Jean Leyris sculptures - Nîmes
Jean Leyris sculptures - Nîmes
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H Ô T E L - R I V E T<br />
J E A N L E Y R I S<br />
#20/
<strong>Jean</strong> <strong>Leyris</strong><br />
S C U L P T U R E S<br />
1
2<br />
Le bronze comme matière - la plus noble, sans doute. Et sans doute la plus<br />
exigeante. Celle qui assure la filiation de l’œuvre dans la lignée des témoignages<br />
immémoriaux.<br />
Une silhouette. Quelques fruits.<br />
Simplicité et complexités majeures, qui de l’une l’autre se nourrissent. Mais les<br />
pommes de Cézanne, aussi, peuvent paraître élémentaires…<br />
Les travaux de <strong>Jean</strong> <strong>Leyris</strong> nous retiennent par l’authenticité de leur réalité. Rien,<br />
ici, de grandiloquent. Seulement l’expression d’une réalité à laquelle l’artiste<br />
offre l’élégance d’un mouvement qui change tout, et confère à l’œuvre une toute<br />
particulière puissance.<br />
Loin des athlètes du métal qui burinent et font saillir, <strong>Jean</strong> <strong>Leyris</strong> modèle en<br />
finesse, et subtilement.<br />
La présentation de ses œuvres à l’Ecole Supérieure des Beaux-Arts de <strong>Nîmes</strong><br />
nous donne l’opportunité de rappeler combien la sculpture est essentielle au<br />
cursus des artistes qui révèlent et accroissent ici leurs dons et leurs passions.
Cette présentation des œuvres de <strong>Jean</strong> <strong>Leyris</strong> rappelle à notre mémoire le cher<br />
souvenir de Christian Delacampagne. Récemment disparu, cet ami de <strong>Nîmes</strong><br />
et de l’École était un humaniste de vaste culture, dont le regard sur les œuvres<br />
et leurs démiurges nous vaut dans ce catalogue l’ultime et inspiré texte qu’il ait<br />
écrit. Il le rédigea donc à propos de ces œuvres d’éternité qu’il a rejointes dans<br />
« l’univers des formes ». Pour mieux nous y initier.<br />
<strong>Jean</strong>-Paul FOURNIER Daniel J. VALADE<br />
Maire de <strong>Nîmes</strong> Adjoint au Maire de <strong>Nîmes</strong><br />
Président de <strong>Nîmes</strong> Métropole Délégué à la Culture<br />
Conseiller Général du Gard Président de Carré d’Art<br />
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Mettre le dessin en relief<br />
Christian Delacampagne<br />
C’est à juste titre qu’on a dit de la civilisation européenne qu’elle était une civilisation<br />
du regard. Si d’autres civilisations, en effet, ont inventé des codes pour<br />
rendre la perspective,<br />
autrement dit des règles pour présider à la représentation, sur une surface<br />
plane, de la profondeur spatiale,<br />
n’est-elle pas la seule à s’être préoccupée d’aboutir, par le moyen de ces<br />
règles, à des images exactes ?<br />
N’est-ce pas elle qui a jeté les bases de l’optique scientifique avant d’inventer,<br />
à la fin du xviiie siècle, la lithographie puis, au début du suivant, la<br />
photographie ?<br />
S’ils prouvent quelque chose, ces faits, me semble-t-il, révèlent que le regard<br />
ou, plus exactement, la fidélité du regard au réel fait l’objet d’un souci plus vif<br />
dans certaines sociétés que dans d’autres. Bref, qu’il existe une anthropologie ou<br />
une géographie du regard.<br />
Et, de la même façon, il existe une histoire du regard – presque aussi méconnue,<br />
me semble-t-il, que sa géographie car, dans notre naïveté, nous faisons la<br />
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plupart du temps comme si celui-ci n’était qu’un phénomène strictement naturel,<br />
n’obéissant qu’aux lois de la biologie.<br />
Et pourtant ! N’est-ce pas à travers une solide épaisseur de verres forgés par<br />
notre éducation, nos traditions, en un mot notre culture, que nous déchiffrons<br />
le monde qui nous entoure ?<br />
Aurions-nous déjà oublié, par exemple, combien a évolué au fil du siècle<br />
dernier le regard porté par les Européens sur l’art du paléolithique, les masques<br />
africains, les créations des fous, pour ne rien dire des peintures de Georges de<br />
La Tour ?<br />
Allons plus loin. Ce n’est pas seulement le regard des civilisations qui se<br />
transforme au fil du temps. C’est également, et plus vivement encore car leur vie<br />
est plus brève, celui des individus.<br />
Ne suffit-il pas de quelques décennies, voire d’un petit nombre d’années,<br />
pour que ma façon de contempler tel paysage, tel visage ou tel objet se modifie<br />
du tout au tout, sans même que je l’aie voulu ? Et que dire alors du regard que je<br />
puis être amené à porter sur une œuvre d’art, surtout lorsque j’en suis l’auteur ?<br />
Telle est, en bref, l’aventure survenue à <strong>Jean</strong> <strong>Leyris</strong>. Après avoir décidé, au<br />
seuil de ses trente-cinq ans, de devenir peintre et dessinateur (dessinateur autodidacte,<br />
certes, et néanmoins, tous les professionnels en conviennent, de grand<br />
talent) alors qu’il se mouvait jusque là dans une tout autre sphère, celle de la<br />
production de spectacles vivants, le voici qui, moins d’une dizaine d’années plus
tard, s’est senti submergé par une frustration croissante, tout aussi aiguë qu’inattendue.<br />
Frustré par la peinture, lui qui, dès sa jeunesse, avait tant aimé les musées ?<br />
Lui qui, depuis sa plus tendre enfance, avait connu et fréquenté Balthus ?<br />
Oui. Et, plus précisément,<br />
par la bidimensionnalité de la chose peinte.<br />
Frustré de ne pas voir les objets qu’il esquissait s’arracher à la toile, les<br />
corps reprendre leur volume, les lieux dépeints reconquérir leur profondeur.<br />
La peinture ou, du moins, sa peinture ne lui semblait plus le conduire là où<br />
il souhaitait aller.<br />
Le réel dessiné, a-t-il alors songé, n’est pas celui que je poursuis.<br />
Ce que je veux saisir, c’est le réel tactile, fait pour être caressé ou touché.<br />
La vocation première de l’œuvre, qu’elle soit posée au milieu de l’atelier<br />
ou du jardin voisin, n’est-elle pas d’accrocher la lumière ? Eh bien, cette vocation,<br />
l’œuvre ne saurait l’atteindre aussi longtemps qu’elle se réduit au plan. C’est<br />
pourquoi je dois mettre le dessin en relief.<br />
Et c’est ainsi que, peu à peu, <strong>Jean</strong> <strong>Leyris</strong> a fini par trouver – non point<br />
dans la ronde-bosse, qui suppose une vision monumentale des choses et, par<br />
conséquent, une reconstruction géométrique de l’espace – mais dans l’art plus<br />
sensuel, plus instinctif et plus intime du bas-relief,<br />
l’équilibre intérieur que son regard cherchait.<br />
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Le bas-relief, ouvrage de sculpture « en faible saillie » (basso rilievo, dit-on en italien)<br />
« sur un fond uni », ainsi que le définit le Robert, n’est pourtant pas, c’est<br />
le moins qu’on puisse dire, particulièrement à la mode en ces dernières années<br />
du xxe siècle qui sont celles où <strong>Leyris</strong> entreprend, en se sentant parfois bien<br />
seul, d’en étudier les règles.<br />
Il n’en a pas toujours été ainsi. Pratiqué dès la fin de l’ère préhistorique,<br />
que ce soit dans l’Antiquité égyptienne ou assyrienne, le monde gréco-romain<br />
ou les civilisations anciennes d’Asie méridionale (Inde, Indonésie, Cambodge)<br />
et orientale (Chine), sans même parler de certains peuples précolombiens (Aztèques,<br />
Mayas), le bas-relief n’a cessé de jouir, sous toutes ces latitudes, d’un<br />
statut à la fois central et prestigieux.<br />
C’est à lui, le plus souvent,<br />
(et je trouve d’autant moins inutile d’y revenir que ce passé est déjà bien<br />
lointain, et qu’au surplus le signaler m’aidera à mieux faire percevoir, par contraste,<br />
la singularité de <strong>Leyris</strong>),<br />
qu’en ces temps révolus les puissants du moment, que ce soit dans la sphère<br />
politique ou religieuse, confiaient le soin de traduire en images les hauts faits qui<br />
avaient révélé à la face du monde la protection divine dont ils jouissaient ou qui,<br />
à force d’être magnifiés par le récit qu’on en faisait, avaient fini par se transposer<br />
sur le plan du mythe.<br />
Et c’est encore à lui que, durant les premiers siècles du christianisme, l’Égli-
se avait donné pour mission d’instruire les foules depuis les hauts tympans des<br />
cathédrales,<br />
autrement dit d’inciter les fidèles à tourner leur regard de l’ordre de la nature<br />
vers celui de la grâce au moment même où, franchissant le seuil du sanctuaire,<br />
ils s’arrachaient au monde profane pour pénétrer dans la maison sacrée.<br />
(À cette fonction transitionnelle – entre ce monde et l’autre mais aussi,<br />
rappelons-le, entre peinture et sculpture – des bas-reliefs anciens, Malraux a<br />
consacré des pages lumineuses que plus personne ne lit, alors qu’elles devraient<br />
constituer la base de toute éducation artistique si notre époque était moins<br />
ignorante.)<br />
Ce n’est d’ailleurs pas tout. Car si l’histoire du bas-relief commence sur<br />
les rives de la Vézère, elle est loin de s’arrêter à Angkor, ou à Tenochtitlàn, ou<br />
même à Conques.<br />
Et si cet art a vu, tout au moins en Europe, son importance diminuer à partir<br />
de la Renaissance – au profit tout d’abord de modes décoratives qui réduisaient<br />
le bas-relief à un simple ornement, puis au profit d’une peinture et d’une<br />
sculpture rénovées qui aspiraient à conquérir le monde – avant de connaître, au<br />
milieu du xixe siècle, un brutal déclin, il n’a pas pour autant disparu de la scène<br />
artistique. Simplement, sa fonction, au fil du temps, s’est désacralisée.<br />
Les hauts faits (guerres, colonisation, progrès des sciences et des techniques)<br />
que célèbrent encore les parois de nombreux bâtiments de notre Troisième<br />
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République,<br />
même s’ils persistent, par habitude, à pousser la réalité du côté de la légende,<br />
ne visent plus à nous transporter dans l’univers du mythe.<br />
Ce à quoi ils aspirent serait plutôt (ou plus modestement, ce qui ne veut<br />
pas dire, bien au contraire, avec une ambition moins forte) à nous donner à<br />
vivre la poésie,<br />
fréquemment douloureuse et parfois admirable,<br />
qui, pour des générations d’hommes si proches de nous, a illuminé leur<br />
monde, leur existence de chaque jour, ce qui était pour eux leur quotidien le<br />
plus banal.<br />
Et c’est donc tout naturellement vers ce quotidien-là que <strong>Jean</strong> <strong>Leyris</strong> à son<br />
tour s’est penché lorsqu’il a cherché ses premiers sujets.<br />
Vers ce quotidien-là ou, plus exactement, vers son monde quotidien,<br />
son quotidien à lui.<br />
Car <strong>Jean</strong> a vite compris que, s’il souhaitait renouveler le genre, il ne lui fallait<br />
rien de moins, pour commencer, qu’en bouleverser de fond en comble le répertoire.<br />
Or l’affaire était loin d’être aisée. Que confier en effet à l’art du bas-relief<br />
après tant de soldats mourant dans les bras de la patrie, tant de savants prêts à
offrir leur vie pour sauver celle des autres ? Que proposer de neuf pour exister<br />
sur la scène artistique lorsqu’on a l’heur (ou le malheur) de venir non seulement<br />
après l’âge des titans et des dieux, mais également après celui des conquérants<br />
illustres et des grands inventeurs ?<br />
Des choses toutes simples, a répondu, non sans audace, <strong>Leyris</strong> :<br />
deux ou trois personnes de mon entourage,<br />
le peu d’objets qui constituent le décor de ma vie,<br />
ce que je vois dans mon jardin depuis le seuil de ma porte et, au-delà, sur<br />
les flancs de la colline opposée à celle où désormais j’habite,<br />
dans ce morceau de Haute-Provence qui m’est devenu « arrière-pays » lorsque,<br />
sans y être forcé, j’ai dit adieu au monde artificiel du spectacle parisien.<br />
Voilà en tout cas des sujets qui n’avaient guère eu droit, jusqu’alors, aux<br />
honneurs du bas-relief. C’est pourquoi, là encore, il conviendrait que nous nous<br />
arrêtions (un peu plus qu’il n’est d’usage de le faire pour un artiste contemporain,<br />
tant nous écrase le préjugé selon lequel le sujet n’aurait plus, aujourd’hui,<br />
d’importance) sur les enjeux de la démarche de <strong>Jean</strong>.<br />
Tournons-nous tout d’abord, car ils sont finalement peu nombreux, vers ceux<br />
de ses bas-reliefs qui représentent des figures humaines. On peut y reconnaître<br />
les parents de l’artiste : le traducteur Pierre <strong>Leyris</strong> (grâce auquel, adolescent, j’ai<br />
connu l’enchantement des chefs-d’œuvre de Dickens) et l’Anglaise Elizabeth<br />
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Holland (l’un des modèles préférés du jeune Balthus), quelques voisins, le marchand<br />
de journaux du coin, un nombre limité de proches.<br />
Parmi ces derniers, j’ai été singulièrement frappé par une jeune Japonaise<br />
que <strong>Leyris</strong> a par trois fois au moins modelée : vêtue, puis nue, puis à demi vêtue.<br />
Ce n’est pourtant pas d’érotisme qu’il s’agit ici. Car, si ce modèle en particulier<br />
a touché cet artiste en particulier, ce n’est pas par l’exceptionnelle beauté de son<br />
corps mais plutôt (on s’en rend compte lorsqu’on regarde les bronzes de près)<br />
par la manière que ce modèle a de se tenir et,<br />
au-delà, par ce qu’un tel maintien (la jeune femme, je le note au passage,<br />
était danseuse et catholique) révèle de gravité, de sensibilité et de pudeur, trois<br />
qualités auxquelles <strong>Leyris</strong> s’avoue profondément sensible.<br />
Comme si cette sympathie, cette entente sans paroles qu’on devine réciproque,<br />
avait ici et à elle seule joué un rôle décisif.<br />
Passons maintenant des humains aux objets. Le livre ouvert sur la table, le compotier<br />
garni de pommes, de poires, de grenades ou de coings, la chaise ou le<br />
chevalet ornant un coin de l’atelier, le miroir fixé au mur : pris en eux-mêmes,<br />
ces objets constituaient déjà, au xviie siècle, le vocabulaire de la nature morte,<br />
voire (« tête de mort » en moins) celui de la « vanité ».<br />
Je ne pense pourtant point (même si je n’ignore pas les liens qu’entretient<br />
le bas-relief avec la liturgie de ces esprits « passe-muraille » que sont les morts)<br />
qu’ils soient ici chargés d’exprimer une vision religieuse, une conception méta-
physique du monde.<br />
Ce qui, là encore, captive en eux l’artiste, ce serait plutôt le pouvoir qu’ils<br />
possèdent d’évoquer, pour lui et pour lui seul, un moment singulier du temps<br />
perdu,<br />
le souvenir d’une présence qu’on s’épuiserait en vain, croit-il, à vouloir restituer<br />
par le moyen des mots ou les ressources de la photographie.<br />
Bref, de l’intime, rien d’autre que de l’intime.<br />
Pas nécessairement de l’intime disparu mais,<br />
comme le rappelle le fait que « intimus » soit un superlatif, celui du mot<br />
latin qui veut dire « intérieur »,<br />
de l’intime lié à ce qu’il y a de plus profondément enfoui dans le cœur de<br />
chacun de nous.<br />
Et sans avoir la prétention d’achever ce trop rapide parcours, attardons-nous enfin<br />
sur les paysages. Pour remarquer, d’abord, que « paysage », dans les bronzes<br />
de <strong>Leyris</strong>, peut aussi bien s’appliquer à un coin de son atelier qu’à un fragment<br />
de ce qu’on voit par la fenêtre de celui-ci. Et pour cause :<br />
n’est-il pas évident que l’atelier communique par toutes sortes de canaux<br />
invisibles – à commencer par ce grand morceau de ciel que découpe la fenêtre<br />
et dans lequel s’inscrit la silhouette d’un figuier – avec la vaste nature environnante?<br />
Ce n’est donc pas par hasard que tel bas-relief s’intitule « Depuis l’arbre »,<br />
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tel autre « Au-dessus du village »,<br />
comme si l’arbre du premier était moins important que ce que l’on voit<br />
derrière, et le village du second, moins intéressant que ce qui le surplombe.<br />
Et il n’est pas anecdotique non plus de mentionner, à ce propos, les liens<br />
d’amitié (doublée de connivence) ayant existé entre <strong>Jean</strong> <strong>Leyris</strong> et son voisin<br />
provençal, Henri Cartier-Bresson, deux artistes aussi préoccupés l’un que l’autre<br />
par la question de la profondeur de champ – cette question qu’on appelle, quand il<br />
s’agit des Italiens de la Renaissance, la vision des lointains.<br />
Soyons clairs : ni en droit, ni en fait, le lointain n’est séparable du proche,<br />
pas plus que le là-bas ne l’est de l’ici.<br />
Inversement, du chevalet à la fenêtre, de celle-ci au figuier, de ce dernier à la<br />
cerisaie en contrebas, et de la cerisaie jusqu’aux rangées successives de collines<br />
qui moutonnent à l’horizon (qu’on regarde en direction de Gordes ou de Manosque)<br />
comme les vagues de la mer ou les versets d’un psaume, peut-on voir<br />
autre chose que ce qu’y verrait<br />
un spinoziste :<br />
des aspects en apparence divers mais néanmoins indissociables d’une seule<br />
et même réalité,<br />
de cette réalité unique qui nous fait<br />
être<br />
et nous entoure, nous spectateurs, comme elle enveloppe l’artiste,
et dont l’œuvre elle aussi n’est,<br />
à sa manière et selon ses lois propres,<br />
qu’une simple émanation ?<br />
Il y a toutefois dans cette passion qu’a <strong>Jean</strong> d’explorer les lointains une limite<br />
objective : la technique qu’il a choisie, celle, fort classique, de la fonte à la<br />
cire perdue, présuppose l’existence, derrière la coulée de bronze, d’une certaine<br />
épaisseur de plâtre ;<br />
mais comme il serait maladroit d’empiler indéfiniment les couches de plâtre<br />
les unes sur les autres, un délicat équilibre demeure à inventer entre les ambitions<br />
de la géométrie (le mince) et les contraintes de la physique (l’épais).<br />
Constat : les bas-reliefs de <strong>Jean</strong> ne dépassent pas sept ou huit centimètres<br />
d’épaisseur.<br />
S’il y a donc des sculpteurs de l’épais (Rodin, Moore) et des sculpteurs du<br />
mince (Giacometti, Calder), <strong>Leyris</strong>, malgré sa volonté d’aller (surtout dans le<br />
paysage) aussi loin que possible dans le rendu de la profondeur,<br />
n’en demeure pas moins,<br />
ami qu’il est des photographes et de la photographie,<br />
un sculpteur du mince.<br />
Et puisqu’on est en train de voir, une fois de plus, combien sont liés problèmes<br />
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16<br />
thématiques et questions techniques, je voudrais revenir sur l’idée, chère à l’artiste,<br />
selon laquelle la vocation première de l’œuvre serait<br />
de rendre hommage à la lumière,<br />
autrement dit, de l’accrocher.<br />
Cette même conviction, qui l’a naguère conduit du dessin vers le bas-relief,<br />
explique aussi l’intérêt vigilant qu’il porte à la patine.<br />
Faire patiner un bronze revient d’abord, on le sait, à introduire un échelon<br />
supplémentaire entre le créateur et sa création (le métier de patineur n’étant pas<br />
le même que celui de fondeur).<br />
Mais si <strong>Leyris</strong>, comme beaucoup de sculpteurs, finit par accepter qu’une<br />
part d’aléatoire joue, à l’intérieur de son propre travail, un rôle plus grand qu’il<br />
ne l’aurait a priori voulu<br />
(dans la mesure où le bronze patiné se révèle nécessairement autre que le<br />
bronze brut, lequel est lui-même autre que le plâtre transmis par le sculpteur<br />
au fondeur),<br />
il n’en surveille pas moins de près la phase de la patine.<br />
Légère et uniforme :<br />
telle doit être celle-ci<br />
si l’on désire, comme lui,<br />
qu’elle fasse respirer le bronze sans pour autant le recouvrir d’un coloriage.
Ce n’est pas que <strong>Leyris</strong>, précisons-le, ait de l’aversion pour la couleur,<br />
et moins encore pour la sculpture peinte,<br />
cet art pratiqué sans interruption depuis les Grecs,<br />
fort en vogue depuis la révolution pop<br />
et auquel il viendra peut-être un jour,<br />
comme l’a fait avant lui son ami Raymond Mason.<br />
C’est simplement qu’à la date d’aujourd’hui<br />
il ne veut pas prendre le risque de plonger ses bas-reliefs dans l’anecdote,<br />
voire dans la banalité, en les baignant dans la couleur : car notre monde,<br />
quoi qu’on y fasse,<br />
est saturé de couleurs jusque dans le plus humble des objets qui le composent,<br />
jusque dans le plus insignifiant de ces objets de consommation courante<br />
qu’on peut se procurer au bazar du coin,<br />
et de cet aspect-là du réel <strong>Jean</strong> <strong>Leyris</strong> ne veut pas dans son art aussi longtemps<br />
que celui-ci ambitionne d’être, à sa manière, journal intime, récit du temps<br />
qui passe, porte ouverte sur le rêve.<br />
Faire le choix de la simple patine contre celui de la couleur ne revient donc<br />
pas, de son point de vue, à refuser à jamais l’option inverse.<br />
Le pourrait-il, d’ailleurs, dans la mesure où il ne s’agit que de deux chemins<br />
voisins, incompatibles entre eux mais aussi légitimes et tentants l’un que l’autre ?<br />
Et où tout le travail de l’artiste,<br />
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18<br />
qu’il soit sculpteur ou écrivain,<br />
ne consiste en fin de compte qu’à effectuer,<br />
mais à chaque fois au bon moment (et c’est là le problème),<br />
une série de choix dont le premier (on le devine)<br />
est le plus décisif ?<br />
Mettre le dessin en relief : tel a été, il y a un quart de siècle, ce « premier choix » de<br />
<strong>Jean</strong> <strong>Leyris</strong>.<br />
Choix peu banal, je me plais à le redire, et qui le reste aussi peu aujourd’hui<br />
qu’il l’était hier – quoique le goût qu’il trahisse chez l’artiste pour la pratique de<br />
la mise en scène nous reconduise aussi, par d’autres voies, à l’une de ces techniques<br />
que notre époque a fréquemment considérées comme d’avant-garde : celle de<br />
l’installation.<br />
Mais l’installation a-t-elle jamais été, au xxe siècle, une idée neuve ? J’en<br />
doute. Et je soupçonne Vélasquez d’y avoir songé bien avant Duchamp, et notre<br />
voisin de Lascaux bien avant eux tous.<br />
Regardons par exemple les Ménines, cette superbe « machine » au fond de<br />
laquelle trône un premier miroir dans lequel se reflètent le roi et la reine, venus<br />
rendre visite à l’artiste et à leurs filles au moment où celui-là faisait le portrait de<br />
celles-ci en s’aidant d’un second miroir,<br />
second miroir que le spectateur ne peut évidemment voir dans le tableau,
pas plus qu’il n’y peut voir, des monarques, autre chose qu’un reflet,<br />
puisque ceux-ci se tenaient précisément à la place même qu’il occupe<br />
aujourd’hui, c’est-à-dire à côté de cet invisible et diabolique objet.<br />
Et si, sortant du pied-à-terre parisien de <strong>Jean</strong> par l’une de ces soirées de<br />
brume que l’hiver se plaît à étaler sur les berges de la Seine, je songe à nouveau à<br />
ces Ménines devant lesquelles j’ai si souvent rêvé lors de chacun de mes voyages à<br />
Madrid, c’est pour une raison qui, cette fois, m’apparaît clairement :<br />
parce que le miroir en question (je parle du second),<br />
je viens de le retrouver dans plusieurs de ses bas-reliefs les plus récents, pour<br />
la plupart des vues de son atelier.<br />
Comme si,<br />
après s’être efforcé de rendre la pesanteur du réel plein,<br />
et en attendant d’en venir, qui sait, à la couleur du réel peint,<br />
l’artiste venait de repartir sur une voie neuve,<br />
une voie qui ne lui permettrait plus seulement de faire sentir la profondeur<br />
des choses,<br />
mais aussi de donner,<br />
à ce matériau pourtant peu réfléchissant qu’est le bronze,<br />
l’occasion de devenir lui-même,<br />
par une sorte de tour de vis supplémentaire,<br />
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20<br />
le<br />
reflet<br />
d’un<br />
reflet.<br />
Christian Delacampagne<br />
15 avril 2007
B R O N Z E S
Cerisaie 1<br />
48 x 74 x 6 cm
Au-dessus du village<br />
85 x 60,5 x 8 cm
Depuis l’arbre<br />
97 x 75 x 12,5 cm
Cerisaie 2<br />
49 x 67 x 4 cm
Grand chemin<br />
77,5 x 60 x 12 cm
Figuier entrevu<br />
44 x 35 x 6 cm
Figuier<br />
46 x 37 x 17 cm
Grands cerisiers<br />
95 x 80 x 12 cm
Paysage provençal 1<br />
56 x 78 x 10 cm
Paysage provençal 2<br />
56 x 86 x 7 cm
Paysage provençal 3<br />
56 x 85 x 10 cm
Petit chemin<br />
47,5 x 40 x 13 cm
Tête de chien<br />
24 x 23 x 17 cm
Pierre<br />
32,5 x 29 x 22 cm
Betty<br />
33,5 x 20 x 14 cm
Demi nu assis 1<br />
34 x 24 x 22 cm
Petit nu debout<br />
45 x 14,5 x 10 cm
Japonaise demi nue<br />
57 x 19 x 21 cm
Japonaise en kimono<br />
56 x 20 x 8 cm
Petit nu allongé<br />
23 x 34,5 x 4 cm
Nu pelotonné<br />
32 x 26 x 8 cm
Nu à contre-lit<br />
41 x 31,5 11 cm
Nu au miroir<br />
39 x 40 x 8 cm
Tabouret au coing<br />
52 x 39 x 9 cm
Trio de coings<br />
56 x 37 x 6 cm
Capucines<br />
39 x28,5 x8 cm
Deux coings<br />
34 x 22 x 4 cm
Intérieur d’atelier 1<br />
57,5 x 45 x 13 cm
Deux asperges<br />
32 x 36,5 x 2,5 cm
Pommes assises<br />
35 x 32 x 6 cm
Coupe de poires<br />
39 x 34 x 4 cm
Les quatre coings<br />
47 x 34 x 6 cm
Livre à l’oignon<br />
46 x 33,5 x 9 cm
Quintette de poires<br />
31 x 34 x 7 cm
Quintette de pommes<br />
31 x 36 x 8 cm
P L AT R E S
Autoportrait au chevalet<br />
90 x 66 x 17 cm
Demi nu assis 2<br />
40 x 30 x 30 cm
Fenêtre ouverte<br />
69 x 55 x 15 cm
Intérieur d’atelier 2<br />
71 x 52x 18 cm
Le vendeur de journaux<br />
50 x 40 x 30 cm
Paysage des Grands Cléments<br />
56 x 80 x 10 cm
Pierre assis<br />
42 x 29 x 40 cm
Zaza et son chien<br />
90 x 28 x 29 cm
Paysage aux vignes<br />
70 x 50 x 8 cm
72<br />
JEAN LEYRIS<br />
Les Grands - Cléments - 84400 Villars, France<br />
Tél : (33) 04 90 75 42 41 / (33) 01 43 44 06 58<br />
Né en Angleterre en 1939.<br />
Education en Grande Bretagne jusqu’en 1964.<br />
De 1964 à 1973, travaille pour des productions cinématographiques et théâtrales à Londres et<br />
Paris.<br />
En 1973, décide de se consacrer à la peinture et depuis 1982, à la sculpture.<br />
Aujourd’hui partage son temps entre son atelier de Paris et celui de Provence.<br />
EXPOSITIONS PARTICULIERES<br />
2007 École Supérieure des Beaux Arts de <strong>Nîmes</strong><br />
2006 Golden Crust Gallery (Melbourne, Australie)<br />
2005 Musée de Ménerbes (Vaucluse)<br />
2004 Sculpture pour la Maison de la Truffe et du Vin (Ménerbes, Vaucluse)<br />
2004 Invité d’Honneur du 28 e Salon Peinture/Sculpture L’A.C.A.M. (Brecey, Normandie)<br />
2002 Galerie Guy Pieters (Belgique)<br />
1998 Galerie de la Bouquinerie de l’Institut (Paris)<br />
1992 Musée d’Art et d’Histoire de la Ville de Meudon (92)<br />
1990 Galerie <strong>Jean</strong> Peyrole (Paris)<br />
1990 Galerie «Alla botega di Arzo» (Arzo, Italie)<br />
1984 Maison de la Culture d’Apt (Vaucluse)<br />
1979 Galerie Jansen (Paris)<br />
1979 Galerie Champagne Besserat de Bellefond (Reims)
EXPOSITIONS COLLECTIVES<br />
2007 Pont l’Evêque «Les Dominicaines» (Normandie)<br />
2006 Pont l’Evêque «Les Dominicaines» (Normandie)<br />
2006 Boiseries et Décoration (Provence)<br />
2004 Revue Travioles (Hiver Printemps)<br />
2003 Musée des Arts et Métiers (Paris)<br />
2001 Revue Travioles (EtéAutomne)<br />
1995 The Vale Hospice Care Appeal (Londres)<br />
1992 Galerie <strong>Jean</strong> Peyrole (Paris)<br />
1991 Galerie <strong>Jean</strong> Peyrole (Paris)<br />
1990 Galerie Franco Maria Ricci (Aix en Provence)<br />
1990 Maison du Luberon (Apt, Vaucluse)<br />
1989 Musée de Beaucaire (Gard)<br />
1983 Galerie des Editions Blue Shadow (Paris)<br />
1983 International Plastik Symposium (Francfort)<br />
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Hôtel-Rivet est une publication<br />
de l’École Supérieure des Beaux Arts de <strong>Nîmes</strong>.<br />
Directeur de la collection :<br />
Dominique Gutherz<br />
Hôtel-Rivet<br />
10 Grand’Rue<br />
30033 <strong>Nîmes</strong><br />
04 66 76 70 22<br />
ecole.beauxarts@ville-nimes.fr<br />
N°d’Editeur : 20<br />
Dépôt légal à parution<br />
ISBN : 978-2-914215-19-3<br />
Achevé d’imprimer en juillet 2007<br />
AGM <strong>Nîmes</strong><br />
Conception et réalisation :<br />
Nigo / ESBAN<br />
Crédits Photographiques :<br />
Paul Maurer<br />
Publié avec le soutien de la D.R.A.C. Languedoc - Roussillon.
J E A N L E Y R I S<br />
S C U L P T U R E S / H Ô T E L R I V E T<br />
#20/<br />
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