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Propos recueillis par<br />
Hacen Ouali<br />
Dans la foulée des événements qui ont<br />
suivi l’assassinat des deux enfants à Constantine,<br />
des voix se sont élevées pour exiger<br />
l’application de la peine de mort. Quel commentaire<br />
cela vous inspire-t-il ?<br />
L’assassinat de Haroun et Brahim de<br />
Constantine est un crime abominable qui<br />
interpelle la société toute entière. Des mesures<br />
concrètes et efficaces doivent être prises par les<br />
pouvoirs publics pour protéger les personnes,<br />
notamment les enfants, contre toute forme de<br />
crime, et les coupables doivent être sanctionnés<br />
sévèrement par un procès équitable. Mais la<br />
peine de mort est-elle une solution ? Des voix<br />
s’élèvent effectivement pour demander l’application<br />
de la peine capitale dans pareil cas. Mais<br />
un militant des droits de l’homme ne doit pas<br />
réagir sous l’influence médiatique ou changer<br />
d’avis en fonction des événements, même très<br />
graves, comme l’enlèvement et l’assassinat<br />
d’enfants innocents. On ne peut pas soutenir<br />
l’abolition de la peine de mort à Genève pour<br />
plaire à l’opinion internationale et deman-<br />
der son application à Alger pour<br />
satisfaire ceux qui demandent<br />
un coupable. En kabyle, il y a un<br />
adage : «Yetcha d’wuchen yettru<br />
d’umeksa» (manger avec le loup<br />
et pleurer avec le berger, ndlr).<br />
Ces nouveaux militants des droits<br />
de l’homme doivent choisir clairement<br />
une fois pour toutes d’être<br />
pour ou contre la peine de mort<br />
dans toutes les circonstances.<br />
Vous êtes dans le camp des abolitionnistes,<br />
pourquoi et quels sont vos arguments ?<br />
Je suis pour l’abolition de la peine de mort.<br />
Et sans entrer dans des considérations philosophiques<br />
et dans le débat juridique, j’ai plusieurs<br />
raisons soutenant ma position. Le crime n’a<br />
jamais reculé dans les pays qui appliquent la<br />
peine de mort. L’application de cette peine ne<br />
laisse aucune chance à une personne condamnée<br />
à tort pour la révision de son procès,<br />
sachant que parce que les erreurs judiciaires<br />
sont possibles. Des personnes peuvent être exécutées<br />
injustement. Et enfin, dans des crimes<br />
médiatisés et sous la pression de l’opinion, les<br />
pouvoirs publics n’ont pas suffisamment de<br />
<strong>El</strong> <strong>Watan</strong> - Jeudi 21 mars 2013 - 2<br />
L’ACTUALITÉ<br />
LES KIDNAPPINGS RESSUSCITENT LE DÉBAT<br />
Faut-il appliquer<br />
la peine de mort ?<br />
Suite de la page 1 politiques du pays à «lever le gel sur de mort». Mais au-delà de ces cou- «talionnistes». Pour être dans l’air<br />
ne partie de l’opinion, choquée<br />
par ce crime abomi- U nable et sous l’effet de la colère,<br />
crie à la vengeance et exige un<br />
châtiment exemplaire : «Condamner<br />
les coupables à la peine capitale.»<br />
Dans une réaction émotive,<br />
un groupe de manifestants s’en est<br />
même pris à la justice, réclamant les<br />
accusés pour un lynchage public.<br />
Se faire justice soi-même. Surfant<br />
sur la vague et sous l’effet de la passion,<br />
des partis politiques, des juges<br />
et même des avocats s’emballent.<br />
Ils se saisissent de la question pour<br />
appeler à l’application de la loi du<br />
talion : «Œil pour œil et dent pour<br />
dent.»<br />
En première ligne de front, les partis<br />
d’obédience islamiste insistent sur<br />
«le devoir d’appliquer la peine de<br />
mort à toute personne qui ôte la vie<br />
à une autre personne». Se basant<br />
sur un argument religieux, les partis<br />
composant l’Alliance verte (MSP-<br />
Ennahda- Islah) se sont fendus d’un<br />
communiqué appelant les autorités<br />
l’application de la peine de mort<br />
pour satisfaire une revendication<br />
populaire». Pour rappel, l’Algérie,<br />
sur demande de l’ONU, a adopté un<br />
moratoire sur les exécutions depuis<br />
1993. Mais la justice continue à prononcer<br />
des condamnations à mort.<br />
Le Parti de la liberté et de la justice<br />
(PLJ), que dirige l’actuel ministre<br />
de la Communication, Mohamed<br />
Saïd, se met de la bataille et estime<br />
que «les proportions inquiétantes<br />
que prend le phénomène des enlèvements<br />
sont dues au laxisme de<br />
l’Etat avec les milieux de la drogue<br />
et la déchéance de la morale». Une<br />
analyse superficiellement moraliste<br />
d’un phénomène aussi complexe<br />
que de nombreux sociologues expliquent<br />
par «la collusion de nombreuses<br />
causes qui produisent de<br />
la violence». Le parti de Mohamed<br />
Saïd, qui estime que ce phénomène<br />
«est étranger aux mœurs et à la<br />
tradition de la société algérienne»,<br />
préconise tout simplement de «faire<br />
subir aux coupables le châtiment<br />
extrême : l’application de la peine<br />
rants politiques idéologiquement<br />
inspirés de l’explication rigoriste et<br />
parfois superficielle de la religion<br />
pour soutenir leur argument, des<br />
avocats et des juges responsables<br />
d’ONG joignent leurs voix à celles<br />
qui demandent la mise en marche<br />
du peloton d’exécution. Le président<br />
du Syndicat national des magistrats,<br />
Djamel Aïdouni, assume<br />
clairement une position en faveur de<br />
la loi du talion.<br />
En réagissant à l’assassinat des<br />
deux garçons de Constantine, il a<br />
estimé dans une déclaration faite<br />
au quotidien arabophone <strong>El</strong> Khabar<br />
que «mettre un terme aux crimes<br />
abominables qui terrorisent tous<br />
les parents, il faut appliquer la<br />
loi du talion». Ils affirment que la<br />
communauté des juges est «favorable<br />
à l’application de la peine<br />
de mort pour les crimes de sang».<br />
Sur cette lancée, le président de la<br />
Commission nationale consultative<br />
pour la promotion et la protection<br />
des droits de l’homme, Farouk<br />
Ksentini, s’adosse au camp des<br />
du temps «algérien», Me Ksentini<br />
s’est dit favorable à «couper» les<br />
têtes dans des cas exceptionnels.<br />
Mais sous d’autres cieux, l’avocat<br />
«officiel» est abolitionniste. Sur les<br />
tribunes de Genève à l’occasion des<br />
discussions au Conseil des droits<br />
de l’homme de l’ONU, il défend<br />
mordicus l’abolition de la peine<br />
capitale. De l’autre côté de la barricade,<br />
le camp des abolitionnistes<br />
préconise l’ouverture de ce débat de<br />
société dans un climat serein et démocratique.<br />
Une meilleure manière<br />
de confronter les points de vue et de<br />
les rapprocher et faire évoluer les<br />
positions. Pour eux, «le maintien de<br />
la peine de mort en Algérie n’est pas<br />
motivé par une attitude politicienne<br />
qui ne voudrait pas froisser des<br />
courants politiques à connotation<br />
religieuse», estimant que l’application<br />
de la peine de mort est «une<br />
pratique barbare. La justice ne<br />
peut pas tuer». Face à la tendance<br />
mondiale en faveur de l’abolition,<br />
la justice algérienne franchira-t-elle<br />
le pas ? H. O.<br />
MOKRANE AÏT LARBI. Avocat abolitionniste<br />
«La peine de mort n’a jamais fait reculer le crime»<br />
temps pour rechercher le vrai coupable,<br />
et la justice peut se contenter<br />
d’un coupable «idéal», ce qui peut<br />
conduire à la condamnation et à<br />
l’exécution d’un innocent. L’histoire<br />
judiciaire est pleine d’exemples. Or,<br />
dans notre pays, la justice n’est pas<br />
indépendante et à force de voir des<br />
accusés condamnés sans preuve et sur<br />
PHOTO :H. LYÈS<br />
la base de simples procès-verbaux de<br />
la police judiciaire, je suis et je reste<br />
contre la peine de mort.<br />
Si un moratoire sur les exécutions a été<br />
instauré depuis 1993 en Algérie à la demande<br />
des Nations unies, la justice continue de prononcer<br />
des peines de mort. N’est-ce pas là<br />
une contradiction ?<br />
Non, il n’y a aucune contradiction. La peine<br />
de mort est toujours en vigueur, et le rôle du<br />
juge est d’appliquer la loi. Le sort du condamné<br />
à mort, une fois la décision est définitive, ne<br />
dépend plus de la justice, car l’exécution ou<br />
la grâce sont des pouvoirs constitutionnels du<br />
président de la République, qu’il peut exercer.<br />
Il n’a de comptes à rendre en la matière qu’à sa<br />
conscience. H. O.<br />
NOUREDDINE BENISSAD.<br />
Président de la Ligue<br />
algérienne pour la défense<br />
des droits de l’homme<br />
«Le débat doit être<br />
serein»<br />
Propos recueillis par<br />
Fayçal Métaoui<br />
Un débat, vrai ou faux, apparu récemment,<br />
insiste sur le rétablissement de la peine capitale<br />
pour condamner les personnes coupables de kidnapping<br />
et d’assassinat d’enfants. Quelle analyse<br />
faites-vous par rapport à<br />
cette nouvelle situation ?<br />
Le code pénal sanctionne<br />
sévèrement déjà<br />
l’enlèvement, a fortiori<br />
lorsque ces actes sont suivis<br />
de mort. Dans ce cas-là,<br />
la peine capitale est prévue.<br />
Les gens se trompent.<br />
La peine de mort existe<br />
toujours dans le code pénal<br />
algérien. La nuance<br />
est que l’Algérie a adhéré<br />
au moratoire de l’ONU<br />
sur le gel des exécutions<br />
(l’Assemblée générale des Nations unies a adopté, le<br />
18 décembre 2007, la résolution 62/149 appelant à un<br />
moratoire mondial sur les exécutions. La résolution,<br />
adoptée à une large majorité, n’est pas juridiquement<br />
contraignante mais a un poids moral et politique<br />
important, ndlr). Nous sommes donc en situation de<br />
suspension des exécutions de la peine capitale (depuis<br />
1993 en Algérie, ndlr). Ce qui est malheureux est que<br />
nous ayons tendance à réagir à chaud. Jusqu’à preuve<br />
de contraire, l’Algérie est un Etat civil, régi par des lois<br />
civiques (Constitution, code pénal, code de procédure<br />
pénale, code civil…). Il faut travailler sur ce terrain-là<br />
et éviter de déborder sur un autre terrain qui n’est pas<br />
celui du droit positif. Force est à la loi, la justice suit<br />
son cours. Il faut attendre l’aboutissement du travail<br />
d’investigation de la police judiciaire et l’instruction.<br />
En matière criminelle, chaque cas est à part. Il y a des<br />
prédateurs sexuels et il y a des réseaux de prostitution,<br />
de drogue, de trafic d’organes et d’exploitation d’enfants.<br />
En tout cas, il faut aller vers le fond et parler de<br />
vraie politique publique sur les droits de l’enfant et sur<br />
sa protection. La première responsabilité est celle de la<br />
famille. En deuxième position, il y a la responsabilité<br />
de l’Etat. Il n’est pas normal qu’à n’importe quelle<br />
heure de la journée, les enfants soient dans la rue,<br />
en train de vendre des marchandises ou de travailler.<br />
C’est pour cela qu’il faut s’attaquer aux causes de tous<br />
ces phénomènes.<br />
Faut-il abolir la peine capitale en Algérie ?<br />
Le débat sur l’abolition de la peine de mort doit<br />
être serein. Un débat qui ne doit pas être mené dans ces<br />
conditions-là. Car il y a beaucoup de passion. Le débat<br />
doit aussi être démocratique et public. Il est important<br />
d’analyser les arguments «pour» et les arguments<br />
«contre». L’existence d’exécutions de la peine de mort<br />
dans certains pays n’a pas empêché l’augmentation de<br />
la criminalité. Par contre, l’abolition de la peine capitale<br />
dans d’autres pays n’a pas entraîné la multiplication<br />
de la criminalité. Donc il faut nuancer les choses.<br />
F. M.<br />
PHOTO : M. SALIM