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INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...

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grandes unités nationales dont le capitalisme avait besoin, venaient de loin dans le temps et<br />

avaient, à travers des révolutions diverses, affirmé et maintenu leur unité. 60<br />

L’histoire était alors utilisée pour donner une pseudo-éternité à l'état de la société<br />

actuelle. En faisant de celle-ci le point terminal d'évolutions historiques plongeant leurs<br />

racines dans le lointain des siècles, elle visait à leur donner une nécessité intangible.<br />

L'historiographie avait pour fonction de montrer que le règne de la bourgeoisie « n’était<br />

que le résultat, le produit, le fruit d’une lente maturation et que dans cette mesure là ce<br />

règne était parfaitement fondé ». Elle apprenait en somme que, s'il y avait eu de<br />

l'histoire, désormais il n'y en aurait plus. En sanctifiant le présent, elle l'éternisait.<br />

L'histoire servait à déshistoriciser l'état actuel des choses.<br />

Contre quoi la pratique contemporaine de l’histoire se montrerait attachée<br />

désormais à « l’analyse des transformations dont sont effectivement susceptibles les<br />

sociétés » 61 . D’où une modification des catégories fondamentales de l’historiographie,<br />

qui substitue aux concepts de « temps » et de « passé » ceux de changement et<br />

d’événement. La critique menée par l’Ecole des Annales contre la notion traditionnelle<br />

d’événement, indexée sur les hauts faits de l’histoire politique, militaire ou<br />

diplomatique, a rendu possible un nouveau concept d'événement qui soutient un<br />

nouveau rapport de l'histoire aux documents constituant son matériau de travail.<br />

Foucault se réfère particulièrement à un méthode historiographique appelée « l’histoire<br />

sérielle », qui fait apparaître des procédés de production d’une événementialité multiple<br />

et variable en fonction de constructions de séries 62 . La mise en série consiste à établir au<br />

sein d'un corpus de documents un ensemble de corrélations permettant de mettre au jour<br />

entre eux des jeux de répétition et de variation, de récurrence et de modification 63 , un<br />

document placé dans une série différente impliquant alors d’autres relations, entrant<br />

dans d'autres récurrences et d’autres variations, et pouvant ainsi prendre une tout autre<br />

signification. Dès lors de tels procédés sériels, loin de « dissoudre [l’événement] au<br />

profit d’une analyse causale ou d’une analyse continue », induisent plutôt une<br />

multiplication des « couches d’événement » : l'histoire se présente « comme un<br />

enchevêtrement de discontinuités superposées » 64 . Et l'analyse historiographie n'a<br />

nullement à opposer la diachronie des évolutions à la synchronie des structures, mais à<br />

analyser les multiplicités de diachronies dont les structures (ou plutôt les séries)<br />

respectives ne sont pas synchrones entre elles, n'ont pas le même rythme, ne battent pas<br />

la même mesure.<br />

Foucault croise ici les leçons de BRAUDEL sur les temps multiples de l'histoire,<br />

et les techniques sérielles mises en oeuvre par CHAUNU. Du premier, il retrouve la<br />

nécessité de distinguer plusieurs strates de durées – « durée courte » et « en quelque<br />

sorte vibratoire », « cycles plus importants », « trends séculaires », « grands<br />

60 Ibid., p. 272.<br />

61 Ibid., p. 272.<br />

62 L'expression d'« histoire sérielle » est forgée par Pierre CHAUNU, pour qualifier la méthode qu'il met<br />

d'abord en oeuvre avec Huguette CHAUNU dans Séville et l’Atlantique (1504-1650), Paris, S.E.V.P.E.N.,<br />

1955-1960, 12 vol. Il y reviendra par la suite dans différents articles, notamment « Histoire quantitative et<br />

histoire sérielle », in Cahiers Vilfredo Pareto, Genève, Droz, n°3, 1964, p. 165-175, rééd. in Histoire<br />

science sociale, Sedes, 1974. Voir également F. BRAUDEL, « Pour une histoire sérielle : Séville et<br />

l'Atlantique (1504-1650) », Annales. Economies, Sociétés, Civilisations, 18è année, n° 3, 1963, p. 541-<br />

553 (article accessible en ligne) ; et F. FURET, « L'histoire quantitative et la construction du fait<br />

historique », in Faire de l'Histoire, t. I, p. 42-62.<br />

63 M. FOUCAULT, « Revenir à l'histoire », op. cit., p. 277.<br />

64 Ibid. p. 279.

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