Dard Frederic-Quelqu'un marchait sur ma tombe.pdf
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Il pensa à Lotte, sa femme, si paisible, si grasse et si<br />
fondante, et dont le babillage de perruche ne s’interrompait<br />
ja<strong>ma</strong>is. Il la voyait à table, s’empiffrant de la nourriture<br />
plantureuse. Ou bien au théâtre, dans des atours <strong>sur</strong>annés et<br />
clinquants.<br />
— Non, répéta-t-il <strong>sur</strong> un ton de défi, je ne regrette rien.<br />
— Sans votre aide, objecta Lisa, tout aurait continué comme<br />
avant.<br />
— Je sais.<br />
Cet « avant » dont parlait la jeune femme chantait déjà dans<br />
le cœur de Gessler la mélancolique chanson des bonheurs<br />
perdus. Il eut un moment de désarroi, lui si calme.<br />
— Mais à cause de votre aide, continua Lisa, nous allons<br />
devoir nous séparer.<br />
Pourquoi insistait-elle de cette façon ? Pourquoi versait-elle<br />
du sel <strong>sur</strong> la plaie ? Gessler ne pensait pas qu’elle cherchât à lui<br />
faire <strong>ma</strong>l par plaisir. Il se dit qu’il n’avait ja<strong>ma</strong>is compris grandchose<br />
aux femmes. Elle devait avoir ses raisons.<br />
— Vous êtes un homme <strong>ma</strong>gnifique, Adolf.<br />
Il fut gêné et haussa rudement les épaules.<br />
— Mais non, dit-il sèchement ; lorsqu’on ne peut pas<br />
conserver ce qui vous échappe, le mieux c’est encore de le<br />
donner. Ce n’est pas de la <strong>ma</strong>gnificence, c’est de l’orgueil.<br />
Puis, avec une âpreté qui effraya Lisa il lui jeta :<br />
— Adieu, Lisa !<br />
Elle se méprit.<br />
— Vous partez tout de suite ? de<strong>ma</strong>nda-t-elle, épouvantée à<br />
l’idée de rester seule dans ce vaste bâtiment où flottaient des<br />
odeurs indécises d’emballage et de moisis<strong>sur</strong>e.<br />
— Certes non, <strong>ma</strong>is je vous dis adieu <strong>ma</strong>intenant parce que<br />
les gens ne se disent ja<strong>ma</strong>is adieu au bon moment.<br />
Dans un élan elle lui tendit la <strong>ma</strong>in. Il la recueillit, la porta à<br />
ses lèvres puis la pressa contre sa joue.<br />
— Je ne crois pas beaucoup en Dieu, soupira-t-il, <strong>ma</strong>is que<br />
Dieu vous garde, Lisa.<br />
— J’espère que vous n’aurez pas d’ennuis ? fit-elle en le<br />
contemplant.<br />
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