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trois registres de memoire collective marie-claude groshens

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LES COUTUMES, LES LIEUX ET LES RÉCITS :<br />

TROIS REGISTRES DE MEMOIRE COLLECTIVE<br />

MARIE-CLAUDE GROSHENS<br />

Selon Max Weber les coutumes sont <strong>de</strong>s routines fondées sur le principe<br />

irrationnel <strong>de</strong> répétition, elles perdurent quand bien même les acteurs sociaux ne<br />

savent plus pourquoi ils agissent ainsi C). Cette conception ne nie cependant pas<br />

que <strong>de</strong>s significations aient pu leur être un jour attachées mais elles sont généralement<br />

oubliées. Les coutumes appartiennent à l'ordre <strong>de</strong>s sociétés traditionnelles où<br />

la répétition est valorisée en tant que telle parce que fondée sur le respect <strong>de</strong><br />

l'ancien. La mo<strong>de</strong>rnisation rend au contraire caduque cette forme <strong>de</strong> légitimation.<br />

Dès lors, les coutumes — ne pouvant rendre raison d'elles-mêmes — ten<strong>de</strong>nt à<br />

disparaître.<br />

On peut toutefois se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si la mo<strong>de</strong>rnisation n'a pas accéléré l'opacification<br />

<strong>de</strong>s significations inhérentes aux coutumes, entraînant par là peu à peu leur<br />

disparition, ce qui tendrait à prouver que <strong>de</strong>s coutumes totalement privées <strong>de</strong> sens<br />

sont fragilisées et que par conséquent un sens - autant dire une rationalité - leur<br />

est nécessaire.<br />

Répétition et rationalité ne sont pas en effet nécessairement contradictoires. Au<br />

nombre <strong>de</strong>s fonctions rationnelles <strong>de</strong> le répétition analysons ici celle <strong>de</strong><br />

constitution <strong>de</strong> cette mémoire <strong>collective</strong> dont le sociologue M. Halbwachs et<br />

l'anthropologue R. Basti<strong>de</strong> ont montré l'importance comme facteur d'i<strong>de</strong>ntité<br />

sociale. Une telle mémoire ne peut ne réaliser que par le moyen <strong>de</strong> montages<br />

sociaux - dont la coutume - propres à provoquer la remémoration ( 2 ).<br />

Le contenu <strong>de</strong> cette mémoire n'est lui-même pas nécessairement irrationnel ; il<br />

peut rappeler <strong>de</strong>s choix culturels chargés <strong>de</strong> sens, impliquant <strong>de</strong>s plans d'aménagement<br />

cohérents <strong>de</strong>s relations humaines fondamentales. Certes ces choix reposent<br />

sur <strong>de</strong>s principes en tant que tels injustifiables en raison du «polythéisme» <strong>de</strong>s<br />

valeurs, mais comme il n'est pas possible <strong>de</strong> disjoindre ces principes <strong>de</strong> leur<br />

capacité <strong>de</strong> produire cette cohérence, il faut les traiter en éléments rationalisants.<br />

De tels choix ont pu être réalisés à un moment <strong>de</strong> leur histoire par <strong>de</strong>s groupes<br />

ou <strong>de</strong>s acteurs sociaux engageant une collectivité toute entière ; pour être durables<br />

(1) Max WEBER. Communauté et Société, Paris. 1971. Pion. p. 22.<br />

(2) M. HAIBWACHS, La Mémoire Collective, Paris. 1950. PUF; Les Cadres Sociaux <strong>de</strong> la<br />

Mémoire, Paris, 1952. PUF.<br />

R. BASTIDE, Problèmes <strong>de</strong> l'Entrecroisement <strong>de</strong>s Civilisations <strong>de</strong> leurs Œuvres, dans G. Gurvitch.<br />

Traité <strong>de</strong> Sociologie, Paris, 1960, PUF, p. 326.


112 M.-C. GROSHENS<br />

ils doivent être compris comme <strong>de</strong>s serments ; les procédures répétitives sont les<br />

moyens par lesquels une collectivité se rappelle <strong>de</strong> tels serments.<br />

La coutume n'est pas la seule <strong>de</strong> ces procédures répétitives ; les lieux commémoratifs<br />

susceptibles <strong>de</strong> rappeler l'événement à chaque perception, <strong>de</strong> même<br />

que la production <strong>de</strong> récits oraux ou écrits sont également utilisés. M. Halbwachs a<br />

montré l'importance <strong>de</strong>s lieux dans les mécanismes <strong>de</strong> mémoration <strong>collective</strong> ( 3 ) et<br />

R. Basti<strong>de</strong> a développé les thèses en soulignant que «les phénomènes <strong>de</strong><br />

déstructuration ou structuration <strong>de</strong> la mémoire <strong>collective</strong> ne sont que le verso <strong>de</strong>s<br />

phénomènes <strong>de</strong> déstructuration ou structuration sociale» ( 4 ). Quant aux récits, ils<br />

permettent d'éluci<strong>de</strong>r la symbolique généralement obscure inhérente aux<br />

coutumes ou aux lieux commémoratifs. Il est ainsi possible <strong>de</strong> supposer qu'un<br />

système <strong>de</strong> signification se dégage <strong>de</strong> la confrontation <strong>de</strong> ces <strong>trois</strong> <strong>registres</strong> conçus<br />

synchroniquement.<br />

Nous présenterons ici, à titre d'exemples, <strong>de</strong>ux <strong>de</strong> ces ensembles signifiants<br />

propres à la collectivité Strasbourgeoise ; le premier commémore l'adoption du<br />

christianisme ; le second l'établissement d'une forme particulière <strong>de</strong> rapport entre<br />

l'évêché et l'Empire, entre une instance décentralisée <strong>de</strong> l'autorité religieuse et la<br />

puissance politique suprême.<br />

Dans ces <strong>de</strong>ux cas, la cathédrale <strong>de</strong> Strasbourg fonctionne comme système <strong>de</strong><br />

lieux commémoratifs ; elle fournit à la fois les scènes, les instruments et les<br />

constructions <strong>de</strong>s événements à ne pas oublier.<br />

Pour les coutumes choisies, ce sont celles <strong>de</strong> l'utilisation généralisée <strong>de</strong> l'eau <strong>de</strong><br />

son puits pour les baptêmes, celles <strong>de</strong>s cérémonies dites du «haut <strong>de</strong> la cathédrale»<br />

et celle <strong>de</strong> «la prében<strong>de</strong> du roi du chœur». Les récits enfin sont <strong>de</strong> plusieurs<br />

genres ; certains appartiennent à <strong>de</strong>s chroniques et peuvent être compris comme<br />

relevant d'une vérité plutôt historique ; d'autres offrent — consciemment ou non -<br />

<strong>de</strong>s éléments légendaires soulignant la signification <strong>de</strong> l'ensemble. Nous<br />

distinguerons également les récits portant directement sur la coutume d'autres qui<br />

- tout en ne s'y rapportant pas - se réfèrent à la même signification. Des «familles<br />

narratives» peuvent ainsi être dégagées tournant autour d'un récit-souche. Ce<br />

point est important car il manifeste la capacité d'un souvenir collectif (récit-souche)<br />

à induire un imaginaire (récits dérivés) Les récits seront présentés sous la forme <strong>de</strong><br />

résumés succints.<br />

(3) Pour les lieux voir surtout : La Topographie Légendaire <strong>de</strong>s Evangiles en Terre Sainte, Paris.<br />

1941, PUF.<br />

(4) Cette conclusion résulte d'une comparaison <strong>de</strong>s mémoires <strong>de</strong>s peuples déplacés et <strong>de</strong> celles <strong>de</strong><br />

ceux qui ne le sont pas (ainsi les africain réduits en esclavage et ceux <strong>de</strong>meurés en Afrique) «en gros<br />

on peut dire que dans les déplacements, nous avons affaire à une mémoire <strong>collective</strong> disjointe et<br />

dont les souvenirs ne peuvent plus s'accrocher à l'espace (tout comme si. dans le système nerveux,<br />

certains filets étaient rompus, ne permettant plus la structuration <strong>de</strong>s images d'où une mémoire<br />

<strong>collective</strong> pleine <strong>de</strong> trous), (op. cit., p. 325).


LES COUTUMES , LES LIEUX ET LES RÉCITS 113<br />

I. Le choix du christianisme<br />

A. La conversion<br />

L'abbé Grandidier atteste l'existence jusque vers le milieu du xvi e<br />

siècle <strong>de</strong> la<br />

coutume selon laquelle les curés <strong>de</strong> la ville et <strong>de</strong> ses environs dépendant <strong>de</strong><br />

l'archiprêtre <strong>de</strong> St Laurent s'approvisionnaient en eau <strong>de</strong> baptême au puits situé<br />

dans le collatéral droit <strong>de</strong> la cathédrale ( 5 ). D'un autre côté un informateur contemporain<br />

affirme que «toute l'eau bénite employée dans tous le diocèse était cherchée<br />

à la source <strong>de</strong> la cathédrale jusqu'au début du xx e siècle» ( 6 ).<br />

L'ethnographe rappelle que les puits <strong>de</strong> baptême (Taufbrunnen) - nombreux en<br />

Alsace - mais dont le plus important était celui <strong>de</strong> la cathédrale, sanctifient<br />

chrétiennement ce qui était à l'origine <strong>de</strong>s «puits <strong>de</strong>s enfants» (Kin<strong>de</strong>rbrunnen) ;<br />

<strong>de</strong>s légen<strong>de</strong>s - d'origine animiste - racontent en effet que les enfants viennent <strong>de</strong>s<br />

puits ( 7 ).<br />

Les récits d'origine <strong>de</strong> la coutume présentent <strong>de</strong> façon figurée une interprétation<br />

presque semblable. Ils rappellent le baptême légendaire <strong>de</strong> Clovis par Saint Rémi à<br />

Strasbourg. Cet événement aurait christianisé ce puits puisque Clovis y aurait été<br />

baptisé ; le puits lui-même aurait été construit aux temps gallo-romains pour<br />

recueillir l'eau <strong>de</strong> la source sacrée <strong>de</strong> la tribu celtique du triboques ; ceux-ci<br />

auraient en effet choisi comme lieu <strong>de</strong> culte une clairière située entre <strong>trois</strong> hêtres<br />

(tri-bochi), à l'emplacement même <strong>de</strong> la future cathédrale ( 8 ).<br />

D'autres légen<strong>de</strong>s plus récentes lient le thème badois <strong>de</strong> la cigogne, importé<br />

après 1870, à celui du Kin<strong>de</strong>rbrunne ; ainsi celle du «gnome <strong>de</strong> la cathédrale»<br />

péchant les enfants, à partir d'un petit bateau <strong>de</strong> cuivre bien astiqué, dans le lac<br />

souterrain ( 9 ) et les conduisant au fond du puits d'où la cigogne les extrait pour les<br />

porter à leur parents ( 10 ).<br />

Il faut noter toutefois que les eaux souterraines <strong>de</strong> la cathédrale ne paraissent<br />

pas avoir été parfaitement sanctifiées et pacifiées puisque d'autres récits font état<br />

<strong>de</strong>s monstres grouillant dans le lac(") sur lequel la cathédrale flotterait C 2 ).<br />

(5) M. GRANDIDIER. Essais historiques et topographiques sur la cathédrale <strong>de</strong> Strasbourg,<br />

Strasbourg. Berger-Levrault. 1782, p. 7.<br />

(6) Propos oral <strong>de</strong> M. Moszberger recueilli par M. N. Denis en Décembre 1978. Selon le même<br />

personne ne puits ayant été scellé en 1766, l'eau aurait été recueillie à une fontaine reliée au puits<br />

situé dans l'ancien atelier <strong>de</strong>s tailleurs <strong>de</strong> pierre.<br />

(7) Cf. F. SARG, En Alsace, du Berceau à la Tombe, Strasbourg, 1977, Oberlin, p. 18.<br />

(8) A. STÔBER, Les légen<strong>de</strong>s et traditions d'Alsace (...), Paris, 1919, CRES, pp. 35. Trad. Des<br />

feuilles.<br />

(9) La cathédrale serait construite sur ce lac.<br />

(10) O. GEVIN-CASSAI.. Les légen<strong>de</strong>s d'Alsace, Paris, 1917, Boivin et Cie, p. 89. L'inscription du<br />

puits installé à l'intérieur d'un magasin strasbourgeois très connu <strong>de</strong> la population fait allusion à une<br />

légen<strong>de</strong> semblable.<br />

(11) A. STÔBER, op. cit., 45-48.<br />

( 12) «Un groupe d'écoliers <strong>de</strong> la campagne <strong>de</strong>s environs <strong>de</strong> Sélestat m'a <strong>de</strong>mandé si la cathédrale


114 M.-C. GROSHENS<br />

L'histoire <strong>de</strong> l'«Homme au puits» C 3 ) rentre dans cette catégorie puisqu'elle raconte<br />

l'impru<strong>de</strong>nce d'un soldat <strong>de</strong>s armées <strong>de</strong> Louis XIV qui y <strong>de</strong>scendit et fut emporté<br />

définitivement dans les remous <strong>de</strong>s eaux souterraines. Ces <strong>de</strong>ux récits se terminent<br />

d'ailleurs par la fermeture - pour raison <strong>de</strong> sécurité - <strong>de</strong>s entrées <strong>de</strong> ces lieux<br />

maléfiques, la secon<strong>de</strong> anticipant d'un siècle la fermeture réelle <strong>de</strong> ce fameux puits<br />

<strong>de</strong> baptême.<br />

Cette ambivalence se retrouve dans les récits concernant les parties aériennes <strong>de</strong><br />

la cathédrale.<br />

B. Maintien et accomplissement du choix<br />

Selon une légen<strong>de</strong> Clovis aurait été, après son baptême, le premier fondateur <strong>de</strong><br />

la cathédrale. Les historiens confirment non pas cette fondation mais l'existence<br />

d'un édifice <strong>de</strong> bois qui fut souvent détruit et reconstruit avant l'an mil. Il disparut<br />

complètement dans un incendie pendant la nuit <strong>de</strong> la St Jean Baptiste 1007. Après<br />

ce sinistre la construction <strong>de</strong> l'actuelle cathédrale fut inaugurée ; elle se termina<br />

pendant la semaine <strong>de</strong> la St Jean 1439. Cette coïnci<strong>de</strong>nce entre l'incendie, la fin <strong>de</strong>s<br />

travaux et les fêtes <strong>de</strong> la St Jean, lie la commémoration <strong>de</strong>s dates fondamentales <strong>de</strong><br />

la cathédrale aux cérémonies traditionnelles concernant ce saint.<br />

De telles cérémonies eurent lieu jusqu'à la Révolution ; elles prenaient place<br />

dans la partie haute <strong>de</strong> la cathédrale ; une cloche d'argent, fonctionnant une seule<br />

fois dans l'année, sonnait ce jour-là <strong>de</strong> midi à 13 heures. Elle annonçait le début<br />

<strong>de</strong>s festivités ; le peuple affluait. Sous la coupole, au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s voûtes les gardiens<br />

avaient installé sept balançoires, une pour eux, les autres pour le peuple. Le prix <strong>de</strong><br />

cet amusement était d'un sou par personne, <strong>de</strong> même que pour monter sur la plateforme<br />

où les gardiens avaient la permission exceptionnelle <strong>de</strong> verser <strong>de</strong> la bière et<br />

du vin C 4 ). Ce récit - qui se présente comme une chronique - représente sans<br />

doute l'état <strong>de</strong> la coutume au xvm e<br />

siècle.<br />

Le récit légendaire <strong>de</strong>s Nuits <strong>de</strong> la St Jean C 5 ) se greffe sur cette coutume et la<br />

présente ouvertement comme une commémoration <strong>de</strong>s dates principales <strong>de</strong><br />

construction <strong>de</strong> la cathédrale : une fois la cathédrale terminée, tous les vieux<br />

maitres d'œuvre se lèvent <strong>de</strong> leurs tombeaux et partent en procession jusqu'à la<br />

pointe <strong>de</strong> la tour entre minuit et une heure du matin ; puis ils regagnent leur tombe<br />

jusqu'à l'année suivante. Dans ce récit «une vierge en draperies blanches» apparaît,<br />

dépourvue <strong>de</strong> caractères maléfiques. Dans d'autres récits la même vierge<br />

<strong>de</strong>vient en revanche mortifère pour les vivants voulant la suivre comme il advint<br />

au malheureux fils <strong>de</strong> sacristain que le vertige précipita dans le vi<strong>de</strong> à partir <strong>de</strong> la<br />

plate-forme C 6 ). Faut-il voir dans la «dame blanche» une inversion <strong>de</strong> «Notreétait<br />

bien construite sur une barque» (propos recueilli par M. N. Denis et M. C. Groshens auprès <strong>de</strong><br />

M. Ruggero en avril 1978).<br />

(13) A. STÔBER. op. cit.. 43-44.<br />

(14) L. SCHNF.EGANS dans Alsatia 1851, p. 196.<br />

(15) A. STÔBER. op. cit.. p. 135-9.<br />

(16) O. GEVIN-CASSAI,. op. cit.. p. 92.


LES COUTUMES , LES UEUX ET LES RÉCITS 115<br />

Dame» à laquelle la cathédrale comme la ville est consacrée et dont l'emblème sur<br />

la bannière <strong>de</strong> la vierge aux-bras-étendus C 7 ) est au contraire éminement protectrice<br />

?<br />

*<br />

**<br />

L'apprivoisement du vertige dans cette partie haute <strong>de</strong> la cathédrale -<br />

dominatrice <strong>de</strong> la ville - est également le thème majeur du récit «l'Etranger et Son<br />

Chien» ( 18 ) racontant l'impru<strong>de</strong>nt défi d'un étranger à l'habile curé Simphorianus<br />

Pollio connu pour ses promena<strong>de</strong>s audacieuses sur le parapet <strong>de</strong> la plate-forme.<br />

Au moment <strong>de</strong> gagner son défi le malheureux étranger est précipité dans le vi<strong>de</strong><br />

où son chien le suit.<br />

m<br />

**<br />

Les circonstances <strong>de</strong> reconstruction <strong>de</strong> la cathédrale sont également à l'origine<br />

d'un ensemble <strong>de</strong> récits-coutumes-lieux où se trouvent liées la questions <strong>de</strong>s donations<br />

et celles <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> l'Evêque et <strong>de</strong> l'Empire.<br />

II. Les rapports <strong>de</strong> l'évêque et <strong>de</strong> l'empire<br />

«L'évêque Werner <strong>de</strong> Habsbourg (1001-1028) ayant soutenu à son avènement<br />

l'Empereur Henri II contre un compétiteur, qui incendia (pour se venger) la<br />

cathédrale <strong>de</strong> Strasbourg, l'empereur combla <strong>de</strong> dons l'évêché et vint plusieurs fois<br />

dans la ville. Il fonda une prében<strong>de</strong> à la cathédrale, celle du «roi du chœur», dont il<br />

exerçait la fonction lorsqu'il était présent et qui, en son absence, était remplie par<br />

une chanoine non noble nommé par l'Empereur» C 9 ).<br />

Cette prében<strong>de</strong> avait été fondée à titre perpétuel. Les rois <strong>de</strong> France l'héritèrent<br />

et cette coutume persista jusqu'à la Révolution. Notons qu'il s'agit d'un privilège<br />

attribuable à un non noble ( 20 ).<br />

Les récits brodèrent sur le fond historique comme en témoigne cette relation <strong>de</strong><br />

M. Grandidier que l'on retrouve sous une forme plus diluée dans les écrits<br />

postérieurs : Edifiés par la piété <strong>de</strong>s frères <strong>de</strong> Marie, collecteurs <strong>de</strong>s fonds <strong>de</strong>stinés<br />

à la reconstruction <strong>de</strong> la cathédrale, Henri II aurait été tenté <strong>de</strong> renoncer à la<br />

couronne impériale pour rejoindre cette confrérie mais l'évêque Werner veillait :<br />

«Ce prélat, voyant l'obstination du Prince, trouva un expédient pour contenter<br />

sa piété, sans nuire aux intérêts <strong>de</strong> l'Etat. Il le mena à l'autel, où il lui <strong>de</strong>manda s'il<br />

( 17) «Celle qui est plus vaste que les cieux» parce qu'elle porte son créateur, cf. Hans HAUG. L Art<br />

en Alsace, Paris. 1962, Arthaud, p. 31. Les «dames blanches» sont généralement <strong>de</strong>s fées.<br />

(18) A. STRÔBER, op. cit., 131-5.<br />

(19) Ph. Doi.iiNGER, Histoire <strong>de</strong> l'Alsace, Toulouse, 1970, Privât, p. 87. L'appellation «roi <strong>de</strong><br />

choeur» est plus tardive.<br />

(20) Aussi bien le grand chœur était-il une assemblée capitulaire dont la composition était<br />

nettement moins aristocratique que celle du grand chapitre dont les membres furent <strong>de</strong> plus en plus<br />

recrutés selon <strong>de</strong>s critères <strong>de</strong> titres nobiliaires tellement exigeants que la noblesse alsacienne ellemême<br />

en fut peu à peu exclue.


116 M.-C. GROSHENS<br />

persistait dans son <strong>de</strong>ssein. Henri répondait qu'il était pleinement résolu <strong>de</strong> servir<br />

Dieu avec les chanoines <strong>de</strong> sa cathédrale. Voulez-vous, dit Werner, suivant les<br />

canons <strong>de</strong>s conciles et les statuts <strong>de</strong> cette église, rendre obéissance à l'Evêque votre<br />

chef ? Le Roi dit que oui. Je vous reçois donc lui répliqua-t-il avec fermeté, au<br />

nombre <strong>de</strong>s chanoines <strong>de</strong> mon église et dès maintenant vous m'êtes soumis. Je<br />

veux dire que vous conserviez l'Empire que Dieu vous a confié, et que par votre<br />

fermeté à rendre la justice vous procuriez le salut <strong>de</strong> tout l'Etat. Le Prince obéit,<br />

quoiqu'avec regret. Il comprit qu'il <strong>de</strong>vait se sanctifier dans son état, et que sa<br />

véritable vocation était <strong>de</strong> régner avec sagesse» ( 21 ).<br />

Dans ce récit l'évêque ne donne pas à proprement parla son investiture à<br />

l'Empereur, mais il le confirme au plutôt il le réengage dans une mission ingrate ;<br />

l'Empire est présenté comme un charge pénible mais utile à laquelle <strong>de</strong>s individus<br />

désignés doivent sacrifier une vocation plus haute. L'acceptation par l'évêque <strong>de</strong> la<br />

donation <strong>de</strong> la prében<strong>de</strong> du roi du chœur en échange du renoncement <strong>de</strong><br />

l'empereur apparaît comme l'ultime mesure consolatoire à l'égard <strong>de</strong> l'empereur<br />

qui conserve du moins une part <strong>de</strong> cléricature par l'intermédiaire <strong>de</strong> son représentant.<br />

**<br />

Ce récit peut être rapproché <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s Trois Rois concernant les donations nécessaires<br />

à la construction <strong>de</strong> la cathédrale auxquelles Henri II avait également participé.<br />

Ces <strong>trois</strong> Rois réalisèrent ce à quoi Henri avait renoncé puisque non seulement<br />

ils donnèrent tous leurs biens mais encore ils se firent mendiants.<br />

«Ils recueillirent ainsi <strong>de</strong>s sommes considérables, qu'ils entassèrent dans <strong>de</strong>s sacs<br />

<strong>de</strong> toile et qu'ils chargèrent sur un chariot. Et ne voulant pas louer <strong>de</strong>s chevaux<br />

pour ne pas entamer les sommes d'argent <strong>de</strong>stinées au chapitre, ils s'attelèrent euxmêmes<br />

par gran<strong>de</strong> humilité et parvinrent jusqu'à la cour <strong>de</strong>s corvées.<br />

En souvenir <strong>de</strong> ces <strong>trois</strong> Rois, le chapitre ordonna aux imagiers <strong>de</strong> fixer sur la<br />

faça<strong>de</strong> <strong>trois</strong> statues équestres les représentant» ( 22 ).<br />

Qui sont ces <strong>trois</strong> Rois ? Les <strong>trois</strong> statues équestres érigées selon le chroniqueur<br />

Koenigshoven en l'an 1291 - portaient (et portent toujours) le nom <strong>de</strong> Clovis,<br />

Dagobert, Radolphe <strong>de</strong> Habsbourg, tous bienfaiteurs réels ou légendaires <strong>de</strong> la<br />

cathédrale ( 23 ).<br />

Les <strong>de</strong>ux premiers noms <strong>de</strong> cette série engagent dans la direction d'autres récits<br />

légendaires : ceux relatifs à Clovis et à Dagobert II. Les récits du baptême <strong>de</strong> Clovis<br />

par St Rémi et du changement <strong>de</strong> ses armes (les fleurs <strong>de</strong> lys remplacent les crapauds),<br />

ceux <strong>de</strong> Dagobert dont le Saint-Evêque Arbogast ressuscita le fils et dont St<br />

(21) Abbé GRANDIDIER. op. cit., p. 21.<br />

(22) Jean VARIOT, Contes Populaires et Traditions orales <strong>de</strong> l'Alsace, Paris, 1936, Firmin Didot.<br />

pp. 70-71.<br />

(23) Ces statues équestres détruites à la Révolution furent remplacées par <strong>de</strong>s copies en 1824. On<br />

y joignit alors une quatrième qui parachève la série <strong>de</strong>s quatre <strong>de</strong> la faça<strong>de</strong> <strong>de</strong> la cathédrale, celle <strong>de</strong><br />

Louis XIV, exécutant ainsi une ancienne décision du magistrat <strong>de</strong> Strasbourg.


LES COUTUMES , LES LIEUX ET LES RÉCITS 117<br />

Florent guérit la fille aveugle, manifestent la même dépendance mutuelle du roi et<br />

<strong>de</strong> l'évêque. Ce <strong>de</strong>rnier soutient le roi par <strong>de</strong>s moyens spirituels et il reçoit en<br />

échange d'importantes donations. Ces récits contrastent au contraire en tous points<br />

avec ceux du cupi<strong>de</strong> évêque Wi<strong>de</strong>ralf qui mourut dévoré par les rats en punition<br />

<strong>de</strong> ses prédations sur les biens <strong>de</strong> l'abbaye St Etienne ; à lui les donations étaient refusées.<br />

Il est vrai qu'il s'agissait non plus <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> l'évêque et du roi mais <strong>de</strong><br />

celles <strong>de</strong> l'évêque et du duc d'Alsace dont Attala, abbesse <strong>de</strong> St Etienne, était la fille.<br />

Cette transformation <strong>de</strong> la puissance politique pourrait expliquer celle - négative<br />

- <strong>de</strong> l'évêque ( 24 ).<br />

Les interprétations concernant les <strong>trois</strong> Rois <strong>de</strong> pierre suggèrent également un<br />

rapprochement avec le Flambeau <strong>de</strong>s rois ( 25 ), légen<strong>de</strong> très connue au xix e siècle,<br />

sans doute créée à la même époque - selon J. Variot - dans les milieux intellectuels<br />

strasbourgeois ; ce récit aurait - autre légen<strong>de</strong> - servi <strong>de</strong> base à Goethe pour<br />

son portrait <strong>de</strong> Marguerite. Or, cette légen<strong>de</strong> bro<strong>de</strong>rait sur un thème ancien selon<br />

lequel les rois mages chaque année quitteraient leur tombeau <strong>de</strong> Cologne pour se<br />

rendre dans les Vosges au Champs <strong>de</strong> feu. Le thème <strong>de</strong>s <strong>trois</strong> mages est<br />

éminemment celui <strong>de</strong> la donation non plus du roi à l'évêque mais <strong>de</strong> l'Humanité à<br />

la divinité.<br />

*<br />

**<br />

Il est curieux <strong>de</strong> rapprocher la signification <strong>de</strong> ces différents récits <strong>de</strong>s interprétations<br />

<strong>de</strong> G. Duby concernant Yidéologie <strong>de</strong>s <strong>trois</strong> ordres : car l'épiso<strong>de</strong> du renoncement<br />

d'Henri II (Saint Henri) se situe quelques années avant la composition<br />

<strong>de</strong>s Gesta episcoporum caméra censium écrits sur l'ordre <strong>de</strong> l'évêque Gérard <strong>de</strong><br />

Cambrai que le même Henri II avait également protégé. Les relations <strong>de</strong> l'évêque<br />

et du roi présentées dans ces gesta ne sont pas sans rapport en effet avec celles <strong>de</strong><br />

nos récits ; le soin du «status» c'est-à-dire <strong>de</strong> la chrétienté toute entière, selon<br />

Gérard <strong>de</strong> Cambrai, est confié à «<strong>de</strong>ux personnes jumelles», associées comme<br />

lame l'est au corps, comme le sont les <strong>de</strong>ux natures dans le Christ, la personne<br />

sacerdotale et la personne royale. «Il est assigné à celle-ci <strong>de</strong> prier (orare), à celle-là<br />

<strong>de</strong> combattre (pugnare)... Il appartient au roi <strong>de</strong> reprimer la sédition par son<br />

énergie ... le rôle <strong>de</strong>s oratores est <strong>de</strong> soutenir par la parole faction militaire dont le<br />

roi a la conduite» ( 26 ).<br />

*<br />

* *<br />

Seules certaines directions <strong>de</strong> ces liaisons «monument-coutume-récit» ont été ici<br />

explorées ; il aurait été ainsi possible, en partant <strong>de</strong> la coutume du roi du chœur<br />

d'ouvrir sur la question <strong>de</strong>s relations particulières établies par l'évêché <strong>de</strong> Strasbourg<br />

avec l'Empire à l'occasion <strong>de</strong> la querelle <strong>de</strong>s investitures (et <strong>de</strong> la Réforme<br />

grégorienne) qui se déchaina un <strong>de</strong>mi siècle après l'épiso<strong>de</strong> ; ces relations<br />

(24) A. STÔBER. op. cit.. pp. 50-52.<br />

(25) J. VARIOT. op. cit.. pp. 50 et 59.<br />

(26) G. DUBY, Les <strong>trois</strong> ordres ou l'imaginaire du féodalisme. NRF. 1978, p. 44.


118 M.-C. GROSHENS<br />

transparaissent non sans ambigùité <strong>de</strong>s récits <strong>de</strong> F«Empereur et du moine», <strong>de</strong> la<br />

mort mystérieuse <strong>de</strong> Werner d'Acham et, du miracle <strong>de</strong> St Bernard et du Grand<br />

Berchtold ...<br />

De même d'autres coutumes plus célèbres encore auraient pu servir d'exemple<br />

comme celle du serment <strong>de</strong> fidélité et d'obéissance <strong>de</strong>s vingt tribus au magistrat <strong>de</strong><br />

la ville, prêté chaque année sur le parvis <strong>de</strong> la cathédrale le mardi suivant le<br />

premier jeudi <strong>de</strong> janvier, date <strong>de</strong>s élections, à partir <strong>de</strong> 1334. Ou encore la<br />

coutume du Ju<strong>de</strong>nblosz, cette sonnerie biquotidienne <strong>de</strong>stinée à rappeler au peuple<br />

une soi-disant trahison <strong>de</strong>s juifs. Ces <strong>de</strong>ux coutumes dont les conditions <strong>de</strong><br />

création sont liées - la mainmise <strong>de</strong>s corporations sur le pouvoir municipal<br />

strasbourgeois - n'ont pas été choisies pour une première approche parce qu'il<br />

nous manque à leur propos un récit spécifiquement légendaire l'explicitant ; en<br />

second lieu parce que les familles <strong>de</strong> récits ( 27 ) sur lequel ouvre le premier sont trop<br />

riches pour être maîtrisables en quelques paragraphes, même sous la forme d'un<br />

abrégé alors qu'à l'inverse le second ne présente pratiquement aucun prolongement<br />

narratif.<br />

D'autres coutumes enfin ont été exclues comme celles - carnavalesques - du<br />

Rhorafe ou <strong>de</strong>s fêtes nocturnes <strong>de</strong> la cathédrale disparues dès le xvi e<br />

siècle parce<br />

qu'elles n'ont pas la même fonction commémorative d'un événement historique<br />

déterminé.<br />

Aussi bien ne s'agit-il pas ici d'un inventaire <strong>de</strong>s coutumes <strong>de</strong> la cathédrale, mais<br />

d'une esquisse sur quelques exemples du travail Imaginatif, mnésique et rationnel<br />

par lequel les habitants d'une ville ont pu s'approprier <strong>de</strong> façon durable <strong>de</strong>s choix<br />

comme ceux d'une religion et <strong>de</strong> ses relations avec le pouvoir politique. De tels<br />

choix ne se contentent pas <strong>de</strong> caractériser cette collectivité au sens particulariste du<br />

terme mais, en dépassant ses limites, sont au contraire, propices à l'établissement<br />

<strong>de</strong> relations <strong>de</strong> tous ordres avec d'autres collectivités appartenant à <strong>de</strong>s aires culturelle<br />

plus vastes.<br />

*<br />

S'agit-il d'ailleurs à coup sur <strong>de</strong> ce travail précisément ? Dans les esquisses<br />

précé<strong>de</strong>ntes les <strong>trois</strong> <strong>registres</strong> coutumiers, monumentaux et narratifs ont été traités<br />

comme s'il s'agissait <strong>de</strong> <strong>trois</strong> aspects synchroniques d'un seul et même processus<br />

répétitif. En fait un jeu s'instaure nécessairement entre le sens du monument, celui<br />

<strong>de</strong>s coutumes et surtout celui <strong>de</strong>s récits. Plusieurs réinterprétations ont pu avoir<br />

lieu au cours <strong>de</strong>s siècles sur lesquelles nous manquons d'information. Enfin il ne<br />

serait pas totalement impossible qu'une interruption <strong>de</strong> la narrativité ait routinisé<br />

complètement la coutume à certaines époques.<br />

Bien plus, en toute rigueur, loin d'être contemporains les phénomènes présentés<br />

ici sont en réalité successifs puisque les coutumes ont généralement disparu pendant<br />

la pério<strong>de</strong> révolutionnaire et que la plus gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s récits utilisés, ont<br />

(27) A. STÔBER. pp. 497-9. J. VARIOT. p. 144 etc. Tous les récits mettant en scène les artisans ou au<br />

contraire leurs ennemis les patriciens.


I.ES COUTUMES , LES LIEUX ET LES RÉCITS 119<br />

été puisés dans l'ouvrage d'A. Stôber rassemblé dans la première moitié du xix e<br />

siècle ou <strong>de</strong>s ouvrages postérieurs ( 28 ). Sans doute peut-on penser qu'ils ne se contentent<br />

pas d'éclairer la coutume mais <strong>de</strong> surcroit le relaie, l'empêche <strong>de</strong> mourir<br />

complètement en la narrant. Le rapport coutume - récit, à ce point <strong>de</strong> leur<br />

rencontre, semble joindre une «pratique sans signification» à une «signification<br />

sans pratique».<br />

Mais inversement, nous savons que A. Stôber et ses amis n'ont pas inventé leurs<br />

récits ; ils ont revueillis la tradition orale <strong>de</strong> leur temps et l'ont amalgamée à <strong>de</strong>s<br />

textes anciens ; il reste toutefois que nous ne connaissons cette tradition orale qu'à<br />

travers eux ; <strong>de</strong> même les textes anciens ont été partiellement détruits ; ceux qui<br />

<strong>de</strong>meurent sont fréquemment laconiques et susceptibles <strong>de</strong> plusieurs interprétations.<br />

Certains <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> confrontation ont donc radicalement disparus<br />

permettant d'estimer la part <strong>de</strong> la reconstitution et celle <strong>de</strong> réinterprétation <strong>de</strong> ces<br />

folkloristes.<br />

La question qui se pose est <strong>de</strong> savoir jusqu'à quel point il est possible <strong>de</strong> se fier à<br />

<strong>de</strong> tels récits pour retrouver la signification <strong>de</strong>s coutumes elles-mêmes ou s'ils ne<br />

reflètent pas simplement les soucis <strong>de</strong> générations romantiques sensibilisées au<br />

problème du retour aux antiquités nationales.<br />

Cette question sera laissée ici sans réponse ; un réseau <strong>de</strong> relations signifiantes<br />

peut être esquissé entre récits, coutumes et lieux sans que l'on puisse affirmer qu'il<br />

s'agit effectivement <strong>de</strong> la signification <strong>de</strong>s coutumes à un moment <strong>de</strong> leur existence<br />

ou <strong>de</strong> celle reconstituée par <strong>de</strong>s strasbourgeois du xix e<br />

siècle soucieux <strong>de</strong> se<br />

reconstruire un passé. Aussi bien une mémoire <strong>collective</strong> implique-t-elle <strong>de</strong>s<br />

démarches <strong>de</strong> réactivation du sens faute <strong>de</strong> quoi les montages sociaux réalisés<br />

autrefois tombent effectivement dans cet automatisme caractéristique selon M.<br />

Weber <strong>de</strong> la coutume, jusqu'à ce qu'ils disparaissent purement et simplement.<br />

(28) 11 n'est pas indifférent que ces récits empruntent une forme littéraire nouvelle, celle <strong>de</strong> la<br />

littérature populaire, si nous nommons ainsi une littérature répandue dans les classes populaires<br />

même si elle est également le partage <strong>de</strong>s autres classes sociales dans une perspective communautaire.<br />

Le titre du maitre ouvrage <strong>de</strong> A. Stôber l'atteste qui dans ses sources indique «les souvenirs du<br />

peuple», c'est-à-dire la tradition orale <strong>de</strong> son temps avant les «autres sources» comme les chroniques.<br />

L'apparition au xix e siècle d'une telle littérature avec ce qu'elle présente <strong>de</strong> partiellement artificiel,<br />

relève-t-elle <strong>de</strong> l'explication <strong>de</strong> K. Marx selon laquelle «la mythologie ... disparait... au moment où<br />

(les forces <strong>de</strong> la nature) sont dominées réellement ? Introduction Générale à la Critique <strong>de</strong><br />

l'Economie Politique Œuvres Pléia<strong>de</strong> - p. 1265-266). Faudrait-il comprendre - comme le fait Marx<br />

- cette réactivation <strong>de</strong> la vision magique à l'époque <strong>de</strong>s métiers à filer, <strong>de</strong>s locomotives automatiques<br />

et du téléphone électrique comme l'effet d'un attachement d'autant plus nostalgique aux formes <strong>de</strong><br />

l'enfance (communes à l'humanité comme à l'individu) qu'il émane <strong>de</strong> groupes sociaux<br />

marginalisés, ou plutôt comme l'expression d'éléments <strong>de</strong> continuité transhistoriques comme les<br />

communautés concrètes, les réalités populaires nationales ou régionales ?

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