Victor Hugo, l'éclat d'un siècle - Groupe Hugo
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d’égratigner sa robe aux épines de la lande, elle sait marcher des heures entières,<br />
s’accommoder des auberges « puantes ».<br />
Où la peau le matin se couvre de rougeurs ;<br />
Où la cuisine pue, où l’on dort mal à l’aise,<br />
Où l’on entend chanter les commis-voyageurs.<br />
Elle manifeste avec simplicité une force venue du peuple, sans rancune pour cette enfance<br />
orpheline et misérable aux sources de laquelle elle entraîne un <strong>Victor</strong> ému que leur amour<br />
s’accroisse d’une fraternité d’enfants malheureux. De là un itinéraire-pèlerinage : après la<br />
Bretagne de Juliette, Blois et Amboise où <strong>Victor</strong> fait partager à sa bien-aimée le souvenir de<br />
son père. De retour aux Roches, <strong>Victor</strong> installe Juliette dans un hameau proche Ŕ les Metz.<br />
Elle l’attend, il s’échappe, ils s’écrivent. Leur boîte à lettres, leur lit parfois, est un arbre creux<br />
que la nature complice a foudroyé à mi-chemin des amants.<br />
Désormais, le rite se répètera tous les ans. Chaque été voit partir Juliette et <strong>Victor</strong>, avec<br />
l’assentiment d’Adèle, pour des voyages où le dépaysement naît plus de la contemplation des<br />
paysages, des monuments et des gens, que d’un exotisme de mode qui emporte alors vers<br />
l’Orient les premiers « touristes ». La Normandie, la vallée de la Seine, la Belgique, la<br />
Champagne, la Suisse, la Provence, le Rhin, les Pyrénées espagnoles Ŕ ce voyage-là se<br />
terminera tragiquement Ŕ accueillirent tour à tour pour des périples d’un mois, leur<br />
exploration systématique de la France et de ses abords. <strong>Victor</strong> vagabonde sans bagages,<br />
capricieusement, négligeant parfois le monument célèbre pour le village anonyme. Et il<br />
enregistre, note, dessine : villes étranges, bourgs rhénans, ciels d’orage, toute une galerie<br />
d’architectures et de paysages où la précision se marie au rêve, l’ombre à la clarté, magasin<br />
d’images qui peupleront les œuvres à venir.<br />
Cloîtres, comptes, copie<br />
A Paris, dès l’automne 1834, <strong>Victor</strong> installe Juliette dans un petit appartement. Lui qui, place<br />
Royale, est toujours dérangé par des visites, découvre ses brouillons transformés en cocottes<br />
et ses plumes dans la main de sa cuisinière, trouve ici un havre où son travail est adoré autant<br />
que sa personne. Et il faut qu’il travaille. N’a-t-il pas relevé le défi de rembourser toutes les<br />
dettes de Juliette Ŕ plusieurs millions ! Ŕ dont le montant s’ajoute à l’entretien déjà fort<br />
coûteux d’une famille nombreuse, de Juliette, et d’une vie mondaine nécessaire à sa carrière.<br />
Le succès au théâtre, souhaité par ailleurs, devient alors urgent : il faut de l’argent. De là une<br />
présence ininterrompue au théâtre pendant six ans : créations de Marie Tudor en 1834,<br />
Angelo, tyran de Padoue en 1835, Ruy Blas en 1838, et reprises, après des luttes acharnées,<br />
d’Hernani et de Marion de Lorme.<br />
Mais, pour Juliette, cette réussite implique une défaite, ou, vue autrement, une conversion<br />
aussi douloureuse qu’exaltée : elle renonce au théâtre. La jalousie de <strong>Victor</strong>, déterminante<br />
certes, s’ajoute à des difficultés réelles : les sifflets du public ont chassé Juliette de la scène de<br />
Marie Tudor en 1834, Adèle s’emploie à l’empêcher d’y revenir en 1838, dans Ruy Blas, par<br />
des interventions pesantes sur le directeur du Théâtre de la Renaissance. Le rêve de la grande<br />
« acteuse », qui aurait accru par son talent le génie de Toto, se défait lentement et<br />
douloureusement.<br />
Se pose ici au narrateur une question incontournable : que fut la vie de Juliette durant ces<br />
longues années de liaison où elle incarna, inversant les rôles distribués par la société, la plus<br />
aimante, la plus fidèle des épouses ? Selon une vision assez répandue, ce fut une vie de nonne<br />
et, pour certains même, le long martyre d’une victime masochiste de l’amour. Réclusion,<br />
pauvreté et de plus en plus Ŕ au fil des ans, chasteté. <strong>Victor</strong> était le Dieu de ce cloître. De fait,<br />
Juliette, le plus romantique des personnages de <strong>Hugo</strong>, se voue à racheter, aux pieds de son<br />
idole, l’impureté de son passé.<br />
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