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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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considérait acquis du point de vue historiographique ?<br />

C'est précisément dans cette perspective de questionnement que le programme<br />

de Gramsci – ou du moins son inspiration générale, visant ce rapport problématique<br />

entre un état de « subalternité » et l'accès à un seuil d'une historicité appropriable par<br />

des groupes sociaux dominés – sera repris plus tard par des historiens et historiennes<br />

indiennes 10 qui fonderont le groupe des Subaltern Studies, se donnant pour tâche<br />

(d'abord au sein de la revue éponyme créée au début des années 1980) de reposer la<br />

question de l’autonomie des groupes subalternes, au croisement d'une réappropriation<br />

de leur histoire (historiographie) et d'une conquête de leur capacité d'action collective et<br />

d'émancipation (politique) 11 . Comme l'expliquait en 2009 un spécialiste de la question<br />

de la subalternité dans l'héritage de Gramsci,<br />

cette tradition [des Subaltern Studies] souligne en effet la « prise de parole politique » des<br />

subalternes, dans ce cas des paysans indiens, au moyen de formes d'agir social qui à nos yeux<br />

peuvent ne pas sembler directement politiques, mais plutôt appartenir à un contexte prémoderne<br />

: les révoltes agraires, les rituels magiques, le banditisme (Guha, 1983). Les subaltern<br />

studies ont ainsi lancé un défi aux récits narratifs linéaires et progressifs, autant bourgeois que<br />

communistes, en soulignant comment la portée politique d'un acte ne réside pas seulement à<br />

l'intérieur des coordonnées du rationalisme occidental, c'est à dire celle du sujet porteur des<br />

droits au sein du cadre de la citoyenneté, mais est aussi exprimée par des sujets qui sont en<br />

dehors de ce cadre, ignorés et exclus par la force, et qui s'inscrivent dans une temporalité<br />

différente. Dans notre monde globalisé, des métropoles européennes jusqu'aux pays asiatiques,<br />

cette donne est de plus en plus évidente. Nous nous trouvons véritablement en présence de ce<br />

que Dipesh Chakrabarty a appelé (sur les traces de Ernst Bloch et Reinhart Koselleck) la<br />

« contemporanéité du non-contemporain » (Chakrabarty, 2000). 12<br />

On notera cependant que le problème ainsi posé d'une historiographie des<br />

groupes dominés, se retrouve tout autant pour toutes autre sortes de « subalternes », de<br />

populations maintenues en état de minorité, voire épinglées comme catégories<br />

« déviantes ». C'est le problème, pour le dire de la façon la plus générale, que rencontre<br />

toute historiographie visant ceux qui n'ont pas voix au chapitre, qui n'ont pas eu accès<br />

aux moyens indissociablement matériels, symboliques, et politiques, de l'archive (à<br />

commencer par le moyen de l'écriture), ou qui furent exclus des conditions<br />

socioinstitutionnelles de l'enregistrement des discours (par « invisibilité » sociale, par<br />

mépris, par répression de tout accès à l'expression, ou par maintien forcé en deçà du<br />

seuil de « dignité » à partir duquel on estime qu'une expression mérite d'être<br />

enregistrée). En somme, tous ces éternels « parlés » qui ne furent jamais eux-mêmes<br />

entendus en reconnus comme « parlants ». Prenons-en ici pour témoignage les<br />

difficultés auxquelles se confronte le chercheur qui entend s'engager dans le champ de<br />

l'histoire de cette universelle minorité que sont les femmes, en empruntant les<br />

10 Historiens et historiennes souvent passés par une formation universitaire aux Etats-Unis, et marqués<br />

notamment par la « french theory », construite dans les départements américains de littérature et de<br />

« cultural studies » à partir des oeuvres de Jacques Derrida, de Gilles Deleuze, et de Michel Foucault.<br />

11 Voir Gayatri SPIVAK, Can the Subaltern Speak ?, 1988, tr. fr. J. Vidal, Les subalternes peuvent-elles<br />

parler ?, Paris, Éditions Amsterdam, 2006.<br />

12 M. FILIPPINI, « Subalternes de l'Etat ou sans l'Etat ? », intervention prononcée lors de la journée<br />

d'étude « Subjectivités politiques : mémoires, affects, pratiques », du Forum International de Philosophie<br />

Sociale et Politique GRM/ERRAPHIS-Toulouse, à l'ENS de Paris, mercredi 14 avril 2009. Filippini fait<br />

allusion ici à deux ouvrages classiques des Subaltern Studies : Ramachandra GUHA, Elementary Aspects<br />

of Peasant Insurgency in Colonial India, Delhi, OUP, 1983 ; et Dipesh CHAKRABARTY, Provincialiser<br />

l'Europe. La pensée postcoloniale et la différence historique, tr. fr. N. Vieillescazes, O. Ruchet, Paris,<br />

Editions d'Amsterdam, 2009.

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