Chapitre 2 L'analyse des mots en synchronie
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<strong>Chapitre</strong> 2<br />
L’analyse <strong>des</strong> <strong>mots</strong> <strong>en</strong> <strong>synchronie</strong><br />
Le fonctionnem<strong>en</strong>t synchronique de la langue est indép<strong>en</strong>dant de son histoire. Cela ti<strong>en</strong>t à la<br />
nature de la langue, qui est «un système de pures valeurs que ri<strong>en</strong> ne détermine <strong>en</strong> dehors de<br />
l’état mom<strong>en</strong>tané de ses termes» (F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Première<br />
partie, <strong>Chapitre</strong> 3, 115).<br />
Seul le système <strong>en</strong> <strong>synchronie</strong> a une réalité psychologique: le «sujet parlant» est devant un<br />
état de langue.<br />
La première chose qui frappe quand on étudie les faits de langue, c’est que pour un sujet parlant<br />
leur succession dans le temps est inexistante: il est devant un état. Aussi, le linguiste qui<br />
veut compr<strong>en</strong>dre cet état doit-il faire table rase de tout ce qui l’a produit et ignorer la diachronie.<br />
Il ne peut <strong>en</strong>trer dans la consci<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> sujets parlants qu’<strong>en</strong> supprimant le passé.<br />
L’interv<strong>en</strong>tion de l’histoire ne peut que fausser son jugem<strong>en</strong>t. (F. de Saussure, Cours de linguistique<br />
générale, Première partie, <strong>Chapitre</strong> 3, 117).<br />
La <strong>des</strong>cription synchronique se fait selon deux directions:<br />
- la première cherche à segm<strong>en</strong>ter les <strong>mots</strong> <strong>en</strong> unités minimales de s<strong>en</strong>s (morphèmes ou élém<strong>en</strong>ts).<br />
L’unité d’analyse est l’élém<strong>en</strong>t.<br />
- la deuxième cherche à dégager <strong>des</strong> types morphologiques généraux qui structur<strong>en</strong>t le<br />
lexique. L’unité d’analyse est le mot.<br />
I. L’analyse <strong>des</strong> <strong>mots</strong> <strong>en</strong> élém<strong>en</strong>ts.<br />
A. Id<strong>en</strong>tification <strong>des</strong> élém<strong>en</strong>ts.<br />
Une unité minimale significative est<br />
- «une tranche de sonorité qui est, à l’exclusion de ce qui précède et de ce qui suit, le signifiant<br />
d’un certain concept.» (F. de Saussure, Cours de linguistique générale, Deuxième partie,<br />
<strong>Chapitre</strong> 2, p. 146). Tranche de sonorité = un segm<strong>en</strong>t de la chaîne parlée (la suite <strong>des</strong> sons<br />
prononcés) ou de la chaîne écrite (la suite <strong>des</strong> lettres).<br />
- l’unité de première articulation.<br />
V. A. Martinet, Élém<strong>en</strong>ts de linguistique générale, I-8. Les langues sont doublem<strong>en</strong>t articulées, c.-à-d. qu’elles<br />
repos<strong>en</strong>t sur deux types d’unités minimales :<br />
- unités minimales de s<strong>en</strong>s (première articulation), appelés monèmes par Martinet (morphèmes dans la<br />
terminologie américaine qui s’est imposée).<br />
Ex.: ces livrets = ce (démonstratif) + s (pluriel) + livr (livre) + et (diminutif) + s (pluriel).<br />
- unités minimales dépourvues de signification, mais distinctives (= elles distingu<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre elles les unités de<br />
première articulation), appelées phonèmes (à l’oral) et graphèmes (à l’écrit).<br />
1
Chez A. Martinet, l’analyse <strong>des</strong>c<strong>en</strong>dante va de l’énoncé aux phonèmes sans passer par les «<strong>mots</strong>», unité non<br />
pertin<strong>en</strong>te chez l’auteur. Les morphèmes sont une sorte de monèmes, plus précisém<strong>en</strong>t les monèmes<br />
grammaticaux (articles, prépositions, affixes, désin<strong>en</strong>ces). Ils s’oppos<strong>en</strong>t aux lexèmes, monèmes lexicaux<br />
(radicaux, <strong>mots</strong> simples appart<strong>en</strong>ant aux classes lexicales).<br />
Les morphèmes peuv<strong>en</strong>t être id<strong>en</strong>tifiés par substitutions ou commutations<br />
paradigmatiques.<br />
Ex.<br />
- somnambule / noctambule (somn- «sommeil» et noct- «nuit»)<br />
- somnambule / somnifère (-ambule «aller, se déplacer» et -fère «qui porte, apporte»)<br />
- embarquem<strong>en</strong>t / débarquem<strong>en</strong>t (em- et dé-)<br />
- embarquem<strong>en</strong>t / emprisonnem<strong>en</strong>t (-barqu(e)- et -prison(n)-)<br />
- embarquem<strong>en</strong>t / embarquer (-em<strong>en</strong>t et -er).<br />
Classification <strong>des</strong> élém<strong>en</strong>ts:<br />
- élém<strong>en</strong>ts libres (morphèmes libres) qui exist<strong>en</strong>t comme <strong>mots</strong> simples. Ex.: prison;<br />
- élém<strong>en</strong>ts liés (morphèmes liés) c.-à-d. liés par la graphie, qui n’ont pas d’exist<strong>en</strong>ce autonome,<br />
tels somn-, dé-. Ils peuv<strong>en</strong>t être:<br />
- <strong>des</strong> élém<strong>en</strong>ts affixaux (dont le s<strong>en</strong>s est très abstrait): préfixes, suffixes, désin<strong>en</strong>ces;<br />
- <strong>des</strong> élém<strong>en</strong>ts radicaux, fonctionnant comme radical avec un ou plusieurs affixes (insomn-ie;<br />
ambul-ant / -atoire; de-ambul-er) ou <strong>en</strong> composition (somn-ambule).<br />
Les principes de l’analyse sont les suivants:<br />
- chaque élém<strong>en</strong>t doit être employé plus d’une fois avec la même forme et le même s<strong>en</strong>s. Par<br />
ex.: noc(u)- «nuire» se trouve dans nocif, nocivité, innoc<strong>en</strong>t, innocemm<strong>en</strong>t, innoc<strong>en</strong>ce, innoc<strong>en</strong>ter,<br />
innocuité; coerc- «contraindre, ret<strong>en</strong>ir» se trouve dans coercition, coercitif, incoercible.<br />
- la segm<strong>en</strong>tation du mot doit se faire <strong>en</strong> totalité: il ne doit pas y avoir de «restes» non id<strong>en</strong>tifiés;<br />
c’est la conséqu<strong>en</strong>ce de la méthode de commutations.<br />
Difficultés dans l’application de ces principes:<br />
1. L’exist<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> allomorphes (variantes graphiques ou graphiques et phonétiques à la fois<br />
<strong>des</strong> élém<strong>en</strong>ts). < allo «autre» + morphe «forme».<br />
Exemples:<br />
(1)la terminaison -i <strong>des</strong> élém<strong>en</strong>ts latins disparait devant voyelle. Ex.: somn(i)-;<br />
2
(2) l’élém<strong>en</strong>t signifiant «couper» s’écrit sec- devant a (in-séc-able, séc-ateur “outil formé de<br />
deux branches mobiles articulées autour d’un axe et maint<strong>en</strong>ues écartées par un ressort, l’une<br />
convexe et tranchante, l’autre concave qui sert de point d’appui, actionné d’une main, parfois<br />
assisté d’un vérin hydraulique ou pneumatique (viticulture), utilisé pour la taille <strong>des</strong> arbres,<br />
<strong>des</strong> arbustes, de la vigne et pour la cueillette <strong>des</strong> fleurs” TLFi); séqu- devant e (séqu-<strong>en</strong>ce);<br />
seg- devant consonne sonore (seg-m<strong>en</strong>t).<br />
(3) Les variations singulières (par exemple, «même» homéo- dans homéo-pathie et homo-<br />
dans homosexuel) peuv<strong>en</strong>t poser <strong>des</strong> problèmes de reconnaissance.<br />
2. L’id<strong>en</strong>tité sémantique est parfois difficile à fixer; par ex., faut-il reconnaître dans nation<br />
l’élém<strong>en</strong>t nat- «naissance» de nat-al, nat-if et leurs dérivés; dans république l’élém<strong>en</strong>t ré-<br />
«chose», qui est dans réel et ses dérivés?<br />
3. L’exist<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> segm<strong>en</strong>ts non id<strong>en</strong>tifiés ou qui pos<strong>en</strong>t <strong>des</strong> problèmes d’interprétation.<br />
Ex.:<br />
dé- / em- barrass(er). Barrass-?<br />
ex-/in- hib(er). Hib-?<br />
insolite (in- semble être un préf. à valeur négative comme dans le mot inhabituel, mais on ne<br />
peut pas interpréter le mot -solite)<br />
<strong>des</strong>pote (on peut reconnaître l’élém<strong>en</strong>t -pot- “puissance, force” qui existe dans pot<strong>en</strong>tat ou<br />
impot<strong>en</strong>t, mais on ne peut pas interpréter <strong>des</strong>-<br />
4. Certains élém<strong>en</strong>ts grecs et latins ne sont employés que dans un seul mot.<br />
Ex.:<br />
etymologie (l’élém<strong>en</strong>t etymo- qui a le s<strong>en</strong>s de “vrai”, parce que les sci<strong>en</strong>ces étymologiques<br />
voulai<strong>en</strong>t trouver la vérité du mot dans son origine, n’est employé que dans les <strong>mots</strong> étymon,<br />
étymologie et ses dérivés;<br />
aristocrate, aristocratie. L’élém<strong>en</strong>t -crat- qui a le s<strong>en</strong>s de “gouverner, dominer” est bi<strong>en</strong><br />
réemployé dans d’autres <strong>mots</strong> (démocrate, phallocrate, technocrate, etc.), mais le premier<br />
élém<strong>en</strong>t, aristo- “meilleur, excell<strong>en</strong>t” peut être opaque pour la plupart <strong>des</strong> locuteurs qui n’ont<br />
pas fait de grec, parce que c’est son seul emploi dans le lexique commun usuel.<br />
Conclusion:<br />
Les connaissances étymologiques jou<strong>en</strong>t un rôle important dans la compréh<strong>en</strong>sion du lexique<br />
français. L’inégalité <strong>en</strong>tre les lecteurs ne peut être comp<strong>en</strong>sée que par un <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t<br />
systématique <strong>des</strong> élém<strong>en</strong>ts.<br />
B. Les familles de <strong>mots</strong>.<br />
3
Elle groupe les <strong>mots</strong> qui ont le même radical.<br />
Ex.:<br />
-célér- «rapide»<br />
ac-célér-er<br />
ac-célér-ation<br />
célér-ité<br />
dé-célér-ation<br />
(-)ambul- «aller»<br />
ambul-ance<br />
ambul-ancier<br />
ambul-ant<br />
ambul-atoire<br />
dé-ambul-er<br />
dé-ambul-ateur<br />
dé-ambul-ation<br />
fun-ambule<br />
noc-ambule<br />
somn-ambule<br />
somn-ambul-ique<br />
somn-ambul-isme.<br />
Les familles de <strong>mots</strong> sont morpho-sémantiques et synchroniques:<br />
- morpho-sémantiques parce que le s<strong>en</strong>s de l’élém<strong>en</strong>t doit être constant. Parfois, il y a <strong>des</strong><br />
difficultés parce que le s<strong>en</strong>s n’a pas l’objectivité de la forme.<br />
Ex.<br />
(1) Dans la série suivante: pud-eur, pud-ique, pud-ibond, pud- exprime la honte qui concerne<br />
le corps ou l’affecte. Mais, dans le mot im-pud-<strong>en</strong>t, la honte concerne le comportem<strong>en</strong>t social.<br />
(2) Innoc<strong>en</strong>t est bi<strong>en</strong> plus lié sémantiquem<strong>en</strong>t à coupable qu’à nocif pour la majorité <strong>des</strong><br />
locuteurs.<br />
4
(3) Rupture est plutôt <strong>en</strong> relation sémantique et syntaxique avec rompre qu’avec éruption ou<br />
irruption.<br />
- synchroniques.<br />
Un mot démotivé sort de sa famille.<br />
Ex.: ch<strong>en</strong>-et et can-aille ne sont plus <strong>en</strong> relation avec chi<strong>en</strong>, à la différ<strong>en</strong>ce de ch<strong>en</strong>-il et canin.<br />
L’homonymie peut induire <strong>des</strong> remotivations consacrées par l’usage. Ainsi, orthopédie<br />
s’analyse <strong>en</strong> ortho- “droit, correct” et péd- “<strong>en</strong>fant” et a le s<strong>en</strong>s de “art de prév<strong>en</strong>ir et de<br />
corriger les difformités du corps chez les <strong>en</strong>fants”, puis, par ext<strong>en</strong>sion, “médecine du<br />
squelette”. Par rapprochem<strong>en</strong>t avec péd- “pied” comme dans péd-ale, péd-estre, pédi-cure), le<br />
mot a pris le s<strong>en</strong>s 3, à savoir “orthopédie <strong>des</strong> membres inférieurs”.<br />
Bibliographie.<br />
Dictionnaire Synchronique <strong>des</strong> Familles dérivationnelles de <strong>mots</strong> français, (DISFA), dirigé par C. Gruaz et R.<br />
Honvault.<br />
Il rassemble <strong>des</strong> formes synonymes, appelées «racines». Ainsi, l’<strong>en</strong>trée peut regrouper les racines -peur-<br />
(apeurer), -pouv- (épouvante), -pav- (impavide), (-)phob- (phobique, xénophobe).<br />
Il inclut <strong>des</strong> relations sémantiques dépassant l’intuition commune, justifiées par les définitions <strong>des</strong> dictionnaires<br />
de référ<strong>en</strong>ce, «le s<strong>en</strong>s exprimé par cette définition devant cont<strong>en</strong>ir un li<strong>en</strong> avec l’<strong>en</strong>trée de la famille»<br />
(Introduction). Par exemple, prison est dans la famille de pr<strong>en</strong>dre.<br />
Comme dans le Robert Brio, l’étymologie n’intervi<strong>en</strong>t <strong>en</strong> principe que pour écarter les étymologies populaires<br />
non consacrées par l’usage, dues aux homonymes <strong>en</strong>tre élém<strong>en</strong>ts.<br />
II. Le système morphologique<br />
A. Les modèles.<br />
La capacité de créer <strong>des</strong> <strong>mots</strong> est une propriété de la langue <strong>en</strong> <strong>synchronie</strong>.<br />
Les <strong>mots</strong> simples et les affixes détermin<strong>en</strong>t l’exist<strong>en</strong>ce d’un certain nombre de modèles de<br />
dérivation et de composition. Les locuteurs seront capables d’interpréter <strong>des</strong> <strong>mots</strong> inconnus<br />
conformes à ces schémas ou de construire <strong>des</strong> <strong>mots</strong> nouveaux.<br />
Ex.<br />
- un nom <strong>en</strong> -age dérivé d’un verbe désigne “action, fait de V”. Ex.: arrosage, assemblage,<br />
bavardge, etc.<br />
- un nom <strong>en</strong> -(i)té dérivé d’un adjectif désigne le caractère. Ex.: absurdité, docilité, fragilité.<br />
- un adjectif <strong>en</strong> -in (im-, il-, ir-), désigne le contraire de l’adjectif dont il dérive. Ex.: inactif,<br />
inapte, indocile.<br />
5
- un nom composé d’un verbe ou d’un nom désigne l’instrum<strong>en</strong>t ou le dispositif. Ex.: briselame,<br />
casse-noix, démonte-pneu, porte-voix, etc.<br />
J. Tournier dans Introduction <strong>des</strong>criptive à la lexicogénétique de l’anglais contemporain,<br />
parle de matrices lexicogénétiques.<br />
D. Corbin dans Morphologie dérivationnelle et structuration du lexique parle de <strong>mots</strong><br />
construits, c.-à-d. <strong>des</strong> <strong>mots</strong> qui ont une structure interne correspondant à un schéma régulier<br />
de dérivation ou de composition et leur s<strong>en</strong>s correspond à une structure.<br />
Un mot non construit est soit simple, soit complexe non construit. Par exemple, royaume n’est pas simple, mais<br />
complexe non construit (roy- + -aume qui n’est pas un élém<strong>en</strong>t du lexique. D’autres exemples: dé-ambul-er, incoerc-ible.<br />
Le terme de mot construit est aussi opposé à mot fléchi. Le premier suppose l’exist<strong>en</strong>ce de la dérivation et <strong>des</strong><br />
affixes, le deuxième l’exist<strong>en</strong>ce de la flexion et <strong>des</strong> désin<strong>en</strong>ces.<br />
La dérivation s’oppose donc à la flexion. C’est pourquoi, Corbin a proposé de remplacer l’expression<br />
morphologie dérivationnelle par morphologie constructionnelle.<br />
Les modèles productifs ont été décrits par la morphologie historique.<br />
Le terme productivité est utilisé de différ<strong>en</strong>tes manières:<br />
- elle r<strong>en</strong>voie de manière générale à l’ouverture du lexique. On utilise aussi l’expression<br />
créativité lexicale (cf. Louis Guilbert, La créativité lexicale, Larousse, 1975; La productivité<br />
lexicale, Langue française 96, 1992; La productivité morphologique <strong>en</strong> questions et<br />
expérim<strong>en</strong>tations, Langue française 140, 2003);<br />
- elle r<strong>en</strong>voie à un modèle particulier (par exemple V + age > N “action”). Dans ce cas, elle<br />
est:<br />
a) soit la quantité de <strong>mots</strong> actuellem<strong>en</strong>t produits par ce modèle (autrem<strong>en</strong>t dit sa production:<br />
on est alors sur le terrain du lexique attesté),<br />
b) soit le fait qu’il se produise toujours, par opposition aux modèles improductifs ou clos, qui<br />
ne produis<strong>en</strong>t pas ou plus dans le système contemporain (D. Corbin parle de disponibilité:<br />
Morphologie dérivationnelle et structuration du lexique, I, 42, 177).<br />
Ainsi, l’anci<strong>en</strong> français a construit <strong>des</strong> adjectifs <strong>en</strong> -age sur <strong>des</strong> noms (ombrage Adj. “obscur”<br />
de ombre; cf. G. Zink, L’anci<strong>en</strong> français, Que sais-je, 2e éd., 1990, 100); le moy<strong>en</strong> français a<br />
construit <strong>des</strong> adjectifs post-verbaux comme blême de blêmir, gauche de gauchir, mince d’un<br />
anci<strong>en</strong> verbe mincier “couper <strong>en</strong> petits morceaux”, cf. émincer (K. Nyrop, Grammaire<br />
historique du français, 2e éd., 1936, t. 3, 269).<br />
6
B. Système et norme (ou usage).<br />
La morphologie lexicale est prés<strong>en</strong>tée comme peu systématique et dominée au contraire par<br />
les caprices de l’usage et les décisions arbitraires de la norme. Cet aspect est surtout évoqué<br />
par la dérivation suffixale, comparée à la flexion; il peut aussi concerner la dérivation non<br />
affixale et la composition. Cep<strong>en</strong>dant, les irrégularités appar<strong>en</strong>tes peuv<strong>en</strong>t parfois masquer<br />
<strong>des</strong> régularités inaperçues.<br />
1. Lacunes.<br />
(1) Tous les adjectifs ne donn<strong>en</strong>t pas un nom <strong>en</strong> -(i)té:<br />
claire → clarté<br />
mais sombre → *sombreté. Raison: l’exist<strong>en</strong>ce du nom obscurité.<br />
(2) Tous les adjectifs ne donn<strong>en</strong>t pas <strong>des</strong> adverbes <strong>en</strong> -m<strong>en</strong>t.<br />
Ex. habilem<strong>en</strong>t, *fragilem<strong>en</strong>t. Raisons:<br />
- la notion de manière liée aux adverbes <strong>en</strong> -m<strong>en</strong>t exclut les adjectifs dont le s<strong>en</strong>s n’est pas<br />
compatible avec elle;<br />
- la productivité <strong>des</strong> adverbes <strong>en</strong> -m<strong>en</strong>t est contrainte aussi par <strong>des</strong> blocages morphologiques:<br />
les adjectifs <strong>en</strong> -ard ou <strong>en</strong> -ot ne donn<strong>en</strong>t pas (ou peu) d’adverbes <strong>en</strong> -m<strong>en</strong>t (cf. C. Molinier,<br />
«Sur la productivité adverbiale <strong>des</strong> adjectifs», Langue française 96, 1992).<br />
2. Formes particulières.<br />
Aux adjectifs épicènes (c.-à-.d. qui ne vari<strong>en</strong>t <strong>en</strong> g<strong>en</strong>re) <strong>en</strong> -e (étrange, fragile), correspond<strong>en</strong>t<br />
<strong>des</strong> noms:<br />
- <strong>en</strong> -été (étrangeté, habileté);<br />
- <strong>en</strong> -ité (absurdité, fragilité).<br />
Aux adjectifs <strong>en</strong> -ier correspond<strong>en</strong>t <strong>des</strong> noms <strong>en</strong>:<br />
- -eté, construit sur le féminin (grossièreté)<br />
- <strong>en</strong> -arité (régularité);<br />
Aux adjectifs <strong>en</strong> -el correspond<strong>en</strong>t <strong>des</strong> noms <strong>en</strong>:<br />
- -alité (actualité, criminalité);<br />
- -ité (éternité, perpétuité).<br />
7
Observations.<br />
1. Ces variations sont souv<strong>en</strong>t liées à l’histoire. Ainsi, les formes <strong>en</strong> -ité sont généralem<strong>en</strong>t<br />
latines (fragilitas) ou construites sur <strong>des</strong> formes d’adjectifs latins (regularis, criminalis). Les<br />
formes <strong>en</strong> -eté (étrangeté, grossièreté) ont été construites <strong>en</strong> français.<br />
2. Formes singulières: compacité, anxiété, méchanceté.<br />
La forme compacité est peut être euphonique. La forme att<strong>en</strong>due, *compactité, prés<strong>en</strong>te un<br />
groupe consonantique ct et la répétition de t. Il se s’agit pas dans ce cas d’une contrainte<br />
phonétique régulière comme l’haplologie, qui est la suppression d’un segm<strong>en</strong>t répété, et qui<br />
agit dans le cas féminin → féminité (au lieu de *fémininité). (V. D. Corbin et M. Plénat,<br />
«Note sur l’haplologie <strong>des</strong> <strong>mots</strong> construits», Langue française 96, 1992).<br />
3. S<strong>en</strong>s particuliers.<br />
Le s<strong>en</strong>s d’un mot est plus ou moins déductible de sa structure.<br />
Ainsi, les noms <strong>en</strong> -té ont le s<strong>en</strong>s “caractère Adj.”, ils reçoiv<strong>en</strong>t un complém<strong>en</strong>t <strong>en</strong> dé qui est<br />
le sujet de l’adjectif. Ex. la fragilité du verre = le caractère fragile du verre = le verre est<br />
fragile.<br />
Mais ce n’est pas le cas de La nationalité de Paul ou L’extrémité de la table, qui ne<br />
correspond<strong>en</strong>t à Paul est national et La table est extrême.<br />
D’autres exemples:<br />
- Adj. + is(er) > Vb. “r<strong>en</strong>dre Adj.”.<br />
Ex.: aiguiser, banaliser, fertiliser, fidéliser, etc.<br />
Obs. Toutes les formes de ce schéma n’ont pas ce s<strong>en</strong>s.<br />
Ex.<br />
- brutaliser qqn n’a pas le s<strong>en</strong>s “r<strong>en</strong>dre brutal”, mais “être brutal avec qqn”.<br />
- tyranniser (qqn) n’a pas le s<strong>en</strong>s “r<strong>en</strong>dre tyrannique”, mais “être tyrannique avec”.<br />
- indiffér<strong>en</strong>t n’est pas le contraire de différ<strong>en</strong>t.<br />
- Les noms <strong>en</strong> -oir dérivés de verbe désign<strong>en</strong>t <strong>des</strong> instrum<strong>en</strong>ts (comme arrosoir) ou <strong>des</strong> lieux<br />
(comme fumoir), mais un peignoir n’est ni un “peigne”, niun “salon de coiffure”, mais un<br />
“vêtem<strong>en</strong>t ample, léger que l’on <strong>en</strong>file pour protéger ses vêtem<strong>en</strong>ts, chez le coiffeur, dans un<br />
institut de beauté ou que l’on mettait autrefois lorsqu’on se coiffait”.<br />
- Les noms composés de forme V+N (lave-linge) ont la vocation à être aussi <strong>des</strong> noms<br />
d’instrum<strong>en</strong>ts. Ce n’est pas le cas de coupe-gorge (qui est un lieu).<br />
8
Les <strong>mots</strong> construits sont susceptibles d’ajouter <strong>des</strong> s<strong>en</strong>s figurés à leur s<strong>en</strong>s propre. Ex.<br />
pigeonnier “petit bâtim<strong>en</strong>t aménagé pour l’élevage <strong>des</strong> pigeons domestiques. Synon.<br />
colombier” (TLFi) → “petit appartem<strong>en</strong>t situé aux étages supérieurs”.<br />
C. Types morphologiques.<br />
Les structures productives <strong>en</strong> <strong>synchronie</strong> s’organis<strong>en</strong>t selon une série de dichotomies::<br />
1. dérivation<br />
-affixale (préfixation et suffixale)<br />
- non affixale.<br />
2. composition<br />
- composition «populaire»<br />
- composition «savante».<br />
Certaines diverg<strong>en</strong>ces intervi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t cep<strong>en</strong>dant dans la typologie, selon les critères utilisés<br />
pour définir ces classes morphologiques. Elles concern<strong>en</strong>t principalem<strong>en</strong>t le statut de la<br />
préfixation, de la composition savante et de la parasynthèse.<br />
1. Préfixation ou composition<br />
Certains préfixes sont autonomes ou séparables. Ils ont une distribution libre, correspondant à:<br />
- <strong>des</strong> prépositions:<br />
Ex. après (après-midi), avant (avant-guerre), contre (contrecoup, contre-jour), <strong>en</strong>tre (<strong>en</strong>tredeux,<br />
<strong>en</strong>trecôte, <strong>en</strong>trevoir), outre (outre-mer, outrepasser), sans (sans-faute, sans-abri), sous<br />
(sous-vêtem<strong>en</strong>t, souligner), sur (survêtem<strong>en</strong>t, surcharger).<br />
- <strong>des</strong> adverbes:<br />
Ex. bi<strong>en</strong> (bi<strong>en</strong>fait, bi<strong>en</strong>-être), mal (maladroit, malhabile), non (non-s<strong>en</strong>s), plus (plus-value),<br />
arrière (arrière-pays) et avant dans le s<strong>en</strong>s spatial (avant-garde, avant-scène) peuv<strong>en</strong>t être<br />
pris comme élém<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> locutions adverbiales <strong>en</strong> arrière, à l’arrière et <strong>en</strong> avant, à l’avant<br />
(mais arrière est un nom, et avant fonctionne aussi comme nom).<br />
C’est pourquoi, on peut classer ces noms dans la catégorie <strong>des</strong> composés.<br />
Toujours dans la catégorie de la composition, on peut classer les <strong>mots</strong> formés d’après le<br />
schéma suivant:<br />
Prép. + N.: contre-jour “éclairage tel que la lumière frappe les objets du côté opposé à la<br />
direction dans laquelle on regard” (TLFi), survêtem<strong>en</strong>t<br />
9
Prép. + Vb. (surnager)<br />
Adv. + Adj. (maladroit)<br />
ainsi que <strong>des</strong> <strong>mots</strong> «pleins», formés d’après le schéma<br />
V + N. Ex. porte-monnaie<br />
N + Adj. Ex. coffre-fort<br />
N + N. Ex. poisson-chat.<br />
Dans ce cas, la composition n’obéit plus aux règles syntaxiques. Par exemple, il n’y a pas de<br />
déterminant devant le nom, dans <strong>des</strong> composés comme contre-jour, porte-monnaie.<br />
Le rapprochem<strong>en</strong>t de la préfixation et de la composition peut être observé avec les préfixes<br />
liés, si l’on considère que celles-ci sont <strong>des</strong> équival<strong>en</strong>ts sémantiques et fonctionnels<br />
d’élém<strong>en</strong>ts adverbiaux ou prépositionnels. Ex. prévoir “voir avant”, antichar “contre les<br />
chars”, déconseiller “ne pas conseiller”, injuste “pas juste”.<br />
Observations.<br />
1. La préfixation et la composition apparaiss<strong>en</strong>t comme la cond<strong>en</strong>sation lexicale d’un<br />
syntagme; elles ont, donc, un profond caractère syntagmatique. Par cela, elles s’oppos<strong>en</strong>t à la<br />
dérivation, qui a un caractère paradigmatique, parce qu’elle décline une série de dérivés à<br />
partir d’une base commune (ex. laver, lavage, lavem<strong>en</strong>t, lavette, laveur, lavoir) et qui est<br />
comparable <strong>en</strong> cela à la flexion (déclinaison, conjugaison, variation <strong>en</strong> g<strong>en</strong>re et <strong>en</strong> nombre).<br />
2. Toutefois, l’opposition <strong>en</strong>tre la préfixation et la suffixation doit être nuancée, car<br />
l’opposition syntagmatique / paradigmatique traverse <strong>en</strong> fait la suffixation. Ainsi, les<br />
suffixations qui ne chang<strong>en</strong>t pas de catégorie grammaticale (formées avec les suffixes<br />
diminutifs, péjoratifs, collectifs, formateurs de noms de métiers, de doctrine, de cont<strong>en</strong>ant) ont<br />
égalem<strong>en</strong>t un caractère syntagmatique, le suffixé étant l’équival<strong>en</strong>t d’un syntagme.<br />
Ex. jardinet “petit jardin”, tapoter “taper légèrem<strong>en</strong>t”, feuillage “<strong>en</strong>semble <strong>des</strong> feuilles”.<br />
Ces suffixes, appelés modificateurs par J. Dubois et F. Dubois-Charlier (La dérivation<br />
suffixale <strong>en</strong> français, p. 9), se rapproch<strong>en</strong>t fonctionnellem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> préfixes.<br />
Selon A. Martinet (Élém<strong>en</strong>ts de linguistique générale, 4 e éd., 1996, 131-133), il s’agit dans ce<br />
cas d’une dérivation <strong>en</strong>doc<strong>en</strong>trique qui s’oppose à la dérivation exoc<strong>en</strong>trique, qui change la<br />
classe syntaxique. Ex. laver > lavage. Cette opposition caractérise aussi la composition qui est<br />
<strong>en</strong>doc<strong>en</strong>trique (autoroute, jeune fille) ou exoc<strong>en</strong>trique (vide-poche).<br />
La préfixation se rapproche, au contraire, de la suffixation par l’exist<strong>en</strong>ce de séries<br />
productives et par la t<strong>en</strong>dance à la soudure graphique du préfixe.<br />
3. Les séries <strong>des</strong> <strong>mots</strong> préfixés avec avant-, contre-, mal-, non- sont ouvertes. Ces<br />
prépositions et adverbes fonctionn<strong>en</strong>t donc comme <strong>des</strong> affixes. Cela justifie de traiter donc<br />
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différemm<strong>en</strong>t malvoyant (préfixé) et clairvoyant (composé). D’autres séries sont moins<br />
importantes. Ex. les séries formées avec outre- et plus-, par exemple, sont moins nombreuses.<br />
4. La soudure graphique s’accompagne dans le cas de sous de la perte du s final. Ex.<br />
souligner.<br />
5. La soudure graphique est quasi constante pour sur-, mal-, plus rare pour avant, après,<br />
arrière, sans.<br />
Ex. les préfixés <strong>en</strong> para-: parapluie, parasol, paratonnerre.<br />
et les composés <strong>en</strong> pare-: pare-brise, pare-feu, pare-soleil.<br />
2. Composition savante ou dérivation.<br />
Les élém<strong>en</strong>ts de la composition savante ont un caractère hybride: ils sont liés comme <strong>des</strong><br />
affixes et se rapproch<strong>en</strong>t <strong>des</strong> <strong>mots</strong> lexicaux ou pleins et <strong>des</strong> radicaux par leur sémantisme. Le<br />
fait qu’ils provi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t de <strong>mots</strong> grecs et latins est historique et n’a <strong>en</strong> <strong>synchronie</strong> qu’une<br />
incid<strong>en</strong>ce normative mineure.<br />
Par ex., on devrait dire cancérogène et non cancérigène, parce que la finale est <strong>en</strong> -o pour les<br />
formants grecs de première position et <strong>en</strong> -i pour les formants latins.<br />
Observations.<br />
1. Ces élém<strong>en</strong>ts se combin<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tre eux, à la différ<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> affixes et <strong>des</strong> radicaux qui sont<br />
interdép<strong>en</strong>dants.<br />
2. D’autres termes proposés pour la composition savante:<br />
- recomposition (A. Martinet, Élém<strong>en</strong>ts de linguistique générale, 1 re éd., 1967, 135). Il s’agit,<br />
selon cette source, d’une situation linguistique particulière, qui ne s’id<strong>en</strong>tifie ni avec la<br />
composition proprem<strong>en</strong>t dite, ni, de façon générale, avec la dérivation, qui suppose la<br />
combinaison d’élém<strong>en</strong>ts de statut différ<strong>en</strong>t.<br />
- confixation (M. Arrivé, F. Gadet, M. Galmiche, La grammaire d’aujourd’hui, Guide<br />
alphabétique de linguistique française, 4 e éd., 1996, 135).<br />
4. Leur place dans le mot n’est pas fixe, à la différ<strong>en</strong>ce <strong>des</strong> préfixes et <strong>des</strong> suffixes. Un même<br />
élém<strong>en</strong>t, comme anthrop(o)(e) “homme” ou phil(o)(e) “aimer”, peut se trouver à gauche ou à<br />
droite. Ex.: anthropo-phage, mis-anthrope, phil-anthrope, philo-sophe, biblio-phile, hydrophile.<br />
Mais, à partir du mom<strong>en</strong>t où un de ces élém<strong>en</strong>ts se trouve toujours à droite ou toujours à<br />
gauche et il se combine avec <strong>des</strong> <strong>mots</strong> français <strong>en</strong> formant <strong>des</strong> séries, il se rapproche d’un<br />
préfixe ou d’un suffixe.<br />
Ainsi, on a de petites séries de formations <strong>en</strong><br />
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-cide<br />
-fère<br />
-fuge<br />
-vore<br />
-crate<br />
-mane-<br />
-phage<br />
-phile<br />
-phobe<br />
-phone<br />
-phore<br />
-thèque<br />
où le premier élém<strong>en</strong>t est un mot français (ex.: cinéphile, discothèque, insecticide, insectifuge,<br />
insectivore) ou un mot français tronqué (ex.: publi(cité)-phobe, euro(pe)-phile, télé(vision)phage).<br />
5. D’autres élém<strong>en</strong>ts qui sont <strong>des</strong> équival<strong>en</strong>ts de prépositions et d’adverbes, se spécialis<strong>en</strong>t à<br />
gauche et devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>des</strong> préfixes.<br />
Ex.<br />
anti-, archi-, auto-, extra-, hyper-, hypo-, macro-, micro-, mono-, néo-, post-, pseudo-, télé-,<br />
ultra-.<br />
Il faudra donc faire la distinction <strong>en</strong>tre:<br />
- téléphone (composé savant)<br />
- télécharger, télévision, télésurveillance (qui sont <strong>des</strong> préfixés, parce que le deuxième<br />
formant est un mot français)<br />
- télécarte, télésiège, téléfilm (qui sont <strong>des</strong> composés non savants où télé- est une troncation<br />
<strong>des</strong> précéd<strong>en</strong>ts, respectivem<strong>en</strong>t téléphone, téléphérique, télévision).<br />
6. D’autres élém<strong>en</strong>ts préfixaux de ce type peuv<strong>en</strong>t apparaître par le biais de la composition et<br />
de la troncation. Ainsi, bio- dans biocarburant, bioéthique est issu de la troncation de<br />
l’adjectif biologique. On passe de noms composés de forme N + Adj. à une sorte de préfixé.<br />
Ex.: carburants biologiques > biocarburants, éthique biologique > bioéthique; à partir de<br />
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cybernétique “sci<strong>en</strong>ce du réglage de l’information (notamm<strong>en</strong>t informatisée)” se crée un<br />
préfixe cyber- (ex.: cybercafé).<br />
3. Parasynthèse, préfixation, suffixation.<br />
La parasynthèse représ<strong>en</strong>te l’adjonction simultanée d’un préfixe et d’un suffixe.<br />
Ex.:<br />
<strong>en</strong>cablure (<strong>en</strong>- + cable + -ure)<br />
empiècem<strong>en</strong>t (em-+pièce+-em<strong>en</strong>t).<br />
Observation<br />
1. En-, -ure, em-, -m<strong>en</strong>t fonctionn<strong>en</strong>t dans les exemples ci-<strong>des</strong>sus comme <strong>des</strong> morphèmes<br />
discontinus.<br />
2. Un mot peut comporter un préfixe et un suffixe sans être un parasynthétique. La préfixation<br />
et la suffixation ne sont pas simultanées dans ce cas, mais successives (quel que soit l’ordre).<br />
Ex.: décomposable < décomposer + -able.<br />
3. La notion de parasynthèse est appliquée de manière variable; elle t<strong>en</strong>d à se résorber dans la<br />
préfixation ou la suffixation simples.<br />
4. Les verbes préfixés <strong>en</strong> a-, dé-, é-, <strong>en</strong>-, ou ra- (r(e)+ a), r<strong>en</strong>- (r(e) + <strong>en</strong>) à base nominale ou<br />
adjectivale sont traditionnellem<strong>en</strong>t rangés dans la catégorie <strong>des</strong> parasynthètiques.<br />
Ex.:<br />
- atterrir (< terre); rameuter “rallier, rassembler, regrouper les chi<strong>en</strong>s d’une meute <strong>en</strong><br />
sonnant, <strong>en</strong> criant, pour arrêter ceux qui vont trop <strong>en</strong> avant et les obliger à att<strong>en</strong>dre ceux qui<br />
suiv<strong>en</strong>t afin de les faire chasser tous <strong>en</strong>semble. Synon. ameuter” (< meute); att<strong>en</strong>drir (<<br />
t<strong>en</strong>dre); rasséréner (< serein);<br />
- détroner (< trône); déniaiser (< niais);<br />
- étriper (< tripe); émarger (< marge); éborgner (< borgne);<br />
- embarquer (< barque); <strong>en</strong>laidir (< laid); rembrunir (< brun).<br />
La terminaison verbale -er / -ir est alors rangée au nombre <strong>des</strong> suffixes formateurs de verbes<br />
sur nom et adjectif («suffixes verbaux») (v. A. Darmesteter, De la création actuelle de <strong>mots</strong><br />
nouveaux dans la langue française, chap. IX; M. Grevisse, A. Goosse, Le Bon Usage, 14 e éd.,<br />
2007, § 176).<br />
Dans ces exemples, elle se combine avec un préfixe. Cep<strong>en</strong>dant, il ne s’agit pas d’un suffixe<br />
comme les autres, mais de la désin<strong>en</strong>ce de l’infinitif, qui représ<strong>en</strong>te conv<strong>en</strong>tionnellem<strong>en</strong>t<br />
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l’<strong>en</strong>semble <strong>des</strong> désin<strong>en</strong>ces verbales. On pourrait donc dire qu’il n’y a pas de suffixation à<br />
proprem<strong>en</strong>t parler et ranger ces formations dans la préfixation (v. D. Corbin, Morphologie<br />
dérivationnelle et structuration du lexique, I, 125). Il s’agit donc d’un type de préfixation<br />
particulier, qui change de catégorie grammaticale, ce qui est un trait de la suffixation.<br />
Pour certains verbes qui dérivés de noms avec les préfixes a- et an-, une troisième solution<br />
serait de considérer ces préfixes comme <strong>des</strong> prépositions (respectivem<strong>en</strong>t à et <strong>en</strong>). Les verbes<br />
seront ainsi dérivés de syntagmes prépositionnels: <strong>en</strong> terre > <strong>en</strong>terrer, à terre > atterrir (v. M.<br />
Grevisse et A. Goosse, Le Bon Usage, 14e éd., 2007, § 168); il s’agit donc de dérivation<br />
suffixale (si l’on traite les désin<strong>en</strong>ces verbales comme <strong>des</strong> suffixes) ou non affixale (dans le<br />
cas contraire). J. Dubois et F. Dubois-Charlier parl<strong>en</strong>t dans ce cas de «verbes à préposition<br />
intégrée» (La dérivation suffixale <strong>en</strong> français, chap. 8).<br />
5. Les adjectives comportant un préfixe et un suffixe sont traditionnellem<strong>en</strong>t traités comme<br />
<strong>des</strong> préfixés si le suffixé non préfixé correspondant existe (ex.: antiv<strong>en</strong>imeux, extraterritorial,<br />
international, postopératoire, préélectoral, sous-marin), et comme parasynthétique dans le<br />
cas contraire (ex. antitussif, souterrain; *tussif, *terrain).<br />
Du point de vue sémantique, il est plus juste de les considérer comme construits directem<strong>en</strong>t<br />
sur le nom.<br />
Ex. antiv<strong>en</strong>imeux “contre le v<strong>en</strong>in”<br />
extraterritorial “hors du territoire”<br />
antitussif “contre le toux”<br />
antédiluvi<strong>en</strong> < déluge, forme liée diluv-<br />
antidérapant < déraper<br />
contre-productif < produire<br />
transgénérationnel < génération<br />
Les adjectifs <strong>en</strong> anti- connaiss<strong>en</strong>t une forme concurr<strong>en</strong>te non suffixée<br />
Ex.: antibruit (mur -)<br />
antipoux (champoing -)<br />
antiri<strong>des</strong> (crème -)<br />
antirouille (produit -)<br />
qui paraît productive (une lessive antiredéposition, les manifestations antiguerre) et qui peut<br />
doubler la forme suffixée (ex. antitoux à côté de antitussif). D. Corbin traite les deux types<br />
comme <strong>des</strong> préfixations avec changem<strong>en</strong>t de catégorie grammaticale; le suffixe qui peut<br />
apparaître est une marque formelle d’adjectivation (cf. D. Corbin, Morphologie<br />
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dérivationnelle et structuration du lexique, II, 637-660; M. Temple, Pour une sémantique <strong>des</strong><br />
<strong>mots</strong> construits, 303).<br />
Pour M. Grevisse et A. Goosse (Le Bon Usage, 14 e éd., 2007, § 168), souterrain est un dérivé<br />
suffixé du syntagme sous terre.<br />
6. Les adjectifs de forme in-V-ble sont tantôt décrits comme préfixés (si le non préfixé<br />
correspondant est usité (ex. immangeable < mangeable), tantôt comme parasynthétiques dans<br />
le cas contraire (ex. indéniable: *déniable, irresistible: *résistible). La structure est pourtant<br />
la même. On r<strong>en</strong>contre ici le problème de l’opposition <strong>en</strong>tre système et usage, et du volume<br />
d’usage: le non préfixé peut être inusité mais possible: imbattable:? battable,<br />
incontournable:? contournable. La rareté se distingue mal de l’abs<strong>en</strong>ce d’attestation,<br />
d’ailleurs impossible à affirmer. On est donc ram<strong>en</strong>é à la préfixation du point de vue formel.<br />
Du point de vue sémantique, <strong>en</strong> revanche, la définition recourt plutôt au verbe: imbattable =<br />
“qu’on ne peut pas battre”.<br />
Observation<br />
Si le verbe <strong>en</strong> in- correspondant existe, il peut s’agir d’un suffixé.<br />
Ex.<br />
invalidable =<br />
1. “qu’on ne peut pas valider” (parasynthétique) ou “non validable” (préfixé);<br />
2. “qu’on peut invalider” (suffixé) (v. D. Corbin, «La formation <strong>des</strong> <strong>mots</strong>: structures et<br />
interprétations», Lexique 10, 15).<br />
immobilisable =<br />
1. “qu’on peut immobiliser” (suffixé), prononciation [i] du préfixe;<br />
2. “qu’on ne peut pas mobiliser” (parasynthétique) ou “non mobilisable” (préfixé), avec une<br />
prononciation [ɛ] du préfixé (v. D. Apothéloz, La construction du lexique français, 56-57).<br />
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