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Le journal intime : du réel au fictif, de la lecture à l’écriture

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organes surexcités, guettant celui que je sentais près <strong>de</strong> moi. Certes, il était l<strong>à</strong>. Mais où ? Que<br />

faisait-il ? Comment l'atteindre ?<br />

En face <strong>de</strong> moi, mon lit, un vieux lit <strong>de</strong> chêne <strong>à</strong> colonnes. À droite ma cheminée. À g<strong>au</strong>che<br />

ma porte que j'avais fermée avec soin. Derrière moi une très gran<strong>de</strong> armoire <strong>à</strong> g<strong>la</strong>ce qui me servait<br />

chaque jour pour me raser, pour m'habiller, où j'avais coutume <strong>de</strong> me regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> <strong>la</strong> tête <strong>au</strong>x<br />

pieds chaque fois que je passais <strong>de</strong>vant.<br />

Donc je faisais semb<strong>la</strong>nt <strong>de</strong> lire, pour le tromper, car il m'épiait lui <strong>au</strong>ssi ; et soudain je<br />

sentis, je fus certain qu'il lisait par-<strong>de</strong>ssus mon ép<strong>au</strong>le, qu'il était l<strong>à</strong>, frô<strong>la</strong>nt mon oreille.<br />

Je me dressai, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien !... On y voyait comme<br />

en plein jour... et je ne me vis pas dans ma g<strong>la</strong>ce! Elle était vi<strong>de</strong>, c<strong>la</strong>ire, pleine <strong>de</strong> lumière. Mon<br />

image n'était pas <strong>de</strong>dans... Et j'étais en face... Je voyais le grand verre, limpi<strong>de</strong> <strong>du</strong> h<strong>au</strong>t en bas ! Et<br />

je regardais ce<strong>la</strong> avec <strong>de</strong>s yeux affolés, et je n'osais plus avancer, sentant bien qu'il se trouvait<br />

entre nous, lui, et qu'il m'échapperait encore, mais que son corps imperceptible avait absorbé<br />

mon reflet.<br />

Comme j'eus peur ! Puis voil<strong>à</strong> que tout <strong>à</strong> coup je commençai <strong>à</strong> m'apercevoir dans une<br />

brume <strong>au</strong> fond <strong>du</strong> miroir, dans une brume comme <strong>à</strong> travers une nappe d'e<strong>au</strong> ; et il me semb<strong>la</strong>it<br />

que cette e<strong>au</strong> glissait <strong>de</strong> g<strong>au</strong>che <strong>à</strong> droite, lentement, rendant plus précise mon image <strong>de</strong> secon<strong>de</strong><br />

en secon<strong>de</strong>. C'était comme <strong>la</strong> fin d'une éclipse. Ce qui me cachait ne paraissait point possé<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />

contours nettement arrêtés, mais une sorte <strong>de</strong> transparence opaque s'éc<strong>la</strong>ircissant peu <strong>à</strong> peu.<br />

Je pus enfin me distinguer complètement ainsi que je fais chaque jour en me regardant.<br />

Je l'avais vu. L'épouvante m'en est restée qui me fait encore frissonner.<br />

Guy <strong>de</strong> M<strong>au</strong>passant, <strong>Le</strong> Hor<strong>la</strong> (1 ère version), 1886

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