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M<br />
L E M O N D E D U L I V R E<br />
8 • LE LIBRAIRE • NOVEMBRE | DÉCEMBRE 2012<br />
De nouveau, on propose d’imposer un prix unique pour<br />
les premiers mois de vente des livres neufs. Moyennant<br />
cette règle, les librairies indépendantes ne seraient pas<br />
privées d’une part croissante de leurs recettes par les<br />
Walmart et autres ennemis de l’exception culturelle. Je<br />
suis d’accord avec cette mesure, mais j’ai une question :<br />
pourquoi cette règle, promise au Sommet de la lecture<br />
et du livre en 1998, n’est-elle pas déjà en vigueur?<br />
Au Québec, le livre n’a jamais eu la vie facile. D’après le<br />
cher lord Durham, les butés Québécois n’avaient à offrir<br />
ni histoire ni littérature. Dans la seconde moitié du XIX e<br />
siècle, quand l’Institut canadien, menacé d’excommu -<br />
nication en rafales, s’entêta à importer livres et revues<br />
pour « aération locale », le goupillon frappa. Ce fut,<br />
scène ridicule, la bagarre entre l’évêque qui refusait<br />
d’inhumer Guibord dans le cimetière consacré, et le<br />
tribunal civil prêt à l’action militaire pour que le pauvre<br />
Guibord mange les racines de pissenlits au même<br />
endroit que tout le monde. Il fallut, selon un taquin,<br />
« désacraliser » un pan de cimetière de six pieds de<br />
longueur sur quatre de largeur et six de profondeur...<br />
Tout cela parce que lire était péché.<br />
Le Québec connut aussi la « guerre des éteignoirs »,<br />
entre ceux qui tenaient à l’école et ceux qui préféraient<br />
LE BILLET DE LAURENT LAPLANTE<br />
Auteur d’une vingtaine de livres,<br />
Laurent Laplante lit et recense<br />
depuis une quarantaine d’années le<br />
roman, l’essai, la biographie, le<br />
roman policier… Le livre, quoi!<br />
souledit_OCT_lelibraire_gauche_souledit_OCT_lelibraire_gauche 12-10-05 16:43 Page 1<br />
Québec a droit au livre<br />
affecter les jeunes biceps à la coupe du foin. En train de<br />
rissoler en enfer, Durham devait quand même rigoler.<br />
Le livre attendait son tour.<br />
La guerre de 1939 donna espoir aux éditeurs québécois :<br />
comme les éditeurs français subissaient la censure<br />
nazie, c’est au Québec (ou au Brésil, dans le cas de<br />
Bernanos) que s’imprimaient les œuvres de Georges<br />
Duhamel, de Balzac, de Pierre Emmanuel. La fin du<br />
conflit creva la bulle : le livre retourna en France et les<br />
faillites acca blèrent l’édition d’ici. Qu’on lise Les éditeurs<br />
québécois et l’effort de guerre (Jacques Michon, Presses<br />
de l’Université Laval, 2009).<br />
Ce qu’on a appelé « révolution tranquille » (et qui<br />
était plus tranquille que révolutionnaire) répandit<br />
enfin l’instruction. Après la campagne électorale de<br />
1960, au cours de laquelle on a parlé d’éducation<br />
quelques centaines de fois plus souvent que lors du<br />
dernier scrutin, on a pensé que le livre bénéficierait<br />
de l’éveil des cerveaux. Ce fut le cas, quoique furent<br />
préservés les plus honteux plagiats : on utilisait des<br />
manuels édités ailleurs et maquillés à la va-vite pour<br />
leur donner un air aborigène. Il était courant<br />
« d’imprimer une couverture à La Prairie pour un livre<br />
imprimé en Bretagne » (300 ans de manuels scolaires<br />
De Gutenberg<br />
à J.A. Bombardier<br />
Suivi de Poèmes<br />
des terres<br />
au Québec, Paul Aubin, Presses de l’Université Laval,<br />
2006).<br />
Quand la mainmise étrangère sur les lectures du Québec<br />
en voulut pourtant encore plus, Pierre de Bellefeuille et<br />
ses collègues commirent La bataille du livre au Québec<br />
(Leméac, 1972), portant le sous-titre Oui à la culture<br />
française, non au colonialisme culturel. L’opinion publique<br />
et les pouvoirs publics s’émurent, comme pourrait le dire<br />
un journaliste attendri. On inventa alors la librairie<br />
agréée : en réservant les commandes de manuels<br />
scolaires à de vraies librairies pourvues d’un inventaire<br />
décent, on leur donnait de l’oxygène…<br />
Était-ce enfin la fin? Pas encore, car les grandes surfaces<br />
surgissaient. Achats en vrac, escomptes imparables, livres<br />
vedettes convertis en hameçons, c’est à côté des briquettes<br />
pour barbecue et de la tondeuse qu’on offrirait le livre à un<br />
prix coupé. Les vraies librairies? Qu’elles vivotent!<br />
D’où l’urgence d’imposer un prix unique, seul capable<br />
d’assurer l’épanouissement des librairies authentiques.<br />
En 1998, on a réuni, selon l’expression, « tous les maillons<br />
de la chaîne du livre » et on a fait consensus sur ce<br />
remède, mais jamais on n’a tenu la promesse de<br />
respecter ce consensus. Cette fois-ci sera-t-elle la bonne?<br />
Les petites vaches de l’automne<br />
À partir de 8,95 $ / Pour les 7 ans et plus<br />
Ill. : Caroline Merola<br />
SOULIÈRES<br />
ÉDITEUR<br />
soulieres<br />
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