DR DR experiencemore BY GORE-TEX ® PRODUITS \ COMMUNIQUÉ LIONEL DAU<strong>DE</strong>T « LOINTAINE OU PROCHE, L’AVENTURE T’ENVAHIT D’UN SENTIMENT ULTIME » DR
Faut-il partir loin de chez soi pour vivre l’aventure ? Pas nécessairement. L’aventure n’est pas synonyme d’éloignement mais de découverte et d’inconnu. Trouver un terrain d’aventure près de chez soi n’est pas pour autant facile : il faut regarder les choses différemment et considérer son environnement avec un regard neuf. Un terrain conventionnel peut alors révéler des territoires étonnement vierges. Ce fut le cas sur l’arête haute alpine ? Précisément. L’envie de ce marathon des cimes est le fruit d’une lecture nouvelle des montagnes qui me sont familières, là où je vis, dans les Hautes-Alpes. J’imaginais y tracer une route d’altitude courant sur les limites administratives du département. Une traversée prodigieuse : 292 sommets, dont 128 de plus de 3000 mètres, réunis par la même crête totalisant 70.000 mètres de dénivelé positif. Il nous a fallu trois mois pour boucler l’affaire (entre le 15 avril et le 15 juillet 2007) avec Guillaume Christian, Fred Jullien, puis Martieu Cortial, mes compagnons de cordée. Ça n’a pas été facile, dis-tu. Une arête, c’est un empilement sur la longueur. Tu escalades corde tendue, sans jamais te reposer. Le mouvement est permanent. Il se répète et dure, huit heures, dix heures, voire plus. Ce fil d’abord imaginaire prend une dimension physique inattendue qui tend tes muscles à l’extrême. Cette exigence se double d’une mobilisation intellectuelle de tous les instants pour tracer sous tes pas l’itinéraire le plus conforme à l’idée que tu t’en es faite sur la carte : rester le plus proche possible de cette limite géographique. À deux pas de chez toi, dans une montagne que tu crois connaître, tu découvres alors des complexités insoupçonnées. C’est un inconnu sidérant. Par certains aspects, s’installer dans la durée de cet exercice de funambule touche presque au sacré. Une arête, c’est l’ombre et la lumière réunies dans le même vide. Tu te trouves en équilibre à la frontière de la terre et du ciel sans jamais rien au-dessus de toi. C’est un sommet qui dure. Dans cet élément, ton univers est fait d’espace. Tu es un passager voguant sur des cimes éphémères, des lignes indépassables. Tu n’es plus dans le monde des hommes, ni dans celui de la terre. Tu touches à une autre dimension quasiment spirituelle. On imagine qu’il en ressort une émotion rare ? Rare et pleine. Le temps de l’ascension devient le temps de la traversée. L’aller-retour vers les cimes devient une boucle qui s’étale sur le calendrier. Tu dépasses ce sentiment de frustration habituel rythmé par le départ vers le sommet et déjà le retour. En t’inscrivant dans la durée, tu t’imprègnes littéralement de l’histoire de l’altitude. J’y ai grappillé des milliers de pépites de lumière et de joie. Avec ce regard neuf et déconditionné qui considère différemment les choses, chacun peut vivre l’aventure à sa porte et à son rythme. En va-t-il autrement quand on pousse les limites de son engagement ? Naturellement, mais l’approche est identique : il y a l’aventure qui se montre sous les feux de la rampe sur des terrains largement défrichés, et il y a l’ailleurs. C’est aujourd’hui vers lui que se porte mon regard : les grandes terres du sud où de grands pans d’ombre restent à éclairer en se détournant des horizons classiques de la montagne. Mon avant-dernière expédition à bord du Marion Dufresne illustre cette approche. Monter à bord de ce navire ravitailleur qui relie quatre fois par an la Réunion aux Terres Antarctiques Françaises, est déjà une aventure en soi. 55 LE MAGAZINE GRATUIT OUTDOOR / NUMERO 24 / experiencemore BY GORE-TEX ® PRODUITS \ COMMUNIQUÉ Et du point de vue exploratoire ? Nous avons profité d’une rotation pour ouvrir des voies sur le Mont Ross, gravi seulement deux fois avant nous. C’est un ancien volcan couvert de givre qui semble sorti d’une bande dessinée fantastique avec un côté à la fois sinistre et beau. C’est une forteresse qui s’impose avec une silhouette très différente du symbolisme classique de la montagne. Tu as du mal à y trouver des repères traditionnels. Pour corser le tout, les îles de Kerguelen où s’élève ce château sombre se posent juste sur la route de toutes les dépressions. Ce sont des terres de désolation où l’aventure tombe de facto telle qu’on l’imagine sur un territoire vierge et engagé. Fouler ce confetti perdu tout au sud de la planète, fouler des faces qui n’avaient pas vu l’être humain, te place d’emblée dans un état de fragilité ultime où la moindre péripétie peut prendre un tour dramatique. Il faut donc être infaillible, physiquement comme dans sa tête ? Cette découverte t’oblige à ouvrir grand les yeux et à mobiliser tous tes sens et toute ton expérience. Cette aventure a été pour moi une synthèse de toutes mes connaissances alpines, et notamment mes années de solo. Il faut être capable de gérer une tempête qui survient sans prévenir, de supporter une humidité extrême et d’accepter un engagement total quand il s’agit de larguer les amarres dans une traversée cotée ED+ de trente heures sur des pentes à parfois 100° entre le petit et le grand Ross. Nous étions accrochés sur des encorbellements de givre, figés dans un univers en mouvement à des milliers de kilomètres de la première zone habitée. Peu à peu sur cette terre des premiers âges, intacte et absolue, on a retrouvé nos racines primitives et une symbiose originelle avec l’élément. Ce que j’en tire ? Un sentiment de bonheur infini, une imprégnation totale et au final un plaisir qui dure jusqu’à rebondir dans ton quotidien. J’ai puisé dans cette quête ultime du bonheur pour des décennies. DR Propos recueillis par Paul Molga / Free Presse