INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
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CHAPITRE II. L'OBJET DE L'HISTORIOGRAPHIE : PÉRIODE, ÉVÉNEMENT, STRUCTURE, SÉRIE<br />
13<br />
1) L'événement comme structure problématique de l'objet<br />
historiographique<br />
1.1. Entre totalisation et singularisation : l'objectivation problématique de<br />
l'événement<br />
Dans le chapitre précédent, nous avons examiné différentes manières de mettre<br />
en question la « matière » de la pratique historiographique, à partir de certaines<br />
réflexions d'historiens et d'épistémologues de l'historiographie sur les documents,<br />
sources, « traces » et « archives » qui conditionnent matériellement l'écriture de<br />
l'histoire. Nous aborderons dans ce dernier chapitre le problème de la construction de<br />
l'objet de l'historiographie. On entendra ici par « objet », non pas tel ou tel faits<br />
historiques, mais la structure qui permet de sélectionner et d'organiser les matériaux<br />
analysés, en fonction d'une cohérence qui n'est pas simplement « donnée » par les<br />
sources documentaires, mais qui doit être construite par l'historien ou par la<br />
communauté scientifique historienne. Le problème de « l'objet » de l'historiographie, en<br />
ce sens, n'est autre que le problème de ce qui donne une signification historique à tels<br />
ou tels faits. On pourrait considérer qu'il suffit à un « fait » quelconque d'être passé pour<br />
prendre une telle signification. Ce serait cependant une affirmation parfaitement vide,<br />
indéterminée, et ne correspondant à rien du point de vue de la pratique de connaissance<br />
qu'est l'histoire. Un historien n'étudie jamais « le passé » en général, ni des « faits<br />
passés » en général : il étudie une certaine période du passé (qui peut être plus ou moins<br />
étendue, et définie de différentes façons), et certains faits susceptibles de rendre<br />
intelligible cette période comme un système de transformations (qu'il s'agisse de<br />
transformations de certaines institutions, de pratiques sociales, de représentations<br />
collectives, de modes de vie et de conduites quotidiennes, etc.). L'objet de<br />
l'historiographie est donc toujours déterminé par une double opération : une opération<br />
de totalisation (quel est le système de transformations qu'il faut restituer pour expliquer<br />
telle séquence historique ?) et une opération de singularisation (quels sont les faits qu'il<br />
faut tenir pour significatifs à l'intérieur de cette restitution explicative). On s'attachera à<br />
montrer ici que le concept d'événement en historiographie est précisément le concept qui<br />
condense cette double opération, de totalisation et de singularisation, et que c'est<br />
précisément la raison pour laquelle ce concept d'événement a pu si souvent focaliser les<br />
débats et les dissensions internes au champ de la discipline historiographique.<br />
Qu'on l'accepte ou qu'on le refuse, qu'on le reprenne sans critique ou qu'on<br />
s'emploie à lui donner une nouvelle signification épistémique, le concept d'événement<br />
exhibe chaque fois les présupposés d'une méthodologie historiographique, tant au regard<br />
de la compréhension qu'elle implique de l'opération de totalisation, qu'au regard de sa<br />
conception de ce qui fait la spécificité d'un fait historique. Pour le formuler en sens<br />
inverse : les différentes manières de comprendre (et d'opérer) la totalisation d'une<br />
séquence historique, et les différentes manières de comprendre la fonction épistémique<br />
des faits qui seront mobilisés dans l'explication de cette séquence, détermineront des<br />
conceptions différentes de l'événement historique. A titre simplement heuristique, on<br />
pourrait distinguer au moins trois manières de faire jouer la catégorie d'événement dans<br />
les procédures de rationalisation mises en oeuvre par un récit historiographique :