Numéro 45 - Le libraire
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Polar | Thriller | Noir<br />
Il siège au sommet des héros de la littérature populaire, Sherlock Holmes, le consulting detective tellement<br />
british et tellement universel! Son créateur est mort depuis des décennies, mais les pères adoptifs<br />
foisonnent et les pastiches des aventures du locataire du 221B Baker Street se comptent par milliers.<br />
Pour comprendre une telle postérité, un retour aux sources s’avère nécessaire, et la publication cet automne<br />
chez Omnibus du troisième et dernier tome de la nouvelle traduction des Aventures de Sherlock Holmes<br />
nous en offre l’occasion.<br />
Relire les exploits de mon héros dans ce texte<br />
revigoré est un pur délice pour un holmésien<br />
comme moi. <strong>Le</strong> personnage fascine toujours<br />
autant, avec son esprit qui inquiète et subjugue à la<br />
fois. <strong>Le</strong> plaisir de le redécouvrir dans cette collection<br />
est augmenté par le fait que des éditeurs ont<br />
choisi de publier en parallèle le texte original<br />
anglais, en plus de reproduire les illustrations d’origine<br />
tirées du Strand Magazine. Ces dessins,<br />
autant que la plume de l’auteur, ont façonné et<br />
popularisé l’enquêteur privé, la casquette à deux<br />
visières et la pipe recourbée étant des ajouts du<br />
premier illustrateur, Sidney Paget. Soulignons<br />
également que l’expression « Élémentaire, mon<br />
cher Watson! », naîtra, elle, du cinéma.<br />
La plupart des nouvelles (dix-neuf au total),<br />
rédigées entre 1908 et 1927 — les dernières qu’il<br />
écrira avant sa mort en 1930 —, ne sont guère les<br />
plus inspirées de Sir Arthur Conan Doyle dans ce<br />
tome 3 des Aventures. On devine une lassitude<br />
chez l’ex-médecin à tenter de renouveler sans<br />
cesse les procédés du genre. Il y a toutefois des<br />
incontournables: « <strong>Le</strong> Pont du Thor », « La<br />
Disparition de lady Frances Carfax », « La<br />
Crinière du lion » (l’un de mes coups de cœur). <strong>Le</strong><br />
détective lui-même se fatigue du monde criminel.<br />
Dans « Son dernier coup d’archet », il part à la<br />
retraite le 10 août 1914 pour se consacrer à l’apiculture<br />
dans le Sussex, livrant sa destinée à l’imagination<br />
des lecteurs.<br />
Des bas (et des hauts) du pastiche<br />
Bien des pasticheurs tenteront d’ailleurs de<br />
combler le destin obscur de Sherlock Holmes. La<br />
plupart s’attarderont toutefois sur les untold stories,<br />
les nombreuses enquêtes non décrites dans<br />
les nouvelles, une des belles trouvailles du<br />
romancier, et les rapports suspects du célibataire<br />
de Baker Street avec les femmes. <strong>Le</strong> docteur<br />
Watson a beau prétendre qu’il n’y a eu qu’une<br />
femme pour Holmes, Irene Adler, cela n’a guère<br />
semblé convaincre.<br />
Je peux citer l’exemple d’une parution récente aux<br />
éditions Baleine, Sherlock Holmes saisi par la<br />
débauche, écrite par Roger Facon. <strong>Le</strong> titre évite<br />
les équivoques. <strong>Le</strong> détective anglais se retrouve en<br />
mission incognito à Paris, faisant d’un bordel son<br />
pied-à-terre et testant, dans ses temps libres, le<br />
gratin des filles de joie. Cette pochade humoris-<br />
<strong>Le</strong>s Aventures de<br />
Sherlock Holmes<br />
(tome 3)<br />
Arthur Conan<br />
Doyle, Omnibus,<br />
1082 p., 44,95$<br />
Immortel Holmes<br />
Par Christian Vachon, librairie Pantoute<br />
Sherlock Holmes<br />
saisi par la débauche<br />
Roger Facon,<br />
Baleine, coll. Baleine<br />
Noire, 288 p., 14,95$<br />
tique souffre d’un grave défaut pour le genre: elle<br />
est aussi assommante qu’une Nuit des Césars à<br />
TV5. Ne nous attardons pas sur ce récit alambiqué<br />
où se mêlent les Rose-Croix, les dessous cachés du<br />
Rituel des Musgraves et ces tartes à la crème des<br />
pasticheurs: Mycroft, Moriarty, les balourdises de<br />
Watson et l’usage de la cocaïne. Bye bye originalité,<br />
et bienvenue au cimetière des pastiches!<br />
Mon autre exemple échappera sûrement à ce destin:<br />
La Solution finale de Michael Chabon est une<br />
bouffée d’air frais évitant les multiples clichés de la<br />
parodie holmésienne tout en rendant un incomparable<br />
hommage à la création de Sir Arthur.<br />
L’auteur, qui a remporté le prix Pulitzer pour <strong>Le</strong>s<br />
Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay,<br />
excelle dans la relecture des éléments de la culture<br />
populaire. Dans ce court récit (version remaniée<br />
d’une nouvelle parue dans The Paris Review en<br />
2003), le nom de Sherlock Holmes n’est jamais<br />
mentionné. Il est le vieil homme, un octogénaire<br />
aux articulations douloureuses, lecteur du British<br />
Bee Journal et observateur dédaigneux du reste de<br />
l’humanité qui va toutefois, en cet été 1944, s’attarder<br />
longuement au passage, devant chez lui,<br />
d’un jeune garçon et de son perroquet. Lorsqu’une<br />
mort suspecte survient, suivie de la disparition du<br />
volatile, des énergies anciennes vont se ranimer<br />
chez le vieil homme, qui réussira à participer à<br />
l’enquête.<br />
L’immense talent de Michael Chabon tient en ce<br />
qu’il a saisi la substance du personnage de Conan<br />
Doyle: son vieil homme est horripilant mais irrésistible.<br />
Il l’éloigne de la caricature. Son héros<br />
n’est qu’un vieux garçon qui a consacré sa vie à la<br />
déduction, un vestige de la grandiloquence victorienne:<br />
« Sur son attitude, sa façon de parler (...)<br />
flottaient, comme l’odeur de son tabac turc, toute<br />
la vitalité et la rectitude de l’Empire ». <strong>Le</strong> lecteur<br />
pousse un soupir de satisfaction : l’histoire de<br />
Holmes peut se clore ainsi.<br />
À lire en complément, Sherlock Holmes<br />
dans tous ses états, une anthologie<br />
inédite regroupant treize pastiches et<br />
parodies montrant à merveille le côté<br />
universel du personnage (Rivages/Noir,<br />
384 p., 16,95$).<br />
La Solution finale<br />
Michael Chabon,<br />
Éditions Robert<br />
Laffont,<br />
coll. Pavillons,<br />
160 p., 26,95$<br />
F É V R I E R - M A R S 2 0 0 8<br />
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