Atrium, Farwell Building, Detroit Fisher Body 21 Plant, Detroit
II. Le contexte : Detroit Ce n’est pas par hasard que le travail d’Yves Marchand et Romain Meffre se concentre sur la ville de Detroit. Cette ville est un exemple de « Shrink city », ces villes ayant connu consécutivement un essor démographique fulgurant puis un exode massif de population. Il est donc important pour appréhender le travail des deux photographes de revenir sur l’histoire de la ville. Au début du XX e siècle, grâce à l’invention des chaînes d’assemblage, Detroit devient rapidement la capitale mondiale de l’automobile, et la 4 e plus importante ville du continent américain. « Motor City » a littéralement fabriqué ce qui allait devenir le modèle économique et industriel de nos sociétés modernes. Mais à partir des années 50, la désindustrialisation, la ségrégation et la désertion progressive de la ville pour les banlieues font passer la population de près de 2 millions à 800 000 habitants en une cinquantaine d’années à peine. Les ruines de Detroit offrent aujourd’hui une vision grandiose et terrifiante du déclin d’un véritable empire. Une croissance fulgurante de 1830 à 1950 Au cours du XIX e siècle, les urbanistes, suivant la philosophie du « City Beautiful 1 » construisent à Detroit un certain nombre de bâtiments de style Beaux-Arts et Baroque. Vers la fin du siècle, la ville est alors surnommée le « Paris du Midwest » pour son architecture élégante et ses espaces publics ouverts. La situation stratégique de Detroit au cœur des voies navigables des Grands Lacs en fait un centre logistique. La ville grandit continuellement à partir de 1830 autour du transport lacustre, des chantiers navals et des industries manufacturières. En 1896, Henry Ford y construit sa première fabrique automobile dans un atelier situé sur Mack Avenue. En 1904, il fonde la Ford Motor Company. Ford, ainsi que d’autres pionniers de l’automobile comme William Crapo Durant, les frères Dodge, Packard, et Walter Chrysler contribuent alors au statut de capitale mondiale de l’automobile attribué à Detroit. Entre 1900 et 1930, la ville se développe de manière exponentielle. Sa population s’accroit rapidement, entrainée par le développement de l’industrie automobile, grâce à l’immigration européenne et aussi à la migration des populations (blanches et noires) du Sud des États-Unis. En trente ans, la population augmente de 265 000 à plus de 1,5 million d’habitants. La croissance fulgurante de la cité ne se fait pas sans sacrifices. L’ air et l’eau de la région sont pollués, et les rives du lac sont outrancièrement industrialisées et interdites aux résidents. Des taudis se développent dans plusieurs quartiers, en particulier la partie est, de plus en plus peuplée par les Afro-Américains, dès 1920. La tension raciale entre les résidents noirs et blancs mène dès 1943 à des émeutes particulièrement violentes qui coûteront la vie à 34 personnes. Les Blancs pauvres s’opposent aux Noirs avec qui ils sont en concurrence sur un marché du travail organisé de façon à exclure les Africains-Américains des postes à responsabilités (donc mieux rémunérés) au sein des usines et leur interdire toute forme d’avancement et d’évolution de carrière. 1 City beautiful : le City Beautiful est un mouvement architectural et urbanistique qui se développa dans les années 1890 et 1900 en Amérique du Nord. La recherche de la beauté dans une finalité sociale et civique anime cette tendance. Les tenants du City Beautiful sont imprégnés du style de l’école des Beaux-Arts qui insistait sur l’ordre, la dignité et l’harmonie. Les formes retenues sont celles du néoclassicisme. D’autres villes s’inspirèrent des théories du City Beautiful pour rénover leur plan (Chicago, Cleveland, Montréal, Denver, San Francisco).