Rapport de recherche sur la population itinérante et - Homelessness ...

Rapport Rapport de de recherche recherche sur sur la
la
population population itinérante itinérante et et sans
sans
domicile domicile fixe fixe des des Laurentides
Laurentides
Trigone Animation
Paul Paul Paul Carle
Carle
et
et
Lalie Lalie Bélanger Bélanger-Dion
Bélanger Dion
Juin 2003 2003
CLSC-CHSLD DES TROIS VALLÉES

SOUS LA COORDINATION DU CLSC-CHSLD DES TROIS VALLÉES
Cette recherche-action rejoint les priorités du Plan communautaire régional
sur l'itinérance de la région des Laurentides et financée dans le cadre
de l'Initiative nationale pour les sans -abri du gouvernement du Canada.
Les opinions et les interprétations figurant dans le présent rapport sont celles
des auteurs et ne représentent pas nécessairement celles du gouvernement du Canada.
DIRECTION DE LA RECHERCHE
Paul Carle, département des communications
Université du Québec à Montréal
COLLABORATION
René Charest
CLSC des Faubourgs, équipe itinérance
Marielle Rozier (CRI)
Marie Chevrier (RRSSS)
Louise Tassé (RRSSS)
responsables respectivement des études sur
l’itinérance en Montérégie, dans l’Outaouais et dans Lanaudière
RECHERCHE-TERRAIN
Lalie Bélanger-Dion
REDACTION
Paul Carle
Lalie Bélanger-Dion
COORDINATION DE LA RECHERCE
Suzanne Rivard, agente de liaison
CLSC-CHSLD des Trois Vallées
Hélène Lafrenière, agente de planification
de programmation et de recherche
Régie régionale de la santé et des
services sociaux des Laurentides
Isabelle Lachaîne, directrice des programmes
et des services à la clientèle
CLSC-CHSLD des Trois Vallées
Monique Therien, chef d’administration des programmes,
enfance, famille, jeunesse et adultes
CLSC-CH d'Argenteuil
MISE EN PAGE
Lorraine Dionne
Les illustrations accompagnant les témoignages des personnes itinérantes sont tirées de la campagne
« Solidaires face à l’itinérance » initiée par Trigone Animation et réalisée avec l’ensemble des partenaires
(voir : http://www.itinerance.info/html/partenaires.html
La forme masculine utilisée dans ce texte désigne, lorsqu’il y a lieu, aussi bien les femmes que les hommes.
2

Témoignage
Vous trouverez tout au long de ce rapport des pages-témoignages. Il nous semblait important de vous
faire rencontrer certaines des personnes vivant, ou ayant vécu l’itinérance dans la région des
Laurentides, ce qu’un portrait global ne permet pas toujours.
Pseudonyme : Gabriel
Âge : 48 ans
Lieu de naissance : inconnu
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, août 2002
FRAGMENTS DE VIE
Gabriel n'a pas voulu donner de détails sur sa vie,
mais il nous a laissé le témoignage suivant :
« Je suis né sans en mourir dans un pays où la
survie était possible. Ça m'a permis de ne pas
toujours être seul, mais même seul, il y avait des
moyens de pouvoir m'assumer en me consolant
d'être encore en vie et que ça pourrait être pire,
comme d'être pris dans un pays qui ne fait rien
pour son peuple. Notre pays offre un grand rêve,
celui de pouvoir tout réussir si seulement on suit
les bonnes directives; mais les directives sont à
revoir au plan national qui doit venir écouter le
peuple. Personne ne veut un autre Ralph Klein ou
un Mike Harris qui ne pense qu'aux riches.
Grandir dans le bas de la ville de Montréal, dans
une famille de pauvres, à manger à l'Accueil
Bonneau, à s'habiller aux Disciples d'Emmäus, de
finir dans les mains du gouvernement qui nous
reléguait dans des ressources « douteuses »,
d'avoir vu mes rêves s'effriter en même temps que
de voir celui du pays attraper le mauvais « œil ».
Il y a beaucoup de chemin à faire pour ouvrir
l'esprit des gens mieux nantis à celui d'un monde
qui pourrait utiliser un peu plus de compréhension,
ne fusse que pour espérer.
Gabriel, le lendemain de notre visite, quittait la
maison d’hébergement, son mois étant écoulé.
N’ayant pu trouver de chambre ou de logement, il
a quitté avec une tente et son chèque de Solidarité
sociale.
3

Témoignage
Pseudonyme : Danielle
Âge : 40 ans
Lieu de naissance : Abitibi
Rencontre : Maison d’hébergement pour femmes
dans les Hautes-Laurentides, septembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Danielle n’a pas eu une enfance de tout repos :
alcool et violence dans la famille (père), pratique
rigide de la religion (secte).
À l’aube de ses 16 ans, sa mère retourne sur le
marché du travail : transition difficile, séparation
du couple, départ pour Montréal en cachette,
déracinement (famille, école, amis). Elle
commence à consommer de l’alcool. À 20 ans,
elle est de retour à Rouyn, y entreprend une
première relation amoureuse et consomme de
plus en plus.
À 23 ans, apparaissent les premières
manifestations de la maniaco-dépression : elle
doit faire un séjour d’un an en psychiatrie sous
forte médication. Au sortir, c’est son premier
appartement seule. Elle consomme toujours, tente
d’étudier mais ne complète aucun cours. Elle est
de plus en plus instable et déménage à 32
reprises au cours des années qui suivent, le tout
ponctué de plusieurs séjours en psychiatrie.
Danielle se promène entre Montréal, Rivière-du-
Loup, Rouyn-Noranda, Laval, Val-d’or, Ottawa.
Lors de notre rencontre, elle vivait dans les
Hautes-Laurentides, participait aux activités d'un
organisme pour femmes victimes de violence et
n’avait pas de projets de déménagement. Elle se
disait satisfaite, fière de se constituer peu à peu
un réseau social et de maintenir ses acquis pour
la première fois de sa vie...
4

TABLE DES MATIÈRES
Section 1 : Ce qu’est cette étude et ce que n’est pas cette étude 7
1.1 Le mandat 7
1.2 Une recherche-action 9
1.3 Une recherche-terrain 11
1.4 Les limites de la recherche 14
Section 2 : La région des Laurentides et son bilan de santé 19
2.1 La région des Laurentides 19
2.2 Bilan de santé et de bien-être de la région des Laurentides 20
2.3 Les Laurentides : une, deux, trois ou sept régions 29
Section 3 : Organismes et personnes contactés et/ou rencontrées 35
Section 4 : Résultats de la recherche 43
PAGE
4.1 De quelques stéréotypes et attitudes rencontrés 43
4.2 Une évaluation du nombre 44
4.3 L’axe de la route 117 46
4.4 Les liens avec Montréal 46
4.5 Les facteurs de risque 48
4.6 Profil des personnes itinérantes et sans domicile fixe des Laurentides 50
4.7 La question d’une errance rurale 57
4.8 Le phénomène de l’itinérance au nord et au sud des Laurentides 59
4.9 Les pistes de solultion proposées par les intervenants 60
4.10 Résultats de nos rencontres avec des personnes itinérantes
et sans domicile fixe 67
Section 5 : Quelques éléments supplémentaires de réflexion 77
5.1 Le processus 77
5.2 Boris Cyrulnik et la notion de résilience 87
5.3 La situation particulière des jeunes 94
5.4 Archétypes de l’itinérance 96
5.5 Besoins de base de la personne 98
Section 6 : Questions finales et suites à la présente recherche 101
Bibliographie 107
Annexe 113
5

Témoignage
Pseudonyme : Victor
Âge : 21 ans
Lieu de naissance : Amos
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, septembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Victor n’a que cinq ans lorsque ses parents se
séparent. Il vit par la suite avec sa mère,
pratique plusieurs sports, adore l’écriture (journal
personnel) et termine avec succès son
secondaire de même que deux DEP.
Il consomme régulièrement de la marijuana. En
2001, il déménage dans les Basses-Laurentides
pour entreprendre un troisième DEP et se trouver
un emploi. Il habite alors avec une copine qui a
tôt fait de lui montrer le chemin de la porte et il se
retrouve à la rue, sans le sous, porteur d’une
MTS récemment diagnostiquée. Victor a fait une
demande de prêt et bourse, mais il ne recevra
son chèque qu’en novembre 2002.
Il fait une demande d'hébergement temporaire et
la maison qui l’a accueilli lui accorde un mois
supplémentaire pour lui permettre de se
réorganiser.
Nous avons revu Victor vers Noël, il avait touché
ses « prêts et bourse », trouvé une chambre et
poursuivait ses études.
6

1.1 Le mandat
SECTION 1 : CE QU’EST CETTE ÉTUDE
ET AUSSI
CE QUE N’EST PAS CETTE ÉTUDE
En août 2002, nous avons entrepris, sous la coordination du CLSC-CHSLD des Trois Vallées, la
présente étude sur le profil et les besoins de la population itinérante et sans domicile fixe des
Laurentides. Cette recherche-action s'inscrivait dans le cadre du programme fédéral IPAC
(Initiative de partenariats en action communautaire) et rejoignait les priorités du Plan
communautaire régional telles que définies par la Régie régionale de la santé et des services
sociaux des Laurentides et la Table régionale des partenaires.
Cette recherche s’articulait autour d’un certain nombre d’objectifs.
OBJECTIFS GENERAUX
L’objectif de cette recherche vise à développer une meilleure connaissance de la problématique
de l’itinérance et des personnes sans domicile fixe de la région des Laurentides. Nous espérons
ainsi fournir aux principaux acteurs des différents secteurs concernés par la problématique, une
information essentielle à la planification et à la mise en œuvre des actions et des interventions
appropriées aux besoins de cette population.
OBJECTIFS SPÉCIFIQUES
Tracer un portrait de la population itinérante et sans domicile fixe dans la région.
Établir un état de la situation du phénomène pour chacun des territoires.
Définir la trajectoire de la personne itinérante et sans domicile fixe.
Évaluer l’adéquation des services offerts en lien avec les besoins des personnes
itinérantes et sans domicile fixe et ce, pour chacun des territoires de la région du Nord des
Laurentides.
Cibler des pistes de solution.
Ce mandat devait être réalisé par une série d’entrevues avec des organismes de la région
susceptibles d’entrer en contact avec la population itinérante et sans domicile fixe sur le
territoire. Voyant la possibilité de rencontrer des personnes itinérantes et sans domicile fixe
grâce aux contacts établis avec ces organismes, nous avons ajouté ces entrevues à notre
programme de recherche malgré nos échéanciers serrés.
7

Nous avons abordé cette recherche à partir d’une définition de l’itinérance, issue du Comité des
sans-abri de la Ville de Montréal en 1987, et reprise par le Comité interministériel sur l'itinérance
en 1993. Selon cette définition, l’itinérant ou la personne sans domicile fixe est une personne :
« ... qui n’a pas d’adresse fixe, de logement stable, sécuritaire et salubre pour les 60
jours à venir, à très faible revenu, avec une accessibilité discriminatoire à son égard de
la part des services, avec des problèmes de santé physique, de santé mentale, de
toxicomanie, de violence conjugale ou de désorganisation sociale et dépourvue de
groupes d’appartenance ».
Dès les premiers jours de notre étude, nous avons rapidement compris qu’il fallait élargir cette
définition pour y inclure des personnes et des groupes vivant des situations à la limite de cette
définition (certains documents récents utilisent l’expression « instabilité résidentielle » plutôt que
« absence d’adresse fixe ») :
des sqatteurs;
des hommes, des femmes et des familles qui déménagent aux deux mois;
des femmes isolées, souvent victimes de situations abusives;
des délogés temporairement;
des étudiants à la rue en attendant le chèque de prêt et bourse;
des jeunes qui vivent, durant des périodes plus ou moins longues, chez des amis, des
voisins, des grands-parents
d'autres jeunes qui s'empilent parfois jusqu'à trente dans un logement, y partageant
fauteuils et planchers;
des familles vivant dans des motels en attendant de trouver un logement;
des immigrants en attente de statut;
ceux qui sortent ou sortiront d'institutions (centres jeunesse, prisons, centres de
thérapie…) et ceux qui les « attendent » à l'extérieur;
etc.
Cette nécessité d’élargir la définition de l’itinérance et des personnes sans domicile fixe a été
soulevée par plusieurs auteurs, dont Shirley Roy 1 :
Les recherches récentes insistent sur l'impossibilité d'utiliser un seul terme pour désigner
ces personnes, sur la complexité des situations vécues, la variété des trajectoires
suivies, la multiplicité des facteurs associés à l'itinérance. De plus, un questionnement
sur les solutions à apporter à l'itinérance et sur les modes d'intervention adaptés aux
besoins réels de ces personnes, force les différents partenaires à revisiter les images
acquises, à les déconstruire et à laisser apparaître la diversité des sens donnée par les
sujets agissants que sont les personnes itinérantes, afin de mieux comprendre ce
phénomène auquel les solutions sont pour le moins à inventer.
…
1 Shirley Roy et Lorraine Duchesne, Solitude et isolement : image forte de l'itinérance, L'errance urbaine,
sous la direction de Danielle Laberge, Ste-Foy, Éditions MultiMondes, 2000.
8

Il faut bien dire qu'au Québec, pays nordique, les personnes itinérantes ont, la majeure
partie de l'année, un lieu où habiter, que ce soit un refuge, une chambre ou un petit
logement. D'une part, les conditions climatiques les y incitent; d'autre part, l'accès aux
ressources financières étatiques, de type aide sociale, nécessite que l'on ait une adresse
civile, ce qui a tendance à sédentariser les personnes recevant ce type d'allocation.
Compte tenu de notre programme ou de notre protocole de recherche (entrevues avec des
organismes en contact avec la population itinérante), il convient déjà de souligner que le portrait
tracé dans le présent rapport est la somme et la synthèse des portraits que nous en ont tracés
les intervenants rencontrés. De même, l’évaluation de l’adéquation des services offerts en lien
avec les besoins des personnes itinérantes et sans domicile fixe, et les pistes de solution
présentées ici, constituent la synthèse des propos des intervenants rencontrés.
1.2 Une recherche-action
La recherche-action est, en soi, méthode d’intervention.
En sciences sociales, notamment en sociologie, la recherche-action renvoie à une démarche
méthodologique particulière; celle-ci soulève des interrogations concernant le positionnement du
chercheur à l’égard de son objet d’étude et de son terrain d’investigation; elle soulève aussi des
questions ce faisant sur sa participation consciente à un processus de changement social sans
abdiquer pour autant scientificité et objectivité; elle soulève finalement la possibilité pour les
acteurs sociaux de participer à l’élaboration d’une théorie et d’une vision de leurs pratiques.
Selon Louisette Lavoie, Danielle Marquis et Paul Laurin, la recherche-action 2 est « une
approche de recherche, à caractère social, associée à une stratégie d'intervention et qui évolue
dans un contexte dynamique ».
2 Louisette Lavoie, Danielle Marquis et Paul Laurin, La recherche-action, théorie et pratique, Sainte-Foy,
Presses de l’Université du Québec, 1999, page 41.
9

La recherce-action est fondée sur la conviction que la
recherche et l'action peuvent être réunies.
Selon sa préoccupation, la recherche-action peut avoir comme buts le changement,
la compréhension des pratiques, l'évaluation, la résolution de problèmes,
la production de connaissances ou l'amélioration d'une situation donnée.
La recherche-action doit
avoir pour origine des besoins sociaux réels, être menée en milieu naturel de vie,
mettre à contribution tous les participants à tous les niveaux,
être flexible (s'ajuster et progresser selon les événements), établir
une communication systématique entre les participants et
s'auto-évaluer tout au long du processus.
Elle est à caractère empirique et elle est en lien dynamique avec le vécu.
Elle a un design novateur et une forme de gestion collective où le chercheur
est aussi acteur et où l'acteur est aussi chercheur.
Lavoie, Marquis et Laurin, 1999
La recherche-action n’a pas comme tel de public cible; la recherche-action a des partenaires de
réflexion, d’action, de transformation, de découverte, de dépassement... Les impliquer de près
est une condition à la fois scientifique et éthique lorsqu’il s’agit de travailler à ce qu’un certain
nombre de personnes et de familles vivent mieux.
Le projet d’action est doublé d’un souci de recherche. Par cette dialectique constante entre
l’action de terrain et la recherche, l’analyse porte en même temps sur le problème et ses causes,
sur le processus généré par l’intervention et sur les effets induits. L’interaction réciproque entre
chercheurs et milieux permet au dispositif d’appréhender les phénomènes de manière
systémique et de mieux les comprendre.
La recherche-action a encore comme caractéristique de vouloir tenir compte du plus grand
nombre possible de paramètres de situation. Son objectif n’est pas de « caricaturer » ou de
simplifier un phénomène en vue de le rendre plus « appréhensible »; son objectif est de lui
rendre sa complexité et de mettre en œuvre des moyens d’intervenir dans ce contexte de
complexité. Dans un contexte comme celui de cette étude, cela peut vouloir nous demander de
mettre en place des processus d’intervention qui tiennent compte des multiples facettes d’une
situation (politique, judiciaire, institutionnelle, sociale, thérapeutique, psychologique, familiale,
éthique…).
Un rapport de recherche-action comme celui que nous présentons ici, n’est pas une fin en soi,
c’est une étape de plus dans un processus dynamique établi sur le territoire des Laurentides; s’il
trace un portrait de la situation, ce n’est pas un portrait définitif, final; il doit susciter des
10

approfondissements, des remises en question des images et des pratiques, la naissance
d’intérêts nouveaux, de leaderships insoupçonnés, de changements. Les chercheurs devant
fermer leurs dossiers pour la rédaction du rapport, les suites du projet appartiennent maintenant
au milieu qui doit en poursuivre la réflexion et l’action.
Notre recherche-action dans les Laurentides s’est structurée de la façon suivante :
en collaboration avec le CLSC-CHSLD des Trois Vallées et les différents CLSC de
l’ensemble du territoire, élaboration d’une liste des organismes et des personnes
intervenantes à rencontrer pour la recherce;
en collaboration avec certains organismes du milieu et sous leur responsabilité, élaboration
d’un plan de rencontre avec des personnes itinérantes et sans domicile fixe;
élaboration de questionnaires et de plans d’entrevue relativement ouverts, de façon à
laisser les participants définir leur catégorie de classement, le vocabulaire approprié, les
informations pertinentes et les pistes d’amélioration à examiner;
rédaction, après les recherches sur le terrain, de rapports-synthèses préliminaires pour
chacun des territoires visés par la recherche;
avec l’aide des CLSC, remise aux diverses personnes interrogées d’une copie du rapportsynthèse
pour leur région;
rencontres en groupe des personnes interrogées, sur chacun des territoires, afin de valider
les portraits établis (et de les modifier si nécessaire) et de poursuivre la réflexion sur les
pistes d’action à mettre en place;
identification et proposition d’un certain nombre de grilles de lecture possible du
phénomène;
conception d’un rapport-synthèse pour l’ensemble du territoire; proposition d’une liste des
pistes possibles d’intervention face au phénomène et de certaines grilles de lecture du
phénomène;
présentation du rapport-synthèse au comité de promotion et de coordination de la
recherche afin d’obtenir une rétroaction et d’en modifier le contenu au besoin;
préparation d’un rapport final de recherche et d’activité;
participation, avec les acteurs du milieu, à l’élaboration d’un certain nombre d’activités
devant suivre immédiatement la recherche : sensibilisation des citoyens, des acteurs et
des responsables sociaux; formation « sur mesure », intervention et planification de la
recherche subséquente.
1.3 Une recherche-terrain
Même si quelques données permettant de dénombrer une certaine population itinérante ont été
amassées, notre recherche était d’abord de nature qualitative. En effet, l’élargissement de la
question et du mandat, tenant compte de personnes ne cadrant pas nécessairement dans une
définition précise de l’itinérance (tel que mentionné plus haut), nous éloignait de la possibilité de
quantifier, mais nous rapprochait de la possibilité de saisir l’ampleur et la complexité du
phénomène.
11

Le choix d’une méthodologie qualitative se justifie par une volonté d’utiliser l’expérience et les
connaissances des acteurs sociaux, leurs choix, leurs décisions comme individu réagissant à
leur environnement avec leur bagage et leur potentialité. Les répondants sont considérés
comme des informateurs-clés car ils nous aident à comprendre leur univers et à saisir leur
vision du phénomène. À cet effet, la méthode qualitative est plus analytique que descriptive car
elle s’attache non pas à décrire une réalité isolée de son contexte mais bien à analyser, de façon
holistique, les processus et les cheminements qui créent cette réalité. Comme dans toute
recherche-action, la méthode exploratoire peut nous permettre de saisir des phénomènes en
émergence, en croissance.
Cette méthode, parfois appelée « grounded theory 3 », permet de débuter la recherche avec un
regard neuf. Elle permet de l’aborder sans les a priori qui pourraient l’orienter et empêcher la
perception d’éléments nouveaux. Il n’existe pas avec cette méthode, de recension d’écrits
exhaustive au préalable. À partir d’une simple définition du phénomène, nous sommes partis
explorer le territoire. Les lectures plus pointues, nécessaires à la compréhension des données et
des variables, nouvelles ou s’affichant importantes, se sont faites au fur et à mesure des besoins
de l’avancement de la recherche. Contrairement à la méthode classique de recherche, qui veut
que la recension des écrits se fasse en début de recherche et serve à formuler les hypothèses
d’où sont déduites les variables employées pour la formulation du questionnaire (méthode
déductive), cette méthode permet d’améliorer les outils de recherche dans un processus
constant de modifications qui rend davantage possible la perception de phénomènes nouveaux
et qui finalement répond mieux aux objectifs de la recherche-action. Nous avons donc, avec
l’aide des intervenants et des personnes itinérantes et sans domicile fixe rencontrées, au fur et à
mesure de l’avancement de la cueillette des données, construit d’une façon empirique l’objet de
la recherche, sa modification, sa problématisation, nos grilles d’entrevue, les dimensions du
phénomène et les catégories d’analyse. Une telle méthode nous a permis l’enrichissement
progressif de la grille d’analyse. Ce n’est que vers la fin du processus de recherche que des
lectures systématiques ont été entreprises; ces lectures nous ont en quelque sorte été
proposées par les personnes interrogées et leur vision du phénomène. Elles sont présentées
plus loin dans le rapport, après la présentation des résultats.
Le premier outil de recherche (grille d’entrevue) que nous avons conçu s’est articulé autour de
quelques questions simples :
3 Glaser, B. et A. Strauss. The Discovery of Grounded Theory : Strategies for Qualitative Research,
Chicago, Aldine Company, 1967.
12

PLAN GENERAL
RECHERCHE EXPLORATOIRE SUR LA POPULATION ITINERANTE ET SANS DOMICILE FIXE
Entrez-vous en contact avec la population itinérante et sans domicile fixe des Laurentides?
Comment entrez-vous en contact avec la population itinérante et sans domicile fixe?
Quel est le type de demandes formulées par la population itinérante et sans domicile fixe?
Selon les informations que vous pouvez recueillir et en respectant les niveaux de
confidentialité requis, tracez un portrait de la population itinérante et sans domicile fixe
avec laquelle vous entrez en contact.
Comment pouvez-vous répondre à la demande de la population itinérante et sans domicile
fixe et comment réagit-elle à vos réponses?
Quelles seraient pour vous les limites des services actuels et de vos possibilités
d'intervention?
Quels seraient les services à développer pour mieux répondre à la demande de la
population itinérante et sans domicile fixe?
Plus de 150 organismes (soit environ 200 intervenants) ont été contactés et interrogés, en
entrevue face à face ou par téléphone, dépendant des disponibilités.
Des plans d’entrevue ont été adaptés pour chacune des entrevues. En septembre 2002, des
rencontres avec Shirley Roy, Marielle Rozier et d’autres membres du CRI (Collectif de recherche
sur l’itinérance, la pauvreté et l’exclusion sociale), qui travaillaient à une recherche semblable à
la nôtre sur le territoire de la Montérégie, ont permis la mise au point d’un questionnaire ouvert,
qui a servi de substitut à l’entrevue avec une partie des organismes. Cette méthode, un peu
orientée par l’intuition des chercheurs et les réactions des participants, a permis une progression
dans l’établissement des variables signifiantes liées au phénomène.
Pour réaliser pleinement les objectifs de cette étude, les chercheurs sont aussi entrés en contact
avec des personnes itinérantes ou sans domicile fixe et des personnes qui ont déjà vécu
l'itinérance à un moment ou l'autre de leur vie dans la région des Laurentides. Des entretiens du
genre « récits de vie » ont été mis en place. Une cinquantaine de personnes ont été rejointes
dans des ressources d’hébergement ou autres (Maison le Phare, Sida-Amitié, Les Unes les
Autres, Maison du Père, CLSC-CHSLD des Trois Vallées, Dîners-rencontres St-Louis-de-
Gonzague…) à Montréal et dans la région des Laurentides. Nous avons tenté d'amener la
personne à raconter sa vie en s'attardant sur les événements importants de celle-ci, positifs et
négatifs, et les éléments accompagnateurs des processus d'entrée et de sortie de l'itinérance.
Les entrevues ont eu lieu individuellement pour près de la moitié des personnes et en petit
groupe pour les autres. Les données accumulées lors des entrevues avec les personnes
13

itinérantes ou sans domicile fixe ont été traitées, dans un premier temps, dans un rapport distinct
de celui des entrevues avec les organismes et les intervenants.
Dans les deux cas, entrevues avec intervenants ou personnes sans domicile fixe, nous avons
saisi progressivement la réalité du phénomène. Ne pas poser les mêmes questions à toutes les
personnes rencontrées ne nous a pas empêchés, du moins nous le croyons, de construire un
portrait réaliste de la situation sur le territoire.
Nous avons mis un terme aux entrevues lorsque nous nous sommes rendu compte que nous ne
recevions plus d'informations nouvelles, que les mêmes informations refaisaient sans cesse
surface, que des contacts répétés auprès d’un organisme ou d’un intervenant restaient sans
réponse et lorsque le temps a fini par nous obliger à conclure. Ainsi, nous avons utilisé le
principe de saturation tel que défini par Glaser et Strauss (1967) 4 . Selon ces auteurs, le point de
saturation d’une catégorie d’analyse est atteint lorsque le chercheur ne peut plus trouver
d'informations additionnelles dans cette catégorie.
1.4 Les limites de la recherche
Malgré toutes les précautions prises pour assurer la qualité des données et pour minimiser les
biais, il est impossible, comme dans toute recherche de ce type, d’éviter de faire face à certaines
limites. Nous exposons ici les principales limites et limitations rencontrées :
une certaine part de subjectivité des répondants; des intervenants impliqués, souvent à
court de ressources, ont tendance naturellement à vouloir donner de l’importance à cette
partie du phénomène qui les touche émotivement et les fait vivre professionnellement
(toxicomanie, santé mentale, pauvreté, emploi, logement…); les résultats de la recherche
ne sont pas exempts de cette subjectivité;
une certaine subjectivité géographique ou situationnelle aussi; on nous parle de santé
mentale près des hôpitaux où il y a des urgences psychiatriques, des pauvres dans les
sous-sols d’églises, des jeunes quand on est travailleur de rue, des gens sortant de
centres de détention à la Macaza, à St-Jérôme, à Ste-Anne-des-Plaines…; nos résultats,
fondés sur la connaissance du phénomène transmise par les intervenants, sont aussi le
reflet de la relation itinérance-intervenance sur le territoire;
le besoin pour certains organismes de taire les services qu’ils rendent (la peur que notre
étude en fasse la publicité); en effet, ces organismes craignent d’être rapidement dépassés
si leur existence et les services qu’ils offrent deviennent trop connus; le portrait que nous
4 Glaser, B. et A. Strauss. The Discovery of Grounded Theory : Strategies for Qualitative Research,
Chicago, Aldine Company, 1967.
14

livrons ici ne tient donc pas compte de ces services; nous croyons cependant que leur
existence ne vient pas changer d’une façon importante le portrait dressé;
notre recherche s’organisant autour des ressources de la région, il n’est pas surprenant de
retrouver presqu’exclusivement ces organismes dans les villes et villes-centres, le long de
la route 117, en allant vers le nord; nous avons, pour ainsi dire, recueilli peu d’information
sur ce qui se passe hors des villes (les villages, autour de certains lacs, dans les rangs, les
campagnes et les bois). La population des régions plus éloignées a peu de contact avec
les ressources. Nous avons rencontré, par exemple, quelques squatteurs et visité un
squat. Nous sommes parmi les rares personnes de la région à avoir eu un contact avec
cette réalité. Les policiers de la région des Hautes-Laurentides nous ont parlé de
l’opération qu’ils ont menée en 1998, durant le grand verglas (visite de toutes les maisons
de la région pour s’assurer des conditions de vie et de sécurité), extrême pauvreté,
conditions de vie insalubres, milieux familiaux et sociaux désorganisés, détresse
psychologique, ghettos, font partie des souvenirs qu’ils ont rapportés. Il reste donc encore
une partie « invisible » du phénomène, dont notre recherche n’a pu tenir compte; elle
demeure très difficile à évaluer;
nous avons recueilli quelques chiffres concernant la population itinérante et sans domicile
fixe, notamment grâce aux ressources d’hébergement qui doivent tenir de telles
statistiques, et à certains motels, sinon les chiffres sont des estimations, des moyennes,
des souvenirs, parfois des impressions. Même les chiffres peuvent être trompeurs (nous
prenons pour exemple des chiffres pour Montréal où on observe des variations de 3 800 à
28 000 dans le décompte des personnes itinérantes, dépendant de la méthode utilisée
pour y arriver);
aucune des informations obtenues ne concerne les nations autochtones;
les personnes itinérantes et sans domicile fixe rencontrées, l’ont été grâce à des
organismes (de la région de Montréal et de celle des Laurentides); nous n’avons pas
cherché ces gens dans la rue; notre échantillon regroupe donc des personnes en lien avec
des ressources, qui ont déjà demandé de l’aide et qui en ont obtenu. Notre échantillon
n’est donc pas représentatif de l’ensemble du phénomène;
sauf pour les ressources d’hébergement dédiées aux personnes itinérantes et sans
domicile fixe qui tiennent des registres sur l’identité des personnes qu’elles accueillent, il
nous a été quasi impossible de savoir si nous communiquions avec les mêmes personnes
itinérantes et sans domicile fixe, dans les différents organismes rencontrés et sur les
différents territoires. Rares sont les ressources qui tiennent des dossiers itinérance et qui
vérifient l’identité des personnes itinérantes qu’elles accueillent.
15

EN CONCLUSION
Avant de passer à la section résultats, nous voulons rappeler que notre recherche est et n’est
que:
? ? La synthèse d’environ 200 entrevues avec des personnes qui connaissent le phénomène
dans la région des Laurentides et qui ont tenté de nous le décrire.
? ? Un outil pour poursuivre la réflexion et l’action, à divers niveaux, sur le territoire des
Laurentides.
16

Témoignage
Pseudonyme : Thérèse et son fils Alexandre
Âge : Elle 45 ans, lui 25 ans
Lieu de naissance : Lachute
Rencontre : sur le territoire du CLSC d’Argenteuil,
octobre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Nous avons rencontré Thérèse à sa demande; elle
voulait nous faire part de sa situation et de celle de
son fils…
Thérèse s’est mariée à l'âge de 16 ans et a donné
naissance à un garçon deux ans plus tard. À 24
ans, elle se sépare et en 1999 son ex-conjoint
décède.
Dépendante de la Sécurité du revenu, elle est
impliquée dans un programme de retour à l’emploi
depuis près de deux ans et a un amoureux depuis
huit ans.
Elle affirme avoir assuré une certaine stabilité à son
fils (déménagement à tous les 1 - 2 ans, mais
toujours dans la même ville). Elle nous parle de
l’apathie de ce dernier depuis l’adolescence
(décrochage, refus de travailler, hypersomnie,
absence de stimulation). Alexandre aurait fait une
première fugue à 14 ans; la DPJ serait alors
intervenue et il a passé quelques mois dans un
centre d’accueil avant de revenir vivre à la maison.
Elle a mis son fils face à un ultimatum lorsqu’il a eu
18 ans : travail et études ou départ de la maison…
ce qu’il a choisi; il quitte le domicile familial avec un
sac à dos, sans projets précis. Depuis, il semble se
promener à travers l’Amérique du Nord et
l’Amérique Centrale (Montréal, Abitibi, Vancouver,
Mexique, États-Unis, Ontario, etc.) mais revient au
moins une fois par an à Lachute où il se trouve un
petit logement durant quelques mois.
Thérèse dit avoir des nouvelles de son fils tous les
deux ou trois mois et le voir une ou deux fois par an
sauf s’il éprouve des difficultés. Présentement elle
se dit très inquiète car elle est sans nouvelles
depuis quatre mois.
Selon Thérèse, Alexandre n’est victime d’aucune
dépendance, n’a pas de problèmes de santé
mentale et n’est pas violent. Mais elle le décrit
comme ayant de la difficulté à se situer dans le
temps… tout en étant très débrouillard.
17

Témoignage
Pseudonyme : Yvan
Âge : 47 ans
Lieu de naissance : Ste-Thérèse
Rencontre : Laurentides, maison de thérapie,
octobre 2002
Fragments de vie
Yvan nous dit avoir vécu une enfance « ordinaire
et correcte ». Il quitte la maison familiale à 21 ans.
Très rapidement, il développe une dépendance à
l’alcool. Ses parents le rejettent, il ne les a
d’ailleurs plus vus depuis 1984.
Passant par Laval, il se retrouve à Montréal. Il a
une conjointe qui n’est pas d’accord avec son
alcoolisme; séparation. Il devient « junky », période
longue de 11 ans (overdoses, paranoïa…). Puis
une seconde relation amoureuse avec une femme
qui a un enfant. Même scénario. Sa relation de
couple « foire » rapidement. De 1996 à 1999, il vit
l’itinérance à Montréal. En 1997 il « attrape » le
VIH.
Il fait une première thérapie à Montréal. Rechute.
Puis une seconde thérapie dans les Laurentides. À
sa sortie de thérapie, il s’installe dans la région,
arrive durant quelque temps à payer son loyer.
Rechute : bière, Listerine, crises de panique, deux
tentatives de suicide.
Grâce aux intervenants de la région, il retourne en
thérapie.
Depuis sept mois, il ne consomme plus. Il en est
très fier. Il se sent bien entouré. Il n’a plus peur de
succomber à ses démons et essaie d’aider ses
semblables.
18

SECTION 2 : LA RÉGION DES LAURENTIDES
ET SON BILAN DE SANTÉ
La section 2 propose un regard global sur la situation sociale et économique de la région des
Laurentides ainsi que des extraits de son bilan de santé 5 . Sans être une fin en soi, nous
pensons que ces données permettent de situer le contexte entourant la recherche effectuée et
de mettre en lumière certaines caractéristiques de la région et des différences qu’on y trouve,
notamment entre le nord et le sud. À la lumière de ces différentes données, il est possible
d'identifier certains facteurs de risque présents sur le territoire et généralement associés à
l'itinérance. Comme le souligne Paul Campeau 6 , plusieurs de ces facteurs sont structurels :
«L’itinérance est vue comme le produit d'une interaction dynamique entre des conditions
structurelles et des vulnérabilités individuelles». À cet effet, seuls les éléments pertinents du
bilan de santé qui nous semblaient en lien avec le phénomène de l’itinérance et avec notre
recherche ont été retenus. Les éléments présentés ici ne sont donc pas les seuls facteurs de
risque. Nous y reviendrons plus loin lors de la présentation de nos résultats.
2.1 La région des Laurentides
La région des Laurentides couvre un vaste territoire de 21 554 km 2 , regroupant 79 municipalités 7
réparties dans huit municipalités régionales de comté (MRC) : Thérèse-de-Blainville, Deux-
Montagnes, Mirabel, Rivière-du-Nord, Argenteuil, Pays-d'en-Haut, Laurentides et Antoine-
Labelle. Du nord rural au sud urbain, la région affiche une diversité sociale et économique
considérable. Ce découpage en huit MRC n’est pas tout-à-fait le même que le découpage du
territoire en sept territoires de CLSC utilisé pour organiser notre recherche et la présenter.
La région se situe dans le sud-ouest du Québec, immédiatement au nord des villes de Montréal
et de Laval. Elle est bordée par les régions suivantes : l'Abitibi au nord, Laval au sud,
Lanaudière à l'est et l'Outaouais à l'ouest.
La région forme un long corridor nord-sud dont le développement historique a été orienté suivant
l'axe de la route 117.
5 Principales caractéristiques régionales de santé et de bien-être; Débats régionaux dans le cadre de la
Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux; Consultations dans la région des
Laurentides, 29 août 2001.
6 L'errance urbaine, sous la direction de Danielle Laberge, CRI, Éd Multi Mondes, 2000, p. 50, Paul
Campeau : La place des facteurs structurels dans la production de l’itinérance.
7 Avant la dernière vague de fusions municipales.
19

La partie sud de la région se caractérise par sa proximité avec la région de Montréal, favorisant
le développement industriel et urbain autour de deux villes en pleine expansion, Sainte-Thérèse
et Saint-Eustache. Cette partie correspond au territoire des MRC de Thérèse-de-Blainville, de
Deux-Montagnes et d'une partie de la MRC de Mirabel.
Le centre de la région est à caractère mi-urbain, mi-rural et fortement développé sur le plan
récréotouristique. Il comporte quelques îlots populeux autour d'agglomérations et de villes, telles
Sainte-Agathe et Saint-Jérôme. Cette dernière est le principal centre d'activité de la région, bien
que son rôle tende à se modifier avec l'essor des sous-régions. Les MRC formant le centre de la
région sont celles d'Argenteuil, de la Rivière-du-Nord, des Pays-d'en-Haut et des Laurentides, de
même qu'une partie de la MRC de Mirabel.
Enfin, la partie nord des Laurentides est un vaste territoire à caractère rural de type agricole,
forestier et récréotouristique. Sa principale ville est Mont-Laurier. Elle correspond à la MRC
d'Antoine-Labelle (Hautes-Laurentides).
La population de la région des Laurentides s'élèvait à 474 890 habitants en 2001 (Institut de la
statistique du Québec). Elle est l'une des rares régions au Québec à avoir connu une forte
augmentation de sa population entre 1991 et 2001, soit 21,3 % contre 4,7 % pour l'ensemble du
Québec.
Bien que demeurant l'une des régions les plus jeunes du Québec, la région des Laurentides
connaît une augmentation importante de sa population âgée de 65 ans et plus. Ce vieillissement
démographique est un facteur important que doivent considérer les intervenants du réseau de la
santé et des services sociaux, puisqu'en général plus les populations sont âgées, plus elles
requièrent des services.
2.2 Le bilan de santé et de bien-être de la région des Laurentides
Démographie
La croissance démographique de la région des Laurentides surpasse de beaucoup celle du
Québec et ne se limite plus à la portion sud de la région.
Au cours des dix prochaines années, la population de la région des Laurentides devrait
augmenter beaucoup plus rapidement que celle de l’ensemble du Québec. De 2001 à 2011, on
prévoit que la population de la région augmentera de 11,2 % et celle du Québec de 3,3 %.
Contrairement à la tendance observée auparavant, la croissance régionale ne se limitera plus à
la portion sud de la région. Les territoires des CLSC des Pays-d’en-Haut et des Trois Vallées
afficheront eux aussi une forte croissance démographique (9,3 % et 10,7 % respectivement).
20

TABLEAU 1
La croissance démographique régionale découle principalement de l’arrivée de personnes
provenant des autres régions du Québec.
L’accroissement de la population régionale est principalement le fruit de la migration en
provenance des autres régions du Québec. De 2001 à 2011, l’accroissement naturel, qui est la
contribution des naissances à la croissance démographique, devrait expliquer 30 % de
l’augmentation de la population, alors que la migration expliquerait le reste (70 %). Plus des 9/10
de ces nouveaux arrivants proviendront des autres régions du Québec.
De 2001 à 2011, la proportion de personnes âgées de 65 ans et plus devrait passer, dans la
région, de 10,9 % à 14 %. Au terme de cette période, la région comptera 22 414 personnes
âgées de plus qu’en 2001.
Au moins jusqu’en 2011, la part que représentent les personnes âgées de 65 ans et plus sur
l’ensemble de la population sera nettement plus élevée sur les territoires des CLSC des Hautes-
Laurentides, des Pays-d’en-Haut, des Trois Vallées et d’Argenteuil.
Population saisonnière
On retrouve de nombreux résidants saisonniers dans les territoires à vocation récréotouristique.
On peut estimer qu’en 1999, la population saisonnière de la région était d’environ 100 000
personnes, quel que soit le territoire de leur résidence principale. Pays-d’en-Haut et Trois
Vallées sont des territoires de CLSC à vocation récréotouristique où la population peut presque
21

doubler à certaines périodes de l’année. C’est donc le secteur nord des Laurentides qui abrite le
plus de résidants saisonniers avec les avantages et les désavantages que cela peut comporter.
Situation de vie des résidants de la région
TABLEAU 2
Sur certains territoires de la région, une forte proportion de jeunes vivent avec un seul parent.
La croissance du nombre de ménages dans la région des Laurentides a un impact direct sur les
besoins en matière de logement et la diminution du nombre moyen de personnes par ménage
implique, entre autres, que davantage de personnes devront assumer seules les coûts du
logement.
Dans la région des Laurentides, en 1996, 16 % des jeunes âgés de moins de 18 ans vivaient au
sein d’une famille monoparentale (17,2 % au Québec). La situation varie d’un territoire de CLSC
à l’autre. Dans deux d’entre eux, Pays-d’en-Haut et Trois Vallées, on remarque une proportion
nettement plus élevée que le taux provincial.
22

TABLEAU 3
De plus en plus de personnes vivent seules. Dans la région, il s’agissait de 8,7 % de la
population en 1996, comparativement à 6 % en 1986. Les personnes vivant seules constituent
9,6 % de la population âgée de 18 à 64 ans et 24 % des personnes âgées de 65 ans et plus.
Mais c’est du côté des femmes âgées de 65 ans et plus que le pourcentage de personnes vivant
seules culmine, à savoir : 31 % dans la région. À l’échelle des territoires de CLSC, on observe
les plus fortes proportions de femmes âgées vivant seules dans Argenteuil et Pays-d’en-Haut.
Accès au marché du travail
L’accès au marché du travail progresse dans la région mais la situation se détériore quelque peu
chez les jeunes, dont le taux d’emploi a baissé au début de l’an 2000 par rapport au premier
trimestre de 1999 (56,5 % comparativement à 60,7 % en 1999). Au premier trimestre de l’an
2000, les jeunes de la région présentaient néanmoins un taux de personnes en emploi
équivalant à celui des jeunes de l’ensemble du Québec.
Revenu
Dans la région des Laurentides comme au Québec, de plus en plus de personnes vivent dans
un ménage à faible revenu.
Le revenu constitue un important outil de mesure de la situation socio-économique. La
proportion de personnes vivant dans un ménage à faible revenu donne une bonne idée des
23

conditions de vie qui prévalent au sein de groupes d’individus. Les seuils de faible revenu sont
établis par Statistique Canada à partir des données de l’Enquête sur les dépenses des familles.
Par exemple, pour une famille de quatre personnes habitant une région comparable à celle des
Laurentides, le seuil de faible revenu est d’environ 27 000 $.
Selon le recensement canadien de 1996, dans la région des Laurentides, une personne sur
quatre (25,5 %) vivait dans un ménage à faible revenu, ce qui est similaire à ce qui est observé
au Québec (27 %). Règle générale, les territoires de CLSC ruraux affichent une proportion plus
grande de personnes vivant dans un ménage à faible revenu. C’est effectivement le cas pour les
territoires des CLSC des Hautes-Laurentides, des Trois Vallées et d’Argenteuil. On trouvera à la
page suivante une carte illustrant l’indice de pauvreté de la population de la région des
Laurentides.
TABLEAU 4
Selon le recensement canadien de 1996, 75,5 % des femmes âgées de la région des
Laurentides qui vivaient seules avaient un faible revenu. Ce pourcentage était sensiblement
supérieur à celui observé pour l’ensemble du Québec, soit 70,7 %. À cet égard, le territoire du
CLSC des Hautes-Laurentides se distingue particulièrement des autres territoires de CLSC en
raison de son pourcentage très élevé (87,5 %).
Dans la région des Laurentides, en 1996, la moitié des chefs de familles monoparentales (49,7
%) vivaient dans un ménage à faible revenu. Au Québec, il s’agissait de 47,5 % d’entre eux. Les
territoires des CLSC des Trois Vallées, d’Argenteuil, des Hautes-Laurentides et d'Arthur-Buies
sont particulièrement touchés.
24

En ce qui concerne les jeunes de moins de 18 ans, on constate que 27,9 % de ceux qui résident
dans la région vivent dans un ménage à faible revenu (29,3 % au Québec). Chez les jeunes
vivant au sein d’une famille monoparentale, la part de ceux qui sont dans un ménage à faible
revenu grimpe à 61,5 % dans la région. Les territoires des Hautes-Laurentides, d’Argenteuil, des
Trois Vallées et des Pays-d’en-Haut sont ceux où la proportion de jeunes à faible revenu
culmine.
Indice de pauvreté de la population des Laurentides 8
TABLEAU 5
8 Développement des ressources humaines Canada 2002-01-26.
25

Suicide
Chez les femmes de la région des Laurentides, le taux de décès par suicide se maintient autour
de 6,5 suicides par 100 000 et se situe en deçà du taux provincial (7,8 par 100 000 femmes). Le
taux de suicide chez les femmes est plus élevé sur le territoire du CLSC Arthur-Buies (9 par
100 000 femmes).
Du côté des hommes, le taux régional de décès par suicide continue d’augmenter, mais moins
rapidement que le taux provincial. Les données les plus récentes révèlent que la région des
Laurentides et la province sont quasi à égalité en ce qui concerne le taux de décès par suicide
chez les hommes : ce taux est de 32,8 suicides par 100 000 hommes pour la région, par rapport
à un taux de 30,5 par 100 000 pour le Québec, de 1993 à 1997. Les territoires des CLSC des
Hautes-Laurentides, des Pays-d’en-Haut et des Trois Vallées obtiennent toujours les taux les
plus élevés.
Tant au Québec que dans la région des Laurentides, on constate que les hommes qui se
suicident sont plus jeunes qu’auparavant. De fait, au cours de la dernière période (1993 à 1997),
les jeunes hommes âgés de 15 à 24 ans ont été les seuls à enregistrer une hausse importante
du taux de décès par suicide (de 30 à 45 suicides par 100 000 dans la région). À l’échelle
régionale, les autres groupes d’âge connaissent peu de changement, exception faite de la
baisse importante enregistrée chez les hommes âgés de 65 ans et plus.
TABLEAU 6
26

Détresse psychologique
TABLEAU 7
L’indice de détresse psychologique 9 permet d’estimer l’état global de santé mentale des
individus. Il n’a été utilisé qu’au regard de la population vivant à domicile, âgée de 15 ans et
plus. L’individu ayant une détresse psychologique élevée requiert habituellement des soins
curatifs ou une intervention préventive.
Tant au Québec que dans la région des Laurentides, le pourcentage de personnes souffrant
d’une détresse psychologique élevée a diminué en 1998 pour atteindre son niveau de 1987. En
dépit de cette baisse, environ une personne sur cinq présente une détresse psychologique
élevée.
9 L’indice de détresse psychologique utilisé par Santé Québec est composé de quatorze questions portant
sur la fréquence, au cours de la semaine précédant l’enquête, de divers symptômes ressentis par les
répondants et associés aux états dépressifs, aux états anxieux, aux troubles cognitifs et à l’irritabilité.
27

TABLEAU 8
La détresse psychologique élevée affecte davantage les femmes que les hommes et sa
fréquence diminue avec l’âge. On remarque également qu’au Québec, en 1998, les personnes
faiblement scolarisées ou les personnes ayant un faible revenu, présentaient plus souvent une
détresse psychologique élevée.
Signalements reçus à la Direction de la protection de la jeunesse
Le taux de signalements reçus à la Direction de la protection de la jeunesse est plus élevé dans
la région qu’à l’échelle du Québec
Pour l’année financière 1998-1999, le taux régional de signalements reçus à la Direction de la
protection de la jeunesse s’élevait à 34,7 par 1 000 jeunes âgés de moins de 18 ans. Celui-ci
était légèrement plus élevé que le taux enregistré par la province (30,2 par 1 000 jeunes).
En 1999-2000, les territoires des CLSC du sud de la région présentaient un taux de
signalements reçus inférieur à la moyenne régionale, tandis que le territoire du CLSC des
Hautes-Laurentides affichait le taux le plus élevé (64,5 signalements par 1 000 jeunes).
Criminalité
Le taux de criminalité est plus élevé dans la région qu’au Québec.
Le taux des infractions au Code criminel donne une idée de l’ampleur de la criminalité commise
et dénoncée sur un territoire donné, compte tenu de la taille de la population qui y réside. Les
28

infractions au Code de la sécurité routière sont exclues du calcul de ce taux. Depuis 1989, le
taux des infractions enregistrées dans la région des Laurentides est légèrement supérieur à celui
observé pour l’ensemble du Québec, sauf en 1993 et 1994. En 1998, ce taux atteignait 68,3
pour 1 000 habitants dans les Laurentides comparativement à 63,8 pour 1 000 habitants à
l’échelle de la province. Depuis 1996, le taux régional diminue.
2.3 Les Laurentides : une, deux, trois ou sept régions
Plusieurs remarques naissent à la suite de la lecture de la section précédente. La première
concerne une certaine image de la région : une région où on observe (depuis des années) et où
on prévoit (pour plusieurs années encore) une forte croissance démographique et qui est la
seule région du Québec à présenter ce phénomène. On prévoit une décroissance dans toutes
les autres régions du Québec (sauf Montréal) pour les dix prochaines années.
Simultanément à cette croissance démographique, de nombreux indicateurs sociaux (surtout
chez les jeunes) présentent une région où les conditions sociales se dégradent (personnes
vivant seules, ménages sous le seuil de la pauvreté, suicides, criminalité, détresse
psychologique…). Ce phénomène n’est cependant pas si surprenant, si on l’examine
historiquement, comme l’a fait Serge Laurin en 1989 10 :
La région des Laurentides aura passablement changé depuis une quarantaine d'années,
tant du point de vue de la configuration physique de son territoire que dans la
composition sociale de sa population. L'urbanisation accélérée des Basses-Laurentides
et, dans une large mesure, celle de la zone récréotouristique, dans le contexte des
bouleversements de tous ordres créés par la Révolution tranquille, y auront constitué
une société moderne, mobile et pluraliste, en rupture avec le mode de vie traditionnel.
Pourtant certaines choses restaient inchangées au pays du curé Labelle. La région des
Laurentides demeurait l'une des plus démunies de tout le Québec quant à ses
institutions d'aide sociale et de santé, et l'une des moins bien nanties en infrastructures
culturelles. Mais il y avait pis encore. Loin de se combler, l'écart s'agrandissait en terme
de niveau et de qualité de vie entre les habitants du sud et ceux du nord de son
territoire. Pendant que les Basses-Laurentides et, à un degré moindre, la zone récréotouristique
profitaient d'une régénérescence démographique et connaissaient, dans
l'ensemble, une certaine prospérité économique, les Hautes-Laurentides au-delà de
Mont-Tremblant s'abîmaient, elles, dans le dépeuplement et la déprime économique,
malgré les efforts conjugués des milieux locaux et des gouvernements pour redresser
cette situation (page 794).
En général, nous avons retrouvé plusieurs visions de la grande région des Laurentides où nous
avons mené notre recherche :
10 Serge Laurin, Histoire des Laurentides, Ville St-Laurent, Institut québécois de recherche sur la culture,
1989, 892 pages. Réédité en 1995.
29

une vision de sept territoires, correspondant à des limites de territoires de CLSC, qui a été
le cadre opérationnel de notre recherche. Cinq de ces territoires forment une ligne droite
qui entoure et englobe la route 117, du sud au nord, de Laval à Mont-Laurier : Thérèse-de-
Blainville, Arthur-Buies, Pays-d’en-Haut, Trois Vallées et Hautes-Laurentides. Les
territoires Jean-Olivier-Chénier et Argenteuil se situent un peu en dehors de cet axe, ne
semblant pas constituer ensemble un axe différent;
une vision de trois zones allant du sud au nord : urbaine à proximité de Montréal et Laval,
semi-urbaine, semi-industrielle, semi-rurale à la hauteur de St-Jérôme, rurale dans
l’extrême nord;
une vision de deux zones, nord et sud, qui semble correspondre à certains impératifs
administratifs, mais qui reflète bien le caractère urbain de ce qu’on appelle le sud, et le
caractère rural de ce qu’on appelle le nord, le caractère favorisé du sud, et le caractère
défavorisé du nord.
Aucune de ces visions n’est parfaite, d’autant plus qu’elles évoluent lentement dans le temps.
Les éléments essentiels de ces diverses visions se retrouvent au tableau 9 de la page suivante.
Une population qui devient moins dense, qui devient moins riche, qui se détériore socialement,
pas à pas en allant vers le nord. Nous y avons aussi joint certains indicateurs de « mauvaise
santé » qui dépassent les moyennes québécoises.
Plusieurs de ces indicateurs nous semblent devoir participer à la réflexion qui sera faite sur le
phénomène de l’itinérance et des personnes sans domicile fixe et à risque de le devenir, et
l’organisation des services qui pourront et devront être mis en place.
30

TABLEAU 9
DIVERSES VISIONS DE LA RÉGION DES LAURENTIDES
TERRITOIRES DE CLSC 7 RÉGIONS 3 RÉGIONS 2 RÉGIONS 1 RÉGION
Jean-Olivier-Chénier % accroissement démographique 10,1 Région sud
98 000 h
Thérèse-de-Blainville
134 000 h
Arthur-Buies
Argenteuil
106 000 h
30 000 h
Pays -d’en-Haut
Trois Vallées
32 000 h
40 000 h
Hautes -Laurentides
35 000 h
% accroissement démographique 12,9
% accroissement démographique 15,1
% personnes ménage à faible revenu 27,8
taux de signalements à la DPJ 43,8
% jeunes dans famille monoparentale 17,4
% accroissement démographique 6,5
% personnes ménage à faible revenu 38,8
taux de signalements à la DPJ 49,2
% jeunes dans famille monoparentale 17,9
% accroissement démographique 9,3
% personnes ménage à faible revenu 27,9
taux de signalements à la DPJ 49,6
% jeunes dans famille monoparentale 20,8
taux de suicides supérieur à la région et au Québec
% accroissement démographique 10,7
% personnes ménage à faible revenu 34,6
taux de signalements à la DPJ 49,8
% jeunes dans famille monoparentale 19,1
taux de suicides supérieur à la région et au Québec
% accroissement démographique 1,7
% personnes ménage à faible revenu 38,8
taux de signalements à la DPJ 64,5
taux de suicides supérieur à la région et au Québec
région urbaine
industrielle
Région centre
mi-urbaine
mi-rurale
récréotouristique
Région nord
rurale : agricole
et forestière
récréotouristique
Région sud
très densément peuplée;
en très nette progression
démographique;
indicateurs sociaux
relativement optimistes sauf le
territoire Arthur-Buies;
Région nord
de moins en moins peuplée
en allant vers le nord;
en progression
démographique;
de moins en moins riche et
de plus en plus isolée en
allant vers le nord;
de plus en plus démunie en
terme de ressources;
Les Laurentides
en très nette progression
démographique;
conditions sociales
généralement en
dégradation (détresse
psychologique, taux
d'emploi chez les jeunes,
etc.).
Moyennes québécoises : Le taux d’accroissement démographique d’ici 2011 : 3,3 % Préparé par Paul Carle, 2003
Le pourcentage de personnes vivant dans un ménage à faible revenu : 27,0
Le pourcentage de jeunes vivant dans une famille monoparentale : 17,2
Le taux de signalements reçus à la DPJ : 30,2 par 1 000 habitants par année

Témoignage
Pseudonyme : Marcel
Âge : 25 ans
Lieu de naissance : Montréal
Rencontre : Montréal, lieu de rencontre, octobre
2002
FRAGMENTS DE VIE
Un milieu familial sous le signe de l’alcool et de la
violence; Marcel n’a que 11 ans quand son père
disparaît enfin dans la nature et il demeure seul
avec sa mère et son frère. Mésadapté, violent, il se
retrouve presque aussitôt en centre d’accueil où il
passera le reste de son « enfance ». Cette vie a
ses bons côtés (calme, encadrement,
conformisme…), mais il semble que Marcel n’ait
plus rien à perdre; il demeure un enfant révolté et
réussit sept de ses huit tentatives d’évasion. On le
classe « irrécupérable »; il consomme tout ce qu’il
peut trouver.
À 17 ans et demi, il est « libéré »; il participe à
nombre d’activités criminelles (trafic de drogue,
d’armes); ses amis sont impliqués dans des
fusillades. Il s’installe dans les Laurentides avec
une copine et devient père. Il a des revenus
élevés, grâce à ses trafics, mais il se retrouve
souvent en prison. Sa vie bascule rapidement;
séparation, perte de droit de voir son enfant,
accident d’auto, vente de sa maison (il « brûle »
l’argent en trois semaines).
Présentement il habite la rue à Montréal, se
promène de ressource en ressource. Il n’a plus de
liens avec son frère, son ex-conjointe et son
enfant. Il pense qu’il va mourir d’une overdose.
Marcel demeure un homme colérique. Il dit purger
une longue peine dans la communauté. Il affirme
avoir pardonné à ses parents et entretenir une
bonne relation avec sa mère qu’il voit de temps en
temps. Il aimerait revenir vivre dans les
Laurentides.

Témoignage
Pseudonyme : Jean-Philippe
Âge : 58 ans
Lieu de naissance : Mont-Laurier
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, septembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Jean-Philippe est le cinquième d'une famille de 17
enfants; à l'age de 16 ans, il part travailler comme
bûcheron dans le Nord du Québec.
Sept ans plus tard, il entreprend une carrière de
camionneur qui durera 32 ans et le fera voyager
partout en Amérique du Nord. Vers le milieu de la
vingtaine, il a rencontré sa conjointe avec qui il a
eu deux enfants. Vers l'âge de 30 ans, il a construit
une maison familiale dans les Basses-Laurentides.
Il s’est séparé quelques années après. Il a
reconstruit une maison avec son frère mais a dû
redonner sa part et se trouver un appartement.
En 1999, il est happé par un chauffard et devient
invalide; il ne peut donc plus travailler. Jean-
Philippe est depuis en procédure avec la SAAQ
pour faire reconnaître son invalidité. Assisté social,
il a du mal à payer son loyer. Lorsqu'il fait sa
demande d'hébergement, cela fait deux mois qu'il
dort dans sa voiture avec son fils de 23 ans et le
chien de celui-ci. Au moment de notre rencontre
avec Jean-Philippe, il était en attente du jugement
de la cour et espérait, avec le montant forfaitaire et
la pension d'invalidité, se racheter une maison et
sortir son fils de la rue. Nous avons appris
récemment qu’il avait eu gain de cause et qu'il
s’était installé dans la région avec son fils…
33

Témoignage
Pseudonyme : Patrick
Âge : 24 ans
Lieu de naissance : l’Assomption
Rencontre : Montréal, novembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Patrick nous parle beaucoup de sa 13 ème année; il
y a découvert l’alcool, la cigarette, les drogues
dures, une première blonde, sa première « baise ».
Une « grosse » année.
De sa jeunesse, de ses parents, il nous raconte
que son père a travaillé toute sa vie, qu’aujourd’hui
sa maison est payée, mais que son travail l’a
rendu malade... il dit que son père est devenu un
homme souffrant à qui personne ne veut
ressembler.
Renvoi du collège à 15 ans, puis de l’école
publique. Tentative de suicide; séjour en hôpital
psychiatrique à 17 ans. Se fait une blonde à 18
ans, la marie à 22 ans, s’en sépare à 23 ans.
Il se promène de Montréal à Mont-Laurier,
séjourne dans des communes ou chez des amis. Il
serait intéressé à joindre une toute petite
commune dans les Laurentides. Il a une « jobine »
dans un bar à Montréal, sinon il « erre », par choix,
dit-il.
34

SECTION 3 : ORGANISMES ET PERSONNES
CONTACTÉS ET/OU RENCONTRÉS
Le portrait du phénomène de l’itinérance et des personnes sans domicile fixe dans la région des
Laurentides, a été rendu possible grâce à la participation de très nombreux organismes, soit plus
plus de deux cent personnes, intervenantes partout sur le territoire.
Nous tenons donc à remercier ces organismes ainsi que toutes les personnes qui ont contribué
à notre travail, malgré des horaires souvent impossibles. Ces personnes ont su trouver les
quelques minutes ou les quelques heures nécessaires pour notre étude. Nous tenons aussi à
souligner la générosité, la compassion, sinon la passion, et l’implication de tous les intervenants
et de tous les organismes rencontrés.
Il est également important de mentionner ici l'apport des CLSC qui ont constitué les listes des
organismes à contacter sur chacun des territoires. C'est à partir de ces listes que des invitations
à participer à des rencontres sur leur territoire ont été lancées aux organismes. À la suite de ces
rencontres, des organismes ont été ciblés et recontactés afin de réaliser des entrevues plus en
profondeur; soit en face à face, au téléphone ou encore, par des questionnaires qui ont été
distribués par courrier régulier ou électronique. Certains organismes ont accepté de répondre à
ce questionnaire, d'autres pas. Cependant, tous les organismes ont été contactés au moins à
une reprise.
Nous vous présentons, dans les pages suivantes, les organismes qui ont participé de près ou de
loin à la recherche; il est possible, malgré toute l'attention portée à la préparation de cette liste,
que des erreurs ou des omissions s'y soient glissées.
35

Territoire du CLSC des Hautes
Laurentides
Action bénévole de la Rouge
Arc-en-Soi
Association défense intérêts des personnes
handicapées
Association des Abeilles actives
Association parents d’enfants handicapés
Hautes-Laurentides
Carrefour des Jeunes Mont-Laurier
Carrefour Jeunesse Desjardins
Centre André-Boudreau
Centre communautaire Ferme-Neuve
Centre correctionnel La Macaza
Centre d’Action Bénévole Léonie-Bélanger
Centre de la Famille des Hautes-Laurentides
Centre de Mont-Laurier
Centre Hospitalier et Centre de Réadaptation
Antoine-Labelle (centre de l’Annonciation)
Centre jeunesse des Laurentides
Centre ressource Jeunesse N.D.L.
CLSC des Hautes-Laurentides
CLSC point de services de l'Annonciation
Comité de bénévolat pour s’entraider
Comité de bénévolat Ste-Anne-du-Lac
Conférence St-Vincent-de-Paul
Dianova
Éducation des Adultes
Élan
Évêché de Mont-Laurier
Griffe d’Alpha
Habitations Aux Jardins Verts
Maison Clothilde
Maison de la Famille des Chûtes St-Philippe
Maison des jeunes l’Ascension
Maison des jeunes Vallée de la Rouge
Manne du Jour
Mesures alternatives Antoine-Labelle
Ministère de l’Emploi et de la Solidarité
sociale
Modérateur secteur Nord de la Lièvre (curé)
Modérateur secteur Sud de la Lièvre (curé)
Motel Picardie
Mouvement Personne d’Abord Vallée de la
Rouge
MRC Antoine-Labelle, Sûreté du Québec
MRC Antoine-Labelle; préfet/directeur général
Naissance-Renaissance des Hautes-
Laurentides
Papillons de Nominingue
Passe-R-Elle Hautes-Laurentides
Presbytère Paroisse Cathédrale
Regroupement pour la défense R.D.A.S.
(droits des assistés sociaux)
Résidence Christ-Roi
Service Collectif aux familles Notre-Dame-du-
Laüs
Service de dépannage/presbytère paroisse
Cathédrale Mont-Laurier
Signée Femmes
Toxico-Alerte
Ville de l’Annonciation, Maire / Ville de Mont-
Laurier, Maire
36

Territoire du CLSC des Trois Vallées
A.P.H.I.L
Association Alpha Laurentides
Association Clair-Soleil
Bouffe Dépannage
Carrefour Jeunesse Emploi
Centre d’Accueil Huberdeau
Centre des femmes La Colombe
Centre de l’Équilibre
Centre hospitalier Laurentien
Centre jeunesse des Laurentides
Centre local d’emploi (Sécurité du revenu)
CHCR Antoine-Labelle
Clinique médicale Santé mentale
CLSC-CHSLD des Trois Vallées
Comptoir alimentaire de Lantier
Comptoir d’entraide de Labelle
Défi Communautaire
Éducation des adultes
Église Anglicane Ste-Agathe (Trinity Church)
Ferme Chateauneuf
Groupe JAD
L’Écluse des Laurentides
Territoire du CLSC des Pays-d'en-Haut
Alternatives Laurentides
Archer et Multisports
Café communautaire « L’Entre-Gens »
Carrefour Jeunesse Emploi, Pays-d’en-Haut
Centre correctionnel de Saint-Jérôme
Centre Local d’Emploi (Sécurité du Revenu)
CLSC-CHSLD des Pays-d’en-Haut
Echelon des Pays-d’en-Haut
Éducation des Adultes et École hôtelière des
Laurentides
L’Élan
L’Envolée
Le 135
Maison Choix et Réalité
Maison de la Famille du Nord
Maison des jeunes la Minerve
Maison des jeunes Labelle
Maison des jeunes Ste-Agathe
Maison des jeunes St-Jovite
Moisson des Pays-d’en-Haut
Ombre-Elle (L’)
Parents Uniques des Laurentides
Presbytère Mont-Tremblant
Presbytère Ste-Agathe
Resto-Nord des Laurentides
Service de police (Ste-Agathe)
Service de police (Mont-Tremblant)
STOP
Sûreté du Québec
Table de concertation pauvreté/dépannage
Tangage des Laurentides
Tournesol
Entraide bénévole Pays-d’en-Haut
Espace Laurentides
Garde-manger des Pays-d’en-Haut
L’Écluse des Laurentides
La Maison Françoise
Presbytère: Morin-Heights, Ste-Adèle, St-
Sauveur
Service de police
Sûreté du Québec St-Sauveur
37

Territoire du CLSC d'Argenteuil
Association Solidarité d’Argenteuil
Carrefour des Femmes du Grand Lachute
Cénacle Ste-Famille
Centre Aux Sources d’Argenteuil
Centre d’Entraide d’Argenteuil
Centre Local d’Emploi
Citad’Elle de Lachute
CLSC-CH Argenteuil
Comité de dépannage Paul-Emile Barbeau
Défi travail Argenteuil (solidarité jeunesse)
Fondation du Nouveau Réveil
Hôtel Laurentien
Territoire du CLSC Arthur-Buies
A.C.C.R.O.C
Ami-e du quartier
Antre-jeunes
Association des maisons de jeunes de
Mirabel
Atelier des aînés MRC Rive du Nord
C.A.L.A.C.S.- Laurentides
Cap Emploi
Carrefour d’actions populaires
Carrefour jeunesse emploi Rivière du Nord
Centre André-Boudreau
Centre bénévolat St-Jérôme
Centre d’entraide Ste-Sophie
Centre de détention St-Jérôme
Centre de la famille le grand St-Jérôme
Centre du Florès
Centre femmes les Unes et les Autres
Centre hospitalier Hôtel-Dieu de St-Jérôme
Centre jeunesse des Laurentides
Centre local d’emploi (sécurité du revenu)
Centre Sida-Amitié
CLSC-CHSLD Arthur-Buies
Coin alpha
Hôtel Riverside
La Grotte
La Source
Le Prodige / Le Buisson
Maison des Jeunes Argenteuil
Maison des Jeunes Grenville
Maison Mélaric
Maison Populaire d’Argenteuil
Motel Eddy
Presbytère Ste-Anastasie
Sûreté municipale
Table de concertation pauvreté dépannage
du CLSC-CH d’Argenteuil
Collectif communautaire Rive-du-Nord
Curateur
Droits et recours Laurentides
Écluse des Laurentides
Harfang des neiges
Maison d’accueil de Prévost
Maison d’Ariane
Maison d’hébergement jeunesse (la
Parenthèse)
Maison d’hébergement le Phare
Maison de répit Clair de lune
Maison des jeunes Bellefeuille
Maison des jeunes Haut -Bois
Maison des jeunes Rive-Nord
Mesures alternatives vallées du Nord
Mouvement d’entraide Bellefeuille
Parents-unis Laurentides
Paroisse / presbytère
RRSSS Laurentides (régie régionale)
Sablier
Soupecafé rencontre
Sûreté municipale de St-Jérôme
38

Territoire du CLSC Thérèse-de-
Blainville
Association de parents SADP
Carrefour jeunesse emploi
Centre d’aide et de références (CAR)
Centre d’entraide Thérèse-de-Blainville (la
p’tite épaule)
Centre de réadaptation le Florès
Centre jeunesse des Laurentides
Centre local d’emploi (CLÉ)
Centre multi-service
Centre rayons de femmes Thérèse-de-
Blainville
CLSC Thérèse-de-Blainville
Impact jeunesse
La licorne
Territoire du CLSC Jean-Olivier-Chénier
Agence ton ami pipo
Appartements supervisés le Transit *
Artisans de l’aide
Atelier ensemble on se tient
Carrefour jeunesse emploi J.-O-Chénier
Centre d’entraide Racine-Lavoie
Centre de femmes St-Eustache
Centre hospitalier St-Eustache
Centre local emploi (sécurité du revenu)
Centre Marie-Eve 6 ième jour Inc.
Césame Deux-Montagnes
Clinique médicale
CLSC Jean-Olivier-Chénier
Collectif communautaire Deux-Montagnes
Comité d’aide alimentaire des patriotes
Grenier populaire Basses-Laurentides
Les Ailes de Sainte-Marthe
Manoir Renaud Pier
Le Mitan
Le Petit Patro
Maison de la famille Ste-Anne-des -Plaines
Maison des jeunes Basses-Laurentides
Maison des jeunes de Blainville
Maison des jeunes Ste-Anne-Des-Plaines
Maison des mots des Basses-Laurentides
Regain de vie
Service d'aide St-Maurice
Sûreté municipale Boisbriand
Sûreté municipale Blainville
Sûreté municipale Ste-Thérèse
Unité alco-toxico Domrémy
Libellule (A.D.M)
Maison d’hébergement Accueil
Communautaire *
Maison d’hébergement le Préfixe *
Maison des jeunes Deux -Montagnes
Maison des jeunes Pointe-Calumet
Maison des jeunes St-Eustache (café Graffiti /
de la paix)
Mouvement des personnes d’abord St-
Eustache
Petite maison, maison de la famille de Pointe-
Calumet
Porte-Carrières
Presbytères St-Eustache
Regroupement en toxicomanie prisme
SERCAN
Sûreté municipale
* Organismes regroupés
39

Liens avec Montréal
CLSC des Faubourgs; Service
Itinérance/Service Migrant
Collectif de recherche sur l'itinérance, la
pauvreté et l'exclusion sociale (CRI), UQAM
Dîners-rencontres Saint-Louis-de-Gonzague
L'Itinéraire
Maison du Père
Old-Brewery -Mission
Premier-Arrêt
Réseau d’aide aux personnes seules et
itinérantes de Montréal (RAPSIM)
Réseau solidarité itinérance du Québec
(RSIQ)
Trigone Animation, campagne « Solidaire
face à l'itinérance »
40

Témoignage
Pseudonyme : Marie-Claude
Âge : 33 ans
Lieu de naissance : St-Jérôme
Rencontre : Maison d’hébergement transitoire pour
femmes à St-Jérôme, septembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Marie-Claude n’a connu que violence durant sa
jeunesse et n’a pas attendu d’avoir terminé ses
études pour quitter le domicile familial. Des trois
unions qui durèrent peu, naquirent trois enfants.
Elle a vécu et travaillé à St-Sauveur.
Au moment de notre rencontre, Marie-Claude était
en maison d’hébergement transitoire pour femmes à
St-Jérôme; elle ne parvenait pas à se trouver un
logement à prix abordable et suffisamment grand
pour elle et ses enfants (sa mère – qui pourtant avait
accueilli son frère dans des circonstances identiques
- refusait de la prendre temporairement à la maison).
41

Témoignage
Pseudonyme : Hugolin
Âge : 39 ans
Lieu de naissance : Mont-Rolland
Rencontre : Montréal, novembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Il ne se souvient pas de son enfance, même s’il
pense que c’est la période la plus importante de
sa vie. De 10 à 14 ans, c’est difficile pour lui; il
trouve compliqué de s’intégrer à des condisciples
plus vieux à l’école (il est surdoué et a « sauté »
des années).
De 14 à 19 ans, c’est la révolte, la descente
abrupte, les débuts de la consommation de
drogues, les troubles de comportement. Il lâche
le sport et l’école.
De 19 à 24 ans, c’est la période en « santé
mentale »; il est incarcéré à l’Institut Philippe-
Pinel pour incendie criminel, acquitté pour cause
d’aliénation mentale, diagnostiqué « psychose
toxique », interné durant cinq ans.
Suivent deux ans et demie de consommation
(coke, médicaments, alcool). À 27 ans, il
entreprend une thérapie qui durera huit ans.
Aujourd’hui, il a suivi quelques cours, participe à
un programme de son centre local d’emploi, et
est devenu travailleur autonome. Il a passé les
15 derniers mois dans le nord des Laurentides,
chez sa mère. Il se cherche une chambre dans la
région. Il hésite à vivre dans son ancien milieu à
cause du jugement des gens.
Il nous a aussi « avoué » que son père s’était
suicidé lorsqu’il était adolescent, mais qu’il ne
savait pas où placer cela dans son cheminement.
Il se sent lourd par rapport à cet évènement;
parfois il songe, lui aussi, au suicide.
42

SECTION 4 : RÉSULTATS DE LA RECHERCHE
Il n’est jamais simple de trouver la meilleure façon de présenter une synthèse; nous avons
rencontré plus de 250 personnes (intervenantes ou sans domicile fixe) qui nous ont parlé du
phénomène, la plupart du temps, avec chaleur, avec émotion et avec des exemples à l’appui.
Nous vous présentons donc ici les résultats de notre recherche, regroupés autour d’un certain
nombre de thèmes (stéréotypes, évaluation du nombre, facteurs de risque, type ou profil de la
population itinérante, etc.).
4.1 De quelques stéréotypes et attitudes rencontrés
Comme dans d’autres recherches exploratoires, compte tenu de la façon de travailler que nous
avons mise en place, le phénomène que nous avons observé n’a cessé de se modifier sous nos
yeux tout au long de la recherche. À partir des premières questions adressées aux premières
personnes rencontrées, nos images du phénomène que nous devions décrire se sont mises à
changer; nos questions se sont alors raffinées et notre compréhension du sujet s’est d’autant
précisée. Nous avons été confrontés à quelques stéréotypes dès le début de la recherche.
En posant d’emblée la question : « Voyez-vous ou entrez-vous en contact avec des personnes
itinérantes et sans domicile fixe? » un peu partout sur le territoire, la réponse rapide était très
souvent « non ». À moins de poser la question à des ressources dédiées à l’itinérance, plusieurs
policiers, curés, intervenants en CLSC et dans le communautaire, semblaient, au début, nier
l’existence du phénomène. Il a fallu un certain temps avant de nous rendre compte que ce qu’on
voulait nous dire par ce « non » était tout simplement : « Il n’y a pas, autour de nous, d’itinérance
comme à Montréal et dans d’autres grandes villes, d’itinérance comme on en entend parler dans
les journaux ou dans les bulletins de nouvelle, d’itinérants qui transportent des sacs, traînent
dans la rue, l’air sale, inabordables, quêtant leur survie, faisant les poubelles ou lavant des parebrise
».
En allant au-delà de cette image, avec toutes ces personnes, nous avons rapidement découvert
qu’elles voyaient, observaient et connaissaient cependant beaucoup d’autres choses…
Nous avons aussi lentement compris qu'il y a, quelquefois, autre chose autour de ce « non, il n’y
a pas d’itinérants ici ». Pour certains, l’absence de personnes à la rue peut être le signe de
politiques et de règlements efficaces et d’un milieu social équilibré : « Tout va bien chez nous ».
Pour d’autres, c’est le contraire; admettre l’itinérance, c’est admettre la vulnérabilité et la fragilité
du tissu social, admettre bien souvent qu’on n'a pas les ressources et les moyens pour y faire
face. Ceci nous entraîne directement au second préjugé rencontré.
43

Souligné par un grand nombre des intervenants rencontrés, il s’agit du « pas chez nous ». Bien
peu de personnes affirmerait que nous n’avons pas une certaine responsabilité collective face
au phénomène de l’itinérance. Il n’en va pas de même quand on songe à mettre en place des
ressources pour aider les personnes : « Là-bas, oui, mais pas ici ». Cette réaction n’est pas
propre à l’itinérance : les maisons d’accueil pour femmes victimes de violence conjugale, les
maisons de transition, les centres de thérapie, les services de soins psychiatriques… sont aux
prises avec cette difficulté. Nous ne voulons pas ici trancher le débat, mais seulement soumettre
l’impression que plusieurs citoyens sont persuadés qu’ils vont perdre leur qualité de vie, que la
valeur de leur propriété va diminuer, que leurs enfants ne pourront plus jouer dehors, que leur
milieu ne sera plus sécuritaire, que leur belle petite ville va bientôt regorger d’itinérants, de
toxicomanes, de criminels et de prostituées. Tant qu’il n’y a plus personne qui traîne en ville ou
dans les parcs, ou qui dort sur le bord de la route, on a l’impression d’avoir réglé le problème. En
l’absence de ressources adéquates, le « billet d’autobus » demeure un moyen d’intervention
nécessaire. Mais ne participe-t-il pas à entretenir le stéréotype?
« Encore une autre recherche sur l’itinérance? ». Il nous a parfois fallu expliquer longuement et
parfois insister. En y regardant de plus près, avec les personnes et les organismes qui
interrogeaient la pertinence de notre recherche, nous avons remarqué deux éléments expliquant
cette attitude. Premièrement, une question de vision : pour plusieurs (personnes et organismes),
l’itinérance n’est pas la façon d’aborder le phénomène que nous avons sous les yeux; pour
certains, la lutte à la pauvreté doit constituer le fer de lance du travail social, pour d’autres, les
iniquités et l’injustice sont les démons à abattre, pour d’autres, il doit être question des droits
humains et de citoyenneté à faire valoir, pour d’autres enfin, tout est une question de logement
social. Nous verrons plus loin qu’effectivement le phénomène peut être abordé sous plusieurs
angles et que probablement l’intervention profiterait de cette ouverture à plusieurs approches.
Deuxièmement, « Encore une recherche? » signifiait tout simplement « Encore des
questionnaires à compléter, encore des réunions à planifier, encore du personnel à réaffecter,
ne serait-ce que pour quelques heures? ». Nous avons rencontré des intervenants impliqués, ne
comptant pas les heures, souvent fatigués, parfois dépassés, notamment pendant certaines
périodes. Des intervenants qui nous disent devoir passer des heures longues et parfois stériles à
de la concertation, de la mise en réseau, de la fédération, du partenariat, de l’harmonisation, de
la liaison, de la collaboration de toutes sortes, en plus de toutes les activités internes
nécessaires au bon fonctionnement des organismes et des institutions; la métaphore de la table,
celle où on est assis pour parler. Nous avons rencontré beaucoup de gens fatigués de parler et
pas aussi convaincus qu’avant que tous ces échanges permettent réellement le changement.
Alors, quand ils nous ont vus arriver avec nos beaux questionnaires, nos heures d’entrevue, nos
tables de discussion sur l’itinérance…
4.2 Une évaluation du nombre
Même si notre recherche était essentiellement de nature qualitative, nous avons recueilli un
certain nombre de chiffres. Il faut traiter et analyser ces chiffres avec précaution, ne pas tenter
d’extrapolation et ne pas en tirer de conclusions hâtives. On nous demande souvent des chiffres;
il est clair, dans les façons actuelles de faire, que les chiffres sont « le nerf de la guerre » quand
44

il est question de financer des ressources, d’attirer l’attention sur des besoins. Nous avons
travaillé des mois afin de tracer un portrait global; à la question « combien de personnes? »,
nous nous sentons à l’aise de répondre ceci :
à la lumière des témoignages des divers intervenants rencontrés, il y aurait actuellement
sur le territoire de la région des Laurentides au-delà de 1 000 jeunes (12-25 ans) errants, la
plupart sans domicile fixe, mais se déplaçant constamment, se débrouillant pour coucher à
gauche et à droite : des fugueurs, des exclus, des jeunes sortant de familles d’accueil, de
centres jeunesse, des sans-travail, des décrocheurs, souvent de jeunes couples, des
jeunes souffrant de maladie mentale, des jeunes toxicomanes. Des jeunes qui souvent dès
12 ans, 15 ans, sont des « exclus », des « marginaux ». Plusieurs semblent tenter de s’en
faire un mode de vie. Peu de ces jeunes sont en contact avec des ressources; quand il y a
contact, c’est souvent avec les travailleurs de rue, les cafés de rue, les banques
alimentaires et vestimentaires. Ces chiffres semblent en constante augmentation depuis
quelques années;
encore une fois nous serions tentés, à la lumière des témoignages, d’avancer un chiffre
semblable pour ce qui est de la population adulte (25-65 ans et plus) sans logement stable;
on y retrouve des hommes en majorité (65 à 75 %), mais de plus en plus de femmes et de
familles. On y trouve de l’extrême pauvreté, des problèmes d’employabilité, de logement,
beaucoup de dépendances, quelques problèmes de santé mentale… Ces chiffres
concernent donc des personnes qui sont partiellement en contact avec les ressources
(pour de l’hébergement, de l’aide alimentaire, financière, du transport…), ce qu’on appelle
la partie « visible » du phénomène. Mais il semble que plusieurs personnes vivant cette
situation ne soient pas en contact avec les ressources (la partie « invisible » du
phénomène); il est donc difficile d’en évaluer le nombre; souvent c’est par l’école,
l’infirmière à domicile, parfois les policiers (comme lors du grand verglas de 1998), qu’on
prend conscience de son existence;
nous ne pouvons avancer aucun chiffre pour évaluer ce qu’on appelle la « population à
risque ». Les indices socio-économiques de la région donnent à penser que cette
population est importante, probablement plus importante dans le nord du territoire des
Laurentides, proportionnellement, que dans le sud. Des travaux récents du DRHC
(Développement des ressources humaines Canada) dans le cadre de son programme
INSA (Initiative nationale pour les sans-abri) ont permis l’étude des facteurs structurels et
systémiques qui contribuent à l’itinérance, les coûts du logement, les ménages à risque 11 ;
les résultats indiquent que trois facteurs structurels et systémiques contribuent à
l’itinérance : le revenu, l’absence de mesures de soutien et de service, et le logement. Ces
études proposent d’appeler « à risque élevé » les personnes et les ménages devant
consacrer plus de 50 % de leur revenu au logement, et « à risque » les personnes et les
ménages devant consacrer plus de 30 % de leur revenu au logement. Ces études notent
aussi une augmentation sensible de ces populations depuis le début des années 1990. Les
intervenants ont dit noter un accroissement de la population de chacun de ces trois
groupes au cours des dernières années (3 à 5 ans).
11 Voir Gouvernement du Canada, Direction des ressources humaines du Canada: http://www21.hrdcdrhc.gc.ca/research/projects/listofprojects1_f.html
45

4.3 L’axe de la route 117
La route 117 constitue depuis les années 1920 l’axe de développement de la région des
Laurentides. Si elle est venue bien tard dans le nord des Laurentides, aux yeux de plusieurs, elle
a permis de joindre les principaux centres de développement qui s’y étaient implantés. L’axe de
la route 117 (doublée par l’autoroute 15 dans les années 50-60 et 70) est aussi l’axe des
services (hôpitaux, CLSC, maisons d’hébergement, centres de thérapie, banques
alimentaires…). Seul le territoire du CLSC d'Argenteuil (autour et au nord de Lachute) échappe
à cette logique.
La route 117 est aussi le seul axe où nous retrouvons des transports en commun au nord de St-
Jérôme et elle demeure l’axe principal de transport de St-Jérôme vers Montréal. La « 117 »
revient dans les paroles et les témoignages. On y fait du pouce, on y fait du camping, on y prend
l’autobus, on y est « forcé » de prendre l’autobus; on y est transporté par le curé, par le policier,
par l’ambulancier… Dans la région, seules quelques ressources de thérapie ont fui la circulation
de cet axe. Au centre, St-Jérôme, la capitale régionale, où on retrouve tous les services
possibles (santé, psychiatrie, hébergement, thérapie…); tous les ministères y sont installés,
toutes les décisions régionales y sont prises. Ce centre régional abrite des ressources dédiées à
l’hébergement des personnes sans domicile fixe qui ont aussi une vocation régionale. Pas
surprenant d’y retrouver aussi la partie la plus visible du phénomène de l’itinérance 12 .
4.4 Les liens avec Montréal
L’itinérance dans la région des Laurentides n’est pas seulement visible sur le territoire et à St-
Jérôme; Montréal fait aussi partie du réseau. St-Jérôme répond à près de 50 % des demandes
de service (notamment d’hébergement), puis le trop plein est acheminé vers la métropole.
Le « billet d’autobus », dont le coût est défrayé par les curés, les policiers, les CLSC et les
municipalités, demeure une des pratiques d’intervention les plus courantes sur l’ensemble du
territoire. Mais cette caractéristique n’est pas que laurentienne, on la retrouve aussi dans toutes
les régions du Québec et même sur l’île de Montréal où on paie l’autobus ou le métro vers le
centre-ville.
Bien sûr cela mérite un questionnement : s’agit-il de « dumping »? Encore une fois la face
cachée du « pas chez nous »? N’est-ce pas là la seule réponse raisonnable devant le peu de
ressources en région? Pour des gens en rupture (de famille, de milieu, d’institution), dans un
contexte de victimisation, de culpabilité, parfois de honte, n’est-il pas mieux, et même
nécessaire, de vivre cela « ailleurs »?
12 Ce sont environ 500 personnes différentes qu’on héberge annuellement à St-Jérôme. Mais les
demandes y sont telles que 500 autres personnes sont refoulées vers les ressources de Montréal,
faute de places suffisantes.
46

Nous n’avons pas trouvé de réponses à ces questions. Tous les intervenants rencontrés se
posent d’ailleurs ces mêmes questions, souvent dans le malaise.
Nous avons rencontré à Montréal les responsables de deux organismes : Premier Arrêt, qui
fournit un accueil psychosocial pour les nouveaux arrivants (observation /repérage) à la Gare
centrale d’autobus de Montréal et le Service Migrant du CLSC des Faubourgs qui offre des
services de retour planifié en région (famille, maison d’hébergement ou thérapie) pour les sansabri
de Montréal qui en font la demande. Le portrait des personnes itinérantes qui arrivent à
Montréal est le suivant 13 :
70 % des personnes itinérantes à Montréal proviennent de l’extérieur, dont la moitié vient
des régions du Québec et l’autre moitié, du Canada ou de l’étranger;
23 % de celles-ci arrivent en autobus;
11 % des jeunes qui arrivent ont, comme premier contact un « pimp » ou un « pusher »; ce
chiffre grimpe à 50 % au cours de la première semaine;
29 % des arrivants sont en détresse psychologique ou carrément en crise;
40 % des personnes demandent de l’hébergement; 30 à 40 % demandent des services
psychologiques (aide, soutien…); 30 % demandent des services médicaux (santé
physique, toxico, santé mentale);
10 à 20 % n’ont pas de carte d’identité;
plusieurs viennent à Montréal pour y trouver du travail;
de plus en plus de femmes, victimes de violence conjugale, y cherchent refuge;
les nouveaux arrivants font face à beaucoup d’intolérance; ils ont été rejetés par leur
communauté d’origine et ils se sentent déracinés, stigmatisés.
Beaucoup de personnes itinérantes et sans domicile fixe que nous avons rencontrées sur le
territoire des Laurentides nous ont parlé de l’« enfer de Montréal ». Elles y ont vécu des phases
plus ou moins longues d’itinérance : certaines par choix, dans un premier temps (l’attrait de
l’effervescence, le « trip »…), d’autres parce qu’elles y ont été déplacées faute de ressources en
région. La presque totalité souligne que la vie n’y est pas facile et que la violence y prévaut
(nous reviendrons plus loin sur cette question). Celles qui en sont sorties manifestent
ouvertement leur satisfaction et sont convaincues que les régions sont plus favorables que
Montréal à une harmonieuse réinsertion (côté consommation, on nous a dit pouvoir « tout »
trouver en région).
Nombreuses sont celles qui parlent de la nature, du paysage, des bois, de la campagne, comme
une source d’aide pour s’en sortir. Si cette vision peut sembler « idyllique », elle ne semble pas
sans fondement : plusieurs centres de thérapie, souvent de réputation nationale ou
internationale, se sont installés dans la région des Laurentides et voient la proximité de la nature
comme un atout. Peut-être une piste à retenir en terme d’intervention?
13 Selon un sondage réalisé par le GRIP de l’université McGill à l’automne 1998.
47

4.5 Les facteurs de risque
Un certain nombre de facteurs de risque sont apparus lors de nos entrevues; facteurs qui
contribuent à l’exclusion, à la marginalisation, à la désinsertion; facteurs qui nuisent aux diverses
tentatives, individuelles et institutionnelles de réinsertion.
La pauvreté
Nous l’avons mentionné plus haut et d’autres chercheurs continuent à le « prouver »; pour tous
ceux qui ont les yeux ouverts sur les conditions sociales actuelles (et tous les intervenants que
nous avons rencontrés nous l’ont constamment répété, les préfets et les députés aussi), la
pauvreté augmente, l’écart entre ceux qui « peuvent » et ceux qui ne « peuvent pas », s’accroît.
Pour la plupart des personnes interrogées, cela devient de plus en plus difficile à supporter.
L’image qui revient le plus souvent : le taux d’accroissement du nombre de Mercedes dans le
centre-ville de St-Jovite/Mont-Tremblant qui est proportionnel au taux d’augmentation du coût
des loyers dans la région, qui est proportionnel au taux d’accroissement du nombre de
personnes dans la rue, dans des tentes et dans des abris de fortune dans ce secteur. Toutes les
personnes interrogées « savent » qu’il y a un lien, aussi bien au niveau symbolique qu’au niveau
politico-économique; la difficulté, parfois l’incapacité, d’intervenir sur ce lien semble générer
beaucoup de tristesse, beaucoup de colère et participer aux « ruptures ». Un simple coup d’œil
aux données présentées au début de notre rapport montre que la situation de la pauvreté
s’amplifie du sud au nord sur le territoire.
Le logement
Nous avons aussi parlé du logement plus haut. Il y a au moins deux niveaux à cette question du
logement. Le premier concerne la perte, le manque, l’absence de loyers à prix abordable (ce que
le DRHC et son programme INSA cités plus haut ont appelé l’« abordabilité » et qui constitue le
facteur structurel et systémique le plus important dans le phénomène de l’itinérance); il y a
manque systématique, sur tout le territoire, de maisons de chambres, de logements à prix
modique pouvant accueillir des familles, de logements supervisés... Le second niveau concerne
les conditions souvent insalubres et non sécuritaires de plusieurs lieux d’habitation
(appartements non entretenus, chalets trois saisons reconvertis en habitation avec chauffage au
bois…).
Les personnes itinérantes nous ont parlé des propriétaires qui s’organisent, qui demandent
référence et crédit (difficile quand tu habites une maison d’hébergement), de ce chèque qui
arrive le premier du mois, mais qui doit servir à payer ta ressource d’hébergement, ou encore
servir de dépôt si tu as enfin trouvé quelque chose à louer, ou alors pour payer l’amende si tu as
été pris à quêter, à laver un pare-brise; on pourrait appeler cela peut-être le syndrome du
«treizième chèque», ce chèque qui manque pour espérer sortir un jour du cycle infernal. Le
prochain mois se joue, en quelques heures, tous les premiers du mois. Manque de logements,
mais aussi parfois manque d'un coup de pouce.
Évoquer la question du logement, c’est aussi parler de ceux qui continuent à pouvoir habiter leur
logement en échange de services pour leur propriétaire; de celles qui, ne voulant pas accepter
48

de se retrouver à la rue, doivent accepter des conditions de vie abusives, sinon violentes; de
ceux et celles qui déménagent aux deux mois, faute de pouvoir régler en entier leur loyer; de ces
maisons où il y a des rideaux dans les fenêtres, mais où on dort sur le plancher. Tous les
intervenants nous ont abondamment parlé de ces personnes et nous ont illustré ces cas.
Évidemment, cette situation n’est pas caractéristique de la région des Laurentides. Le Québec,
le Canada, l’Amérique de Nord même, semblent la partager. Mais elle a été fortement décriée
sur l’ensemble du territoire.
Les autres facteurs de risque
D’autres facteurs de risque ont été identifiés par les intervenants d’un peu partout sur le
territoire :
l'emploi précaire, surtout lié à l’industrie récréotouristique (emploi peu payé, emploi qui
donne rarement accès à la permanence, emploi surtout à temps partiel ou du type 23
heures/semaine, emploi qui demande souvent une voiture dans une région comme celle
des Laurentides, où il n’y a pas vraiment de transport en commun). On nous a aussi
signalé de nombreuses fermetures d’usines un peu partout sur le territoire;
les ruptures institutionnelles (décrochage scolaire, fugues de familles d’accueil, sorties de
centres jeunesse ou de centres de détention…) sans support. De 75 à 80 % des jeunes
sans domicile fixe sortent de familles d’accueil, de centres jeunesse, de prison… et se
retrouvent pratiquement à la rue;
le peu de ressources d’aide d’urgence sur le territoire (la moitié des demandes d’aide
d’hébergement d’urgence sont transférées vers Montréal); plusieurs ressources semblent
inadéquates (ne serait-ce qu’en terme de sécurité ou de salubrité), beaucoup de
ressources se disent sous-financées; plusieurs ressources hésitent à se faire connaître car
elles ont peur d’être rapidement dépassées par la demande;
une certaine culture de l’isolement, de la pauvreté, de la marginalité, de l’exclusion (faite
d’assistance sociale, alimentaire, vestimentaire, de travail au noir, souvent de
dépendances et de criminalité, de chômage…). Dans certains milieux par exemple, à 18
ans, un jeune est mis à la porte du domicile familial; à 14 ans, une jeune fille peut
commencer à subir des pressions pour devenir enceinte;
l’absence de projet de société (de valeur et de valorisation) accrocheur pour beaucoup de
jeunes actuellement, ce qui les amène à choisir, à défaut d’autre chose, la marginalité
forcée;
des mythes et stéréotypes puissants : l’itinérance est le fait d’« étrangers », de personnes
de l’extérieur; le phénomène du « pas dans ma cour », où l’on accepte l’existence de
certains besoins mais auxquels il faut répondre ailleurs; le billet d’autobus dans ce contexte
demeure l’outil d’intervention le plus utilisé;
les désorganisations individuelles liées à de fortes dépendances (alcool, drogues, jeu) ou à
des problèmes de santé mentale.
49

4.6 Profil des personnes itinérantes et sans domicile fixe de la région des
Laurentides
Nous avons regroupé dans le tableau suivant les divers profils de personnes itinérantes et sans
domicile fixe tels que présentés par les intervenants rencontrés. Les profils présentés ici, entrant
en contact avec les ressources et les intervenants, forment le portrait « visible » du phénomène.
Nous avons noté pour certains de ces profils, l’existence probable d’une portion « invisible », mal
évaluable dans le cadre de notre recherche. Nous avons identifié les territoires de CLSC où ces
profils nous ont été rapportés :
territoire du CLSC des Hautes-Laurentides : HL
territoire du CLSC des Trois Vallées : TV
territoire du CLSC Pays-d’en-Haut : PH
territoire du CLSC Argenteuil : ARG
territoire du CLSC Arthur-Buies : AB
territoire du CLSC Thérèse-de-Blainville : TB
territoire du CLSC Jean-Olivier-Chénier : JOC
50

TABLEAU 10
PROFILS DES PERSONNES ITINÉRANTES ET SANS DOMICILE FIXE
DE LA RÉGION DES LAURENTIDES
TYPES DE PERSONNES SANS DOMICILE FIXE (OU À
TRÈS GRAND RISQUE)
PRÉSENTÉS LORS DES ENTREVUES
Voyageurs
souvent en route entre Montréal et l’Abitibi;
majorité des hommes (66 à 75 %);
grande pauvreté;
parfois plus visibles l’été;
souvent associés à des dépendances et à la
santé mentale;
bougent beaucoup (souvent partout au
Canada et même en Amérique du nord);
phénomène en croissance;
Itinérants stéréotypés « centre-ville »
errent avec leurs sacs, leur garde-robe, leurs
trésors, voiturettes, bicyclettes;
souvent des symptômes psychotiques;
désorganisation majeure;
dépendances diverses;
en majorité des hommes;
très souvent des gens de la région, parfois de
Montréal;
phénomène en croissance;
Adultes en rupture : hommes et femmes
(parfois des familles)
ruptures familiales diverses (perte d’emploi
ou incapacité à trouver du travail, relation
conjugale insatisfaisante, violence conjugale,
sans possibilité de trouver logement…);
ruptures institutionnelles (ils sortent de centre
de détention, de thérapie… parfois conjoint
attendant la sortie de prison de l’autre);
souvent couchent dans leur voiture un bon
bout de temps avant d’approcher des
ressources;
souvent sans papiers;
souvent ont épuisé le réseau naturel;
pour la plupart, des gens de la région;
phénomène en grande croissance. De plus
en plus de femmes (entre 33 et 50 %) qui
arrivent à la rue après un processus plus long
et avilissant que celui des hommes;
des familles ont été remarquées campant
dans les bois ou squattant des cabanons;
parfois associé à des dépendances, surtout
associé à la pauvreté;
TERRITOIRE
OÙ IDENTIFIÉ
Nord
sud
nord
sud
nord
sud
HL
TV
PH
AB
TB
TV
AB
JOC
HL
TV
ARG
AB
JOC
TB
GENRE DE CONTACT AVEC LES RESSOURCES,
AIDE DEMANDÉE ET REÇUE
contact avec les presbytères, les
policiers, l’accueil des CLSC, les
urgences des hôpitaux, les motels;
ne restent jamais longtemps, repartent
sur le pouce ou sont envoyés ailleurs en
autobus;
souvent refoulés vers Montréal;
demandent douche, repas, hébergement
d’urgence temporaire, transport;
parfois en contact avec l’accueil des
CLSC, les hôpitaux;
demandes formulées la plupart du temps
dans l’urgence;
demandent hébergement temporaire,
essaient de trouver logement;
entrent en relation avec les policiers, les
presbytères, les CLSC et CH, les
ressources d’hébergement directement;
demandent douche, repas,
hébergement;
très souvent référés à des ressources en
région, sinon référés à des ressources à
Montréal. On leur fournit le transport à
Montréal;
au moment de la recherche, les
ressources régionales ne semblaient pas
pouvoir répondre à plus du tiers ou de la
moitié des demandes;
Les intervenants soupçonnent une partie
« invisible » importante de ce profil.
51

PROFILS DES PERSONNES ITINÉRANTES ET SANS DOMICILE FIXE
DE LA RÉGION DES LAURENTIDES
TYPES DE PERSONNES SANS DOMICILE FIXE (OU À
TRÈS GRAND RISQUE)
PRÉSENTÉS LORS DES ENTREVUES
associé à la pauvreté;
en croissance depuis plusieurs années;
Adultes et familles (souvent de jeunes mères
monoparentales) dans le très grand besoin
aussi appelé «nécessiteux». Pauvreté.
Extrême pauvreté;
difficulté à trouver logement à prix abordable,
salubre; vivent souvent dans l’isolement et
l’insalubrité;
plusieurs grands-parents, responsables de
petits-enfants, dans cette situation;
ont souvent adresse fixe, mais déménagent
aux deux mois;
parfois difficulté à gérer le budget; parfois
prostitution, criminalité, exploitation; souvent
situation conjugale peu épanouissante;
souvent pauvreté économique et culturelle
transgénérationnelle;
presqu’uniquement des gens de la région;
phénomène en grande croissance;
LES JEUNES SANS DOMICILE FIXE
Jeunes en rupture familiale
de plus en plus de mineurs (12-18 ans) qui
sont le plus souvent fugueurs (pour le « trip »,
pour fuir la violence et les abus, parce qu’ils
sont « mis dehors »);
chez les plus âgés, on parle souvent de très
fortes dépendances, de criminalité;
parfois associé à des problèmes de santé
mentale;
phénomène en grande croissance;
Jeunes en rupture institutionnelle (jeunes sous
protection ou en arrêt d’agir)
fugues de familles d’accueil et de centres
d’accueil;
sorties de centres jeunesse, de prison, sans
support ou ressources;
TERRITOIRE
OÙ IDENTIFIÉ
nord
sud
nord
sud
nord
HL
TV
ARG
AB
TB
JOC
HL
PH
AB
TB
JOC
TV
PH
GENRE DE CONTACT AVEC LES RESSOURCES,
AIDE DEMANDÉE ET REÇUE
s’adressent aux presbytères, aux
banques alimentaires et vestimentaires,
parfois aux municipalités (logement);
parfois quêtent, font les poubelles;
beaucoup d’aide informelle (repas, $,
hébergement...);
en voie d’épuisement du réseau naturel
d’aide et de support;
forment la partie « à risque très élevé »
d’en arriver à l’itinérance ou l’absence de
domicile fixe;
Les intervenants soupçonnent une partie
« invisible » importante de ce profil.
peu de contacts avec les ressources,
souvent les fuient;
quelques contacts avec les travailleurs
de rue ou les café-rencontres, les CLSC
et les CH, les policiers, les ressources
d’hébergement pour les enfants mineurs.
Demandes d’aide alimentaire,
vestimentaire, hébergement;
les mineurs sont référés dans les
ressources jeunesses;
les majeurs sont référés dans les
ressources adultes de la région, sinon à
Montréal;
Les intervenants soupçonnent une partie
« invisible » importante de ce profil.
quelques contacts avec les travailleurs
de rue ou les café-rencontres, les CLSC
et les CH, les policiers, les ressources
d’hébergement pour les enfants devenus
52

PROFILS DES PERSONNES ITINÉRANTES ET SANS DOMICILE FIXE
DE LA RÉGION DES LAURENTIDES
TYPES DE PERSONNES SANS DOMICILE FIXE (OU À
TRÈS GRAND RISQUE)
PRÉSENTÉS LORS DES ENTREVUES
souvent associé à de fortes dépendances;
souvent associé à la criminalité;
Jeunes en situation précaire (souvent des
familles)
grande pauvreté;
risques de rupture «finale», parfois violence;
emplois précaires, déçus des conditions
offertes;
souvent en demande d’insertion;
difficulté à trouver logement adéquat;
sur le mode survie et débrouillardise;
Jeunes squatteurs
peuvent être en couple, certains commencent
même à avoir des enfants;
sur le mode débrouillardise (tentes, igloos,
squat de chalets et colonies de vacances, à
30 dans un logement…);
forment de plus en plus un réseau, avec
l’entraide requise;
souvent liés à une idéologie et parfois à un
courant spirituel;
souvent liés à des drogues douces;
Jeunes marginaux
dont le mouvement « punk »;
souvent liés à une idéologie;
souvent liés à des drogues dures;
TERRITOIRE
OÙ IDENTIFIÉ
sud
nord
sud
nord
AB
TB
JOC
TV
HL
AB
JOC
TB
HL
TV
Sûrement
ailleurs mais
difficile à
explorer
sud
JOC
GENRE DE CONTACT AVEC LES RESSOURCES,
AIDE DEMANDÉE ET REÇUE
majeurs. Demandes d’aide alimentaire,
vestimentaire, hébergement;
les mineurs sont référés dans les
ressources jeunesses;
les majeurs sont référés dans les
ressources adultes de la région, sinon à
Montréal;
Les intervenants soupçonnent une partie
« invisible » importante de ce profil.
quelques contacts avec les travailleurs
de rue ou les café-rencontres, les CLSC
et les CH, les policiers, les ressources
d’hébergement pour les enfants mineurs.
Demandes d’aide alimentaire,
vestimentaire, hébergement;
les mineurs sont référés dans les
ressources jeunesses;
les majeurs sont référés dans les
ressources adultes de la région, sinon à
Montréal;
Les intervenants soupçonnent une partie
« invisible » importante de ce profil.
aucun contact avec les ressources;
Les intervenants soupçonnent une partie
« invisible » importante de ce profil.
quelques liens avec les travailleurs de
rue ou les café-rencontres;
53

PROFILS DES PERSONNES ITINÉRANTES ET SANS DOMICILE FIXE
DE LA RÉGION DES LAURENTIDES
TYPES DE PERSONNES SANS DOMICILE FIXE (OU À
TRÈS GRAND RISQUE)
PRÉSENTÉS LORS DES ENTREVUES
Jeunes « errants » souffrant de problèmes de
santé mentale
non diagnostiqués;
souvent liés à des dépendances et
multiproblématiques;
TERRITOIRE
OÙ IDENTIFIÉ
nord
sud
HL
PH
AB
TB
JOC
GENRE DE CONTACT AVEC LES RESSOURCES,
AIDE DEMANDÉE ET REÇUE
Peu de contacts avec les ressources,
sinon quelques ressources spécialisées;
Les intervenants soupçonnent une partie
« invisible » importante de ce profil.
54

Témoignage
Pseudonyme : Simon
Âge : 54 ans
Lieu de naissance : Paris, France
Rencontre : St-Jovite, local du CLSC, février 2003
FRAGMENTS DE VIE
Simon est un des rares véritables « voyageurs » que
nous ayons côtoyés tout au cours de nos rencontres. Il
se dit de nulle part et de partout. C’est un grand
voyageur, spécialiste de rallyes. Connaissant le
Québec, il vient s’y installer en 1994 et devient citoyen
canadien. Ne pouvant faire reconnaître sa formation
professionnelle, il choisit la vie qu’il avait déjà
expérimentée en France.
Il se construit un bivouac en bois, monté sur des roues
de bicyclette et attaché à son vélo. Il parcourt tout le
Québec, est souvent interviewé par les médias, explore
aussi le reste du Canada. Il n’a jamais demandé d’aide
sociale. Il a de l’entregent, il trouve toujours à se
nourrir, un lit pour dormir quand son bivouac est trop
couvert de glace l’hiver. Il voyage 12 mois par année.
Depuis quelque temps déjà, sa vie est devenue encore
« plus simple ». S’étant fait voler son vélo, il a choisit de
ne pas le remplacer, de marcher, une quarantaine de
kilomètres par jour en moyenne, été comme hiver (sur
l’accotement des routes qu’il emprunte). Il pousse
maintenant, devant lui, une petite charrette qu’il s’est
fabriquée. Il arrête dans les presbytères, les CLSC,
trouve abri dans certains lieux publics quand il n’a pas
d’autres choix et qu’il le peut. Quand nous l’avons
rencontré, il arrivait de Prévost, St-Sauveur, Morin-
Heights, Val-Morin. Il partait le lendemain pour Mont-
Laurier.
Simon n’a pas voulu donner de détails sur une
jeunesse qu’il dit s’être fait voler. On sent encore
beaucoup de souffrance et de tristesse quand il effleure
la question. Ce qu’il vit aujourd’hui, c’est un rêve
d’enfance qu’il matérialise; pour lui, les nombreuses
rencontres qu’il fait, même éphémères, lui sont
satisfaisantes. Les inconvénients du temps froid ne sont
que faible contrepartie au plaisir qu’il trouve à voyager.
Il fait des efforts pour bien se présenter à ceux à qui il
demande de l’aide, car il y a beaucoup d’« a priori » à
vaincre dans ce métier.
55

Témoignage
Pseudonyme : Lucien
Âge : 42 ans
Lieu de naissance : Buckingham
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, janvier 2003
FRAGMENTS DE VIE
Lucien n’a que 12 ans quand son père meurt. Cela
correspond au moment où il commence à
consommer (hash, pot, boisson). Puis des petits
vols… À 16 ans, il se retrouve dans un centre pour
jeune délinquant. Court retour à la maison d’où sa
mère a tôt fait de l’éjecter. Il ira habiter chez une
amie.
Vol par effraction et prison à 18 ans. À 19 ans, il
perd sa fille de quatre mois. Commence alors sa vie
d’itinérance. Il fréquente les maisons
d’hébergement, fait plusieurs fois le tour du Canada,
de ressource en ressource… de rechute en rechute.
Au début de la quarantaine, il débarque à St-Jérôme
avec la ferme intention de faire quelque chose de sa
vie. Thérapie, recul ponctué par un bref séjour en
prison; Lucien a toutefois l’impression de s’en sortir
lentement; il est présentement animateur dans un
centre et étudie au CEGEP de St-Jérôme pour
devenir intervenant. Il s’est trouvé une chambre. Il
espère ouvrir son propre centre d’hébergement en
2005 ou 2006.
56

4.7 La question d’une errance « rurale »
Depuis que notre recherche a débuté, on nous a souvent posé la question de l’itinérance ou de
l’errance rurale. Le phénomène de l’itinérance dans les grands centres urbains, probablement à
cause de son ampleur et de son urgence, a été assez bien documenté ces dernières années; il
reste encore beaucoup à faire et de nombreux chercheurs et intervenants s’y affairent. Le
phénomène de l’itinérance dans les régions du Québec est moins bien documenté, et le peu de
documentation produite semble assez difficile d’accès, moins diffusée.
Nous avons eu le plaisir, au cours de notre étude, d’entrer en relation avec des équipes de
recherche qui oeuvrent présentement autour de Montréal (en Montérégie, dans Lanaudière et
dans l’Outaouais). Nul doute que ces diverses études (dont les résultats paraîtront plus tard)
viendront enrichir l’amorce de réflexion que nous proposons ici.
Comme nous l’avons mentionné plus haut dans notre rapport, la région des Laurentides varie du
sud au nord, passant d’un caractère urbain à l’extrême sud, à un caractère «rural 14 » à l’extrême
nord. Nous nous sommes donc interrogés sur les « différences » que nous aurions notées entre
les zones « urbaines » et « rurales », par rapport au phénomène que nous avons observé. Ces
réponses touchent la géographie, le tissu social, les pratiques d’intervention. Le milieu « rural »
dont nous parlerons ici est celui situé au nord et autour de St-Jérôme (les CLSC Pays-d’en-haut,
Trois Vallées, Hautes-Laurentides, Argenteuil et en partie Arthur-Buies):
Peut-être à cause des conditions climatiques, de la petite taille des milieux urbains et de
l'immensité du territoire environnant, l'itinérance visible, en milieu rural, semble un
phénomène saisonnier (les campeurs, ceux et celles qui font du pouce sur la route 117, les
quelques-uns qui fréquentent les parcs, ceux qui « errent » sur les routes secondaires…).
Le nombre de personnes itinérantes visibles augmente au printemps et diminue à
l'automne, ce qui permet à certaines personnes de la région, et même à certains
intervenants, de croire que l’itinérance n’est qu’un phénomène saisonnier dans la région
des Laurentides et qu’elle n’est le fait que de quelques « touristes » de l’extérieur. De plus,
cette tendance permet plus facilement de croire qu’il n’y a pas d’itinérance locale.
Plusieurs intervenants du nord du territoire nous ont mentionné que les itinérants de la
région semblent plus « civilisés » que l'image qu'on a de l'itinérance dans les grands
centres (habillement, mode de vie…); la population itinérante « semble » moins pauvre,
moins dépendante, moins repoussante : peut-être dans la façon dont elle se présente aux
autres.
« Je suis autonome dans les bois et quand je suis sur la 117, mais je perds toute mon
autonomie dans la ville » (Gilbert). Pour les gens d’ici, il semble donc y avoir un lien fort
avec le milieu rural, son paysage, son mode de vie; d’ailleurs plusieurs centres importants
14 Bien que l’expression « rurale » soit un peu consacrée comme l’opposé de l’expression « urbaine »,
nous ne sommes pas persuadés qu’elle décrive adéquatement une région comme celle des
Laurentides. L’adjectif «rural » fait habituellement référence à la « campagne » que l’on imagine
comme des « champs » cultivés, où il y a « peu d’arbres » (Petit Robert).
57

de thérapie sont installés dans la région des Laurentides et profitent de la proximité avec la
nature (nous pouvons invoquer ici le pouvoir « guérisseur » de la nature). On pourrait
même aller jusqu'à penser, comme plusieurs l’ont mentionné, que si des ressources
importantes étaient créées en région « rurale », elles seraient rapidement « débordées »,
car elles rencontreraient les besoins de plusieurs, même des gens de l’extérieur qui
seraient tentés par son environnement. Il semble plus facile de se « débrouiller » en milieu
rural. Cette image plus « bucolique » de la région n’est sûrement pas étrangère à la grande
présence de jeunes « errants » partout sur le territoire (nouvelles valeurs, nouvelles façons
de vivre…).
Devant l’absence de ressources directement dédiées aux personnes itinérantes dans le
secteur rural de la région des Laurentides, ce sont des organismes non-dédiés (CLSC,
presbytères, policiers, comptoirs alimentaires, urgences d’hôpitaux…) qui se voient
demander dans l’urgence repas et hébergement. En territoire rural, les ententes avec les
motels et les restaurants deviennent importantes en terme de premier dépannage. Devant
l’absence de ressources d’urgence en territoire rural, le « ticket de transport » devient aussi
un mode d’intervention de première ligne; les tentatives de références (trouver une place à
St-Jérôme ou à Montréal), lorsqu’on est en région éloignée, semblent demander beaucoup
de temps et de patience aux intervenants souvent débordés. Devant la complexité et
l’impossibilité, on est parfois contraint de recourir à des ressources un peu surréalistes (le
bon samaritain…).
Sans avoir voulu et pu en tracer une carte fiable, il semble y avoir « dans nos campagnes »
plusieurs projets « privés » d’hébergement, hors contrôle, sans liens avec les réseaux
officiels d'aide et d'intervention, au professionnalisme parfois douteux, parfois sectaires,
parfois insalubres et non sécuritaires (des havres de sérénité ou de joie, où, contre le
chèque mensuel d’aide sociale, on peut trouver toit et repas).
D’après les témoignages entendus, les dimensions du territoire, la faible densité de la
population, l’isolement dans lequel se retrouvent des personnes et des familles (souvent
sans voiture ou autre moyen de transport) et l’absence de transport en commun,
contribuent à l’éloignement des personnes en besoin des ressources qui pourraient leur
être utiles, ce qui permet de penser, qu’en région rurale, la partie « invisible » du
phénomène de l’itinérance pourrait être plus importante que dans les régions urbaines où
l’on remarque un peu plus et où l’on prend plus conscience de l’isolement. L’aide est plus
« proche » en milieu urbain.
Il est difficile de comparer avec le milieu urbain étant donné le peu d’information à ce sujet,
mais nous avons beaucoup entendu parler en milieu rural de l’automobile comme lieu
d’hébergement temporaire. Familles et personnes évincées, trouvent refuge pour des
périodes variables (qui peuvent aller jusqu’à plusieurs mois, sinon jusqu’à l’automne) dans
leur automobile. La pénurie de logements abordables semble aussi importante dans les
petites villes et les villages, que dans les grands centres. L’absence de ressources
temporaires d’hébergement contribue à la « popularité » de l’automobile pour certaines
personnes dans le besoin.
58

On note dans une région comme celle des Laurentides, l'importance des voies de
circulation dans ce qui est visible du phénomène. Nous l’avons mentionné plus haut, la
route 117 allant de Laval à Mont-Laurier est le principal axe de déplacement de la
population itinérante. On retrouve le phénomène « visible » tout au long de cet axe.
Les milieux sociaux isolés, et même certaines municipalités rurales, nous ont souvent été
décrits comme « fermés » et responsables d’exclusion sociale ou encore réfractaires à
l’inclusion sociale. On « naît » dans un village et dans une famille du coin; on fréquente
l’école avec ses voisins, on joue à la rue avec eux; mais on ne peut jamais devenir
réellement un membre de la communauté autrement. On peut toujours s’installer « dans le
nord » à l’âge adulte, mais trente ans plus tard, on y sera toujours un « étranger »; ces
milieux sociaux « fermés » semblent plus ou moins imperméables à l’insertion et à la
réinsertion. Ces milieux semblent aussi réagir promptement et « enfermer » ou « rejeter »
leurs éléments perturbateurs (violence, criminalité, dépendances), ce qui rend ces milieux
« difficiles » à envisager comme réel réseau d’appartenance et de soutien dans les
tentatives de réinsertion.
4.8 Le phénomène de l’itinérance au nord et au sud de la région des Laurentides
La section précédente ouvre sur une autre question qui nous a souvent été posée : avez-vous
noté quelque différence au niveau du phénomène de l’itinérance et des personnes sans domicile
fixe, entre ce qu’on appelle généralement le nord (formé des territoires des CLSC Hautes-
Laurentides, Trois Vallées, Pays-d’en-Haut et Argenteuil) et le sud (formé des territoires des
CLSC Arthur-Buies, Thérèse-de-Blainville et Jean-Olivier-Chénier)?
Sans chiffres précis permettant d’établir des bilans, des moyennes et des liens avec la densité
de population sur les divers territoires, la comparaison est difficile. Mais certaines réflexions sont
possibles. En examinant la densité de la population, nous remarquons qu’environ 72 % de la
population de la région des Laurentides vit au sud de la région et environ 28 % vit au nord. Si le
phénomène est le même partout, nous devrions avoir eu l’impression qu’au moins deux fois plus
de personnes étaient itinérantes et sans domicile fixe au sud de la région. Ce n’est pas le cas.
Les quelques chiffres obtenus nous ont donné l’impression d’une répartition comparable sur tous
les territoires. Les ressources régionales d’hébergement de St-Jérôme nous disent recevoir du
monde de partout dans les Laurentides sans qu’une zone (nord ou sud) soit plus représentée.
Ceci nous donne à penser que, proportionnellement, le phénomène de l’itinérance est plus
important et plus grave dans le secteur nord de la région des Laurentides. C’est aussi dans le
secteur nord que les intervenants nous ont parlé des personnes « à risque élevé » de devenir
itinérantes et de l’importance d’approfondir notre connaissance de la partie « invisible » du
phénomène. Nous croyons qu'il faut se remettre en mémoire le bilan de la région que nous
présentions plus haut dans ce rapport. Le nord des Laurentides est une région « défavorisée »
sinon « très défavorisée »; aucune surprise alors devant l’ampleur qu’y prend le phénomène.
Une autre statistique « malheureuse » qui croît en montant l’axe de la « 117 ».
59

Nous avons également noté de légères différences dans le phénomène : une présence
accentuée de jeunes « squatteurs » au nord de la région; une présence unique, au sud de la
région, de jeunes « punks »; une présence accentuée également au sud d’itinérants stéréotypés
« centre-ville ». Dans les deux derniers cas, les intervenants ont souligné l’apparition récente de
ces phénomènes, liée, selon eux, à la proximité avec Montréal.
La question des jeunes de la rue a été évoquée avec un peu plus d’ampleur par les ressources
au sud de la région. Le phénomène y a peut-être une couleur particulière; peut-être aussi que
l’existence de plusieurs ressources jeunesses (cafés, travailleurs de rue, hébergement…) y est
pour quelque chose.
4.9 Les pistes de solution proposées par les intervenants
Je ne vous demande pas d’y croire,
je vous propose seulement d’y rêver
Claude Chabrol
Nous avons regroupé dans cette section les besoins exprimés et les améliorations souhaitées
par les quelque 200 intervenants que nous avons rencontrés sur tout le territoire. Nous avons
classé et regroupé ces pistes de solution en deux sous-sections correspondant aux territoires
sud et nord de la région des Laurentides.
Quelques mots de mise en garde cependant : les termes « arrimage, bottin des ressources,
collaboration, réseautage… » sont revenus assez souvent lors de nos entrevues, pour nous
donner à croire que l’information serait peut-être le premier objectif à viser dans la liste qui va
suivre. Par exemple : certaines ressources régionales semblent bien connues, mais si on en
connaît l’existence, certains intervenants semblent en ignorer la « clientèle » ciblée, les règles
d’accessibilité et les approches… Quelques ressources semblent aussi complètement ignorées
quand vient le temps de référer des personnes qui demandent de l’aide. Mais cet objectif
d’information pourrait ne pas être facilement réalisable, certaines ressources ne tenant pas tant
que cela à être connues (pour des raisons que nous avons évoquées ailleurs).
60

Témoignage
Pseudonyme : Pascal
Âge : 40 ans
Lieu de naissance : Au Québec
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, novembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Dès l’âge de 12 ans, rues et parcs n’ont plus de
secrets pour Pascal qui y apprend à la fois
consommation et trafic de drogues.
Jeune adulte (tentant de s’en sortir), il décroche
un emploi peu satisfaisant sur une ferme. Puis
commence la vie aventureuse : voyages, travail
à l’extérieur du pays et, parallèlement, trafic.
Des années plus tard, éclate un conflit avec des
« dealers » dont il sort perdant. Pascal a 35
ans. Il revient au pays, s’installe dans les
Laurentides et se trouve un emploi en
foresterie. Puis, c'est le chômage, l'aide
sociale…
Pascal est dans la rue depuis un an et
demande de l'aide pour la première fois.
61

Témoignage
Pseudonyme : Daniel
Âge : 47 ans
Lieu de naissance : Montréal
Rencontre : Laurentides, maison de thérapie,
octobre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Daniel a passé son enfance (de 5 à 23 ans) aux
États-Unis. Il a déménagé pas moins de 11 fois
pendant cette période. Il dit avoir de la difficulté à
créer des liens durables; il se sent rejeté par les
filles et déplore sa méconnaissance de la langue
française.
Il commence à consommer du « pot » à 13 ans. Il
pratique plusieurs sports, étudie. Vers 18 ans, sa
consommation augmente. Il s’est trouvé un emploi
dans la comptabilité au World Trade Center. La suite
de sa vie semble liée à des relations amoureuses
difficiles, des déménagements fréquents aux États-
Unis et la plongée dans des drogues de plus en plus
dures. En 1980, il revient à Montréal. Il continue à
déménager constamment, à changer d’emploi. Puis
enfin, une relation stable qui dure 5 ans. Laval…
Ste-Thérèse… St-Jérôme. Depuis plusieurs années
sa vie est parsemée de hauts et de bas : vols,
plusieurs thérapies, instabilité de logement, études
en ébénisterie, maisons d’hébergement, tentatives
de suicide, périodes d’abstinence et rechutes.
Présentement, il se sent mieux; il espère pouvoir
rester dans la région et « travailler le bois ».
62

CONSTATS DES BESOINS EXPRIMÉS ET DES AMÉLIORATIONS
SOUHAITÉES POUR LES TERRITOIRES DU NORD DES LAURENTIDES
Quatre grands axes semblent permettre de regrouper les besoins exprimés et les améliorations
souhaitées :
1. SE DONNER LES MOYENS D’INTERVENIR EN AMONT DE LA DÉSINSERTION, DE L’EXCLUSION, DE
LA RUE ET DE L’URGENCE
Trouver une ou des façons de permettre ou d’améliorer le transport en région vers les
ressources.
Faciliter l’accès général aux logements salubres et adéquats (logements à prix
modique, logements sociaux, appartements supervisés selon les besoins, maisons
de chambres).
Dans une optique de cas par cas, offrir du soutien psychosocial aux personnes
engagées dans un processus de désinsertion (évaluation, plan d'intervention et
d’insertion, références…). Assurer le suivi nécessaire dans les cas de troubles
mentaux.
Dans une optique de cas par cas, offrir du soutien socio-économique aux personnes
engagées dans un processus de désinsertion (solidarité sociale adaptée, aide à
l’employabilité et à l’emploi, etc…).
2. VOIR À UNE MEILLEURE ORGANISATION DES SERVICES DÉJÀ EN PLACE
Faciliter la création et la négociation d’ententes de service et de partenariat entre les
organismes déjà existants. Consolider les liens existant entre les organismes.
Produire un bottin des ressources à jour et disponible pour tous;
Impliquer tous les acteurs dans l’élaboration et la mise en place d’une réponse
adéquate aux demandes formulées par les jeunes (fugueurs ou autres), les femmes,
les personnes de passage, les personnes en instabilité de logement
(déménagements fréquents, évictions, hébergées, précarité résidentielle), les
personnes qui sont itinérantes depuis plusieurs années, les personnes dont
l’itinérance est épisodique, les personnes dont l’itinérance est transitoire.
Uniformiser les approches en intervention et travailler en réseau d’une façon
systématique (collaboration interorganismes).
63

Permettre et favoriser des ajustements mutuels de services entre les organismes
(heures d’ouverture, disponibilité des intervenants, soirées/fins de semaine…) de
façon à accroître l’accessibilité.
Travailler à supporter et à soulager les ressources actuelles, souvent débordées et
épuisées. Assurer une formation adéquate pour le travail avec la population
itinérante.
3. SENSIBILISER LA POPULATION, LES INTERVENANTS ET LES DÉCIDEURS (À TOUS LES NIVEAUX) À
LA SITUATION DES PERSONNES ITINÉRANTES ET SANS DOMICILE FIXE ET À LA RÉALITÉ DES
PERSONNES ENGAGÉES DANS UN PROCESSUS DE DÉSINSERTION
Faire connaître la situation, la démystifier, la dépersonnaliser et éviter de stigmatiser
davantage la population itinérante et sans domicile fixe.
Dénoncer l’intolérance rencontrée un peu partout dans la région.
4. PRÉVOIR L’AMÉNAGEMENT D’UNE RESSOURCE D’HÉBERGEMENT D’URGENCE (TEMPORAIRE)
DANS LE SECTEUR NORD DES LAURENTIDES (RESSOURCE MIXTE HOMMES/FEMMES). CETTE
RESSOURCE DEVRAIT ÊT RE ADAPTÉE À DIVERSES POPULATIONS (JEUNES...) ET ÊTRE
SUPERVISÉE, OFFRIR ÉCOUTE, ÉVALUATION ET RÉFÉRENCES. ON POURRAIT EXAMINER LA
POSSIBILITÉ DE LIER CETTE NOUVELLE RESSOURCE AUX ENTENTES TYPES CONCLUES UN PEU
PARTOUT SUR LE TERRITOIRE AVEC DES MOTELS. IL CONVIENDRAIT D’ÉTUDIER LE NOMBRE DE
PLACES REQUISES POUR UNE TELLE RESSOURCE.
64

CONSTATS DES BESOINS EXPRIMÉS ET DES AMÉLIORATIONS
SOUHAITÉES POUR LES TERRITOIRES DU SUD DES LAURENTIDES
Nous avons utilisé ici les mêmes grands axes que pour la région nord du territoire; la situation
des jeunes itinérants et sans domicile fixe ayant été abordée d’une façon plus spécifique dans la
région sud du territoire par tous les intervenants rencontrés, nous en avons fait un axe particulier
mais qui recoupe aussi les quatre premiers axes.
1. SE DONNER LES MOYENS D’INTERVENIR EN AMONT ET EN AVAL DE LA DÉSINSERTION, DE
L’EXCLUSION, DE LA RUE, DE L’URGENCE
Faciliter l’accès général aux logements salubres et adéquats (logements à prix
modique, logements sociaux, appartements supervisés selon les besoins, maisons
de chambres). Sensibiliser les MRC, les villes, les paroisses, à l’importance du
logement à prix modique, tout en évitant la ghettoïsation.
Dans une optique de cas par cas, offrir du soutien psychosocial aux personnes
engagées dans un processus de désinsertion (évaluation, plan d'intervention et
d’insertion, référence…). Assurer le suivi nécessaire dans les cas touchés par des
problèmes de santé mentale.
Dans une optique de cas par cas, offrir du soutien socio-économique aux personnes
engagées dans un processus de désinsertion (solidarité sociale adaptée, aide à
l’employabilité et à l’emploi…).
Mettre en place des services en aval de l’itinérance pour favoriser l’insertionréinsertion
(logements, ententes avec des propriétaires, éducation, soutien…).
Dans la foulée de la précédente remarque, il faut créer, développer des approches
particulières à l’insertion-réinsertion; développer une expertise régionale.
Prévention, prévention, prévention…
2. VOIR A UNE MEILLEURE ORGANISATION DES SERVICES DEJA EN PLACE
Sans proposer actuellement de structure formelle, procéder à une forme quelconque
d’arrimage des divers services en place afin d’en arriver à une certaine
complémentarité, de faciliter les communications entre les personnes et les
organismes, d’échanger de l’information sur les services existants… L’actuel projet
de liaison Nord-Sud-Montréal du CLSC-CHSLD des Trois Vallées devrait permettre
d’amorcer ce travail d’arrimage.
65

Prévoir plus de places dans les ressources actuelles. Mettre à la disposition de ceux
et celles qui le désirent, plus de chambres supervisées et créer des liens avec les
ressources de réinsertion existantes.
Tenter de résoudre la difficulté du partenariat entre toutes les ressources, alors que
dans le milieu communautaire, où cette volonté existe, les ressources financières et
les ressources humaines ne sont pas stables.
Accorder plus de permanence, de reconnaissance et de financement aux ressources
sur le territoire dans son ensemble.
Travailler à supporter et à soulager les ressources actuelles, souvent débordées et
épuisées. Assurer une formation adéquate pour le travail avec la population
itinérante.
Créer et développer des liens avec des spécialistes pour continuer d’améliorer nos
pratiques, nos expertises, pour travailler efficacement en amont de l’itinérance,
partout sur le territoire. Il est important de consolider les expertises, de favoriser les
échanges entre les intervenants, les liens entre les organismes, et les liens entre les
organismes et les institutions.
3. SENSIBILISER LA POPULATION, LES INTERVENANTS ET LES DÉCIDEURS (À TOUS LES NIVEAUX) À
LA SITUATION DES PERSONNES ITINÉRANTES ET SANS DOMICILE FIXE ET À LA RÉALITÉ DES
PERSONNES ENGAGÉES DANS UN PROCESSUS DE DÉSINSERTION
Démystifier le phénomène : trop peu d’intervenants à tous les niveaux sont à l’aise
avec la population itinérante et sans domicile fixe, prolongeant ainsi l’intolérance et
l’exclusion. Il faut humaniser l’accueil fait à ces personnes.
La sensibilisation et l’éducation sont primordiales, essentielles, pour faire cesser
l’intolérance.
4. PRÉVOIR L’AMÉNAGEMENT DES RESSOURCES D’HÉBERGEMENT (ET AUTRES) SUIVANTES DANS
LE SUD DU TERRITOIRE DES LAURENTIDES
Une ressource d’hébergement d’urgence et à plus long terme pour les femmes en
difficulté (autre que la violence conjugale).
Une ressource d’hébergement d’urgence et à plus long terme (un mois et demi à
deux mois) pour les jeunes du territoire. Il faut prévoir les accompagner pendant cette
période. Peut-être imaginer cette ressource en collaboration avec les citoyens du
territoire?
66

Des services de suivi plus accessibles pour les personnes atteintes de troubles de
santé mentale. La question de la santé mentale est souvent liée à l’intervention
auprès des populations itinérantes et sans domicile fixe.
Prévoir pour St-Eustache un centre de jour (« drop in ») pour accueillir la population
itinérante (nourriture, douches, salles de lavage...). Prévoir aussi un refuge
d’urgence, de dépannage (10 lits minimum) pour hommes et femmes, offrant du
soutien.
5. RÉFLÉCHIR, POURSUIVRE LA RECHERCHE SUR LA SITUATION PARTICULIÈRE DES JEUNES EN
SITUATION D’INSTABILITE DE LOGEM ENT, EN ROUTE VERS L’EXCLUSION SOCIALE
Questionner et se questionner quant à la place qu’occupe l’itinérance dans les choix
et le processus de vie des jeunes de plus en plus nombreux à vivre la situation. Notre
société a-t-elle vraiment quelque chose d’intéressant à leur offrir?
Développer des approches à plus long terme qui tiennent compte des acquis, des
forces, qu’ont développés les jeunes dans leur situation précaire.
Sensibiliser, inciter les institutions (prisons, maisons de transition, centres
jeunesse…) à mieux préparer les sorties de leurs pensionnaires. S’assurer d’un suivi
de la personne à l’extérieur, d’un soutien possible aux familles qui les recueillent.
Faire un inventaire des ressources nécessaires; les jeunes ont un besoin criant de
ressources de toutes sortes, pour leur donner le temps de « virer de bord ».
4.10 Résultats de nos rencontres avec des personnes itinérantes et sans domicile fixe
Nous sommes entrés en contact, au cours de notre recherche, avec une cinquantaine de
personnes itinérantes et sans domicile fixe de la région des Laurentides. La plupart de ces
rencontres se sont déroulées dans des lieux qui leur sont dédiés, à Montréal et dans la région
des Laurentides, avec l’aide d’organismes et d’intervenants qui ont servi d’agents de liaison.
Cette démarche, pour nous chercheurs, a été fort précieuse. Précieuse en termes de
renseignements obtenus, mais encore plus précieuse en termes de relations humaines :
l’itinérance cessait d’être un phénomène dont nous avions à tracer le portrait, elle avait un
visage, un nom, plusieurs noms en fait, Gaston, Monique, Serge, Stéphane… Nous vous
présentons, tout au long de notre rapport, quelques-unes des personnes que nous avons
rencontrées; par souci de confidentialité et d’anonymat, nous leur avons, bien sûr, donné un
pseudonyme et nous avons éliminé les informations qui pourraient permettre de les identifier.
67

Tous ceux et celles que nous avons rencontrés ont semblé intéressés par notre recherche et y
ont participé volontairement. Certains ont peu parlé, d’autres beaucoup. Quelques mots d’abord
sur la façon dont nous avons procédé pour recueillir leurs témoignages.
Nous avons rencontré la moitié de ces personnes à l’occasion d’entrevues individuelles et l’autre
moitié, à l’occasion d’entrevues de groupe. Les entrevues individuelles ont été d’une durée
moyenne d’une heure, sans enregistrement des conversations et sans la présence
d’intervenants. Les entrevues de groupe duraient environ 2 heures à 2 heures 30,
habituellement autour d’une table de cuisine dans un lieu d’hébergement, la plupart du temps en
présence d’un ou de deux intervenants, sans enregistrement des conversations. Bien entendu,
les entrevues de groupe ont permis à quelques personnes de demeurer silencieuses, cependant
celles-ci nous ont affirmé avoir quand même profité de la rencontre.
Que ce soit avec les individus ou avec les groupes, le plan d’entrevue suivant a servi de base à
la discussion :
présentation du projet de recherche et des chercheurs;
présentation des participants;
présentation de la définition de l’itinérance et discussion autour d’une question simple :
« Cette définition colle-t-elle à votre réalité? »;
exercice individuel (la ligne de temps) où, sur une grille fournie, les personnes devaient
tracer les grandes étapes de leur vie, y placer les événements qu’elles jugent importants,
autant positifs que négatifs;
discussion sur leurs liens avec la région des Laurentides;
discussion sur l’utilisation des services et des ressources dans la région;
discussion sur l’existence, malgré leur situation actuelle, de projets ou de rêves et
d’attentes particulières.
Lors des entrevues de groupe, certaines personnes n’ont pas voulu faire l’exercice sur l’exercice
individuel (la ligne de temps) : certaines à cause de la présence d’un intervenant, d’autres parce
qu’elles ne voulaient pas dévoiler en public des souffrances ou des gestes passés, d’autres
enfin, par timidité.
À deux ou trois occasions seulement, nous avons eu à prendre la plume pour rédiger à la place
d’une personne qui ne se sentait pas suffisamment à l’aise avec l’écriture ou la langue française.
Ces entrevues nous ont permis de répondre à quelques questions et à défaire un certain nombre
de mythes. Le premier mythe défait concerne le caractère « étranger » des personnes
itinérantes ou sans domicile fixe sur le territoire, comme si elles avaient « abouti » dans la région
par hasard! Il n’en est rien. Nous avons rencontré des personnes nées ici, s’étant installées dans
la région à un moment donné, étant venues trouver du travail dans la région, revenant chez leurs
parents, sortant d’une institution de la région (centre de détention ou centre de thérapie ou
centre jeunesse), étant venues vivre chez un ou une ami(e), revenant dans la région parce
qu’elles l’avaient fréquentée dans leur jeunesse.
Sans vouloir faire une évaluation des ressources qu’elles ont fréquentées, certaines personnes
nous ont fait des commentaires touchant aussi leur vision des services reçus et leurs besoins. Il
est intéressant de mettre ces résultats en parallèle avec les besoins exprimés par les
68

intervenants à la section précédente; si certains commentaires sont similaires, d’autres viennent,
en quelque sorte, enrichir la réflexion sur l’intervention mise en place et à mettre en place :
Certaines personnes trouvent plus simple de vivre leur itinérance, leur thérapie, dans un
milieu éloigné de leur communauté d’appartenance; des difficultés d’image de soi, mais
aussi de dossiers criminels, de relations peu saines dans le milieu d’origine, de souffrances
trop vives, de dettes ou de responsabilités à fuir, de conjoints à oublier… Beaucoup
sentent la nécessité de « s’expatrier ». La région des Laurentides est grande, diversifiée et
permet cette « itinérance ».
Tout comme l’ont mentionné plusieurs intervenants, les avis sont partagés en ce qui
concerne le genre de services que peuvent leur rendre les ressources d’aide. Certaines
personnes itinérantes et sans domicile fixe semblent souhaiter des règles strictes, même
« militaires », parfois un « coup de pied au cul » ou devenir capable de se donner soimême
le « coup de pied au cul ». D’autres personnes, épuisées de la lutte constante et
vivant beaucoup de « rejet », souhaitent la paix, le repos, l’accueil chaleureux. D’autres
encore veulent un peu des deux. Les ressources d’aide sont donc souvent évaluées en ces
termes.
Plusieurs des personnes rencontrées avaient fréquenté les ressources d’aide à Montréal
ou carrément fréquenté la rue à Montréal. Le tableau 11 résume un peu les commentaires
recueillis quant aux différences entre l’itinérance et les ressources à Montréal et dans la
région des Laurentides (les avantages et les désavantages).
69

TABLEAU 11
LA RUE À MONTRÉAL OU DANS LES LAURENTIDES
MONTRÉAL
Milieu plus violent que dans la région des
Laurentides (vol, prostitution…). On note
beaucoup d’influences « mauvaises » (pimps,
pushers, crime organisé). On décrit le milieu
montréalais par les expressions « jungle » ou
« enfer ».
Il y a plus d’argent à Montréal pour ceux qui
vivent de la quête.
Les ressources ont un visage anonyme (peut
parfois être un avantage).
Il y a beaucoup de monde à la rue; ce milieu
devient rapidement stressant.
S’il y a beaucoup de ressources à Montréal,
donc plus de facilité à trouver de l’aide, la
gestion du nombre est plus complexe. On y est
un numéro, on est traité comme des enfants.
RÉGION DES LAURENTIDES
Il faut marcher « plus droit » en région car les
ressources sont moins nombreuses. On ne
peut risquer de se faire mettre à la porte.
En région, il semble plus facile d’arriver à
diminuer ou à arrêter sa consommation
(drogue ou alcool).
Les ressources ont un visage beaucoup plus
humain en région : lien de confiance, suivi.
L’idée de réinsertion y a plus de sens.
Parfois il faut être capable de fuir son milieu
d’origine ou d’appartenance pour changer. La
région n’offre pas toujours cet anonymat.
Plusieurs trouvent cela « inconfortable ».
Une petite ville, moins stressée et stressante,
nous donne un « break ». C’est cependant
plus difficile de « bummer », la surveillance
policière est plus stricte.
Il semble plus complexe, en région, d’aller vers
des institutions de soins de santé (CLSC et
hôpitaux).
Comme tous les intervenants rencontrés, les personnes itinérantes nous ont confirmé la
très grande difficulté de trouver un logement à prix modique ou encore une chambre
convenable dans la région, aussi bien dans les villes plus importantes (St-Eustache, Ste-
Thérèse, St-Jérôme) que dans les plus petites municipalités (Ste-Agathe, St-Jovite, Val-
David…). À titre d’exemple, on ne trouve plus de 5 ½ en bas de 600 $ à 625 $ par mois à
Ste-Agathe et c’est pire à St-Jovite.
Toutes les personnes itinérantes nous ont signalé la grande difficulté qu’elles ont à se
procurer, sans argent, les papiers (ou « cartes ») nécessaires à la demande des chèques
de Sécurité du revenu (bien que certaines ressources peuvent dépanner quelquefois). Les
intervenants nous avaient aussi mentionné cet aspect qui limite ou ralentit la possibilité
d’agir efficacement dans des situations d’aide. Les personnes itinérantes mentionnent
également la difficulté à donner des références quand ils trouvent une chambre ou un
logement libre : « C’est mal parti, quand le seul numéro de téléphone que tu peux donner
pour te rejoindre, c’est celui de la maison d’hébergement ». Elles déplorent la grande
difficulté à pouvoir ouvrir un compte en banque pour y déposer leur chèque mensuel; elles
doivent faire affaire avec des « insta-chèque » qui prennent un pourcentage et leur
remettent un beau paquet de « billets » qu’elles ont de la difficulté à ne pas flamber en
deux jours.
70

Toutes les personnes rencontrées (sauf deux) nous disaient vouloir s’en sortir, attendre
encore quelque chose de la vie. Certaines avaient de grands projets. D’autres de plus
petits. Il convient de dire cependant que ces personnes ont été rencontrées dans des
ressources d’aide, même d’urgence, et qu’effectivement elles réclamaient donc de l’aide.
Cette vision est aussi celle qui nous avait été transmise par les intervenants rencontrés; ils
n’ont pas l’impression d’aller contre le gré des personnes itinérantes. Sauf exception, les
personnes à la rue demandent de l’aide.
Nous avons tenté, au tableau 12, de tracer un portrait des personnes rencontrées. Ce portrait
prend la forme de statistiques et comprend certaines informations lesquelles, nous le savons,
pourraient servir à juger ces personnes (concernant leurs dépendances, par exemple). Le
processus de désinsertion sociale est accompagné de nombreuses ruptures, d’une série
d’événements qui, accumulés, mènent à une désaffiliation complète. Ce tableau fournit certaines
informations permettant de saisir ce que sont ces ruptures, et donc de mieux comprendre le
processus. Ces informations nous ont été confiées par les personnes rencontrées et ont donc,
pour limites, ce qu’elles ont bien voulu nous raconter.
71

Témoignage
Pseudonyme : Serge
Âge : 25 ans
Lieu de naissance : Montréal
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, septembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
L’enfance de Serge est marquée par la violence
familiale, le divorce, la nouvelle conjointe de son
père, le centre pour femmes battues qui accueille
sa mère, la psychiatrisation de cette dernière…
Puis sa mère refait surface et il va vivre avec elle.
S’ensuit une adolescence sous le signe de l’alcool
et de la drogue.
À l’âge de 20 ans, il rencontre une jeune femme
déjà deux fois mère et il l’épouse. En 2001 naît un
garçon. Mais la « chicane » s’installe avec son lot :
dépression, pilules, drogues, psychiatrie, divorce...
Il tente de trouver à se loger, mais il est sans
argent. Il fait un séjour en psychiatrie, puis à sa
sortie vient à Lafontaine vivre chez un ami.
À bout de ressources, il demande de l’aide
d’urgence; il ne sait pas où il sera le mois prochain;
il espère revoir son fils.
72

Témoignage
Pseudonyme : Michelle
Âge : 37 ans
Lieu de naissance : Montréal
Rencontre : Maison d’hébergement transitoire
pour femmes à St-Jérôme,
septembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Michelle a perdu son père à l'âge de 14 ans et a
fui le foyer familial à 16. Elle quitte alors Montréal
et s’installe dans les Hautes-Laurentides. Elle y
rencontre un homme de la région avec qui elle
vivra 14 ans et aura quatre enfants. Puis elle se
sépare et tente de se suicider. Malade, elle doit
quitter son emploi et déménager à St-Jérome
pour se rapprocher du Centre hospitalier afin d’y
recevoir des traitements. En 1998, elle retrouve
la santé grâce à une greffe.
Michelle n'arrive pas à se dénicher un logement
abordable et suffisamment grand pour elle et ses
quatre enfants; c'est pourquoi elle se retrouve
dans une maison d’hébergement transitoire pour
femmes.
73

TABLEAU 12
CARACTÉRISTIQUES DES PERSONNES SANS DOMICILE FIXE RENCONTRÉES
CARACTÉRISTIQUES
PERSONNES DONT LE TÉMOIGNAGE A ÉTÉ RETENU
NOMBRE
FEMMES 5
HOMMES 32
19 À 29 ANS 14
30 À 39 ANS 7
40 À 49 ANS 9
50 ANS ET PLUS 7
PERSONNES RENCONTRÉES DANS LA RÉGION DES LAURENTIDES 32
PERSONNES RENCONTRÉES DANS LA RÉGION DE MONTRÉAL 5
LIENS FORTS AVEC LA RÉGION (FAMILLE, TRAVAIL, DOMICILE AVANT LEUR PÉRIODE SANS DOMICILE FIXE 26
LIENS FAIBLES AVEC LA RÉGION (NOUVELLEMENT ARRIVÉES, VENUES CHERCHER DE L'EMPLOI) 10
AUCUN LIEN ÉVIDENT AVEC LA RÉGION 1
EXTRÊME PAUVRETÉ 37
PERTES D'EMPLOI OU PROBLÈMES LIÉS À L'EMPLOI 13
VIOLENCE FAMILIALE OU CONJUGALE DANS LEUR JEUNESSE OU L'ÂGE ADULTE 11
MALADIES IMPORTANTES (VIH, HÉPATITE, ETC.) 4
HANDICAPS, PROBLÈMES DE SANTÉ MENTALE 8
SÉPARATIONS, RUPTURES CONJUGALES ET FAMILIALES, SOUVENT À RÉPÉTITION DANS LEUR VIE 26
ABUS SEXUELS (VIOLS…) 7
IMPORTANCE DES DEUILS (MORTS NATURELLES, ACCIDENTS, PROCHES OU FAMILLE) DANS LEUR VIE 15
SUICIDE (LEURS TENTATIVES OU LES SUICIDES DE PERSONNES PROCHES) 8
PLACE DE LA CRIMINALITÉ DANS LEUR VIE (JUDICIARISATION, CENTRE DE DÉTENTION) 16
ONT VÉCU DANS LA RUE OU SANS DOMICILE FIXE DEPUIS PLUS D'UN AN (OU À DE
NOMBREUSES OCCASIONS DURANT DES PÉRIODES PLUS OU MOINS LONGUES)
ITINÉRANCE JUGÉE TEMPORAIRE, ACCIDENTELLE, RÉCENTE 20
DÉMÉNAGEMENTS SUCCESSIFS 14
ONT CONSOMMÉ OU CONSOMMENT DES DROGUES (DOUCES OU DURES) 22
ONT CONSOMMÉ OU CONSOMMENT DE L'ALCOOL 11
PROBLÈMES DE JEU COMPULSIF 3
On aura remarqué à la lecture des divers témoignages qui parsèment notre rapport que ces
personnes ont comme principales caractéristiques communes, l’extrême pauvreté et l’absence
de logement; les autres caractéristiques sont partagées (dépendances, ruptures familiales et
institutionnelles, pertes d’emploi, deuils…), certaines plus largement. Dans la plupart des cas, on
se rend bien compte que l’itinérance est rarement fortuite; elle « arrive » à la fin d’un parcours,
qui souvent s’étire sur des années; elle porte avec elle et fait porter, à ceux et celles qui la
vivent, l’image de la « déchéance totale ». Il n’y a pas une ou deux ou quelques voies
particulières qui mènent à l’itinérance et qui, explorées, permettraient d‘en comprendre la
dynamique propre; chaque histoire est différente et marquée par sa propre logique; l’itinérance
est un aboutissement. Perte des liens sociaux, perte du pouvoir économique, perte de l’image
de soi; au niveau de cet aboutissement, on peut parler de certaines ressemblances entre les
personnes et leurs conditions.
37
17
74

Témoignage
Pseudonyme : Benoît
Âge : 27 ans
Lieu de naissance : Irlande
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, septembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Les parents de Benoît se séparent alors qu’il n’a
que dix ans. Sa mère en a la garde; elle quitte
l'Irlande et s'installe au Québec, dans la région de
St-Jérôme. Il ne complète pas ses études
primaires et fuit le domicile familial à l'âge de 15
ans. Benoît commence alors à consommer alcool
et drogues, à fréquenter des criminels et passe six
ans dans un pénitencier fédéral.
Il a eu femme et enfants mais demeure très discret
à ce sujet, sinon qu’il souligne une multitude de
décès dans son entourage (grands-parents, sa
conjointe, ses enfants...).
Benoît a vécu durant plusieurs années en Alberta
où il a acquis des cartes de compétences en
construction, lesquelles ne sont pas reconnues au
Québec. Il est maintenant de retour dans les
Laurentides où sa mère a eu une maison jadis.
Au moment de notre rencontre, Benoît venait de
compléter une thérapie et se disait abstinent
depuis, confiant de retrouver son autonomie et en
processus de réconciliation avec les siens.
75

Témoignage
Pseudonyme : Mario
Âge : 55 ans
Lieu de naissance : Montréal
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, septembre 2002
Le texte suivant a été rédigé par Mario :
« Dès l'âge de 5 ans, je me souviens d'avoir été
pourri gâté par mes parents (ex. recevoir des
cadeaux comme une télévision pour Noël, du linge
cher, des équipements de sport de meilleure
qualité). Je n'ai jamais manqué de rien au niveau
matériel. Sans être un reproche vers mes parents,
je ne crois pas qu'ils m'ont rendu service.
Lorsque j'ai rencontré ma femme, j'étais déjà un
parfait menteur, manipulateur dans toutes les
situations… Je sortais jouer aux cartes à l'argent en
racontant des mensonges à ma femme. Je lui
racontais tout lorsque je me retrouvais avec des
dettes de jeux.
À l'âge de 30 ans, j'avais déjà perdu beaucoup
d’argent… À coups de mensonges et de fausses
promesses, ma conjointe me croyait. Après avoir
pris une vacance de 8 ans sans jouer, j'ai
recommencé après quelques déceptions en
amour…
Puis, vers l'âge de 50 ans, j'ai recommencé à
manipuler les gens, ma conjointe, des amis, des
compagnies de finance, mon gérant de caisse
populaire, mon voisin qui était devenu un grand
ami. Tous les moyens étaient bons pour avoir de
l'argent pour jouer dans les machines vidéo-poker.
Rendue au bout du rouleau, ma conjointe m'a mis à
la porte et dans la rue. Je me suis retrouvé avec
rien, sauf mon auto. J'ai couché dans mon auto
quelques jours. J'en suis rendu au point où je me
déteste. J'ai perdu l'estime de moi-même, la
confiance de mon entourage.
J'ai été tellement égoïste que j'ai oublié que j'avais
deux enfants…
Je crois qu'elle (ma conjointe) m'a rendu service en
me mettant à la porte, afin que je puisse retrouver
mon estime de moi-même et faire le vide (aller
jusqu'au fond du baril) avant de remonter la côte. »
76

SECTION 5 : QUELQUES ÉLÉMENTS
SUPPLÉMENTAIRES DE RÉFLEXION
Le travail de recherche sur le terrain terminé et le travail de synthèse des données d’entrevues
amorcé, nous avons procédé à un certain nombre de lectures. Ces lectures n’avaient pas pour
but de nous fournir des cadres de présentation ou d’analyse de nos données. Les entrevues
nous fournissaient le matériel nécessaire et suffisant pour la réalisation de notre mandat.
Cependant, au cours des nombreuses entrevues, des questions, des expressions, des concepts,
utilisés par les intervenants, nous semblaient mériter attention et une certaine compréhension
pour la poursuite de la réflexion et de l’action dans la région.
Les quelques idées que nous présentons ici, celles de « processus », de « résilience », de
« besoins de base », d’« archétypes », entre autres, devraient permettre de pousser plus loin la
compréhension du phénomène et possiblement, d’envisager de nouvelles façons d’intervenir
face au phénomène de l’itinérance et des personnes sans domicile fixe.
5.1 Le processus
Les intervenants rencontrés ont souvent utilisé, dans leur description du phénomène, des
expressions telles que « continuum », « processus », famille, personne, population « à risque »,
« à très grand risque », donnant à penser, comme l’a aussi suggéré Shirley Roy (1995), que
l’itinérance ou la qualité de sans domicile fixe, était en quelque sorte l’aboutissement d’une série
d’évènements, de ruptures, de décrochage, la phase ultime d’un processus de détérioration.
Ces intervenants ont aussi mentionné qu’une meilleure connaissance du processus pourrait
peut-être ouvrir des portes pour intervenir ou mieux intervenir « en amont », c'est-à-dire avant
l’itinérance, autrement que dans l’urgence constante des demandes d’aide à ce dernier niveau.
Afin d’alimenter la réflexion sur le phénomène et sur des pistes possibles d’action, nous avons
joint ici un certain nombre de « modèles de processus » 15 que l’on retrouve actuellement dans la
littérature sur le sujet.
15 On pourra consulter une synthèse plus complète (dont la nôtre s’inspire largement) de ces divers
processus dans le mémoire de André Inkel, L’insertion sociale des personnes marginalisées et
proches de la grande pauvreté : analyse d’une intervention auprès des sans-abri dans l’Outaouais,
sous la direction de Jacques Boucher, Chaire de recherche en développement communautaire
(CRDC), Université du Québec en Outaouais, février 2001.
77

En fin de section, nous présenterons un tableau récapitulant les grandes caractéristiques de ces
modèles.
La question des processus
La notion de « processus » nous permet de considérer le problème de la pauvreté, de la
marginalité, de l’exclusion, de l’itinérance, comme une construction, non pas uniquement
individuelle, mais aussi sociale. Des auteurs comme Robert Castel, Vincent de Gaulejac, Isabel
Taboada Leonetti et Serge Paugam, ont étudié des questions relatives à la pauvreté et à la
marginalité en faisant constamment référence à la notion de processus. Ainsi, pour Robert
Castel (1991), la question de la marginalisation est abordée sous l'angle d'un processus de
désaffiliation. De leur côté, Vincent de Gaulejac et Isabel Taboada Leonetti (1994) analysent la
question de la pauvreté et de la marginalité sous l'angle du processus de désinsertion. Pour
Serge Paugam (1991), ce processus est considéré sous l'angle de la disqualification qu'il situe à
l'intérieur des rapports entre les institutions d'assistance sociale et les individus en position de
fragilité.
La désaffiliation
Robert Castel (1994) propose une hypothèse pour interpréter le mode d'existence de groupes
ou d'individus en dehors du circuit ordinaire des échanges sociaux. Il élabore un modèle
permettant de circonscrire les situations marginales qui, selon lui, surviennent « à
l'aboutissement d'un double processus de décrochage : par rapport au travail et par rapport à
l'insertion relationnelle » (Castel, 1994:13). En ce sens, tout individu peut être situé à l'aide de
ces deux axes comme le montre le tableau 13.
INTÉGRATION PAR LE TRAVAIL
Travail stable
Travail précaire
Non-travail
TABLEAU 13
AXES D’INTÉGRATION SELON CASTEL (1994)
INSERTION RELATIONELLE
Insertion relationnelle forte
Fragilité relationnelle
Isolement social
ZONES
Intégration
Vulnérabilité
Désaffiliation
Robert Castel (1995a) suggère la notion de « désaffiliation » pour marquer ce double processus
de l'affaiblissement des liens sociaux. Il critique ainsi l'utilisation souvent imprudente de la notion
d'exclusion qui, selon lui, supposerait un hors-société, ce qui n'est pas possible : « l'exclusion
n'est pas une absence de rapport social mais un ensemble de rapports sociaux particuliers à la
société prise comme un tout » (Castel, 1995a : 442). Castel analyse ce processus en partant de
la société salariale qui a de plus en plus de difficulté à réguler la question sociale. Il semble
même indiquer que nous allons vers une société postsalariale. Il insiste sur la corrélation entre la
78

crise du salariat et l'augmentation des problèmes reliés au chômage de longue durée et à ses
impacts sur les réseaux de solidarité. Simultanément, il problématise le processus qui fait
« basculer » des individus qui étaient dans une zone d'intégration, vers une zone de vulnérabilité
et ensuite de marginalité.
La désinsertion
De leur côté, Vincent de Gaulejac et Isabel Taboada Leonetti (1994) inscrivent leur démarche
dans le sens de la crise culturelle et des référents symboliques. L'éclatement des familles et la
tendance à leur recomposition, par exemple, induisent des valeurs autres, comparativement à
celles de la société dite « industrielle » largement basée sur une idéologie « productiviste ». La
question des valeurs n'est pas réduite seulement à celles rattachées à la famille mais aussi à
celles rattachées au monde du travail salarié et à la consommation. C'est en ce sens que ces
auteurs analysent la désinsertion comme un enchaînement de ruptures, plus particulièrement
sur le plan du lien symbolique.
La désinsertion est un processus perceptible dans la rupture du lien économique et du lien social
qui aboutit finalement à la déchéance. La désinsertion se rapporte ainsi à ces trois grandes
dimensions. Elle est économique quand une personne n'arrive plus à participer à la vie sociale
par l'axe intégrateur de la production et de la consommation. La désinsertion est sociale quand
s'estompe de plus en plus l'inscription d'un individu dans les réseaux de sociabilité primaire. Elle
est symbolique lorsque l'individu n'entre plus dans les normes et les représentations collectives
de la citoyenneté active.
Le processus de désinsertion est marqué par la stigmatisation sociale qui impose aux individus
« une image d'eux-mêmes qu'ils ne peuvent éluder : celle d'un citoyen sans utilité sociale, voire
nuisible, repoussant, privé de dignité, de raison d'être, et de valeur » (Gaulejac et Taboada
Leonetti, 1994:77). Ce qu'il faut retenir de cette modélisation du processus de désinsertion est
l'insistance sur « le système de valeurs d'une société qui définit, par défaut, les hors-normes
comme étant sans valeur et sans utilité sociale » (Gaulejac et Taboada Leonetti, 1994:22).
La disqualification
De son côté, Serge Paugam nous renvoie à une dimension macrosociologique qui fait référence,
entre autres, aux représentations collectives et sociétales des catégories comme « pauvres » ou
« exclus » (Paugam, 1996). L'autre dimension qu'il fait valoir est d'ordre microsociologique. Elle
renvoie à la fois au sens que donnent ces populations à leurs expériences vécues, aux
comportements qu'elles adoptent à l'égard de ceux qui les étiquettent dans leur condition et aux
différentes situations auxquelles elles sont confrontées. Serge Paugam combine ainsi la
question de la pauvreté et de la marginalité à celle du lien social. Il modélise ce processus à
partir des rapports que des individus fragilisés entretiennent avec les ressources institutionnelles
d'assistance. Il montre comment des individus en viennent à intérioriser le statut de marginaux à
partir de leurs expériences avec les institutions.
Il dégage trois types de rapports selon autant de catégories d'individus qui se positionnent vis-àvis
des services sociaux. Les « fragiles » regroupent ceux qui vivent dans des situations
précaires et qui retardent, tant qu'ils le peuvent, leur recours à ces services. Ils entretiennent
ainsi un rapport de résistance. Le deuxième groupe, celui des « assistés », se caractérise par la
79

dépendance par rapport à ces institutions; au début, les demandes sont différées et à mesure
que progresse ce statut d'assistés, les individus en viennent à s'installer puis à revendiquer ce
statut. Il en résulte un rapport de dépendance. Ainsi, rendus à ce stade, les assistés tendent à
se conformer, dans une certaine mesure, avec cette identité. Les « marginaux » correspondent à
ceux qui refusent d'être étiquetés d'« assistés » au risque de sombrer dans la déchéance. Dans
ce cas, il s'agit d'un rapport de retrait par lequel ces individus organisent leur vie à l'écart de la
société. La « disqualification » est donc « le discrédit de ceux dont on peut dire, en première
approximation, qu'ils ne participent pas pleinement à la vie économique et sociale ».
Ces modélisations du processus de la pauvreté et de la marginalisation, considérées sous
l'angle de la désaffiliation, de la désinsertion ou de la disqualification, nous renvoient à la
décomposition des liens d'un individu avec l'ensemble de la société. Ces auteurs insistent pour
dire que ce processus est un continuum dont l'insertion serait à un pôle et l'exclusion à l'autre
pôle. En ce sens, l'utilisation de la notion d'exclusion, tout comme celle de l'itinérance, devrait
être réservée pour désigner la limite extrême de ce processus.
L'exclusion marquerait le point de chute de ceux qui cumulent handicaps sociaux et
individuels, réunissant ainsi les conditions objectives et subjectives de ceux chez qui
les mécanismes de rattrapage ne fonctionnent plus, de ceux qui sont en position de ne
plus agir ou réagir faute de pouvoir reprendre le contrôle de leur vie, suite à des
échecs répétés (Roy, 1995 : 76).
Les contours indéfinis de l'itinérance
D'un point de vue théorique, le phénomène de l'itinérance se laisse donc difficilement saisir à
travers des désignations parce qu'il n'est pas un problème spécifique ou une caractéristique,
mais bien une condition de vie des personnes. L'itinérance se rapporte autant à l'incapacité de
se loger d'une manière satisfaisante qu'à la grande fragilité des réseaux de soutien relationnel.
Même si ce phénomène semble le produit de l'inadéquation des structures et des institutions
sociales qui, par leur rigidité, leur immuabilité et leurs insuffisances sont responsables de la
marginalisation d'un bon nombre d'individus (Roy, 1988), il ne peut être abordé comme une
réalité linéaire, monolithique et ayant seulement une logique interne. Bien au contraire, toutes
les études portant sur l'itinérance insistent autant sur l'hétérogénéité des situations des individus
que sur les facteurs explicatifs. Cela suppose un agrégat de logiques individuelles et collectives
dont nous ne pouvons suivre tous les filons simultanément.
De plus, nous devons souligner qu'il n'existe pas de définition fine de l'itinérance. Il existe bien
cependant un foisonnement de désignations qui renvoient à autant de situations qui aboutissent,
en bout de piste, à des conditions de vie extrêmement précaires. Contrairement à beaucoup
d'autres problèmes sociaux faisant l'objet d'une intervention, il n'existe à l'égard de l'itinérance
aucune catégorie administrative particulière, ni forme spécifique d'intervention, ni approche
standardisée. De plus, les différentes appellations pour désigner ce phénomène sont en réalité
autant de points de vue à partir de l'une ou l'autre de ces dimensions en privilégiant ainsi un
mode d'explication. Diverses théories étiologiques ont proposé des explications alternant entre
des causes d'ordre structurel et des facteurs individuels, mais se sont avérées insuffisantes.
80

Le phénomène de l'itinérance est une réalité difficile à appréhender parce qu'il résulte de la
combinaison de plusieurs facteurs que nous ne pouvons isoler les uns des autres. L'itinérance
n'est pas uniquement un problème de pauvreté, ni seulement un problème de santé mentale, ni
exclusivement la conséquence d'un isolement relationnel. Elle n'est pas non plus uniquement un
phénomène rattaché à des facteurs structurels. L'itinérance est le résultat de la conjugaison de
plusieurs facteurs, ce qui en fait une réalité complexe. Si nous considérons ce phénomène sous
l'angle par lequel il se laisse percevoir, c'est-à-dire lorsque nous voyons des individus passer
d'une ressource à l'autre, d'un centre d'hébergement à l'autre ou mendier au coin de la rue,
l'itinérance suggère l'idée de situation limite, de répétitivité et, en bout de ligne, de point de nonretour.
Des interventions sur des dimensions diversifiées
La recomposition du lien social n'est possible que si nous tenons compte d'approches favorisant
la réparation des échecs scolaires, du rejet familial, de la délinquance, de la drogue, de
l'alcoolisme, des préjugés stigmatisants, etc., ce qui nécessite des accompagnements longs de
ces populations.
L'intervention doit respecter le rythme d'acquisition de nouvelles compétences et les limites des
individus. Autrement dit, une intervention visant l'insertion sociale peut s'adapter à la position
que ces individus tiennent dans ce processus. À chacune de ces positions correspond une
catégorie d'individus et un type d'intervention. Ainsi, pour aider des individus à reconstruire des
liens sociaux et s'approprier un rôle dans la société, l'intervention doit jouer sur trois dimensions:
économique, sociale et symbolique.
Sur le plan économique, l'intervention devrait favoriser l'accès à un revenu convenable et
permettre à l'individu de faire les apprentissages appropriés pour s'administrer et répondre luimême
à ses besoins primaires. Sur le plan social, l'intervention devrait instaurer un rapport,
réduisant le sentiment d'inégalité entre l'intervenant et l'individu et favoriser l’accès aux services
dans la communauté. En outre, elle devrait l’habiliter à utiliser ces services. Sur le plan
symbolique, l'intervention doit tenir compte des valeurs de l'individu qui sont en lien avec celles
de la société. Selon la détérioration des liens qui relient l'individu à la société, l'intervention doit
également reconnaître l'écart entre les valeurs de l'individu et celles de la société. Il en est de
même de la capacité de l'individu à participer à l'élaboration des règles qui régissent un groupe.
Il peut s'agir, selon les phases de désaffiliation, de reconnaître les lieux d'appartenance qui
structurent l'identité d'un individu, que ces lieux soient normatifs ou non.
Il faut mentionner que nous ne pouvons pas travailler sur ces dimensions de façon successive,
mais concomitante et cumulative. Ainsi, tout en intégrant dans l'intervention l'accès à un revenu,
celle-ci doit faciliter simultanément l'acquisition de nouvelles compétences relationnelles et aider
l'individu à s'intégrer aux normes de la société. Le tableau 14 schématise les liens sociaux en les
plaçant en rapport avec des objectifs possibles d'intervention. Ce tableau peut nous aider à
comprendre le rapport entre les phases de désaffiliation et la recomposition des liens sociaux.
Cette recomposition, si elle tient compte des phases du processus de désaffiliation, doit
nécessairement être progressive.
81

ÉCONOMIQUE
TABLEAU 14
RAPPORT ENTRE LES LIENS SOCIAUX ET L’INTERVENTION
DIMENSIONS VISÉES DE L’INTERVENTION
Lien relatif à la sphère de la production et de la
compréhension.
SOCIALE
Lien relatif à la cohésion des individus en société,
au sentiment d'appartenance à un groupe
significatif.
Lien relatif à la sphère des services
communautaires ou publics et l'accès à leur
utilisation.
SYMBOLIQUE
Lien relatif au partage des valeurs communes.
Lien relatif aux normes et représentations définies
par un groupe dominant (lien politique).
Lien qui structure les identités sociales par
l'appartenance.
Lien qui se traduit par la reconnaissance sociale
de l'individu.
Ouvrir sur des possibilités de participer au monde
du travail salarié ou au bénévolat.
Favoriser l'accès à des revenus, à un logement, etc.
Faciliter l'accès à la Sécurité du revenu.
Apprendre à l'individu à développer et maintenir sa
capacité à gérer ses revenus.
Instaurer un rapport réduisant le sentiment
d'inégalité sociale entre l'intervenant et l'individu.
Aider l'individu à identifier des groupes
d'appartenance significatifs à ses yeux.
Restaurer avec l'individu son pouvoir d'accéder à
des services.
Favoriser l'accès aux services.
Développer ses capacités à utiliser les services.
Identifier et reconnaître les valeurs de l'individu en
lien avec celles de la société.
Permettre à un individu de participer à l'élaboration
des règles qui régissent un groupe.
Reconnaître les lieux d'appartenance d'un individu
(que ces lieux soient normatifs ou non).
Soutenir de manière progressive l'intégration aux
normes qui régissent la vie en société.
Développer chez l'individu le sentiment qu'il
appartient à un tout, qu'il a un rôle à jouer.
Source: André Inkel (op. cit.) Ce tableau s'inspire de Vincent de Gaulejac et Isabel Taboada Leonetti (1994)
La possibilité de parler de phases
Les rencontres avec les personnes itinérantes, les intervenants et les modèles présentés cidessus,
nous permettent d’envisager un certain nombre de phases dans le processus de
désinsertion, de marginalisation, de désaffiliation, peu importe le nom qu’on choisisse de lui
donner : une phase d’amorce, une phase d’enlisement, une phase de fixation et des phases de
sortie. Le tableau 15 « processus de désinsertion » nous permet de tenir compte de la diversité
des parcours individuels.
82

Du côté du pôle de l'intégration, nous retrouvons des sujets qui étaient insérés socialement,
avaient un emploi, un réseau significatif de liens sociaux et un dispositif de soutien relationnel.
Un élément déclencheur survient et provoque un glissement vers un processus de
marginalisation. Mais tous ne partent pas du même point : nous avons retrouvé des personnes,
souvent jeunes, qui sont passées d'un centre d'accueil à l'autre, sont sorties sans support d’un
centre jeunesse, ont décroché du système scolaire très tôt, n'ont jamais connu le marché du
travail, etc., et qui se considèrent comme des êtres à part ou marginaux; leur départ est déjà
ancré dans la vulnérabilité. Mais tous ces acteurs en situation vont développer diverses
stratégies afin de s'en sortir ou de légitimer leur position.
Si la diversité des stratégies de survie des individus en dit long sur les phases de désaffiliation,
elle peut aussi nous aider à articuler une typologie des personnes en position de marginalité et
de grande pauvreté. Cette manière d'appréhender les parcours individuels à partir d'une
typologie de type qualitatif contribue à rendre compte de l'hétérogénéité des situations. Elle
permet de mieux comprendre les difficultés rencontrées par ces personnes à chacune de ces
phases, leurs modes variés d'adaptation à des situations contraignantes autant dans la rue que
vis-à-vis des institutions publiques.
Nous tentons, dans le tableau qui suit, de présenter ces phases et leurs principales
caractéristiques; peut-être pourrions-nous aller jusqu’à qualifier de « à risque » et de « à très
grand risque », les parcours individuels et familiaux qui se situent respectivement dans les
phases « amorce » et « enlisement ». Le tableau veut tenir compte à la fois des différents
problèmes qui s'entrecroisent souvent chez ces personnes, de la particularité de leur parcours et
de leur degré de motivation. Il va sans dire que cette typologie n'est pas étanche. En effet,
différents problèmes s'entrecroisent souvent chez un même sujet et peuvent constituer des
phases intermédiaires. Cette typologie nous a permis de préciser des indicateurs d'analyse de
l'intervention qui correspondent à chaque type de parcours.
Nous pouvons donc déjà percevoir que les phases descendantes de désaffiliation ne sont pas
linéaires. Elles font davantage appel à la circularité, c'est-à-dire à une dimension interactive
entre ces phases et l'intervention (les images de l’entonnoir, de la boucle sans fin, du cercle
vicieux sont parfois aussi utilisées). Si cette typologie peut nous aider à mieux catégoriser les
individus en position de marginalité et de grande pauvreté, nous voyons que ces personnes
possèdent également un statut d'acteur social. Et le facteur temps joue un rôle non négligeable
mais peu étudié jusqu’ici; les intervenants, les personnes itinérantes, la littérature consultée,
nous donnent à penser qu’il s’écoule plusieurs années entre l’amorce du processus et sa fixation
dans l’exclusion; plus ou moins cinq ans selon les situations et les auteurs.
Le tableau suivant ouvre-t-il la porte à une possibilité d’intervention en terme de prévention
(donc au niveau de l’amorce ou de l’enlisement)? Certains facteurs nous donnent à penser que
oui : le facteur temps, la possibilité d’identifier les situations à risque, le fait que souvent ces
personnes ou familles vont effectivement, à un moment donné, demander de l’aide (certaines
ressources y travaillent déjà, les centres locaux d’emploi, Solidarité Sociale…). D’autres facteurs
nous laissent plus pessimistes : la désorganisation des personnes ou des familles, une certaine
« culture » de la pauvreté et de l’exclusion, la présence de fortes dépendances et la question
éthique de l’intervention « contre son gré » dans des situations identifiées à risque.
83

Cependant, nous croyons, à la lumière de ce tableau, que la possibilité est suffisamment viable
pour tenter quelque chose, ne serait-ce qu`à titre expérimental ou pilote.
Par ailleurs, les remarques ou les questions précédentes ne valent pas pour les jeunes
impliqués dans le processus de désinsertion. Que des jeunes, à 8 ans, à 12 ans, à 16 ans ou à
18 ans, se voient contraints d’entrer dans l’âge adulte, déjà fortement handicapés (dans leurs
liens familiaux, au travail, avec les institutions…) n’est pas, d’aucune façon, acceptable. Ici, avec
les jeunes, la situation « commande » une action, la situation « exige » que l’on mette tout en
œuvre pour y remédier. À commencer par réfléchir sur la façon dont nous avons fait les choses,
sur la façon dont nous avons prévu et soutenu leur passage à l’âge adulte.
84

Tableau Le processus 15 de : Le désinsertion processus de désinsertion
Paul Carle, 2003
(1)
+
ou
-
ressources impliquées :
Insertion
(Idéal type)
Accès à un emploi stable.
Adapté à un
environnement, un
milieu, des normes.
Autonome, indépendant,
a maîtrise sur sa vie,
responsable citoyen
Amorce de désinsertion
(2)
A B C D E
-souvent un élément déclencheur
-deviennent vulnérables, glissement
-cherchent à s’organiser, font
demande d’aide sociale
-souvent perte emploi, perte de
logement
-une mauvaise passe, une situation
temporaire
-la première rupture n’est en soi
jamais définitive
-difficultés à subvenir aux besoins
primaires. Demandent de l’aide
souvent dépannage.
-tentent de reprendre contrôle,
oscillent. Non réfractaires aux
démarches d’intervention. Frustrés.
-premiers «retraits» sociaux
(2)
A B C D E F G H
Enlisement
-phase pessimiste
-une nouvelle identité se structure
-de plus en plus de fermeture,
peuvent devenir réfractaires aux
démarches d’aide
-l’instabilité résidentielle devient
importante
-les difficultés de santé mentale, de
dépendances, de criminalité
deviennent de plus en plus sources
de désorganisation
-plus le temps s’allonge, plus les
mécanismes de rattrapage perdent
leur efficacité
-on retrouve souvent ici des gens
sortis de prison, de centre jeunesse
A B C D E F G H
Fixation, cristallisation
Exclusion
(mendiants, itinérants…)
-souvent troubles sévères de
comportement et souvent hostiles
aux intervenants
-se résignent, ont perdu l’envie de
lutter, ont développé un discours
justificatif
-stigmatisation économique,
sociale, symbolique
-désaffiliés
-désinsérés
-discrédités
-image de citoyen sans utilité
sociale, nuisible, repoussant, sans
dignité, sans valeur
(3)
A B C D E G H
Amorce d’insertion
-parfois par le bénévolat ou la
reprise du travail
-lieu souvent de rechutes
fréquentes
-amorcent thérapies
-collaborent avec les intervenants,
demandent services
-s’impliquent dans les démarches
-poursuivent des objectifs précis et
évaluables
Réinsertion
A B C D H
-en arrivent à avoir de
nouveau :
accès à un emploi stable.
Adapté à un environnement, un
milieu, des normes.
-redeviennent :
autonome, indépendant, a
maîtrise sur sa vie, responsable
citoyen
(1) (1) Les personnes Les personnes ne partent ne partent pas toutes pas du toutes même du point. même Certaines point. Certaines sont, dès leurs sont, plus dès jeunes leur plus âge, jeune en état âge, de en vulnérabilité état de vulnérabilité (jeunes en famille (jeunes d’accueil, en famille milieu d’accueil, familial milieu insatisfaisant, familial insatisfaisant, problèmes de problèmes santé mentale….) de santé mentale…)
(2) (2) Certaines Certaines voies voies d’intervention d’intervention permettraient permettraient de ne pas de ne «attendre» pas «attendre» (le facteur (le temps facteur étant temps important) étant important) que la situation que la deviennent situation devienne inexorable inexorable ou devant ou être devant traitée être uniquement traitée uniquement dans l’urgence dans ou l’urgence le dépannage ou le dépannage.
(3) (3) Certaines Certaines personnes personnes (pas la (pas majorité) la majorité) ne sortiront ne sortiront jamais de jamais cette de situation cette situation.
Types de de ressources : aide : aide sociale sociale et économique et économique (A), support (A); support psychosocial psychosocial (B), emploi (B); emploi et employabilité et employabilité (C), aide (C); au aide logement au logement (D), aide (D); alimentaire aide alimentaire et vestimentaire et vestimentaire (E), hébergement (E); hébergement d’urgence(F), d’urgence hébergement (F); hébergement longue durée longue (G), thérapies durée (G);
diverses thérapies (H) diverses (H).

Témoignage
Pseudonyme : Yann
Âge : 26 ans
Lieu de naissance : Québec
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, septembre 2002
Fragments de vie
Après la séparation de ses parents, Yann quitte
l'école et commence à consommer alcool et
drogues. Il se retrouve assez rapidement en centre
d'accueil, puis en famille d'accueil jusqu’à ce qu’on
l’autorise à retourner vivre avec sa mère. Yann dit
avoir entrepris sa carrière criminelle dès l'âge de 14
ans. À 19 ans, il fait un premier séjour de deux ans
en prison. À sa sortie, il retourne vivre chez sa mère
puis avec une copine qui a déjà deux enfants. Il
devient père à 23 ans, ce qui ne l’empêche pas de
quitter conjointe et fils un an plus tard. Thérapie et
nouvelle blonde servent de point final à ce chapitre.
Puis c’est la plongée dans le crack, une drogue aux
effets rapides mais courts : on ne saurait s’y
complaire sans que n’apparaissent la criminalité et
son complément, la prison.
Yann s'est présenté à l'accueil d'un CLSC des
Laurentides où des intervenants l'ont référé à une
ressource d'hébergement temporaire.

5.2 Boris Cyrulnik et la notion de résilience 16
Dans la plupart des entrevues réalisées auprès des intervenants, les questions sur les conditions
familiales, les « profils » à risque, le soutien familial et social et le rôle de la débrouillardise, ont
été abordées à plusieurs reprises, notamment en ce qui concerne les jeunes.
Afin de favoriser et de poursuivre la réflexion sur le phénomène de l’itinérance, nous vous
présentons la notion de la résilience; le neuropsychiatre français Boris Cyrulnik en a été le
principal diffuseur au Québec. Cette notion présente, à notre avis, un lien intéressant avec les
propos recueillis sur le terrain et les questions et les intuitions de plusieurs intervenants. Même si
le concept de résilience n’est pas défini dans les termes exacts des discours sur l’itinérance, il
rejoint toute la partie de la question entourant les ruptures, l’exclusion, les traumatismes, la
détresse…; il questionne de façon intéressante le lien entre le stress vécu par un individu et sa
capacité à faire face à ses difficultés. Si cette notion nous semble présenter un intérêt, c'est
qu’elle ouvre principalement sur des pistes possibles de réflexion et d’action. Comment aider ces
« poqués » ou « multipoqués » à se reconstruire une vie qui fera encore quelque sens, qui pourra
encore leur apporter quelque chose? Comment aider ceux et celles qui sont bien impliqués dans
un processus lent de désinsertion et d’exclusion à trouver un chemin qui deviendra le leur et dont
ils seront satisfaits?
La résilience, c'est l'aptitude des individus et des systèmes (les familles, les groupes et les
collectivités) à vaincre l'adversité ou une situation de risque. Cette aptitude évolue avec le temps;
elle est renforcée par les facteurs de protection chez l'individu ou dans le système et le milieu; elle
contribue au maintien d'une bonne santé ou à l'amélioration de celle-ci. 17
La résilience a ses origines dans la théorie du développement psychologique et humain. Ce mot
décrit en général la capacité de l'individu à faire face à une difficulté ou à un stress important, de
façon non seulement efficace, mais susceptible d'engendrer une meilleure capacité de réagir plus
tard à une difficulté. Diverses études ont examiné la résilience au sein de groupes exposés à la
guerre, à la pauvreté et à la maladie chronique. Ces études ainsi que d'autres recherches ont
permis de cerner les caractéristiques des personnes dites « résilientes ». Selon certains, la
résilience se compose d'un équilibre entre, d’une part, le stress et les difficultés et, d'autre part, la
capacité de faire face à la situation et la disponibilité d'un soutien. Lorsque les sources de stress
excèdent les facteurs de protection de l’individu, même les personnes qui ont fait preuve de
résilience antérieurement peuvent être dépassées (Mangham et coll., 1995). 18
16 On pourra consulter aussi le volume de Boris Cyrulnik disponible au Québec Un merveilleux malheur.
Paru aux éditions Odile Jacob, février 2002.
17 Résilience, Pertinence dans le contexte de la promotion de la santé, Document de travail - Analyse
détaillée présentée en 1995 à Santé Canada par Colin Mangham, Ph.D., Patrick McGrath, Ph.D.,
Graham Reid, Ph.D., Miriam Stewart, Ph.D., Atlantic Health Promotion Research Centre, Université
Dalhousie.
18 Op. Cit; voir aussi :
http://www.hc -sc.gc.ca/hppb/sante-mentale/pubs/risque/chap1-2_f.htm
87

LES FACTEURS DE PROTECTION DE L’INDIVIDU
Mangham et ses collaborateurs ont découvert, à la suite d'une revue exhaustive de la littérature,
que trois grandes catégories de facteurs de protection contribuent à la résilience des individus :
les facteurs individuels, les facteurs familiaux et les facteurs de soutien.
LES FACTEURS INDIVIDUELS
? ? sentiment de compétence personnelle;
? ? capacité à planifier;
? ? compétences cognitives;
? ? sentiment de signification;
? ? capacité de résoudre des problèmes;
? ? optimisme;
? ? locus de contrôle interne;
? ? capacité de faire face au stress;
? ? habileté à chercher un soutien.
LES FACTEURS FAMILIAUX
? ? rapports parents-enfants propices;
? ? chaleur et affection;
? ? soutien familial solide et cohésion familiale.
LES FACTEURS DE SOUTIEN
? ? la présence de personnes aidantes comme des enseignants;
? ? des membres de la famille étendue ou des personnes se situant à l'extérieur de la famille
immédiate;
? ? des milieux de soutien qui favorisent l'autonomie, la responsabilité et le contrôle.
« Il y a un certain nombre de facteurs personnels qui sont toujours décrits chez les
sujets résilients. Il y en a de nombreux : il y a l’intelligence. C’est plus facile quand on
est intelligent. C’est plus facile quand on réussit bien en classe. C’est plus facile aussi
quand on a un sentiment de solidarité vis-à-vis de la fratrie et vis-à-vis du groupe de
pairs.
Il est sûr que quelqu’un qui traverse des événements durs, quand il est dans un
groupe de pairs solidaires a plus de chance de s’en sortir. De la même façon,
l’aptitude à faire face aux problèmes rencontrés, et par le sujet, et par la famille, est un
élément aussi toujours décrit chez ces sujets.
Toujours dans les facteurs personnels, on insiste sur la capacité à trouver du soutien
dans le réseau social, à « savoir chercher de l’aide ». Il n’y a pas de résilience, s’il n’y
88

a pas de réseau social. Le réseau médical est important. Les réseaux associatif et
institutionnel sont importants, mais le réseau social est fondamental pour tous ces
sujets.
Et c’est Brassens qui rencontrant son instituteur, lui dit qu’il avait un potentiel créatif, a
quitté sa trajectoire de délinquant et est rentré dans la trajectoire que tout le monde
connaît. Enfin les capacités créatrices pouvaient être présentes avant le traumatisme
mais quasiment de façon générale. Elles prennent une ampleur beaucoup plus
importante après les situations difficiles. Souvent, ce que l’on rencontre chez des
sujets résilients, ce sont des identifications héroïques qui amènent des sujets à se
lancer dans des aventures dont ils doivent sortir victorieux. Ils se trouvent aussi dans
une situation où ils n’ont pas d’alternative. Ils doivent être les héros. Ils doivent sortir
victorieux. C’est un moyen de s’en sortir, mais s’ils n’en sortent pas victorieux, ils n’en
sortent pas du tout… 19 »
Ainsi la résilience décrit les phénomènes permettant de se construire une vie épanouie et réussie
en dépit d’un vécu d’adversité majeure.
La résilience met de l'avant les capacités adaptatives et évolutives des femmes et des hommes.
Les personnes résilientes font face aux traumatismes de leur vie en puisant dans leur propre
potentiel de créativité et d’adaptation. En dehors des circuits d’aide sociale, la plupart du temps,
ces personnes « tricotent » leur résilience avec patience et ténacité à la recherche de gestes de
solidarité. Ainsi, la résilience ne se construit pas seulement à l’intérieur de la personne, ni
exclusivement grâce à son entourage, mais par un entremaillage serré entre les deux. Les
facteurs de résilience naissent donc à la fois du ressort psychologique et social. Les mécanismes
psychologiques d’adaptation des résilients incluent tout à la fois l’humour, l’imagination, la
créativité, l’investissement affectif, l’idéalisme, l’engagement, l’altruisme,….
Lorsque des résilients rencontrent des professionnels de la santé, la tâche de ces derniers
s’inscrit dans le champ du sens, dans la capacité d’aider le résiliant -et particulièrement les
enfants- à mettre une signification parlante et libérante pour celui qui vient de traverser ces
épreuves. Ainsi le passage de la blessure à la résilience se façonne par les différents appuis que
cette personne recevra du tissu social et surtout par la possibilité qu’elle aura d’être comprise et
acceptée dans son histoire. 20
Pour Cyrulnik, et c’est probablement son plus beau message d’espoir, la résilience d’un individu,
même si elle a pu être réduite de façon importante par l’adversité et les traumatismes, demeure
toujours quelque chose qu’on peut aider à reconstruire.
19 http://www.resomed.net/intervention6.shtml; Intervention du Docteur Isabelle Ferrand,
psychiatre, Chef du Service de Psychiatrie, Hôpital Cochin.
20 Voir : http://www.hcuge.ch/dmc/125/resilience.html
89

Propos de Boris Cyrulnik, recueillis par Sophie Boukhari, journaliste au Courrier de l’UNESCO.
« Dans la plupart des cultures, on est coupable d’être une victime ». Face à la violence et à la
déliquescence de la famille, de plus en plus de jeunes sont traumatisés ou, dans le meilleur
des cas, très angoissés. Mais ils ne sont pas pour autant condamnés aux pires dérives.
Aidons-les à devenir résilients, plaide Boris Cyrulnik.
Vous avez évoqué les problèmes graves des adolescents d’aujourd’hui, qui « flottent » de plus
en plus. De fait, on n’a jamais aussi bien compris les enfants que maintenant et pourtant, il n’y
a jamais eu autant de névroses précoces, de suicides d’adolescents, de délinquance.
Tous les progrès se payent. Le prix de la liberté, c’est l’angoisse. Aujourd’hui, on aide les
enfants à développer leur personnalité, à prendre conscience d’un tas de choses. Ils sont plus
intelligents, plus vifs, mais plus angoissés. On s’en occupe très bien à la maternelle, et à
l’adolescence, on les abandonne. La société ne prend pas le relais des parents. Du coup, un
adolescent sur trois s’effondre, après le bac généralement. Pour éviter cela, il faudrait
davantage de structures sociales et culturelles qui leur permettraient de donner un sens à leur
vie, en encourageant la créativité, la parole, l’être ensemble, l’élan vers l’autre. Or, on ne le fait
pas.
Problème de l’adolescent: « qu’est ce que je vais faire de ce qu’on a fait de moi? ».
Pour répondre à cette question, il doit être entouré de structures affectives (des groupes
partageant la même activité, des copains) et pouvoir travailler. Mais la technologie a provoqué
une telle révolution qu’actuellement, l’école a le monopole du tri social. Si un gamin ou une
gamine s’y épanouit, il réussit des études et apprend un métier. Il fera partie des deux
adolescents sur trois qui profitent de l’amélioration des structures de la petite enfance. Mais un
enfant sur trois ne se plaît pas à l’école, s’y sent humilié et n’a pas la possibilité de s’épanouir
ailleurs. Il se retrouve largué dans les quartiers, sans travail, et souvent sans famille...
Comment fait-il pour retrouver son estime de soi? Il accomplit des actes « ordaliques », c’est-àdire
qu’il se met à l’épreuve, retrouve des rituels d’intégration archaïques comme la violence, la
bagarre, la drogue.
Vous dites « il n’y a pas de famille ». N’est-ce pas plutôt que la famille évolue?
Il n’y a pas de famille ET la famille évolue, comme elle l’a toujours fait. Quand ces gosses
rentrent chez eux, il n’y a personne. Le père n’est pas là, la mère non plus. Pourquoi
s’isoleraient-ils dans une maison vide alors qu’il y a des copains dans la rue? Dans certains
pays d’Amérique latine où j’ai travaillé, ils disent qu’ils se sont disputés avec leur mère ou leur
beau-père et qu’ils sont partis. Dans la rue, où la vie est physiquement très dure, il y a toujours
un événement, une fête, un vol, un truc à partager; on parle et on vit. Ces enfants-là s’adaptent
à l’absence de famille par la délinquance. Un petit Colombien des rues qui n’est pas délinquant
a une espérance de vie de dix jours : il est éliminé s’il ne s’intègre pas dans une bande. La
délinquance est une fonction d’adaptation à une société folle.
90

Mais comment faire? Renvoyer les femmes à la maison?
Non. Mais il faut qu’il y ait quelqu’un, homme ou femme. Dans certaines cultures où il y a
encore des familles élargies, il y a toujours un adulte à la maison. Ailleurs, il faut innover. Au
Brésil par exemple, des Brésiliens décident de fabriquer des familles qui n’ont rien à voir avec
le sang, avec le biologique. Un vieux monsieur dit à une vieille dame: « j’en ai marre de
descendre les pentes raides des favelas, je vais entretenir la maison »; la vieille femme dit: «
moi, je vais m’occuper des enfants du quartier ». Et puis un autre, plus jeune, dit: « moi, je
ramènerai de l’argent car j’ai un petit boulot ». Ce sont des familles verbales, qui passent une
entente pour se protéger, s’attacher, faire la fête et s’engueuler, comme dans toutes les
familles. La délinquance disparaît instantanément de ces foyers.
En Occident, la famille évolue très difficilement; non dans les faits, mais dans les lois et les
mentalités.
On est parti sur un contresens, en parlant de « famille traditionnelle ». Or, celle-ci est apparue
au dix-neuvième siècle en Occident, en même temps que les usines. C’était une adaptation à
la société industrielle: l’homme était une annexe de machine et la femme une annexe
d’homme. L’usine fonctionnait, le château fonctionnait, les églises fonctionnaient. L’ordre
régnait. Les individus, presque toutes les femmes et la plupart des hommes, étaient
psychologiquement massacrés. Mais une minorité, 2 % de la population environ, pouvait se
développer correctement. Ils se mariaient pour transmettre leurs biens. A l’époque, cette famille
traditionnelle était d’ailleurs assez peu répandue car la plupart des ouvriers ne se mariaient pas
(puisqu’ils n’avaient rien à transmettre). Cette société a disparu, la famille traditionnelle existe
de moins en moins mais le modèle est toujours dans les esprits. Et les lois commencent
seulement à changer.
Quand une seule théorie se met en place, l’évolution des mentalités est très lente. Il faut mener
des « guerres verbales», débattre, publier, pour faire avancer les choses. On peut inventer
mille formes de familles différentes mais les enfants ont besoin d’un lieu de protection,
d’affection et de développement, avec des interdits : l’inceste et d’autres prescriptions, qu’ils
peuvent négocier.
La notion de résilience que vous développez dans vos derniers ouvrages fait une très belle
carrière. Pourquoi un tel succès?
Quand on se penche sur les enquêtes épidémiologiques mondiales de l’OMS, on constate
qu’aujourd’hui, une personne sur deux a été ou sera gravement traumatisée au cours de sa vie
(guerre, violence, viol, maltraitance, inceste, etc.). Une personne sur quatre encaissera au
moins deux traumatismes graves. Quant aux autres, ils n’échapperont pas aux épreuves de la
vie. Pourtant, le concept de résilience, qui désigne la capacité de se développer dans des
conditions incroyablement adverses, n’avait pas été étudié de manière scientifique jusqu’à une
période récente. Aujourd’hui, il rencontre un succès fabuleux. En France, mais surtout à
l’étranger. En Amérique latine, il y a des instituts de résilience, en Hollande et en Allemagne,
des universités de résilience. Aux Etats-Unis, le mot est employé couramment. Les deux tours
du World Trade Center viennent d’être surnommées « The Twin Resilient Towers » par ceux
qui voudraient rebâtir.
91

Y a-t-il un profil socioculturel de l’enfant résilient?
Non, mais il y a un profil d’enfants traumatisés qui ont l’aptitude à la résilience, ceux qui ont
acquis la « confianc e primitive » entre 0 et 12 mois : on m’a aimé donc je suis aimable, donc je
garde l’espoir de rencontrer quelqu’un qui m’aidera à reprendre mon développement. Ces
enfants sont dans le chagrin mais continuent à s’orienter vers les autres, à faire des offrandes
alimentaires, à chercher l’adulte qu’ils vont transformer en parent. Ensuite, ils se forgent une
identité narrative : je suis celui qui... a été déporté, violé, transformé en enfant soldat, etc. Si on
leur donne des possibilités de rattrapage, d’expression, un grand nombre, 90 à 95 %,
deviendra résilient. Il faut leur offrir des tribunes de créativité et des épreuves de gosses : le
scoutisme, préparer un examen, organiser un voyage, apprendre à être utile. Les jeunes en
difficulté se sentent humiliés si on leur donne quelque chose (et si en plus, on leur fait la
morale). Mais ils rétablissent le rapport d’équilibre quand on leur donne l’occasion de donner.
Devenus adultes, ces enfants sont attirés par les métiers d’altruisme. Ils veulent faire bénéficier
les autres de leur expérience. Ils deviennent souvent éducateurs, assistants sociaux,
psychiatres, psychologues. Avoir eux-mêmes été des « enfants monstres » leur permet de
s’identifier, de respecter l’autre blessé.
92

Témoignage
Pseudonyme : Paul
Âge : 33 ans
Lieu de naissance : Montréal
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, août 2002
FRAGMENTS DE VIE
Paul quitte la maison familiale à 16 ans, et trouve
un premier boulot l’année suivante, bien qu’il vive
en centre d’accueil. Il tente en 1987 un retour aux
études, mais est arrêté pour un premier délit la
même année. À trente ans, il se fait une blonde,
s’installe en appartement et a un enfant. L’année
suivante, c’est la séparation; sa toute petite fille se
retrouve en famille d’accueil comme lui autrefois.
Nouvelle blonde en 2001, second enfant, nouvelle
séparation.
Depuis deux ans, sa vie s’articule autour
d’emplois de courte durée et de déménagements
successifs : Ste-Agathe, Ste-Adèle, Mont -Rolland,
Ste-Thérèse, St-Jean-sur-Richelieu.
Présentement en hébergement d’urgence pour un
mois, il nous confie qu’il a toujours des rêves et
l’espoir : de se trouver un logement avant la fin de
l’année, de reprendre ses études, de s’acheter
une voiture, d’aller chercher sa fille, de revoir son
fils et pourquoi pas... voyager avec eux un jour.
93

5.3 La situation particulière des jeunes
Rien ne donne à penser que le phénomène des jeunes itinérants à Montréal ou en région soit
différent; les entrevues réalisées auprès des intervenants sur le territoire des Laurentides font
ressortir un certain nombre de particularités concernant la réalités des jeunes, notamment tout ce
qui concerne les ruptures institutionnelles (centre jeunesse, centre de détention…). La situation
semblant assez préoccupante, nous avons vérifié l'état de la situation dans d'autres régions afin
de confirmer le portrait tracé.
La Direction de la santé publique de Montréal-Centre 21 a effectué en 1998 une étude sur la
marginalisation des jeunes du centre-ville de Montréal. Bien qu’effectuée en milieu urbain, les
résultats de cette étude rejoignent les constatations faites sur le territoire des Laurentides.
Selon cette étude :
Les jeunes itinérants présentent un taux de mortalité estimé à 13 fois celui des jeunes du
Québec du même âge.
Ils sont en moyenne âgés de 20 ans.
73 % ont été accompagnés d'un travailleur social ou ont reçu les services des centres
Jeunesse.
44 % seulement rapportent être nés à Montréal et 72 % y vivent habituellement.
68 % ont déjà fait une fugue.
59 % ont déjà été expulsés de leur foyer.
36 % ont été abusés sexuellement.
59 % rapportent consommer des drogues deux fois/semaine, dont 39 % par injection.
1,4 % sont infectés par le VIH.
63 % rapportent avoir déjà eu des idées suicidaires.
« Pour inverser une tendance qui va en s'accentuant, il faut en priorité assurer aux jeunes
de la rue un véritable accès aux services auxquels ils ont droit comme tout autre citoyen.
Ces services devront être beaucoup mieux intégrés mais aussi mieux adaptés à leur
situation. Pour ce faire, il faudra revoir nos politiques pour en améliorer la cohérence.
Parallèlement, et ça représente un défi pour l'ensemble de la société québécoise, nous
devrons créer des conditions dans les milieux familiaux, scolaires et sociaux pour éviter
que d'autres jeunes n'aboutissent dans les rues du centre-ville. Enfin, nous devons
conjuguer nos efforts pour offrir aux jeunes de la rue des alternatives réelles pour freiner
leur exclusion et se réinsérer dans un milieu plus valorisant. »
Ces propos, tenus par le Directeur de la santé publique, illustrent bien les enjeux que posent la
marginalisation des jeunes et la nécessité d'un effort collectif à Montréal. Un projet intitulé «
Freiner la marginalisation des jeunes du centre-ville de Montréal : un effort collectif » a vu le jour :
il regroupe des partenaires communautaires, institutionnels et universitaires qui unissent leurs
énergies et leurs expertises afin de :
21 Tel que proposé par la Direction de la santé publique de Montréal-Centre, sur son site Internet.
94

soutenir la concertation entre les organismes et les services interpellés par les jeunes de la
rue;
effectuer des recherches visant à mieux comprendre
ce qui amène les jeunes à la rue;
ce qu'ils vivent une fois à la rue et,
ce qui leur permet de sortir de la rue;
favoriser la circulation d'information entre les partenaires, les commerçants et la population
en général.
Le projet semble intéressant et pourrait servir de modèle; il rejoint plusieurs des souhaits
exprimés par les intervenants de la région (voir section 4.9). Quatre projets de recherche sont
actuellement en cours à Montréal. Ces projets permettent de saisir l’angle d’approche adopté par
la Direction de la santé publique de Montréal-Centre. Il serait intéressant d’examiner la possibilité
ou la pertinence d’adapter ou d’étendre ces projets de recherche au territoire des Laurentides.
Ces quatre projets sont :
CONNAISSANCE ET SURVEILLANCE DES RAPPORTS À LA RUE DES JEUNES MARGINALISÉS
Les recherches canadiennes sur la criminalité des jeunes de la rue nous suggèrent que les
conditions adverses liées au mode de vie dans la rue, la faim, l'absence de logement et
d'emploi, sont des facteurs importants de la criminalité qui jouent un rôle explicatif à deux
niveaux. D'abord, ces conditions adverses favoriseraient la commission d'actes délictueux
(vol, prostitution) pour satisfaire les besoins de base non comblés. L'association avec des
pairs déviants augmenterait également les chances d'obtenir de meilleures conditions de
vie. Ensuite, l'expérience de ces conditions adverses sur une longue période agirait comme
déclencheur face aux agirs délinquants. Les études sur la criminalité des jeunes de la rue
suggèrent fortement que l'accès et la fréquentation des ressources de soutien et d'aide aux
jeunes de la rue sont un instrument de prévention important de la criminalité.
L'étude de suivi proposée vise à questionner ces indicateurs de criminalité en fonction de la
pratique policière à l'égard des jeunes de la rue de Montréal. Pour ce faire, nous allons
dresser un portrait statistique des jeunes sans-abri arrêtés au cours de la dernière année en
faisant ressortir leurs caractéristiques socio-économiques, leur association à des pairs
déviants, leurs antécédents criminels et leurs conditions de vie au moment de l'arrestation et
nous examinerons les motifs et les conditions de l'arrestation. Les résultats de l'étude
permettront d'évaluer si, et comment, les organismes œuvrant auprès de cette clientèle
peuvent contribuer à la prévention de la criminalité. Cette recherche assurera les ponts
entre la Ville de Montréal et la Sécurité publique qui seront associées à cette démarche. Sur
le plan méthodologique, cette étude exige le dépouillement de dossiers judiciaires et une
analyse statistique descriptive des données collectées.
RUPTURE FAMILIALE ET MARGINALISATION
Cette recherche vise à dresser un portrait des jeunes de la rue en fonction de la présence
de certains facteurs à risque élevé dans la littérature scientifique. En effet, les conditions de
la rupture familiale ainsi que le rapport à la rue (durée et fréquence des périodes d'errance)
95

permettraient de distinguer des sous-groupes parmi les jeunes de la rue qui sont plus ou
moins vulnérables. L'analyse des résultats de cette enquête par questionnaires et par
entrevues viendra préciser les modalités de l'intervention auprès de ces jeunes.
LE CAPITAL SOCIAL DES JEUNES DE LA RUE
La notion de capital social recouvre, sur le plan théorique, plusieurs acceptions différentes.
Toutefois, la notion évoque l'idée de ressources qu'un individu peut mettre en œuvre pour
atteindre un objectif. Ces ressources peuvent être financières, matérielles ou humaines.
D'autres insistent aussi sur les réseaux de relations sociales et l'accès aux ressources
sociales comme un élément important du capital social individuel. Pour avoir un effet réel
sur les jeunes, il faut aussi que la notion de capital social soit partagée avec les intervenants
en contact avec les jeunes. Le partage du savoir théorique et pratique autour de la notion du
capital social servira à préciser la présence de cet indicateur chez les jeunes et à suivre son
évolution.
LA FUGUE CHEZ LES JEUNES MARGINALISÉS ET LA MALTRAITANCE, LES RÉPONSES SOCIALES À
L'ÉGARD DE LA MARGINALISATION DES JEUNES
La situation des jeunes de la rue décrite dans le Défi de l'accès indique une
surreprésentation des jeunes ayant fréquenté les institutions sociales, victimes ou auteurs
de violence envers les autres ou envers eux-mêmes. Or, les données statistiques des
centres jeunesse montrent d'une part une tendance à l'inversion des motifs d'intervention du
système de protection concernant les conduites parentales et d'autre part, les troubles de
comportement. Chez les jeunes de 12 à 17 ans, les prises en charge en raison de conduites
parentales inappropriées diminuent dramatiquement au profit de raisons impliquant les
comportements des jeunes eux-mêmes, cette situation étant inversée lorsqu'il s'agit de plus
jeunes enfants. Cette sous-représentation relèverait de la non-reconnaissance de la
maltraitance des adolescents. Les adolescents maltraités fuiraient ces situations, ce qui les
entraînerait à entrer en contact avec les systèmes en raison de leurs troubles de
comportement, masquant ainsi leur histoire de maltraitance. L'étude des dossiers des
jeunes pris en charge par le système de protection pour cause de fugue (art.38.1a de la Loi
sur la protection de la jeunesse) sera la méthode retenue pour analyser le lien entre fugue
et maltraitance.
5.4 Archétypes de l’itinérance
Peu de textes tentent d’expliquer les motivations psychologiques ou psychiques des personnes
itinérantes. Nous avons rédigé les notes qui suivent d’après Mario Poirier; Le leitmotiv de
l’itinérant, L’errance urbaine, publié sous la direction de Danielle Laberge, Ste-Foy, Éditions
MultiMondes, 2000.
96

Si nous avons choisi de vous présenter ce modèle, c'est qu'il nous semble répondre à un besoin
observé chez les intervenants, soit celui de classifier les comportements et les motivations
observés chez les personnes itinérantes et de légitimer leurs observations par une
représentation.
Comme pour les modèles présentés ci-dessus (processus et résilience), il ne s'agit en aucun cas
d'un modèle statique permettant de porter un regard global sur le phénomène de l'itinérance; il est
question ici de dégager les mythes et les représentations que se font les personnes itinérantes de
leur propre itinérance. La grille de lecture et les différents scénarios proposés ici, ont été validés
par des personnes itinérantes dans le cadre d'une étude réalisée par Mario Poirier depuis 1992.
On peut retrouver un certain nombre de scénarios systémiques, intrapsychiques et microsociaux,
plausibles, distincts, souvent complexes à saisir parce que liés à des mobiles en apparence
contradictoires.
Une personne itinérante peut se situer à la jonction de plusieurs d’entre eux, simultanément ou
séquentiellement dans son histoire de vie.
? ? L’HOMME INVISIBLE : stratégie visant à se rendre présentement invisible à sa famille, ses
proches, aux ressources et aux policiers. Avoir seul le pouvoir de communiquer avec eux.
Une façon active de se cacher, de fuir la rencontre. Peut être lié à la honte de sa pauvreté,
de son exclusion. Pas de solidarité possible. Seule la solitude permet de calmer l’angoisse
d’être en société.
? ? L’ANGE VENGEUR : stratégie visant au contraire, à rendre l’individu davantage présent aux
proches, à les préoccuper, à les inquiéter, à les punir d’avoir été inadéquats. Une colère
virulente exprimée passivement, le désir de faire mal, de rendre coupables les auteurs
présumés du drame. Il impose sa présence par sa fréquentation des lieux publics, par sa
mendicité. L’itinérance prend des allures de vengeance.
? ? L’ENFANT PRODIGUE : au contraire, l’itinérance est une forme extrême d’amour, un fabuleux
essai de rapprochement, un désir si vif de conserver le passé (ou des aspects de ce passé),
qu’il devient impossible de se projeter dans l’avenir. Fantaisie de la réconciliation; le retour
de l’enfant prodigue dans la famille heureuse et accueillante. La frénésie de cet espoir fait
refuser toute autre forme d’engagement et d’enracinement.
? ? LE PÉNITENT : au contraire, l’itinérance peut être une efficace entreprise d’autopunition,
l’itinérant craignant d’être heureux et désirant payer pour ses fautes; il croit peut-être porter
en lui l’erreur (errance), le problème, la méchanceté, l’abandon, les ruptures; il n’a pas fait
sa part, ce qui lui arrive est une façon d’expier. La souffrance en est le juste prix. Alcool et
drogues sont souvent présents dans ce scénario.
? ? LE FÊTARD : au contraire, l’itinérance est le party, le thrill, l’hédonisme intégral, le manifeste
du plaisir immédiat, le prolongement de la fête familiale de l’enfance, la marque de
l’impossibilité de vivre autrement que dans l’intensité de l’émotion. Souvent accompagnée
d’une toxicomanie active, systématique. Il n’y a pas d’avenir, seulement le temps présent.
97

? ? LE PÈLERIN : au contraire, le refus total de l’hédonisme, le refus de tous les bonheurs
civilisés, des joies du foyer, des liens amoureux, des enfants, de l’appartenance aux autres;
une quête de sentiments plus purs, plus profonds; une déception par rapport à la vie de tous
les jours, un rejet de ce qui est perçu comme inutile, niais, superficiel, répétitif, trop ordonné,
trop prévisible, trop mécanique.
? ? LE DOUILLET : au contraire, l’itinérance est comme une recherche quotidienne, effrénée et
concrète d’une petite famille, de liens fraternels sans entraves, d’échanges simples et vrais,
et même du confort douillet des ressources d’aide, d’hébergement, de désintoxication.
Profiter et se maintenir dans la culture des aidants, des écoutants, des comprenants, des
compatissants… la fuite absolue des conflits extérieurs et intérieurs. Le but premier est
d’appartenir à l’itinérance, pas de la quitter.
? ? LE MISANTHROPE : l’itinérance fondée, au contraire, sur une vive intolérance de toute place,
de tout engagement relationnel, de toute durée dans le lien…le rejet de tous les autres, la
recherche de l’autonomie absolue. Le centre-ville comme une île déserte… Le mépris, et
aussi la peur d’être avec les autres, tout décider, tout contrôler, être le seul de son espèce.
? ? LE JONGLEUR : l’itinérance, au contraire, comme forme extrême d’exhibitionnisme, de
spectacle, de manifestation en plein air, du contact perpétuel avec la foule, des feux de la
rampe, du contact des passants étonnés, le foisonnement éclectique de la rue. Besoin du
regard des autres pour survivre, pour se sentir réel… remplacer les grands absents par une
multitude de contacts superficiels, temporaires.
? ? LE PAISIBLE RETRAITÉ : au contraire, l’itinérance comme une grande lassitude, une
incapacité de se battre pour la recherche des avantages… la recherche d’une retraite
anticipée, sans responsabilités, sans rien à prouver… reflète la mécanique sociale
d’exclusion des moins performants, la mise au rancart des moins compétitifs… l’itinérance
comme moyen définitif de s’éclipser de la course… une exclusion qui devient une autoexclusion…
réaction de stress post-traumatique.
5.5 Besoins de base de la personne
Probablement que peu de gens, dans le domaine de l’intervention, ignorent ce qu’on appelle
communément « la pyramide de Maslow ». L’analyse faite par Maslow des besoins de la
personne humaine est devenue un modèle de grande consommation, sinon carrément de poppsychologie.
Néanmoins, les références très fréquentes dans nos entrevues aux besoins des
personnes sans domicile fixe ou à risque, et au vocabulaire « Maslowien » pour les décrire, nous
ont incités à écrire quelques lignes pour mieux se souvenir de ses idées maîtresses.
Si nous avons décidé d'inclure cette grille de lecture, c'est qu'il nous semble important de revenir
à cette base pour illustrer d'une part, l'intervention en urgence et d'autre part, la difficulté d'y
répondre adéquatement. Si, à la lumière des témoignages des intervenants et des personnes
98

itinérantes, on doit tenter d’intervenir sur toutes les dimensions des personnes, il reste que tout
ce travail doit se faire à partir des besoins de base.
Abraham Maslow, éminent psychologue américain, a identifié un ordre de priorité dans la
satisfaction des besoins humains.
Il pose trois postulats concernant la motivation des individus : les gens sont motivés par le désir
de satisfaire des besoins, ces besoins sont hiérarchisés, les gens progressent dans cette
hiérarchie à partir des besoins inférieurs vers les besoins de niveau plus élevé.
La pyramide des facteurs psychologiques dans notre comportement se compose de cinq niveaux
qui sont, de bas en haut :
NIVEAU 1 : BESOINS PHYSIOLOGIQUES
respirer, manger, boire, dormir, se vêtir, s'abriter contre les intempéries ...
NIVE AU 2 : BESOINS DE SÉCURITÉ
stabilité, ordre, liberté, protection …
NIVEAU 3 : BESOINS D'AMOUR ET D'APPARTENANCE
appartenance à un/des groupe(s), affection (aimer et être aimé) …
5
Niveau 4
Niveau 3
Niveau 2
Niveau 1
NIVEAU 4 : BESOINS D'ESTIME DE SOI
respect, estime de soi et des autres, accomplissement, force, confiance, compétence …
NIVEAU 5 : BESOINS D'ACCOMPLISSEMENT PERSONNEL
connaissance et compréhension, réalisation de ses potentialités, maîtrise de son
environnement, créativité. Le besoin d’accomplissement (niveau 5) n’est pas à
proprement parler un besoin dû à un manque de quelque chose d’extérieur à
l’organisme, mais un besoin de croissance intérieure : c’est la source de la motivation
intrinsèque.
99

Selon Maslow, le comportement est déterminé par deux éléments : les motivations que sont les
besoins, et la réalité que sont les forces de l'environnement. Il accorde également une place
importante à l'histoire et à la subjectivité d'une personne pour expliquer son comportement
présent.
L'être humain étant en recherche constante de motivation, lorsqu'un besoin est satisfait, un autre
surgit. Mais comme souligné plus haut, les besoins sont organisés de façon hiérarchique, ils ont
donc une importance relative : les besoins du premier niveau doivent être satisfaits avant ceux du
niveau 2, ceux de ce dernier niveau avant ceux du troisième, etc. … Il arrive aussi qu'un besoin,
satisfait dans le passé, puisse, sous l’influence de l’environnement, revenir à la surface comme
de nouveau insatisfait (perdre son toit par exemple); la nouvelle marche vers le sommet de la
pyramide doit reprendre au complet à partir des niveaux inférieurs. Les personnes itinérantes et
sans domicile fixe, par exemple, se trouvent inexorablement « coincées » au niveau 1 de la
pyramide ou de l’échelle à gravir.
100

SECTION 6 : QUESTIONS FINALES ET
SUITES A LA PRESENTE RECHERCHE
Comme dans toute recherche, nous pouvons faire état d'un certain nombre de résultats; mais
notre recherche nous a aussi amenés vers d'autres questions qui nous semblent présentement
sans réponse; plusieurs de ces questions touchent des dimensions éthiques inhérentes au
phénomène de l’itinérance et à l’intervention.
Ces questions sont apparues lors de nos entrevues avec les intervenants et les personnes
itinérantes et sans domicile fixe ou encore lors de notre synthèse des divers résultats obtenus.
Pour ceux ou celles qui poursuivront notre travail de recherche, ou qui auront à s'interroger sur
les suites à y donner, ou encore sur les moyens à mettre en place pour améliorer la situation et
pour mieux intervenir, nous croyons qu’il sera important de répondre à ces diverses questions.
Le phénomène « visible » et/ou « invisible »
Nous avons, tout au long de notre recherche, fait état de la partie « visible » du phénomène de
l’itinérance dans la région des Laurentides, cette partie qui entre effectivement en relation avec
les diverses ressources, les divers intervenants, sur le territoire (du curé, au comptoir
d’alimentation, à l’accueil de CLSC, à la maison d’hébergement d’urgence, au travailleur de rue).
Les chiffres que nous avons tenté d’avancer et le portrait que nous avons dressé de la situation
ne sont finalement constitués que de cette partie visible.
Nous avons été interpellés par plusieurs intervenants qui ont mentionné l’existence d’une partie
«invisible» au phénomène (par ces policiers, par exemple, circulant de maison en maison après
le verglas de 1998 ou ces infirmières faisant les soins à domicile). Il existerait de nombreuses
personnes ou familles vivant dans des conditions d’instabilité résidentielle, d’extrême pauvreté, un
peu partout sur le territoire, mais surtout dans le secteur nord des Laurentides. Faute de pouvoir
mener une enquête porte-à-porte sur tout le territoire (et de pouvoir éthiquement en démontrer
l’intérêt), cette partie du phénomène reste pour l’instant dans l’ombre. Il serait intéressant de
tenter d’en évaluer l’ampleur en travaillant, par exemple sur certaines données du recensement
de 2001, ou encore en tentant des projections à partir d’enquêtes faites sur certains petits
secteurs identifiés à cette fin.
Une approche globale et structurelle et/ou une approche individuelle
Doit-on ici parler de la vieille opposition entre psychologie et sociologie? Le phénomène montre
des dimensions globale et structurelle (des choix de société, des responsabilités politiques, des
responsabilités professionnelles, des institutions et leurs pratiques, des programmes de
financement, des programmes de développement…); en même temps le phénomène montre des
dimensions individuelles et de proximité (famille, santé physique et mentale, dépendances,
pauvreté, libre arbitre, souffrance…). Le phénomène est complexe; l’intervention aussi. Mais cette
dichotomie entre une vision globale et une vision individuelle permet d’entretenir tous les mythes
que nous avons rencontrés : le mythe de « la personne itinérante pouilleuse, irresponsable,
101

paresseuse, toxicomane, abuseure, voire criminelle » d’une part; le mythe de « l’État et de ses
institutions irresponsables, corrompus, toujours sur la défensive, donnant tout aux riches, ne
donnant rien aux pauvres, plus préoccupés par leur bien-être que par celui de leurs concitoyens »
d’autre part.
Toute recherche ou intervention future nous semble devoir « sensibiliser » à la complexité du
phénomène; sans cette complexité, admise et prise en charge (à la fois dans notre
compréhension du phénomène et dans la façon d’aborder l’intervention), les mythes et
stéréotypes entourant le phénomène pourront survivre et bien s’alimenter.
Des recherches et/ou des actions
Notre recherche n’est pas la première sur le phénomène de l’itinérance, ni la dernière. Les faits et
les éléments rapportés ici, n’étaient pas ni secrets, ni cachés, ni trop complexes à cerner… Les
intervenants rencontrés ont pu nous les transmettre, nous donner des exemples, nous faire
rencontrer des personnes. La poursuite de la recherche est certes importante, mais l’amorce
d’une action structurée sur tous les fronts semble plus difficile à mettre en place. Par la
recherche, on tente encore « d’identifier, de mesurer, de comprendre, de classer, d’évaluer,
parfois de réduire, de simplifier, de synthétiser… ». Mais des facteurs de risque ont été identifiés,
des pratiques à risque ont été identifiées, des populations à risque ont été identifiées; on se
demande (nous les chercheurs et les intervenants que nous avons rencontrés) souvent quand
vont commencer les véritables actions, autrement que dans la rue et l’urgence. Une véritable
compréhension (du latin cum prendo : prendre avec soi).
L’itinérance, situation ou aboutissement d’un processus.
Suite à notre recherche, il nous semble clair que, sauf de très rares exceptions, l’itinérance
apparaît à la suite d’un long processus (de désinsertion, de marginalisation, de désidentification,
de ruptures…). Dans ce contexte, compter les personnes à la rue ou sans domicile fixe, intervenir
dans l’urgence par un repas chaud et un gîte pour la nuit, ne touchent que la pointe de l’iceberg.
L’intervention face au phénomène de l’itinérance et des personnes sans domicile fixe doit aussi
« inclure » (pas seulement comme partenaire ou ressource complémentaire) l’intervention en aval
et en amont de la phase d’itinérance.
Il conviendrait de développer des discours et des gestes plus cohérents sur le phénomène de
l’itinérance; bien sûr « il est intolérable que quelqu’un dorme à la rue par -30 degrés Celsius »;
mais nos discours et nos gestes doivent aussi tenir compte de tous les autres paramètres incluant
les phénomènes parallèles de croissance et de développement et les phénomènes
d’appauvrissement et de détresse.
Une approche professionnelle et clientéliste et/ou une approche individuelle et humaniste
Tout au long de notre recherche et de nos entrevues, nous avons entendu le mot ou l’expression
« clientèle »; celle du CLSC, celle de la maison de thérapie, celle de la maison d’hébergement en
santé mentale… Plusieurs intervenants utilisaient l’expression avec réserve, d’autres sans
réserve, d’autres ne l’utilisaient pas. Ce phénomène n’est pas sans lien avec le « bénéficiaire »,
102

l’« assisté » de l’aide sociale ou des services sociaux, le « patient » du centre hospitalier, le
« représenté » de la curatelle. Il est intéressant d’aller voir la définition du dictionnaire pour client :
on y retrouve un lien de pouvoir, un lien d’argent, un lien de protection, un lien d’habitude…
Tous ces mots et expressions nous ont parfois choqués, tout comme ils choquent des
intervenants à qui nous avons parlé. Ces expressions tendent à confirmer l’exclusion, la
séparation, la rupture, la différence dans la relation; le patron et le client, l’assistant et l’assisté, le
représentant et le représenté, le prodigue et le bénéficiaire… Nous nous sommes interrogés,
sans réponse, sur l’utilisation d’un vocabulaire qui contribue à l’éloignement, à la rupture, au
pouvoir, à la stigmatisation. Il nous a même parfois semblé que cette utilisation devenait abusive.
Mais comme on le remarque, ce vocabulaire est souvent lié à une pratique professionnelle
quelconque; de cette question professionnelle surgit aussi l’usage et le sens d’une autre
expression commune, la « problématique ». Elles ont été toutes nommées : la « problématique »
de la santé mentale, celle du VIH, celle de l’alcoolisme, celle du jeu compulsif, celle des femmes
victimes de violence, celle du logement social, celle de la pauvreté, celle de la prostitution, celle
des drogues par injection… Comme par hasard, chaque « problématique » possède son réseau
d’intervenants, ses pratiques, ses auteurs, ses « clients »… Malheureusement pour ce beau
système de classement, les personnes en difficulté, tentant d’entrer en contact avec une
ressource quelconque, présentent des « problématiques multiples », et deviennent souvent
inabordables pour la plupart des ressources prises individuellement. Le réseau des ressources ne
semble pas avoir été créé à partir d’une vision globale de la personne, à partir d’une vision
systémique de l’intervention. Et cela constitue encore un facteur d’exclusion supplémentaire, de
stigmatisation pour la personne; à moins d’être déclarée ou de se déclarer, victime de violence,
alcoolique, toxicomane, porteuse du VIH, joueuse compulsive, ex-détenue, fugueuse mineure,
dépressive, chômeuse…, la personne itinérante risque de tourner en rond longtemps. Si elle sait
bien choisir sa « problématique », donc son stigmate, elle restera probablement moins longtemps
à la rue. Les intervenants rencontrés nous ont parlé et reparlé de cette dimension, qui semble à
l’origine de ces grands trous au fond du « filet » de sécurité sociale qu’ils essaient de tendre.
De quoi souvent se demander : et les personnes qui souffrent dans tout ce beau vocabulaire?
Voilà pourquoi nous avons ajouté le mot « humanisme » un peu plus haut. Cette réflexion
éthique, qui a des répercussions sur nos pratiques, est fondamentale et nécessaire.
Liberté et choix
Ces deux mots sont souvent apparus au cours de nos entrevues et de nos discussions, à
plusieurs niveaux, aussi bien celui des mythes que celui de la réalité. Certaines personnes
choisissent-elles vraiment l’itinérance comme mode de vie? Qu’est-ce qu’un choix forcé ou
contraint? Les jeunes peuvent-ils vraiment choisir un mode de vie sociale différent des grands
modèles sociaux? Réinsérer, mais dans quoi; le « bon gars, la photo laminée, l’employé de
l’année »? Les personnes itinérantes et sans domicile fixe ont-elles vraiment à dire quelque chose
sur la qualité des ressources qu’on leur offre, sur la façon dont on les traite dans ces ressources?
Jusqu’à quel point? Quand rien ne va plus quelque part, n’est-ce pas normal de fuir ce milieu?
Mais où? Comment vouloir reconstruire quelque chose, quand tout s’est écroulé? Et avec qui,
quand tu n’es plus personne? Avec quoi, quand tu n’as plus rien? Et pourquoi finalement?.... ….
103

Nous pourrions allonger sans fin cette liste de questions qui nous semble au cœur de la réflexion
sur le phénomène. Nous disions, avec Shirley Roy, au début de cette étude que l’itinérance est le
problème social total. À la lecture de ces questions, on se rend compte que l’itinérance est aussi
le problème psychologique, philosophique, individuel total.
L’itinérance appelle l’intervention, la recherche, mais appelle aussi la réflexion. La plupart des
intervenants que nous avons rencontrés conviennent qu’il restera toujours un certain nombre de
personnes à la rue, mais au moins faut-il s’assurer que les moyens existent pour ceux et celles
qui affirment vouloir s’en sortir.
La responsabilité et le leadership.
Bien sûr, notre recherche a permis d’identifier certains champs de responsabilités, certains
facteurs de risque, certaines conditions précaires, certains facteurs aggravants…
Notre recherche a aussi permis de rencontrer des intervenants et des personnes sans domicile
fixe, des intervenants du milieu communautaire et des intervenants du milieu institutionnel. Nous
ne voulons pas revenir sur les vieux débats entourant ces différents milieux d’intervention, mais
ces différences existent toujours et font partie de la dynamique de la région des Laurentides, mais
probablement aussi de la dynamique de tous les milieux de l’intervention.
La question d’un leadership face à la situation a souvent été mise de l’avant : elle nous semble
aussi sans réponse pour l’instant. Si le problème est total, le leadership doit être aussi total : tous
les paliers de gouvernements, tous les ministères, les préfets, les maires et les nombreux
conseillers municipaux; les commissions scolaires, les spécialistes de tout acabit; les
communautaires et les institutionnels; les citoyens au grand cœur et tous les autres. Vouloir
trouver le bon palier d’intervention, le bon leader, c’est aussi dire que je ne veux pas m’en
occuper, que quelqu’un d’autre devrait faire la besogne.
Malheureusement, on confond souvent la recherche d’un leader avec la nécessité d’un
leadership. Plusieurs attendent encore.
Un rappel des principaux souhaits proposés par les intervenants sur le territoire des
Laurentides
Nous avons voulu terminer ce rapport en vous soulignant à nouveau les principales
recommandations émises par les intervenants rencontrés sur le territoire des Laurentides. On
trouvera aussi en annexe quelques pistes pour de futures recherches-actions mises de l’avant,
encore une fois, par les intervenants.
104

LES GRANDS SOUHAITS
Se donner les moyens d’intervenir en amont et en aval de la
désinsertion, de l’exclusion, de la rue, de l’urgence.
Voir à une meilleure organisation des services déjà en place.
Sensibiliser la population, les intervenants et les décideurs (à tous
les niveaux) à la situation des personnes itinérantes et sans
domicile fixe, et à la réalité des personnes engagées dans un
processus de désinsertion.
Prévoir l’aménagement de ressources d’hébergement (et autres)
dans le Nord et le Sud du territoire des Laurentides
105

Témoignage
Pseudonyme : Maurice
Âge : 23 ans
Lieu de naissance : Laval
Rencontre : Montréal, décembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Né à Laval, les premières années de Maurice se
déroulent sous le signe de la pauvreté et de la
violence, celle d’un père alcoolique. À la séparation
de ses parents (il a alors 5 ans), il déménage à
Mont-Laurier avec sa mère qui est originaire de
cette région.
Celle-ci y trouve un nouveau conjoint et quelques
années d’une précaire paix. Durant ce temps, il
découvre les drogues et quand la famille éclate, il
est séparé de ses deux jeunes frères et placé dans
une famille d’accueil. Fin de l’adolescence, il se
retrouve en manufacture, mais n’apprécie pas
beaucoup. Il choisit alors l’état de «sans domicile
fixe». Il voyage beaucoup dans la région, «squatte
à Mont-Laurier et dans les environs, traverse le
Canada, l’Amérique centrale et fait plusieurs séjours
en prison. Il fréquente les ressources d’aide, les
comptoirs alimentaires, il échange ses services…
À Montréal depuis 6 mois, il a son propre
appartement et travaille dans une entreprise de
réinsertion sociale.
106

BIBLIOGRAPHIE
Beck, Ulrich. 1998. « Le conflit des deux modernités et la question de la disparition des solidarités ». Lien social
et Politiques , RIAC, no 39, p. 15-25.
Becker, Howard. 1985. Outsiders, études de sociologie de la déviance. Paris: A.-M. Metailié, 249 p.
Bélanger, Paul et Benoît Lévesque. 1988. « Une forme mouvementée de gestion du social: les CLSC ». Revue
internationale d'action communautaire, 19/59, p.49-64.
Bélanger, Paul, et Benoît Lévesque. 1992. « Le mouvement populaire et communautaire : de la revendication au
partenariat (1963-1992) ». Le Québec enjeu. Comprendre les grands défis, sous la direction de Gérard Daigle et
Guy Rocher, p. 713-747. Montréal : Presses de l'Université de Montréal.
Bergier, Bertrand. 1996. Les affranchis: parcours de réinsertion. Collection « Sociologie clinique », Paris, Desclée
de Brouwer, 232 p.
Bertaux, Daniel. 1980. « L'approche biographique : sa validité méthodologique, ses potentialités », p.197-225,
Cahiers internationaux de sociologie, no LXIX.
Bibeau, Gilles, et Marc Perreault. 1995. Dérives montréalaises : à travers des itinéraires de toxicomanies dans le
Quartier Hochelaga-Maisonneuve. Montréal : Boréal, 238 p.
Bouchard, Edith, Brenda White et Suzanne Fontaine. 1988. Les femmes itinérantes : Une réalité méconnue.
Québec : Conseil du statut de la femme.
Boucher, Jacques, et Louis Favreau. 1996. Développement local et économie sociale : nouveau défi du travail
social. Cahiers de la Chaire de recherche en développement communautaire, Hull : Université du Québec à Hull.
Boucher, Jacques, et Louis Favreau. 1997. « Les misères de la pauvreté ». Relations , no 634, p. 244-248.
Buhrig, Martine. 1996. Réussir l'insertion : Accompagner la reconnaissance sociale. Lyon : Chronique Sociale,
161 p.
Castel, Robert. 1991. «De l'indigence à l'exclusion: la désaffiliation», Face à l'exclusion : le modèle français.
Jaques Donzelot, (éd.), Paris : Esprit.
Castel, Robert. 1994. « La dynamique des processus de marginalisation : de la vulnérabilité à la désaffiliation ».
Cahiers de recherche sociologique, no. 22, p. 11-27, Montréal : Université du Québec à Montréal.
Castel, Robert. 1995a. Les métamorphoses de la question sociale : une chronique du salariat. Paris : Fayard,
490 p.
Castel, Robert. 1995b. « Les pièges de l'exclusion ». Lien social et Politique, RIAC, no.34, p. 13-21.
Castel, Robert. 1996. «Les marginaux dans l'histoire». L'exclusion : l'état des savoirs, sous la direction de Serge
Paugam, p.32-41, Paris : La Découverte.
Comeau, Yvan. 1996. Grille de collecte et de catégorisation des données pour l'étude d'activités de l'économie
sociale. Cahiers du Collectif de recherche sur les innovations sociales dans les entreprises et les syndicats
(CRISES), 13 p.
Comeau, Yvan. 1997. « Problématique de l'exclusion et approches d'insertion ». Économie et Solidarités , vol. 28
no 2, p. 11-22.
107

Comité des sans-abri Ville de Montréal. 1987. Vers une politique municipale pour les sans -abri. Montréal; Ville de
Montréal.
Damon, Julien, et Jean-Marie Firdion. 1996. « Vivre dans la rue : la question SDF ». L'exclusion: L'état des
savoirs, sous la direction de Serge Paugam, p. 374-386, Paris : La Découverte.
Deslauriers, Jean-Pierre. 1982. « Guide de recherche qualitative », Bulletin de recherche, no 62, Sherbrooke,
Département de géographie, Université de Sherbrooke, 27 p.
Deslauriers, Jean-Pierre. 1987. «L'analyse en recherche qualitative», L'autre sociologie, p. 145-152, Cahiers de
recherche sociologique, vol. 5, no 2, Département de sociologie, Université du Québec à Montréal.
Deslauriers, Jean-Pierre. 1991. Recherche qualitative. Guide pratique. Montréal : McGraw-Hill, 142 p.
Deslauriers, Jean-Pierre, et Marie-Joëlle Brassard. 1989. Pouvoir habiter. Collection « Département régional »,
Groupe de recherche et d'intervention régionales, Chicoutimi : Université du Québec à Chicoutimi.
Dubar, Claude. 1996. «Socialisation et processus». L'exclusion : l'état des savoirs, sous la direction de Serge
Paugam, p. 111-119, Paris : La Découverte.
Dufour, Stéphane, Dominic Fortin et Jacques Hamel. 1991. L'enquête de terrain en sciences sociales :
L'approche monographique et les méthodes qualitatives. Montréal : Saint-Martin, 183 p.
Durkheim, Emile. 1973. De la division du travail social. Paris : Presses universitaires de France, 416 p.
Eme, Bernard. 1996. « Les régies de quartier, creuset de lien civil ». Économie et solidarités, vol. 28, no 2, p. 33-
54.
Eme, Bernard. 1998. «Participation sociale et formes plurielles d'insertion». Insertion et nouvelle économie
sociale, sous la direction de Jacques Defourny, Louis Favreau et Jean-Louis Laville, p. 293-320, Paris : Desclée
de Brouwer.
Favreau, Louis. 1989. Mouvement populaire et intervention communautaire de I960 à nos jours : Continuités et
ruptures. Montréal; Centre de formation populaire, Editions du fleuve, 308 p.
Favreau, Louis. 1998. « L'insertion conjuguée avec le développement économique communautaire ». Insertion
et nouvelle économie sociale, sous la direction de Jacques Defourny, Louis Favreau et Jean-Louis Laville, p.
159-182, Paris: Desclée de Brouwer.
Favreau, Louis, et Benoît Lévesque. 1996. Développement économique communautaire. Sainte-Foy (QC) :
Presses de l'Université du Québec, 230 p.
Favreau, Louis, et Lucie Fréchette. 1995. « Pauvreté urbaine et exclusion sociale : les nouvelles figures du travail
social auprès des personnes et des communautés locales en difficulté », Service social, vol. 44, no 3, p. 71-93.
Ferrand-Bechmann, Dan. 1990. « Très pauvre et très mal logé : l'action des grandes associations face à
l'extrême pauvreté ». Pauvre et mal logé : les enjeux sociaux de l'habitat, sous la direction de Dan Ferrand-
Bechmann, p. 71-86, Collection « Habitat et Sociétés », Paris : L'Harmattan.
Ferrand-Bechmann, Dan. 2000. Le métier de bénévole. Collection Ethnosociologie, Paris : Anthropos. 160 p.
Fortin, Andrée. 1982. «Au sujet de la méthode». Les pratiques émancipatoires en milieu populaire, Jean-Pierre
Dupuis, p. 79-123, Collection « Documents préliminaires », no 2, Québec; Institut de recherche sur la culture.
Fortin, Andrée. 1987. « L'observation participante: au cœur de l'altérité ». Les méthodes de la recherche
qualitatives , sous la direction de Jean-Pierre Deslauriers, p. 23-33, Québec : Presses de l'Université du Québec.
108

Fournier, Louise. 1991. Itinérance et santé et santé mentale à Montréal : Étude descriptive de la clientèle des
missions et refuges . Rapport de recherche, Québec: Conseil québécois de la recherche sociale.
Fournier, Louise et Céline Mercier (sous la direction). 1996. Sans domicile fixe : Au-delà du stéréotype. Montréal:
Méridien.
Gaulejac, Vincent, de, et Isabel Taboada Leonetti. 1994. La lutte des places. Insertion désinsertion. Paris :
Desclée de Brouwer, 287 p.
Gaullier, Xavier. 1994. « La société flexible ». Cohésion sociale et emploi, sous la direction de Bernard Eme et
Jean-Louis Laville, p. 47-71. Paris : Desclée de Brouwer.
Glaser, Barney, et Anselm Strauss. 1967. The Discovery of Grounded Theory : Strategies for Qualitative
Research. Chicago : Aldine Publishing Company, 272 p.
Guédon, Marie-Chantal. 1984. « Les réseaux sociaux ». L'intervention de réseaux : une pratique nouvelle, sous
la direction de Claude Brodeur et Richard Rousseau, p. 16-33. Montréal (QC) : Éditions France-Amérique.
Guedeney, Antoine. 1998. « Les déterminants précoces de la résilience », Ces enfants qui tiennent le coup, sous
la direction de Boris Cyrulnik, Hommes et perspectives.
Hamel, Jacques. 1997. Étude de cas et sciences sociales . Montréal: L'Harmattan, 123 p.
Inkel, André. 2001. L’insertion sociale des personnes marginalisées et proches de la grande pauvreté : analyse
d’une intervention auprès des sans-abri dans l’Outaouais, sous la direction de Jacques Boucher, Chaire de
recherche en développement communautaire (CRDC), Université du Québec en Outaouais, février.
Jetté, Christian, et autres. 1998. « Évaluation du logement social avec support communautaire à la Fédération
des OSBL d'habitation de Montréal (FOHM) ». Rapport de recherche, Montréal : LAREPPS, Université du
Québec à Montréal.
Kelly, Michael. 1984. « L'analyse de contenu ». La recherche sociale, sous la direction de Benoît Gauthier, p.
293-315, Québec : Presses de l'Université du Québec.
Laberge, Danielle, et autres. 1995. « De l'expérience individuelle au phénomène global : configuration et
réponses sociales ». Cahiers de recherche du CRI, no l, Département de sociologie de l'UQAM, juin.
Laberge, Danielle (sous la direction de). 2000. L'errance urbaine, Ste-Foy, Éditions MultiMondes.
Laurin, Serge. 1989. Histoire des Laurentides, Ville St-Laurent, Institut québécois de recherche sur la culture,
892 pages. Réédité en 1995.
Laville, Jean-Louis. (dir.) 1994. L'économie solidaire, une perspective internationale. Paris: Desclée de Brouwer.
Laville, Jean-Louis. 1996. « Un enjeu de société ». Interaction communautaire, no.36-37, Hiver.
Lavoie, Louisette, Danielle Marquis et Paul Laurin. 1999. La recherche-action, théorie et pratique, Sainte-Foy,
Presses de l’Université du Québec.
L'Écuyer, René. 1987. « L'analyse de contenu : notion et étapes ». Les méthodes de la recherche, sous la
direction de Jean-Pierre Deslauriers, p. 49-65, Québec : Presse de l'Université du Québec.
Le Gall, Didier. 1987. « Les récits de vie : approcher le social par le pratique ». Les méthodes de la recherche
qualitatives , sous la direction de Jean-Pierre Deslauriers, p. 35-48, Québec : Presses de l'Université du Québec.
109

Lévesque, Benoît. 1995. « Repenser l'économie pour contrer l'exclusion sociale; de l'utopie à la nécessité »,
Contrer l'exclusion, repenser l'économie, sous la direction de Juan-Luis Klein et Benoît Lévesque, p. 17-44,
Sainte-Foy (QC) : Presses de l'Université du Québec.
Mangham, Colin. 1995. Résilience, pertinence dans le contexte de la promotion de la santé, Document de travail
- Analyse détaillée présentée à Santé Canada par Colin Mangham, Ph.D., Patrick McGrath, Ph.D., Graham Reid,
Ph.D., Miriam Stewart, Ph.D., Atlantic Health Promotion Research Centre, Université Dalhousie.
Mayer, Robert, et Francine Ouellet. 1991. Méthodologie de recherche pour les intervenants sociaux. Montréal :
Gaëtan Morin, 537 p.
Mercier, Céline. 1996. « Les femmes ». Sans domicile fixe, sous la direction de Louise Fournier et Céline
Mercier, p. 215-246, Montréal : Méridien.
Mercier, Céline, et Guylaine Racine. 1991. Évaluation d'un programme de suivi communautaire pour femmes
itinérantes. Verdun : Unité de recherche psychosociale, Centre de recherche de l'Hôpital Douglas.
Mercier, Céline, Louise Founier et Guylaine Racine. 1994. « L'itinérance ». Traité des problèmes sociaux, sous la
direction de Femand Dumond, Simon Langlois et Yves Martin, p. 739-764, Québec: Institut québécois de
recherche sur la culture.
Mercier, Lucie. 1995. « La pauvreté: phénomène complexe et multidimensionnel ». Service social, vol. 44, no. 3,
p. 7-27.
Mothé, Daniel. 1994. « Critique des utopies du temps libre ». Cohésion sociale et emploi, sous la direction de
Bernard Eme et Jean-Louis Laville, p. 85-112. Paris : Desclée de Brouwer.
Noraz, Christel-Anne. 1996. « Processus et stratégies d'insertion dans un projet communautaire : le cas de la
cuisine collective Hochelaga-Maisonneuve ». Cahiers du CRISE, collection thèses et mémoire, vol. 1995, no 3.
Ouellette, Françoise-Romaine. 1989. Femmes sans toit ni voix : Problématique des femmes dites sans -abri ou
itinérantes. Québec : Conseil du statut de la femme.
Paugam, Serge. 1991. La disqualification sociale : essai sur la nouvelle pauvreté. 2 ième édition revue et corrigée,
collection « Sociologies », Paris : Presses universitaires de France, 254 p.
Paugam, Serge. 1996. « Pauvreté et exclusion : la force des contrastes nationaux ». L'exclusion: l'état des
savoirs, p. 389-404, sous la direction de Serge Paugam, Paris : La découverte.
Mario Poirier, 2000. « Le leitmotiv de l’itinérant », L’errance urbaine, publié sous la direction de Danielle Laberge,
Ste-Foy, Éditions MultiMondes,
Prud'homme, Pierre (dir.publ.). 1995. Le Chic Resto Pop. Montréal : Fides. 168 p.
Racine, Guylaine. 1990. « Les femmes sans abri : Des concepts à réviser ». Intervention, no 87 p. 56-64.
Robichaud, Jean-Bernard, et autres. 1994. Les liens entre la pauvreté et la santé mentale : De l'exclusion à
l'équité. Boucherville : Gaétan Morin Éditeur, 247 p.
Roy, Shirley. 1988. Seuls dans la rue. Portraits d'homme! clochards . Montréal: Saint-Martin.
Roy, Shirley. 1995. « L'itinérance : forme exemplaire d'exclusion sociale ». Lien social et politique, RIAC, no. 34,
p. 73-79.
Roy, Shirley, et Lorraine Duchesne. 2000. « Solitude et isolement: image forte de l'itinérance », L'errance
urbaine, sous la direction de Danielle Laberge, Ste-Foy, Éditions MultiMondes.
110

Rozier, Marielle, Shirley Roy et Pierre Langlois. 1996. « Les centres de jour: une réponse communautaire à
l’itinérance ». Rapport de recherche du Collectif de recherche sur l'itinérance, Les cahiers de recherche du CRI,
no. 2, Département de sociologie, Montréal : UQAM.
Shragge, Eric. 1997. « La pauvreté aux Etats-Unis ». Relations, mai 1997, p. 113-116.
Simard, Pierre. 1990. Le clochard de Montréal : une histoire à coucher dehors. Montréal: St-Martin, 176 p.
Snow, David, et Leon Anderson. 1993. Down on Their Luck : A Study of homeless street people, Berkeley :
California, University of California Press, 391 p.
Spradley, James. 1980. Participant observation. New York : Holt, Rinehart et Winston, 195 p.
Stoner, Madeleine, R. 1989. Inventing a Non-homeless future : A Public policy agenda for Preventing
homelessness. Collection « Arnerican University Studies Series XI, Antropology and Sociology », vol. 29, New
York : P. Lang, 387 p.
Taboada Leonetti, Isabel. 1994. « lntégration et exclusion ». La lutte des places : insertion et désinsertion, sous
la direction de Vincent de Gaulejac et Isabel Taboada Leonetti, p. 51-78, Paris, Desclée de Brouwer.
Thomas, Hélène. 1997. La production des exclus. Collection « Sociologie d'aujourd'hu », Paris: Presses
Universitaires de France, 215 p.
Tremblay, Pierre-André, et Juan-Luis Klein. 1997. « De l'appauvrissement des lieux à la reconstruction des
communautés ». Cahiers de recherche sociologique, no 29, p. 103-117.
Xiberras, Martine. 1994. Les théories de l'exclusion. Collection « Sociologies au quotidien », Paris : Méridiens
Klincksieck, 204 p.
111

Témoignage
Pseudonyme : René
Âge : 20 ans
Lieu de naissance : St-Gabriel-de-Brandon
Rencontre : Montréal, novembre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Tout semble bien aller dans la vie de René
jusqu’à l’âge de neuf ans; son père meurt alors
dans un accident de voiture. Entre le sport qu’il
adore et la délinquance qui l’attire, il choisit
cette dernière.
À 13 ans, il subit une agression sexuelle. De 15
à 17 ans, on le place en centre d’accueil. À sa
sortie, à 18 ans, il touche enfin l’héritage de son
père, qu’il flambe en un mois et demi. Il dit en
retirer une expérience de vie, l’apprentissage
par « gaffes ».
Les événements s’enchaînent; prison à 18 ans,
mort de son meilleur ami dans un accident,
prison à 19 ans. Il a passé la dernière année et
demie, sans domicile fixe, dans les Laurentides,
fréquentant plusieurs ressources de la région.
Il est maintenant sans domicile fixe à Montréal.
112

ANNEXE
POUR LA SUITE DE LA RECHERCHE
À la lumière des éléments recueillis sur le terrain auprès des intervenants, deux pistes
importantes et prioritaires de recherche-action semblent se dessiner. Exprimées sous forme de
projets, ces pistes sont les suivantes :
PROJET DE RECHERCHE-ACTION
PROJET PILOTE D’INTERVENTION PRÉVENTIVE AVEC DES PERSONNES ET DES FAMILLES ENGAGÉES
DANS UN PROCESSUS DE DÉSINSERTION SOCIALE
Lieu
?? Sur un territoire rural de CLSC de la région des Laurentides (la pertinence de ce type de
projet a été soulignée par beaucoup d’intervenants des territoires de CLSC du nord des
Laurentides).
Durée
?? Un an.
Objectifs généraux
?? Avec l’aide des intervenants du CLSC (adultes, jeunes, soins à domicile, santé mentale,
pauvreté…) et des intervenants communautaires intéressés à participer à la recherche) :
Amorcer une réflexion-formation sur le processus de désinsertion et ses phases, sur l’aide
qui pourrait être apportée aux personnes et familles engagées dans le processus et sur le
cadre éthique dans lequel amorcer un tel projet;
mettre au point un protocole d’évaluation des situations et des modalités d’intervention;
procéder à une expérimentation de l’application du protocole;
procéder à une évaluation sommative et formative de cette application auprès des
intervenants et des personnes ayant bénéficié des interventions (rétroaction des résultats
sur les protocoles mis en place);
réfléchir à l’avenir possible d’un tel projet (rayonnement, poursuite, élargissement).
113

Ressources nécessaires
?? Agent(e) de liaison pour le projet.
?? Équipe de recherche externe.
?? Collaboration du maximum des intervenants du territoire.
?? Ressources cléricales.
114

PROJET DE RECHERCHE-ACTION
DANS LES LAURENTIDES, LES JEUNES ITINÉRANTS SANS DOMICILE FIXE OU À RISQUE DE LE DEVENIR :
MIEUX COMPRENDRE POUR MIEUX AGIR
Ce projet se situe dans la foulée de la recherche menée en 2002-2003 par Développement des
Ressources Humaines Canada (DRHC dans le cadre du programme IPAC, Initiatives de
Partenariat en Action Communautaires), la Régie Régionale de la santé et des services sociaux
des Laurentides (et le CLSC des Trois Vallées) sur la situation de l’itinérance et des personnes
sans domicile fixe des Laurentides.
Lors de cette recherche, la question particulière des jeunes a été soulevée par tous les
intervenants rencontrés. Plusieurs des objectifs de recherche présentés ici, ont été soulignés à
cette occasion. Ce qui est proposé ci-dessous s’inscrit donc dans cette foulée, à l’aide des
informations recueillies et des contacts établis.
Objectifs
?? Mieux connaître les particularités des parcours des jeunes dans le processus de désinsertion
sociale et les éléments associés (dynamiques familiales, décrochage scolaire, employabilité,
usage de drogues, criminalité, ruptures institutionnelles, choix de vie, choix de valeurs,
images de soi, vie de couple, débrouillardise...).
?? Mieux connaître les ressources nécessaires à une intervention respectueuse, efficace et
complète auprès des jeunes.
Cette recherche-action serait menée auprès des jeunes qui vivent l’exclusion ou sont à risque de
la vivre. Cette recherche serait menée avec la collaboration des organismes locaux et régionaux
impliqués auprès des jeunes (travailleurs de rue, cafés, ressources d’hébergement, ressources
d’insertion/réinsertion, ressources en emploi et employabilité, centres de thérapie, centres
jeunesse…). Après avoir identifié plusieurs groupes de jeunes (dont, dans la mesure du possible,
des groupes pas nécessairement en lien avec les ressources : squatteurs, par exemple) des
entrevues individuelles et de groupes seraient organisées pour tenter de répondre aux questions.
L’équipe de recherche ferait rapport aux groupes et aux individus sur les éléments de réponse
recueillis. Ensuite l’équipe tenterait de pousser la réflexion avec les groupes et les individus. Elle
tenterait également d’amorcer, si possible, des processus d’insertion-réinsertion avec les jeunes,
une prise en charge, une implication de la collectivité ou des collectivités de jeunes de la région
face à la situation… dans leurs divers milieux.
115

Témoignage
Pseudonyme : Étienne
Âge : 20 ans
Lieu de naissance : Montréal
Rencontre : Montréal, octobre 2002
Fragments de vie
Les choses vont vite pour Étienne; à deux ans, son
père se suicide; à sept ans il est placé par la DPJ
en famille d’accueil; à 12 ans, c’est le centre
jeunesse; à 15 ans, il est à la rue. Heureusement
ou malheureusement, il est repris.
À 16 ans et demi, il se retrouve en centre d’accueil
dans les Laurentides. Puis à 17 ans, dans la rue à
St-Sauveur. S’ensuivent des emplois à gauche et
à droite, quelques cours, la traversée du Canada,
d’un refuge à l’autre.
Il dit souffrir de l’étiquette « itinérant », il parle de la
difficulté de rester anonyme. Il a l’impression que
souvent on se débarrasse de lui.
116

Témoignage
Pseudonyme : Gaston
Âge : 52 ans
Lieu de naissance : France
Rencontre : St-Jérôme, maison d’hébergement
d’urgence, août 2002
FRAGMENTS DE VIE
La fin des années 1960 est difficile pour Gaston en
France (vie professionnelle précaire, querelles
familiales, les évènements de mai 1968). Il se
marie en 1973 et arrive en 1974 au Canada. Une
fillette naît en 1975.
Il poursuit son évolution professionnelle au
Québec jusqu’en 1996, mais cette période est
marquée de nombreuses ruptures : décès de sa
mère en 1980, perte d’emploi en 1982, décès de
son père en 1985, une séparation, un second
mariage… L’alcool prend de plus en plus de place
dans sa vie. Puis c’est la faillite en 1996 et le
retour en France. Une seconde fille voit le jour en
1997. Retour au Québec en 1999. Sa vie
professionnelle va bien. Il marie sa première fille
en 2001.
Gaston ne nous a pas raconté ce qui est arrivé
depuis. Nous l’avons retrouvé en septembre 2002
dans une ressource d’hébergement temporaire. Il
ne semblait pas savoir où il se retrouverait au
début du mois suivant.
117

Témoignage
Pseudonyme : Michel
Âge : 25 ans
Lieu de naissance : ?
Rencontre : octobre 2002
FRAGMENTS DE VIE
Michel parle peu de son enfance sinon pour nous
mentionner la présence de criminalité et de
violence dans son milieu familial.
À 14 ans, il est déjà sans domicile fixe; il fugue, va
vivre chez des amis, se retrouve même en Alberta.
De retour au Québec, sa famille lui pose un
ultimatum qu’il refuse : il choisit la rue plutôt que le
centre d’accueil.
De 17 à 21 ans, il erre en région (Bellefeuille, St-
Jérôme, Joliette, Ste-Adèle…); il vagabonde aussi
partout au Québec puis jusque dans l’Ouest
Canadien : petit séjour en prison au passage.
Depuis quatre ans, il habite un village du nord des
Laurentides. Il dit avoir eu beaucoup de difficultés
à se procurer de nouveaux papiers. Il se sent plus
stable depuis qu’il s’est fait une copine et qu’il a eu
un enfant même si cette aventure s’est terminée
par une séparation. Il revoit son fils, travaille un
peu à gauche et à droite...
118

Trigone Animation
119