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Victor Hugo, l'éclat d'un siècle - Groupe Hugo

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liberté de mouvement, mais aussi de la liberté de conscience : élevés par une mère au<br />

royalisme plus voltairien que catholique, <strong>Victor</strong> et Eugène doivent subir le mépris de leurs<br />

condisciples, ravis de pouvoir leur faire mesurer la haine espagnole pour « Napoladrone ».<br />

Eugène et <strong>Victor</strong> n’ont pas des âmes de victimes. Ils se battent avec leurs armes : les poings<br />

d’abord, une écrasante supériorité scolaire ensuite. Ebahis et furieux, les sombres « magister »<br />

se virent obligés de faire sauter en une semaine six classes à ces deux gamins et d’inscrire en<br />

rhétorique (classe de première) des enfants qui savaient, à huit et dix ans, traduire Tacite à<br />

livre ouvert. Mais cette victoire ne calmait que l’orgueil. L’humidité des murs, le froid de<br />

l’hiver, les rationnements, seraient venus à bout de leur résistance, si le roi Joseph n’avait<br />

décidé de trancher en faveur de Sophie. Léopold garda Abel et accepta de rendre Eugène et<br />

<strong>Victor</strong> à leur mère à condition qu’elle rentrât immédiatement en France. Ce qu’elle fit, avec<br />

d’autant plus d’empressement, au printemps 1812, qu’elle avait eu des nouvelles favorables<br />

de Lahorie.<br />

Mme <strong>Hugo</strong> et ses enfants quittaient l’Espagne en pleine débâcle : derrière elle les armées<br />

napoléoniennes en déroute évacuaient les villes les unes après les autres. L’Empire touchait à<br />

sa fin. Elle avait donc plus d’une raison de se réjouir.<br />

« … je me vautrais à même les bibliothèques ».<br />

<strong>Victor</strong> retrouva les Feuillantines, Adèle grandie, les jeux et la lecture surtout. Chargés par<br />

leur mère de lui choisir des livres chez le « bonhomme Royol » qui tenait cabinet de lecture<br />

dans le voisinage, et même de les « essayer » pour elle, afin de lui épargner les œuvres<br />

ennuyeuses, Eugène et <strong>Victor</strong> usèrent et abusèrent de leur responsabilité. En un temps où les<br />

lectures enfantines étaient, dans les familles et les écoles, surveillées, expurgées, censurées<br />

sévèrement, les petits <strong>Hugo</strong> passaient de boulimiques heures à dévorer dans le plus grand<br />

désordre les succès faciles du jour comme les écrits alors scandaleux de Rousseau ou de<br />

Diderot. Le bon bourgeois timoré qu’Adèle avait pour père tentait bien parfois de convaincre<br />

Sophie de son imprudence. Mais cette mère, qui par ailleurs n’entendait supporter aucun<br />

manquement à son autorité, n’admit jamais qu’un mal pût naître d’un livre. Un écrivain naquit<br />

peut-être de cette débauche.<br />

Pendant que <strong>Victor</strong> jouait et lisait, Lahorie, pour avoir imprudemment participé à une<br />

conspiration contre l’Empereur, était condamné et fusillé, en octobre 1812.<br />

<strong>Victor</strong> a dix ans. Rien n’indique encore qu’il sera grand poète, ni même poète. Mais déjà cet<br />

enfant que tous s’accordent à trouver sérieux et grave a précocement fait l’expérience de ce<br />

qu’une époque disperse ordinairement entre plusieurs individus.<br />

De cette période particulièrement violente, il a vécu, subi ou observé toutes les violences :<br />

violence exaltée et victorieuse des conquêtes et des voyages, violence injuste et horrible des<br />

supplices Ŕ l’exécution de Lahorie lue sur le visage de sa mère -, violence et souffrance<br />

surtout des conflits familiaux et des séparations.<br />

Pour avoir imaginé cinquante ans plus tard la terrible enfance de Cosette, les angoisses de<br />

« la petite toute seule » dans la nuit, les cris de Gavroche au tome III des Misérables, la<br />

détresse de Gwynplaine et de Déa, et dès Notre-Dame de Paris l’exclusion de Quasimodo, le<br />

sourd Ŕ tous enfants perdus, volés, maltraités, malheureux -, il faut que <strong>Victor</strong> <strong>Hugo</strong> ait<br />

éprouvé petit Ŕ sans en guérir adulte Ŕ un formidable sentiment d’abandon.<br />

En même temps que blessée, cette enfance est portée par l’énergie d’une époque dont le<br />

<strong>siècle</strong> entier regrettera la disparition. Emanant de la Révolution et de la personne même de<br />

Napoléon, elle anime également tous ceux auprès de qui <strong>Victor</strong> a vécu : Léopold, soldat de<br />

rien devenu général et comte d’Empire, sa mère aussi forte à défendre ses enfants que ses<br />

passions, son autonomie même, ce parrain, enfin, de qui il a appris Ŕ et pas que dans Tacite Ŕ<br />

le prix de la liberté.<br />

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