BOUNFOUR, Abdellah, « Hemmu u Namir ou l'Œdipe berbère
BOUNFOUR, Abdellah, « Hemmu u Namir ou l'Œdipe berbère
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E´tudes et Documents Berbe`res, 14, 1996 : pp. 119-141<br />
H. EMMU U NAMIR 1<br />
OU L’ŒDIPE BERBE` RE<br />
par<br />
<strong>Abdellah</strong> B<strong>ou</strong>nf<strong>ou</strong>r<br />
P<strong>ou</strong>r cette étude, je partirai des collectes du gr<strong>ou</strong>pe Payet p<strong>ou</strong>r plusieurs<br />
raisons :<br />
1. Les cinq versions sont re´ centes (récolte´ es entre 1987 et 1993) et, surt<strong>ou</strong>t,<br />
raconte´ es par des informateurs varie´ s, des hommes et des femmes, alphabe´ tise´ s<br />
<strong>ou</strong> analphabe` tes, monolingues (berbe` re) <strong>ou</strong> bilingue, voire triligue (berbe` rearabe<br />
marocain-arabe classique).<br />
2. Il est raconte´ en berbe` re et en arabe dialectal (version IV).<br />
3. Les versions se distribuent en deux types. Le premier type met en sce` ne<br />
l’origine humaine de la femme aime´ e ; la seconde se contente de la pre´ senter<br />
comme un être surnaturel.<br />
On voit donc que les deux premie` res raisons présentent le conte traversant<br />
plusieurs oppositions fondamentale : la diffe´ rence sexuelle, la diffe´ rence culturelle<br />
et la diffe´ rence linguistique.<br />
1. J’ai tenté une interprétation philosophique de ce conte dans Le nœud de la langue, Edisud,<br />
Aix-en-Provence, 1994, pp. 95-103.<br />
Les versions mise a` contribution ici sont les suivantes :<br />
1 o S. M<strong>ou</strong>nir, <strong>«</strong> Hamm<strong>ou</strong> <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> et son complexe », Bulletin d’Etudes Berbe`res, 7, an IV,<br />
1976.<br />
2 o H. Stumme, Ma¨rchen der Schluh von Tazerwalt, Leipzig, 1895, pp. 17-20 et 102-105.<br />
3 o E. La<strong>ou</strong>st, Etude sur le dialecte des Ntifa, Paris, Ler<strong>ou</strong>x, 1918, pp. 380-396.<br />
4 o A. R<strong>ou</strong>x/A. B<strong>ou</strong>nf<strong>ou</strong>r, Poe´sie populaire berbe`re, CNRS, Aix-Marseille, 1990, pp. 96-104.<br />
5 o M. Payet et<br />
– M. El Mardili, La colombe jaune, collecté en 1992-1993, région Ke´ laa M’G<strong>ou</strong>na, informateur<br />
Si M. Ouzza<strong>ou</strong>ite (instituteur), 4 p. + 6 p. + 2 p. ;<br />
– A. Lissigui, M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong>, recueilli en 1987-1988, 5 p. + 6 p. ;<br />
– S. El Giaad, Lmahdar et l’ange, collecté en 1992-1993, région de Tekna (G<strong>ou</strong>lmine), en<br />
arabe dialectal, informatrice Kh. El Giaad (41 ans), 6 p. + 7 p.<br />
– M. Edda<strong>ou</strong>di, Ahmed Ounamir, collecté en 1992-1993, région d’Agadir, informatrice<br />
Z. <strong>Abdellah</strong> (monolingue, sans profession, 30 ans).<br />
Voir les annexes p. 130-141.<br />
119
La troisie` me raison est cruciale car deux versions pre´ sentent la fille dans sa<br />
situation œdipienne comme l’est le garc¸ on dans t<strong>ou</strong>tes les autres. Ce qui est très<br />
pre´ cieux et va n<strong>ou</strong>s permettre, conforme´ ment a` l’analyse freudienne des reˆ ves,<br />
de proposer une logique de ce conte sur le plan narratologique avant d’en faire<br />
une étude analytique.<br />
LE CONTE DANS SON INTÉGRALITE´<br />
Deux grands épisodes sont a` distinguer : l’histoire de la fille et celle du<br />
garc¸ on. Commenc¸ ons par cette dernie` re puisqu’elle est la plus connue.<br />
1. L’histoire de H. emmu<br />
Les versions du conte pre´ sentent H. emmu <strong>ou</strong> en e´ colier étudiant son Coran<br />
<strong>ou</strong> en roi. On ne tiendra pas compte de ce motif p<strong>ou</strong>r le moment car sans effet<br />
sur le plan narratif. On dira donc que la pre´ sentation du he´ ros est homoge` ne<br />
sauf vers la fin. Voici les re´ sume´ s des épisodes fondamentaux :<br />
– Chaque matin, il se re´ veille avec du henné aux mains et s’en tr<strong>ou</strong>ve puni<br />
par le maıˆ tre d’e´ cole (version de l’e´ colier) <strong>ou</strong> humilie´ de s’eˆ tre ainsi laisse´<br />
abuser pendant son sommeil (version du prince).<br />
Dans les deux cas, le he´ ros veille et re´ ussit a` attraper celle qui va devenir sa<br />
bien-aime´ e puis son ép<strong>ou</strong>se s<strong>ou</strong>s certaines conditions : (i) habiter seule enferme´ e<br />
dans sa demeure et (ii) interdiction a` t<strong>ou</strong>s, surt<strong>ou</strong>t a` la mère du héros, de la voir.<br />
– En l’absence de ce dernier, sa me` re re´ ussit à rencontrer l’e´ p<strong>ou</strong>se de son fils<br />
et à la blesser (injures, c<strong>ou</strong>ps, etc.). Ce qui la de´ lie de son mariage.<br />
– Elle se re´ fugie au septie` me ciel soit avant soit apre` s l’arrive´ edeH. emmu.<br />
Dans les deux cas, elle lui laisse une bague de reconnaissance.<br />
–H. emmu part a` la recherche de sa bien-aime´ e et rencontre un aigle dont il<br />
sauve les petits d’une mort certaine. Il l’emporte au septie` me ciel apre` s avoir<br />
demande´ l’immolation de son cheval p<strong>ou</strong>r le n<strong>ou</strong>rrir et e´ tancher sa soif.<br />
– Les retr<strong>ou</strong>vailles se font soit avec soit sans un fils ne´ de leur union. Ce fils<br />
reconnaıˆ t imme´ diatement son père même lorsque l’e´ p<strong>ou</strong>se vit avec un autre<br />
homme (monstre à sept teˆ tes <strong>ou</strong> juif, etc.).<br />
– Ces retr<strong>ou</strong>vailles se terminent par un ret<strong>ou</strong>r sur terre de la famille <strong>ou</strong> par<br />
un drame. En effet, a` la vue de sa mère le j<strong>ou</strong>r de la feˆ te du sacrifice implorant<br />
qu’on immole son m<strong>ou</strong>ton, H. emmu se jette hors du ciel p<strong>ou</strong>r revenir sur terre,<br />
mais seule une g<strong>ou</strong>tte de son sang arriva et immola la beˆ te.<br />
120
Le proble` me narratif à re´ s<strong>ou</strong>dre est le suivant : d’<strong>ou</strong>` vient la bien-aime´ ede<br />
H. emmu ?<br />
Dans une étude pre´ ce´ dente, fonde´ e sur une seule version (R<strong>ou</strong>x), j’y ai vu<br />
une cre´ ature céleste, voire paradisiaque et ce a` partir de son nom, Tanirt. Or,<br />
n<strong>ou</strong>s disposons de deux versions qui, au contraire, donnent une origine<br />
terrestre à cette femme.<br />
2. L’histoire de la fille<br />
Les deux versions qui racontent l’origine humaine de la bien-aime´ e divergent<br />
très nettement. Les voici re´ sume´ es avec leurs divergences :<br />
VERSION LASSIGUI VERSION EL MARDILI<br />
I. Un c<strong>ou</strong>ple attend la naissance<br />
d’un premier n<strong>ou</strong>veau-ne´ .<br />
II. C’est une fille d’une tre` s<br />
grande beaute´ , plus belle que sa<br />
mère, que le soleil et que les grenades<br />
que sa me` re se´ chait au soleil<br />
selon les dires de ce dernier consulte´<br />
par la me` re.<br />
III. Jal<strong>ou</strong>se, la me` re ordonne a`<br />
son mari d’e´ gorger sa fille p<strong>ou</strong>r<br />
boire de son sang et lui ressembler.<br />
Ce dernier utilisa plusieurs ruses<br />
(e´ gorger un chien, un m<strong>ou</strong>ton etc.),<br />
mais finit par l’abandonner dans<br />
une foreˆ t.<br />
Elle quitte ainsi ses parents.<br />
IV. La fille arrive chez un c<strong>ou</strong>ple<br />
d’ogres. Ayant bien n<strong>ou</strong>rri leurs enfants,<br />
la me` re ogre la prote´ gea, mais<br />
l’aida a` fuir son mari moins enclin a`<br />
l’adopter.<br />
V. C’est au b<strong>ou</strong>t de cette fuite<br />
qu’elle rencontrera le fils du roi.<br />
121<br />
I. Un c<strong>ou</strong>ple riche mais vieux fait<br />
t<strong>ou</strong>t p<strong>ou</strong>r avoir des enfants, mais en<br />
vain.<br />
II. L’intervention d’un magicien<br />
leur donne une fille d’une tre` s<br />
grande beauté au point qu’on l’appelle<br />
<strong>«</strong> la colombe jaune ».<br />
III. Le père meurt assassine´ par<br />
des voleurs et la me` re en pleurant<br />
son défunt e´ p<strong>ou</strong>x.<br />
IV.<br />
V. La <strong>«</strong> colombe jaune » vit seule<br />
dans la maison cossue de ses parents<br />
jusqu’a` la rencontre du fils du roi.
On notera que la version Lassigui est plus de´ veloppe´ e. Elle permet de<br />
subsumer t<strong>ou</strong>tes les autres car elle contient t<strong>ou</strong>s leurs épisodes.<br />
Le tableau montre que les deux versions sont d’accord sur l’origine humaine<br />
de l’he´ roı¨ ne mais divergent sur presque t<strong>ou</strong>s les épisodes fondamentaux :<br />
rencontre/non rencontre des ogres, re´ solution heureuse/résolution tragique<br />
de la fin de l’histoire.<br />
P<strong>ou</strong>r les besoins de l’analyse, on prendra donc comme version princeps celle<br />
de Lassigui p<strong>ou</strong>r deux raisons essentielles : (i) elle est la plus comple` te et, par<br />
conse´ quent elle éclaire les points obscurs des autres et (ii) elle pre´ sente la fille<br />
dans une situation aussi dramatique et, par conse´ quent, comparable à celle de<br />
H. emmu.<br />
On aj<strong>ou</strong>tera que la première raison p<strong>ou</strong>rrait être motive´ eàpartir de la<br />
psychanalyse en faisant appel a` l’ide´ e que ces versions sont comme des reˆ ves<br />
mettant en scène un désir qui n’arrive pas à se dire directement, il se dit par<br />
petites t<strong>ou</strong>ches selon les moments, les lieux et les signifiants disponibles. La<br />
version Lassigui semble le de´ velopper davantage, mais il serait ne´ cessaire de<br />
faire appel aux autres comme fragments d’un ensemble. L’analyse tiendra<br />
donc compte des deux histoires, celle de la fille que j’appellerai de´ sormais<br />
Tanirt et celle du garc¸ on, H. emmu Unamir 2 . Je commencerai par celle de ce<br />
dernier puisque le conte est connu s<strong>ou</strong>s son nom comme s’il ne racontait que sa<br />
seule histoire.<br />
LE COMPLEXE DE H. EMMU<br />
Quatre moments seront à conside´ rer avant de proposer une interpre´ tation :<br />
la rencontre de H. emmu avec Tanirt, la rupture du contrat entre les deux, la<br />
recherche de Tanirt et le sacrifice de H. emmu.<br />
1. La rencontre<br />
T<strong>ou</strong>s les contes pre´ sentent cette rencontre associe´ e au sommeil et au henne´ .<br />
En effet, c’est pendant son sommeil que Tanirt teint les mains de H. emmu. Ce<br />
dernier est <strong>ou</strong> puni par le maıˆ tre d’école <strong>ou</strong> se sent humilié (conte de la colombe<br />
jaune) d’eˆ tre ainsi surpris dans son sommeil. Dans les deux cas, c’est une<br />
énigme à dévoiler :<br />
2. On notera un grand flottement dans la transcription de ce nom. Je ne retiendrai que ces<br />
deux-ci : H. emmu u <strong>Namir</strong> et H. emmu Unamir. C’est la seconde que je retiendrai p<strong>ou</strong>r des raisons<br />
que j’explique plus loin.<br />
122
<strong>«</strong>L’e´ colier, te´ moin du spectacle, saisit fortement l’ange et lui dit (avec le s<strong>ou</strong>lagement<br />
de quelqu’un qui a réussi a` rés<strong>ou</strong>dre les myste`res d’une e´nigme). » (C’est moi qui<br />
s<strong>ou</strong>ligne.)<br />
C’est donc un proble` me de savoir qui est pose´ , un savoir diffe´ rent de celui<br />
qu’il acquiert à l’e´ cole coranique, c’est un savoir de la nuit.<br />
La trace de ce savoir est le henne´ . Certes, le maıˆ tre d’e´ cole signifie que<br />
cette parure est fe´ minine. Mais il <strong>ou</strong>blie que c’est une parure de fiance´ s,<br />
hommes et femmes. Elle annonce <strong>ou</strong> atteste la noce, l’am<strong>ou</strong>r et le contrat<br />
de mariage. En parant H. emmu de henne´ , Tanirt le de´ signe comme son<br />
bien-aime´ , son futur ép<strong>ou</strong>x. La question du savoir (e´ nigme a` re´ s<strong>ou</strong>dre p<strong>ou</strong>r<br />
H. emmu) est plus pre´ cise : la personne qui me pare ainsi m’aime, qui estelle<br />
? doit se dire H. emmu. Le conte n<strong>ou</strong>e le savoir à l’am<strong>ou</strong>r et semble<br />
orienter la lecture vers un savoir sur l’am<strong>ou</strong>r. C’est ainsi que le he´ ros va<br />
s’engager dans la voie d’en savoir plus. Comment ? En suspendant le sommeil.<br />
P<strong>ou</strong>r en savoir plus sur l’am<strong>ou</strong>r, il faut s’installer dans un e´ tat de<br />
veille. T<strong>ou</strong>tefois, cette veille n’est pas simple. Elle est obtenue <strong>ou</strong> par<br />
l’obe´ issance au maıˆ tre d’e´ cole, <strong>ou</strong> par des aphrodisiaques (amandes) <strong>ou</strong><br />
par la mutilation d’un doigt. Quoi qu’il en soit, H. emmu sacrifie quelque<br />
chose p<strong>ou</strong>r arriver à re´ s<strong>ou</strong>dre l’e´ nigme. Ce sacrifice marque l’importance<br />
de ce savoir et son mode d’acquisition. Il faut accepter de perdre quelque<br />
chose dont la plus commune est le sommeil.<br />
En effet, la perte dévoile l’énigme et H. emmu entre en contact avec Tanirt qui<br />
lui pose trois conditions (shshrud, dans t<strong>ou</strong>tes les versions) : un type d’habitation<br />
(chambre a` sept feneˆ tres, maison a` sept chambres, etc.), l’enfermement<br />
total dans cette habitation et l’interdiction d’eˆ tre vue par quiconque, particulie`<br />
rement par la me` re de H. emmu.<br />
On comprendra que la condition essentielle est la dernie` re, les autres n’e´ tant<br />
que des modalite´ s p<strong>ou</strong>r re´ ussir celle-ci. Ainsi donc le danger vient-il de la me` re<br />
de son bien-aime´ . Histoire banale de belle-me` re, certes, mais p<strong>ou</strong>rquoi y a-t-il<br />
danger ? Et lequel ?<br />
2. La rupture du contrat<br />
T<strong>ou</strong>tes les versions insistent sur la curiosite´ de la me` re p<strong>ou</strong>r péne´ trer dans la<br />
cachette de sa bru. La` encore, c’est une question de savoir, mais un savoir sur<br />
lequel pèse un interdit. H. emmu, en effet, a t<strong>ou</strong>t mis en œuvre et a averti sa me` re<br />
de ne pas pe´ nétrer et de ne laisser personne pe´ nétrer dans son jardin secret.<br />
Quand elle déc<strong>ou</strong>vre sa bru, la belle-me` re jal<strong>ou</strong>se se montre <strong>ou</strong> me´ prisante 3<br />
3. <strong>«</strong> h. ih. ! nnih. akk o ma iga H. emmu Unamir g uhanu ! » (<strong>«</strong> Hum ! C’est t<strong>ou</strong>t ce que H. emmu<br />
Unamir a caché dans la chambre ! ») (Version Amal<strong>ou</strong>, I.)<br />
123
<strong>ou</strong> violente 4 . Quoi qu’il en soit, elle s’adresse a` elle en s<strong>ou</strong>lignant que H. emmu<br />
est son fils, qu’il lui appartient exclusivement : <strong>«</strong> mon Mh. end » (Mh. nd-inu,<br />
version El Mardili), <strong>«</strong> mon H. mad » (H. mad-inu, version Edda<strong>ou</strong>di), <strong>«</strong> mon<br />
Mhend Unamir » (Mh. nd u <strong>Namir</strong>-inu, version Lassigui). Il est donc requis<br />
de conclure que le danger craint par la bru est d’entrer dans une rivalite´ avec la<br />
belle-me` re dans l’appropriation de H. emmu. Or, il semble que l’issue de ce<br />
conflit entre rivales est le triomphe de la me` re sur l’e´ p<strong>ou</strong>se. C’est p<strong>ou</strong>rquoi cette<br />
dernie` re ne veut pas eˆ tre vue et c’est p<strong>ou</strong>rquoi elle bat en retraite et quitte la<br />
maison conjugale. Elle déclare H. emmu ainsi violer la clause fondamentale du<br />
contrat de mariage meˆ me si son e´ p<strong>ou</strong>x n’en est pas responsable.<br />
Quand H. emmu sera informe´ du drame, il restera fide` le à la rencontre<br />
am<strong>ou</strong>reuse au point de rompre avec les siens y compris sa me` re. Dans cette<br />
fide´ lite´ , il dén<strong>ou</strong>e t<strong>ou</strong>tes les attaches familiales, ethniques, mate´ rielles et<br />
morales p<strong>ou</strong>r aller a` la recherche de sa bien-aime´ e.<br />
3. Vers le septie` me ciel<br />
Il est important de noter que ce de´ part est d’abord une errance (ayrittllu,<br />
version Amah<strong>ou</strong>), dans la foreˆ t (ifk i tagant, version Lassigui). H. emmu<br />
s’installe dans un espace sauvage et devient, selon la belle expression de<br />
A. Miquel, l’ensauvagé. La fide´ lite´ à l’am<strong>ou</strong>r le c<strong>ou</strong>pe de ses attaches sociales<br />
et le s<strong>ou</strong>met a` l’errance sans lien sauf celui de l’objet d’am<strong>ou</strong>r, son seul objet de<br />
désir dont le lieu est insu de lui 5 . C’est un aigle qui va le lui indiquer et l’y<br />
emmener 6 .<br />
On insistera surt<strong>ou</strong>t sur deux faits : H. emmu sauve de la mort les enfants de<br />
l’aigle et prend soin d’eux ; il immole son cheval.<br />
Le premier motif oppose H. emmu à l’aigle et fait apparaıˆ tre le premier<br />
comme un bon père, d<strong>ou</strong>x et attentif alors que l’aigle est violent et a failli<br />
commettre un infanticide. H. emmu est donc en position d’eˆ tre un pe` re protecteur<br />
au point de <strong>«</strong> materner » ses enfants puisqu’il le fait p<strong>ou</strong>r ceux des autres.<br />
En effet, H. emmu les coiffe et leur offre des friandises. J’y reviendrai apre` s<br />
l’analyse de l’histoire de Tanirt.<br />
J’ai note´ 7 que l’immolation du cheval est un acte de <strong>«</strong> de´ virilisation » au sens<br />
fort du terme. J’irai plus loin en affirmant que cela constitue la continuation du<br />
4. <strong>«</strong> tssufs-tt tut-s s utmis tenna-as sˇ am a tamealjt ad ijlan Mh. end-inu » (C’est toi, espèce<br />
d’e´ trangère, qui m’a enlevé mon fils Mhand !, version II).<br />
5. J’ai analysé ce thème dans les Mille et une nuits, voir A. B<strong>ou</strong>nf<strong>ou</strong>r, De l’enfant au fils. Essai<br />
sur la filiation dans les Mille et une nuits (Brill, Leiden, 1995, pp. 105-129).<br />
6. Ce motif (voler dans les airs) se retr<strong>ou</strong>ve dans les Mille et une nuits, ibid. Ce n’est pas un<br />
aigle mais un génie.<br />
7. A. B<strong>ou</strong>nf<strong>ou</strong>r, Le nœud de la langue, p. 101.<br />
124
sacrifice entame´ e p<strong>ou</strong>r qu’ait lieu la rencontre am<strong>ou</strong>reuse. Immoler les signes<br />
exte´ rieurs de la virilite´ narcissique, c’est m<strong>ou</strong>rir un peu p<strong>ou</strong>r acce´ der au<br />
véritable statut d’e´ p<strong>ou</strong>x et de pe` re potentiel. En effet, H. emmu retr<strong>ou</strong>vera<br />
Tanirt et son fils qui, ne´ en son absence, le reconnaıˆ tra en acc<strong>ou</strong>rant a` sa vue.<br />
Le fils institue le père du fait qu’il a consenti a` sacrifier son moi social p<strong>ou</strong>r<br />
retr<strong>ou</strong>ver sa famille. Cette perte concerne aussi son corps puisqu’il en c<strong>ou</strong>pe un<br />
morceau de chair et l’offre a` l’aigle dans l’espoir d’arriver au but. Ces sacrifices<br />
inscrivent H. emmu dans la succession des géne´ rations (e´ p<strong>ou</strong>x et père) alors que<br />
leur sauvegarde l’aurait maintenu dans une fusion tribale et maternelle. J’y<br />
reviendrai.<br />
4. Le drame<br />
Les retr<strong>ou</strong>vailles de la famille au septie` me ciel p<strong>ou</strong>rraient être la fin de cette<br />
histoire. Certaines versions s’arreˆ tent la` <strong>ou</strong> concluent sur le ret<strong>ou</strong>r de l’ensemble<br />
de la famille vers le monde terrestre. Or, le noyau le plus dur et le plus<br />
fre´ quent est autre.<br />
Tanirt interdit a` H. emmu de regarder vers le monde terrestre. Cette interdiction<br />
est associe´ ea` la feˆ te musulmane du sacrifice perpe´ tuant le rite abrahamique.<br />
Vivant dans la comple´ tude, H. emmu sera saisi par le désir de savoir p<strong>ou</strong>rquoi<br />
son ép<strong>ou</strong>se lui a fait cette interdiction. Encore une question de savoir ! En<br />
regardant vers la terre, il aperc¸ oit sa me` re sans personne p<strong>ou</strong>r immoler son<br />
m<strong>ou</strong>ton. Il se jette ainsi vers elle p<strong>ou</strong>r le faire.<br />
N’a-t-elle vraiment personne ? Certaines versions se taisent sur la pre´ sence/<br />
l’absence du pe` re de H. emmu. Mais celle que j’ai promue comme version<br />
comple` te pre´ sente la sce` ne comme suit : la me` re est en compagnie du pe` re, ce<br />
dernier tient le m<strong>ou</strong>ton et elle le c<strong>ou</strong>teau. Etrange tableau qui inverse les roˆ les.<br />
Le sacrifice abrahamique est une affaire d’hommes en islam. C’est l’homme qui<br />
immole, particulie` rement le père 8 . La femme peut y aider en tenant le m<strong>ou</strong>ton<br />
<strong>ou</strong>, dans certaines re´ gions berbe` res du Haut Atlas, en recueillant le sang de la<br />
victime. P<strong>ou</strong>rquoi cette inversion ? La me` re de H. emmu, repre´ senterait-elle une<br />
me` re phallique et dessaisirait-elle son ép<strong>ou</strong>x de son roˆ le de sacrificateur ?<br />
Assure´ ment, d’autant plus que la me` re appelle son fils p<strong>ou</strong>r tenir ce roˆ le<br />
comme si le père, depuis qu’il y a un fils, ne p<strong>ou</strong>vait plus tenir ce roˆ le. Que<br />
H. emmu re´ ponde a` cette demande, voila` qui montre la force du lien maternel<br />
malgre´ les sacrifices consentis p<strong>ou</strong>r s’inscrire dans la succession des ge´ nérations.<br />
Vivant dans la comple´ tude ce´ leste, H. emmu, a` la vue de cette sce` ne, est<br />
8. On se rappellera que ce sacrifice est la remémoration annuelle du sacrifice d’Abraham (voir<br />
A. B<strong>ou</strong>nf<strong>ou</strong>r, Origine, meurtre et sacrifice selon le Coran et sa re´ception, a` paraître chez Brill,<br />
Leiden).<br />
125
saisi par la culpabilite´ d’avoir abandonne´ sa mère et se pre´ cipite vers elle. Il en<br />
meurt et son sang immole le m<strong>ou</strong>ton qui, symboliquement devait le sauver<br />
comme il avait sauve´ Isaac/Ismael. Le fils meurt a` l’autel du maternel.<br />
On l’aura compris, l’histoire de H. emmu met en sce` ne un parc<strong>ou</strong>rs œdipien<br />
entre un fils et sa me` re, une mère incestueuse sur laquelle il faudra revenir apre` s<br />
avoir parc<strong>ou</strong>ru l’histoire de Tanirt.<br />
LE COMPLEXE DE TANIRT<br />
Tanirt n’est pas une fille du paradis comme le sugge` rent plusieurs versions.<br />
Deux d’entre elles en font une cre´ ature humaine ne´ e d’un homme et d’une<br />
femme, de l’un et l’autre sexe. Je suivrai, ici, celle de Lassigui dont les épisodes<br />
sont plus suggestifs quant a` notre propos. On en retiendra deux : Tanirt chez<br />
ses parents et Tanirt chez le c<strong>ou</strong>ple d’ogres.<br />
1. La rivalite´ me` re-fille<br />
Fille unique, excessivement belle et de parents cossus, Tanirt a de quoi<br />
attiser les convoitises. Que ce soit de la part de sa me` re, voila` qui est insolite.<br />
Dans le conte berbe` re, un adulte jal<strong>ou</strong>x d’un enfant est un personnage<br />
pre´ visible ; c’est t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs une maraˆ tre vis-a` -vis des enfants de la co-e´ p<strong>ou</strong>se<br />
<strong>ou</strong> la seconde ép<strong>ou</strong>se apre` s la mort de la premie` re laissant des orphelins en bas<br />
aˆ ge. La version qui n<strong>ou</strong>s occupe met donc en sce` ne une me` re qui se conduit<br />
comme une maraˆ tre <strong>ou</strong> ce qu’on appellerait une mauvaise mère.<br />
On notera que cette jal<strong>ou</strong>sie est mortifie´ e. Il ne s’agit pas d’abandonner des<br />
enfants comme c’est s<strong>ou</strong>vent le cas, mais d’immoler sa propre fille. La me` re<br />
exige du père qu’il égorge sa fille p<strong>ou</strong>r qu’elle étanche sa soif de son sang. Voici<br />
donc une me` re dont la jal<strong>ou</strong>sie va jusqu’au sacrifice de sa fille et au vampirisme.<br />
P<strong>ou</strong>rquoi un tel exce` s dans la jal<strong>ou</strong>sie ? A cause de la beauté excessive de la fille.<br />
La jal<strong>ou</strong>sie de la me` re vient de cette beaute´ , certes, mais aussi du fait qu’un tiers<br />
l’ait annonce´ e, le soleil. La me` re se place comme rivale de sa fille comme si<br />
celle-ci constituait p<strong>ou</strong>r elle une menace. Laquelle ? La supplanter aupre` sdu<br />
père ? Sa venue à la place d’un fils ? Quoi qu’il en soit, cette rivalite´ excessive et<br />
mortifie´ e est le symptoˆ me de la confusion des générations chez la me` re. Elle<br />
gomme son statut de me` re et, par conse´ quent, introduit le mensonge dans la<br />
filiation dont la fille se rappellera.<br />
Quant au père, il ruse avec le désir pathoge` ne de son ép<strong>ou</strong>se. Ses multiples<br />
subterfuges ponctuent le temps de l’initiation et de la maturation de sa fille (du<br />
rire a` la recherche du bois). T<strong>ou</strong>tefois, les sacrifices consentis p<strong>ou</strong>r sauver sa<br />
126
fille (chien, m<strong>ou</strong>ton) humilient davantage son ép<strong>ou</strong>se et, au lieu d’ad<strong>ou</strong>cir la<br />
pulsion maternelle, elle l’aiguise davantage au point que la me` re peut voir dans<br />
cette protection paternelle le signe du statut privile´ gié de la fille aupre` sdupe` re.<br />
En d’autres termes, la rivalite´ est telle que la fille peut eˆ tre perc¸ ue par la me` re<br />
comme une co-e´ p<strong>ou</strong>se et la pre´ fe´ re´ e de son mari. En la cachant, dans un coffre,<br />
dans une chambre, évoque l’enfermement de Tanirt par H. emmu et,<br />
par conse´ quent, peut consolider le phantasme maternel. L’exigence maternelle<br />
– que ce soit le père qui exe´ cute la fille – consolide cette interpre´ tation. Ainsi la<br />
confusion des ge´ nérations irait-elle jusqu’a` sugge´ rer un inceste entre le père et<br />
sa fille, a` moins que cela ne soit une projection de la me` re. Ce qui montre bien<br />
que celle-ci prend son phantasme p<strong>ou</strong>r de la re´ alité. Face a` cette pathologie, les<br />
ruses du pe` re ne suffisent plus. A défaut d’eˆ tre le support d’une parole qui<br />
tranche dans le mensonge incestueux et mortife` re de la mère, il se re´ s<strong>ou</strong>d à<br />
abandonner sa fille dans la forêt p<strong>ou</strong>r la sauver de la mort. Ainsi l’abandon<br />
d’enfant apparaıˆ t-il, ici, comme une <strong>ou</strong>verture par rapport au cercle infernal<br />
du triangle familial. Grande et muˆ re, Tanirt peut maintenant voler de ses<br />
propres ailes et s’e´ loigner de sa me` re-ogresse.<br />
2. La famille ambivalente<br />
On sait que les c<strong>ou</strong>ples d’ogres sont la figure ne´ gative du cercle familial dans<br />
les contes berbe` res 9 . T<strong>ou</strong>tefois, ce n’est pas le cas dans cette version :<br />
– En n<strong>ou</strong>rrissant les petits ogres, en leur donnant des friandises et en j<strong>ou</strong>ant<br />
avec eux, Tanirt se comporte non seulement comme une sœur aıˆ née – elle est<br />
ainsi nomme´ e par les petits ogres –, mais en femme muˆ re et potentiellement<br />
me` re. Elle est n<strong>ou</strong>rricie` re, éducatrice et donneuse de plaisir aux petits des<br />
autres. Tanirt, contrairement a` sa me` re, est <strong>ou</strong>verte sur l’alte´ rite´ la plus<br />
sauvage et la plus dangereuse p<strong>ou</strong>r elle-meˆ me ; elle l’apprivoise. A cette<br />
<strong>ou</strong>verture elle devra son salut.<br />
– En effet, l’ogresse, en bonne me` re, l’épargnera et la sauvera de son mari<br />
qui, contrairement au pe` re de Tanirt, v<strong>ou</strong>drait la manger. Elle lui indiquera<br />
comment retr<strong>ou</strong>ver son chemin vers un ailleurs plus cle´ ment. Second abandon<br />
qui apparaît, la` aussi, comme une <strong>ou</strong>verture par rapport a` un cercle familial<br />
mortifie´ et sans issue. C’est dans ce chemin qu’elle rencontrera H. emmu.<br />
Que conclure de ces deux épisodes ?<br />
– Tanirt apparaît comme un sujet <strong>«</strong> apathique ». Elle n’a de re´ action propre,<br />
lors des deux e´ pisodes, que lorsqu’elle s’occupe des enfants des ogres. Ce qui<br />
9. E. La<strong>ou</strong>st, Contes berbe`res du Maroc, Institut des Hautes Etudes Marocaines, 1945,<br />
volume 2, <strong>«</strong> Des noms <strong>berbère</strong>s de l’ogre et de l’ogresse », p. XVII-XXVIII. L’auteur conclut<br />
que le <strong>«</strong> concept » d’ogre en <strong>berbère</strong> retient essentiellement deux traits, la férocité et le cannibalisme.<br />
127
désigne cet acte comme essentiel dans le processus d’autonomisation de<br />
l’enfant. Et son vrai désir ne s’exprimera que lors de la rencontre avec<br />
H. emmu, lorsqu’elle lui posera ses conditions avant de l’e´ p<strong>ou</strong>ser. Ainsi estelle,<br />
dans les deux cercles familiaux, l’enjeu des de´ sirs de ces c<strong>ou</strong>ples.<br />
– Si ces c<strong>ou</strong>ples ne sont que les deux versants du c<strong>ou</strong>ple parental, on dira<br />
alors que le conte met en sce` ne la bonne et la mauvaise me` re ainsi que le bon et<br />
le mauvais pe` re p<strong>ou</strong>r une fille.<br />
En v<strong>ou</strong>lant manger Tanirt, chair fraıˆ che dont il raffole comme on sait,<br />
l’ogre, figure du mauvais pe` re, repre´ senterait le versant incestueux de la<br />
relation pe` re-fille lequel est pre´ sent dans la relation père géniteur-Tanirt<br />
mais sans l’inceste, interdit par la loi de la filiation et des géne´ rations.<br />
En conside´ rant sa fille comme une rivale, la génitrice, figure de la mauvaise<br />
me` re, repre´ senterait le versant incestueux de la relation me` re-fille lequel est<br />
pre´ sent dans la relation ogresse-Tanirt mais, la` aussi, l’inceste est interdit par la<br />
loi, celle de l’hospitalite´ , en l’occurrence, et de l’adoption par les petits ogres<br />
(loi de la filiation donc).<br />
Il y a donc deux modalite´ s de l’inceste p<strong>ou</strong>r la fille selon ce conte. L’origine<br />
est incestueuse, mais <strong>ou</strong> la loi se fait entendre p<strong>ou</strong>r interdire le passage a` l’acte et<br />
introduit la fille dans la filiation humaine <strong>ou</strong> elle est pervertie. Dans le premier<br />
cas, la loi introduit la fille dans la vérite´ de la filiation ; dans le second, elle est<br />
victime d’un marricide par pe` re interpose´ <strong>ou</strong> d’une incorporation parricide.<br />
C’est la` qu’il faut reprendre l’histoire de H. emmu p<strong>ou</strong>r conclure.<br />
CONCLUSIONS<br />
L’histoire de H. emmu contraste avec celle de Tanirt sur un point essentiel<br />
au moins. En effet, la premie` re ne pre´ sente en détail, si j’ose dire, que le<br />
rapport me` re-fils et occulte le rapport père-fils. A moins de conside´ rer que<br />
l’absence de ce rapport signifie le de´ faut de père. On peut suivre cette piste<br />
d’autant plus que deux arguments peuvent l’e´ tayer : (i) la position <strong>«</strong> fe´ minine<br />
» du père a` coˆ te´ de la me` re <strong>«</strong> phallique » tenant le c<strong>ou</strong>teau du sacrificateur<br />
et (ii) le père de Tanirt qui ce` de devant les exigences de son e´ p<strong>ou</strong>se en<br />
abandonnant sa fille. Ces deux arguments narratifs sugge` rent la non-consistance<br />
du pe` re.<br />
Quoi qu’il en soit et jusqu’a` plus ample informe´ , on notera que les deux<br />
histoires insistent sur les points suivants :<br />
1. Les deux me` res de l’un et de l’autre sont dans un rapport incestueux avec<br />
leur proge´ niture. L’expression de cet inceste est la rivalite´ :lamère de H. emmu<br />
rivalise avec Tanirt p<strong>ou</strong>r l’appropriation de son fils en excluant t<strong>ou</strong>te autre<br />
128
femme, fut-elle une ép<strong>ou</strong>se, et la me` re de Tanirt rivalise avec sa fille p<strong>ou</strong>r<br />
s’approprier seule les attributs de la fe´ minite´ , de la beaute´ et de la jeunesse.<br />
2. L’issue de ce rapport est diffe´ rent selon le cas : (i) Tanirt semble avoir<br />
acquis une autonomie re´ elle à l’égard de ce rapport mortife` re alors que (ii)<br />
H. emmu, malgre´ des signes probants, succombe à la fusion maternelle.<br />
Cette diffe´ rence s’inscrit dans un the` me bien connu dans les contes berbe` res,<br />
particulie` rement le cycle du Petit P<strong>ou</strong>cet selon la terminologie de E. La<strong>ou</strong>st 10 .<br />
En effet, dans une fratrie, c’est la sœur, la benjamine surt<strong>ou</strong>t, qui apparaıˆ t plus<br />
astucieuse et sauve plusieurs fois son <strong>ou</strong> ses fre` res <strong>«</strong> apathique(s) ».<br />
T<strong>ou</strong>tefois, cet argument culturel n’est pas spe´ cifique à la culture berbe` re<br />
meˆ me s’il y est massif.<br />
3. D’ailleurs, Tanirt et H. emmu sont comparables sur un point non moins<br />
important qui est leur rapport a` l’enfance. En effet, les deux seront sauve´ s<br />
parce qu’ils accueillent chacun des enfants et s’en occupent comme de bons<br />
parents : Tanirt avec les petits ogres et H. emmu avec les petits aiglons. Le conte<br />
indique qu’ils s’inscrivent comme pe` re et mère potentiellement bons. Il se<br />
tr<strong>ou</strong>ve que l’une vivra avec son fils et l’autre le quittera p<strong>ou</strong>r m<strong>ou</strong>rir a` l’autel<br />
du maternel.<br />
En conclura-t-on une loi générale sur le de´ faut de père dans cette socie´ te´ ?Je<br />
n’irai pas jusque-la` . En revanche, on peut sugge´ rer que le conte évoque la<br />
fragilite´ de la position paternelle par rapport a` la position maternelle, the` se<br />
t<strong>ou</strong>t a` fait universelle. Ce qui n’exclut pas la responsabilite´ paternelle dans la<br />
fragilite´ de la position de la loi.<br />
ABDELLAH <strong>BOUNFOUR</strong><br />
Universite´ de Bordeaux III/INALCO<br />
10. Contes berbe`res du Maroc, Institut des Hautes Etudes Marocaines, 1949, vol. II, voir<br />
surt<strong>ou</strong>t pp. 130-132.<br />
129
TEXTES TRADUITS 1<br />
I<br />
HMAD UNAMIR<br />
(Version Zohra Amah<strong>ou</strong>, re´gion de Tar<strong>ou</strong>dant, 1992/1993)<br />
Une femme avait un garc¸ on qui s’appelait Hmad Unamir. Chaque matin, au réveil,<br />
il tr<strong>ou</strong>vait ses mains teintes de henne´ . A l’e´ cole coranique, le maître vit le henne´ dans<br />
ses mains et lui dit : <strong>«</strong> Ce ne sont que les filles qui mettent le henne´ .»<br />
Hmad Unamir lui dit :<br />
– C’est que, Maître, a` chaque réveil, je tr<strong>ou</strong>ve le henne´ dans mes mains.<br />
– Il ne faut pas que tu t’endormes la nuit p<strong>ou</strong>r que tu saches qui te mets le henne´ .<br />
Il prit des amandes, les mangea p<strong>ou</strong>r ne pas s’endormir. Accompagne´ de son<br />
esclave, un ange descendit du ciel. L’esclave prend la main de Hmad Unamir p<strong>ou</strong>r<br />
que l’ange lui mette le henne´ . Il la laissa jusqu’a` ce qu’elle ait presque fini, puis il lui prit<br />
la main. Elle lui dit :<br />
– Laisse-moi, tu es incapable de re´ aliser mes désirs.<br />
– Quels sont-ils ?<br />
–Outue´ gorges p<strong>ou</strong>r moi un m<strong>ou</strong>ton chaque j<strong>ou</strong>r <strong>ou</strong> tu me construis sept chambres<br />
dont chacune communique avec l’autre. Et que personne ne me voie.<br />
– Je suis incapable d’e´ gorger p<strong>ou</strong>r toi un m<strong>ou</strong>ton chaque j<strong>ou</strong>r, mais je peux te<br />
construire sept chambres dont chacune communique avec l’autre.<br />
Il bâtit une maison de sept chambres <strong>ou</strong>` elle habita. A chacune de ses sorties, il<br />
fermait les chambres et cachait la clé dans la paille. A l’heure des repas, il emportait à<br />
manger dans la chambre de l’ange. Quand sa me` re pose le c<strong>ou</strong>vert, elle dispose deux<br />
parts dans le plat. Mais elle fut envahie par la curiosite´ . Elle se disait : <strong>«</strong> Que cache<br />
Hmad Unamir dans sa chambre ? P<strong>ou</strong>rquoi la ferme-t-il t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs ? »<br />
Un j<strong>ou</strong>r, une p<strong>ou</strong>le f<strong>ou</strong>illait dans la paille et tomba sur la cle´ et la prit. La me` re vit la<br />
clé, lare´ cupéra et <strong>ou</strong>vrit les chambres une a` une. Quand elle les <strong>ou</strong>vrit t<strong>ou</strong>tes, elle<br />
tr<strong>ou</strong>va l’ange en train de se peigner les cheveux. Elle lui dit :<br />
– Ah bon ! c’est c¸ a que Hmad Unamir cache dans sa chambre !<br />
Alors, elle referma les chambres et remit la cle´ a` sa place dans la paille. Quand Hmad<br />
Unamir fut de ret<strong>ou</strong>r, il prit la clé et <strong>ou</strong>vrit les chambres.<br />
L’ange lui dit :<br />
– Je veux que tu me fasses une petite <strong>ou</strong>verture car je suffoque beauc<strong>ou</strong>p ici. Il<br />
s’exe´ cuta ; elle se transforma en pigeon, s’envola et sortit par le tr<strong>ou</strong>. Quand Unamir<br />
fut de ret<strong>ou</strong>r, il ne la tr<strong>ou</strong>va pas. Elle lui avait laisse´ une bague qu’il mit au doigt.<br />
Il sortit, il marcha longtemps jusqu’a` une colline verte sur laquelle perchait un aigle.<br />
Il dit :<br />
– Aigle, colline verte, un pigeon blanc, n’est-il pas passe´ par la` ?<br />
Il re´ pe´ ta trois fois sa demande et l’aigle lui répondit :<br />
– Ce pigeon est au septie` me ciel.<br />
Hmad Unamir lui dit :<br />
1. Je tiens a` remercier M me Paillet qui m’a remis ces versions à Agadir apre` s ma confe´ rence a` l’Universite´<br />
comme signe de bienvenue et elle a dit publiquement que je p<strong>ou</strong>vais en faire l’usage que je v<strong>ou</strong>lais. En les<br />
publiant auj<strong>ou</strong>rd’hui, apre` s un remaniement assez important, j’espe` re contribuer a` faire connaître un des<br />
plus grands mythes <strong>berbère</strong>s et la re´ gion de ses jeunes étudiants si sympathiques.<br />
130
– Que faire p<strong>ou</strong>r le rejoindre ?<br />
– Si tu peux satisfaire mes conditions, je t’aiderai à le rejoindre.<br />
– Quelles sont tes conditions ?<br />
–Tue´ gorges ton cheval, tu en prends sept morceaux de chair et sept gorge´ es de<br />
sang.<br />
– Je suis capable d’e´ gorger mon cheval, en prendre sept morceaux de chair et sept<br />
gorge´ es de sang.<br />
– Alors monte sur mon dos.<br />
Il monta sur le dos de l’aigle qui s’envola jusqu’au premier ciel. <strong>«</strong> Donnez-moi à<br />
manger », lui dit l’aigle.<br />
Il lui donna un morceau de viande et une gorge´ e de sang. Ils s’envole` rent jusqu’au<br />
deuxie` me, puis au troisie` me, au quatrie` me, au cinquie` me et au sixie` me ciel.<br />
En direction du septie` me ciel, Hmad Unamir fit tomber le dernier morceau de<br />
viande, mais il le remplac¸ a par un autre c<strong>ou</strong>pe´ de son bras. Quand ils arrive` rent au<br />
septie` me ciel, l’aigle dit a` Hmad Unamir : <strong>«</strong> Donnes-moi donc a` manger. »<br />
Il lui donna une gorgée de sang et un morceau de cette viande-la` . Quand l’aigle la<br />
mangea, il la tr<strong>ou</strong>va salée. Il lui dit :<br />
– P<strong>ou</strong>rquoi ce morceau de viande est-il sale´ ?<br />
– Par Dieu un morceau m’est tombe´ des mains et je l’ai remplace´ par un autre c<strong>ou</strong>pe´<br />
de mon bras.<br />
– Si tu n’avais pas éte´ ge´ ne´ reux avec moi, je t’aurais fait tomber de mon dos et il<br />
n’arrivera de toi pas meˆ me une g<strong>ou</strong>tte de sang sur terre.<br />
L’aigle le prit jusqu’a` un arbre pre` s d’une s<strong>ou</strong>rce, l’y déposa et ret<strong>ou</strong>rna a` ses<br />
occupations. Hmad Unamir resta sur l’arbre.<br />
Les anges venaient puiser l’eau de la s<strong>ou</strong>rce. Ils portaient des jarres. Et chaque fois<br />
que l’un d’eux v<strong>ou</strong>lait puiser l’eau, il y apercevait le visage de Hmad Unamir et dit : <strong>«</strong> Je<br />
suis si belle et je porte une jarre aussi laide ! »<br />
Il prend un caill<strong>ou</strong>, casse la jarre et s’en va. Il en va ainsi jusqu’a` ce que sa femme<br />
vint aussi puiser l’eau. Elle vit Hmad Unamir et dit : <strong>«</strong> Mon visage est aussi beau... »<br />
Elle prit la jarre et v<strong>ou</strong>lut la casser. Hmad Unamir lui dit :<br />
– Ne casse pas la jarre, c’est moi.<br />
– P<strong>ou</strong>rquoi es-tu venu ?<br />
– Je suis venu la` <strong>ou</strong>` tu es.<br />
– Alors reste ici jusqu’a` la tombe´ e de la nuit.<br />
Il resta sur l’arbre jusqu’a` la tombe´ e de la nuit. Elle vint et l’emmena chez elle. Il y<br />
habita p<strong>ou</strong>r t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs.<br />
Quand les gens allaient feˆ ter la feˆ te sacrifice, elle v<strong>ou</strong>lut rendre visite a` ses parents.<br />
Elle dit a` Unamir : <strong>«</strong> Toi, tu restes dans la chambre. J’irai chez mes parents. Prends t<strong>ou</strong>t<br />
ce que tu de´ sires sauf la pierre sur la natte. »<br />
Elle tarda à revenir. Lui e´ tait fatigue´ d’attendre. Il dit : <strong>«</strong> Il faut que je sache ce qu’il y<br />
a s<strong>ou</strong>s cette pierre. »<br />
Il prit la pierre, enleva la natte et vit sa me` re deb<strong>ou</strong>t devant la maison en compagnie<br />
de son pe` re. Sa me` re tenait le c<strong>ou</strong>teau et le père le m<strong>ou</strong>ton. Elle disait : <strong>«</strong> Qui va e´ gorger<br />
p<strong>ou</strong>r moi le m<strong>ou</strong>ton de la feˆ te du sacrifice ? »<br />
Unamir enleva son tablier et le jeta par le tr<strong>ou</strong>, mais il n’arriva point sur terre. Il jeta<br />
son turban, mais en vain. Il enleva sa djellba, la jeta mais n’arriva point non plus.<br />
Las, il se jeta dans le tr<strong>ou</strong> p<strong>ou</strong>r rejoindre ses parents afin d’e´ gorger leur m<strong>ou</strong>ton de<br />
la feˆ te, mais il n’arriva de lui qu’une seule g<strong>ou</strong>tte de sang qui tomba sur le m<strong>ou</strong>ton et<br />
l’immola.<br />
131
II<br />
LA COLOMBE JAUNE<br />
(Version M. El Mardili, re´gion Ke´laa M’G<strong>ou</strong>na, 1992/1993)<br />
Il e´ tait une fois un homme et une femme, ils e´ taient marie´ s mais n’avaient jamais<br />
enfante´ . Ils e´ taient aisés, ne désiraient rien d’autres qu’avoir des enfants. P<strong>ou</strong>r ce faire,<br />
ils consulte` rent un magicien a` qui ils donnèrent t<strong>ou</strong>t ce qu’il demandait p<strong>ou</strong>rvu qu’ils<br />
aient des enfants.<br />
En effet, par la volonte´ de Dieu, ils mirent au monde une fille qui e´ tait d’une rare<br />
beaute´ au point qu’on la surnomma la colombe blonde. Un j<strong>ou</strong>r, son père partit en<br />
voyage et Dieu v<strong>ou</strong>lut qu’il soit tue´ par des voleurs. La me` re de la fille ne cessa de<br />
pleurer son ép<strong>ou</strong>x jusqu’a` sa mort.<br />
La colombe blonde surveilla la maison t<strong>ou</strong>te seule quand survint, un j<strong>ou</strong>r, un<br />
gr<strong>ou</strong>pe de personnes. Elles tr<strong>ou</strong>ve` rent les biens dont j<strong>ou</strong>issait la colombe blonde.<br />
Cette dernie` re eut peur ; elle se cacha. Quant aux membres du gr<strong>ou</strong>pe, ils s’installe` rent<br />
p<strong>ou</strong>r savoir a` qui appartenait t<strong>ou</strong>s ces biens.<br />
En effet, ils organise` rent la surveillance, a` t<strong>ou</strong>r de roˆ le. Chaque matin, ils tr<strong>ou</strong>ve` rent<br />
leurs mains t<strong>ou</strong>tes peintes de henne´ . Quand vint le t<strong>ou</strong>r du fils du roi, il fit c<strong>ou</strong>per son<br />
petit doigt p<strong>ou</strong>r p<strong>ou</strong>voir veiller. La nuit, quand ils furent t<strong>ou</strong>s endormis, la colombe<br />
blonde sortit comme a` son habitude p<strong>ou</strong>r leur oindre les mains de henne´ . Le fils du roi<br />
fit semblant de dormir, la colombe blonde lui peignit les mains. Il la surveilla jusqu’a` ce<br />
qu’il sut sa cachette. Le matin, le fils du roi dit a` ses compagnons : <strong>«</strong> Bon ! Ces biens<br />
n’appartiennent a` personne ; partageons-les, n<strong>ou</strong>s avons trop tarde´ .»<br />
Il aj<strong>ou</strong>ta : <strong>«</strong> Donnez-moi seulement ce pie` ge-ci et prenez t<strong>ou</strong>t le reste. » Ils re´ pondirent<br />
a` sa demande. Le fils du roi marcha longtemps jusqu’a` un endroit lointain, la<br />
colombe sortit en lui disant : <strong>«</strong> Toi, si tu veux que tu sois mon e´ p<strong>ou</strong>x et moi, ton e´ p<strong>ou</strong>se,<br />
il faut que tu m’installes dans une chambre à sept portes que ne puisse <strong>ou</strong>vrir qu’une<br />
seule cle´ . » Le fils du roi accepta cette condition et l’exe´ cuta.<br />
Un j<strong>ou</strong>r, il partit en voyage et laissa la clé dans une mangeoire. S<strong>ou</strong>dain, un coq<br />
creuse dans cette mangeoire et tr<strong>ou</strong>ve la cle´ puis il se mit a` crier : <strong>«</strong> Qui veut me faire du<br />
bien et je lui donne quelque chose ? » La me` re du prince l’entendit et lui dit : <strong>«</strong> Moi. »<br />
– <strong>«</strong> Donne-moi simplement la moelle de ton nez », lui dit-il. La me` re du prince la lui<br />
donna et le coq lui remit la cle´ . La vieille alla <strong>ou</strong>vrir les portes de la chambre et elle y<br />
tr<strong>ou</strong>va la colombe blonde. Elle cracha sur elle, la gifla et lui dit : <strong>«</strong> C’est toi, espe` ce<br />
d’e´ trange` re, qui m’a enleve´ mon fils Mhand ! » Puis elle sortit, ferma les portes et remit<br />
la cle´ a` sa place. La colombe se mit a` pleurer. Quand le prince fut de ret<strong>ou</strong>r, il prit la clef<br />
et <strong>ou</strong>vrit la première porte ; de l’eau lui m<strong>ou</strong>ille les pieds ; a` la deuxie` me porte, l’eau le<br />
c<strong>ou</strong>vrit jusqu’au-dessus de la poitrine. La` , il tr<strong>ou</strong>va la colombe blonde t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs en<br />
larmes au bord de la feneˆ tre. Il se pre´ cipita sur elle p<strong>ou</strong>r la rattraper mais il n’eut que sa<br />
bague ; la colombe s’envola et traversa les sept ciels. Quand le prince eut vent de son<br />
se´ j<strong>ou</strong>r, il rendit visite à un juif p<strong>ou</strong>r l’aider a` atteindre la colombe blonde. Le juif lui<br />
dit : <strong>«</strong> Va jusqu’a` telle montagne et e´ gorge un cheval, laisse manger jusqu’a` ce qu’ils<br />
soient rassasiés l’oiseau et la beˆ te qui se pre´ sentent puis tu les chasses. Quand se<br />
pre´ sentera un oiseau accompagne´ de pluie, de nuage et de vent, tu le laisseras manger<br />
jusqu’a` ce qu’il soit rassasie´ lui aussi et tu lui diras qu’il te porte à travers les sept cieux. »<br />
Quand l’oiseau en question s’est pre´ sente´ , le prince fit sept tubes de sang et sept<br />
brochettes. Chaque fois qu’il traverse un ciel, il donne un tube de sang et une brochette<br />
a` l’oiseau. Au septie` me ciel, une brochette lui e´ chappa ; il c<strong>ou</strong>pa de son corps de quoi la<br />
remplacer et la donna a` l’oiseau. Quand ce dernier le vit agir ainsi, il lui dit : <strong>«</strong> Par Dieu<br />
si ton bienfait n’avait pas pre´ cédé le mien, je te lacherai ici. » Quand ils arrivèrent au<br />
132
ut, l’oiseau le déposa aupre` s d’une s<strong>ou</strong>rce <strong>ou</strong>` la servante de la colombe blonde vient<br />
puiser l’eau.<br />
Le prince dit a` la servante : <strong>«</strong> Donne-moi à boire ! » La servante lui re´ pondit : <strong>«</strong> C’est<br />
p<strong>ou</strong>r ma maîtresse, tu vas me le salir. » Il lui dit : <strong>«</strong> Non ! » Quand il finit de boire, il jeta<br />
la bague dans la cruche en lui disant (à la baguette) : <strong>«</strong> Que ne te prenne que la main qui<br />
t’a porte´ e ! » La servante ret<strong>ou</strong>rna chez la colombe en lui disant : <strong>«</strong> Un teigneux a jete´ de<br />
la morve dans la cruche. » La colombe lui dit : <strong>«</strong> Donne-la moi » ; elle la lui donna. La<br />
colombe aj<strong>ou</strong>ta : <strong>«</strong> Va et rame` ne-moi ici ce teigneux ; c<strong>ou</strong>vre-le de luzerne. »<br />
La colombe blonde avait e´ p<strong>ou</strong>se´ un monstre a` sept teˆ tes. Elles ramene` rent le<br />
prince a` l’insu de ce monstre. Lorsque ce dernier arriva, il leur dit : <strong>«</strong> Je sens l’odeur<br />
de quelque chose d’e´ trange. »<br />
– Nettoie tes dents, qu’as-tu mange´ ?<br />
– Il y a quelque chose d’e´ trange !<br />
– Nettoie tes dents ! Qu’as-tu mange´ ?<br />
– Montre-toi qui est la` . Que Dieu te garde.<br />
– Promets-n<strong>ou</strong>s de ne pas le tuer !<br />
Il le leur promit et Mhand sortit de sa cachette. Le monstre en fut ravi. Il e´ gorgea, à<br />
cette occasion, un animal p<strong>ou</strong>r manifester sa ge´ nérosite´ et la chaleur de son accueil.<br />
T<strong>ou</strong>tefois, le prince et les deux femmes pense` rent tuer le monstre. Un j<strong>ou</strong>r, le prince<br />
dit à la colombe blonde :<br />
– Tu dis au monstre : <strong>«</strong> Toi, tu es mon mari et moi, je suis ta femme, p<strong>ou</strong>rtant tu ne<br />
m’as jamais re´ véle´ <strong>ou</strong>` se tr<strong>ou</strong>ve ton aˆ me.<br />
Lorsqu’elle lui fit la demande, le monstre lui dit : <strong>«</strong> Que veux-tu faire avec cela ?<br />
– P<strong>ou</strong>r mieux te connaıˆ tre », lui re´ pondit la colombe. Le monstre lui confia son<br />
secret en lui disant : <strong>«</strong> Mon aˆ me se tr<strong>ou</strong>ve dans un œuf de perdrix ; la perdrix est sur le<br />
rocher ; le rocher est dans un ruisseau. »<br />
– Et celui qui veut l’arracher, que doit-il faire ?, demanda la colombe.<br />
– Il faut e´ gorger sept juifs, le ruisseau s’asse` che ; il faut tirer le rocher, la perdrix et<br />
puis l’œuf, re´ pondit le monstre.<br />
Lorsque la colombe tira l’œuf, elle le ramena chez le monstre ; elle le cassa et le<br />
monstre meurt. Mhand et la colombe blonde ret<strong>ou</strong>rne` rent chez eux.<br />
La conteuse : Voici le conte, je l’ai laisse´ dans le mal et je reviens en paix.<br />
III<br />
MHND OU NAMIR<br />
(Version Abdallah Lassigui, re´gion d’Igherm, 1987/1988)<br />
Il e´ tait une fois une femme enceinte ; elle e´ talait au soleil des grenades. Elle s’adressa<br />
au soleil : <strong>«</strong> O soleil, avise-moi de ce que je vais mettre au monde. Est-il plus beau que<br />
toi, <strong>ou</strong> plus beau que moi, <strong>ou</strong> plus beau que ces grenades ? »<br />
Elle ne cessa pas d’interroger le soleil jusqu’au j<strong>ou</strong>r <strong>ou</strong>` il lui re´ pondit : <strong>«</strong> Tu vas<br />
acc<strong>ou</strong>cher de quelqu’un de plus beau que toi, de plus beau que moi et de plus beau que<br />
ces grenades. »<br />
Effectivement, la femme mit au monde une fille aussi belle qu’une fleur. Et ce fut<br />
alors qu’elle ordonna a` son mari : <strong>«</strong> Tu dois égorger cette fille devant l’écurie afin que je<br />
lui ressemble. »<br />
– Attends le j<strong>ou</strong>r <strong>ou</strong>` elle commencera à rire, rétorqua le mari.<br />
133
La femme patienta jusqu’au j<strong>ou</strong>r convenu et dit a` son mari :<br />
– La fille rit, tu dois l’égorger p<strong>ou</strong>r que je boive de son sang.<br />
Le mari se déroba. Il dit :<br />
– Jusqu’a` ce qu’elle commence à marcher, re´ pondit-il p<strong>ou</strong>r se dérober.<br />
Ce fut ainsi jusqu’au j<strong>ou</strong>r <strong>ou</strong>` la fille fut capable de marcher et la femme, de n<strong>ou</strong>veau,<br />
lui réclama le sacrifice de sa fille. Mais le mari prolongea encore une fois le délai :<br />
– Jusqu’a` ce qu’elle soit capable de balayer la maison, dit-il.<br />
La femme se re´ signa, en effet, jusqu’au j<strong>ou</strong>r fixe´ p<strong>ou</strong>r venir re´ clamer la mise a` mort<br />
de sa fille. Quant au père, il reporta la date :<br />
– Il faut la laisser jusqu’au moment <strong>ou</strong>` elle sera capable de transporter un fagot de<br />
bois qui p<strong>ou</strong>rrait sec<strong>ou</strong>er la maison quand elle le jetterait par terre, dit-il.<br />
Lorsque la fille se révèla tellement forte quelle parvint a` accomplir cette tâche, la<br />
me` re insista :<br />
– Tu dois e´ gorger la fille p<strong>ou</strong>r que je boive de son sang et afin que je lui ressemble.<br />
Le mari, ne tr<strong>ou</strong>vant plus de pre´ texte, fit mine de s’incliner et ordonna a` sa femme :<br />
– Retire-toi à coˆ te´ de l’e´ curie p<strong>ou</strong>r que je puisse saigner la fille a` l’exte´ rieur.<br />
Lepère e´ gorgea, en fait, un chien et a` la me` re d’e´ tancher sa soif en buvant le sang du<br />
chien.<br />
Lepère dissimula la fille. Quant a` la me` re, elle devint hideuse et sale comme un<br />
chien. Plus tard, elle se rendit compte qu’elle avait e´ te´ leurre´ e par son mari et revint<br />
re´ clamer le sacrifice de la fille. En effet, ce dernier la tranquillisa que cette fois-ci, il<br />
tiendra parole.<br />
De n<strong>ou</strong>veau, la me` re s’installa à coˆ te´ de l’e´ curie et le père s’empara d’un m<strong>ou</strong>ton<br />
qu’il sacrifia. Buvant jusqu’a` satie´ té le sang du m<strong>ou</strong>ton, la me` re s’attendit t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs à<br />
ressembler a` sa fille. Celle-ci fut cache´ e dans un coffre et le mari pre´ tendit qu’il avait à<br />
n<strong>ou</strong>rrir des hoˆ tes et dit a` sa femme de leur pre´ parer de´ sormais la n<strong>ou</strong>rriture.<br />
Un peu plus tard, la me` re, saisie par la curiosite´ , v<strong>ou</strong>lut faire connaissance avec les<br />
convives. La réponse du mari fut ferme :<br />
– Impossible d’entrer en contact avec eux car ce sont des hoˆ tes.<br />
Ne´ anmoins, la femme insista p<strong>ou</strong>r les voir. Ce fut ainsi qu’elle déc<strong>ou</strong>vrit sa fille dans<br />
sa cachette. Alors, elle se lamenta t<strong>ou</strong>t en exigeant l’immolation de sa fille.<br />
Lepe` re e´ loigna alors celle-ci en l’emmenant jusqu’au sommet d’un mont situe´ au<br />
fond d’une foreˆ t. La grotte de ce mont e´ tait habite´ e par une famille d’ogres.<br />
Profitant de l’absence de l’ogresse en queˆ te de n<strong>ou</strong>rriture p<strong>ou</strong>r ses petits, la fille se<br />
joignit a` ses derniers p<strong>ou</strong>r j<strong>ou</strong>er avec eux t<strong>ou</strong>t en les gavant de viande.<br />
Au ret<strong>ou</strong>r de l’ogresse, le soir, ses petits lui dirent :<br />
– N<strong>ou</strong>s préfe´ rons de loin la viande que n<strong>ou</strong>s apporte notre sœur aine´ ea` celle que tu<br />
n<strong>ou</strong>s sers.<br />
Du seuil de la grotte, l’ogresse cria :<br />
– Que celui qui a agi en bienfaiteur à l’égard de mes petits se pre´ sente p<strong>ou</strong>r que je<br />
puisse lui exprimer ma reconnaissance.<br />
La fille ne se pre´ senta qu’apre` s avoir pactise´ avec l’ogresse qui s’engagea, en<br />
e´ change, a` ne pas lui nuire et a` veiller sur elle.<br />
Au b<strong>ou</strong>t de quelques moments, l’ogre arriva et huma la pre´ sence de la chair<br />
humaine. T<strong>ou</strong>tefois, l’ogresse nia l’existence de la fille qu’elle dissimula dans le foin<br />
et pre´ cisa que l’odeur en question e´ tait celle du grain qu’elle venait de m<strong>ou</strong>dre et de<br />
tamiser. De` s que l’ogre s’endormit, l’ogresse offrit a` la fille deux copeaux de laine, l’un<br />
blanc et l’autre noir, et lui conseilla :<br />
– Va jusque la` <strong>ou</strong>` le chemin se de´ d<strong>ou</strong>ble et jette les deux c<strong>ou</strong>peaux. Ceci fait, suis la<br />
134
direction que prendra le c<strong>ou</strong>peau blanc et garde-toi d’emprunter le chemin qu’indique<br />
le c<strong>ou</strong>peau noir.<br />
La fille alla si loin avant d’atteindre le croisement des chemins. Une fois arrive´ e, elle<br />
lanc¸ a les deux copeaux. Le blanc prit la droite, le noir prit la gauche. Elle suit le<br />
c<strong>ou</strong>peau blanc qui l’amena si loin jusqu’a` un tronc d’arbre situe´ dans une foreˆ t<strong>ou</strong>`<br />
paissaient les chameaux d’un roi nomme´ M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong>.<br />
La fille se réfugia dans un tronc d’arbre qui s’ave´ ra aussi confortable qu’une<br />
chambre. Et chaque fois que les chameaux du roi venaient au paˆ turage, la fille sortait<br />
et exhibait sa longue chevelure en se lamentant :<br />
– Qui d’entre v<strong>ou</strong>s, chaˆ meaux, a vu une telle chevelure refusée par sa me` re ?<br />
T<strong>ou</strong>s les chameaux pleuraient a` la suite de ces plaintes hormis un seul qui e´ tait<br />
aveugle et qui continuait t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs a` paıˆ tre.<br />
Un j<strong>ou</strong>r, le roi p<strong>ou</strong>rsuivait son tr<strong>ou</strong>peau vers la foreˆ t. Il aperc¸ ut s<strong>ou</strong>dainement la<br />
fille donnant un c<strong>ou</strong>p de peigne a` ses longs cheveux. Il s’approcha d’elle et e´ changea<br />
avec elle le salut de Dieu. Ce fut alors que le roi dit :<br />
– Au nom du Dieu, je te supplie de me révéler ta vraie identite´ . Es-tu un être humain<br />
<strong>ou</strong> un démon ? La fille, qui se rassura d’emble´ e d’une promesse divine et pacifique, lui<br />
affirma :<br />
– Je suis humaine.<br />
Le roi s’empressa alors de lui dire :<br />
– Ou je t’ép<strong>ou</strong>se <strong>ou</strong> je te tue ?<br />
La fille opta p<strong>ou</strong>r le mariage en déclarant :<br />
– Je serai ta femme si tu me construis sept chambres que ferme une seule clef. De<br />
meˆ me, ta me` re ne doit me voir qu’apre` s la naissance de notre premier enfant.<br />
Le roi acquiesc¸ a finalement.<br />
M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> construisit les sept chambres et y installa le tronc d’arbre. Et p<strong>ou</strong>r<br />
se justifier, il dit à sa me` re :<br />
–Me` re, j’ai e´ p<strong>ou</strong>se´ un tronc d’arbre.<br />
Du c<strong>ou</strong>p sa me` re se lamenta :<br />
– O malheur, mon fils a e´ p<strong>ou</strong>se´ un tronc d’arbre !<br />
Et la me` re ne cessa de crier ces lamentations.<br />
Vint la période du pe´ lerinage. Avant de partir, M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> confia la clef de<br />
l’enceinte a` son esclave et lui ordonna de ne point donner la clef a` sa me` re jusqu’a` son<br />
ret<strong>ou</strong>r. La me` re, quant a` elle, pre´ para le repas de <strong>ou</strong>di et proposa a` l’esclave, en<br />
e´ change, de la clef les restes de la jarre. L’esclave accepta. La me` re s’introduisit à<br />
l’inte´ rieur de l’enceinte, y tr<strong>ou</strong>va sa bru en train de se coiffer et s’exclama :<br />
– Sois la bienvenue, e´ p<strong>ou</strong>se de mon fils !<br />
La bru re´ agit en versant des larmes au point que le sol de la chambre en fut inonde´ ;<br />
il en fut de meˆ me de la deuxie` me chambre. L’eau de ses larmes lui atteignit la cheville.<br />
Dans la troisie` me chambre, elle lui atteignit le gen<strong>ou</strong>, dans la quatrie` me la taille, dans<br />
la cinquie` me la poitrine, dans la sixième le c<strong>ou</strong>, et dans la septie` me, elle fut tellement<br />
submerge´ e qu’elle se mit sur le piquet de l’entrave (tagust).<br />
Cette n<strong>ou</strong>velle parvint a` M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> qui rebr<strong>ou</strong>ssa chemin. De ret<strong>ou</strong>r, il<br />
s’introduisit dans la premie` re chambre <strong>ou</strong>` il glissa. Dans la seconde, les larmes<br />
l’assaillie` rent jusqu’aux chevilles, puis jusqu’aux gen<strong>ou</strong>x dans la troisie` me, jusqu’a` la<br />
ceinture dans la quatrie` me, jusqu’a` la poitrine dans la cinquie` me, jusqu’au c<strong>ou</strong> dans la<br />
sixie` me et, dans la septie` me, il se tr<strong>ou</strong>va totalement engl<strong>ou</strong>ti par les larmes. C’est alors<br />
qu’il aperçut la fille sur le piquet de l’entrave et lui dit :<br />
– Qui t’a fait pleurer, oˆ visage qui ne me´ rite pas les larmes ?<br />
La fille lui réplique :<br />
135
– S’il n’y avait pas de raison, je ne me serais point abandonne´ e aux larmes. Je t’avais<br />
pre´ venu que tu ne seras pas apte à me satisfaire.<br />
En tendant la main p<strong>ou</strong>r la saisir, celle-ci se me´ tamorphosa en colombe. Le plafond<br />
s’<strong>ou</strong>vrit p<strong>ou</strong>r la laisser s’envoler. Elle prit la direction de l’empyre´ e t<strong>ou</strong>t en laissant une<br />
bague dans la main du roi. M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> pleura, meˆ lant ainsi ses larmes a` celles de<br />
sa bien-aime´ e.<br />
Le roi résolut d’aller à sa recherche. Il enf<strong>ou</strong>rcha sa monture et prit son viatique.<br />
Il rencontra sur son chemin un chasseur auquel il fit part de sa situation. Le<br />
chasseur s’excusa de ne pas avoir rencontre´ de colombe. Le roi continua son<br />
chemin jusqu’a` ce qu’il tr<strong>ou</strong>va, au pic d’un rocher, un aigle en train de dresser<br />
ses petits. M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> l’appela. Un aiglon l’entendit et interrompit son père<br />
qui le jeta du haut du rocher. M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> se pre´ cipita et prit au vol le petit<br />
qui allait s’écraser sur le sol. Il le coiffa et lui offrit une datte. La sce` ne se répéta<br />
jusqu’a` ce que l’aigle ait jete´ son sixième fils. Ce fut alors qu’il entendit l’appel du<br />
roi.<br />
L’aigle vit alors ses enfants t<strong>ou</strong>s coiffe´ setsere´ galant de dattes. C’est ainsi qu’il dit<br />
au roi :<br />
– Si tu n’avais pas agi ainsi, je t’aurais réduit en eau sale´ e. Maintenant, que veux-tu<br />
de moi ?<br />
Le roi l’interroge a` son t<strong>ou</strong>r :<br />
– As-tu vu une colombe dans le firmament ?<br />
Et a` l’aigle de re´ pondre :<br />
– Celle que j’ai vue, je l’ai suivie mais en vain.<br />
Le roi lui relata la véritable histoire de la colombe.<br />
M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> implora ensuite l’aigle :<br />
– Par Allah, peux-tu me conduire jusqu’a` l’empyre´ e auprès de ma femme ?<br />
L’aigle accepta. Mais p<strong>ou</strong>r ce faire, il lui dit :<br />
– Il te faut t<strong>ou</strong>t d’abord immoler ton cheval, en retrancher sept languettes de viande<br />
et sept gorgées de sang. Chaque fois qu’on traversera un ciel, tu m’offriras une tranche<br />
de chair et une gorge´ e de sang.<br />
M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> ne put sacrifier sa monture. Mais son am<strong>ou</strong>r p<strong>ou</strong>r sa femme<br />
l’emporta. Il ne put s’empeˆ cher de pleurer au moment du sacrifice. Mais apre` s, lui et<br />
l’aigle prirent le chemin du ciel.<br />
Parvenu au premier ciel, le roi tendit a` l’aigle la pitance pre´ vue. Au second ciel, la<br />
meˆ me sce` ne se répe´ ta ; il en fut ainsi jusqu’au sixie` me ciel lorsqu’une languette de<br />
viande échappa au roi. Ce dernier la compensa en tranchant une de son bras. Au<br />
septie` me ciel, M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> tendit sa pitance à l’aigle qui, ne la tr<strong>ou</strong>va pas aussi<br />
délicieuse que les pre´ ce´ dentes, répliqua :<br />
– P<strong>ou</strong>rquoi ce morceau de viande est-il aussi sale´ ?<br />
Le roi lui re´ véla la vérite´ ; et l’aigle de l’avertir :<br />
– Si ta bonté n’avait pas pre´ cédé la mienne, je t’aurais re´ duit en sel et en eau.<br />
Ils atteignirent l’empyre´ e et l’aigle prit le chemin du ret<strong>ou</strong>r. Quant au roi, il s’installa<br />
sur un figuier au bord d’une s<strong>ou</strong>rce <strong>ou</strong>` s’abreuvaient les habitants. T<strong>ou</strong>t esclave qui<br />
venait remplir sa jarre apercevait l’image du roi dans l’eau et croyait qu’il s’agissait de<br />
la sienne propre ; il jette ensuite la jarre t<strong>ou</strong>t en disant :<br />
– Dieu ! Je suis aussi belle ! P<strong>ou</strong>rquoi continuerais-je de vivre en esclavage ?<br />
L’esclave de la femme vint chercher l’eau. Aussitoˆ t qu’elle jeta la jarre, le roi se<br />
dévoila et s’empressa de s’informer aupre` s d’elle au sujet de son ép<strong>ou</strong>se. L’esclave lui<br />
affirma :<br />
– Maître, votre femme s’est remarie´ e avec un juif, et elle a un enfant.<br />
136
Ainsi l’esclave l’accompagna aupre` s de sa bien-aime´ e. De` s qu’il l’aperc¸ ut, il fut en<br />
larmes. Quelques heures apre` s, le juif arriva. En effet, le roi réclama son statut de père<br />
le´ gitime du fils en disant :<br />
– Sache bien que le fils et la femme m’appartiennent.<br />
Mais sans p<strong>ou</strong>voir mettre fin a` la querelle, il fut de´ cide´ d’un commun accord que<br />
c’est a` l’enfant que reviendra le choix de son père. L’enfant de´ signa alors du b<strong>ou</strong>t de<br />
son e´ pée M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong>.<br />
Ainsi, ce dernier, sa femme et son fils entre` rent dans la demeure ce´ leste de l’e´ p<strong>ou</strong>se et<br />
yvécurent. Cette demeure avait sept feneˆ tres. Cependant, l’e´ p<strong>ou</strong>se pre´ vint son mari :<br />
– Ne tente jamais de voir a` travers cette fenêtre-ci.<br />
Les j<strong>ou</strong>rs s’e´ c<strong>ou</strong>le` rent, puis vint la feˆ te du sacrifice. Ce j<strong>ou</strong>r-la` , le roi, re´ solu, jura par<br />
Dieu de voir a` travers ladite feneˆ tre. En fait, M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> aperc¸ ut sa me` re se<br />
lamenter sur la terre en tenant un m<strong>ou</strong>ton. Elle répétait sans cesse :<br />
–Ou` es-tu mon fils, M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> ? Qui va immoler p<strong>ou</strong>r moi mon m<strong>ou</strong>ton<br />
?<br />
Le roi l’entendit et pleura abondamment d’avoir quitté sa me` re.<br />
Dans un premier temps, il lança ses bab<strong>ou</strong>ches, son turban et son e´ pe´ e, mais ils ne<br />
parvinrent point jusqu’a` terre.<br />
Re´ solu, M’hnd <strong>ou</strong> <strong>Namir</strong> se jeta alors dans le vide céleste et se transforma en sel et<br />
une seule g<strong>ou</strong>tte de son sang jaillit de son corps ; elle tomba sur le m<strong>ou</strong>ton que sa me` re<br />
tenait et l’égorgea.<br />
Et la prie` re est sur les prophe` tes.<br />
IV<br />
L’ÉCOLIER ET L’ANGE<br />
(Version S. El Giaad, re´gion de Teckna, G<strong>ou</strong>lmine, 1992/1993, en arabe)<br />
Grâce a` Dieu le fort et le ge´ ne´ reux, cette histoire parle d’un e´ tudiant que ses parents<br />
ont mis a` l’e´ cole coranique depuis sa prime enfance. Il excella dans ses e´ tudes<br />
coraniques.<br />
Chaque fois qu’il se re´ veille le matin, il tr<strong>ou</strong>ve sa main teinte de henne´ . Le maître le<br />
punissait cruellement meˆ me s’il n’y était p<strong>ou</strong>r rien et lui disait :<br />
– D’<strong>ou</strong>` as-tu eu ce henne´ ?<br />
L’e´ le` ve ne sut pas d’<strong>ou</strong>` il lui venait ni qui le lui mit sur la main, peut-être, pendant<br />
son sommeil. Un j<strong>ou</strong>r, le maıˆ tre lui conseilla ce qui suit :<br />
– Tu devrais veiller t<strong>ou</strong>te la nuit p<strong>ou</strong>r déceler d’<strong>ou</strong>` vient ce henne´ sur ta main.<br />
La nuit venue, il s’étendit sur le lit et fit semblant de s’ass<strong>ou</strong>pir. Un ange, semblable<br />
a` une colombe, s’infiltra dans la pie` ce. En e´ tat de vol, la colombe prit la main de<br />
l’e´ colier et la peint merveilleusement avec du henne´ .<br />
L’e´ colier, te´ moin du spectacle, saisit fortement l’ange et lui dit (avec le s<strong>ou</strong>lagement<br />
de quelqu’un qui a réussi a` rés<strong>ou</strong>dre les myste` res d’une e´ nigme) :<br />
– Combien de punitions tu m’as inflige´ es ! Combien de supplices tu m’as cause´ s!<br />
Cette fois-ci, je ne peux pas te libe´ rer ; c’est Dieu qui t’a mise entre mes mains.<br />
L’ange lui répliqua :<br />
– Si tu veux que je reste avec toi, il faut assumer mes conditions que tu es incapable<br />
de réaliser.<br />
– Je peux prendre en charge tes conditions et meˆ me plus, dit l’écolier.<br />
137
– Jure-moi que tu ne laisseras personne me voir : ni celui qui demande à boire, ni ton<br />
père, ni ta me` re. Seul toi et celui qui n<strong>ou</strong>s a cre´ e´ s, pre´ cisa l’ange.<br />
– Je suis d’accord, dit l’e´ colier.<br />
Il l’emmena dans une chambre de sept portes p<strong>ou</strong>r que l’ange fut a` l’abri de t<strong>ou</strong>te<br />
curiosite´ humaine et qu’il fut à l’abri des regards des enfants, des adultes, de son père et<br />
de sa me` re.<br />
Il continua ses e´ tudes et son apprentissage du Coran. Les j<strong>ou</strong>rs fe´ riés, il partait à la<br />
chasse juche´ sur sa monture. Il revenait avec un gibier abondant : des gazelles et<br />
d’autres bêtes.<br />
Il avait averti sa me` re de ne pas entrer dans la demeure de l’ange :<br />
– Attention ! Ne va pas dans cette c<strong>ou</strong>pole et ne laisse personne, petit <strong>ou</strong> grand, y<br />
entrer.<br />
Un j<strong>ou</strong>r, cependant, la curiosite´ p<strong>ou</strong>ssa sa me` re a` chercher la cle´ et <strong>ou</strong>vrit la<br />
chambre interdite alors que son fils e´ tait a` la chasse à cheval. Elle entra dans la<br />
pie` ce et y tr<strong>ou</strong>va une personne d’une beaute´ sans pareille ; elle devint folle par cette<br />
déc<strong>ou</strong>verte impre´ vue. P<strong>ou</strong>r se venger de l’intruse, elle la p<strong>ou</strong>rchassa en vue de s’en<br />
saisir et de la chaˆ tier :<br />
– Hum ! C’est toi qui occupe cette c<strong>ou</strong>pole ! Très bien, s’écria la me` re rongée par la<br />
rancune.<br />
Elle quitta la pie` ce et laissa l’ange triste et me´ lancolique. Il se mit à pleurer,<br />
longtemps, à chaudes larmes au point que la pie` ce devint un étang.<br />
L’e´ colier fut de ret<strong>ou</strong>r. Il s’introduit dans la pie` ce et fut ent<strong>ou</strong>re´ d’eau jusqu’aux<br />
gen<strong>ou</strong>x.<br />
A sa vue, l’ange s’envola dans l’air et s’installa sur une baie :<br />
– C’est fini entre n<strong>ou</strong>s à partir de ce j<strong>ou</strong>r, dit l’ange.<br />
– Comment ? D’<strong>ou</strong>` vient cette eau ?, s’e´ tonna l’écolier.<br />
– Le serment que j’ai eu de toi, ta me` re l’a casse´ . T<strong>ou</strong>t ce qui est entre n<strong>ou</strong>s est fini<br />
auj<strong>ou</strong>rd’hui, aj<strong>ou</strong>ta l’ange.<br />
Et il prit son envol dans les airs s<strong>ou</strong>s la forme d’une colombe ; il monta jusqu’au<br />
septie` me ciel <strong>ou</strong>` il re´ sida.<br />
L’e´ colier se retr<strong>ou</strong>va dans un e´ tat d’hébétude extreˆ me ; il ne savait plus quoi faire. Il<br />
enf<strong>ou</strong>rcha sa monture et se mit à la recherche de sa bien-aime´ e. Il se déplaçait<br />
constamment d’un lieu à un autre, par monts et par vaux, le j<strong>ou</strong>r comme la nuit,<br />
sans preˆ ter attention au temps que durait sa queˆ te.<br />
Un j<strong>ou</strong>r, dans son errance a` travers la forêt, il fut devant un monticule bizarre sur<br />
lequel il y avait un rocher <strong>ou</strong>` p<strong>ou</strong>ssait une herbe verdoyante et pleine de fraîcheur ;<br />
c’était un paysage captivant. Son attention fut attire´ e par le contraste entre la<br />
se´ cheresse de la re´ gion et la fraîcheur de cette herbe.<br />
Devant ce paysage et cette herbe, l’e´ colier se laissa aller dans une longue me´ ditation<br />
et puis il se dit :<br />
– Comment cette herbe a-t-elle pu p<strong>ou</strong>sser sur ce rocher sans qu’il y ait ni s<strong>ou</strong>rce ni<br />
pluie ?<br />
S<strong>ou</strong>dain, une cre´ ature de Dieu passa au-dessus de lui en l’interpellant :<br />
– Eh ! Toi qui me´ dites ! Regarde cette herbe qui a p<strong>ou</strong>sse´ sur ce rocher sans qu’il y ait<br />
d’eau. Seule la volonte´ divine l’a fait p<strong>ou</strong>sser. Fais comme elle et ne pense pas. T<strong>ou</strong>t est<br />
a` s<strong>ou</strong>haiter de Dieu.<br />
A l’improviste, un faucon surgit du ciel en t<strong>ou</strong>rnoyant au-dessus de l’e´ colier a` qui il<br />
dit :<br />
– Eh ! Toi qui me´ dites ! Veux-tu rejoindre ta bien-aime´ e dans les cieux ?<br />
– Qui va m’emmener chez elle ?, demanda l’e´ colier.<br />
138
– C’est moi qui vais t’y emmener a` condition que tu me procures ma subsistance<br />
j<strong>ou</strong>rnalie` re, répondit le faucon.<br />
– En quoi consiste ta subsistance ?<br />
– Sept b<strong>ou</strong>teilles de sang de cheval pur et sept morceaux de sa chair. Si tu me les<br />
f<strong>ou</strong>rnis, je t’emme` ne chez ta bien-aime´ e, dit le faucon.<br />
P<strong>ou</strong>r se procurer cette n<strong>ou</strong>rriture, il n’avait que son cheval auquel il dit :<br />
– Adieu mon cheval, adieu ! Combien de montagnes et de valle´ es tu as parc<strong>ou</strong>rues !<br />
Aucune re´ gion n’a échappe´ a` tes f<strong>ou</strong>le´ es. Maintenant, adieu ; je vais rejoindre ma bienaime´<br />
e.<br />
En effet, il e´ gorgea son cheval, remplit sept b<strong>ou</strong>teilles de son sang, et c<strong>ou</strong>pa sept<br />
tranches de sa chair.<br />
– Monte !, dit le faucon. Quand j’arrive a` chacun des ciels, et que je te le demande, tu<br />
me donneras une b<strong>ou</strong>teille de sang et un morceau de viande.<br />
Le faucon porta l’écolier sur son dos, entre ses ailes, et s’envola jusqu’a son entre´ e<br />
dans le premier ciel. Il demanda à son compagnon :<br />
– Donne-moi deux ! (une b<strong>ou</strong>teille et un morceau)<br />
L’e´ colier lui donna une b<strong>ou</strong>teille de sang et un morceau de viande.<br />
Le faucon p<strong>ou</strong>rsuit son vol avec l’e´ colier sur son dos. A l’arrive´ e au seuil du<br />
deuxie` me ciel, l’e´ colier lui donna un morceau et une b<strong>ou</strong>teille. Il en fut ainsi<br />
jusqu’au septie` me ciel. Il perdit subitement un morceau de viande qui lui tomba<br />
des mains. Il lui substitua un autre qu’il pre´ leva sur son bras. Le faucon ordonna<br />
:<br />
– Donne-moi deux.<br />
Il lui donna ce qui restait de la n<strong>ou</strong>rriture. Mais le faucon tr<strong>ou</strong>va que la viande avait<br />
change´ de g<strong>ou</strong>ˆ t ; elle e´ tait plus sale´ e et plus aˆ pre. Celui-ci en fut e´ tonne´ et dit :<br />
– Comment ? Gloire à Dieu qui n<strong>ou</strong>s a cre´ e´ s ! Sans le serment qui me lie a` toi, je te<br />
laisserais tomber et tu n’atteindrais la terre que s<strong>ou</strong>s forme aquatique. Et maintenant,<br />
je suis oblige´ de t’emmener jusqu’a` ton amie p<strong>ou</strong>r m’acquitter de ma promesse à ton<br />
e´ gard.<br />
En effet, il l’emmena jusqu’a` la porte de la demeure de l’ange et rebr<strong>ou</strong>ssa chemin en<br />
direction de la terre.<br />
L’e´ colier tr<strong>ou</strong>va dans ce ciel des enfants (des che´ rubins) qui j<strong>ou</strong>aient. Un d’entre<br />
eux, a` sa vue, se pre´ cipita dans son giron. Il se demanda :<br />
– P<strong>ou</strong>rquoi ce che´ rubin s’est-il pre´ cipite´ contre moi puis il est parti j<strong>ou</strong>er avec ses<br />
camarades ?<br />
P<strong>ou</strong>r s’informer, il interrogea ces enfants :<br />
– Montrez-moi la me` re de cet enfant ; je veux la voir.<br />
Lame` re de cet enfant se pre´ senta ; il la reconnut imme´ diatement et dit :<br />
– Je suis venu te rejoindre, ici, ma bien-aime´ e.<br />
– Viens avec moi, répondit l’ange.<br />
A la fin, l’écolier partit avec l’ange.<br />
(Dieu seul sait, disaient les Anceˆ tres.)<br />
139
V<br />
AHMED OUNAMIR<br />
(Version Malika Edda<strong>ou</strong>di, re´gion d’Agadir, 1992/1993)<br />
Ahmed Ounamir e´ tait un jeune homme qui vivait avec sa me` re. Chaque matin,<br />
quand il se réveillait, il tr<strong>ou</strong>vait ses mains teintes de henne´ . Son maıˆ tre le frappa.<br />
Ahmed, d’un air innocent, lui dit : <strong>«</strong> Ce n’est pas moi qui les peins de henne´ , je suis moimeˆ<br />
me surpris de les tr<strong>ou</strong>ver ainsi. » Le maıˆ tre lui conseilla de veiller jusqu’a` ce qu’il<br />
surprenne celui qui lui appliquait le henne´ .<br />
Le temps passa, et un j<strong>ou</strong>r trois fe´ es pénétre` rent dans la chambre d’Ahmed.<br />
– Moi, je pre´ fe` re lui pre´ parer le henne´ , annonc¸ a la premie` re.<br />
Quant à la seconde, elle dit :<br />
– Moi j’aimerais bien le lui appliquer sur les mains.<br />
La dernie` re désira faire sécher le henne´ .<br />
T<strong>ou</strong>t a` c<strong>ou</strong>p, Ahmed Ounamir se re´ veilla, les deux premie` res réussirent a` s’e´ chapper<br />
et il ne put capturer que la troisie` me.<br />
– Laisse-moi partir, le supplia-t-elle, tu n’accepteras gue` re mes conditions.<br />
– Quelles sont tes conditions ? demanda Ahmed.<br />
– J’exige d’eˆ tre enferme´ e derrie` re les sept portes qui s’<strong>ou</strong>vrent et se ferment avec une<br />
meˆ me clef et que personne ne me voie, meˆ me ta me` re.<br />
Ahmed Ounamir accepta les conditions de la fe´ e et elle l’e´ p<strong>ou</strong>sa.<br />
Chaque fois que sa me` re pre´ parait le repas, le fils demandait un plat de plus. Elle se<br />
d<strong>ou</strong>ta alors de l’existence d’une tierce personne dans la maison.<br />
Au petit matin, lorsque Ahmed partit a` la chasse, la me` re, curieuse de percer le<br />
secret de son fils, chercha la clef de sa chambre, mais ne la tr<strong>ou</strong>va point. Elle dit a` ses<br />
p<strong>ou</strong>les :<br />
– Celle qui tr<strong>ou</strong>vera la clef d’Ahmed, je la re´ compenserai par une l<strong>ou</strong>che de maïs<br />
s<strong>ou</strong>ffle´ et une l<strong>ou</strong>che de fèves.<br />
Les p<strong>ou</strong>les ne la tr<strong>ou</strong>ve` rent pas, mais un coq borgne indiqua a` la me` re le sac de<br />
chasse d’Ahmed.<br />
En arrivant a` la chambre de son fils, la me` re commenc¸ aa` <strong>ou</strong>vrir les portes. Elle<br />
tr<strong>ou</strong>va la belle ép<strong>ou</strong>se dans la septie` me pie` ce en train de coiffer sa longue chevelure.<br />
Ebl<strong>ou</strong>ie par son extraordinaire beaute´ , elle dit a` sa belle-fille :<br />
– Quelle chance a eue mon fils d’avoir e´ p<strong>ou</strong>se´ une telle beaute´ !<br />
Lafe´ e indigne´ e lui répondit :<br />
– Quelle chance aura certainement ton fils s’il ne me tr<strong>ou</strong>ve plus jamais !<br />
Lafe´ e se transforma s<strong>ou</strong>dain en colombe et déposa ensuite une bague sur le rebord<br />
de la feneˆ tre.<br />
A son ret<strong>ou</strong>r, Ahmed chercha sa clef, mais en vain. Il demanda a` sa me` re si elle ne<br />
l’avait pas vue.<br />
– Voila` ta clef, c’est le coq borgne qui m’a indique´ sa place.<br />
Le jeune e´ p<strong>ou</strong>x s’en alla vers sa chambre impatient de revoir son ange´ lique e´ p<strong>ou</strong>se.<br />
Mais grande fut sa déception lorsqu’il vit ses larmes au seuil de la porte et la chambre<br />
déserte. Il prit alors la bague qu’il tr<strong>ou</strong>va sur le rebord de la feneˆ tre. Il quitta la maison<br />
et son unique désir était de retr<strong>ou</strong>ver sa femme à t<strong>ou</strong>t prix. Submerge´ par la me´ lancolie,<br />
il s’assit s<strong>ou</strong>s le nid d’un aigle et se mit a` chanter :<br />
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Les petits d’un aigle dans un nid ae´re´,<br />
les petits d’un aigle dans un nid ae´re´.<br />
L’aigle e´ tait en train de dresser ses petits. Lorsque ces derniers entendirent la voix<br />
d’Ahmed, ils demandèrent a` leur père de se taire. Mais ce dernier, furieux, les jeta un à<br />
un du nid. Ahmed les coiffa et leur donna à chacun un œuf. L’aigle descendit et tr<strong>ou</strong>va<br />
Ahmed au pied de l’arbre.<br />
–Ou` sont mes petits ? demanda l’aigle.<br />
– Ne te fais pas de s<strong>ou</strong>ci, tes petits sont reste´ s bien sages avec moi. Mais je veux que<br />
tu m’emme` nes au septie` me ciel.<br />
– J’accepte a` condition que tu me donnes a` manger de la viande fraîche pendant<br />
t<strong>ou</strong>t le trajet, répondit l’aigle.<br />
Ahmed e´ gorgea son cheval et donna a` manger au grand oiseau. Mais en s’approchant<br />
du septie` me ciel, Ahmed n’avait plus de viande. Il décida alors de la c<strong>ou</strong>per de<br />
son propre corps : de s<strong>ou</strong>s ses bras et de s<strong>ou</strong>s ses gen<strong>ou</strong>x.<br />
Arrive´ au ciel, Ahmed demanda à l’aigle de le déposer sur un arbre, pre` sdela<br />
fontaine <strong>ou</strong>` les servantes des fe´ es puisaient l’eau. Un j<strong>ou</strong>r, une servante vit le reflet du<br />
visage d’Ahmed dans l’eau, elle brisa la jarre et dit :<br />
– Oh ! Quel malheur ! Moi qui suis si belle, je viens puiser de l’eau p<strong>ou</strong>r ma<br />
maıˆ tresse ! Lorsque vint le t<strong>ou</strong>r de la servante de la femme d’Ahmed, elle crut, elle<br />
aussi, avoir vu son propre visage, elle décida alors de casser la jarre, mais Ahmed l’en<br />
empeˆ cha en lui disant :<br />
– Ne casse pas cette jarre, c’est mon visage que tu vois et non le tien.<br />
Il lui jeta la bague dans sa jarre t<strong>ou</strong>t en lui demandant de la porter à sa maıˆ tresse<br />
p<strong>ou</strong>r qu’elle la vide elle-meˆ me. La femme fit ce que le jeune homme lui a demandé.La<br />
fée reconnut la bague et ordonna de faire venir Ahmed a` la maison. Ce dernier vint et<br />
rencontra son fils devant la porte. La fe´ e, qui v<strong>ou</strong>lait prote´ ger le bonheur de la famille<br />
enfin re´ unie, interdit à son e´ p<strong>ou</strong>x de lever une pierre et de regarder dess<strong>ou</strong>s afin qu’il ne<br />
voie pas le monde terrestre.<br />
Plusieurs j<strong>ou</strong>rs passe` rent, la fête du sacrifice arriva. Ahmed e´ tait curieux de voir s<strong>ou</strong>s<br />
la pierre. Ainsi, aperc¸ ut-il sa me` re, un c<strong>ou</strong>teau a` la main, qui disait :<br />
– Ah ! Si seulement mon fils e´ tait la` , il p<strong>ou</strong>rrait e´ gorger ce m<strong>ou</strong>ton !<br />
Ahmed, t<strong>ou</strong>che´ par les propos de sa me` re, se jeta du haut du ciel. Une g<strong>ou</strong>tte de son<br />
sang tomba sur le m<strong>ou</strong>ton et l’e´ gorgea. Quant à son corps, il se me´ tamorphosa en<br />
nuages qui c<strong>ou</strong>vrirent t<strong>ou</strong>t le ciel.<br />
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A. <strong>BOUNFOUR</strong>