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S'ANEANTIR OU S'EPANOUIR : - ResearchSpace@Auckland - The ...

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Zaza avait pour sa mère la même dévotion qu'autrefois, et elle ne supportait pas de lui faire<br />

de la peine. « Pourtant, il y a des choses auxquelles je ne veux pas renoncer ! » me dit-elle<br />

d'une voix angoissée. Elle redoutait, dans l'avenir, de plus graves conflits. [...] on songerait<br />

à marier Zaza. « Je ne me laisserai pas faire, me disait-elle. Mais je serai obligée de me<br />

disputer avec maman ! » 132<br />

Il faut, soit dit en passant, signaler que ce qui aujourd'hui nous parait être une<br />

considération excessive à l'égard des sentiments de sa mère, était à l'époque monnaie<br />

courante. Les exigences d'obéissance imposées aux jeunes filles du milieu de Zaza étaient<br />

extrêmes, et le culte de l'obéissance comme vertu, ainsi que le culte de la mère, se voient<br />

dans la vie de bien d'autres jeunes filles de l'époque, comme au XIX e siècle, dont les valeurs<br />

perdurent dans la haute bourgeoisie jusqu'à l'époque de Simone et Zaza. Les cas de<br />

conscience de Geneviève, une jeune fille très « comme il faut » qui partage la chambre de<br />

Zaza et Simone à Laubardon un été, renforcent notre compréhension que l'état morbide de<br />

Zaza vis-à-vis de sa mère n'était pas du tout chose rare :<br />

Dès que Geneviève me croyait assoupie, elle entraînait Zaza dans de longues conversations.<br />

Elle se demandait si elle était assez gentille avec sa mère ; elle avait parfois contre elle des<br />

mouvements d'impatience : était-ce très mal ? 133<br />

Il était normal que la mère lise la correspondance de sa fille, et le fait que Simone et sa sœur<br />

Poulette aient réussi à persuader leur mère d'arrêter cette pratique montre non seulement la<br />

difficulté de l'entreprise, vu l'importance et le pouvoir de la mère dans la vie de la jeune fille<br />

de l'époque, Simone de Beauvoir étant l'exception et Zaza la norme en comportement filial,<br />

mais aussi que ces révoltes étaient possibles, quoique difficiles. Simone enfant aimait sa<br />

mère avec au moins autant de dévotion que Zaza aimait la sienne : 134 insister sur<br />

l'obéissance inconditionnelle et le refoulement de ses désirs les plus enfouis est un choix que<br />

Zaza a fait, tandis que Simone a fait le choix contraire :<br />

« C'est bête », me dit-elle [Poulette, la sœur de Simone] un soir d'un air confus, « mais ça<br />

m'est désagréable que maman ouvre les lettres que je reçois : je n'ai plus de plaisir à les<br />

lire. » Je lui dis que moi aussi, ça me gênait. Nous nous exhortâmes au courage : après tout,<br />

nous avions dix-sept et dix-neuf ans ; nous priâmes notre mère de ne plus censurer notre<br />

correspondance. Elle répondit qu'elle avait le devoir de veiller sur nos âmes, mais finalement<br />

elle céda. C'était une importante victoire. 135<br />

Simone a pris la décision de préférer sa manière de vivre, et tente de vivre ainsi<br />

autant que possible, quitte à entrer en conflit avec sa mère, comme pour les lettres, ou à lui<br />

déplaire, comme au salon devant les invités, ou à lui cacher certaines choses, comme son<br />

athéisme. Comme Zaza prend la décision inverse, la voilà en lutte constante contre elle-<br />

même, car elle détourne sa très grande volonté pour l’aider à supporter une vie qu'elle<br />

132 jf, p. 307B.<br />

133 jf, p. 357B.<br />

134 V., p. ex., jf, p. 43C ; p. 55B.<br />

135 jf, p.347D et sq.<br />

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