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Généralement, lire est une activité silencieuse. Mais avec Richard<br />
Brautigan, rien n’est moins vrai. Il est fort possible que vous<br />
éclatiez de rire en le lisant ou que vous poussiez un « Wow! »<br />
enthousiaste au détour d’une phrase qui vous aura fortement<br />
marqué. Richard Brautigan a un don pour trouver de belles<br />
formulations, surprenantes et universelles.<br />
Par Christian Girard, de la librairie Pantoute, et<br />
Marie-Hélène Vaugeois, de la librairie Vaugeois<br />
Richard Brautigan est né le 30 janvier 1935, sa mère venait de se séparer de<br />
son père lorsqu’elle a appris qu’elle était enceinte. Son paternel n’aurait appris<br />
la naissance de son fils qu’à la mort de celui-ci, quarante-neuf ans plus tard.<br />
Passionné par l’écriture, Brautigan décide très jeune de rompre les liens avec<br />
sa famille pour s’installer à San Francisco avec l’intention de sympathiser avec<br />
les membres de la beat generation. Son premier roman publié, Un général<br />
sudiste de Big Sur, est un tel échec commercial que son premier éditeur décide<br />
de ne pas publier ses autres romans. Pourtant, tout ce qui distingue l’œuvre<br />
de Brautigan, des chapitres courts avec des noms superbes et une action qui<br />
part dans tous les sens, y est déjà présent. Finalement, il connaît le succès<br />
avec La pêche à la truite en Amérique, roman devenu culte dès sa sortie.<br />
Aujourd’hui, ce texte est toujours publié accompagné de Sucre de pastèque,<br />
un roman d’une poésie rare avec ce soleil et ces pastèques qui changent de<br />
couleur selon le jour de la semaine et ces morts à la tombe illuminée au fond<br />
d’une rivière. Ce livre est rempli d’une tendresse et d’une mélancolie qui<br />
donnent envie d’y retourner régulièrement. Par la suite, il publie L’avortement<br />
où il se met en scène comme bibliothécaire d’un lieu où les auteurs peuvent<br />
venir déposer leur manuscrit refusé.<br />
Malheureusement, aucun autre livre ne retrouvera le succès de La pêche à la<br />
truite en Amérique. Brautigan qui avait rapidement été élevé au rang d’icône<br />
de la beat generation retombe tranquillement dans l’oubli. Il s’installe à<br />
©DR<br />
CES AUTEURS QUI TIENNENT LA ROUTE<br />
R I C H A R D B R A U T I G A N<br />
Pourquoi ce poète<br />
(presque) inconnu ne<br />
devrait pas<br />
rester inconnu<br />
Bolinas, en banlieue de San Francisco, découvre également le Montana, où il côtoie<br />
plusieurs artistes, et le Japon, où il se rend régulièrement et qui lui inspire plusieurs<br />
poèmes et un recueil de nouvelles, Tokyo-Montana Express. En 1984, il se tire une balle<br />
dans la tête. On ne le retrouvera que plusieurs jours plus tard, des amis s’inquiétant<br />
de ne pas avoir de ses nouvelles.<br />
L’expérience Brautigan<br />
La lecture d’un ouvrage de Richard Brautigan est une expérience hors du commun<br />
qui peut marquer de façon indélébile la personne qui s’y prête. Son écriture, gorgée<br />
d’une poésie unique et contagieuse, sait contaminer l’esprit de son lecteur et<br />
l’entraîner aussitôt dans un univers où la banalité, ainsi que les moult détails qui la<br />
composent, se voient comme transfigurés. Fourmillants d’images stupéfiantes, de<br />
déroutants raccourcis, les textes de Brautigan, surtout ses poèmes, témoignent d’une<br />
inspiration aux sources aussi diverses qu’insolites. Et la force de ces écrits réside<br />
justement dans cette fascinante faculté qu’il a de singulariser le quotidien le plus plat<br />
en énonçant, paradoxalement, cette même singularité de manière tout à fait banale.<br />
Brautigan, c’est un peu l’illustrateur Tex Avery invitant le surréalisme à faire de la<br />
littérature un art populaire en Californie au tournant des années 70. On peut y croiser,<br />
Les textes courts et les poèmes de Richard Brautigan semblent<br />
empreints d’un esprit pouvant rappeler l’instantanéité propre au<br />
haïku tout en s’inscrivant dans une indubitable américanité.<br />
entre autres exemples, un duo de flocons de neige qui ressemblent à s’y méprendre<br />
à Laurel et Hardy ainsi que Baudelaire assistant à un match opposant les Yankees de<br />
New York aux Tigers de Détroit. Souvent écrits avec une rare économie de mots, les<br />
textes courts et les poèmes de Richard Brautigan semblent empreints d’un esprit<br />
pouvant rappeler l’instantanéité propre au haïku tout en s’inscrivant dans une<br />
indubitable américanité. Le tout est mené magnifiquement sur fond de fantaisie<br />
mélancolique où pointe une poignante tendresse qui, pourtant, n’exclut aucunement<br />
les coups de gueule bien envoyés et les formules les plus cinglantes.<br />
L E M O N D E D U L I V R E M<br />
LE LIBRAIRE • NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2012 • 71