Anny Bloch - Revue des sciences sociales
Anny Bloch - Revue des sciences sociales
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Le nom,<br />
ANNY BLOCH<br />
Ingénieur-Chercheur, CNRS<br />
Faculté <strong>des</strong> <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong><br />
Laboratoire de sociologie<br />
de la culture européenne<br />
A NNY BLOCH<br />
un parcours<br />
initiatique<br />
C’<br />
est baroque, avait dit un ami ?<br />
Pourquoi fallait-il que je reprenne<br />
mon patronyme ? Lui, Charles<br />
Reinheimer ne s’était pas posé le problème.<br />
Sa femme s’appelait Nadine Reinheimer.<br />
Quelle idée saugrenue, quelle<br />
mouche m’avait piquée ? D’ailleurs dans<br />
ce restaurant, il croyait les tables réservées<br />
au nom de R… Il n’avait pas pensé<br />
à d’autres possibilités. Et il attendait<br />
croyant qu’on l’avait oublié. Il n’était pas<br />
le seul à ne pas comprendre.<br />
Les proches, la famille ne saisissaient<br />
pas pourquoi j’avais choisi de porter un<br />
simple nom, celui de mon père ?<br />
Les soupçons avaient surgi. “Mais<br />
pourquoi ne portes-tu plus le nom de ton<br />
mari” ? Pour les membres de la famille,<br />
c’était diffamatoire. De toute façon ces<br />
derniers ne modifiaient rien, ils ne voulaient<br />
pas voir malgré les signatures répétées<br />
; c’était toujours Monsieur et Madame<br />
R sur les enveloppes et partout. C’était<br />
ainsi que je m’étais mariée. Supprimer<br />
leur nom laissait croire que je vivais<br />
seule ou divorcée.<br />
Les amis proches m’avaient finement<br />
interrogée. Certains avaient regardé aux<br />
fenêtres pour savoir. Il y avait les irréductibles<br />
et les autres. Ces derniers<br />
avaient toléré un double nom, cela devenait<br />
le signe de revendications de plus<br />
en plus communes <strong>des</strong> femmes. Ils<br />
n’iraient pas au-delà. Du côté de ma<br />
famille, ils acceptaient de faire apparaître<br />
le nom de <strong>Bloch</strong>, leur nom accolé<br />
à celui de R. l’autre nom. C’était la limite.<br />
<strong>Bloch</strong> tout seul comme nom propre.<br />
Cela n’avait pas de sens. Je barrais,<br />
répudiais d’une certaine manière le<br />
deuxième nom.<br />
Le nom, un feuilletage<br />
à décomposer ■<br />
Mes noms correspondaient à <strong>des</strong><br />
époques différentes, à de véritables strates<br />
d’une histoire que j’avais rencontrée sans<br />
la vouloir; ils avaient surgi comme une<br />
nécessité incontrôlable. Je pouvais essayer<br />
d’en donner quelques clefs, déconstruire<br />
et recomposer mais j’étais consciente d’un<br />
parcours aléatoire et aventurier par lequel<br />
j’avais essayé de m’échapper <strong>des</strong><br />
contraintes <strong>sociales</strong>, familiales, généalogiques.<br />
J’étais sortie du nous, de notre<br />
famille, de la leur, pour tenter ma chance<br />
ailleurs.<br />
“Une passion <strong>des</strong> détours”, écrirait<br />
David Le Breton. Je ne savais pas ce qui<br />
m’attendait, je ne voulais pas m’y préparer;<br />
le désir de risquer, de changer de personnage<br />
me convenait. Avec un nouveau<br />
nom, je devenais autrement. D’ailleurs, les<br />
passages ne se faisaient pas facilement.<br />
Quelquefois, il fallait trouver <strong>des</strong> transitions<br />
qui allaient de pair avec d’autres<br />
écritures. Qu’était donc venu faire ce pseudonyme<br />
journalistique Anna Mey. J’avais<br />
choisi d’écrire <strong>des</strong> textes dans un hebdomadaire<br />
sous ce pseudonyme. Un nom<br />
refuge, une cachette, une impossibilité de<br />
porter un nom, un désir de faire disparaître<br />
l’ancien, ni le nom du père, ni le nom<br />
du conjoint; j’étais dans le ni- ni. Le nom<br />
que l’on se choisit fait la grimace aux<br />
règles de la parenté. Il y avait tout cela.<br />
A chaque style d’écriture, survenait un<br />
désir de porter un nouveau nom. L’écriture<br />
journalistique paraissait un genre si différent<br />
<strong>des</strong> travaux précédents que le pseudonyme<br />
d’Anna Mey lui convenait. Cela me<br />
laissait latitude d’une écriture ironique,<br />
111
112<br />
drolatique et donnait la liberté pour parler<br />
<strong>des</strong> relations entre hommes et femmes,<br />
de la coquetterie, de la féminité, d’elles et<br />
eux, de la domination, de l’individu moderne.<br />
J’essayais de découvrir de nouvelles<br />
formes d’intimité qui oscillaient entre<br />
secret et parole. Ce pseudonyme avait-il un<br />
sens ? Il tournait peut-être autour de<br />
l’amour ou plutôt de la découverte cruelle<br />
et inattendue de son absence.<br />
Raymond, c’était un prénom, un prénom<br />
peut-il devenir un nom? Souvent, les<br />
prénoms proviennent d’un ancêtre venant<br />
de l’assistance publique. Ce nom est parfois<br />
le signe d’un enfant trouvé. J’avais<br />
durant <strong>des</strong> années porté le nom de Raymond,<br />
on me demandait si j’étais parente<br />
avec un évêque qui portait le même nom.<br />
Pour avoir voulu porter le nom du mari,<br />
j’étais affiliée à <strong>des</strong> prélats catholiques.<br />
La situation depuis quelques années<br />
s’était enchevêtrée. En fonction de la correspondance<br />
– que je recevais, <strong>des</strong><br />
adresses, je pouvais deviner de quelle<br />
époque datait ma relation. Il y avait <strong>Bloch</strong>,<br />
c’était souvent <strong>des</strong> camara<strong>des</strong> d’enfance.<br />
C’était ainsi qu’elles m’avaient connue,<br />
ainsi que l’on restait. Il y avait l’époque<br />
aixoise où j’étais devenue madame R et<br />
très contente d’avoir fait disparaître mon<br />
nom patronymique. Puis il y eut l’époque<br />
parisienne, où le nom de <strong>Bloch</strong> réapparut<br />
suivi du tiret Raymond. Strasbourg enfin,<br />
et puis la période allemande. Dans ces<br />
intervalles, que s’était – il donc passé?<br />
Simon, <strong>Bloch</strong><br />
et les autres ■<br />
Dans la ville méridionale où la famille<br />
avait trouvé refuge en 1941, il arrivait que<br />
mon père fût appelé Simon, le nom de sa<br />
mère, le nom de l’entreprise que ses<br />
grands-parents avaient créée dans l’Est. Le<br />
nom s’était attaché à la société Simon<br />
Frères, Simon et Cie. Le sien disparaissait.<br />
Cela ne le troublait pas. Et puis cette<br />
famille était ancrée aussi dans le midi<br />
depuis un siècle. Un arrière grand-oncle<br />
Joseph n’avait-il pas créé une école ou les<br />
familles protestantes apprenaient l’hébreu?<br />
Réfugié, mon père faisait partie de<br />
cette famille mais son véritable nom avait<br />
disparu au profit d’une raison sociale ou<br />
d’un titre celui de son nouveau commerce<br />
de céréales en gros “Les Moulins de Provence”.<br />
Ils avaient été très nombreux les<br />
réfugiés à se rendre à Nîmes, plus de trois<br />
cents familles juives. Et <strong>des</strong> milliers<br />
affluaient de Hollande, de Hongrie, de<br />
Pologne et <strong>des</strong> régions plus proches, de l’est<br />
de la France. Une soixantaine de foyers seulement<br />
existaient auparavant. Ces familles<br />
anciennes avaient été débordées, s’étaient<br />
chargées de l’accueil mais leurs habitu<strong>des</strong><br />
de vie se différenciaient de celles <strong>des</strong> nouveaux<br />
arrivants. Des frottements cultuels<br />
en résultaient malgré les temps difficiles.<br />
Parmi les noms plus récents - certains<br />
dataient <strong>des</strong> années vingt-, beaucoup<br />
d’après la guerre provenaient de l’Est, de<br />
l’Europe, de Pologne, de Russie : Marco,<br />
Kantor, Apelbaum Goldenberg, Fischbein,<br />
Oestreicher, Aronoff, ou d’Alsace, Landauer,<br />
Blum, Dockés, Grumbach, Lemler. Ils<br />
s’opposaient aux vieux noms comtadins<br />
dont certains s’ancraient dans le Moyen-<br />
Age : Carcassonne, Cavaillon-Bernard,<br />
Mossé, Crémieux, Milhaud, Meyrargues,<br />
Lazare. Ils étaient très éloignés <strong>des</strong> noms<br />
séphara<strong>des</strong> portés par de vieilles familles<br />
turques d’Istanboul ou égyptiennes<br />
d’Alexandrie : je me rappelle <strong>des</strong> Uziel,<br />
Escogido, Men<strong>des</strong>, Cases devenus Casas,<br />
<strong>des</strong> familles portugaises comme Gomes ou<br />
<strong>des</strong> familles Benattar venues d’Algérie. Des<br />
familles <strong>Bloch</strong> étaient là avant guerre,<br />
d’origine parisienne et étaient prospères.<br />
Elles possédaient de grands magasins mais<br />
nous avions peu de relations avec elles.<br />
Une vingtaine de familles alsaciennes<br />
avaient trouvé refuge dans la ville jusqu’en<br />
1942. Les enfants faisaient leurs étu<strong>des</strong> au<br />
lycée. Il y avait peu à manger. Mais l’on survivait<br />
jusqu’au départ et 1942 et 1943 dans<br />
les villages <strong>des</strong> vallées cévenoles comme<br />
l’on pouvait. Les cultes se déroulaient<br />
durant la guerre, certains plus orthodoxes<br />
que d’autres…<br />
A l’école, dans les années 1955, nous<br />
étions au milieu <strong>des</strong> Bosc, Monod, Gille,<br />
Alméras, Aldebert, Morel, Rivière, Dufoix,<br />
Gaujoux et <strong>des</strong> noms et prénoms espagnols<br />
comme Félicidad, Paquita, Pablo, italiens<br />
en moins grand nombre <strong>des</strong> noms comme<br />
Paoli, Giudicelli. De vieilles habitu<strong>des</strong> de<br />
tolérance persistaient dans cette ville.<br />
Seuls les anciens collaborateurs étaient<br />
mis à l’index avec défense d’acheter chez<br />
eux. Pourtant moins que les noms, les<br />
signes de religion, la croix, la colombe protestante<br />
marquaient les différences. Il<br />
arrivait dans les cours de recréation que<br />
l’histoire de la Saint Barthélémy soit<br />
rejouée devant nous et nous devenions<br />
alors <strong>des</strong> spectateurs. Les clivages sociaux<br />
<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1999, n° 26, L’honneur du nom, le stigmate du nom<br />
et religieux existaient mais les enfants se<br />
fréquentaient : ils s’invitaient pour les<br />
anniversaires, faisaient leurs devoirs chez<br />
l’un ou chez l’autre. Pour régler leurs différends,<br />
les adultes après-guerre se rencontraient<br />
aux Amitiés judéo-chrétiennes,où<br />
les élites entretenaient de longues disputes<br />
durant lesquelles personne n’avait le<br />
dernier mot. Chacun maintenait ses positions<br />
mais l’on se rencontrait et c’était un<br />
pas en avant. Jules Isaac habitait tout<br />
près en Avignon. Nous étudions ses<br />
manuels et nous découvrîmes plus tard La<br />
Genèse de l’antisémitisme. Il devait avoir<br />
audience chez le pape. Nous ne rencontrions<br />
pas d’ostracisme, pas pour les<br />
familles en filiation avec les familles originaires<br />
du lieu. L’on ne pouvait pas dire<br />
la même chose à propos <strong>des</strong> familles qui<br />
venaient de Pologne ou plus tard dans les<br />
années 1950, 1960 d’Egypte et d’Afrique<br />
du Nord. Les vieilles personnes, celles qui<br />
avaient quitté leur maison, leurs connaissances,<br />
leurs paysages se sentaient exilées.<br />
Elles fréquentaient <strong>des</strong> gens de la même<br />
origine, avaient du mal à refaire leur vie.<br />
Ma grand-mère était heureuse quand elle<br />
pouvait passer ses après-midi avec ses<br />
amis, parler l’alsacien, se remémorer les<br />
scènes, les magasins de son enfance et rentrer<br />
une fois par an chez elle, en Alsace, et<br />
dans les Vosges.<br />
La ville de Nîmes avait ses pauvres, ses<br />
quartiers populaires et son quai de la Fontaine<br />
avec sa bourgeoisie huppée, la HSP<br />
et <strong>des</strong> protestants plus aguerris d’origine<br />
cévenole. J’avais saisi la ru<strong>des</strong>se, l’austérité<br />
et la générosité de certains grâce à la<br />
dame qui me promenait enfant et qui travaillait<br />
chez nous. Elle seule, Madame<br />
Delpuech, pouvait critiquer ses<br />
employeurs. Et son savoir-faire, son autorité,<br />
son esprit de résistance ne permettaient<br />
aucune remarque.<br />
Nous avions de la prévention pour les<br />
institutions catholiques que nous connaissions<br />
de réputation - nous opérions une<br />
séparation entre les écoles laïques et les<br />
écoles privées -. Mais cela ne m’empêchait<br />
pas, chaque jeudi matin, de suivre <strong>des</strong><br />
cours de latin chez un chanoine.<br />
Le nom, une histoire<br />
de religions ■<br />
Seul le catéchisme était enseigné dans<br />
les lycées de jeunes filles. Quelquefois,<br />
nos amies venaient nous voir pour nous<br />
■<br />
■<strong>Anny</strong> <strong>Bloch</strong> Le nom, un parcours initiatique<br />
raconter que le prêtre avait dit que les<br />
juifs ont tué le Christ. Elles nous regardaient<br />
d’un air interrogatif. Nous allions<br />
chercher une réponse chez le rabbin qui<br />
nous enseignait l’histoire du judaïsme. Il<br />
nous parlait <strong>des</strong> Romains, de <strong>des</strong>truction<br />
du temple, d’Abraham, de la sortie<br />
d’Egypte, mais pas du Nouveau Testament.<br />
Nous n’obtenions donc pas de<br />
réponse précise. On disait que c’était un<br />
traître. Dans tous les cas, les responsables,<br />
ce n’était pas nous. Et le présent reprenait<br />
le <strong>des</strong>sus.<br />
Etions-nous différents <strong>des</strong> autres ?<br />
Quand on nous parlait de Luther et puis<br />
de Calvin, nos camara<strong>des</strong> protestantes<br />
connaissaient parfaitement leurs vies.<br />
Pour nous, les dates et les événements le<br />
vocabulaire qui l’accompagnaient étaient<br />
difficiles à retenir. Il s’agissait de portraits;<br />
ni le judaïsme, ni le protestantisme,<br />
ni le catholicisme n’étaient enseignés au<br />
lycée, on ne parlait que <strong>des</strong> Hébreux et<br />
<strong>des</strong> débuts du christianisme. La Trinité,<br />
l’Eucharistie, la Résurrection furent longtemps<br />
<strong>des</strong> termes étranges. Marie me<br />
paraissait la plus humaine. Surtout lors de<br />
la Fête Dieu où de superbes processions<br />
avaient lieu hors de l’église avec <strong>des</strong><br />
petites filles en blanc qui jetaient <strong>des</strong><br />
pétales de roses. J’aimais beaucoup l’église<br />
qui se trouvait juste en face de chez<br />
nous. J’éprouvais de l’émotion quand tout<br />
le monde entonnait l’Ave Maria que je<br />
connaissais par cœur. Plus tard, j’eus le<br />
même sentiment de ferveur quand j’entendis<br />
articuler merveilleusement une<br />
messe en espagnol dans une église<br />
baroque d’Andalousie. Un chant profond.<br />
Pourtant, notre histoire se disait entre<br />
nous. Nous avions de l’appréhension à<br />
expliquer les fêtes, les rites casher, les<br />
prières, le repos du shabbat. Nous n’étions<br />
pas très pratiquants. Il fallait faire la différence<br />
entre les règles et nos usages au<br />
quotidien. Ce n’était pas facile. En réalité,<br />
la religion peut-être parce qu’elle était<br />
minoritaire, restait cachée comme un<br />
secret. Qu’allaient-ils pouvoir comprendre<br />
et que répondre au “pourquoi ne mangezvous<br />
pas de porc?” et surtout comment<br />
faire accepter nos réponses. Je crois que<br />
nous n’avions pas envie de nous distinguer<br />
de nos camara<strong>des</strong>, d’être singuliers. Nous<br />
avions une appréhension à parler de l’histoire<br />
juive médiévale de la ville malgré la<br />
demande répétée de nos professeurs. Cela<br />
demeurait du domaine de l’intimité, de<br />
l’entre soi. Un rabbin régulièrement ou un<br />
hazan nous donnaient <strong>des</strong> cours de religion<br />
dans un espace réservé à cela, la vieille<br />
schule. Nous n’étions pas dans l’ostentation,<br />
simplement de la réserve, dans la perception<br />
de l’écart.<br />
Comment expliquer à nos amies que<br />
nous n’avions rien à faire avec le Christ,<br />
que ce n’était pas notre histoire? Il n’y<br />
avait pas de lieu pour recevoir un échange,<br />
pas de passerelles de médiation. Les<br />
différences existaient mais elles ne pouvaient<br />
se dire; l’on faisait silence, non par<br />
honte mais plutôt par peur qu’on se rit de<br />
nous, qu’on nous trouve étrange. L’exclusion<br />
aurait été douloureusement ressentie.<br />
Quelquefois, il s’agissait de silences<br />
obstinés. Ce fut le cas quand un de nos<br />
enseignants évoqua le juif Shylock, échangeur<br />
de chair dans la pièce, Le marchand<br />
de Venise. Notre professeur d’anglais nous<br />
parlait de Shakespeare, mais le contexte,<br />
la Renaissance, les stéréotypes n’étaient<br />
pas éclaircis. Je vécus ce cours comme une<br />
séance humiliante et inacceptable. Durant<br />
six mois, d’élève “vivante” je devins silencieuse<br />
jusqu’au jour où je fus convoquée<br />
en haut lieu pour m’expliquer. Que signifiait<br />
ce silence? Je racontais lentement et<br />
péniblement à la directrice la scène qui<br />
s’était passée. Mon silence était devenu<br />
une protection, le respect d’une histoire<br />
comme si les temps anciens avaient rattrapé<br />
les temps présents et s’étaient<br />
rejoints dans l’opprobre.<br />
J’étais contrainte d’assister au cours; je<br />
ne disais plus rien.<br />
Quand je fus appelée, je fus à la fois<br />
soulagée d’avoir pu parler à une femme<br />
compréhensive mais ce n’était pas à moi<br />
de porter le blâme. Je reçus un blâme<br />
pour m’être tue. Je me promis plus tard de<br />
ne rien laisser passer. J’eus ensuite <strong>des</strong><br />
ferveurs d’héroïne pour défendre le racisme,<br />
l’antisémitisme ; <strong>des</strong> engagements<br />
durables et tenaces. J’avais déclaré très<br />
tôt la guerre. Je fis la guerre avec dureté<br />
dès que nous étions attaqués dans notre<br />
intégrité. J’avais très tôt acquis le sentiment<br />
de l’injustice. Le silence ne suffisait<br />
pas. Il fallait faire “barrage” avec <strong>des</strong><br />
mots, <strong>des</strong> actions… Douce naïveté. J’appris<br />
à mes dépens que les succès de mobilisation<br />
importent peu aux politiques. Il<br />
leur arrive d’effacer d’un coup de trait ce<br />
qu’ils ont ardemment défendu quelques<br />
mois auparavant. Le politiquement correct<br />
campe chez nos penseurs dès qu’ils<br />
perçoivent un risque de changement de<br />
l’opinion.<br />
Nom, mémorial<br />
et naissance ■<br />
Quelquefois, on voulait honorer le nom<br />
de <strong>Bloch</strong>. C’était dans l’annexe du lycée de<br />
garçons, le Lycée Victor Hugo. Chaque<br />
année, l’on commémorait les morts et les<br />
déportés lycéens de la 2° Guerre mondiale<br />
dans la Cour d’Honneur, devant le monument<br />
aux morts. J’étais fière d’être conviée<br />
avec les grands et les personnalités à cette<br />
cérémonie. J’entrevoyais que mon nom<br />
était lié aux morts et aux déportés. Plus<br />
tard, je refusais sans aucune raison apparente<br />
de me rendre aux commémorations.<br />
J’avais appris trop tôt la mort dans mon<br />
nom. Pourtant, je sentais que j’avais une<br />
dette à l’égard de ces morts… Est-ce que<br />
je portais avec moi une sorte de mémorial<br />
obligé? Pour moi les lieux de la mémoire<br />
ne sont pas de pierre.<br />
Mon existence avait commencé d’une<br />
drôle de façon. C’est un récit qui m’avait<br />
été rapporté. Dans mes langes étaient<br />
cachés les vrais papiers de ma grand-mère.<br />
Je n’avais pas eu la possibilité de pleurer<br />
quand je suis née, cachée dans un petit village<br />
de la vallée cévenole où nombre de<br />
réfugiés de l’Europe entière résidait en<br />
même temps que ma famille. La milice<br />
recherchait juifs et résistants dans le village,<br />
ce jour-là. Le jour de ma naissance,<br />
elle était venue chez nos logeurs, les Vidal,<br />
qui avaient déclaré qu’il n’y avait personne<br />
dans les mansar<strong>des</strong>. Mon père avait fui,<br />
le docteur recherché comme résistant était<br />
parti; seules les deux femmes, mère grandmère<br />
et un enfant étaient restés. “Ils”<br />
n’étaient pas montés. Quand mon père<br />
était allé déclarer ma naissance le lendemain,<br />
ce jour de mai, le maire, conscient du<br />
danger que notre famille courait, avait promis<br />
qu’il ne la publierait pas. Mon nom<br />
devint alors clan<strong>des</strong>tin. C’était une précaution,<br />
une protection, une survie.<br />
Ce fut <strong>des</strong> années durant difficile de<br />
prendre la parole en public. Ma voix se perchait<br />
très haut, inatteignable. Je me mettais<br />
sans le savoir hors de danger.<br />
Découverte<br />
du sens du nom ■<br />
J’étais souvent dans les bibliothèques.<br />
Un cavalier d’un bal d’un soir vint me voir,<br />
un livre qu’il venait de prendre <strong>des</strong> étagères,<br />
ouvert. Il m’expliqua que mon nom<br />
113
114<br />
venait de wallach, welsch… et signifiait<br />
étranger. C’était un polytechnicien et le<br />
livre donnait la preuve. A deux, ils ne pouvaient<br />
qu’avoir raison. J’avais dix-sept ans<br />
et cela me fit tout drôle. Ce nom était barbare,<br />
si difficile à prononcer, je ne comprenais<br />
pas comment il s’était transformé.<br />
Sans doute cet homme avait-il voulu me<br />
faire plaisir? Je trouvais surprenant ce<br />
qu’il venait de m’annoncer. Je ne lui avais<br />
rien demandé. De quoi se mêlait-il? Ce fut<br />
un choc, moi une étrangère! Notre relation<br />
s’interrompit.<br />
Etait-ce un soulagement d’adopter le<br />
nom de Raymond dans cette petite ville<br />
provençale? J’allais peut-être disparaître,<br />
enfouir mon premier nom. Cette nouvelle<br />
prise de nom était comme une rencontre<br />
avec le lointain, avec ce qui était différent.<br />
Ce mariage était comme une expérience<br />
épique, une aventure poussée jusqu’au<br />
point - limite. C’était une sortie, un refus<br />
d’enfermement dans un milieu pesant,<br />
obsédé par les mêmes histoires que je percevais<br />
comme un espace clos où le passé<br />
anéantissait un présent à peine né. Je ressentais<br />
le besoin de me confronter à l’image<br />
de l’autre qui était en moi. C’était sans<br />
doute un moyen de regarder les miens à<br />
distance et de rejoindre le monde de<br />
l’autre dans la vie de tous les jours. L’autre<br />
permettait à la fois de faire exister la critique<br />
de ce que j’étais, du milieu d’où je<br />
venais, de me défaire <strong>des</strong> constructions<br />
imaginaires. J’essayais ainsi de réconcilier<br />
ce double, ni symétrique, ni identique<br />
mais un double étranger que je sentais<br />
riverain et qui m’appartenait.<br />
Paris quelques années après.<br />
Des noms entre tiret ■<br />
Nous étions devenues <strong>des</strong> femmes<br />
aux noms entre tiret pour ne pas oublier<br />
d’où nous venions, lignée, famille, arbre,<br />
filation paternelle. Peu d’hommes portaient<br />
le nom de leurs femmes entre<br />
tiret. Autour de ces noms, les absentes<br />
étaient nos mères et nos grand-mères à<br />
moins que nous ayions l’un de leurs prénoms<br />
en prime. J’enviais parfois la situation<br />
<strong>des</strong> femmes portugaises et espagnoles.<br />
De fait, je ne respectais pas la coutume<br />
: la femme mariée porte le nom de<br />
son mari en France. C’est devenu plus<br />
qu’une tolérance, un usage. Sur les formulaires<br />
de cartes d’identité, le simple<br />
nom d’origine de la femme ne figure pas<br />
comme nom usuel possible. Il faut le<br />
demander à moins que vous ne soyez<br />
divorcée.<br />
Des personnages<br />
d’enfance ■<br />
A Paris, je suivais avec passion <strong>des</strong><br />
séminaires sur l’utopie, le fétichisme, les<br />
minorités à l’université Paris VII avec les<br />
anglicistes de l’institut de Charles V. Dans<br />
mon premier travail d’écriture et de<br />
mémoire, sur la représentation du plaisir<br />
et du corps dans la littérature enfantine,<br />
apparaissaient <strong>des</strong> personnages solitaires<br />
Hamelin le joueur de flute, l’homme qui<br />
venait d’ailleurs, les enfants à la clé que je<br />
côtoyais dans la banlieue parisienne, un<br />
personnage singulier au nom de Rosenthal<br />
qui avait marqué mon enfance, ce graveur<br />
qui boitait, avec sa tête difforme et<br />
qui gravait <strong>des</strong> médailles avec <strong>des</strong> vierges,<br />
<strong>des</strong> croix. Il était silencieux. Il enlevait le<br />
métal avec une pointe, <strong>des</strong>sinait ces sujets,<br />
christ, vierge et saint, attentif, éclairé par<br />
une lampe intense quelle que fût l’heure<br />
de la journée. J’attendais. Il achevait son<br />
<strong>des</strong>sin, ouvrait ensuite la vitre qui protégeait<br />
<strong>des</strong> étagères et m’offrait du chocolat.<br />
L’homme silencieux au chocolat.<br />
Dans ce mémoire, surgissaient <strong>des</strong> personnages<br />
étranges, venus d’ailleurs dont<br />
l’histoire m’était inconnue mais qui attirait<br />
les enfants. C’est ainsi que le nom de<br />
<strong>Bloch</strong> réapparut avec un tiret. Comme si je<br />
voulais signifier une double appartenance,<br />
père et conjoint mais au-delà quelque<br />
chose qui sonnait français, quelque chose<br />
qui sonnait d’ailleurs.<br />
Cet ailleurs je l’ai retrouvé aussi bien<br />
en Allemagne lors de ma première visite à<br />
Hanovre adolescente, mais aussi quelques<br />
années plus tard dans une toute petite<br />
ville d’Amérique, à Millerton dans l’état<br />
de New York où je résidais. J’y trouvais<br />
une famille <strong>Bloch</strong> d’origine allemande. Ce<br />
nom provenait d’un peu partout, un nom<br />
nomade.<br />
Pour la première fois, j’avais signé un<br />
texte, et je ne sais pourquoi mon nom<br />
patronymique réapparaissait. L’écriture<br />
était présente : une marque d’existence,<br />
une marque d’expérience. A travers ce<br />
mémoire, <strong>des</strong> personnages d’enfance réels<br />
et/ou imaginaires traversaient <strong>des</strong> histoires.<br />
La question <strong>des</strong> métamorphoses surgissait.<br />
Je développais aussi un long chapitre<br />
sur les mères autoritaires vampi-<br />
<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1999, n° 26, L’honneur du nom, le stigmate du nom<br />
riques, Pas de baiser pour maman, le refus<br />
joyeux d’obéir, une séquence sur les pères<br />
absents et une autre sur la manière de se<br />
battre et de ruser avec les monstres et les<br />
géants : L’ogre de Zéralda, Max et les Maximonstres,<br />
Max l’ébouriffé, une transcription<br />
<strong>des</strong> contes d’Hoffmann. Je mettais en<br />
place une collection d’enfants horribles.<br />
J’avais beaucoup voyagé entre Maurice<br />
Sendak,Tomi Ungerer, John Burningham,<br />
et les éditeurs qui parlaient d’enfants<br />
odieux.<br />
De l’enfance dans les livres, je refaisais<br />
peut-être la mienne sans le savoir.<br />
Peut-être ce travail parlait de la difficulté<br />
d’accepter la filiation; peu importe<br />
laquelle : celle de la mère ou celle du père.<br />
Un désir de s’appartenir, un désir démiurge.<br />
Est-ce un hasard si j’avais demandé à<br />
mon jeune enfant de m’appeler par mon<br />
prénom?<br />
Mais n’était-ce pas la mode de l’époque<br />
ou plutôt les traces de ses bouleversements.<br />
Comme si nous voulions à la fois<br />
effacer les rapports d’autorité et les<br />
marques de génération. Avant tout, nos<br />
parents étaient un miroir à rejeter. La<br />
famille était devenue éloignée. La nécessité<br />
d’exister nous la faisait tenir à distance.<br />
Mon histoire se découvrait comme <strong>des</strong><br />
histoires à tiroirs où les noms se succédaient.<br />
En Alsace, le nom,<br />
support implicite<br />
d’une histoire ambiguë ■<br />
Le fait d’avoir adopté un seul nom<br />
créait <strong>des</strong> situations nouvelles. Mon compagnon<br />
se faisait appeler de mon nom.<br />
Complice et respectueux de mon choix, il<br />
s’étonnait de toutes ces préventions. Il souriait,<br />
ne rectifiait pas quand on l’appelait<br />
du nom de <strong>Bloch</strong>.Il y avait <strong>des</strong> gens de mon<br />
côté et du sien. Cela l’amusait aussi beaucoup<br />
de me présenter avec mon nom, sans<br />
rien ajouter. Sa vieille tradition familiale<br />
anarchiste resurgissait avec délices.<br />
Nous étions devenus un de ces couples<br />
où le sujet primait la norme. Il jubilait <strong>des</strong><br />
questions que son milieu pouvait bien<br />
poser sans oser s’adresser directement à<br />
lui. Nos noms distincts laissaient croire à<br />
de nouveaux couples recomposés, concubins.<br />
Parfois, l’on me demandait s’il s’agissait<br />
d’une deuxième union.<br />
Bizarrement le retour à mon nom avait<br />
brouillé les pistes.<br />
■<br />
■<strong>Anny</strong> <strong>Bloch</strong> Le nom, un parcours initiatique<br />
Mais quand un seul nom était apparu,<br />
mon fils comme les amis avaient eu du mal<br />
à comprendre ces changements. Je naviguais<br />
entre <strong>des</strong> remarques sur l’affirmation<br />
de mes origines ou mon refus d’être<br />
mariée. De toute façon, le soupçon ou l’incompréhension<br />
régnait.<br />
Plus tard, en Alsace, un ami proche me<br />
dit : “avec un nom pareil, on va croire que<br />
les gens te doivent encore de l’argent”. Il<br />
arrivait qu’on m’appelle <strong>Bloch</strong>-Lainé, <strong>Bloch</strong>-<br />
Dassault ou tout simplement Lévy et mes<br />
conversations sur les paysages finissaient<br />
par devenir une histoire sur les juifs amis,<br />
ou familiers que les villageois avaient<br />
connus il y a longtemps, avant guerre, fautil<br />
préciser. Porter ce nom les renvoyait à<br />
une culpabilité dissimulée ou les aider à<br />
parler de gens morts. Qu’avaient donc ces<br />
habitants, qu’avaient-ils à se reprocher?<br />
Quelquefois , quand je ne disais rien sur<br />
mon nom, qu’une amie et moi enquêtions<br />
sur les juifs, les stéréotypes, <strong>des</strong> blagues<br />
bien connues sur l’argent, l’usure, la roublardise<br />
apparaissaient tout naturellement.<br />
Dans d’autres lieux, d’autres circonstances,<br />
mes interlocuteurs parlaient avec regret et<br />
nostalgie d’un monde disparu.<br />
J’appris ainsi que ma famille paternelle<br />
venait d’Epfig, un petit village alsacien<br />
où l’ancêtre <strong>Bloch</strong> était sorti et avait<br />
pris ce nom en 1808. C’était un nom qui<br />
venait d’Autriche, était passé par l’Allemagne.<br />
Mon père n’avait jamais eu honte<br />
de son nom, au contraire; il était très en<br />
colère contre une de ses parentes qui avait<br />
osé dire que c’était une calamité de porter<br />
un tel nom. Le fils de ce proche avait été<br />
baptisé protestant mais il n’avait pas souhaité<br />
changer de nom. Elle sentait peutêtre<br />
cette lourdeur d’être immédiatement<br />
désignée. Elle me raconta plus tard qu’elle<br />
avait souffert pendant la guerre. Elle se<br />
souvenait du mot Juif sur sa porte le matin<br />
qu’elle devait très tôt effacer. Les milieux<br />
que sa famille fréquentait s’étaient brutalement<br />
éloignés, et à vingt ans, elle avait<br />
été privée de ses amis, avec l’obligation<br />
d’aller à certaines heures à la piscine,<br />
d’être constamment sur ses gar<strong>des</strong>. Ces<br />
humiliations furent ressenties violemment<br />
par cette famille juive assimilée, reçue<br />
dans les meilleurs salons à Paris. Son père,<br />
Théo Farhi, après avoir été ingénieur agronome,<br />
plantait <strong>des</strong> roses, puis, était devenu<br />
dentiste. Il était réputé pour sa générosité.<br />
D’origine libanaise, poète,<br />
inventeur parlant l’arabe et l’hébreu, il<br />
avait beaucoup voyagé et s’était vu confié<br />
au Liban une mission en Palestine par l’Alliance<br />
Israélite Universelle. Sa fille ne<br />
s’était pas remise <strong>des</strong> horreurs. Pourtant,<br />
elle n’avait pas demandé le changement de<br />
son nom. Quelle influence ces attitu<strong>des</strong><br />
pouvaient-elles avoir sur mon histoire?<br />
Dans la famille paternelle, les femmes<br />
détenaient l’autorité comme <strong>des</strong> reines.<br />
Elles régissaient les maisons, tenaient la<br />
gestion <strong>des</strong> entreprises. Les hommes cherchaient<br />
<strong>des</strong> clients au dehors. Ils étaient<br />
souvent absents, la semaine durant et<br />
même davantage. Chez elles, les pères<br />
“n’avaient pas la loi”. Ces derniers<br />
disaient aux enfants, à leurs épouses : “fais<br />
comme tu veux”. Ils ne tranchaient pas,<br />
laissaient leurs décisions aux autres.<br />
C’était elles qui devaient savoir. Leurs<br />
propres pères étaient morts jeunes, la<br />
trentaine. Les mères, les tantes dirigeaient.<br />
Eux, montraient parfois leur<br />
désaccord ; ils étaient têtus, pensaient<br />
avoir raison mais n’avaient pas le dernier<br />
mot. C’était ainsi dans cette lignée. Souvent,<br />
ils restaient dans l’indécision. Ils<br />
recherchaient <strong>des</strong> maîtresses-femmes.<br />
Leurs femmes rêvaient de Mensch. Ils pratiquaient<br />
une très grande dévotion à<br />
l’égard de leurs mères qu’ils allaient voir<br />
régulièrement. Elles étaient devenues<br />
veuves très tôt et ils restaient attachés à<br />
elles.<br />
En Alsace, l’apprentissage de l’allemand<br />
me mit face aux difficultés que je<br />
ressentais comme insurmontables. Je prononçais<br />
l’allemand à l’anglaise, langue de<br />
ma prime enfance ou à l’alsacienne,<br />
langue de ma grand-mère. Cette langue<br />
apparaissait comme incontournable et<br />
insurmontable. J’avais, à chaque fois que<br />
je prononçais <strong>des</strong> mots en allemand la<br />
peur de disparaître. Pourtant je lisais poésies,<br />
textes; c’était lisible mais pas audible.<br />
Je ne parvenais pas à articuler. Les mots<br />
restaient calés ou disparaissaient dans le<br />
vide. De vieux épiso<strong>des</strong> enfouis resurgissaient.<br />
J’apprenais la langue ennemie. Ce<br />
fut long pour apprivoiser cette langue. Les<br />
amis allemands y contribuèrent, un long<br />
séjour à Munich et son histoire me firent<br />
du bien. Avec les enseignants d’allemand<br />
devenus <strong>des</strong> amis, nous confrontions nos<br />
expériences et nos récits de vie. Il fallait<br />
trouver <strong>des</strong> voies de passage, traverser les<br />
frontières. Un jour, un de mes textes fut<br />
traduit pour une revue allemande connue.<br />
Ce fut une émotion.<br />
Le texte, la langue et mon nom collaient<br />
d’eux-mêmes. J’arrivais à déchiffrer<br />
ce qui était écrit. Les mots sonnaient différemment,<br />
comme un récit que je parvenais<br />
enfin à raconter.<br />
Je crois que mon nom ne m’était plus<br />
étranger.<br />
Benjamin Kopman, cirque avant 1930, huile sur toile, 106,7x127 cm, collection de<br />
Walter et Lucille Rubis, © N.L.Kleeblatt et Susan Cherlowe<br />
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