Numéro 45 - Le libraire
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« À l’origine, nous venons d’un petit village appelé Deschambault<br />
et, chez nous, quand j’étais enfant, il n’y avait pas un seul livre »,<br />
me confie Arcand, histoire de contredire d’entrée de jeu mes idées<br />
reçues. Ce qui ne l’empêche pas d’enchaîner avec ses premiers<br />
émois de lecteur: « À 12 ans, au collège où j’allais, comme tous<br />
mes compagnons, je dévorais les romans de guerre d’un auteur<br />
anglais très populaire, le Capitaine Jones, qui avait été pilote de<br />
chasse. Ses livres racontaient les histoires de la bataille<br />
d’Angleterre durant la Deuxième Guerre mondiale. »<br />
Au-delà de l’évocation amusée de ces lectures très masculines<br />
dont raffolaient tous les garçons de son âge, Denys Arcand<br />
souligne un détail biographique d’une importance capitale pour<br />
son développement intellectuel: « Quand<br />
ma famille a déménagé à Montréal, j’avais<br />
12 ans. Nous sommes allés rester sur la rue<br />
du Parc Lafontaine près de la bibliothèque<br />
municipale, se souvient-il. Et à 13 ans, je<br />
ne pourrais pas vous dire pourquoi, je marchais<br />
dans le voisinage et je suis entré dans<br />
cet endroit. J’ai découvert la section<br />
jeunesse de la bibliothèque. J’ai pris un<br />
livre, je ne me souviens même pas duquel,<br />
et j’ai commencé à le lire… »<br />
<strong>Le</strong> cœur a ses raisons<br />
S’il ne se souvient pas des lectures<br />
imposées par ses professeurs, le cinéaste se<br />
rappelle des heures et des heures passées à<br />
la bibliothèque municipale ou encore celle<br />
du collège: « Je lisais dès que j’avais vingt<br />
minutes de libres. Et jusqu’à l’âge de 19 ou<br />
20 ans, que des romans. À la même époque,<br />
j’ai commencé à aller au cinéma, voir les<br />
films étrangers qui nous faisaient rêver.<br />
J’étais loin de penser que je ferais carrière<br />
dans ce domaine. À la fin du cours classique,<br />
je me suis inscrit en histoire, par<br />
défaut, parce que nos parents avaient fait des sacrifices terribles<br />
en venant vivre à Montréal, ville qu’ils n’aimaient pas, pour que<br />
leurs fils puissent accéder aux études supérieures. Moi, j’adorais<br />
le théâtre, écrire pour le théâtre, jouer au théâtre… Mais j’ai<br />
choisi l’histoire en me disant qu’au moins, je pourrais gagner ma<br />
vie dans l’enseignement. »<br />
La passion pour le théâtre, qu’il partageait avec ses frères cadets,<br />
pousse Denys Arcand à fréquenter des grands dramaturges:<br />
Racine, Corneille, Molière, mais aussi Shakespeare. Mais à la<br />
Faculté d’Histoire, Denys Arcand lit Edward Gibbon (Histoire de<br />
la décadence et de la chute de l’Empire romain), Charles et Mary<br />
Beard (Rise of American Civilisation), et autres ouvrages spécialisés<br />
dont on comprend, juste à lire les titres, l’influence qu’ils<br />
auront sur l’œuvre à venir. « Je suivais en même temps des cours<br />
en littérature, parce que j’aimais écrire. J’aimais les <strong>Le</strong>ttres, et je<br />
me demandais encore si je ne serais pas journaliste, en fin de<br />
compte. Ce qu’on lisait à la faculté, en ce temps-là?, poursuit le<br />
cinéaste. <strong>Le</strong> grand triumvirat en littérature française de l’époque:<br />
D ENYS A RCAND<br />
La lumière des livres<br />
De son propre aveu, rien ne destinait Denys Arcand ou ses frères Bernard (anthropologue) et Gabriel (comédien) à des carrières<br />
dans le domaine des arts et des lettres. Pourtant, relativement tôt dans sa vie, le cinéaste a eu la piqûre pour les nourritures de<br />
l’esprit, ce qui n’a pas tardé à faire de lui le chroniqueur inquiet du Déclin de l’empire américain, des Invasions barbares<br />
et de L’Âge des ténèbres.<br />
© Jan Thijs<br />
Par Stanley Péan<br />
Camus, Sartre, Malraux, mais aussi Anouilh, Montherlant,<br />
Salacroux et un tas d’auteurs tombés dans l’oubli aujourd’hui.<br />
J’étais boulimique parce que je voulais rattraper le retard<br />
et combler les trous béants creusé dans ma culture par la mise<br />
à l’index de certaines œuvres. Alors, je me suis aussi plongé<br />
dans Maupassant, Flaubert, Stendhal, Hugo, presque tout<br />
XIX e siècle français. »<br />
Livres d’ici<br />
Évidemment, à l’aube de la Révolution tranquille (qui n’est pas<br />
une séquelle de Mai 68, n’en déplaise au grand uchroniste du<br />
Journal de Montréal, Richard Martineau), avec l’éveil de la<br />
conscience nationaliste québécoise, les auteurs d’ici étaient forcément<br />
à l’ordre du jour pour le futur<br />
cinéaste de l’Office national du film: « Je<br />
pense tout de suite à Yves Thériault,<br />
à Marcel Dubé, à Gabrielle Roy, à<br />
Germaine Guèvremont. C’était encore<br />
tôt pour Anne Hébert, qui était presque<br />
exclusivement poète et qui ne nous avait<br />
pas encore donné ses grands romans.<br />
<strong>Le</strong> corpus classique, et pas encore abondant,<br />
de la littérature québécoise. Mais à<br />
l’université, je me suis joint au groupe de<br />
Parti Pris, où j’étais théoriquement le<br />
critique de cinéma attitré, et je lisais<br />
les œuvres des écrivains que je côtoyais:<br />
Paul Chamberland, André Major,<br />
Gérald Godin. »<br />
À la question piège de savoir s’il peut<br />
nommer cinq titres devant obligatoirement<br />
faire partie de l’hypothétique<br />
bibliothèque idéale, Denys Arcand<br />
répond avec embarras: « L’ennui, c’est<br />
qu’à cinq titres seulement, elle ne peut<br />
pas être idéale. Mais attendez voir, je vais<br />
essayer. Proust et sa Recherche… Tout<br />
Shakespeare, c’est requis. Montaigne. Freud, quoique je ne<br />
sache pas quel livre en particulier… L’Interprétation des rêves,<br />
tiens. De Flaubert, hum, Madame Bovary; on n’en sort pas,<br />
même quand on voudrait être original. Et chez les contemporains,<br />
je choisirais W.G. Sebald. »<br />
Et chez nous? « Au Québec, c’est compliqué parce qu’il y a,<br />
à mon sens, de forts bons romans, pris isolément, mais il<br />
n’existe pas d’œuvres qui occupent tout l’horizon. D’abord parce<br />
que le Québec n’est pas propice au développement d’une telle<br />
œuvre. Mais tiens, je dirais la trilogie de récits autobiographiques<br />
où Michel Tremblay, qui était presque mon voisin<br />
dans ma jeunesse, raconte une éducation intellectuelle très<br />
similaire à la mienne. »<br />
Denys Arcand publiait récemment <strong>Le</strong>s Gens adorent les guerres et autres<br />
inédits, qui rassemble un épisode écrit en 1976 pour une série télévisée et<br />
trois inédits. À lire comme des nouvelles (Boréal, 288 p., 19,95$).<br />
F É V R I E R - M A R S 2 0 0 8<br />
5<br />
Libraire d’un jour<br />
LES CHOIX<br />
DE DENYS ARCAND<br />
Froid coupant du dehors<br />
Paul Chamberland,<br />
l’Hexagone,<br />
100 p., 12,95$<br />
Un simple soldat<br />
Marcel Dubé, Typo,<br />
coll. Théâtre,<br />
160 p., 10,95$<br />
Madame Bovary<br />
Gustave Flaubert,<br />
GF/Flammarion,<br />
540 p., 6,95$<br />
L’Interprétation des rêves<br />
Sigmund Freud, PUF,<br />
584 p., 63,95$<br />
Histoire du déclin et de<br />
la chute de l’Empire<br />
romain (2 tomes)<br />
Edward Gibbon, Éditions<br />
Robert Laffont,<br />
coll. Bouquins,<br />
1230 p. et 1290 p.,<br />
49,95$ et 54,95$ ch.<br />
Histoires de déserteurs<br />
André Major, Boréal,<br />
464 p., 29,95$<br />
À la recherche<br />
du temps perdu<br />
Marcel Proust, Gallimard,<br />
coll. Quarto, 256 p., 57$<br />
Bonheur d’occasion<br />
Gabrielle Roy, Boréal<br />
Compact, 416 p., 14,95$<br />
<strong>Le</strong>s Émigrants<br />
W. G. Sebald, Folio,<br />
308 p., 19,95$<br />
Un ange cornu avec des<br />
ailes de tôle<br />
Michel Tremblay, <strong>Le</strong>méac,<br />
coll. Babel, 312 p., 12,50$