuillez prier pour moi votre cher fils afin que, par sa grande souffrance, il me donne le pardon<br />

14 Anglade met une virgule.<br />

15 Parmi les coblas parsonieras qui reposent sur la replicatio, il faut excepter les coblas retronchadas et les<br />

duplicativas.<br />

16 Le vers 1307 (“ Ez esta raysos no·us [e]scape: ”) est orphelin pour une raison… qui nous échappe!


pour les maux que j’ai commis./ C’est de huit syllabes que sont les vers suivants pareillement, comme ceux<br />

qui sont ici présentés.”)<br />

L’exemple de vers de onze syllabes (5 + 6) est donné incomplet, avec la mention finale “ etc. ”, de même<br />

que celui de vers alexandrins, mais la mention “ etc. ” y est suivie de l’avant-dernier vers (et non du dernier)<br />

de la citation, dont la terminaison est reprise en tête du paragraphe suivant ouvert par le titre “ De las<br />

diversas manieras de bastos e primieramen <strong>del</strong>s principals ” (1481/1482). Les Leys d’Amors donnent ces<br />

passages en entier (Gatien-Arnoult 1841­1843, I).<br />

3.3. Exemples différenciés par un arrangement de rimes propre<br />

Les exemples articulés sur des oppositions placées au niveau de la rime sont naturellement détachés. Il s’agit<br />

alors d’homographes qui se différencient soit par le timbre de la voyelle, soit par l’accent, où les mots en<br />

question sont disposés en un distique contraignant la restitution de la rime perdue par cette altérité au moyen<br />

d’une nouvelle paire de mots de même type. Il en va ainsi des mots utrissonans, c’est-à-dire comportant une<br />

voyelle dont une variation de l’articulation affectant l’aperture ou le lieu apporte un changement de sens,<br />

opposition que neutralisent les Catalans, “ Qar de petit fan plenier so ” (le circonflexe désigne ici la voyelle<br />

tenue pour fermée ou semissonan; son absence, l’ouverte ou plenissonan) 17 :<br />

430 E veus eyshemple manifest<br />

Que nos pauzam en aycest test:<br />

Si pres de savis homes vas,<br />

Leument no seras foyls ne vâs;<br />

Mas qant que·t regardes a lor pas,<br />

435 Ja no·t fallira vis ni pâs.<br />

(“Et voici un exemple manifeste que nous rapportons dans ce texte:/ Si tu vas auprès d’homme sages, tu<br />

ne seras pas aisément fou ni vain; mais en ce qui te regarde, à les suivre, il ne te manquera ni vin ni pain.”)<br />

Il en va de même des homophones qui s’opposent par l’accentuation (rims accentuals) 18 :<br />

Exemple dam per miels entendre:<br />

Tan fort me pony que li fissó<br />

11000 De la mort en la cor me físso,<br />

Ques a manieyra d’arrisó<br />

Tuyg li pel <strong>del</strong> cap me arísso;<br />

Veus adonchs ara declarat.<br />

(“Nous donnons un exemple pour mieux comprendre: Cela me point si fort que les aiguilles de la mort<br />

me piquent au cœur, si bien qu’à la façon du hérisson tous mes cheveux se dressent sur ma tête; voici à<br />

présent la chose exposée.”)<br />

La forme minimale qui apparaît ici témoigne d’une subtile intrication: le schéma général du traité, avec<br />

ses rimes plates, est bien présent ici, mais à la relation rimique classique se substitue un autre type de relation<br />

qui est la paronymie, celle qui lie vas et vâs ou fissó et fisso. La relation rimique proprement dite passe ici au<br />

second plan, et doit se réaliser par une construction alternée (abab) de façon à apporter un écho à chacun des<br />

paronymes associés.<br />

Le choix d’un arrangement de rimes particulier est le plus souvent motivé par la matière traitée: il en est<br />

ainsi des rims continuats (1916–1920: rimes continues, avec cinq vers homorimes), des encadenats (1923–<br />

1926: rimes alternées), ou encore de la cobla retroncha basée sur l’utilisation d’un mot-refrain (2557–2566:<br />

dix octosyllabes terminés par le pronom nos, sauf le dernier, terminé par glorios) ou de la cobla duplicativa<br />

utilisant la figure de la symploque qui est une combinaison de l’anaphore et de l’épiphore au niveau de<br />

chaque vers (2575-2581: sept vers commencés par l’interrogatif qui et terminés par Dieus, sauf le dernier<br />

terminé par sieus): ces figures auraient cependant pu être illustrées au moyen de deux vers seulement, mais le<br />

théoricien semble lier à la figure un principe multiplicatif, pas simplement duplicatif. Le choix d’un schéma<br />

rimique en aaabbcccdd pour illustrer les coblas dubitativas, variété de coblas sentencials fondée sur<br />

l’amphibologie, est par contre parfaitement libre, et ses rimes répétées pourraient suggérer l’emprunt d’un<br />

17 Les accents discriminateurs sont de nous, ainsi que dans l’exemple suivant.<br />

18 Voir aussi l’exemple de rims accentuals et des utrissonans aux vv. 2424-2427 et 2430-2433.


exemple tiré de quelque source indépendante.<br />

Le second exemple de bordos enpeutatz, c’est-à-dire à rimes internes, n’a que cinq vers: la reprise du<br />

discours du théoricien enchaîne ainsi par la rime:<br />

1545 Totz homs es duptatz e prezats<br />

E honrats fort per sa riqueza;<br />

E si·l fayl es fatz appellatz<br />

Per quant ques haia nobleza<br />

Preza de pretz o de linatge.<br />

Dels bordos biocatz<br />

1550 Bordos biocatz pren lengatge<br />

De bioch, car d’aqui·s dexen,<br />

Etc.<br />

(“Tout homme est grandement craint et prisé et honoré pour sa richesse; et ainsi la faute est appelée<br />

destinée pour autant qu’il y ait de la noblesse prise de la valeur et du lignage./ Des vers brisés/ Les vers<br />

brisés tirent leur nom de bris, car c’est de là que le mot dérive.” 19 )<br />

La forme suggère un exemple emprunté, mais le théoricien a fort bien pu improviser ces vers.<br />

Un exemple de rims encadenats (rimes alternées) est intéressant en raison d’un trait dialectal assez rare<br />

que l’on trouve une fois chez Matfre Ermengaud, chez Antoni Racaut et chez Joan de Recaut, dans des<br />

quatrains moraux copiés dans le sud-ouest ainsi que dans deux Mystères tardifs du Dauphiné:<br />

Am gen parlar, am bell respondre<br />

So que non es cujan mostrar,<br />

Mas finalmen no·s pot estendre,<br />

1930 Car fis amichs a tot appar.<br />

(“Avec une façon délicate de parler, avec une belle façon de répondre, ils s’imaginent montrer ce qui n’est<br />

pas, mais finalement cela ne peut pas durer car rien n’échappe à un véritable ami.”)<br />

On peut trouver un autre cas où l’abandon des rimes plates s’imposait, avec l’illustration des rims<br />

estramps, soit de vers non rimés (1740–1747 et 1750–1756), et nous en évoquerons d’autres au § 4.<br />

Il va de soi que les exemples de coblas se doivent de se donner peu ou prou l’apparence d’une cobla:<br />

certains exemples<br />

3.4. Exemples différenciés par le mètre et la rime<br />

C’est l’illustration des différentes variétés de rims equivocs qui surprend le plus, car les exemples qui sont<br />

tous démarqués par la rime utilisent pour la plupart l’heptasyllabe, qu’il s’agisse de rimes plates ou d’autres<br />

arrangements de rimes. Il s’agit chaque fois de quatrains monorimes. L’un qui joue sur les divers sens de<br />

costa (2232-2235) illustre les equivocs verays; voici celui qui illustre les contrafayts:<br />

Hom que labor de re mena<br />

2250 Me par folls si no remena<br />

Lo blat que leumen semena,<br />

Car ab aquell gen se mena.<br />

(“”)<br />

Bien qu’analogue, ce type d’arrangement diffère de celui des rims accentuals et des utrissonans (§ 3.3):<br />

l’arrangement séquentiel du discours en rimes plates se retrouve bien ici, avec deux rims equivocs successifs,<br />

mais le second couple utilise la même rime stricto sensu que le premier 20 . (<br />

La question de savoir d’où viennent ces exemples se pose naturellement, mais ils semblent avoir été<br />

forgés pour le besoin. Certains sont tronqués, avec l’indication “ etc. ” qui peut rendre la dernière rime<br />

orpheline, comme ceux illustrant les vers de 11 ou de 12 syllabes qui sont en l’occurrence une reprise<br />

19 L’étymologie ne semble pas élucidée, et la forme est problématique (on trouve aussi broc).<br />

20 Le seul exemple donné en octosyllabes adopte par contre un arrangement particulier de rimes – ababcbbcb – qui le<br />

fait relever du 3 e type.


abrégée des exemples des Leys d’Amors dont la taille est relativement importante (28 et 54 vers), mais celle<br />

des hendécasyllabes ne l’est à vrai dire pas plus que les exemples illustrant l’octosyllabe (36 vers).<br />

Les exemples métriquement différenciés avec d’autres systèmes de rimes se trouvent également<br />

démarqués du texte-cadre par leur indépendance au niveau de la rime, ce qui n’empêche toutefois pas<br />

d’éventuels effets d’enchaînement avec la reprise du commentaire. Ainsi dans l’exemple de bordos de IX<br />

sillabas qui utilise des rims multiplicatius: “ Lo mon veg mal adreg ” qui sont présentés en deux<br />

arrangements distincts 21 :<br />

1445 Mas si·l rim son multiplicat,<br />

Assatz podon cazer en grat,<br />

Segons c’ayssi podetz trobar,<br />

Los qals a VI pot hom tornar:<br />

1449/1450 Lo mon veg mal adreg/ e destreg<br />

1450/1451 car ab [p]leg/ frany hom dreg per naleg. 22<br />

A VI lo pot hom convertir,<br />

Segons c’ayssi podetz legir:<br />

Lo mon veg mal adreg<br />

1455 E destreg car ab [p]leg 23<br />

Frany hom dreg per naleg.<br />

Per mils procezir e pus dreg,<br />

Mostram vos cels que so de detz,<br />

Los quals ayssi vesser podetz.<br />

(“Mais si les rimes sont multipliées, elles peuvent se présenter à loisir comme on peut trouver ici avec des<br />

vers qui se peuvent convertir en hexasyllabes:/ Je vois le monde maladroit et avare car il est fréquent que<br />

l’on brise le droit par la faute./ On peut convertir ces vers en vers de six syllabes, comme vous pouvez les<br />

lire: […]/ Pour procéder d’une façon meilleure et plus correcte, nous vous montrons ceux qui sont de dix<br />

syllabes, lesquels vous pouvez voir ici.”)<br />

Le vers 1457 enchaîne en effet avec l’exemple, reprenant la rime en eg. Il est deux cas particulièrement<br />

intéressant où l’auteur du traité donne des exemples de quatre décasyllabes qui substitue à la rime classique<br />

une rime bâtarde, car tel est précisément le propos des rims sonants borts (assonances) et des rims<br />

consonans borts (identité des syllabes posttoniques). Voici l’exemple pour ces derniers:<br />

“ Tan m’a escalfat Amors lo cor e·l fege [e fermé]<br />

Que lu[n]ys cosells garir non pot de mege, [e ouvert]<br />

1785 Sino de liey que <strong>del</strong> sieu foc m’abranda,<br />

Car ella sap la maniera co·s tuda. ”<br />

(“L’amour m’a tellement échauffé le cœur et le foi, qu’aucun conseil de médecin ne peut me guérir, seul<br />

le pouvant un conseil de celle qui m’a embrasé de son feu, car elle sait la manière de l’éteindre.”<br />

4. Les exemples de rims ordinals<br />

La notion de rims ordinals abordée dans III a recouvre la façon dont les rimes sont disposées au sein de la<br />

strophe et la façon dont elles sont ou non reprises d’un couplet à l’autre (réseaux interstrophiques). C’est<br />

dans le cadre des rims ordinals que l’auteur peut passer d’un procédé à l’autre avec la plus grande liberté,<br />

21 Nous amendons la première citation de l’exemple. Anglade considère que c’est la seconde qui devrait être ainsi<br />

amendée, et estime qu’il faudrait lire IX au lieu de VI au v. 1452; la confrontation avec les Leys d’Amors montre<br />

cependant qu’il n’en est rien, et que le VI du v. 1448 doit également être maintenu (l’auteur présente les ennéasyllabes<br />

en signalant qu’ils peuvent être disposés en vers de six syllabes, ce qu’il fait par la suite).<br />

22 Le ms. dispose ces vers sur trois lignes de six syllabes chacune, en contradiction avec la présentation.<br />

23 La correction est de nous (ainsi qu’au v. 1455), à partir de la version en prose.


dans un contexte où, sauf exception 24 , seule la rime exige des arrangements spécifiques à même d’illustrer<br />

les formes codifiées dans le traité. L’auteur des <strong>Flors</strong> (ou bien entendu des Leys dont les <strong>Flors</strong> sont un<br />

résumé) devait ainsi s’écarter du modèle neutre des rimes plates pour recourir à des formes adaptées, soit en<br />

les empruntant, soit en les inventant en lesfabriquant pour la circonstance, le plus souvent en octosyllabes<br />

comme le texte cadre. Les rims caudats qui correspondent en gros à nos rimes plates mais plus exactement à<br />

nos rimes suivies qui enchaînent généralement deux vers homorimes, mais parfois trois ou plus, sont illustrés<br />

de deux exemples de deux vers chacun, plus un de neuf vers (aaabbccdd); comme nous l’avons vu, les rims<br />

continuats sont illustrés d’une séquence de cinq vers homorimes; les encadenats qui correspondent à nos<br />

rimes alternées ou croisées, de deux exemples de quatre vers chacun (abab); les crozats qui correspondent à<br />

nos rimes embrassées, d’un huitain de décasyllabes (abbacddc) dont le mètre laisse suspecter un emprunt; les<br />

multiplicatius (une forme de rimes internes), une première fois d’un distique de deux ennéasyllabes ternaires<br />

(3+3+3), une seconde fois d’un distique de deux dodécasyllabes quaternaires (3+3+3+3), une troisième fois<br />

de quatre vers hétérométriques, soit deux octosyllabes plus deux alexandrins:<br />

A tort han mort a cruzel mort<br />

Mon port conort e mon cofort;<br />

Deziros, cossiros e ploros bien seria<br />

1950 Si doncs vos, dona pros, cors joyos, no vezia.<br />

(“Ils ont tué à tort d’une mort cruelle mon maintien, mon espoir et mon réconfort; je serais désireux,<br />

soucieux et éploré si je ne vous voyais pas, dame excellente, cœur joyeux.”)Le premier de ces exemples a<br />

également été utilisé pour illustrer lesbordos de neuf syllabes (cf. § 3.4). Les rims serpentis où chaque<br />

syllabe d’un vers trouve un écho dans le suivant sont illustrés d’un distique d’hexasyllabes (1953–1954):<br />

Vos Dieus clartats clara<br />

Los mieus gardats ara.<br />

(“Vous, Dieu, clarté claire, veillez à présent sur les miens.”)<br />

Les rims biocats ou vers brisés (les quebrados espagnols) sont illustrés de neuf vers alternant deux<br />

décasyllabes et un dissyllabe (a 10 b 10 b 2 a 10 b 10 b 2 c 10 c 10 c 2 ) dont la forme ne renvoie à rien de connu: il<br />

semble bien s’agir d’inventions de l’auteur des Leys d’Amors dont l’exemple est tiré. L’exemple de rims<br />

desguiatz – nos rimes mêlées – est un contrafactum, avec un treizain d’hexasyllabes (aabaabbccddcb) qui a<br />

été utilisé à deux reprises par Raimon de Cornet dans une canso ainsi qu’un sirventes daté de 1324 25 . Les<br />

exemples de rims espars, entendus comme cobla esparsa ou comme vers non rimé au sein de la strophe, sont<br />

vraisemblablement des formes inventées pour la circonstance. Le premier est un huitain de décasyllabes<br />

entrecoupés d’un hexasyllabe (10 abbac6cdd), avec une rime brisée aux deux derniers vers:<br />

Qui de parlar vol esser trop cutxos,<br />

Am vilas motz, faxucs e desplazents,<br />

Qaix demostran qu’el es plus entendents<br />

D’avol agrat se ret als compa[n]yons;<br />

2005 Pero gen los apaya<br />

Qui parla bell ez enans que retraya<br />

Au ez enten so q’om ditz e rete,<br />

Car d’autramen no pot respondre be.<br />

(“Qui veut être trop pressé de parler, avec de vilains mots, sots et déplaisants, démontrant presque qu’il<br />

s’y entend davantage, et se rend de mauvais gré à l’avis de ses interlocuteurs; alors qu’il les contente bien<br />

celui qui parle bien et avance ce qu’il expose, qui écoute et comprend ce qu’on dit et le retient, car autrement<br />

il n’est pas en mesure de bien répondre.”)<br />

Cette strophe a été composée sur le modèle précis, avec les mêmes rimes, qu’une canso de Pons de<br />

Capdolh, Humils e francs e fis soplei ves vos (PC 375,10) qui a inspiré divers contrafacta, jusqu’en<br />

Catalogne 26 . Le second est un huitain d’octosyllabes dont il n’y a pas de modèle connu, mais qui n’en a pas<br />

24 Voir les cas de rims muliplicatius ou de rims serpentis tous deux illustrés par des distiques monorimes.<br />

25 Respectivement Cen castels e cen tors (Z 558,11) et Dels soptils trobadors (Z 558,14).<br />

26 Cf. D. Billy, “ Contrafactures de modèles troubadouresques dans la poésie catalane (fin XIV-XV e siècles) ”, dans Le<br />

Rayonnement des troubadours, actes du colloque de l’AIEO, Association Internationale d’Études Occitanes,<br />

Amsterdam, 16-18 oct. 1995, éd. A. Touber, Amsterdam - Atlanta (GA), 1998, pp. 51-74, aux pp. 60-61.


moins un caractère hybride entre les formes simples telles que nous les avons définies et les strophes lyriques<br />

dont ce couplet s’inspire (8 abbacdde).<br />

Cette étude montre donc quels sont les différents artifices auxquels l’auteur des <strong>Flors</strong> <strong>del</strong> <strong>Gay</strong> <strong>Saber</strong> a pu<br />

procéder pour mettre en valeur certains éléments de sa démonstration, en particulier définitions et exemples.<br />

Dans le cadre de ce résumé du traité poétique des Leys d’amors dont l’objet n’est jamais que d’exposer les<br />

règles de la “grammaire” du trobar, les propriétés mêmes de la poésie lui offrait des modèles formels tout<br />

près. Mais lorsqu’il ne recourt pas à des emprunts dont les choix formels ne lui appartiennent pas en propre,<br />

c’est bien vers des formes simples, où le quatrain semble occuper une place privilégiée, que le théoricien<br />

s’oriente. Le privilège accordé aux rimes plates met naturellement en évidence le caractère neutre de cette<br />

façon de versifier, et on peut bien entendu contester l’idée qu’il s’agisse dans ce cas à proprement parler de<br />

formes simples puisqu’il ne s’agit que de l’application localisée d’un principe plus général. La stratégie<br />

formelle du traité qui repose sur une pratique à peu près continue de la brisure du couplet montre cependant<br />

que des passages particuliers ayant une visée spécifique (définitoire ou exemplaire) ont bien été conçus<br />

comme dotés d’une forme propre qui les démarque du contexte tout en s’intégrant harmonieusement dans le<br />

système général de la séquence de rimes plates. Ces passages mis à part, l’auteur du traité semble bien s’être<br />

livré à l’occasion à une certaine fantaisie dans la mesure des vers ou la distribution des rimes, quand bien<br />

même rien ne l’y obligeait, et il est d’autres cas où son sujet même, comme la mesure des vers, déterminait<br />

un choix formel particulier pour l’exemple, avec des solutions parfois complexes: il ne faut pas oublier ici<br />

que la plupart des exemples sont repris de la version en prose.<br />

Références<br />

Dominique Billy<br />

Anglade, Joseph<br />

1926 Las <strong>Flors</strong> <strong>del</strong> <strong>Gay</strong> <strong>Saber</strong>. Barcelona: Institut d’Estudis Catalans.<br />

Anglade, Joseph<br />

1919-1920 Las Leys d’amors. Manuscrit de l’Académie des Jeux Floraux. Toulouse: Privat, 4 vol.,<br />

Gatien­Arnoult, Adolphe­Félix<br />

1841­1843 Las <strong>Flors</strong> <strong>del</strong> gay saber, estier dichas Las leys d'amors = Les fleurs du gai savoir, autrement dites Lois<br />

d'amour, traduction de MM. d'Aguilar et d'Escouloubre, revue et completee par M. Gatien­Arnoult.<br />

Toulouse: J.­B. Paya, 3 vol.

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