LE RATTACHEMENT DE LA BRETAGNE A LA FRANCE - Agence ...
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sa personne, sous titre de garde noble." Ce fut pour la duchesse un déchirement inouï. Elle se sacrifia<br />
" pour mettre son païs en paix", car il n'y "avoit moïen de se mettre en aise [en paix] et vuider tous<br />
différens qu'en accordant ce mariage". C'est d'Argentré qui cite cette phrase fameuse mais apocryphe,<br />
qu'il met dans la bouche d'Anne au moment de son mariage : " Faut-il que je soye infortunée et<br />
délaissée d'amis, que d'être amenée à prendre mariage d'un homme qui m'a si maltraitée, et fait tant<br />
d'indignité, et retenue captive" c .<br />
L'acte par lequel on la poussa à se déposséder de l'héritage de ses ancêtres au bénéfice de son mari fut<br />
infâme, de la même manière : " Et de vray, ceste Dame s'aperçut avoir esté surprinse en cela par la<br />
faute de son conseil, elle estant en bas aage". La princesse, dont le cœur était "infiniment hardy, haut<br />
et indomptable", immolée à l'ambition de son entourage et de son cousin Charles, conserva toute sa vie<br />
une profonde affection pour Maximilien et ses descendants, et ne cessa de le leur montrer. Son<br />
mariage avec Louis XII fut imposé par la nécessité. Si cela n'avait tenu qu'à elle, elle ne se serait pas<br />
remariée, sinon à un homme qu'elle aurait aimé pour elle toute seule, pour vivre au milieu de ses chers<br />
Bretons : " Si elle se fust déliée de l'obligation de mariage, jamais elle n'eust séjourné en la France<br />
trois jours". Si les Français crurent lui faire honneur en l'acceptant pour reine, ils se trompèrent :<br />
n'eussent été les guerres qu'on lui imposa, elle fut devenue impératrice, c'est à dire la première<br />
souveraine d'Europe. Comment ne pas penser à une mésalliance ? Bref, la duchesse des Bretons était<br />
une sainte, une héroïne ; elle devenait le porte drapeau d'un peuple opprimé : " Cette dame au cœur<br />
infiniment hardy, haut et indomptable … fut en son vivant l'honneur des dames du monde, non<br />
seulement en grandeur, mais en toute vertu" ci . En tout, la plus compatissante, bonne aux pauvres et<br />
aux malheureux, se repentant avec humilité de ses fautes, s'obligeant à les réparer, adorant Dieu et les<br />
préceptes de la religion, par-dessus tout aimant son peuple et son pays, sainte parmi les saintes, grande<br />
parmi les grandes. Par contraste, Charles VIII, Louis XII, François Ier faisaient figure de déshérités de<br />
l'esprit, sinon de bandits.<br />
Le mariage de Claude avec François Ier ne fut pas davantage désiré que celui de sa mère avec Charles<br />
VIII : " A la vérité, la royne Anne ne prenait point de plaisir, n'en voulant rien au-dedans de son cœur<br />
… et de fait ne put estre le mariage tant qu'elle vécut". Ce mariage " fut bien regrettable" car elle fut<br />
" promise à Charles d'Autriche, qui depuis fut Charles cinquième, grand empereur". C'est par<br />
usurpation que le roi François Ier fut institué usufruitier du duché de Bretagne par testament de sa<br />
femme, car il n'y avait aucun droit : " Cet usufruit luy appartenait par lais [= legs ] testamentaires de<br />
la royne Claude… par la coutume de Bretaigne, il ne se pouvoit par testament faire nul lais de mary à<br />
femme; l'usufruit des biens maternels n'appartient [pas] aux pères en Bretaigne : mais il n'y avoit<br />
point de contredisans". Il n'ajoute rien de plus à la démonstration : mais c'est tranchant comme une<br />
lame de couteau : François Ier fut un voleur, comme ses prédécesseurs.<br />
Tout ceci n'était rien. Ce qui fit la réputation de l'ouvrage, c'est la manière dont d'Argentré décrivit la<br />
" réunion " du duché à la couronne de France, et les manœuvres frauduleuses dont se rendit<br />
coupable la monarchie.<br />
La version officielle était que les Bretons avaient sollicité cette "réunion" ; François Ier l'avait<br />
accordée ; il s'agissait donc d'un traité normalement discuté, paraphé, conclu. D'Argentré fournit une<br />
nouvelle version. Quelque désir qu'eussent les Rois de voir le duché annexé à leurs États, les choses<br />
n'avançaient guère. Lorsque Anne mourut en 1514, trente trois ans après le premier mariage francobreton,<br />
les choses en étaient au point mort : " Si se tindrent toujours les Rois en peine de ce Duché et<br />
avoient toutes les peurs qu'il ne leur échappast en aucune sorte, car les traictéz de mariage de la<br />
Royne Anne, et mesmes de la Royne Claude portoient [des]clauses qui ne servoient de rien à leur<br />
intention ; et mesmement par celuy avec le Roi Loys y avoit une stipullation pour les héritiers d'elle…<br />
laquelle … révoquoit et anéantissoit en effect une donation faite par le contrat de mariage du roy<br />
Charles".<br />
En d'autres termes, la reine Anne avait "bouclé" juridiquement la succession, la Bretagne ne pouvait<br />
plus tomber dans l'escarcelle des rois de France. C'est alors – dit d'Argentré – que la monarchie conçut<br />
un plan machiavélique, d'une rare perfidie : puisque les chefs des grandes familles bretonnes ne<br />
voulaient point se rallier à la France, il fallait user d'un procédé qui avait fait ses preuves de tout