El Watan
El Watan
El Watan
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
<strong>El</strong> <strong>Watan</strong> - Jeudi 19 novembre 2009 - 13<br />
PORTRAIT<br />
MOHAMED SALAH SEDIK. ANCIEN MOUDJAHID, ÉCRIVAIN, HISTORIEN, POÈTE<br />
Le moudjahid érudit qui a écrit 101 livres !<br />
«La liberté ne se conquiert jamais<br />
qu’au détriment de celle des autres.<br />
Etre libre, c’est dominer. Dans le dernier<br />
cas, la liberté n’est acquise qu’au<br />
détriment de soi.»<br />
Pierre Reverdy<br />
Par Hamid Tahri<br />
a maison qui ne désemplit pas est<br />
en partie dominée par une impressionnante<br />
bibliothèque où même<br />
les ouvrages anciens ont leur place.<br />
On ne peut détourner le regard,<br />
sans croiser un livre. Il affirme<br />
qu’une journée sans écrire est<br />
une journée perdue.<br />
Ecrivain torrentiel et prolifique, il<br />
déborde d’une curiosité qui l’a porté de la poésie<br />
à la nouvelle, à la critique, à la théologie, à<br />
l’histoire, aux questionnements posés sur le<br />
sens de la vie. Inlassable scrutateur de l’âme<br />
humaine, il ne cesse d’écrire. De sa quête de<br />
témoigner sont nés plus de 100 livres tous<br />
genres confondus. Il a bien voulu nous ouvrir<br />
sa porte et son cœur. La mémoire en bandoulière,<br />
il nous conte sa vie.<br />
De son vrai nom Aït Sedik Mohamed Salah,<br />
mais tout le monde l’appelle Mohamed Salah<br />
Sedik, parce qu’un jour de l’année 1947, alors<br />
qu’il étudiait à la Zitouna de Tunis, son professeur<br />
Ahmed Ledjridi lui avait conseillé, lors<br />
d’un cours de rhétorique, d’adopter cette appellation.<br />
Depuis, il n’est connu que sous ce<br />
patronyme. Mohamed Salah est né le 19 décembre<br />
1925 au village Abizar près d’Azazga.<br />
Ses parents sont originaires d’Ibiskrien. Son<br />
père, Cheikh Bachir, a’lem, fkih et imam était<br />
un personnage fort connu dans la région.<br />
«C’est lui qui m’a tracé la trajectoire. Lorsque<br />
j’ai appris par cœur le Coran à 8 ans et quatre<br />
mois, il en était fier. Lui qui était réservé et pudique<br />
m’avait surpris lorsqu’il ordonna à ma<br />
mère d’exécuter un youyou pour célébrer<br />
l’événement. Alors pour me récompenser, il<br />
m’offrit deux choix : m’acheter une petite voiture<br />
ou visiter Alger. J’ai opté pour le voyage<br />
dans la capitale. Là avec mon oncle, le cheikh<br />
Tahar Aït Aïssa, et après la prière du dhor à la<br />
grande mosquée, on a déambulé à la rue Bab<br />
Azzoun où on a rencontré un homme peu ordinaire<br />
avec son burnous et sa barbe. C’était<br />
Cheikh Ben Badis qui avait posé sa main sur<br />
ma tête, en montrant sa fierté lorsqu’il apprit<br />
que j’était le fils de Cheikh <strong>El</strong> Bachir. Je me<br />
rappelle qu’il avait cité une sourate. Cette<br />
image, je ne l’oublierai jamais.»<br />
L’ENFANT D’AZAZGA<br />
De retour au bled, Mohamed Salah se mit à apprendre<br />
la poésie arabe. «Cela m’a beaucoup<br />
aidé lorsque je rejoignis à 14 ans la zaouïa<br />
d’<strong>El</strong> Illouli, où officiait le célèbre Cheikh Arezki<br />
Cherfaoui, diplômé de la non moins célèbre<br />
université d’<strong>El</strong> Azhar.»<br />
Le virus de la connaissance ne le quittera plus<br />
et il lorgnera du côté de la Zitouna, malgré<br />
l’avis contraire de l’administration coloniale.<br />
Il racontera avec beaucoup de nostalgie et de<br />
colère contenue, ses péripéties en compagnie<br />
de son ami Mohamed Necib pour rallier à pied<br />
la capitale tunisienne. Il contera, avec humour,<br />
ses démêlés avec le commissaire de Tébessa et<br />
la tentative de le refouler. Il passera 19 jours à<br />
l’ombre. Il finira par joindre la Zitouna où un<br />
autre interrogatoire l’attendait. Celui de 3 examinateurs<br />
résolus qui le malmenèrent durant 5<br />
heures avant de l’accepter à accéder en 3e S<br />
année.<br />
Sedik y passera 5 ans tout en s’initiant à la<br />
presse, en signant régulièrement une chronique<br />
intitulée «Saout etaleb ezitouni» et en<br />
participant activement dans la revue L’Inspiration<br />
de la jeunesse. Ses talents d’écrivain<br />
étaient évidents et à 25 ans il est déjà l’auteur<br />
d’un ouvrage de quatre tomes, Les Ecrivains<br />
accomplis. En 1951, il passe avec succès le<br />
dernier examen et retourne en Kabylie où il<br />
enseigne aux 350 élèves de la zaouïa d’<strong>El</strong><br />
Illouli. «Je donnais une conférence chaque<br />
jeudi après la prière du maghreb.» Il évoqua<br />
l’Emir Abdelkader, les insurrections et les<br />
peuples libres. C’étaient des thèmes qui<br />
n’avaient pas du tout cours. «J’y ai ouvert une<br />
bibliothèque. Les élèves rapportaient la teneur<br />
de mes activités à leurs parents, dont la plupart<br />
avaient des sympathies pour le PPA. Moi<br />
j’ai été approché par les oulemas, mais comme<br />
mon temps était consacré à l’enseignement et<br />
à l’écriture, je ne pouvais me lancer dans la<br />
politique. Cela ne m’intéressait pas vraiment.»<br />
L’audience acquise dans la région kabyle a fait<br />
de Sedik un homme incontournable, contacté<br />
quelques semaines avant le déclenchement de<br />
la Révolution par Krim Belkacem, Ali Mellah<br />
et Ouamrane. Les premières semaines de la<br />
guerre coïncidèrent avec la parution de son ouvrage<br />
en 1955, Les Desseins du Coran, préfacé<br />
par Ahmed Toufik <strong>El</strong> Madani. Cette œuvre<br />
majeure lui valut les louanges du prince des<br />
poètes algériens, Mohamed Laïd Al Khalifa,<br />
qui se fendit d’un poème d’une douceur exquise.<br />
Même le daï’a Abou Yakdhane y alla de ses<br />
Sedik Mohamed Salah est né en 1925 à<br />
Azazga. Après des études à la zaouïa<br />
d’<strong>El</strong> Illouli, il rejoint la prestigieuse université<br />
de la Zitouna à Tunis, d’où il en sort diplômé.<br />
Sedik retourne en 1951 en Kabylie où il<br />
enseigne à la zaouïa fréquentée par 350<br />
élèves.<br />
Au déclenchement de la Révolution, il est<br />
sollicité par les chefs de l’insurrection et sera<br />
chargé de certaines missions qu’il accomplira<br />
clandestinement, tout en continuant à exercer<br />
éloges. «Cela m’a encouragé à aller de<br />
l’avant. A l’heure des bilans, je peux m’estimer<br />
heureux avec 101 livres écrits», relève-til,<br />
non sans fierté.<br />
LA ZAOUïA D’EL ILLOULI<br />
Au déclenchement de la guerre, il est responsable<br />
de l’armement et des finances dans la région,<br />
tout en poursuivant son enseignement à<br />
la zaouïa pour ne pas éveiller les soupçons. Il<br />
est arrêté, relâché et contraint d’aller en France<br />
en 1956. De là, il rejoint Tunis où il rencontre<br />
Bachir <strong>El</strong> Kadi, responsable FLN, qui sera son<br />
chef en Libye. Sedik a été rédacteur à La Résistance,<br />
journal du Front animé par Cheriet,<br />
Bechichi, <strong>El</strong> Mili, Malek, Fanon...<br />
En Libye, Sedik est commissaire politique à<br />
Fezzan sous la direction du commandant Idir.<br />
«A Tripoli, j’étais responsable de l’information<br />
et c’est à moi qu’échut l’honneur d’inaugurer<br />
Saout <strong>El</strong> Djazaïr, Voix de l’Algérie combattante,<br />
le 1er novembre 1958.»<br />
Sedik y restera jusqu’à l’indépendance, où il<br />
est détaché au ministère des Affaires étrangères.<br />
Mais Sedik, homme de caractère et esprit<br />
libre avait moins le souci de faire carrière<br />
que celui de se dédier à sa passion. «Certains<br />
comportements ne m’avaient pas plus. Alors,<br />
j’ai claqué la porte. J’ai préféré renouer avec<br />
PARCOURS<br />
à la zaouïa. Démasqué, il est sous<br />
surveillance. Il ira en France en 1956 puis<br />
ralliera la Tunisie, puis la Libye où il est<br />
commissaire politique. Il est rédacteur dans<br />
la revue de l’Algérie combattante, résistance<br />
algérienne.<br />
A l’indépendance, après un court intermède<br />
aux Affaires étrangères, il sera enseignant<br />
dans différents lycées d’Alger. Auteur<br />
prolifique, Sedik a à son actif 101 livres et<br />
d’autres ouvrages en chantier.<br />
PHOTO D. R.<br />
On rencontre beaucoup d’hommes parlant de<br />
liberté, mais on en voit très peu dont la vie n’ait été<br />
principalement consacrée à se forger des chaînes.<br />
La liberté a des limites que lui impose la justice<br />
La liberté n’existe que là où l’intelligence et le<br />
courage parviennent à mordre sur la fatalité<br />
mes premières amours : l’enseignement. Je me<br />
sentais plus utile dans ce domaine. Je renouais<br />
en quelque sorte avec ma vocation.»<br />
RETOUR À L’ENSEIGNEMENT<br />
Il est professeur d’arabe au lycée Abane Ramdane<br />
d’<strong>El</strong> Harrach, au lycée Ibn Khaldûn et au<br />
lycée des frères Hamia à Kouba. Son destin<br />
croisera, en 1980, celui de son ami Abderahmane<br />
Chibane, promu ministre des Affaires<br />
religieuses, qui le nommera dans son staff.<br />
«J’étais chargé du patrimoine et de la restauration<br />
des vestiges. J’ai effectué de nombreux<br />
déplacements à l’étranger qui ont conforté<br />
mes connaissances, notamment en URSS où<br />
j’ai pu visiter les Républiques musulmanes.»<br />
En 1997, Sedik se retire du ministère pour se<br />
consacrer à l’écriture. Chez l’écrivain, la vie<br />
vécue se double d’une vie écrite. Et celle-ci<br />
n’est pas seulement la transcription de celle-là,<br />
avoue-t-il pour décrire sa passion livresque.<br />
«Ecrire, notait Faulkner, ce n’est pas se détourner<br />
de la vie, c’est la vivre autrement,<br />
c’est accéder dans et par l’écriture à une autre<br />
vie.» Si l’on se réfère à son parcours, Sedik a<br />
eu plusieurs vies avec un seul dénominateur,<br />
l’amour du pays, l’amour des autres, développés<br />
dans une piété exemplaire. Pour lui, il n’y<br />
a pas plusieurs Islam comme prôné par les<br />
faux prophètes, à l’origine de catastrophes<br />
passées et à venir.<br />
«Tout ce qui en dehors du Coran et de la Sunna<br />
s’apparente à du charlatanisme qui sacrifie<br />
l’essentiel pour l’accessoire, se fixant sur le<br />
virtuel et non sur le réel, sur le prosélytisme,<br />
sur des données déformées, sur des impostures.<br />
Cette manière de voir est heureusement<br />
rejetée par la quasi-majorité des musulmans,<br />
qui savent distinguer le bien du mal. L’Islam<br />
des apparences et de la violence n’est pas le<br />
fait de véritables musulmans», tranche-t-il.<br />
Ce que pense l’enseignant de l’école algérienne<br />
? Amer, il avance qu’elle n’a pas atteint ses<br />
buts. L’école se limite, hélas, à former des<br />
hommes obnubilés par le diplôme qu’on veut<br />
obtenir par tous les moyens, même en trichant.<br />
Le diplôme est supposé être la clef qui ouvre<br />
les portes. Mais on oublie de construire l’homme<br />
en lui inculquant tout le savoir nécessaire<br />
pour pouvoir jouer pleinement son rôle dans la<br />
société, en sa qualité de citoyen à part entière.<br />
Autour de la longue discussion, Sedik exhibe<br />
ses livres dont l’un a attiré notre attention et<br />
consacré au militant libyen de la cause nationale,<br />
<strong>El</strong> Hadi <strong>El</strong> Mechirgui, qui avait<br />
l’Algérie au cœur et qu’il a aidée de manière<br />
désintéressée, mettant en péril sa vie. «C'est<br />
un grand homme qui a émis le vœu d’être enterré<br />
en Algérie. Il est décédé à 101 ans et est<br />
inhumé à <strong>El</strong> Alia. Ecrire sur ce valeureux personnage<br />
est un devoir de mémoire pour moi.<br />
La moindre des choses était de l’immortaliser.»<br />
La discussion très plaisante se poursuite,<br />
mais il se fait tard… A plus tard… H. T.<br />
htahri@elwatan.com