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Numéro 45 - Le libraire

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Lire une biographie, c’est un peu comme passer<br />

du temps en compagnie de quelqu’un qui se<br />

raconte. Mieux vaut écouter un être sympathique,<br />

proche de nous, qu’un personnage<br />

désagréable ou qui nous échappe. Marie-Hélène<br />

Vaugeois croit que certains lecteurs veulent se<br />

conforter dans leur choix politique en lisant sur<br />

un des politiciens qu’ils admirent: « Quelqu’un<br />

[qui n’aime pas] René Lévesque ne lira jamais<br />

une biographie sur ce dernier, croit-elle. C’est<br />

moins vrai pour un personnage comme Brian<br />

Mulroney, sans doute parce qu’il a généré des<br />

sentiments moins passionnés durant son mandat.<br />

» La compassion et l’identification suscitées<br />

par le personnage seraient donc les gages d’un<br />

succès de librairie.<br />

Déformation de genre<br />

L’engouement pour la biographie n’est pas nouveau,<br />

mais alors que le genre servait autrefois à<br />

faire l’éloge des hommes illustres, il tend plutôt<br />

aujourd’hui à l’exaltation du moi. En fait, la<br />

biographie conventionnelle n’est pas si à la mode<br />

en ce siècle si gourmand de faits vécus. <strong>Le</strong> vent<br />

a plutôt pris dans les voiles de l’autobiographie,<br />

la majeure partie des récits de vie étant aujourd’hui<br />

racontés à la première personne. Cet enthousiasme<br />

témoigne, certes, de la fascination<br />

qu’exerce la vie des autres, mais aussi celle que<br />

suscite le malheur ou la souffrance. Ainsi,<br />

à l’instar du téléspectateur, le lecteur aime les<br />

témoignages, qui participent certainement de la<br />

culture du spectacle. « Une biographie sur<br />

Madonna ne se vend pas nécessairement très<br />

bien, mais si Madonna écrivait sa vie, on en<br />

vendrait à la tonne », me confie Marie-Hélène<br />

Vaugeois. Cette révélation pour le moins<br />

troublante confirme le vif intérêt des lecteurs<br />

pour les récits personnels et, sans doute, un<br />

certain voyeurisme.<br />

La lecture des biographies serait donc guidée par<br />

le confort de se retrouver en compagnie d’un être<br />

familier. Si on voulait faire le portrait-robot d’un<br />

lecteur de ce type d’ouvrages, il serait masculin,<br />

aurait plus de 40 ans, lirait peu de fiction et<br />

serait prêt à payer assez cher. En effet, ce sont<br />

Désireux d’approfondir le sujet en<br />

l’abordant sous un angle analytique?<br />

Vies en récit. Formes littéraires de la<br />

biographie et de l’autobiographie,<br />

publié chez Nota bene dans sa collection<br />

Convergences (598 p., 33,95$), regroupe<br />

quelque vingt-cinq textes traitant des<br />

« modes orthodoxes de mise en récit de<br />

la vie privée, qu’il s’agisse de la sienne<br />

propre ou de celle d’un autre ». À l’ère<br />

des fictions nombrilistes, des blogues et<br />

des téléspectateurs voyeurs, le collectif<br />

décortique les multiples avatars des<br />

textes dits « personnels », à savoir<br />

DE L’ART DE SE<br />

RACONTER SOI-MÊME<br />

davantage les hommes que les femmes qu’attire<br />

la biographie, surtout lorsqu’elle est politique.<br />

C’est aussi le genre de livre qu’on offre en<br />

cadeau. Françoise Careil, de la librairie du<br />

Square, a même remarqué que les formats poche<br />

des biographies se vendaient moins bien. Et puis<br />

plusieurs <strong>libraire</strong>s ont confié qu’il est difficile de<br />

conseiller sur la lecture de biographies, parce<br />

qu’on recherche des personnages qu’on connaît<br />

et qu’on aime. En somme, on peut considérer<br />

que ces lectures s’avèrent être une activité très<br />

personnelle, voire privée, qu’on préfère partager<br />

avec les intimes.<br />

Peut-on conclure qu’il se publie trop de biographies?<br />

« Il n’y en a pas trop, mais elles ne sont<br />

pas toutes pertinentes! », me répond Françoise<br />

Careil. Trop de « spéciaux de “ la semaine ” »,<br />

renchérit Robert <strong>Le</strong>roux. Lorsque le livre<br />

devient un produit de consommation jetable<br />

après sept jours, il y a en effet un problème.<br />

Selon Marie-Hélène Vaugeois, il n’y a pas trop de<br />

biographies politiques, parce qu’elles se vendent<br />

toujours très bien, mais il y a sans doute une surproduction<br />

de témoignages plus ou moins<br />

intéressants pour le commun des mortels.<br />

« Tout le monde a sa petite histoire à raconter,<br />

mais parfois, le livre devrait être tiré à quelques<br />

dizaines d’exemplaires pour la famille et les<br />

proches », pense-t-elle. « Une personne qui<br />

écrit elle-même sur sa vie n’a pas de recul. Son<br />

regard n’est pas objectif », note quant à elle<br />

Michèle Roy, de la librairie <strong>Le</strong> Fureteur.<br />

Ainsi, au terme de cette enquête, on peut<br />

affirmer que les témoignages personnels, parfois<br />

exhibitionnistes, sont actuellement en vogue.<br />

Faut-il en déduire que la biographie, dans sa<br />

forme traditionnelle, serait menacée? <strong>Le</strong> succès<br />

de Bourgault en 2007 permet d’en douter, et<br />

témoigne de l’intérêt d’une vie éclairée par l’œil<br />

extérieur d’un auteur témoin. Sans se vouloir<br />

objective, la biographie n’est-elle pas conçue<br />

pour raconter la vie réelle d’un personnage<br />

public, plutôt que d’offrir au public un journal<br />

intime?<br />

l’autofiction, la biographie fictive, le<br />

témoignage audiovisuel, l’écriture du<br />

moi, le récit de vie, etc. Bien que parfois<br />

très précises, certaines des études<br />

présentées dans ce livre, qui puise sa<br />

source dans l’engouement pour les<br />

formes du personnel caractérisant la culture<br />

occidentale, résonnent davantage<br />

chez le lecteur moyen. Entre autres<br />

celles traitant d’Internet, du cinéma et<br />

d’auteurs populaires tels Miron, Naipaul<br />

ou Sollers. À lire à petites doses, certes,<br />

mais hautement instructif.<br />

F É V R I E R - M A R S 2 0 0 8<br />

25<br />

IDÉES LECTURES<br />

Bob Dylan.<br />

Une biographie<br />

François Bon, Éditions Albin Michel,<br />

496 p., 32,95$<br />

Légende vivante de la musique folk américaine qui a<br />

toujours refusé le statut de star, Bob Dylan est à lui<br />

seul une énigme fascinante. François Bon se penche<br />

sur l’auteur de l’inoubliable Blowin’in the Wind avec<br />

autant d’acuité et de talent qu’il l’avait fait pour<br />

Rolling Stones. Une biographie, son précédent<br />

ouvrage.<br />

Fille de l’Orient<br />

Benazir Bhutto, Éditions Héloïse<br />

d’Ormesson, 624 p., 39,95$<br />

Revenue au Pakistan en octobre 2007, Benazir<br />

Bhutto est morte deux mois plus tard dans un attentat-suicide.<br />

Ses mémoires mettent en lumière sa vie<br />

de femme, de mère et d’épouse, sa lutte acharnée<br />

pour la démocratie en dépit de l’exil et des souffrances<br />

qui ont jalonné son parcours. Si son destin<br />

s’inscrit dans la tragédie, elle l’a cependant mené<br />

avec dignité et humanité.<br />

La Vie de<br />

Margaret Laurence<br />

James King, Triptyque, 404 p., 30$<br />

Féministe avant l’heure, épouse et mère farouchement<br />

indépendante, Margaret Laurence (1926-1987)<br />

est une portraitiste hors pair qui, au cours des années<br />

50-60, a joué un rôle prépondérant dans l’émergence<br />

des lettres canadiennes-anglaises. L’ouvrage très<br />

complet de James King nous fait découvrir cette<br />

Manitobaine de naissance dont la réputation traverse<br />

depuis longtemps nos frontières.<br />

Fellini<br />

Tullio Kezich, Gallimard, coll.<br />

Biographies, 416 p., 54$<br />

Dans l’univers du septième art, l’Italien Federico<br />

Fellini brille au panthéon des cinéastes du XX e siècle.<br />

Pour lui, tourner un film correspondait à « commander<br />

l’équipage de Christophe Colomb, qui veut<br />

en permanence faire demi-tour ». En pleine guerre<br />

froide, Fellini se disait apolitique et réfractaire aux<br />

idéologies. Pourtant, il aura offert au cinéma des<br />

chefs-d’œuvre qui ont proposé un regard inédit sur<br />

son époque.

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