Exils mineurs de la parole - Revue des sciences sociales
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David Le Breton<br />
Faculté <strong>de</strong>s <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>, Laboratoire<br />
<strong>de</strong> sociologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture européenne<br />
DAVID LE BRETON<br />
<strong>Exils</strong> <strong>mineurs</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong><br />
Le silence dans <strong>la</strong> conversation<br />
«DANS TOUT CE QUE NOUS EXPRIMIONS<br />
S’EXPRIMAIT LE SILENCE»<br />
JMG LE CLEZIO, L’EXTASE MATÉRIELLE<br />
S<br />
ans un revers <strong>de</strong> silence <strong>la</strong> <strong>parole</strong> est<br />
inaudible, elle s’engorgerait dans un<br />
flux sans fin, sans jamais <strong>la</strong>isser à<br />
l’autre ni le temps <strong>de</strong> comprendre, ni celui<br />
<strong>de</strong> saisir son tour <strong>de</strong> parler1 . Le <strong>la</strong>ngage<br />
existe grâce à <strong>la</strong> ponctuation du silence qui<br />
le rend intelligible et lui procure sa respiration.<br />
Le contenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation<br />
déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa fréquence et <strong>de</strong> sa durée. Le<br />
silence ne requiert pas moins <strong>de</strong> compétence<br />
dans son usage que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue elle<br />
même. Il doit être accordé au rythme <strong>de</strong>s<br />
interlocuteurs, à leur modalité <strong>de</strong> prise <strong>de</strong><br />
<strong>parole</strong>, <strong>de</strong> décision, car toute disparité<br />
ouvre une gêne plus ou moins sensible.<br />
L’agacement naît <strong>de</strong>vant celui qui « prend<br />
son temps », manifeste une « exaspérante »<br />
lenteur, impose <strong>de</strong>s silences qui distillent<br />
l’impatience ou l’ennui <strong>de</strong> celui qui est<br />
accoutumé à un rythme plus soutenu dans<br />
l’usage <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong>. Ou à l’inverse <strong>de</strong>vant<br />
celui dont le débit trop rapi<strong>de</strong> exclu toute<br />
pause et rend difficile une attention prolongée.<br />
La qualité d’un échange, tel qu’il<br />
est ressenti par les acteurs, dépend étroitement<br />
du rythme, <strong>de</strong> l’alternance entre<br />
temps <strong>de</strong> <strong>parole</strong> et temps <strong>de</strong> pause dont<br />
chacun éprouve <strong>la</strong> nécessité. Le bon usage<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue est conditionné par une alchimie<br />
silencieuse relevant <strong>de</strong> <strong>la</strong> compétence<br />
<strong>de</strong> communication <strong>de</strong> l’individu. Pour apprendre<br />
à parler il faut apprendre à se taire.<br />
RÉGIMES SOCIAUX<br />
DU SILENCE<br />
Le pointillé <strong>de</strong> silence nécessaire à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté<br />
<strong>de</strong> l’élocution et <strong>de</strong> <strong>la</strong> perception ne répond<br />
pas au même statut culturel d’un groupe à<br />
l’autre. Des usages se distinguent et donnent<br />
parfois lieu à <strong>de</strong>s malentendus, à <strong>de</strong>s<br />
interprétations divergentes. C’est moins<br />
alors le contenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> que <strong>la</strong> répartition<br />
et <strong>la</strong> durée du silence qui provoquent <strong>la</strong><br />
gêne mutuelle. Ces pratiques différentes <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, les pauses plus ou moins longues,<br />
suscitent les jugements <strong>de</strong> valeur <strong>de</strong> ceux<br />
qui manifestent d’autres rythmes ou se soucient<br />
<strong>de</strong> maintenir un étiage suffisant <strong>de</strong><br />
<strong>parole</strong>s dans le cours <strong>de</strong>s échanges. Les<br />
Indiens Athabaskan, par exemple, sont perçus<br />
par leurs voisins Américains comme<br />
« passifs, maussa<strong>de</strong>s, renfermés, sans discussion,<br />
paresseux, arriérés, <strong>de</strong>structeurs,<br />
hostiles, non coopératifs, antisociaux et stupi<strong>de</strong>s<br />
» 2 . Ces attributions négatives renvoient<br />
essentiellement à <strong>de</strong>s différences<br />
d’attitu<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> conversation. La sobriété<br />
<strong>de</strong> l’Indien, ses pauses plus longues, ses<br />
tours <strong>de</strong> <strong>parole</strong> qui n’engrennent pas aussitôt<br />
sur le silence <strong>de</strong> son interlocuteur, désar-<br />
<strong>Revue</strong> <strong>de</strong>s Sciences Sociales <strong>de</strong> <strong>la</strong> France <strong>de</strong> l’Est, 1997, n° 24
16<br />
ment celui qui n’est guère accoutumé à ce<br />
mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>parole</strong> et l’incite à projeter <strong>de</strong>s stéréotypes<br />
négatifs à son encontre sans<br />
concevoir un seul instant que lui même<br />
pourraient se voir attribuer <strong>de</strong>s stéréotypes<br />
inverses : d’être, par exemple, bavard, envahissant,<br />
superficiel, nerveux, agressif, etc.<br />
Les écarts entre les temps <strong>de</strong> pause ou <strong>de</strong><br />
prise <strong>de</strong> <strong>parole</strong> exposent l’un <strong>de</strong>s interlocuteurs<br />
à être taxé <strong>de</strong> volubile et l’autre <strong>de</strong> taciturne.<br />
Basso signale que les Apaches, réputés<br />
pour leur retenue, qualifient les B<strong>la</strong>ncs<br />
<strong>de</strong> sang chaud, <strong>de</strong> bavards et autres termes<br />
négatifs à leurs yeux 3 . Ceux qui parlent vite<br />
ou lentement se prêtent mutuellement <strong>de</strong><br />
mauvaises intentions. Les premiers trouvent<br />
que leurs compagnons sont renfermés<br />
et peu coopérants, mais les seconds les perçoivent<br />
à leur tour comme dominateurs et<br />
peinent à trouver l’occasion <strong>de</strong> pouvoir<br />
s’exprimer 4 . Les Navajos ont <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong><br />
pause prolongés. Dans un groupe, quand<br />
une question leur est posé, ce sont souvent<br />
<strong>de</strong>s non-navajos, déroutés par une attente<br />
ayant débordée leur seuil <strong>de</strong> tolérance, qui<br />
donnent <strong>la</strong> réponse 5 . Selon R. Carroll les<br />
Américains <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sses moyennes se p<strong>la</strong>ignent<br />
souvent que les Français les coupent<br />
continuellement sans respecter les pauses.<br />
Cependant l’interruption semble être un élément<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> ritualité <strong>de</strong>s discussions françaises,<br />
le principe consistant à ne pas arrêter<br />
l’interlocuteur au milieu d’un mot ou<br />
d’une phrase, mais <strong>de</strong> saisir une légère<br />
flexion <strong>de</strong> <strong>la</strong> voix pour prendre <strong>la</strong> <strong>parole</strong> à<br />
son tour. L’Américain n’étant pas accoutumé<br />
à ce rythme éprouve <strong>de</strong>s difficultés à achever<br />
son propos, il ressent une frustration et<br />
juge superficiel son interlocuteur qui lui<br />
pose <strong>de</strong>s questions sans se soucier <strong>de</strong>s<br />
réponses 6 .<br />
Au sein d’un cadre social donné, chaque<br />
membre d’une interaction bénéficie d’un<br />
« statut <strong>de</strong> participation » 7 selon son âge,<br />
son sexe, sa position sociale, familiale, etc.<br />
On lui présume un certain niveau <strong>de</strong> contribution<br />
à l’échange. Mais aussi une certaine<br />
marge <strong>de</strong> silence. L’autre est abordé à partir<br />
<strong>de</strong> cette appréciation qui définit ses droits<br />
et ses <strong>de</strong>voirs implicites dans le déroulement<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> rencontre. Le statut <strong>de</strong> participa-<br />
tion distribue les préférences et les exclusions<br />
dans le choix <strong>de</strong>s partenaires, il donne<br />
<strong>la</strong> hiérarchie du contrôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> discussion en<br />
distinguant les priorités <strong>de</strong> prises <strong>de</strong> <strong>parole</strong>,<br />
il oriente les thèmes à abor<strong>de</strong>r et ceux qu’il<br />
convient d’éviter et <strong>la</strong>isse supposer <strong>la</strong> durée<br />
probable <strong>de</strong> l’interaction. En découle les<br />
temps <strong>de</strong> silences licites, dont nul ne<br />
s’incommo<strong>de</strong>, et ceux qui, à l’inverse, suscitent<br />
le désarroi, l’impatience. Toute situation,<br />
selon les interlocuteurs en présence et<br />
le cadre <strong>de</strong> leur rencontre, exige un dosage<br />
subtil <strong>de</strong> <strong>parole</strong>s et <strong>de</strong> silences et les droits<br />
et les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> chacun en <strong>la</strong> matière. Une<br />
infraction <strong>de</strong>s règles implicites <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation<br />
dans un contexte donné provoque <strong>la</strong><br />
gêne, au moins <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong> ses membres, et<br />
<strong>la</strong> recherche d’une solution.<br />
Au sein d’un même groupe social les<br />
déca<strong>la</strong>ges induits par différents usages du<br />
temps <strong>de</strong> pause ou du tour <strong>de</strong> <strong>parole</strong> déclenchent<br />
<strong>de</strong>s appréciations différentes selon le<br />
<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> rupture avec les usages communs.<br />
Une enquête menée sur un groupe <strong>de</strong><br />
femmes culturellement homogène d’un collège<br />
du Mary<strong>la</strong>nd a mis en re<strong>la</strong>tion le fait que<br />
les femmes qui prennent les pauses les plus<br />
brèves sont perçues favorablement par leurs<br />
partenaires qui les disent coopératives,<br />
sympathiques, attentives aux autres, chaleureuses,<br />
sociables, etc. A l’inverse leurs<br />
compagnes témoignant <strong>de</strong> plus longs temps<br />
<strong>de</strong> pause sont perçues comme réservées,<br />
détachées, taciturnes, sobres, timi<strong>de</strong>s,<br />
rigi<strong>de</strong>s, frustrées, etc (Feldstein, Alberti,<br />
BenDebba, 1979). Dans un même régime <strong>de</strong><br />
<strong>parole</strong>, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation ordinaire, les<br />
différences personnelles orientent <strong>de</strong>s jugements<br />
plus ou moins propices selon les<br />
usages habituels du silence. Dans les<br />
c<strong>la</strong>sses moyennes <strong>de</strong> <strong>la</strong> société américaine<br />
il vaut mieux parler que se taire, et, si l’on<br />
parle, éviter <strong>de</strong> trop recourir aux pauses ou<br />
<strong>de</strong> prendre son temps. Les jugements sur<br />
l’autre renvoient à leur insu ceux qui les formulent<br />
à <strong>de</strong>s valeurs culturelles implicites<br />
qui légitiment <strong>la</strong> <strong>parole</strong> ou le silence, <strong>la</strong><br />
nécessaire sobriété <strong>de</strong> <strong>parole</strong> ou à l’inverse<br />
<strong>la</strong> jouissance d’une conversation que rien<br />
n’interrompt. Nulle règle universelle ne régit<br />
les usages <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> ou du silence dans<br />
les conversations, le malentendu ou les projections<br />
négatives sur l’autre se donnent<br />
libre cours quand <strong>de</strong>s acteurs enracinés<br />
dans <strong>de</strong>s régimes différents <strong>de</strong> <strong>parole</strong> considèrent<br />
chacun leur manière <strong>de</strong> parler<br />
comme <strong>la</strong> seule normale. Ces règles d’usage<br />
<strong>de</strong> l’enchevêtrement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> et du<br />
silence relèvent d’un processus d’éducation,<br />
et d’un rythme personnel, qui efface son<br />
arbitraire et se donne comme « naturel », alimentant<br />
<strong>la</strong> suspicion à l’égard <strong>de</strong> ceux qui<br />
dérogent à son évi<strong>de</strong>nce. L’art quotidien <strong>de</strong><br />
<strong>la</strong> conversation, orienté par <strong>de</strong>s schémas<br />
culturels que les acteurs redéfinissent à<br />
chaque instant, ne consiste pas seulement<br />
à savoir parler, mais surtout à se taire à propos,<br />
à <strong>la</strong>isser s’installer au coeur <strong>de</strong><br />
l’échange une qualité <strong>de</strong> silence propre à<br />
ménager les répits nécessaires à <strong>la</strong> <strong>parole</strong>, à<br />
<strong>la</strong> répartition <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> discours<br />
mutuels. Les locuteurs profitent <strong>de</strong> ces<br />
intervalles pour prendre leur marque, jauger<br />
le niveau d’engagement requis par <strong>la</strong> discussion,<br />
déci<strong>de</strong>r du propos à tenir. Pas <strong>de</strong><br />
discours sans pause, sans tours <strong>de</strong> <strong>parole</strong>,<br />
pas <strong>de</strong> <strong>parole</strong> sans une trame <strong>de</strong> silence à<br />
son entour. Savoir à quel moment se taire ou<br />
parler relève <strong>de</strong> <strong>la</strong> « compétence <strong>de</strong> communication<br />
» 8 <strong>de</strong>s acteurs selon leur connaissance<br />
<strong>de</strong>s usages et leur interprétation <strong>de</strong>s<br />
circonstances <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation.<br />
L’IMPÉRATIF DE PAROLE<br />
Quand il coule <strong>de</strong> source dans un discours<br />
le silence éc<strong>la</strong>ire <strong>de</strong>s veines <strong>de</strong> sens qui alimentent<br />
<strong>la</strong> <strong>parole</strong> et <strong>la</strong> ren<strong>de</strong>nt intelligible<br />
et transmissible. Il donne chair au <strong>la</strong>ngage.<br />
Le silence qui traverse <strong>la</strong> conversation provoque<br />
ou non le désarroi selon les conventions<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage qui régissent le groupe et<br />
le <strong>de</strong>gré d’engagement <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s<br />
autres. Si <strong>la</strong> <strong>parole</strong> est <strong>de</strong> mise, toute dérogation<br />
à son usage suscite une gêne qui traduit<br />
<strong>la</strong> rupture <strong>de</strong>s attentes mutuelles. Si les<br />
acteurs manquent d’une complicité autorisant<br />
<strong>de</strong> longues pauses, <strong>la</strong> question du<br />
silence est une affaire délicate qui requiert<br />
du tact. S’ils ont peu <strong>de</strong> choses à se dire, une<br />
<strong>la</strong>rge part <strong>de</strong> leur souci consiste à éviter que<br />
le silence ne s’installe. Celui-ci est comme<br />
le piège qui guette l’interaction et dont il<br />
faut conjurer <strong>la</strong> menace. La gestion <strong>de</strong>s<br />
pauses et <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>nces forme un pôle<br />
d’obsession <strong>de</strong> certaines conversations qui<br />
<strong>la</strong>nguissent sans que personne n’arrive à<br />
trouver une issue honorable. Une discussion<br />
où nul n’éprouve <strong>de</strong> gêne est celle où les<br />
contours respectifs du silence <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s<br />
autres ont <strong>de</strong>s angles qui s’harmonisent.<br />
En principe le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> l’hôte est <strong>de</strong> se<br />
maintenir dans une réserve re<strong>la</strong>tive tant que<br />
ses invités nourrissent d’eux même <strong>la</strong> discussion<br />
; sa tâche implicite est d’intervenir<br />
en revanche au moindre signe <strong>de</strong> fléchissement<br />
afin <strong>de</strong> veiller à <strong>la</strong> conservation d’un<br />
étiage <strong>de</strong> <strong>parole</strong> suffisamment rassurant. La<br />
circu<strong>la</strong>tion flui<strong>de</strong> <strong>de</strong>s propos est comme une<br />
bougie dont il faut entretenir <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme <strong>de</strong><br />
crainte qu’elle ne s’éteigne. Si le silence<br />
menace <strong>de</strong> durer et provoque un commencement<br />
d’embarras, <strong>la</strong> re<strong>la</strong>nce est <strong>de</strong> mise.<br />
Une pause dans le dialogue ne doit jamais<br />
s’éterniser. Si l’hôte est à cours d’idée un<br />
autre invité sort le groupe du ma<strong>la</strong>ise naissant<br />
par une p<strong>la</strong>isanterie conventionnelle<br />
sur « le passage <strong>de</strong> l’ange » 9 ou un trait<br />
d’humour sur l’humeur morose du groupe.<br />
Le rire en forçant <strong>la</strong> connivence offre l’opportunité<br />
<strong>de</strong> renouer <strong>la</strong> conversation, manière<br />
rituelle <strong>de</strong> dissiper le trouble. Après le<br />
risque <strong>de</strong> morcellement qu’il vient <strong>de</strong> vivre<br />
le groupe retrouve son unité dans le rire, et<br />
les routines <strong>de</strong> conversation. Ou bien, mine<br />
<strong>de</strong> rien, une question judicieuse adressée à<br />
l’un <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> l’assistance permet <strong>la</strong><br />
poursuite <strong>de</strong> l’échange. Après un moment<br />
<strong>de</strong> doute, le lien est restauré. Dans ses<br />
règles du savoir vivre adressées aux femmes<br />
et aux hommes <strong>de</strong> qualité, <strong>la</strong> Baronne Staffe<br />
consacre plusieurs pages aux normes méticuleuses<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation et s’attache particulièrement<br />
à donner à <strong>la</strong> maîtresse <strong>de</strong><br />
maison les conseils propices à une lutte efficace<br />
contre le silence, impardonnable faute<br />
<strong>de</strong> goût dans <strong>la</strong> tenue d’une réception. Après<br />
avoir souligné <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> discrétion <strong>de</strong><br />
l’hôtesse, <strong>la</strong> Baronne note que « toutefois, si<br />
elle reçoit <strong>de</strong>s gens timi<strong>de</strong>s ou peu causeurs,<br />
elle donnera <strong>de</strong> sa personne, faisant tous les<br />
frais nécessaires et imaginables pour ne pas<br />
<strong>la</strong>isser <strong>la</strong>nguir <strong>la</strong> conversation. Elle peut parler<br />
à son interlocuteur <strong>de</strong> sa profession si<br />
EXILS MINEURS DE LA PAROLE<br />
Gabriel Micheletti,<br />
Sans titre 1988,<br />
peinture, FRAC, Alsace<br />
Photo Antoine Bouchet.<br />
17
18<br />
elle a remarqué son goût exclusif pour<br />
l’occupation principale <strong>de</strong> sa vie ». Si le<br />
salon est très fréquenté, « il faut essayer <strong>de</strong><br />
déci<strong>de</strong>r une aimable amie intime à tenir ce<br />
rôle <strong>de</strong> bienveil<strong>la</strong>nce et <strong>de</strong> charité mondaine<br />
» 10 , toute personne isolée dans <strong>la</strong><br />
conversation générale bénéficie ainsi d’une<br />
attention particulière et est amenée à satisfaire<br />
à l’impératif <strong>de</strong> <strong>parole</strong>. Le silence est<br />
l’ennemi à traquer, <strong>la</strong> peste diffuse <strong>de</strong> toute<br />
manifestation mondaine. D. Tannen raconte<br />
le repas <strong>de</strong> Thanksgiving d’une famille juive<br />
<strong>de</strong> New-York soucieuse d’éviter tout fléchissement<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> discussion. Emergence négative,<br />
le silence est associé à un vi<strong>de</strong> plongeant<br />
le groupe dans le désarroi à moins que<br />
quelqu’un ne trouve une <strong>parole</strong> secourable<br />
11 .<br />
UN ANGE PASSE<br />
Une gêne profon<strong>de</strong> naît du silence qui rompt<br />
soudain une conversation et s’installe sans<br />
que nul ne puisse s’éloigner, se plonger dans<br />
une heureuse diversion ou se perdre soudain<br />
dans <strong>la</strong> contemp<strong>la</strong>tion du paysage avoisinant.<br />
Le silence s’est établi alors que les<br />
interlocuteurs s’entretenaient <strong>de</strong> choses et<br />
d’autres en se <strong>la</strong>issant doucement porter sur<br />
<strong>la</strong> pente du <strong>la</strong>ngage, le discours grippe soudain,<br />
ne trouvant plus <strong>de</strong> nouveaux prétextes.<br />
Le vi<strong>de</strong> ainsi créé hors <strong>de</strong> toute ritualité<br />
est comme une confrontation brutale à<br />
l’intimité <strong>de</strong> l’autre. Sa présence est massive,<br />
gênante, impossible à effacer rituellement<br />
par une action commune ou une<br />
<strong>parole</strong> qui désagrège le ma<strong>la</strong>ise 12 . Chacun se<br />
sent gauche, englué dans l’embarras <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />
situation, comme mis à nu, percé à jour dans<br />
sa légèreté. « Le silence scrute l’homme »,<br />
dit M. Picard 13 . Il n’y a plus rien à dire, ou<br />
bien toute <strong>parole</strong> émise serait une grossière<br />
diversion incapable <strong>de</strong> donner le change. Le<br />
silence a alors valeur d’abîme creusé dans le<br />
chemin jusqu’alors tranquille <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation.<br />
Il ouvre au coeur <strong>de</strong> l’échange une<br />
brèche <strong>de</strong> sens difficile à colmater car il<br />
accuse sans rémission l’insignifiance <strong>de</strong>s<br />
<strong>parole</strong>s précé<strong>de</strong>ntes, l’indifférence qui présidait<br />
à <strong>la</strong> rencontre, <strong>la</strong> pure mondanité <strong>de</strong>s<br />
propos échangés. L’autre est là comme un<br />
obstacle, il brise <strong>la</strong> souveraineté person-<br />
nelle en imposant une réplique qui ne peut<br />
être qu’une <strong>parole</strong> conjurant le vi<strong>de</strong>, et<br />
énoncée avec le sentiment désagréable<br />
qu’elle vient juste sortir d’embarras pour y<br />
retomber <strong>de</strong> plus belle si l’autre ne joue pas<br />
le jeu. « Le silence abrupt au milieu d’une<br />
conversation, dit Cioran, nous ramène soudain<br />
à l’essentiel : il nous révèle <strong>de</strong> quel prix<br />
nous <strong>de</strong>vons payer l’invention <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> ».<br />
Au fil <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation le silence, s’il<br />
dure, est une forme extérieure <strong>de</strong> l’intimité.<br />
Se taire revient à afficher son visage, ses<br />
mains, à livrer son corps à l’indiscrétion <strong>de</strong><br />
l’autre sans pouvoir se défendre <strong>de</strong> son<br />
attention réelle ou imaginaire 14 . Le silence<br />
qui tombe soudain sur une discussion<br />
épaissit l’écoulement du temps, il rompt <strong>la</strong><br />
fluidité antérieure du sens que conférait <strong>la</strong><br />
<strong>parole</strong>. L’espace est comme coagulé, l’interaction<br />
<strong>de</strong>vient grinçante, inopportune. Le<br />
timi<strong>de</strong> ne sait plus ou se mettre. Il faut parler,<br />
quitte à dire n’importe quoi, pour faire<br />
diversion, susciter un écran <strong>de</strong> sens autour<br />
<strong>de</strong> soi qui neutralise le trouble et réussit in<br />
extremis à sauver <strong>la</strong> face. Charles Juliet lors <strong>de</strong><br />
sa première rencontre avec le peintre Bram<br />
Van Vel<strong>de</strong> raconte le ma<strong>la</strong>ise né d’une<br />
mutuelle timidité qui provoque une attention<br />
à l’autre encore plus embarrassante :<br />
« Je m’assieds, il m’offre un verre, mais il ne<br />
peut supporter mon regard, ne cesse <strong>de</strong> se<br />
lever et se rasseoir. Une telle attitu<strong>de</strong> m’intimi<strong>de</strong><br />
encore plus, et j’ai le plus grand mal à<br />
bafouiller quelques questions. Pour échapper<br />
à <strong>la</strong> gêne qui nous gagne et rompre notre<br />
face à face presque silencieux, il me propose<br />
<strong>de</strong> marcher dans <strong>la</strong> rue. Dehors, une fois<br />
délivrés <strong>de</strong> nos regards, nous nous sommes<br />
mis à parler » 15 . D’être libérés d’une attention<br />
excessive à leur corps dénoue <strong>la</strong> <strong>parole</strong><br />
et les <strong>de</strong>ux hommes parlent ensuite pendant<br />
<strong>de</strong>s heures, dînent ensemble, sans plus<br />
connaître le ma<strong>la</strong>ise initial.<br />
LE SILENCE<br />
COMME RÉSERVE<br />
Pour se taire sans dommage <strong>de</strong>vant l’autre,<br />
il convient <strong>de</strong> le connaître déjà intimement,<br />
et <strong>de</strong> se sentir à l’abri <strong>de</strong> son regard ou <strong>de</strong><br />
son jugement. La complicité <strong>de</strong> l’amitié ou<br />
<strong>de</strong> l’amour dispense <strong>de</strong> <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> tou-<br />
jours parler et ménage nombre <strong>de</strong> moments<br />
d’abandon. Des étrangers jouissent également<br />
<strong>de</strong> <strong>la</strong> sérénité <strong>de</strong> pouvoir partager<br />
ensemble <strong>de</strong> longs silences sans en être<br />
indisposés. Ainsi les voyages en train ou en<br />
avion, les parcours en métro ou en bus, mettent<br />
justement en p<strong>la</strong>ce un rituel d’interaction<br />
fondé sur le mutisme réciproque <strong>de</strong>s<br />
vis-à-vis, même si le voyage dure <strong>de</strong>s<br />
heures. La discrétion qui isole les passagers<br />
est une forme routinière <strong>de</strong> silence 16 , elle<br />
prime nettement sur <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> <strong>parole</strong> <strong>de</strong><br />
l’un d’entre eux qui risque <strong>de</strong> susciter <strong>la</strong><br />
gêne ou une fin <strong>de</strong> non recevoir. Des<br />
échanges courtois et brefs sont cependant<br />
possibles sur le temps qu’il fait au <strong>de</strong>hors,<br />
sur le confort discutable <strong>de</strong>s sièges, ou le<br />
souhait généreux que l’autre, qui vient <strong>de</strong><br />
sortir un sandwich <strong>de</strong> son sac, digère bien<br />
son repas. La longueur du voyage, <strong>la</strong> température<br />
du compartiment, les tracasseries du<br />
contrôleur, sont les prétextes <strong>de</strong> <strong>parole</strong>s peu<br />
compromettantes qui dispensent une version<br />
gauchie du silence mais ne tirent guère<br />
à conséquence. La réserve silencieuse peut<br />
être un mo<strong>de</strong> délibéré <strong>de</strong> défense, marquant<br />
une intention déc<strong>la</strong>rée <strong>de</strong> ne pas entrer en<br />
contact avec l’autre. Elle vise à prévenir le<br />
souci <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir se mobiliser dans un dialogue<br />
qui retrancherait à <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> se<br />
reposer, <strong>de</strong> lire, <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r le paysage. Elle<br />
se nourrit aussi <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir susciter<br />
une intimité difficile ensuite à rompre.<br />
La solitu<strong>de</strong> ne se préserve efficacement dans<br />
ces circonstances que par un mur <strong>de</strong> silence<br />
que nul ne doit oser franchir. Si l’autre est<br />
mis en <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> « briser » le silence, il<br />
préfère en général s’abstenir plutôt que <strong>de</strong><br />
provoquer un ma<strong>la</strong>ise.<br />
RUPTURE DE PAROLE<br />
Le silence naît également <strong>de</strong> <strong>la</strong> rupture par<br />
un acteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> règle <strong>de</strong> réciprocité du discours,<br />
il ne répond plus aux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s pressantes<br />
qu’on lui adresse, il refuse soudain <strong>la</strong><br />
« comédie <strong>de</strong> disponibilité » (Goffman).<br />
Melville raconte ainsi l’histoire <strong>de</strong> Bartleby,<br />
un employé <strong>de</strong> bureau qui après avoir satisfait<br />
aux exigences <strong>de</strong> sa fonction pendant<br />
<strong>de</strong>s semaines déci<strong>de</strong> soudain <strong>de</strong> ne plus<br />
s’occuper que <strong>de</strong> quelques travaux. Son<br />
employeur lui confie un jour une mo<strong>de</strong>ste<br />
mission, mais Bartleby refuse. D’une phrase<br />
<strong>la</strong>conique : « Je préférerais ne pas le faire »,<br />
il repousse une à une les tâches qu’on lui<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’effectuer. Ensuite, malgré l’insistance<br />
<strong>de</strong> son patron ou <strong>de</strong>s autres employés,<br />
il ne répond plus, plongé dans un silence<br />
impénétrable qui rompt le jeu <strong>de</strong> <strong>la</strong> réciprocité<br />
<strong>de</strong> l’interaction et provoque un trouble<br />
grandissant. Bartleby inverse le statut <strong>de</strong><br />
participation qui enjoint à l’employé <strong>de</strong> se<br />
soumettre à un ordre raisonnable <strong>de</strong> son<br />
patron ou, au moins, <strong>de</strong> justifier du motif <strong>de</strong><br />
ne pas y souscrire aussitôt. Les tentatives<br />
pour l’amener à sortir <strong>de</strong> sa réserve<br />
échouent une à une : <strong>la</strong> menace, <strong>la</strong> séduction,<br />
et même <strong>la</strong> compassion, se heurtent à<br />
<strong>la</strong> même litanie que suit un silence que nul<br />
n’arrive à dissiper. Bartleby refuse même <strong>de</strong><br />
quitter le bureau où il s’est installé, muet<br />
<strong>de</strong>vant les sommations, tranquille muraille<br />
<strong>de</strong> silence face à ses compagnons médusés,<br />
impuissants à se débarrasser <strong>de</strong> lui. Toute<br />
tentative <strong>de</strong> comprendre son attitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong><br />
remonter le fil <strong>de</strong> son histoire, se heurte à<br />
une fin <strong>de</strong> non recevoir. Le silence, qui ne<br />
peut être longtemps une réponse dans une<br />
discussion, à moins d’incommo<strong>de</strong>r fortement<br />
le questionneur, voire même <strong>de</strong> lui<br />
faire perdre patience, est l’unique mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
présentation <strong>de</strong> soi <strong>de</strong> Bartleby. Il force les<br />
autres à s’interroger longuement, non sans<br />
désarroi, comme le montre l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> son<br />
employeur qui lui cherche <strong>de</strong>s excuses,<br />
manière <strong>de</strong> retenir encore Bartleby dans le<br />
lien social, quitte même à lui attribuer un<br />
statut <strong>de</strong> chose tranquille et inoffensive :<br />
« Oui, Bartleby, pensai-je, reste là <strong>de</strong>rrière<br />
ton paravent, je ne te persécuterai plus ; tu<br />
es aussi inoffensif, aussi silencieux<br />
qu’aucune <strong>de</strong> ces vieilles chaises ; bref, je ne<br />
me sens jamais autant à mon aise que<br />
lorsque je te sais là. Du moins je sens, je<br />
vois, je pénètre <strong>la</strong> raison d’être pré<strong>de</strong>stinée<br />
<strong>de</strong> ma vie... D’autres peuvent avoir <strong>de</strong>s rôles<br />
plus élevés à jouer ; quant à moi, ma mission<br />
en ce mon<strong>de</strong>, Bartleby, est <strong>de</strong> te fournir un<br />
bureau aussi longtemps que tu trouveras<br />
bon d’y rester » 17 . Son employeur fait du<br />
copiste le possesseur d’une vérité qui lui<br />
<strong>de</strong>meure interdite, mais dont il pressent le<br />
possible bienfait. Il projette sur <strong>la</strong> retraite <strong>de</strong><br />
Bartleby une signification qui justifie son<br />
exil <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> et le décharge légitimement<br />
<strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> conversation ou <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>voirs<br />
envers son patron. Le doute est ainsi tranché<br />
en sa faveur : pour quelque mystérieuse<br />
raison, connue <strong>de</strong> lui seul, le copiste se tient<br />
en réserve <strong>de</strong>s rites <strong>de</strong> communication. Mais<br />
une telle attitu<strong>de</strong> n’est guère supportable<br />
longtemps. En cassant les règles <strong>de</strong> réciprocité<br />
<strong>de</strong>s échanges et en faisant du silence<br />
son seul mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> communication, Bartleby<br />
se condamne à l’exclusion car dans <strong>la</strong> vie<br />
quotidienne le silence n’est qu’une réponse<br />
provisoire appuyée sur <strong>de</strong>s motifs sousentendus<br />
par les membres <strong>de</strong> l’interaction.<br />
En en faisant le style <strong>de</strong> son rapport au<br />
mon<strong>de</strong>, sans que jamais ses partenaires<br />
soient en mesure <strong>de</strong> se saisir d’une quelconque<br />
bribe <strong>de</strong> sens, Bartleby entre en dissi<strong>de</strong>nce<br />
et détruit le lien social. Il fait fonctionner<br />
le silence comme un refus radical du<br />
<strong>la</strong>ngage, et sa position avec le temps <strong>de</strong>vient<br />
intenable. Une mesure <strong>de</strong> retrait <strong>de</strong> <strong>la</strong> communication<br />
aussi définitive suscite une réaction<br />
collective d’une égale ampleur, Bartleby<br />
est exilé dans un établissement pénitentiaire<br />
où l’on gar<strong>de</strong> aussi les fous. Il y pratique<br />
<strong>la</strong> même abstention <strong>de</strong> <strong>parole</strong> et <strong>de</strong><br />
participation au lien social. Surnommé le<br />
« silencieux » par son geôlier, il se <strong>la</strong>isse<br />
mourir <strong>de</strong> faim.<br />
Mais bien entendu Bartebly n’est en<br />
défaut <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage que pour <strong>de</strong>s normes<br />
d’interaction qui accor<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> <strong>parole</strong> une<br />
éminence particulière. Pour une société faisant<br />
vertu du silence ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> sobriété <strong>de</strong>s<br />
propos l’étonnement ne serait pas tant le<br />
mutisme <strong>de</strong> Bartleby que l’obsession <strong>de</strong> ses<br />
partenaires à le faire parler. Chaque culture<br />
connaît ses usages licites et intolérables du<br />
silence. Parler n’est pas toujours <strong>la</strong><br />
meilleure solution, et d’ailleurs le silence a<br />
toujours le <strong>de</strong>rnier mot. ■<br />
EXILS MINEURS DE LA PAROLE<br />
NOTES<br />
1. Pour une plus <strong>la</strong>rge réflexion sur le silence<br />
dans l’économie <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> ou dans le lien<br />
social nous renvoyons à notre ouvrage, LE<br />
BRETON D., Du silence, Paris, Métailié (à<br />
paraitre fin 1997).<br />
2. SCOLLON R., « The machine stops : silence<br />
in the metaphor of malfunction », in TANNEN<br />
D., SAVILLE-TROÏKE M. (eds), Perspectives on<br />
silence, Norwood, Ablex, 1985, 24.<br />
3. BASSO K. H., « To give up on words : silence<br />
in Western Apache culture », in GIGLIOLI P.<br />
P. (ed.), Language and social context,<br />
Harmondsworth, Penguin, 1972, p 67- 87.<br />
4. TANNEN D., « Silence : anything but », in<br />
TANNEN D., SAVILE-TROÏKE M., op. cit.,<br />
p 108.<br />
5. SAVILE-TROÏKE M., «The p<strong>la</strong>ce of silence in an<br />
integrated theory of communication », in TANNEN<br />
D., SAVILE-TROÏKE M., op. cit., p 13.<br />
6. CARROLL R., Evi<strong>de</strong>nces invisibles : Américains et<br />
Français au quotidien, Paris, Seuil, 1987, p 62.<br />
7. GOFFMAN E., Les cadres <strong>de</strong> l’expérience, Paris,<br />
Minuit, 1991, 223 sq.<br />
8. HYMES D., Foundations in sociolinguistics : an ethnographic<br />
approach, Phi<strong>la</strong><strong>de</strong>lphia, University of<br />
Pennsylvania Press, 1974.<br />
9. Pour signifier <strong>la</strong> tombée abrupte du silence<br />
dans une assemblée, les anciens Grecs<br />
disaient « Hermès est entré ». Allusion à <strong>la</strong><br />
ouate <strong>de</strong> silence qui enveloppe le dieu dans<br />
différentes circonstances : quand il marche<br />
aucun bruit ne se fait entendre, les chiens<br />
n’aboient jamais à son passage, et Hermès<br />
est également fameux pour un vol réalisé<br />
dans sa jeunesse au détriment d’Apollon,<br />
(TASINATO M., L’oeil du silence. Eloge <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture,<br />
Paris, Verdier, 1989, p 91 sq).<br />
10. BARONNE STAFFE, Usages du mon<strong>de</strong>. Règles <strong>de</strong><br />
savoir-vivre, Paris, 1927, p 149- 150.<br />
11. TANNEN D., op. cit., p 93- 111.<br />
12. cf LE BRETON D., Anthropologie du corps et<br />
mo<strong>de</strong>rnité, Paris, PUF, 1995 (3e éd. mise à jour).<br />
13. PICARD M., Le mon<strong>de</strong> du silence, Paris, PUF,<br />
1953, p 3.<br />
14. LE BRETON D., Anthropologie du corps et mo<strong>de</strong>rnité,<br />
op. cit.<br />
15. JULIET C., Journal I (1957- 1964), Paris,<br />
Hachette, 1978, p 308.<br />
16. JAWORSKI A., The power of silence. Social and pragmatic<br />
perspectives, London, Sage, 1993, p 56 sq.<br />
CARROLL R. suggère que dans les mêmes<br />
conditions les Américains induiraient <strong>la</strong> distance<br />
à travers <strong>la</strong> conversation (CARROLL R.,<br />
op. cit., p 53 sq).<br />
17. MELVILLE H., « Bartleby l’écrivain », Benito<br />
Cereno, Paris, Gallimard, 1951, p 73- 74.<br />
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