Le journal intime : du réel au fictif, de la lecture à l’écriture
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— Il était <strong>de</strong> vos amis?<br />
— Oui.<br />
— Je vous écoute.<br />
38<br />
L'absurdité <strong>de</strong> ma situation me s<strong>au</strong>ta <strong>au</strong>x yeux. Qu'al<strong>la</strong>is-je dire <strong>à</strong> Parodi'? Je ne savais rien<br />
d'Elio. Absolument rien. Sa détresse m'avait bouleversé et, si brève qu'eût été notre rencontre, je<br />
l'avais aimé. Mais <strong>au</strong>x yeux <strong>de</strong> <strong>la</strong> société, cette connivence était dépourvue <strong>de</strong> signification. Ce<br />
passant, dont je venais d'affirmer, dans un consentement <strong>de</strong> toute mon âme, qu'il avait été mon<br />
ami, pouvais-je avouer que j'ignorais son nom, son métier, son domicile ?<br />
Je pris le parti désespéré <strong>de</strong> dire simplement <strong>la</strong> vérité.<br />
— Je l'ai rencontré avant-hier soir pour <strong>la</strong> première fois.<br />
<strong>Le</strong> commissaire ne manifesta pas <strong>la</strong> moindre surprise.<br />
Texte 26<br />
Charles Bertin, Journal d’un crime, 1961<br />
Charles Bertin, extrait <strong>de</strong> Journal d’un crime<br />
J'ai relu tout ce cahier.<br />
Même jour.[24 septembre]<br />
Pourquoi l'ai-je acheté avant-hier, en rentrant <strong>de</strong> <strong>la</strong> Préfecture, dans une papeterie <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
rue Henri-Martin ? Pourquoi, chaque jour, viens-je y noter ces pensées, ces questions qui ne<br />
reçoivent pas <strong>de</strong> réponse? Pourquoi cette sensation d'attente, cette angoisse <strong>de</strong>vant un<br />
événement inconnu, ce pressentiment d'une présence invisible?<br />
N'était-il pas assez be<strong>au</strong> <strong>de</strong> n'être rien, <strong>de</strong> le savoir, et <strong>de</strong> n'en pas souffrir?<br />
[…]<br />
17 novembre.<br />
Je ne suis guère capable d'écrire <strong>au</strong>jourd'hui. J'en éprouve une vague tristesse, et comme<br />
le sentiment d'un <strong>de</strong>voir inaccompli.<br />
Quand je suis sur cette pente, c'est toujours l'image <strong>de</strong> mon père qui s'impose <strong>à</strong> moi. J'ai<br />
peu parlé <strong>de</strong> lui dans ce cahier. Pourtant, sans son exemple, je ne l'<strong>au</strong>rais sans doute jamais écrit.<br />
Je gar<strong>de</strong> le souvenir d'un homme grand, maigre, portant lorgnon, et sanglé, hiver comme<br />
été, dans une longue redingote noire qui lui donnait l'aspect d'un échassier solennel et<br />
prophétique. Il me traitait avec une extrême générosité, mais sans tendresse, apportant <strong>au</strong>x soins<br />
<strong>de</strong> mon é<strong>du</strong>cation, <strong>la</strong> même attention scrupuleuse et détachée qu'il eût accordée <strong>à</strong> <strong>la</strong> conclusion<br />
d'une affaire. Un jour que j'avais contrefait sa signature sur un bulletin <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sse, il me corrigea<br />
avec une terrible sévérité, mais l'idée lui vint rarement <strong>de</strong> m'interroger sur mes progrès.<br />
Il vivait avec ma mère sur le pied d'une intimité pudique, qui paraissait mystérieuse <strong>à</strong><br />
l'enfant que j'étais. Après tant d'années, je me souviens encore <strong>de</strong>s soirs dans notre salon <strong>de</strong> Bray-