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<strong>El</strong> <strong>Watan</strong> - Jeudi 21 mars 2013 - 15<br />
PORTRAIT<br />
AKNOUCHE HAMDANE . 79 ans, ancien moudjahid, ancien membre des Scouts musulmans algériens<br />
La colère d’un vétéran de la guerre et du scoutisme<br />
«Tout peuple sans mémoire est un peuple<br />
perdu»<br />
Raspail<br />
Par Hamid Tahri<br />
L’homme qui nous fait face est en colère<br />
en cette matinée du 19 mars, journée<br />
ordinaire. Invité à nous parler de cette<br />
date marquante de l’histoire contemporaine<br />
de l’Algérie, l’homme esquisse<br />
une moue. «Le 19 mars, ou ce qu’il en reste, est<br />
censé célébrer la victoire de la Révolution. C’est<br />
la réappropriation de notre souveraineté, de notre<br />
identité, de notre âme. J’ai l’impression que ce<br />
moment exceptionnel a été occulté, voire confisqué<br />
dès lors que rien n’indique que c’est ce jour-là,<br />
à l’orée du printemps 1962, qu’une nouvelle ère<br />
s’ouvrait pour l’Algérie après tant de sacrifices,<br />
de drames, de sang et de larmes. On n’a pas voulu<br />
donner de l’importance à cette lueur qui a jailli<br />
après tant d’années ténébreuses. Et lorsqu’on veut<br />
bien en parler, on passe à côté du sujet en déformant<br />
les faits, en donnant souvent la parole à des gens<br />
qui n’ont été ni témoins, encore moins acteurs des<br />
événements», raconte Hamdane, qui ajoute : «Je<br />
vais vous raconter une anecdote à propos de la maison<br />
où se sont réunis les ‘‘six’’ à la Pointe Pescade et<br />
qui appartient à Mourad Boukchoura, qui était mon<br />
chef scout. Je ne sais pourquoi cette demeure, qui<br />
devait été préservée et érigée en musée, a subi de<br />
substantielles transformations qui l’ont dénaturée.<br />
Un jour, en visite sur les lieux avec Rabah Bitat,<br />
je lui ai fait part de mon inquiétude à ce sujet. Il<br />
m’avait rassuré, mais rien n’a été entrepris depuis.<br />
Tout compte fait, j’en déduis qu’on veut effacer les<br />
traces de l’histoire et étouffer le 1 er Novembre.»<br />
ENGAGEMENT PRÉCOCE<br />
Cet octogénaire à la silhouette frêle mais pleine<br />
d’élégance, n’a pas le goût de l’emphase et nous<br />
livre un discours rempli de phrases qui crépitent.<br />
Il raconte doucement son parcours, son expérience<br />
lorsqu’il était dans la fournée des fondateurs du<br />
mouvement scout algérien, et son engagement<br />
dans l’ALN dans la Wilaya V. Ni artifice ni<br />
prose, et lorsqu’on tente de l’interrompre, il nous<br />
rassure : «J’y arrive, ne soyez pas impatients.»<br />
Aknouche Hamdane est né le 22 mai 1934, à Alger.<br />
A l’âge de 2 ans, il perd son père M’hamed, torréfacteur<br />
à La Casbah. Cette absence paternelle le<br />
marquera à jamais. Il grandira à Saint-Eugène, où<br />
sa mère est rappelée à Dieu en 1954. C’est dans ce<br />
quartier huppé de la capitale que Hamdane fera ses<br />
classes jusqu’à l’obtention du certificat d’études.<br />
Jeune, il assiste à la création du groupe scout <strong>El</strong><br />
Widad de Bologhine en 1944, qui célèbre ces joursci<br />
son anniversaire. «On n’avait pas de siège. C’est<br />
M’hamed Sahnoun, un enseignant qui nous prêtait<br />
son local pour nos activités, en nous prévenant de<br />
remettre les tables à leur place.» Hamdane, qui<br />
nous embarque dans l’histoire du militantisme algérien,<br />
nous conte avec délice le scoutisme et la lutte<br />
armée qui sont allés bras dessus bras dessous dans<br />
une longue traversée qui a marqué les esprits.<br />
Pour Hamdane, visiblement irrité, «le souci du pas-<br />
● Quand la mémoire va chercher<br />
du bois mort, elle ne doit pas<br />
ramener que le fagot qui lui plaît.<br />
sé ne semble pas être la préoccupation du moment<br />
des décideurs, sinon comment expliquer le silence<br />
coupable et la désinformation de l’histoire qu’on<br />
constate tous les jours ?», tonne-t-il.<br />
Hamdane parle avec dépit des temps actuels caractérisés<br />
par une course effrénée vers les choses matérielles,<br />
qui privilégient l’accessoire à l’essentiel,<br />
l’instantané au temporel où la pudeur, le don de soi<br />
et la solidarité semblent des valeurs bien désuètes.<br />
Le groupe <strong>El</strong> Widad des SMA de Saint-Eugène<br />
n’a pas démérité durant toute son existence grâce<br />
à des hommes de conviction et d’honneur comme<br />
Aknouche Mohamed Nacer-Eddine, Bensalem<br />
Mohamed, Bertouche Abdelwahab, Guerroumi<br />
Mohamed, Lamali Djaffar, Saâda Abderrahmane,<br />
Tadjer Ali et votre interlocuteur qui, par leur engagement<br />
ont modestement contribué au mouvement<br />
nationaliste. L’objectif du groupe à sa création était<br />
de prendre en charge la jeunesse de Bologhine en<br />
vue de lui prodiguer une éducation dans tous les<br />
domaines, civique, religieux, patriotique, moral et<br />
social. Les membres des SMA dans leur majorité<br />
ont répondu à l’appel de la patrie. De nombreux<br />
chefs scouts de ce groupe sont tombés au champ<br />
d’honneur, comme Mohamed Drareni, Youcef<br />
Lamine, Zrourou Athmane, Youssef Damardji,<br />
Nouredine Rebah, Mustapha Sifi et tant d’autres<br />
qui ont sacrifié leur vie pour la cause nationale.<br />
LE SCOUTISME, UNE ÉCOLE<br />
L’origine des scouts musulmans algériens remonte<br />
aux années 1930, lorsque fut créée une section de<br />
scouts à Miliana, dénommée Ibn Khaldoun. Peu<br />
de temps après, une deuxième section fut créée,<br />
en 1935, par Mohamed Bouras sous le nom de Al<br />
Falah. <strong>El</strong>le obtint l’agrément officiel en juin 1936,<br />
à la suite de quoi les sections de scouts s’étendirent<br />
aux autres villes du pays. Ainsi apparurent les sec-<br />
PHOTO : H.LYÈS<br />
tions Al Raja et Al Sabah à Constantine (1936), la<br />
section Al Igbal à Blida (1936), la section Al Qotb<br />
à Alger (1937), la section Al Hayat à Sétif (1938),<br />
la section Al Hilal à Tizi Ouzou (1938), la section<br />
Al Raja à Batna, et enfin la section Al Noujoum à<br />
Guelma (1938).<br />
Devant l’accroissement des sections de scouts,<br />
Mohamed Bouras pensa à la création de la Ligue<br />
des scouts musulmans algériens qui obtint l’agrément<br />
du gouvernement du Front populaire. Le<br />
congrès constitutif eut lieu à <strong>El</strong> Harrach, du côté<br />
de la Prise d’eau, sous la présidence d’honneur<br />
de Cheikh Abdelhamid Ben Badis. Les activités<br />
du mouvement scout et les sections se multiplient<br />
à travers le pays, suscitant un intérêt après avoir<br />
obtenu le patronage des oulémas réformistes qui<br />
supervisaient les rassemblements de scouts dans les<br />
différents villes d’Algérie. Ibn Badis à Constantine,<br />
Tayeb <strong>El</strong> Okbi à Alger, et Bachir <strong>El</strong> Ibrahimi à<br />
Tlemcen. Le mouvement se transforma en véritable<br />
école de nationalisme pour inculquer aux jeunes les<br />
idées nationalistes, c’est pourquoi les Scouts musulmans<br />
ont constitué un véritable réservoir d’hommes<br />
prêts à accomplir des actions armées. Pour revenir à<br />
Mohamed Bouras, père du scoutisme algérien, il a<br />
été fusillé le 27 mai 1941, après d’horribles tortures<br />
au polygone du Caroubier, de sinistre mémoire.<br />
Hamdane a pris part au Festival mondial de la jeunesse<br />
et des étudiants à Bucarest, en Roumanie, en<br />
1953. «Le chef de notre délégation était Mahfoud<br />
Kaddache, qui deviendra un éminent historien et<br />
Ahmed Bouguera, futur colonel de la Wilaya IV, qui<br />
avait ramené des fanions et des drapeaux algériens<br />
qu’on distribuait aux délégations étrangères.»<br />
Quelques mois après, en juillet 54, les délégués des<br />
SMA s’étaient regroupés pour partir à Damas où se<br />
tenait le premier Jamborée des scouts arabes.<br />
«Je me rappelle qu’on s’était déplacés à bord du<br />
premier bus Mercedes qui venait de rapatrier les<br />
hadjis. On a pris la route en passant par la Tunisie,<br />
la Libye et l’Egypte. Au Caire, nous avons été reçus<br />
par MM. Aït Ahmed Hocine et Khider Mohamed,<br />
fin juillet 1954. On a séjourné dans un cercle<br />
réservé aux Jeunes musulmans. C’est Ali Meghari,<br />
un gars de Palestro, qui vivait dans la capitale<br />
égyptienne en étant responsable des étudiants<br />
algériens au Caire, qui nous a fait connaître la<br />
ville : c’est cet homme qui a fait partie du groupe<br />
chargé de convoyer de l’armement par bateau vers<br />
l’Algérie quelques années plus tard. Au Caire, on a<br />
défilé avec notre drapeau en entonnant des chants<br />
patriotiques. Le porte-drapeau était Omar Lagha,<br />
les Egyptiens n’avaient aucune idée des Algériens<br />
qu’ils assimilaient aux Français. On a été reçus par<br />
Nasser qui avait prononcé un discours flatteur à<br />
l’égard de l’Algérie, soutenant que l’Egypte sera<br />
toujours aux côtés de l’Algérie combattante ! Les<br />
prémices du soulèvement étaient dans l’air ! Aït<br />
Ahmed, Khider et Ben Bella étaient présents, de<br />
même que Amimour et Cheikh Bachir Brahimi qui<br />
s’est fendu d’un discours chaleureux et galvanisateur.<br />
Je ne vous cache pas que sur le moment,<br />
je voulais intégrer une école militaire. Je l’ai fait<br />
savoir à Khider qui m’en a dissuadé, en soulignant<br />
que ma présence en Algérie serait plus utile en sensibilisant<br />
la jeunesse et en étant prêt à toute action<br />
à venir. A Damas, en août 1954, notre séjour a été<br />
des plus enrichissants à Zabadani. Le 20 du même<br />
mois, nous nous sommes recueillis sur la tombe de<br />
l’Emir Abdelkader, en présence des scouts syriens.<br />
Dans la capitale syrienne, nous avons exposé des<br />
photos des massacres du 8 Mai 1945 et des atrocités<br />
commises par l’occupant français. Je me<br />
rappelle que lors du défilé, le drapeau le plus grand<br />
déployé était le nôtre. En 1955, j’ai pris part au Festival<br />
mondial de la jeunesse et des étudiants à Varsovie<br />
en Pologne, aux côtés de Drareni, Hamdane<br />
Abdelwahab, Lagha et bien d’autres.»<br />
MARGINALISÉ<br />
De retour en Algérie, où la guerre battait son plein,<br />
Hamdane poursuit ses activités militantes et rejoint<br />
le maquis en 1957, à la Wilaya V. Il poursuivra son<br />
combat jusqu’au jour (en 1961) où il fut sérieusement<br />
blessé à la hanche et évacué à l’hôpital de la<br />
Havane, à Cuba, où il y séjournera durant 7 mois. A<br />
l’indépendance, il rentre à Alger, où il est opéré avec<br />
succès par le professeur Zemirli.<br />
En 1963, il est démobilisé et recruté à la wilaya<br />
d’Alger, où il exerce pendant 18 ans dans les<br />
services des biens de l’Etat, sans obtenir de titularisation.<br />
Il a sollicité tous les responsables pour<br />
sa régularisation, mais sans succès jusqu’en 1980,<br />
où l’effet rétroactif lui est refusé ! Aujourd’hui,<br />
Hamdane s’interroge sur la marginalisation des<br />
anciens qui ont été mis sur la touche sans aucune<br />
explication. Les SMA actuels ne le font pas rêver,<br />
car il ont été «caporalisés» depuis l’UNJA, le mouvement<br />
a été politisé et il sert beaucoup plus à des<br />
ambitions personnelles qu’à l’épanouissement<br />
des jeunes. L’homme s’interroge : «Pourquoi donc<br />
s’acharne-t-on à détruire les liens, à bloquer toute<br />
transmission à cultiver l’amnésie ?» Son rêve ?<br />
Réunir tous les anciens scouts et créer une association<br />
pour perpétuer le souvenir… H. T.<br />
htahri@elwatan. com<br />
PARCOURS<br />
■ Aknouche Hamdane Tadjedine est né le<br />
22 mai 1934 à Alger, au sein d’une famille<br />
modeste de La Casbah, où son père<br />
M’hamed était «Derras» (torréfacteur<br />
traditionnel). Orphelin de père à 2 ans,<br />
Hamdane perdra sa mère à l’âge de 20<br />
ans.<br />
Il obtiendra son certificat d’études à Saint-<br />
Eugène, où sa famille s’y était établie.<br />
Attiré par le scoutisme, à l’instar de son<br />
frère aîné Mohamed, Hamdane réjoindra<br />
le groupe Al Widad de St-Eugène, créé en<br />
1944. Hamdane prendra part au Jamborée<br />
arabe à Damas (1954), au Festival de la<br />
jeunesse en Pologne (1955) et rejoindra la<br />
Wilaya V en 1957.<br />
En 1961,il est sérieusement blessé et<br />
transféré à Cuba. A l’indépendance, il<br />
rentre à Alger où il exerce à la wilaya, tout<br />
en s’occupant des enfants de chouhada.<br />
Il n’a jamais cessé d’activer dans le<br />
scoutisme, qui reste sa première passion,<br />
à jamais.