« Arracher ses poils pour <strong>le</strong>s donner au public, c’est un vrai don de soi… » 14 LONGUEUR D’ONDES N°64
Success d’estime ou commercial ? 4 mai 2012, Adam “MCA” Yauch (Beastie Boys) s’éteint à New York : cancer des glandes salivaires. De l’autre côté de l’Atlantique, rencontre avec l’un de ses fans, Mister E<strong>le</strong>ganz, <strong>le</strong>ader du quatuor é<strong>le</strong>ctro-rock de Rennes qui, en plus d’être l’un des meil<strong>le</strong>urs live du moment, vient de sortir un premier album survolté. b SAMUEL DEGASNE | a GILDAS RAFFENEL on a déjà dit beaucoup dans ces colonnes sur Success : sa découverte aux Bars en Trans 2008, <strong>le</strong>s ex-Percubaba qui en composent <strong>le</strong>s rangs, <strong>le</strong>ur titre Girl from New Or<strong>le</strong>ans repéré par <strong>le</strong> label RCA / Columbia UK, la délicieuse arrogance singée en live, la forte impression laissée au Printemps de Bourges, Art Rock, Marsatac, 3 Éléphants, Garorock… Mais rien sur <strong>le</strong>ur filiation avec <strong>le</strong>s Beastie Boys. Pourtant, à réécouter <strong>le</strong>ur hymne S.U.C.C.E.S.S. de fin de concert, <strong>le</strong> parallè<strong>le</strong> est troublant… Étonnant pour un quatuor pas si hip-hop qu’il n’y paraît. “Ce décès… c’est dur. Des membres du groupe, <strong>le</strong> hip-hop est l’unique soc<strong>le</strong> commun. En 1987, j’achetais Licence to ill… Jo, qui me rejoint désormais au chant sur scène, a un flow naturel<strong>le</strong>ment rap. Bref, on fait du hip-hop’n’roll !” raconte Yan, marionnettiste du personnage Mister E<strong>le</strong>ganz. Justement, cette composante détonne sur <strong>le</strong>ur album Social network junkies, alors que <strong>le</strong> public a toujours tendance à <strong>le</strong>s catégoriser é<strong>le</strong>ctro-rock : “Le but était avant tout de prouver que nous n’étions pas qu’un groupe de live, mais crédib<strong>le</strong>s en production. L’album a été composé à l’inverse de notre habitude ; certains morceaux n’avaient par exemp<strong>le</strong> jamais été joués en concert. 150 dates et cinq ans d’existence… c’est la fin d’un cyc<strong>le</strong>.” Et cet enregistrement, alors ? “L’arrogance doit se sentir en studio, alors qu’el<strong>le</strong> est si faci<strong>le</strong> à mettre en place sur scène… Nous avons travaillé <strong>le</strong> son à l’Ubu de Rennes, histoire de trouver <strong>le</strong> bon endroit, la bonne résonance comme par exemp<strong>le</strong> certaines voix enregistrées dans <strong>le</strong>s toi<strong>le</strong>ttes, raconte Yan, hilare. Nous avons déjà confié trois titres de l’album à remixer. Nous aimerions, en contre-pied, que Gablé se charge de l’un d’eux.” L’ambiguïté, toujours. Presque un <strong>le</strong>itmotiv. Car, même côté images, Success cultive <strong>le</strong> paradoxe : alors que l’album veut prouver que <strong>le</strong>s Rennais ne sont pas qu’un (excel<strong>le</strong>nt) groupe de live, <strong>le</strong>urs vidéos promotionnel<strong>le</strong>s ne sont illustrées que par des extraits de concert… “C’est vrai ! Mais ce coup-ci, un vrai clip est prévu, rassure <strong>le</strong> frontman. Nous cherchons juste LA bonne idée. Pire qu’un yaourt, il faut qu’il conserve une certaine longévité ! Trop de formations malmènent certains supports… 15 LONGUEUR D’ONDES N°64 coup d’éclat ” Perfectionnistes, on <strong>le</strong>ur fait confiance sur ce point. En terme d’image, la presse a d’ail<strong>le</strong>urs souvent inscrit <strong>le</strong>s Rennais dans l’album de famil<strong>le</strong> de Nasser et Minitel Rose… “Une erreur, selon nous. C’est pour ça que nous prétendons venir d’un endroit situé entre Detroit et Memphis… Nos affinités avec la scène hexagona<strong>le</strong> sont plus humaines que musica<strong>le</strong>s. Nous avons ainsi du respect pour Didier Wampas, un type tel<strong>le</strong>ment gentil… De la pure schizophrénie !” Logique : <strong>le</strong>s deux protagonistes jouent régulièrement <strong>le</strong>s pois-sauteurs. Véritab<strong>le</strong>s hyperactifs, ils savent faire de la scène un sésame. “Il y a une narration du corps. On se crée des cadres, des contraintes et on joue à l’intérieur. La démesure doit être au service du rock, pas l’inverse ! Arracher ses poils pour <strong>le</strong>s donner au public, c’est un vrai don de soi… (rires)”, conclue <strong>le</strong> trublion. Pour autant, si chanter en français pourrait être une façon de mieux faire comprendre son message, “la démarche n’est pas encore naturel<strong>le</strong>. Ce serait comme expliquer une blague ! Le show doit se suffire à lui-même…“ L’anglais n’est pas non plus un paravent au consensus mou. Bien au contraire, certaines paro<strong>le</strong>s durcissent <strong>le</strong> ton, comme cet inédit sur la montée de l’extrémisme en téléchargement gratuit. Mais l’anglais est éga<strong>le</strong>ment un passeport qui <strong>le</strong>ur a ouvert l’international. Et s’il n’y avait qu’une date à retenir, ça serait cel<strong>le</strong> en Chine : “Une plus grosse énergie qu’en France, même si <strong>le</strong> public passe son temps à te shooter avec son téléphone. Là-bas, mettre sa veste à l’envers (scénographie utilisée lors de la chanson The psychoanalyst, NDR) n’a pas la même résonance. Alors quand je me suis mis à cracher <strong>le</strong> gaffer qui me scotchait la bouche… la fou<strong>le</strong> était hystérique !” En fait, tout est permis, sauf l’instrumentalisation : “On a joué en Birmanie, pas parce que c’est une dictature, mais parce que c’est subversif ! Faut que <strong>le</strong>s gamins se mettent au rock, foutent <strong>le</strong> bordel. On veut faire pareil en Tunisie, même si c’est gratos. Et Téhéran, Corée du Nord… Dire que certains refusent d’al<strong>le</strong>r jouer à Toulon à cause de la montée des extrêmes. Nous, on aimerait bien y jouer tous <strong>le</strong>s jours !” Un engagement à la mesure des Beastie Boys avec <strong>le</strong> Tibet ? “Exactement !” La bouc<strong>le</strong> est bouclée… i