INTRODUCTION À L'ÉPISTÉMOLOGIE DES SCIENCES ...
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métaphore maritime fait directement écho au travail de Braudel sur le monde<br />
méditerranéen, et joue moins sur les images optiques du reflet ou du trompe-l'oeil<br />
(images classiques pour figurées l'illusion) que sur les images physiques de<br />
l'accélération et de l'amplification (de vastes mouvements sous-marins produisant leurs<br />
effets à la surface de l'eau suivant une temporalité à la fois différée et précipitée) :<br />
« Méfions-nous de cette histoire brûlante encore, telle que les contemporains l'ont<br />
sentie, décrite, vécue, au rythme de leur vie, brève comme la nôtre […] monde aveugle,<br />
comme tout monde vivant, comme le nôtre, insouciant des histoires de profondeurs, de<br />
ses eaux vives sur lesquelles notre barque file comme le plus ivre des bateaux » 53 .<br />
b/ Le temps plus long – plus lent – des institutions, mais aussi des structures<br />
économiques, sociales, mentales, qui ne sont pas sans changements, mais qui se<br />
transforment à leur tour selon d'autres vitesses et d'autres coordonnées que la<br />
temporalité précédente, et dont les « durées » ou les rythmes de mutation ne sont donc<br />
pas commensurables avec elle. Ce sont ces durées des profondeurs que peuvent<br />
permettrent d'éclairer les sciences économiques, sociologiques et démographiques,<br />
imperceptibles aux contemporains, et donc restituables seulement par des opérations<br />
spécifiques d'objectivation.<br />
c/ Enfin, la « très longue durée » du temps « géographique », quasi<br />
« géologique » – « presque immobile » –, qui ancre les devenirs des structures sociales<br />
et économiques, et des civilisations mêmes, dans les durées remarquablement lentes des<br />
structures anthropologiques où se nouent les rapports des hommes à leur milieu<br />
physique.<br />
Cette pluralisation et cet étagement des temps de l'histoire ne vont pas sans<br />
ouvrir plusieurs questionnements, concernant la spécificité de l'historiographie par<br />
rapport aux autres sciences sociales, concernant la spécificité de son objet, concernant la<br />
manière dont ces différentes durées s'articulent, voire peuvent se télescoper. Dans son<br />
article « Histoire et sciences sociales. La longue durée » 54 , où il s'interroge notamment<br />
sur les mathématiques sociales et sur les apports que l'historiographie peut tirer des<br />
recherches en sociologie quantitative, Braudel suggèrera que l'objet propre de l'histoire<br />
est et reste la durée elle-même, comme vecteur de changement et de transformation des<br />
formes sociales, aussi lents en soient les rythmes structuraux : « Dans le langage de<br />
l'histoire […], il ne peut guère y avoir de synchronie parfaite : un arrêt instantané,<br />
suspendant toutes les durées, est presque absurde en soi, ou, ce qui revient au même,<br />
très factice » 55 . Face aux entreprises de modélisation déployées par les économistes et<br />
sociologues mathématiciens, l'historien rappel que même leurs modèles quasi<br />
intemporels sont encore soumis à la durée, fût-ce la « très longue durée », c'est-à-dire<br />
encore et toujours au changement :<br />
Réintroduisons en effet la durée. J'ai dit que les modèles étaient de durée variable : ils valent le<br />
temps que vaut la réalité qu'ils enregistrent. Et ce temps pour l'observateur du social, est<br />
primordial, car plus significatifs encore que les structures profondes de la vie sont leurs points de<br />
rupture, leur brusque ou lente détérioration sous l'effet de pressions contradictoires. […] En fait,<br />
l'historien ne sort jamais du temps de l'histoire : le temps colle à sa pensée comme la terre à la<br />
bêche du jardinier. 56<br />
53 Ibid.<br />
54 Ibid., p. 41-83.<br />
55 Ibid., p. 66.<br />
56 Ibid., p. 71, 75.