14.07.2013 Views

Exils mineurs de la parole - Revue des sciences sociales

Exils mineurs de la parole - Revue des sciences sociales

Exils mineurs de la parole - Revue des sciences sociales

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

David Le Breton<br />

Faculté <strong>de</strong>s <strong>sciences</strong> <strong>sociales</strong>, Laboratoire<br />

<strong>de</strong> sociologie <strong>de</strong> <strong>la</strong> culture européenne<br />

DAVID LE BRETON<br />

<strong>Exils</strong> <strong>mineurs</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong><br />

Le silence dans <strong>la</strong> conversation<br />

«DANS TOUT CE QUE NOUS EXPRIMIONS<br />

S’EXPRIMAIT LE SILENCE»<br />

JMG LE CLEZIO, L’EXTASE MATÉRIELLE<br />

S<br />

ans un revers <strong>de</strong> silence <strong>la</strong> <strong>parole</strong> est<br />

inaudible, elle s’engorgerait dans un<br />

flux sans fin, sans jamais <strong>la</strong>isser à<br />

l’autre ni le temps <strong>de</strong> comprendre, ni celui<br />

<strong>de</strong> saisir son tour <strong>de</strong> parler1 . Le <strong>la</strong>ngage<br />

existe grâce à <strong>la</strong> ponctuation du silence qui<br />

le rend intelligible et lui procure sa respiration.<br />

Le contenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation<br />

déci<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa fréquence et <strong>de</strong> sa durée. Le<br />

silence ne requiert pas moins <strong>de</strong> compétence<br />

dans son usage que <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue elle<br />

même. Il doit être accordé au rythme <strong>de</strong>s<br />

interlocuteurs, à leur modalité <strong>de</strong> prise <strong>de</strong><br />

<strong>parole</strong>, <strong>de</strong> décision, car toute disparité<br />

ouvre une gêne plus ou moins sensible.<br />

L’agacement naît <strong>de</strong>vant celui qui « prend<br />

son temps », manifeste une « exaspérante »<br />

lenteur, impose <strong>de</strong>s silences qui distillent<br />

l’impatience ou l’ennui <strong>de</strong> celui qui est<br />

accoutumé à un rythme plus soutenu dans<br />

l’usage <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong>. Ou à l’inverse <strong>de</strong>vant<br />

celui dont le débit trop rapi<strong>de</strong> exclu toute<br />

pause et rend difficile une attention prolongée.<br />

La qualité d’un échange, tel qu’il<br />

est ressenti par les acteurs, dépend étroitement<br />

du rythme, <strong>de</strong> l’alternance entre<br />

temps <strong>de</strong> <strong>parole</strong> et temps <strong>de</strong> pause dont<br />

chacun éprouve <strong>la</strong> nécessité. Le bon usage<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue est conditionné par une alchimie<br />

silencieuse relevant <strong>de</strong> <strong>la</strong> compétence<br />

<strong>de</strong> communication <strong>de</strong> l’individu. Pour apprendre<br />

à parler il faut apprendre à se taire.<br />

RÉGIMES SOCIAUX<br />

DU SILENCE<br />

Le pointillé <strong>de</strong> silence nécessaire à <strong>la</strong> c<strong>la</strong>rté<br />

<strong>de</strong> l’élocution et <strong>de</strong> <strong>la</strong> perception ne répond<br />

pas au même statut culturel d’un groupe à<br />

l’autre. Des usages se distinguent et donnent<br />

parfois lieu à <strong>de</strong>s malentendus, à <strong>de</strong>s<br />

interprétations divergentes. C’est moins<br />

alors le contenu <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> que <strong>la</strong> répartition<br />

et <strong>la</strong> durée du silence qui provoquent <strong>la</strong><br />

gêne mutuelle. Ces pratiques différentes <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> <strong>la</strong>ngue, les pauses plus ou moins longues,<br />

suscitent les jugements <strong>de</strong> valeur <strong>de</strong> ceux<br />

qui manifestent d’autres rythmes ou se soucient<br />

<strong>de</strong> maintenir un étiage suffisant <strong>de</strong><br />

<strong>parole</strong>s dans le cours <strong>de</strong>s échanges. Les<br />

Indiens Athabaskan, par exemple, sont perçus<br />

par leurs voisins Américains comme<br />

« passifs, maussa<strong>de</strong>s, renfermés, sans discussion,<br />

paresseux, arriérés, <strong>de</strong>structeurs,<br />

hostiles, non coopératifs, antisociaux et stupi<strong>de</strong>s<br />

» 2 . Ces attributions négatives renvoient<br />

essentiellement à <strong>de</strong>s différences<br />

d’attitu<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> conversation. La sobriété<br />

<strong>de</strong> l’Indien, ses pauses plus longues, ses<br />

tours <strong>de</strong> <strong>parole</strong> qui n’engrennent pas aussitôt<br />

sur le silence <strong>de</strong> son interlocuteur, désar-<br />

<strong>Revue</strong> <strong>de</strong>s Sciences Sociales <strong>de</strong> <strong>la</strong> France <strong>de</strong> l’Est, 1997, n° 24


16<br />

ment celui qui n’est guère accoutumé à ce<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>parole</strong> et l’incite à projeter <strong>de</strong>s stéréotypes<br />

négatifs à son encontre sans<br />

concevoir un seul instant que lui même<br />

pourraient se voir attribuer <strong>de</strong>s stéréotypes<br />

inverses : d’être, par exemple, bavard, envahissant,<br />

superficiel, nerveux, agressif, etc.<br />

Les écarts entre les temps <strong>de</strong> pause ou <strong>de</strong><br />

prise <strong>de</strong> <strong>parole</strong> exposent l’un <strong>de</strong>s interlocuteurs<br />

à être taxé <strong>de</strong> volubile et l’autre <strong>de</strong> taciturne.<br />

Basso signale que les Apaches, réputés<br />

pour leur retenue, qualifient les B<strong>la</strong>ncs<br />

<strong>de</strong> sang chaud, <strong>de</strong> bavards et autres termes<br />

négatifs à leurs yeux 3 . Ceux qui parlent vite<br />

ou lentement se prêtent mutuellement <strong>de</strong><br />

mauvaises intentions. Les premiers trouvent<br />

que leurs compagnons sont renfermés<br />

et peu coopérants, mais les seconds les perçoivent<br />

à leur tour comme dominateurs et<br />

peinent à trouver l’occasion <strong>de</strong> pouvoir<br />

s’exprimer 4 . Les Navajos ont <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong><br />

pause prolongés. Dans un groupe, quand<br />

une question leur est posé, ce sont souvent<br />

<strong>de</strong>s non-navajos, déroutés par une attente<br />

ayant débordée leur seuil <strong>de</strong> tolérance, qui<br />

donnent <strong>la</strong> réponse 5 . Selon R. Carroll les<br />

Américains <strong>de</strong> c<strong>la</strong>sses moyennes se p<strong>la</strong>ignent<br />

souvent que les Français les coupent<br />

continuellement sans respecter les pauses.<br />

Cependant l’interruption semble être un élément<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> ritualité <strong>de</strong>s discussions françaises,<br />

le principe consistant à ne pas arrêter<br />

l’interlocuteur au milieu d’un mot ou<br />

d’une phrase, mais <strong>de</strong> saisir une légère<br />

flexion <strong>de</strong> <strong>la</strong> voix pour prendre <strong>la</strong> <strong>parole</strong> à<br />

son tour. L’Américain n’étant pas accoutumé<br />

à ce rythme éprouve <strong>de</strong>s difficultés à achever<br />

son propos, il ressent une frustration et<br />

juge superficiel son interlocuteur qui lui<br />

pose <strong>de</strong>s questions sans se soucier <strong>de</strong>s<br />

réponses 6 .<br />

Au sein d’un cadre social donné, chaque<br />

membre d’une interaction bénéficie d’un<br />

« statut <strong>de</strong> participation » 7 selon son âge,<br />

son sexe, sa position sociale, familiale, etc.<br />

On lui présume un certain niveau <strong>de</strong> contribution<br />

à l’échange. Mais aussi une certaine<br />

marge <strong>de</strong> silence. L’autre est abordé à partir<br />

<strong>de</strong> cette appréciation qui définit ses droits<br />

et ses <strong>de</strong>voirs implicites dans le déroulement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> rencontre. Le statut <strong>de</strong> participa-<br />

tion distribue les préférences et les exclusions<br />

dans le choix <strong>de</strong>s partenaires, il donne<br />

<strong>la</strong> hiérarchie du contrôle <strong>de</strong> <strong>la</strong> discussion en<br />

distinguant les priorités <strong>de</strong> prises <strong>de</strong> <strong>parole</strong>,<br />

il oriente les thèmes à abor<strong>de</strong>r et ceux qu’il<br />

convient d’éviter et <strong>la</strong>isse supposer <strong>la</strong> durée<br />

probable <strong>de</strong> l’interaction. En découle les<br />

temps <strong>de</strong> silences licites, dont nul ne<br />

s’incommo<strong>de</strong>, et ceux qui, à l’inverse, suscitent<br />

le désarroi, l’impatience. Toute situation,<br />

selon les interlocuteurs en présence et<br />

le cadre <strong>de</strong> leur rencontre, exige un dosage<br />

subtil <strong>de</strong> <strong>parole</strong>s et <strong>de</strong> silences et les droits<br />

et les <strong>de</strong>voirs <strong>de</strong> chacun en <strong>la</strong> matière. Une<br />

infraction <strong>de</strong>s règles implicites <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation<br />

dans un contexte donné provoque <strong>la</strong><br />

gêne, au moins <strong>de</strong> l’un <strong>de</strong> ses membres, et<br />

<strong>la</strong> recherche d’une solution.<br />

Au sein d’un même groupe social les<br />

déca<strong>la</strong>ges induits par différents usages du<br />

temps <strong>de</strong> pause ou du tour <strong>de</strong> <strong>parole</strong> déclenchent<br />

<strong>de</strong>s appréciations différentes selon le<br />

<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> rupture avec les usages communs.<br />

Une enquête menée sur un groupe <strong>de</strong><br />

femmes culturellement homogène d’un collège<br />

du Mary<strong>la</strong>nd a mis en re<strong>la</strong>tion le fait que<br />

les femmes qui prennent les pauses les plus<br />

brèves sont perçues favorablement par leurs<br />

partenaires qui les disent coopératives,<br />

sympathiques, attentives aux autres, chaleureuses,<br />

sociables, etc. A l’inverse leurs<br />

compagnes témoignant <strong>de</strong> plus longs temps<br />

<strong>de</strong> pause sont perçues comme réservées,<br />

détachées, taciturnes, sobres, timi<strong>de</strong>s,<br />

rigi<strong>de</strong>s, frustrées, etc (Feldstein, Alberti,<br />

BenDebba, 1979). Dans un même régime <strong>de</strong><br />

<strong>parole</strong>, lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation ordinaire, les<br />

différences personnelles orientent <strong>de</strong>s jugements<br />

plus ou moins propices selon les<br />

usages habituels du silence. Dans les<br />

c<strong>la</strong>sses moyennes <strong>de</strong> <strong>la</strong> société américaine<br />

il vaut mieux parler que se taire, et, si l’on<br />

parle, éviter <strong>de</strong> trop recourir aux pauses ou<br />

<strong>de</strong> prendre son temps. Les jugements sur<br />

l’autre renvoient à leur insu ceux qui les formulent<br />

à <strong>de</strong>s valeurs culturelles implicites<br />

qui légitiment <strong>la</strong> <strong>parole</strong> ou le silence, <strong>la</strong><br />

nécessaire sobriété <strong>de</strong> <strong>parole</strong> ou à l’inverse<br />

<strong>la</strong> jouissance d’une conversation que rien<br />

n’interrompt. Nulle règle universelle ne régit<br />

les usages <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> ou du silence dans<br />

les conversations, le malentendu ou les projections<br />

négatives sur l’autre se donnent<br />

libre cours quand <strong>de</strong>s acteurs enracinés<br />

dans <strong>de</strong>s régimes différents <strong>de</strong> <strong>parole</strong> considèrent<br />

chacun leur manière <strong>de</strong> parler<br />

comme <strong>la</strong> seule normale. Ces règles d’usage<br />

<strong>de</strong> l’enchevêtrement <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> et du<br />

silence relèvent d’un processus d’éducation,<br />

et d’un rythme personnel, qui efface son<br />

arbitraire et se donne comme « naturel », alimentant<br />

<strong>la</strong> suspicion à l’égard <strong>de</strong> ceux qui<br />

dérogent à son évi<strong>de</strong>nce. L’art quotidien <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> conversation, orienté par <strong>de</strong>s schémas<br />

culturels que les acteurs redéfinissent à<br />

chaque instant, ne consiste pas seulement<br />

à savoir parler, mais surtout à se taire à propos,<br />

à <strong>la</strong>isser s’installer au coeur <strong>de</strong><br />

l’échange une qualité <strong>de</strong> silence propre à<br />

ménager les répits nécessaires à <strong>la</strong> <strong>parole</strong>, à<br />

<strong>la</strong> répartition <strong>de</strong>s temps <strong>de</strong> discours<br />

mutuels. Les locuteurs profitent <strong>de</strong> ces<br />

intervalles pour prendre leur marque, jauger<br />

le niveau d’engagement requis par <strong>la</strong> discussion,<br />

déci<strong>de</strong>r du propos à tenir. Pas <strong>de</strong><br />

discours sans pause, sans tours <strong>de</strong> <strong>parole</strong>,<br />

pas <strong>de</strong> <strong>parole</strong> sans une trame <strong>de</strong> silence à<br />

son entour. Savoir à quel moment se taire ou<br />

parler relève <strong>de</strong> <strong>la</strong> « compétence <strong>de</strong> communication<br />

» 8 <strong>de</strong>s acteurs selon leur connaissance<br />

<strong>de</strong>s usages et leur interprétation <strong>de</strong>s<br />

circonstances <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation.<br />

L’IMPÉRATIF DE PAROLE<br />

Quand il coule <strong>de</strong> source dans un discours<br />

le silence éc<strong>la</strong>ire <strong>de</strong>s veines <strong>de</strong> sens qui alimentent<br />

<strong>la</strong> <strong>parole</strong> et <strong>la</strong> ren<strong>de</strong>nt intelligible<br />

et transmissible. Il donne chair au <strong>la</strong>ngage.<br />

Le silence qui traverse <strong>la</strong> conversation provoque<br />

ou non le désarroi selon les conventions<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage qui régissent le groupe et<br />

le <strong>de</strong>gré d’engagement <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s<br />

autres. Si <strong>la</strong> <strong>parole</strong> est <strong>de</strong> mise, toute dérogation<br />

à son usage suscite une gêne qui traduit<br />

<strong>la</strong> rupture <strong>de</strong>s attentes mutuelles. Si les<br />

acteurs manquent d’une complicité autorisant<br />

<strong>de</strong> longues pauses, <strong>la</strong> question du<br />

silence est une affaire délicate qui requiert<br />

du tact. S’ils ont peu <strong>de</strong> choses à se dire, une<br />

<strong>la</strong>rge part <strong>de</strong> leur souci consiste à éviter que<br />

le silence ne s’installe. Celui-ci est comme<br />

le piège qui guette l’interaction et dont il<br />

faut conjurer <strong>la</strong> menace. La gestion <strong>de</strong>s<br />

pauses et <strong>de</strong>s re<strong>la</strong>nces forme un pôle<br />

d’obsession <strong>de</strong> certaines conversations qui<br />

<strong>la</strong>nguissent sans que personne n’arrive à<br />

trouver une issue honorable. Une discussion<br />

où nul n’éprouve <strong>de</strong> gêne est celle où les<br />

contours respectifs du silence <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s<br />

autres ont <strong>de</strong>s angles qui s’harmonisent.<br />

En principe le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> l’hôte est <strong>de</strong> se<br />

maintenir dans une réserve re<strong>la</strong>tive tant que<br />

ses invités nourrissent d’eux même <strong>la</strong> discussion<br />

; sa tâche implicite est d’intervenir<br />

en revanche au moindre signe <strong>de</strong> fléchissement<br />

afin <strong>de</strong> veiller à <strong>la</strong> conservation d’un<br />

étiage <strong>de</strong> <strong>parole</strong> suffisamment rassurant. La<br />

circu<strong>la</strong>tion flui<strong>de</strong> <strong>de</strong>s propos est comme une<br />

bougie dont il faut entretenir <strong>la</strong> f<strong>la</strong>mme <strong>de</strong><br />

crainte qu’elle ne s’éteigne. Si le silence<br />

menace <strong>de</strong> durer et provoque un commencement<br />

d’embarras, <strong>la</strong> re<strong>la</strong>nce est <strong>de</strong> mise.<br />

Une pause dans le dialogue ne doit jamais<br />

s’éterniser. Si l’hôte est à cours d’idée un<br />

autre invité sort le groupe du ma<strong>la</strong>ise naissant<br />

par une p<strong>la</strong>isanterie conventionnelle<br />

sur « le passage <strong>de</strong> l’ange » 9 ou un trait<br />

d’humour sur l’humeur morose du groupe.<br />

Le rire en forçant <strong>la</strong> connivence offre l’opportunité<br />

<strong>de</strong> renouer <strong>la</strong> conversation, manière<br />

rituelle <strong>de</strong> dissiper le trouble. Après le<br />

risque <strong>de</strong> morcellement qu’il vient <strong>de</strong> vivre<br />

le groupe retrouve son unité dans le rire, et<br />

les routines <strong>de</strong> conversation. Ou bien, mine<br />

<strong>de</strong> rien, une question judicieuse adressée à<br />

l’un <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> l’assistance permet <strong>la</strong><br />

poursuite <strong>de</strong> l’échange. Après un moment<br />

<strong>de</strong> doute, le lien est restauré. Dans ses<br />

règles du savoir vivre adressées aux femmes<br />

et aux hommes <strong>de</strong> qualité, <strong>la</strong> Baronne Staffe<br />

consacre plusieurs pages aux normes méticuleuses<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation et s’attache particulièrement<br />

à donner à <strong>la</strong> maîtresse <strong>de</strong><br />

maison les conseils propices à une lutte efficace<br />

contre le silence, impardonnable faute<br />

<strong>de</strong> goût dans <strong>la</strong> tenue d’une réception. Après<br />

avoir souligné <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> discrétion <strong>de</strong><br />

l’hôtesse, <strong>la</strong> Baronne note que « toutefois, si<br />

elle reçoit <strong>de</strong>s gens timi<strong>de</strong>s ou peu causeurs,<br />

elle donnera <strong>de</strong> sa personne, faisant tous les<br />

frais nécessaires et imaginables pour ne pas<br />

<strong>la</strong>isser <strong>la</strong>nguir <strong>la</strong> conversation. Elle peut parler<br />

à son interlocuteur <strong>de</strong> sa profession si<br />

EXILS MINEURS DE LA PAROLE<br />

Gabriel Micheletti,<br />

Sans titre 1988,<br />

peinture, FRAC, Alsace<br />

Photo Antoine Bouchet.<br />

17


18<br />

elle a remarqué son goût exclusif pour<br />

l’occupation principale <strong>de</strong> sa vie ». Si le<br />

salon est très fréquenté, « il faut essayer <strong>de</strong><br />

déci<strong>de</strong>r une aimable amie intime à tenir ce<br />

rôle <strong>de</strong> bienveil<strong>la</strong>nce et <strong>de</strong> charité mondaine<br />

» 10 , toute personne isolée dans <strong>la</strong><br />

conversation générale bénéficie ainsi d’une<br />

attention particulière et est amenée à satisfaire<br />

à l’impératif <strong>de</strong> <strong>parole</strong>. Le silence est<br />

l’ennemi à traquer, <strong>la</strong> peste diffuse <strong>de</strong> toute<br />

manifestation mondaine. D. Tannen raconte<br />

le repas <strong>de</strong> Thanksgiving d’une famille juive<br />

<strong>de</strong> New-York soucieuse d’éviter tout fléchissement<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> discussion. Emergence négative,<br />

le silence est associé à un vi<strong>de</strong> plongeant<br />

le groupe dans le désarroi à moins que<br />

quelqu’un ne trouve une <strong>parole</strong> secourable<br />

11 .<br />

UN ANGE PASSE<br />

Une gêne profon<strong>de</strong> naît du silence qui rompt<br />

soudain une conversation et s’installe sans<br />

que nul ne puisse s’éloigner, se plonger dans<br />

une heureuse diversion ou se perdre soudain<br />

dans <strong>la</strong> contemp<strong>la</strong>tion du paysage avoisinant.<br />

Le silence s’est établi alors que les<br />

interlocuteurs s’entretenaient <strong>de</strong> choses et<br />

d’autres en se <strong>la</strong>issant doucement porter sur<br />

<strong>la</strong> pente du <strong>la</strong>ngage, le discours grippe soudain,<br />

ne trouvant plus <strong>de</strong> nouveaux prétextes.<br />

Le vi<strong>de</strong> ainsi créé hors <strong>de</strong> toute ritualité<br />

est comme une confrontation brutale à<br />

l’intimité <strong>de</strong> l’autre. Sa présence est massive,<br />

gênante, impossible à effacer rituellement<br />

par une action commune ou une<br />

<strong>parole</strong> qui désagrège le ma<strong>la</strong>ise 12 . Chacun se<br />

sent gauche, englué dans l’embarras <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

situation, comme mis à nu, percé à jour dans<br />

sa légèreté. « Le silence scrute l’homme »,<br />

dit M. Picard 13 . Il n’y a plus rien à dire, ou<br />

bien toute <strong>parole</strong> émise serait une grossière<br />

diversion incapable <strong>de</strong> donner le change. Le<br />

silence a alors valeur d’abîme creusé dans le<br />

chemin jusqu’alors tranquille <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation.<br />

Il ouvre au coeur <strong>de</strong> l’échange une<br />

brèche <strong>de</strong> sens difficile à colmater car il<br />

accuse sans rémission l’insignifiance <strong>de</strong>s<br />

<strong>parole</strong>s précé<strong>de</strong>ntes, l’indifférence qui présidait<br />

à <strong>la</strong> rencontre, <strong>la</strong> pure mondanité <strong>de</strong>s<br />

propos échangés. L’autre est là comme un<br />

obstacle, il brise <strong>la</strong> souveraineté person-<br />

nelle en imposant une réplique qui ne peut<br />

être qu’une <strong>parole</strong> conjurant le vi<strong>de</strong>, et<br />

énoncée avec le sentiment désagréable<br />

qu’elle vient juste sortir d’embarras pour y<br />

retomber <strong>de</strong> plus belle si l’autre ne joue pas<br />

le jeu. « Le silence abrupt au milieu d’une<br />

conversation, dit Cioran, nous ramène soudain<br />

à l’essentiel : il nous révèle <strong>de</strong> quel prix<br />

nous <strong>de</strong>vons payer l’invention <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> ».<br />

Au fil <strong>de</strong> <strong>la</strong> conversation le silence, s’il<br />

dure, est une forme extérieure <strong>de</strong> l’intimité.<br />

Se taire revient à afficher son visage, ses<br />

mains, à livrer son corps à l’indiscrétion <strong>de</strong><br />

l’autre sans pouvoir se défendre <strong>de</strong> son<br />

attention réelle ou imaginaire 14 . Le silence<br />

qui tombe soudain sur une discussion<br />

épaissit l’écoulement du temps, il rompt <strong>la</strong><br />

fluidité antérieure du sens que conférait <strong>la</strong><br />

<strong>parole</strong>. L’espace est comme coagulé, l’interaction<br />

<strong>de</strong>vient grinçante, inopportune. Le<br />

timi<strong>de</strong> ne sait plus ou se mettre. Il faut parler,<br />

quitte à dire n’importe quoi, pour faire<br />

diversion, susciter un écran <strong>de</strong> sens autour<br />

<strong>de</strong> soi qui neutralise le trouble et réussit in<br />

extremis à sauver <strong>la</strong> face. Charles Juliet lors <strong>de</strong><br />

sa première rencontre avec le peintre Bram<br />

Van Vel<strong>de</strong> raconte le ma<strong>la</strong>ise né d’une<br />

mutuelle timidité qui provoque une attention<br />

à l’autre encore plus embarrassante :<br />

« Je m’assieds, il m’offre un verre, mais il ne<br />

peut supporter mon regard, ne cesse <strong>de</strong> se<br />

lever et se rasseoir. Une telle attitu<strong>de</strong> m’intimi<strong>de</strong><br />

encore plus, et j’ai le plus grand mal à<br />

bafouiller quelques questions. Pour échapper<br />

à <strong>la</strong> gêne qui nous gagne et rompre notre<br />

face à face presque silencieux, il me propose<br />

<strong>de</strong> marcher dans <strong>la</strong> rue. Dehors, une fois<br />

délivrés <strong>de</strong> nos regards, nous nous sommes<br />

mis à parler » 15 . D’être libérés d’une attention<br />

excessive à leur corps dénoue <strong>la</strong> <strong>parole</strong><br />

et les <strong>de</strong>ux hommes parlent ensuite pendant<br />

<strong>de</strong>s heures, dînent ensemble, sans plus<br />

connaître le ma<strong>la</strong>ise initial.<br />

LE SILENCE<br />

COMME RÉSERVE<br />

Pour se taire sans dommage <strong>de</strong>vant l’autre,<br />

il convient <strong>de</strong> le connaître déjà intimement,<br />

et <strong>de</strong> se sentir à l’abri <strong>de</strong> son regard ou <strong>de</strong><br />

son jugement. La complicité <strong>de</strong> l’amitié ou<br />

<strong>de</strong> l’amour dispense <strong>de</strong> <strong>la</strong> nécessité <strong>de</strong> tou-<br />

jours parler et ménage nombre <strong>de</strong> moments<br />

d’abandon. Des étrangers jouissent également<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> sérénité <strong>de</strong> pouvoir partager<br />

ensemble <strong>de</strong> longs silences sans en être<br />

indisposés. Ainsi les voyages en train ou en<br />

avion, les parcours en métro ou en bus, mettent<br />

justement en p<strong>la</strong>ce un rituel d’interaction<br />

fondé sur le mutisme réciproque <strong>de</strong>s<br />

vis-à-vis, même si le voyage dure <strong>de</strong>s<br />

heures. La discrétion qui isole les passagers<br />

est une forme routinière <strong>de</strong> silence 16 , elle<br />

prime nettement sur <strong>la</strong> prise <strong>de</strong> <strong>parole</strong> <strong>de</strong><br />

l’un d’entre eux qui risque <strong>de</strong> susciter <strong>la</strong><br />

gêne ou une fin <strong>de</strong> non recevoir. Des<br />

échanges courtois et brefs sont cependant<br />

possibles sur le temps qu’il fait au <strong>de</strong>hors,<br />

sur le confort discutable <strong>de</strong>s sièges, ou le<br />

souhait généreux que l’autre, qui vient <strong>de</strong><br />

sortir un sandwich <strong>de</strong> son sac, digère bien<br />

son repas. La longueur du voyage, <strong>la</strong> température<br />

du compartiment, les tracasseries du<br />

contrôleur, sont les prétextes <strong>de</strong> <strong>parole</strong>s peu<br />

compromettantes qui dispensent une version<br />

gauchie du silence mais ne tirent guère<br />

à conséquence. La réserve silencieuse peut<br />

être un mo<strong>de</strong> délibéré <strong>de</strong> défense, marquant<br />

une intention déc<strong>la</strong>rée <strong>de</strong> ne pas entrer en<br />

contact avec l’autre. Elle vise à prévenir le<br />

souci <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir se mobiliser dans un dialogue<br />

qui retrancherait à <strong>la</strong> volonté <strong>de</strong> se<br />

reposer, <strong>de</strong> lire, <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r le paysage. Elle<br />

se nourrit aussi <strong>de</strong> <strong>la</strong> crainte <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir susciter<br />

une intimité difficile ensuite à rompre.<br />

La solitu<strong>de</strong> ne se préserve efficacement dans<br />

ces circonstances que par un mur <strong>de</strong> silence<br />

que nul ne doit oser franchir. Si l’autre est<br />

mis en <strong>de</strong>meure <strong>de</strong> « briser » le silence, il<br />

préfère en général s’abstenir plutôt que <strong>de</strong><br />

provoquer un ma<strong>la</strong>ise.<br />

RUPTURE DE PAROLE<br />

Le silence naît également <strong>de</strong> <strong>la</strong> rupture par<br />

un acteur <strong>de</strong> <strong>la</strong> règle <strong>de</strong> réciprocité du discours,<br />

il ne répond plus aux <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s pressantes<br />

qu’on lui adresse, il refuse soudain <strong>la</strong><br />

« comédie <strong>de</strong> disponibilité » (Goffman).<br />

Melville raconte ainsi l’histoire <strong>de</strong> Bartleby,<br />

un employé <strong>de</strong> bureau qui après avoir satisfait<br />

aux exigences <strong>de</strong> sa fonction pendant<br />

<strong>de</strong>s semaines déci<strong>de</strong> soudain <strong>de</strong> ne plus<br />

s’occuper que <strong>de</strong> quelques travaux. Son<br />

employeur lui confie un jour une mo<strong>de</strong>ste<br />

mission, mais Bartleby refuse. D’une phrase<br />

<strong>la</strong>conique : « Je préférerais ne pas le faire »,<br />

il repousse une à une les tâches qu’on lui<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’effectuer. Ensuite, malgré l’insistance<br />

<strong>de</strong> son patron ou <strong>de</strong>s autres employés,<br />

il ne répond plus, plongé dans un silence<br />

impénétrable qui rompt le jeu <strong>de</strong> <strong>la</strong> réciprocité<br />

<strong>de</strong> l’interaction et provoque un trouble<br />

grandissant. Bartleby inverse le statut <strong>de</strong><br />

participation qui enjoint à l’employé <strong>de</strong> se<br />

soumettre à un ordre raisonnable <strong>de</strong> son<br />

patron ou, au moins, <strong>de</strong> justifier du motif <strong>de</strong><br />

ne pas y souscrire aussitôt. Les tentatives<br />

pour l’amener à sortir <strong>de</strong> sa réserve<br />

échouent une à une : <strong>la</strong> menace, <strong>la</strong> séduction,<br />

et même <strong>la</strong> compassion, se heurtent à<br />

<strong>la</strong> même litanie que suit un silence que nul<br />

n’arrive à dissiper. Bartleby refuse même <strong>de</strong><br />

quitter le bureau où il s’est installé, muet<br />

<strong>de</strong>vant les sommations, tranquille muraille<br />

<strong>de</strong> silence face à ses compagnons médusés,<br />

impuissants à se débarrasser <strong>de</strong> lui. Toute<br />

tentative <strong>de</strong> comprendre son attitu<strong>de</strong>, <strong>de</strong><br />

remonter le fil <strong>de</strong> son histoire, se heurte à<br />

une fin <strong>de</strong> non recevoir. Le silence, qui ne<br />

peut être longtemps une réponse dans une<br />

discussion, à moins d’incommo<strong>de</strong>r fortement<br />

le questionneur, voire même <strong>de</strong> lui<br />

faire perdre patience, est l’unique mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

présentation <strong>de</strong> soi <strong>de</strong> Bartleby. Il force les<br />

autres à s’interroger longuement, non sans<br />

désarroi, comme le montre l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> son<br />

employeur qui lui cherche <strong>de</strong>s excuses,<br />

manière <strong>de</strong> retenir encore Bartleby dans le<br />

lien social, quitte même à lui attribuer un<br />

statut <strong>de</strong> chose tranquille et inoffensive :<br />

« Oui, Bartleby, pensai-je, reste là <strong>de</strong>rrière<br />

ton paravent, je ne te persécuterai plus ; tu<br />

es aussi inoffensif, aussi silencieux<br />

qu’aucune <strong>de</strong> ces vieilles chaises ; bref, je ne<br />

me sens jamais autant à mon aise que<br />

lorsque je te sais là. Du moins je sens, je<br />

vois, je pénètre <strong>la</strong> raison d’être pré<strong>de</strong>stinée<br />

<strong>de</strong> ma vie... D’autres peuvent avoir <strong>de</strong>s rôles<br />

plus élevés à jouer ; quant à moi, ma mission<br />

en ce mon<strong>de</strong>, Bartleby, est <strong>de</strong> te fournir un<br />

bureau aussi longtemps que tu trouveras<br />

bon d’y rester » 17 . Son employeur fait du<br />

copiste le possesseur d’une vérité qui lui<br />

<strong>de</strong>meure interdite, mais dont il pressent le<br />

possible bienfait. Il projette sur <strong>la</strong> retraite <strong>de</strong><br />

Bartleby une signification qui justifie son<br />

exil <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> et le décharge légitimement<br />

<strong>de</strong>s règles <strong>de</strong> conversation ou <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>voirs<br />

envers son patron. Le doute est ainsi tranché<br />

en sa faveur : pour quelque mystérieuse<br />

raison, connue <strong>de</strong> lui seul, le copiste se tient<br />

en réserve <strong>de</strong>s rites <strong>de</strong> communication. Mais<br />

une telle attitu<strong>de</strong> n’est guère supportable<br />

longtemps. En cassant les règles <strong>de</strong> réciprocité<br />

<strong>de</strong>s échanges et en faisant du silence<br />

son seul mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> communication, Bartleby<br />

se condamne à l’exclusion car dans <strong>la</strong> vie<br />

quotidienne le silence n’est qu’une réponse<br />

provisoire appuyée sur <strong>de</strong>s motifs sousentendus<br />

par les membres <strong>de</strong> l’interaction.<br />

En en faisant le style <strong>de</strong> son rapport au<br />

mon<strong>de</strong>, sans que jamais ses partenaires<br />

soient en mesure <strong>de</strong> se saisir d’une quelconque<br />

bribe <strong>de</strong> sens, Bartleby entre en dissi<strong>de</strong>nce<br />

et détruit le lien social. Il fait fonctionner<br />

le silence comme un refus radical du<br />

<strong>la</strong>ngage, et sa position avec le temps <strong>de</strong>vient<br />

intenable. Une mesure <strong>de</strong> retrait <strong>de</strong> <strong>la</strong> communication<br />

aussi définitive suscite une réaction<br />

collective d’une égale ampleur, Bartleby<br />

est exilé dans un établissement pénitentiaire<br />

où l’on gar<strong>de</strong> aussi les fous. Il y pratique<br />

<strong>la</strong> même abstention <strong>de</strong> <strong>parole</strong> et <strong>de</strong><br />

participation au lien social. Surnommé le<br />

« silencieux » par son geôlier, il se <strong>la</strong>isse<br />

mourir <strong>de</strong> faim.<br />

Mais bien entendu Bartebly n’est en<br />

défaut <strong>de</strong> <strong>la</strong>ngage que pour <strong>de</strong>s normes<br />

d’interaction qui accor<strong>de</strong>nt à <strong>la</strong> <strong>parole</strong> une<br />

éminence particulière. Pour une société faisant<br />

vertu du silence ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> sobriété <strong>de</strong>s<br />

propos l’étonnement ne serait pas tant le<br />

mutisme <strong>de</strong> Bartleby que l’obsession <strong>de</strong> ses<br />

partenaires à le faire parler. Chaque culture<br />

connaît ses usages licites et intolérables du<br />

silence. Parler n’est pas toujours <strong>la</strong><br />

meilleure solution, et d’ailleurs le silence a<br />

toujours le <strong>de</strong>rnier mot. ■<br />

EXILS MINEURS DE LA PAROLE<br />

NOTES<br />

1. Pour une plus <strong>la</strong>rge réflexion sur le silence<br />

dans l’économie <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>parole</strong> ou dans le lien<br />

social nous renvoyons à notre ouvrage, LE<br />

BRETON D., Du silence, Paris, Métailié (à<br />

paraitre fin 1997).<br />

2. SCOLLON R., « The machine stops : silence<br />

in the metaphor of malfunction », in TANNEN<br />

D., SAVILLE-TROÏKE M. (eds), Perspectives on<br />

silence, Norwood, Ablex, 1985, 24.<br />

3. BASSO K. H., « To give up on words : silence<br />

in Western Apache culture », in GIGLIOLI P.<br />

P. (ed.), Language and social context,<br />

Harmondsworth, Penguin, 1972, p 67- 87.<br />

4. TANNEN D., « Silence : anything but », in<br />

TANNEN D., SAVILE-TROÏKE M., op. cit.,<br />

p 108.<br />

5. SAVILE-TROÏKE M., «The p<strong>la</strong>ce of silence in an<br />

integrated theory of communication », in TANNEN<br />

D., SAVILE-TROÏKE M., op. cit., p 13.<br />

6. CARROLL R., Evi<strong>de</strong>nces invisibles : Américains et<br />

Français au quotidien, Paris, Seuil, 1987, p 62.<br />

7. GOFFMAN E., Les cadres <strong>de</strong> l’expérience, Paris,<br />

Minuit, 1991, 223 sq.<br />

8. HYMES D., Foundations in sociolinguistics : an ethnographic<br />

approach, Phi<strong>la</strong><strong>de</strong>lphia, University of<br />

Pennsylvania Press, 1974.<br />

9. Pour signifier <strong>la</strong> tombée abrupte du silence<br />

dans une assemblée, les anciens Grecs<br />

disaient « Hermès est entré ». Allusion à <strong>la</strong><br />

ouate <strong>de</strong> silence qui enveloppe le dieu dans<br />

différentes circonstances : quand il marche<br />

aucun bruit ne se fait entendre, les chiens<br />

n’aboient jamais à son passage, et Hermès<br />

est également fameux pour un vol réalisé<br />

dans sa jeunesse au détriment d’Apollon,<br />

(TASINATO M., L’oeil du silence. Eloge <strong>de</strong> <strong>la</strong> lecture,<br />

Paris, Verdier, 1989, p 91 sq).<br />

10. BARONNE STAFFE, Usages du mon<strong>de</strong>. Règles <strong>de</strong><br />

savoir-vivre, Paris, 1927, p 149- 150.<br />

11. TANNEN D., op. cit., p 93- 111.<br />

12. cf LE BRETON D., Anthropologie du corps et<br />

mo<strong>de</strong>rnité, Paris, PUF, 1995 (3e éd. mise à jour).<br />

13. PICARD M., Le mon<strong>de</strong> du silence, Paris, PUF,<br />

1953, p 3.<br />

14. LE BRETON D., Anthropologie du corps et mo<strong>de</strong>rnité,<br />

op. cit.<br />

15. JULIET C., Journal I (1957- 1964), Paris,<br />

Hachette, 1978, p 308.<br />

16. JAWORSKI A., The power of silence. Social and pragmatic<br />

perspectives, London, Sage, 1993, p 56 sq.<br />

CARROLL R. suggère que dans les mêmes<br />

conditions les Américains induiraient <strong>la</strong> distance<br />

à travers <strong>la</strong> conversation (CARROLL R.,<br />

op. cit., p 53 sq).<br />

17. MELVILLE H., « Bartleby l’écrivain », Benito<br />

Cereno, Paris, Gallimard, 1951, p 73- 74.<br />

19

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!