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ENTREVUE<br />
O L I V I A T A P I E R O<br />
S’ancrer<br />
quelque part<br />
Après son entrée remarquée en littérature en 2009<br />
avec son premier roman Les murs (VLB), lauréat du<br />
prix Robert-Cliche, Olivia Tapiero renoue avec un<br />
personnage qui s’ancre difficilement dans la<br />
réalité avec Espaces, sa deuxième œuvre.<br />
Par Alexandra Mignault<br />
Âgée d’à peine 22 ans, l’écrivaine Olivia Tapiero, qui étudie présentement en littérature,<br />
peut se targuer d’avoir déjà publié deux romans, dont le premier a remporté un prix<br />
prestigieux alors qu’elle n’avait que 19 ans. Cette jeune auteure possède un talent indéniable<br />
pour se mettre dans la peau de personnages tourmentés, des écorchés qui s’efforcent de<br />
saisir des parcelles de beauté au passage, et pour dépeindre des univers sombres, mais<br />
sans jamais tomber dans le pathos. L’auteure voit ses protagonistes comme des « êtres qui<br />
basculent sans cesse entre la noirceur et la lumière ». Son imaginaire est empreint de<br />
« personnages qui vacillent », qu’elle décrit comme des « arbres à moitié enracinés,<br />
à moitié flottants ». Belle image. Espaces foisonne d’images sublimes comme celle-ci.<br />
Dans Les murs, premier roman de l’auteure, la narratrice trouvait dommage d’être vivante<br />
après son suicide avorté; elle était obsédée par la mort, incapable d’habiter son corps. Cette<br />
fois, le personnage principal d’Espaces, Lola, vit dans l’errance à la suite du suicide de sa<br />
colocataire à qui elle n’avait pourtant jamais adressé la parole. Cette perte propulse Lola<br />
dans un silence dense, dans un abîme, hors du monde. Elle se réfugie dans l’ombre. Pour<br />
survivre. Cette mort prend toute la place; cette absence devient une présence muette. Ce<br />
fardeau lourd à porter, imposant, envahissant, anéantit une partie d’elle-même, l’anesthésie.<br />
Elle essaiera tant bien que mal de remonter à la surface, de se trouver un espace dans le<br />
monde, un espace à elle. Mais elle sera plutôt de passage partout où elle ira. « La pluralité<br />
des espaces était importante », explique Olivia Tapiero, puisque Lola n’habite pas les<br />
espaces; elle ne fait que les traverser. Elle ne reste nulle part. Elle rencontre des gens qu’elle<br />
côtoie brièvement. Les liens se rompent. Lola poursuit son chemin. Seule. La romancière<br />
concevait ces ruptures non pas comme des abandons, mais « comme une chorégraphie<br />
où des corps se croiseraient sans réellement se toucher ».<br />
Pourquoi avoir abordé le suicide dans ses deux œuvres? « Le rapport de l’être humain face<br />
à sa propre mort m’attire », répond Olivia Tapiero. « Le suicide est une des manifestations<br />
de ce rapport… D’ailleurs, il me semble bien que c’est de notre lien avec la mort que naissent<br />
notre conception du temps et notre capacité à créer de la fiction. » La romancière Olivia<br />
Tapiero écrit justement « parce que la vie ne suffit pas ». Écrire est une « mise en doute<br />
existentielle ». Les doutes incitent à la création. Dans ce sens, l’auteure considère-t-elle<br />
l’écriture comme un refuge? Non, pour elle, l’écriture représente l’errance. Peut-être<br />
est-ce la raison pour laquelle ses personnages naviguent dans des eaux incertaines, dans<br />
un espace de flottement, et qu’ils errent à la recherche de sens, d’un ancrage, d’une prise<br />
sur la vie. L’écrivaine met en scène ce mal de vivre, « parce que l’existence n’est pas une<br />
chose si évidente que ça », mais aussi, « pour mettre en doute, ébranler les certitudes que<br />
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© Olivier Hanigan<br />
nous avons ». Selon elle, cet état de mal-être ne reflète pas la société dans laquelle nous<br />
vivons. Au contraire. Il s’agit plutôt du contrerelief de la société, ce que nous ne voyons pas.<br />
La justesse du ton et du rythme dans Espaces se révèle remarquable. La musique inspire<br />
Olivia Tapiero dans sa façon de « dire les choses sans les dire ». Une fois le livre ouvert, nous<br />
ne pouvons que suivre la narratrice jusqu’au dénouement. Presque dans un seul souffle.<br />
Et ce roman profond et sensible nous reste dans la tête, dans le cœur surtout. L’écriture<br />
fragmentaire, poétique et imagée nous happe; la magnifique plume nous émeut. Une<br />
plume mature, maîtrisée et efficace. Étrangement, malgré le tumulte intérieur de Lola et<br />
malgré sa solitude infinie, la poésie de la vie ressort du récit, autant dans ses éclats que<br />
dans sa noirceur.<br />
Nous avons déjà hâte de lire le troisième roman de l’auteure, déjà amorcé. Contrairement<br />
à Lola, qui se cherche une place dans le monde, la romancière Olivia Tapiero a véritablement<br />
réussi à se créer un espace bien à elle dans le paysage littéraire québécois. Un espace<br />
essentiel à découvrir. Une voix touchante qui résonnera longtemps…<br />
ESPACES<br />
XYZ<br />
130 p. | 18$<br />
L I T T É R A T U R E Q U É B É C O I S E Q<br />
LE LIBRAIRE • NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2012 • 21