Fr-05-02-2013 - Algérie news quotidien national d'information
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22<br />
> C U L T U R E<br />
Claire Diao, critique de cinéma (1 re partie)<br />
«Le Fespaco a eu un impact sur<br />
tous ceux qui l'ont fréquenté»<br />
Dans une vingtaine de jours, la<br />
23e édition du Festival<br />
panafricain du cinéma et de la<br />
télévision de Ouagadougou<br />
(Fespaco) ouvrira enfin ses<br />
portes. Cinq films algériens<br />
seront présents («Yemma»,<br />
«Zabana !», «Le Repenti»,<br />
«Bouts de vies, bouts de rêves»<br />
et «Les Pieds sur Terre»), ainsi<br />
qu’un état des lieux d’une<br />
cinématographie aussi<br />
excitante que bancale. Claire<br />
Diao, journaliste francoburkinabé<br />
pour différentes<br />
revues (Africultures, Africiné,<br />
Afrik.com, Clap Noir,...) et<br />
spécialiste des cinémas<br />
d’Afrique, revient sur les enjeux<br />
d’un événement – toujours -<br />
attendu par les professionnels.<br />
Entretien réalisé par<br />
Samir Ardjoum<br />
<strong>Algérie</strong> News : Pour cette nouvelle édition,<br />
et après avoir découvert la liste des<br />
films sélectionnés, quelle serait selon<br />
vous la tendance ?<br />
Claire Diao : Le premier fait marquant<br />
de cette sélection est le grand retour de<br />
l'Afrique lusophone dans la catégorie longmétrage.<br />
Des réalisateurs comme Zézé<br />
Gamboa «Le Grand Kilapy» ou Flora<br />
Gomes «Les Enfants de la République»,<br />
font leur retour après des années d'absence.<br />
Des pays comme l'Angola, la Guinée-<br />
Bissau et le Mozambique seront donc<br />
représentés. Deuxième fait important, la<br />
présence de trois femmes en compétition<br />
long-métrage alors qu'elles étaient habituellement<br />
cantonnées à la catégorie documentaire<br />
dont elles avaient raflé tous les<br />
prix en 2009. Par rapport au festival de<br />
Cannes qui n'en avait sélectionné aucune<br />
cette année et au fait que l'on regrette régulièrement<br />
le manque de représentation des<br />
femmes dans le cinéma en Afrique, c'est un<br />
fait à souligner ; d'autant plus que tous les<br />
jurys seront présidés par des femmes dont,<br />
l'invitée d'honneur, première fois dans<br />
l'Histoire du festival : il s'agira d'Alimata<br />
Salembéré, la seule femme à avoir dirigé le<br />
comité d'organisation du Fespaco. Pour en<br />
revenir aux films, outre le fait que plusieurs<br />
longs-métrages ont déjà été projetés dans<br />
les rendez-vous internationaux, il est intéressant<br />
de voir apparaître des noms<br />
méconnus qui feront sans doute carrière<br />
après le Fespaco. C'est en cela que ce festival<br />
est un carrefour : fin de carrière pour<br />
certains films, démarrage pour d'autres.<br />
Côté numérique, on assiste à l'arrivée massive<br />
de films d'Afrique anglophone tels que<br />
la Tanzanie, le Zimbabwe ou le Kenya qui<br />
sont des pays à suivre de près car l'Afrique<br />
du Sud et le Nigéria ont servi de véritable<br />
locomotive pour le développement de leur<br />
cinéma. A l'inverse de l'Afrique francophone,<br />
les anglophones tournent et n'attendent<br />
pas l'argent. C'est sans doute pour<br />
cela que l'équilibre de production cinématographique<br />
sur le continent est en train de<br />
basculer en leur faveur. Les fonds de financements<br />
occidentaux ayant diminué, les<br />
francophones se retrouvent le bec dans<br />
l'eau. Le Maghreb reste constant dans toutes<br />
les catégories - sauf dans celle des séries<br />
télévisées – avec le Maroc en tête suivi de<br />
l'<strong>Algérie</strong> et de la Tunisie. En revanche,<br />
l'Egypte ne présente qu'un seul film hors<br />
compétition avec «Bab Sharki» d'Ahmed<br />
Atef. Est-ce à dire que les révolutions ont<br />
amenuisé la production cinématographique<br />
? Enfin, côté francophone, le Mali, le<br />
Sénégal, le Burkina Faso et le Cameroun<br />
sont bien représentés mais d'autres nouveaux<br />
pays font leur apparition : Djibouti,<br />
l'Ile Maurice et Madagascar.<br />
J'ai donc la sensation que la démocratisation<br />
des technologies numériques est en<br />
train de changer la donne : si les pays autrefois<br />
grands producteurs ne dynamisent pas<br />
leur fonctionnement, de nouveaux les<br />
détrôneront bientôt. La preuve avec le<br />
Burkina qui héberge le Fespaco depuis<br />
1969 : nous n'avons pas eu d'Etalon depuis<br />
«Buud Yam» de Gaston Kaboré en 1997.<br />
Vous êtes originaire du Burkina Faso.<br />
Comment se porte le cinéma ? Le Fespaco<br />
reste encore la vitrine de cette cinématographie<br />
?<br />
Très bonne question, merci de la poser !<br />
Le cinéma burkinabè va mal et le Fespaco<br />
est une vitrine erronée de l'état du cinéma<br />
dans ce pays. En fait, tous ceux qui viennent<br />
tous les deux ans au Fespaco mangent<br />
de bonnes brochettes, dansent dans les<br />
maquis, assistent à des séances où les gens<br />
se battent pour entrer et ont la sensation<br />
que la vie est belle et que le cinéma se porte<br />
bien. Mais au final, ils n'en ont cure. Qui se<br />
plaindra que le Burkina n'ait pas remporté<br />
d'Etalon depuis 1997 ? Qui réclamera que<br />
nos deux plus grands cinéastes que sont<br />
Idrissa Ouédraogo et Gaston Kaboré tournent<br />
à nouveau des longs-métrages ? L'un<br />
essaie d'inventer un nouveau modèle de<br />
production pour ne plus être assujetti aux<br />
fonds de financements du Nord, l'autre a<br />
créé une école de cinéma auto-financée,<br />
qui ne lui laisse plus une minute. Qui<br />
revendiquera que la jeune génération qui se<br />
fait connaître à l'étranger (Eleonore<br />
Yameogo, Michel Zongo, Adama Salle) doit<br />
être davantage connue au pays ? Il n'y a pas<br />
de festival <strong>national</strong> pour débattre de ces<br />
choses. Pas de publications de l'association<br />
de critiques de cinéma burkinabè pour<br />
faire réfléchir les gens. Pas d'appels à pro-<br />
ALGERIE NEWS Mardi 5 février <strong>2013</strong><br />
duction de la part des télévisions locales<br />
qui continuent de diffuser des vidéos-clips<br />
et des télénovelas en pagaille. Mais contrairement<br />
aux autres pays subsahariens, le<br />
Burkina possède encore des salles de<br />
cinéma, des associations de professionnels<br />
et une fédération de ciné-clubs très dynamique.<br />
L'ennui, c'est que les seuls films<br />
actuellement programmés dans les salles<br />
sont des comédies romantiques d'influence<br />
nigériane de mauvaise qualité qui font rire<br />
les gens mais n'élèvent pas le niveau. J'ai<br />
l'impression aussi qu'il y a un problème<br />
générationnel entre la vieille école et la<br />
nouvelle. Il manque une passation entre les<br />
deux, comme si les plus âgés avaient peur<br />
d'être détrônés et c'est dommage. Il n'y a<br />
qu'à Madagascar que j'ai rencontré une<br />
«armée» de jeunes cinéastes décidés à redorer<br />
le blason de leur pays. Il n'y a pas de<br />
démarche individuelle mais vraiment un<br />
élan collectif pour faire avancer le cinéma.<br />
Ce serait tellement bien d'avoir la même<br />
chose au Burkina tant il y a des choses à<br />
faire ! Pour l'instant, les jeunes réalisateurs<br />
sont davantage des entrepreneurs. Il faut<br />
juste espérer que le niveau de leurs films ne<br />
baissera pas davantage pour que les spectateurs<br />
ne quittent pas les salles. Pourtant, les<br />
gens aiment et consomment les films burkinabés<br />
que ce soit à la télévision ou au<br />
cinéma. Je ne sais pas si l'on manque de<br />
motivation, de confiance ou simplement<br />
d'entraide mais je crois qu'il va falloir s'armer<br />
de patience avant qu'un Burkinabè<br />
décroche à nouveau l'Etalon de Yennenga<br />
ou soit sélectionné à Cannes. Quoique, soit<br />
dit en passant, Michel Zongo était en compétition<br />
à la Berlinale 2012 avec son documentaire<br />
«Espoir Voyage».<br />
Certains évoquent que ce Fespaco dégage<br />
une plus grande part de responsabilité,<br />
voire de maturité. Pourtant, il y a deux<br />
ans de cela, le réalisateur tchadien<br />
Mahamat Saleh Haroun, avait lors d’un<br />
entretien pour Africultures, affirmait :<br />
«C’est le dernier Fespaco auquel j’assiste»<br />
(Edition 2011, ndlr). Quelle est votre position<br />
sur ce constat ?<br />
Je crois qu'il y a un lien affectif très fort<br />
entre les cinéastes et le Fespaco parce qu'il<br />
représente tout de même un rendez-vous<br />
majeur, sur le continent, des cinémas<br />
d'Afrique. Autrefois, ce sont les cinéastes<br />
qui ont défendu et porté le Fespaco. Or,<br />
aujourd'hui, le Fespaco vit de ses propres<br />
ailes, c'est-à-dire qu'il reçoit assez de soutiens<br />
et assez de films pour se tenir.<br />
Beaucoup de réalisateurs primés à l'étranger<br />
ne supportent pas de ne pas l’être au<br />
Fespaco et je pense que c'est, entre autres,<br />
le cas de Mahamat Saleh Haroun. Il venait<br />
de remporter le Prix du jury à Cannes avec<br />
«Un Homme qui crie» (une première pour<br />
un film d'Afrique depuis «Tilaï» du<br />
Burkinabè Idrissa Ouédraogo en 1990) et<br />
n'a pas apprécié que le jury lui attribue le<br />
deuxième prix derrière «Pégase» du<br />
Marocain Mohamed Mouktakir, totalement<br />
inconnu et inattendu. Le film n'a<br />
d'ailleurs, pas connu une très bonne carrière<br />
et c'est dommage, car pour un premier<br />
long-métrage entièrement produit<br />
par le Maroc, il démontrait une grande<br />
maîtrise. Je pense aussi qu'il reprochait au<br />
Fespaco son manque de direction artistique<br />
et il n'était pas le seul. Le cinéaste<br />
malien Souleymane Cissé m'avait dit d'un<br />
air éploré qu'il n'y avait peut-être que 7<br />
longs-métrages qui méritaient d'être en<br />
compétition sur les 18 ! Il est vrai que le<br />
multiprimé «Viva Riva» du Congolais Djo<br />
Tunda Wa Munga, n'était pas sélectionné et<br />
on n'a jamais su pourquoi. Donc il y a un<br />
manque de transparence dans le choix des<br />
films et sans doute aussi, du copinage. Mais<br />
quel festival n'en a pas ? Les autres le dissimulent<br />
sans doute mieux... L'édition 2009<br />
a été une catastrophe parce que l'équipe du<br />
Fespaco venait de changer, les catalogues et<br />
les badges n'étaient pas prêts, l'organisation<br />
laissait à désirer,... L'édition 2011 était<br />
mieux organisée mais des histoires d'impayés<br />
ont conduit certains cinéastes à errer<br />
dans les rues en quête d'une chambre d'hôtel<br />
puisque le principal hébergement du<br />
festival – l'Hôtel Azalaï – a refusé d'accueillir<br />
le Fespaco. Et puis la qualité des projections<br />
laissaient à désirer et je me souviens<br />
avoir vu Mahamat Saleh Haroun quitter<br />
l'une d'entre elles. On attend forcément<br />
d'un festival qui atteint ses 44 ans, davantage<br />
d'organisation, de professionnalisme.<br />
On aimerait sortir de ce «mégotage» que les<br />
gens collent trop souvent à l'Afrique.<br />
L'édition <strong>2013</strong> sera donc ce qu'elle sera, on<br />
ne peut pas pronostiquer à l'avance mais<br />
personnellement, quand je vois la galère<br />
<strong>quotidien</strong>ne des professionnels du cinéma<br />
en Afrique, je me dis que le Fespaco est tout<br />
de même un exploit dans sa longévité mais<br />
aussi dans l'enthousiasme qu'il suscite,<br />
année après année, auprès des jeunes générations.<br />
Il a eu un impact dans la vie de<br />
tous ceux qui l'ont fréquenté soit en y<br />
allant pour la première fois, soit en étant<br />
sélectionné ou primé. C'est quand même la<br />
reconnaissance africaine pour les cinémas<br />
d'Afrique parce que c'est un festival<br />
hébergé par un pays africain, organisé par<br />
des africains et que les séances sont remplies<br />
de spectateurs africains. Et c'est le seul<br />
lieu avec Carthage où il est possible de rencontrer<br />
tous les professionnels internationaux<br />
qui s'intéressent à l'Afrique. Comme<br />
ces deux festivals ont lieu tous les deux ans,<br />
c'est quand même un rendez-vous trop<br />
rare pour être manqué. Ceux qui se contenteront<br />
des films qui circulent à l'inter<strong>national</strong><br />
ne verront pas le vrai visage de la production<br />
en Afrique, quelle que soit sa qualité<br />
: ils ne verront que ce que l'Occident<br />
veut bien montrer du continent.<br />
S. A.